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998. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Conclusion » pp. 355-370

Nous n’admettons pas que vous puissiez avoir l’âme assez basse, l’esprit assez court pour en rester à la doctrine de l’école historique. […] Mais cet avantage que Goethe perd un moment, il le retrouve le moment d’après, quand, par exemple, la lecture d’un chœur de Sophocle ou d’une ode de Pindare fait couler à longs traits dans tous ses sens et dans son âme une émotion, une félicité, que jamais ne goûta madame de Staël. […] J’ai reçu dans mon âme des impressions, des images… Faust est un ouvrage de fou466. » On fera toujours des théories insignifiantes, comme on fera des poèmes médiocres. […] Elle a si peur de n’être pas tout intelligence, de conserver la moindre apparence d’âme, de partialité, d’enthousiasme ; elle s’applique avec un dépouillement si entier, si farouche, à se faire toute à tous, à être anglaise avec les Anglais, allemande avec les Allemands, française avec les Français, qu’elle méconnaît une chose : c’est que les Anglais, les Allemands, les Français sont des hommes, et que dans Molière, dans Shakespeare, dans tous les grands poètes il y a, sous les différences de temps et de lieux, un pathétique capable de faire battre toute poitrine humaine, sans distinction de nationalités.

999. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Odes et Ballades » (1822-1853) — Préface de 1824 »

Pourquoi donc envelopper d’une désignation vague et collective ces créations, qui, pour être toutes animées de la même âme, la vérité, n’en sont pas moins dissemblables et souvent contraires dans leurs formes, dans leurs éléments et dans leurs natures ? […] Passons, et abordons la question de choses, car la frivole querelle des romantiques et des classiques n’est que la parodie d’une importante discussion qui occupe aujourd’hui les esprits judicieux et les âmes méditatives. […] Quelques âmes choisies recueillent cette parole et s’en fortifient. […] Ses chants célébreront sans cesse les gloires et les infortunes de son pays, les austérités et les ravissements de son culte, afin que ses aïeux et ses contemporains recueillent quelque chose de son génie et de son âme, et que, dans la postérité, les autres peuples ne disent pas de lui : « Celui-là chantait dans une terre barbare ».

1000. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Paul de Saint-Victor » pp. 217-229

et cela m’a réjoui l’âme pour Saint-Victor, car l’ennui des sots, c’est divin ! […] Et il ajoute au premier coup porté par eux dans nos âmes, la force d’un second coup, qui enfonce en nous le premier. […] C’est mettre quelque chose dans nos âmes qui n’y était pas… Saint-Victor, qui nous apprend Eschyle aujourd’hui, dans son premier volume, devient, en vertu de la faculté caméléonesque du talent regardant le génie, une espèce d’Eschyle, éclosant et fleurissant dans les racines du vieux tragique immortellement épanoui, et tellement que si, par miracle, le vieux Eschyle revenait au monde et qu’il lût le commentaire de Paul de Saint-Victor, il dirait comme Galathée, sortie de son état de marbre et touchant la poitrine de l’idolâtre Pygmalion : « C’est encore moi !  […] Sans ces mépris, l’écrivain à la diable et à la haineuse âme de damné qui fut Saint-Simon, serait inconsciencieusement resté dans son brillant étui de courtisan et n’aurait jamais sauté de cette boîte à surprise.

1001. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Jacques Demogeot » pp. 273-285

Demogeot dans sa chaire, mais à coup sûr on était plus près de son âme, quand il faisait son cours, que quand on en lit les extraits dans leur toilette de livre. En mettant son volume entre lui et nous, il nous a séparés de son âme de toute l’épaisseur de son esprit. […] C’est bien l’idée commune et moderne « des institutions », cette Poétique politique inventée pour se passer de grands hommes et à laquelle l’Histoire répond par tous les siens, car il n’y a pas d’autres créateurs de prospérités publiques que quelques grandes âmes isolées, et jamais ce que l’orgueil humain appelle si plaisamment « des institutions » n’a été autre chose que la petite monnaie de ces grands hommes nécessaires, disparus ! […] Contradictoire quelquefois quand il raisonne, par exemple lorsqu’il nous dit que le siècle de Louis XIII, dans ses commencements, était le siècle des plus grandes âmes, qu’il l’admire et même l’admire trop, et lorsqu’à trois pas de là il ajoute que les petits vers des Voiture du temps, les billevesées des ruelles et des Samedis de chez Mademoiselle de Scudéry étaient à la taille de ce siècle si grand !

1002. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Silvio Pellico »

I C’est l’écrivain religieux, bien entendu, qu’on cherchera ici et qu’on va y trouver sous le nom de Silvio Pellico ; car, de volonté ou de nature, Silvio Pellico est un écrivain religieux, et même, à tort ou à raison, une influence pour certaines âmes. […] Il ne fut ni une âme forte, ni un esprit supérieur. […] Quoique nous reconnussions que l’accent du livre des Prisons ne fût pas un accent de la terre, cependant cet accent qui nous troublait s’arrêtait à une certaine place de notre âme. […] Nous avons voulu dire d’un homme dont toute la supériorité est dans l’âme, et pour lequel nous avons une affection qu’il nous fallait cacher à cause de ceux qui étalaient la leur pour lui avec un intérêt perfide : maintenant que Silvio Pellico n’est plus qu’un chrétien qui baise sa croix et que renient les sociétés secrètes, nous pouvons tout haut l’admirer !

1003. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXVII. Silvio Pellico »

Silvio Pellico29 [Le Pays, 6 août 1857] I C’est l’écrivain religieux, bien entendu, qu’on cherchera ici et qu’on va y trouver sous le nom de Silvio Pellico, car de volonté ou de nature, Silvio Pellico est un écrivain religieux et même, à tort ou à raison, une influence pour certaines âmes. […] Il ne fut ni une âme forte, ni un esprit supérieur. […] Il avait enfin appartenu à la jeune Italie, à ce parti de terrassés, qui ne se croient jamais vaincus, et ce n’était pas là pour nous des recommandations bien puissantes, Quoique nous reconnussions que l’accent du livre des Prisons ne fût pas un accent de la terre, cependant cet accent qui nous troublait, s’arrêtait à une certaine place de notre âme. […] Nous avons voulu dire d’un homme dont toute la supériorité est dans l’âme, et pour lequel nous avons une affection qu’il nous fallait cacher à cause de ceux qui étalaient la leur pour lui, avec un intérêt perfide : Maintenant que Silvio Pellico n’est plus qu’un chrétien qui baise sa croix et que renient les sociétés secrètes, nous pouvons tout haut l’admirer !

1004. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Barthélemy Saint-Hilaire »

Roués retors, à l’âme de Scapin, qui ne voyaient dans toute l’histoire que grands comédiens et petits farceurs, Machiavels qui s’enfilaient sur leurs propres finesses quand ils auraient pu, dans l’état obscur où se trouvait alors l’histoire de l’Islamisme, s’attester la simplicité primitive de Mahomet, de ce beau berger comme David et Moïse, qui rêva quarante ans au désert avant d’entendre la voix de la Vocation s’élever dans son âme, comme un écho de la voix de Dieu, cette simplicité eût été pour eux une chose fermée, qui serait restée strictement fermée à leurs regards, à leurs lunettes et à leurs lorgnons ! […] Mahomet, le guerrier, le général d’armée, mais qui ne le devint qu’à cinquante ans, comme le rude Cromwell, était né doux, et ce qu’il sut du Christianisme ajouta encore à la disposition naturelle de son âme… À la première bataille à laquelle il assista, tout jeune qu’il fût, par conséquent d’autant plus susceptible de sentir l’ivresse du combat, il se contenta de ramasser tranquillement les flèches de ses oncles… C’était un de ces doux, à qui doit échoir l’empire de la terre. Son enfance avait été malheureuse, ce qui avait prédestiné cette âme juste et tendre à la charité pour les souffrants.

1005. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Vigny. Œuvres complètes. — Les Poèmes. »

Victor Hugo, qui allait être l’Enfant du génie, et M. de Lamartine, qui en était déjà le beau jeune homme, n’avaient pas encore fait entendre, le premier, ces cris sublimes qui ravissaient d’enthousiasme l’âme maternelle de Mme de Staël ; le second, ces soupirs du jeune homme plus puissants que les cris de l’enfant et qui enchantèrent toutes les femmes. […] Alfred de Vigny, le fond incommutable de son génie, l’âme qui a rayonné, — pressentiment ou souvenir, — dans tout ce qu’il a écrit et tout ce qu’il écrira jamais, s’il écrit encore ! […] Quelle lassitude de vivre, âme dépareillée, dans l’éternel célibat du génie ! […] Michel-Ange est assez puissant pour tenir sous son pied l’opinion publique comme son glorieux patron tient le diable sous sa sandale d’or, mais la vue du sublime affranchit l’esprit et lui donne le courage de rejeter l’oppression de la plus colossale célébrité et par d’autres grandeurs, la mieux justifiée… Et cependant le poème de Moïse, qui me fait écrire de telles choses, en mon âme et conscience, n’est, à mes yeux, que le second en mérite des Poèmes de M. de Vigny.

1006. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Henri Heine »

Les gens sans pensée qui picorent sur des mots, ont appelé Heine une âme païenne parce qu’il a fait jouer dans le diamant de son imagination réverbérante quelques formes du monde antique, mais il n’était pas plus païen que chrétien et que juif. Le judaïsme et le christianisme, et par ce mot de christianisme entendez le catholicisme, — les idées protestantes étant tout ce qu’il y avait de plus antipathique à l’esprit de Heine, — le catholicisme donc et le judaïsme avaient laissé également en son âme des impressions superbes qu’il a superbement exprimées, quitte à s’en moquer une minute après ! […] C’est un Voltaire, mais qui a une âme, quand Voltaire n’a que de l’esprit. […] Henri Heine, cet intuitif dans l’ordre des idées, qui en voit le néant et qui, de sa flèche railleuse, en traverse le vide ; ce divinateur de l’âme par le sentiment ; Henri Heine, ce prodige d’adorable esprit, a été aussi bête que Goethe (toujours Jupiter : la bêtise dans l’immensité !)

1007. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le cardinal de Bernis. (Fin.) » pp. 44-66

En décembre 1758, Bernis, qui ne faisait que de tomber du ministère, était donc dans l’exil à Vic-sur-Aisne, près de Soissons, et les premiers temps, malgré sa philosophie et sa douceur d’âme, durent lui être assez pénibles. […] Quand vous aurez bâti à Vic, vous trouverez que Vic laisse dans l’âme un grand vide qu’il faut remplir par quelque chose de mieux. […] Je vous avoue que je suis infiniment curieux de savoir ce que devient une âme comme la vôtre. […] Rassemblez ces traits de vertu, d’humanité, d’amour du bien général, épars dans vos ouvrages, et composez-en un tout qui fasse aimer votre âme autant qu’on admire votre esprit. […] Ce n’est pas une pédanterie que je vous demande, ni une capucinade, c’est l’ouvrage d’une âme honnête et d’un esprit juste.

1008. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre II. Boileau Despréaux »

Il avait l’esprit très philosophique, et peu de connaissances ou de curiosité philosophiques ; il n’avait en morale qu’une science commune et superficielle, et ni théoriquement ni pratiquement il n’avait de grandes lumières sur la vie de l’âme humaine : il fait exception dans le xviie  siècle par son manque de sens psychologique. […] Jusqu’ici, cette âme, cet esprit, même en leurs plus hautes parties, ne nous offrent rien que de prosaïque. […] Le point de départ de l’Art poétique est celui du Discours de la méthode : la raison, départie à tous, est en nous la faculté supérieure, dominatrice et directrice des âmes, douée spécialement de la propriété de discerner le vrai du faux. […] Il ne faut se soucier que de la vérité : les âmes et les arbres d’aujourd’hui sont pareils aux âmes et aux arbres d’il y a deux mille ans. […] Et voilà encore qui limite le choix ou détermine l’expression des objets : il en faut extraire, ou il y faut insinuer un caractère sensible, par où ils soient doux à l’âme.

1009. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « La jeunesse du grand Condé d’après M. le duc d’Aumale »

S’ils ont leurs orgueils que nous ne connaissons pas, il est aussi des fiertés dont ils ne pourront jamais goûter la joie d’une âme parfaitement tranquille. […] Mais en réalité, et quoiqu’ils ne s’en aperçoivent pas toujours, ils sont véritablement, corps et âme, les esclaves de leur nom. […] Les pièces de son échiquier sont des groupes d’hommes faits de chair, d’os et de nerfs, et d’une âme agissante et sentante. […] On ne sait jamais ce qu’il en sortira, ni ce qui dort dans cette âme collective, si capricieuse, sujette à des mouvements inexpliqués et contagieux. […] Jugez quelle force d’âme il exige et de quel tremblement intérieur il doit être accompagné !

1010. (1902) L’œuvre de M. Paul Bourget et la manière de M. Anatole France

Ne sait-on pas, au reste, que la tentative a échoué sans retour, et qu’il n’est personne, aujourd’hui, qui s’illusionne encore sur les promesses de ce démontage anatomique de l’âme humaine, dont les individualistes outranciers ont cordialement assumé l’ardue tâche, dans l’espoir manifeste qu’elle aboutirait au triomphe du moi, devenu la formule suprême de vérité. […] n’a pas engendré qu’une déroute de principes : on l’a bien senti au flot de désespérance qui a envahi l’âme contemporaine, quand elle a dû, en présence de sa nudité misérable, se reconnaître tardivement le jouet du plus stérile orgueil de l’esprit. […] Et donc, aujourd’hui comme hier, pénétrer dans les replis les plus intimes de l’âme, atteindre à la formule de cette somme d’impressions monochromes et diverses, qui s’alignent en synchroniques théories de contrastes dans les vallées de notre for intérieur et en constituent l’ordre normal, reste une tâche inouïe. […] Au contraire, tout en sentant qu’il devait moralement y perdre, mais pour la piquante saveur du geste qui devait en résulter, il se laissa aller si voluptueusement, devant les choses, à son goût de n’en saisir que le défaut, que ce fut miracle si, en en décrétant l’étrange et manifeste irrespectabilité, il lui resta encore assez de cœur pour en amuser seulement sa chère âme conciliatrice. […] L’âme peut y mal respirer, l’esprit n’y voir qu’une menace, le cœur y pressentir une déchéance, et le cœur, et l’esprit, et l’âme s’unir dans la plus tragique opposition, c’est bien au besoin de considération, d’agrément utile et savoureux, à la nécessité toujours plus affirmative d’un modus vivendi, propre à calmer notre soif jamais étanchée de bonheur, c’est bien à ces aspirations de l’être social que la victoire reste.

1011. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVII et dernier » pp. 442-475

Il serait bien triste que Dieu n’éclairât pas une âme faite pour lui. » Cependant les yeux jaloux de madame de Montespan ont découvert l’intrigue du roi et de madame de Fontanges. […] En 1680, la liaison était formée, l’affection morale avait commencé, l’âme était exaltée. […] La naissance de M. le duc de Bourgogne lui donna lieu de manifester le fond de ses sentiments pour la reine, et ces affections de famille qui reprennent si doucement leur place dans les âmes bien nées, après en avoir été quelque temps bannies. […] Laissons aux âmes communes (et madame de Montespan était du nombre, malgré la distinction de son esprit la satisfaction de penser, ou de le dire, que madame de Maintenon mit en œuvre tous les manèges de la coquetterie pour se faire aimer du roi, et elle qui, pouvant devenir sa maîtresse, le ramène à ses devoirs de mari. […] La conversation avait marié des âmes faites pour s’aimer ; le mariage de ces deux aines était consommé, en pleine fécondité, quand se célébra celui dont l’histoire a tant parlé et dont il n’est heureusement pas resté d’autre fruit.

1012. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre II »

Sa sœur Julie, l’enfant gâté de la maison, qui se marie, le jour même, avec M. le comte d’Ollivon, essaye en vain d’entrouvrir à l’espoir cette âme repliée sur elle-même. […] L’amour est le soleil, l’amitié est la lune de l’âme, et, comme la lune du ciel visible, elle est éclipsée par l’amour, lorsqu’elle se rencontre avec lui. […] Vous figurez-vous l’âme de Mozart enfermée dans l’obésité bouffie du Bourgeois gentilhomme, et le cygne faisant la roue du coq dinde ? […] On arracherait plutôt un sens à l’organisation humaine que d’extirper de l’âme d’un artiste le sentiment, le respect, l’idolâtrie de son art. […] Il a l’âme d’un ange et la tenue d’un rapin de soixante-cinquième ordre en goguette ; il se conduit comme un héros et il se présente comme un bohémien.

1013. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame Necker. » pp. 240-263

Ses défauts sont de ceux qui choquent le plus aisément en France, ce ne sont pas des défauts français ; et ses qualités sont de celles qui ne viennent trop souvent dans le monde qu’après les choses de tact et de goût, car elles tiennent à l’âme et au caractère. […] Une éducation vertueuse et des études solitaires lui avaient donné tout ce que la culture peut ajouter dans l’âme à un excellent naturel. […] Voulant définir, par exemple, les gens sans unité dans leur caractère et dans leur sensibilité, et qui se dispersent çà et là comme s’ils avaient plusieurs âmes différentes, elle dira « qu’ils ressemblent aux écrevisses à qui l’on peut couper une patte sans qu’il y paraisse quelques jours après, parce qu’elles ont plusieurs centres de sensibilité ». […] Je crois le voir environné de toutes nos heures, et je cherche auprès de lui et les instants et les personnes qui semblent ne plus exister pour nous : alors mon âme se calme ; ma pensée errante et désolée trouve un asile. […] Je n’ai pas à la suivre dans le détail de sa vie et de ses divers voyages, dont la plupart furent entrepris pour réparer sa santé en proie à des angoisses nerveuses qui marquaient le travail de l’âme.

1014. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires de Marmontel. » pp. 515-538

Dès que mon âme est triste, elle veut être seule. […] … La littérature et un cœur noble sont le véritable charme de la société. » C’est bien ainsi que l’entendait Marmontel ; il avait l’âme avant tout sociable et littéraire. […] s’écrie-t-il en parlant des entretiens de d’Alembert et de Mairan, quelles âmes que celles qui ne sont inquiètes que des mouvements de l’écliptique (d’Alembert), ou que des mœurs et des arts des Chinois (Mairan) ! […] Il suffit de lire sa correspondance avec Voltaire pour voir que son âme n’était pas libre des animosités philosophiques et des passions de secte. […] Il rentra dans la vie privée, écrivant jusqu’à la fin pour ses enfants des livres de grammaire, de logique, de morale, qui témoignent de la lucidité de son esprit comme de la sérénité et de la bénignité de son âme.

1015. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Révolution française »

Or, déshonorer la Révolution, c’est faire cela et mieux encore, c’est la tuer — non pas seulement comme une ennemie, mais comme une idée, — au seuil même de toute âme qui lui eût donné un asile si elle n’eût été que haïe, frappée et proscrite. […] Ces monographies, ces analyses des hommes, ces fouillements d’âmes, ne sont pas de la curiosité anecdotique et pointilleuse ou de la psychologie raccourcie et tatillonne. […] Tout pour lui sort de l’âme humaine. Si on ne voit pas toujours, de cette âme, le travail et les influences, il ne s’agit que de les trouver. […] Avocat de métier, avocat de conviction, avocat d’âme, mettant sa main corrompue dans l’or et le sang, de quelque trésor ou de quelque veine qu’ils coulassent, cet ambitieux manqué qui croulait par la ceinture, comme tous les ambitieux esclaves des plaisirs matériels, n’a jamais eu au cœur ou à la tête le bronze qu’on lui croit.

1016. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pommier. L’Enfer, — Colifichets. Jeux de rimes. »

Nous ne lui reprocherons pas, nous, la violence de sa manière de peindre, qui n’est que de la netteté flamboyante dans ce sujet d’un enfer réel, où l’ignominie des Sept Péchés Capitaux force le poète à matérialiser sa pensée, comme l’âme a matérialisé son péché, comme Dieu a matérialisé le châtiment. […] Il n’est pas permis de décapiter les assises du genre humain de leur juge naturel qui doit appliquer aux âmes des hommes leur propre jurisprudence d’ici-bas. […] Amédée Pommier, par cette mystérieuse intussusception qui fait les poètes, a dans l’âme un peu de ce sentiment formidable qu’on peut appeler la revanche de Dieu, et cela est bien plus puissant qu’une manière quelconque. […] Il faut donc revenir à l’impression faite par cette poésie sur l’âme individuelle du critique, mais, je dois le dire, je veux être d’autant plus juste que je suis charmé et que le critique est comme le juge. […] L’auteur des Colifichets est poète sous les deux espèces, et on le sent en maint endroit de ces poésies physiques où ce Rubens du rythme violenté n’a pas emporté et étouffé dans ses étreintes l’âme du Rêveur divin que je préfère à tous les Rubens !

1017. (1853) Histoire de la littérature française sous la Restauration. Tome I

De là sans doute cette profonde affection pour la patrie de ses aïeux, une des influences dominantes dans cette âme à la fois honnête, fière et tendre. […] Cette haute vérité est l’âme même de sa doctrine. […] Royer-Collard faisait faire un grand pas aux intelligences, et qu’il rendait un service signalé à la société française en relevant le niveau des âmes. […] Et ils disaient vrai, elle était morte dans leurs âmes, morte en eux et autour d’eux. […] Il pense avec des sentiments, il raisonne avec des images, et ses idées s’échappent de son âme comme des mélodies.

1018. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIe entretien » pp. 5-85

Et combien d’autres que je ne nomme pas, mais en qui j’ai senti la divinité de l’Italie parler à mon âme ! […] L’âme d’un Washington européen pourra seule accomplir ce miracle. […] C’est à l’intensité des sensations que la vie de l’âme se mesure, ce n’est pas à la longueur des années. […] Ce n’est pas de l’air qu’on y respire, c’est de l’âme ! […] Il suffit qu’un sentiment souffle dans les âmes pour que tout y résonne !

1019. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid. »

Il s’est donc attaché à notre grand tragique, et il s’est complu à démontrer en lui une âme et une intelligence essentiellement historique, pleine de prévisions et de divinations : non qu’il ait jamais supposé que le vieux poète, en s’attaquant successivement aux divers points de l’histoire romaine pendant une si longue série de siècles, depuis Horace et la fondation de la République jusqu’à l’Empire d’Orient et aux invasions d’Attila, ait eu l’idée préconçue d’écrire un cours régulier d’histoire ; mais le critique était dans son droit et dans le vrai en faisant remarquer toutefois le singulier enchaînement qu’offre en ce sens l’œuvre dramatique de Corneille, et en relevant dans chacune de ses pièces historiques, même dans celles qu’on relit le moins et qu’on est dans l’habitude de dédaigner le plus, des passages étonnants, des pensées et des tirades dignes d’un esprit politique, véritablement romain. […] Mais tout nous prouve que c’est bien pour son propre compte que Corneille a senti et grondé ces beaux vers ; la griffe et l’âme du lion y sortent de toutes parts. […] Le grand poète y est senti et loué de l’âme et du ton qu’il faut, comme il doit l’être, et surtout par où il doit l’être. […] Corneille, en effet, n’a qu’une âme romaine ou espagnole, tandis que leur Shakspeare à eux, comme ils l’ont dit, a en soi mille âmes. […] Il n’est pas nécessaire d’être poète pour la juger ; il suffit de connaître les hommes et les choses, d’avoir de l’élévation et d’être homme d’État. » Et s’animant par degrés : « La tragédie, disait-il, échauffe l’âme, élève le cœur, peut et doit créer des héros.

1020. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Jean-Bon Saint-André, sa vie et ses écrits. par M. Michel Nicolas. »

Une telle lettre, si on l’avait conservée, donnerait la clef de cette âme ardente et droite à son point de départ. […] Pour se rendre compte des sentiments qui bouillonnaient alors dans son âme et dans bien des âmes autour de lui, il faut se reporter à sa situation particulière, à celle de ses compatriotes et coreligionnaires du Midi. […] Mais il y avait en effet des siècles de persécution amassés dans ces âmes-là. […] On en sait assez du moins pour voir qu’il entrait nécessairement bien du salpêtre et de la colère dans la composition de ces âmes. […] Il nous faut des maîtres plus sensibles qu’instruits, plus raisonnables que savants, qui dans un lieu vaste et commode, hors des villes, hors de l’infection de l’air qu’on y respire et de la dépravation des mœurs qui s’introduit par tous les pores, soient les égaux, les amis, les compagnons de leurs élèves ; que toute la peine, que tout le travail de l’instruction soit pour le maître, et que les enfants ne se doutent même pas qu’ils sont à l’école ; que dans des conversations familières, en présence de la nature et sous cette voûte sacrée dont le brillant éclat excite l’étonnement et l’admiration, leur âme s’ouvre aux sentiments les plus purs ; qu’ils ne fassent pas un seul pas qui ne soit une leçon ; que le jour, la nuit, aux heures qui seront jugées les plus convenables, des courses plus ou moins longues dans les bois, sur les montagnes, sur les bords des rivières, des ruisseaux ou de la mer, leur fournissent l’occasion et les moyens de recevoir des instructions aussi variées que la nature elle-même, et qu’on s’attache moins à classer les idées dans leur tête qu’à les y faire arriver sans mélange d’erreur ou de confusion. » Vous voyez d’ici le tableau idéal et enchanteur de toutes ces écoles primaires et rurales de la République française, où chaque enfant serait traité comme Montaigne, Rabelais ou Jean-Jacques ont rêvé de former et de cultiver leur unique élève.

1021. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Méditations sur l’essence de la religion chrétienne, par M. Guizot. »

Il les combat, il les réfute ; il évoque contre eux, de même qu’il le faisait contre les précédents adversaires, et sous une forme à peine différente, le péril de la ruine sociale, le spectre du néant, de l’athéisme, son incompatibilité profonde avec l’esprit humain, avec la société humaine, l’abîme de l’irresponsabilité morale où tomberaient les âmes… ; en un mot, la fin du monde civilisé, tel qu’il a été conçu jusqu’ici et qu’il a existé depuis la première cité et le premier autel. […] s’écrie-t-il ; se figure-t-on ce que deviendraient l’homme, les hommes, l’âme humaine et les sociétés humaines, si la religion y était effectivement abolie, si la foi religieuse en disparaissait réellement ? […] C’est pourtant là ce qui serait, si toute foi au surnaturel s’éteignait dans les âmes, si les hommes n’avaient plus, dans l’ordre surnaturel, ni confiance ni espérance… « L’histoire naturelle, dit-il encore, est toute la science des époques matérialistes et, pour le dire en passant, c’est là que nous en sommes. […] Corrompue et affaiblie, la société s’écroule dans d’immenses catastrophes ; la herse de fer des révolutions brise les hommes comme les mottes d’un champ ; dans les sillons sanglants germent des générations nouvelles ; l’âme éplorée croit de nouveau, etc… » En présence de semblables pronostics, dans la bouche d’hommes aussi respectés, toute discussion devient difficile ou, pour mieux dire, elle est impossible ; et, pour concilier à mon tour ma sincérité avec les convenances, je ne trouve rien de mieux que de venir montrer, ne serait-ce que comme preuve à l’appui de la thèse de M.  […] Boutmy dans la Presse , du 27 août 1864. incompatibilité profonde avec l’esprit humain, avec la société humaine, l’abîme de l’irresponsabilité morale où tomberaient les âmes… ; en un mot, la fin du monde civilisé, tel qu’il a été jusqu’ici conçu et qu’il a existé depuis la première cité et le premier autel.

1022. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Stéphane Mallarmé » pp. 146-168

Le monde est une-création de l’âme. […] Édouard Dujardin nous le rappelle qui inscrit pour épigraphe en tête de ses Hantises (1886) : « Seule vit notre âme » et qui cite pour référence cette pensée de Gourmont : La seule excuse qu’un homme ait d’écrire, c’est de s’écrire lui-même, de dévoiler aux autres la sorte de monde qui se mire en son miroir individuel. […] Autre chose est de se murmurer des paroles à soi-même dans la solitude, au coin du feu, ou de les proférer en plein air, quand on se sent écouté et qu’on prend charge d’âmes. […] Voici, s’étonnait-il, un homme qui connut la célébrité pour n’avoir pas écrit l’œuvre annoncée pendant dix ans comme devant résumer, sous une forme définitive, l’âme humaine et l’âme universelle. […] René Ghil, Légendes d’âmes et de sangs.

1023. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre V. La littérature et le milieu terrestre et cosmique » pp. 139-154

La mer aussi n’a conquis les âmes que par degrés. […] En même temps que les âmes, lasses de la nature arrangée, asservie par l’homme, revenaient vers la nature libre et indomptée, le dégoût pour les mensonges, les petitesses et les vulgarités de la société civilisée rejetait plus d’un écrivain vers l’humanité rude et fruste des âges ou des pays barbares. Ainsi Mérimée, pour n’en pas citer d’autre, plus enclin à regarder au dedans qu’au dehors, se plaisait à décrire en style assorti des états d’âme violents, des caractères âpres, des éclats de passion sauvages pareils aux paysages que les descriptifs et les peintres d’alors jetaient sur le papier ou sur la toile. […] Le romantisme avait excité dans une quantité d’âmes une fièvre intense de voir du nouveau, de changer de vie en changeant de lieu, de se mettre en quête par le monde de sensations artistiques et imprévues. […] Combien de colonies sont nées d’un roman, d’un poème, d’un récit qui avait fait une profonde impression sur des âmes jeunes et naïves !

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