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355. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre II. Lord Byron. » pp. 334-423

Cette promptitude aux émotions extrêmes était chez lui un legs de famille et un effet d’éducation. […] Ce sont les sentiments d’un homme qui est à la gueule d’un canon chargé, attendant qu’il parte : l’émotion est grande, héroïque même, mais elle n’est pas douce, et certainement, même en ce moment de grande émotion, il était malheureux ; rien de plus propre à empoisonner le bonheur que l’esprit militant. « Pourquoi, écrit-il, ai-je été toute ma vie plus ou moins ennuyé ? […] Nous sommes tous peuple à l’endroit des émotions, et la grande dame, comme la femme de chambre, donne d’abord ses larmes sans chicaner l’auteur sur les moyens. […] Il a vécu parmi les spectacles qu’il décrit ; il a éprouvé les émotions qu’il raconte. […] Qui est-ce qui donne un prix à la vie humaine et une noblesse à la nature humaine, sinon le pouvoir d’atteindre aux émotions délicieuses et sublimes ?

356. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXXII » pp. 131-132

Allusion à un article de Revue, la Ruche populaire (octobre 1843), dans lequel il était raconté qu’un père de famille, ouvrier, après avoir entendu lire tout haut le soir, à la veillée, par un de ses fils, le chapitre du Lapidaire, dans les Mystères de Paris, s’était écrié, en déguisant mal son émotion (il ne voulait pas laisser voir qu’il pleurait) : « Eh bien !

357. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Delarue-Mardrus, Lucie (1874-1945) »

Épictète, et elle ne s’est pas enfermée en une doctrine immuable, mais au cours des saisons et des heures — les saisons et les heures de toute une jeunesse — elle a chanté son émotion immédiate, tout en demeurant maîtresse absolue de sa volonté en présence du monde ; elle sait qu’une âme humaine, dans la fiction qu’elle se crée des êtres et des formes, est la principale collaboratrice, et que le véritable mystère est en elle, non dans les choses… Si elle se laisse attrister par les présages de mort épars dans les bois et dans le ciel d’automne, c’est qu’elle y aura consenti, et elle ne sera point l’esclave même du Beau, ayant écrit ce vers doré : Tâche d’aimer le Beau sans être son amant.

358. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Guimberteau, Léonce »

Ils valent par une sincérité profonde qui atteint à l’émotion.

359. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Murger, Henry (1822-1861) »

Ses meilleurs endroits sont toujours les ébauches faciles, assez gracieuses dans leur facilité, d’un homme qui, peut-être, sera un artiste demain… En parcourant ces pages incorrectes et lâchées, et ces vers dans lesquels l’émotion ne peut sauver le langage, on a senti que cette langue de poète avait le filet… On ne le lui coupa pas et jamais il ne se l’arracha… Dans ses Nuits d’hiver comme dans sa Vie de Bohême, il n’a pas plus d’inspiration personnelle qu’il n’a de style à lui.

360. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Privas, Xavier (1863-1927) »

Mlle Félicia Mallet interprétait de lui deux véritables petits bijoux littéraires, chacun d’un genre très différent, qui valurent à cette grande artiste un tel succès — d’abord d’exquise gaîté, puis de sincère émotion — qu’elle dut recommencer entièrement et le Noël de Pierrot et la Fête des mots.

361. (1853) Portraits littéraires. Tome II (3e éd.) pp. 59-300

Cette émotion, M. de Chateaubriand l’a traduite avec une grande vérité. […] René seul produit quelques émotions fugitives ; mais le mari de Céluta est bien loin de l’amant d’Amélie. […] Dumas des émotions d’un ordre élevé. […] Toutes les merveilles qu’elle accomplit sont et demeurent des merveilles lyriques ; les strophes qui retentissent au théâtre sont toujours des strophes ; elles étonnent, mais n’émeuvent pas ; ou du moins l’émotion qu’elles produisent n’est pas une émotion dramatique. […] La foule était lasse de l’adultère et de l’échafaud, et demandait impérieusement des émotions d’un ordre plus élevé.

362. (1895) La comédie littéraire. Notes et impressions de littérature pp. 3-379

Le poète nous montre des images et il nous dit, aussi, quelle émotion éveillent en lui ces images, et il nous fait partager son émotion. […] de cet ensemble hétéroclite, de ces parties incomplètes et de ces chapitres inégaux, jaillit une émotion poignante, une telle émotion que je mets au défi les cœurs les plus endurcis d’y résister. […] Nous sommes bien sûr que les émotions qu’il dépeint, ont été les siennes, à une heure de sa vie. […] Rougeville, tour à tour, frémissait de rage ou tremblait d’émotion, en écoutant ce récit. […] Et le grand seigneur s’épanouit, et il éprouve de divines émotions.

363. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre VI. Milton. » pp. 411-519

Il ne crée pas des âmes, mais il construit des raisonnements et ressent des émotions. Émotions et raisonnements, toutes les forces et toutes les actions de son âme se rassemblent et s’ordonnent sous un sentiment unique, celui du sublime, et l’ample fleuve de la poésie lyrique coule hors de lui, impétueux, uni, splendide comme une nappe d’or. […] Nulle séduction, nulle émotion, nul accident, nul changement n’altère la stabilité de sa conviction, ou la lucidité de sa connaissance. […] Changez de style, ou plutôt, si vous le pouvez, changez d’émotion. […] Dans l’une et dans l’autre, il y atteint par l’entassement des magnificences, par l’ampleur soutenue du chant poétique, par la grandeur des allégories, par la hauteur des sentiments, par la peinture des objets infinis et des émotions héroïques.

364. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Romans et nouvelles » pp. 3-80

Il nous est venu la curiosité de savoir si cette forme conventionnelle d’une littérature oubliée et d’une société disparue, la Tragédie, était définitivement morte ; si dans un pays sans caste et sans aristocratie légale, les misères des petits et des pauvres parleraient à l’intérêt, à l’émotion, à la pitié, aussi haut que les misères des grands et des riches ; si, en un mot, les larmes qu’on pleure en bas, pourraient faire pleurer comme celles qu’on pleure en haut. […] Et mon ambition, je l’avoue, serait que mon livre donnât la curiosité de lire les travaux sur la folie pénitentiaire 9, amenât à rechercher le chiffre des imbéciles qui existent aujourd’hui dans les prisons de Clermont, de Montpellier, de Cadillac, de Doullens, de Rennes, d’Auberive ; fît, en dernier ressort, examiner et juger la belle illusion de l’amendement moral par le silence ; que mon livre enfin eût l’art de parler au cœur et à l’émotion de nos législateurs. […] Les lecteurs se plaignent des dures émotions que les écrivains contemporains leur apportent avec leur réalité brutale ; ils ne se doutent guère que ceux qui fabriquent cette réalité en souffrent bien autrement qu’eux, et que quelquefois ils restent malades, nerveusement, pendant plusieurs semaines, du livre péniblement et douloureusement enfanté. […] D’aventures, il est bien entendu que je n’en ai nul besoin ; mais les impressions de petite fille et de toute petite fille, mais des détails sur l’éveil simultané de l’intelligence et de la coquetterie, mais des confidences sur l’être nouveau créé chez l’adolescente par la première communion, mais des aveux sur les perversions de la musique, mais des épanchements sur les sensations d’une jeune fille, les premières fois qu’elle va dans le monde, mais des analyses d’un sentiment dans de l’amour qui s’ignore, mais le dévoilement d’émotions délicates et de pudeurs raffinées, enfin, toute l’inconnue féminilité du tréfonds de la femme, que les maris et même les amants passent leur vie à ignorer… voilà ce que je demande.

365. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin (suite et fin.) »

Blanche, elle avait des froideurs de teint qui sentaient la vie à l’ombre et l’absence totale d’émotions, des yeux qui s’ouvraient mal comme au sortir du sommeil ; ni grande, ni petite, ni maigre, ni grasse, avec une taille indécise qui avait besoin de se définir et de se former : on la disait déjà fort jolie, et je le répétais volontiers, sans y prendre garde et sans y croire. » Patience ! […] Il y a là une certaine journée d’avril, un jeudi (car n’oublions pas qu’il est encore au collège), qui est toute une révélation de tendresse et une explosion continuelle d’émotions délicieuses. […] Entre lui et Madeleine, mariée, femme du monde, il s’engage un jeu délicat, périlleux, dans lequel calme, supérieure, affectueuse et sans émotion d’abord, elle s’efforce de le ramener, de le guérir.

366. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « DU ROMAN INTIME ou MADEMOISELLE DE LIRON » pp. 22-41

Il livre alors aux lecteurs avides de ces sortes d’émotions quelque histoire altérée, mais que sous le déguisement des apparences une vérité profonde anime ; ou bien il garde pour lui et prépare, pour des temps où il ne sera plus, une confidence, une confession qu’il intitulerait volontiers, comme Pétrarque a fait d’un de ses livres, son secret. […] Quoi qu’il en soit, la nuit de la visite et du départ d’Ernest, Mlle de Liron, pâle, en robe blanche, à demi pâmée d’effroi, ses grands cheveux noirs, que son peigne avait abandonnés, retombant sur son visage, et ses yeux éclatant de la vivacité de mille émotions, Mlle de Liron, en ce moment, était au comble de sa beauté et atteignait à l’idéal ; c’est ainsi qu’Ernest la vit, et qu’elle se grava dans son cœur. […] La nouvelle position des deux amants, l’embarras léger des premiers jours, le rendez-vous à la chambre, le bruit de la montre accrochée encore à la même place, le souper à deux dans une seule assiette14, cette seconde nuit qu’ils passent si victorieusement et qui laisse leur ancienne nuit du 23 juin unique et intacte, les raisons pour lesquelles Mlle de Liron ne veut devenir ni la femme d’Ernest ni sa maîtresse, l’aveu qu’elle lui fait de son premier amant, cette vie de chasteté, mêlée de mains baisées, de pleurs sur les mains et d’admirables discours, enfin la maladie croissante, la promesse qu’elle lui fait donner qu’il se mariera, l’agonie et la mort, tout cela forme une moitié de volume pathétique et pudique où l’âme du lecteur s’épure aux émotions les plus vraies comme les plus ennoblies.

367. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — II. » pp. 195-213

La petite vérole, avant qu’on en eût coupé le cours, venait d’ordinaire aux jeunes filles comme un symptôme à l’entrée de l’âge des émotions. […] Je barbouille du papier à force, quand la tête me fait mal ; j’écris tout ce qui me vient en idée : cela me purge le cerveau… Adieu, j’attends une cousine qui doit nous emmener à la promenade ; mon imagination galope, ma plume trotte, mes sens sont agités, les pieds me brûlent. — Mon cœur est tout à toi. » Si calme, si saine qu’on soit au fond par nature, il semble difficile qu’en ce jeune train d’émotions et de pensées, on reste longtemps à l’entière froideur, avec tant de sollicitations d’être touchée. […] Adieu, adieu. » L’amitié pour Sophie et les lettres qu’elle lui adresse durant tous les premiers mois de 1776 profitent de ce concours et de ce conflit d’émotions ; elle-même l’avoue et nous donne la clef de ce redoublement : « Ah !

368. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VIII. La question de gout ce qui reste en dehors de la science » pp. 84-103

Telle œuvre est supérieure, parce qu’elle exprime et éveille beaucoup de sentiments tempérés (Gil Blas)  ; telle autre, parce qu’elle peint une passion déchaînée dans toute sa violence (Manon Lescaut, le Père Goriot)  ; celle-ci, parce qu’elle suscite des émotions nobles, comme la pitié pour les faibles, l’amour de la justice, la sympathie pour la vie universelle (les Misérables)  ; celle-là, parce qu’elle va toucher au fond du cœur des fibres secrètes, rarement ou jamais atteintes jusque-là, parce qu’elle donne, comme on l’a dit, un nouveau frisson (les Fleurs du mal). […] Une œuvre qui plaît aux sens vaudra mieux, si elle satisfait en même temps notre besoin d’émotions et notre intelligence ; elle sera une œuvre suprême, un vrai chef-d’œuvre, si elle est par surcroît largement douée de la beauté morale et de la beauté idéale. […] On n’arrive à produire l’émotion que par l’intermédiaire d’une jouissance sensorielle.

369. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XII »

Cette scène, si touchante et si contenue, si pleine d’émotion et de distinction, rafraîchit à propos la sécheresse qui règne dans la pièce. […] Mais, avant tout, elle est vraie, et il y a plus d’émotion au théâtre pour une petite pécheresse vulgaire et vivante que pour mille héroïnes, sans tache, qui n’ont jamais existé. […] Exalté par son émotion, attendri par le nom de père que prononce l’enfant en rouvrant les yeux, il lui demande sa main avec une tendresse passionnée.

370. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Œuvres de Barnave, publiées par M. Bérenger (de la Drôme). (4 volumes.) » pp. 22-43

Si Barnave a jamais atteint à quelque chose qui approche de ce qu’on peut appeler le sentiment ou l’expression poétique (accident chez lui très rare), c’est ce jour-là qu’il y est arrivé par l’émotion. […] Si délicate et si tendre, un rien porte sur son cœur et réveille ses émotions. […] Il importe, en effet, à la vérité historique de reconnaître que ce qu’on a appelé le changement de Barnave ne date point de ce voyage, ne tient point à une simple émotion, bien concevable d’ailleurs et bien naturelle, mais à une modification antérieure et raisonnée de vues et de principes.

371. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — I. » pp. 1-22

Voilà le vrai maréchal Marmont dans toute cette jeunesse et cet éclat d’émotion, qui n’abandonna son cœur qu’avec la vie. […] — Ces paroles, continue Marmont avec une émotion bien explicable, prononcées par Napoléon et adressées à moi le 11 octobre 1813, ne portaient-elles pas l’empreinte d’un caractère tout à fait extraordinaire ? […] C’est ainsi que nous le voyons rentrer dans Paris couvert de la poussière et frémissant de l’émotion du combat.

372. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Ivan Tourguénef »

Tourguénef nous emmène à Bade, dans les salons de l’aristocratie russe, ou qu’il nous fasse entendre les paroles mystiques du nain Caciane, au fond d’une forêt du gouvernement de Kalouga, ou que ce soit la vie infiniment triste et monotone d’un propriétaire végétant seul au milieu des boues de son bien qu’il nous montre, immédiatement, de plain-pied, nous pénétrons dans le cercle de ces existences lointaines ; comme séduits par une incantation, nous prenons notre part à d’autres souffrances et à d’autres passions que les nôtres, jusqu’à ce que le rayon de nos émotions et de notre expérience comprenne toute une époque et toute une terre, où nous emporte une illusion aussi complète et aussi impérieuse qu’un rêve. […] L’atrophie fonctionnelle de la volonté nous est présentée avec tous ses symptômes habituels, la surabondance d’idées et de sentiments abstraits, la disposition que donne cette perpétuelle agitation à l’analyse intérieure et à l’ironie envers soi-même, l’incapacité finale de formuler un jugement arrêté ou de ressentir une émotion entraînante et la scission de l’âme en deux courants d’idées contraires, cette division intestine conduisant à la perception de deux moi irréconciliables, puis causant la mort de l’organisme qu’elle affecte. […] III Ce don d’intime et délicate pénétration qui a peut-être écarté Tourguénef des émotions littéraires tragiques ou violentes, lui a assuré, eu retour, de comprendre les âmes qu’il analyse, c’est-à-dire de les aimer.

373. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, Les Feuilles d'automne, (1831) »

Victor Hugo, ses excursions et voyages dans le pays des fées et dans le monde physique une fois terminés, à reprendre son monde intérieur, invisible, qui s’était creusé silencieusement en lui durant ce temps, et à nous le traduire profond, palpitant, immense, de manière à faire pendant aux deux autres ou plutôt à les réfléchir, à les absorber, à les fondre dans son réservoir animé et dans l’infini de ses propres émotions. […] Il y a donc, en ce livre de notre grand poëte, progrès d’art, progrès de génie lyrique, progrès d’émotions approfondies, amoncelées et remuantes ; mais de progrès en croyance religieuse, en certitude philosophique, en résultats moraux, le dirai-je ?

374. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Des soirées littéraires ou les poètes entre eux »

et le lendemain, au réveil, demandez-vous ce que vous avez fait de votre chasteté d’émotion et de vos plus doux mystères. […] Lors donc qu’on les expose encore naissants au regard d’un ami, il doit être toujours sous-entendu qu’on le consulte, et qu’après votre première émotion passée et votre rougeur, il y a lieu pour lui à un jugement.

375. (1874) Premiers lundis. Tome I « Alexandre Duval de l’Académie Française : Charles II, ou le Labyrinthe de Woodstock »

Selon eux, une société vieillie comme la nôtre, et tout entière adonnée aux discussions politiques, peut et doit se passer d’un grand et sérieux théâtre ; les bluettes du Gymnase suffisent chaque soir à dissiper la migraine de nos hommes d’État ; et quant au peuple, moins friand et plus avide en fait d’émotions, n’a-t-il pas les Deux Forçats et le Joueur ? […] Cette œuvre du loisir et du recueillement, où viendront sans doute contraster et se confondre en mille effets charmants ou sublimes la vérité et l’idéal, la raison et la fantaisie, l’observation des hommes et le rêve du poète, arrivée dans le monde réel, exposée aux regards de tous, enchantera les âmes et ravira les suffrages ; les esprits les plus graves, philosophes, érudits, historiens, se délasseront à la contempler, car l’impression d’une belle œuvre n’est jamais une fatigue ; les politiques surtout, en n’y cherchant que du plaisir, y puiseront plus d’une émotion intime, plus d’une révélation lumineuse, qui, transportée ailleurs et transformée à leur insu, ne restera stérile ni pour l’intelligence de l’histoire, ni pour les mouvements de l’éloquence ; la tribune et la scène, en un mot, rivales et non pas ennemies, pourront retentir ensemble et quelquefois se répondre.

376. (1874) Premiers lundis. Tome II « Chronique littéraire »

Quoi qu’il en soit, il est bien sûr pour nous, en ce moment, que le siècle va grand train, qu’une étrange activité l’accélère dans tous les sens ; qu’à lui tâter le pouls chaque matin, sa vie semble une fièvre, et que, si dans cette fièvre il entre bien des émotions passagères, de mauvais caprices, d’engouements à la minute, il y a aussi là-dedans de bien nobles palpitations, une sérieuse flamme, des torrents de vie et de génie, et toute la marche d’un grand dessein qui s’enfante. […] L’attente était grande, bruyante, mais non orageuse ; des sentiments divers planaient en rameur sur cette multitude passionnée ; on demandait le Chant du Départ, on chantait la Marseillaise ; puis la toile, se levant avec lenteur, découvrit une vue merveilleuse de Venise que saluèrent mille applaudissements : « Admirable jeunesse, me disais-je, qui trouves place en toi pour toutes les émotions, qui aspires et t’enflammes à tous les prestiges ; va, tu seras grande dans le siècle, si tu sais ne pas trop t’égarer, si tu réalises bientôt le quart seulement de ce que tu sens, de ce que tu exhales à cette heure ! 

377. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre II. Définition. — Énumération. — Description »

Votre langue se déliera en face du particulier : vous aurez un jugement à porter, une raison à produire, une émotion à noter. […] Après un intervalle de temps, vous le regarderez en vous-même, vous en évoquerez l’image : incomplète, fragmentée, déformée, elle ramènera l’émotion, l’idée, que la vue involontaire, le choc inattendu de la réalité vous avaient imposées : ce lambeau d’image qui s’est accroché inconsciemment dans votre esprit, c’est précisément ce qu’il y a pour vous de caractéristique dans l’objet, c’est ce que la description doit éclairer.

378. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « José-Maria de Heredia.. »

La valeur morale de certaines émotions, la noblesse de certaines pensées peuvent faire illusion : or ni la tendresse ni l’éloquence ne sont proprement poésie. […] Et à ce scrupule de poètes irréprochables se mêlait naturellement un orgueil aristocratique, la fierté et peut-être aussi l’affectation de ne jamais traduire dans la langue des dieux aucune émotion vulgaire, de se confiner dans des impressions exquises, rares, difficiles, inaccessibles à la foule.

379. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre III, naissance du théâtre »

Tous les sentiments dramatiques que le théâtre futur allait bientôt faire connaître aux âmes, terreur et pitié, angoisse et espoir, étaient en germe dans les émotions que les contrastes de la nature suscitaient en lui. […] Le rire roula vers les groupes et les dialogues populaires, vers les chariots pleins de gestes moqueurs et de huées joviales, qui ramenaient les buveurs et les vendangeurs à la ville ; les larmes grossirent la source d’émotions et de commémorations douloureuses formée par les adorateurs exaltés du dieu, et d’où la tragédie allait naître.

380. (1860) Ceci n’est pas un livre « Le maître au lapin » pp. 5-30

La reproduction matérielle de la nature, si exacte que soit cette reproduction, est par elle-même impuissante à éveiller en nous l’émotion poétique qui doit naître de la contemplation d’une œuvre d’art. […] C’est la gloire de l’artiste de ne pas reproduire seulement, mais d’interpréter. — L’interprétation peut varier à l’infini, elle restera toujours vraie : celui-ci reçoit de la vue d’un paysage une impression mélancolique ; cet autre, devant le même paysage, sent palpiter en lui une émotion joyeuse.

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