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2373. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. John Stuart Mill — Chapitre II : La Psychologie. »

aux aveugles-nés le temps tient lieu d’espace. Voisinage et éloignement ne signifient dans leur bouche rien de plus que temps court ou temps long, que le plus ou moins grand nombre des sentiments intermédiaires, entre le premier et le dernier des sentiments éprouvés. » En somme, l’idée d’espace est au fond une idée de temps, et la notion d’étendue ou de distance est celle d’un mouvement des muscles, continué pendant une durée plus ou moins longue. […] Or, si on examine cette doctrine de Hamilton, on verra que poussée à ses dernières conséquences, elle aboutirait à donner à tous les phénomènes un substratum éternel dont les causes et les effets ne seraient que des manifestations dans le temps : c’est-à-dire qu’elle est complètement opposée d’esprit et de tendances à l’empirisme, tandis que M.  […] Elles se sont formées par accumulation lente, comme nos intuitions d’espace et de temps.

2374. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Discours préliminaire, au lecteur citoyen. » pp. 55-106

U n Prophete qui auroit fait cette prédiction : « Un temps viendra où l’on muselera les hommes, où on les chargera de coups de bâton, où on les réduira en servitude, après les avoir abrutis ; &, dans ce temps, les hommes ainsi muselés, ainsi assommés, ainsi enchaînés, diront grand’merci à ceux qui les auront traités de cette maniere, & les regarderont comme les bienfaiteurs de l’humanité ». […] Mais pour peu qu’à ces maximes, déjà si condamnables, je joignisse une dose de fiel & d’emportement ; pour peu que, me tournant vers les Gardes & le reste de l’Assemblée, je leur adressasse ces graves paroles : Ce qu’il faut punir, ce sont les Princes mêmes, ces barbares sédentaires qui, du fond de leur cabinet, ordonnent, dans le temps de leur digestion, le massacre d’un million d’hommes, & qui, ensuite, en sont remercier Dieu solennellement Micro-mégas, tom.  […] On sait que la plupart des Pamphlets qui ont paru contre la Magistrature, dans le temps de la disgrace des Parlemens, ont été composés par des Ecrivains Philosophes, & que les cinq ou six premiers étoient de la façon de leur auguste Coryphée. […] Helvetius naquit à Paris, qu’il y fut élevé, qu’il y fit, tout le temps de sa vie, son séjour ordinaire, & l’Auteur de l’Ouvrage posthume déclare n’y avoir séjourné qu’un certain nombre d’années. […] Je tâche de les lire, comme les ont lues de tout temps les Sages & les Littérateurs éclairés : les Sages, pour n’y admettre que des mœurs, des sentimens, des caracteres, des maximes propres à donner à l’ame de l’énergie & des vertus ; comme les Littérateurs éclairés, pour condamner & rejeter les vains efforts de l’Art, les bizarreries de l’imagination, le clinquant de la fausse parure, la manie des sentences & des déclamations.

2375. (1767) Sur l’harmonie des langues, et en particulier sur celle qu’on croit sentir dans les langues mortes

L’admiration pour l’harmonie des langues mortes et savantes, se remarque surtout dans ceux qui ayant mis beaucoup de temps à les étudier, se flattent de les bien savoir, et les savent en effet aussi bien qu’on peut savoir une langue morte, c’est-à-dire très mal. […] On s’est donné bien de la peine pour étudier une langue difficile, on ne veut pas avoir perdu son temps, on veut même paraître aux yeux des autres récompensé avec usure des peines qu’on a prises, et on leur dit avec un froid transport, ah ! […] C’est en effet de cette seule manière, avec beaucoup de temps, d’étude et d’exercice, qu’on peut devenir un bon écrivain dans sa propre langue ; on sait même combien il est rare encore d’y réussir ; et on veut se flatter de bien écrire dans une langue morte, pour laquelle on n’a pas la millième partie de ces secours ? […] Despréaux, quoique lié avec beaucoup de poètes latins de son temps, sentait bien le ridicule de vouloir écrire dans une langue morte. […] Le temps qu’on donne à l’étude des mots est autant de perdu pour l’étude des choses ; et nous avons tant de choses utiles à apprendre, tant de vérités à chercher, et si peu de temps à perdre.

2376. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Joinville. — I. » pp. 495-512

La première raconte les propos familiers et retrace les habitudes domestiques du bon roi, « comment il se gouverna tout son temps (toute sa vie) selon Dieu et selon l’Église, et au profit de son royaume ». […] Comme tous les jolis récits et les anecdotes de Joinville, qui remplissent la première moitié de son Histoire, ne se rapportent qu’à un temps postérieur à la croisade et aux années qui suivirent le retour, je remettrai d’en parler jusque-là, et je le prendrai au moment où lui-même commença de connaître saint Louis, et de s’attacher à ce prince, c’est-à-dire au début de la croisade. […] C’était dans la moralité du temps. […] Et en bref temps le vent donna dans la voile et nous ôta la vue de la terre, si bien que nous ne vîmes plus que le ciel et l’eau ; et chaque jour nous éloignait le vent des pays où nous étions nés. […] Chaque point du temps répondait à une scène connue prise dans l’Évangile, à une figure secourable, penchée du ciel.

2377. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « II » pp. 21-38

Cette dernière expérience paraît avoir été pour lui décisive, et après quelques saisons de convalescence morale en Alsace, dans les Vosges, entre deux montagnes, il comprit qu’il était temps de prendre ses quartiers de vieillesse et d’indépendance. […] Que deviendrait-on si on perd son temps à dire : Nous avons perdu Pondichéry, les billets royaux perdent soixante pour cent, etc. ? […] Jeunes, les gens de lettres sont éloignés du monde, dont le commerce modéré, recherché sans avilissement d’un côté, accordé sans orgueil de l’autre, servirait infiniment à les former : dans un âge plus avancé ils y sont portés, fêtés, absorbés, de manière qu’il ne leur reste plus de temps pour l’étude ou le travail. […] Cette santé même dont il se plaignait toujours, cette complexion voltairienne, de tout temps « assez, robuste pour résister au travail d’esprit le plus actif, et assez délicate pour soutenir difficilement tout autre excès », lui était un fonds précieux dont il usait à merveille, et qu’il gouvernait sous air de libéralité avec une prudente économie. […] Si j’avais quelques bouteilles de l’ancien temps, je voudrais les boire avec vous. » Enfin il était nettement d’avis qu’on n’avait jamais autant écrit qu’alors et que jamais on n’avait écrit plus mal.

2378. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Montaigne en voyage »

Lapaume et a très ingénieusement montré que l’auteur très probable des Épitaphes est Jean de Saint-Martin, avocat en parlement, auteur de plusieurs autres épitaphes du même temps et du même style. […] Dans cette succession rapide de vues et de mœurs si diverses et si contraires, un préjugé réfute et chasse l’autre, et ne lui laisse pas le temps de faire le fier ; et le philosophe libre, sans aucun effort de lutte ni de contradiction, y trouve son compte, en même temps que le curieux son plaisir. […] La police de Rome était de tout temps mauvaise. […] On ne perd jamais son temps à l’accoster. […] Michel de Montaigne, sa Vie, ses Œuvres et son Temps par M. 

2379. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Mémoires de madame Roland »

Dans les temps de troubles et de factions, ces écrits intéressés doivent être très suspects. […] Sa plus grande ambition littéraire (et ce n’en est pas une petite en effet) eût été de s’exprimer à l’imitation de Tacite ; elle revient à cette idée à plus d’une reprise dans sa prison, et avec des alternatives de regret ou d’espérance : « Si j’échappe à la ruine universelle », écrit-elle à un ami, « j’aimerai à m’occuper de l’histoire du temps ; ramassez de votre côté les matériaux que vous pourrez. J’ai pris pour Tacite une sorte de passion ; je le lis pour la quatrième fois de ma vie avec un goût tout nouveau, je le saurai par cœur ; je ne puis me coucher sans en avoir savouré quelques pages. » Et elle redit la même chose dans ses Mémoires : « Il me semble que nous voyons de même (Tacite et moi), et avec le temps, sur un sujet également riche, il n’aurait pas été impossible que je m’exprimasse à son imitation. » Mais pourquoi imiter Tacite ? […] De tout temps ils sont chose ondoyante et diverse : dans le cours d’une révolution, ils sont encore plus sujets à changement et à métamorphose. […] Venons-en à ce qui semblera un peu moins naturel, à ses lettres d’amour, à cette passion des derniers temps à laquelle l’enhardit la Révolution et dont elle a dit avec justesse : « J’ai connu ces sentiments généreux et terribles qui ne s’enflamment : jamais davantage que dans les bouleversements politiques et la confusion de tous les rapports sociaux. » Elle avait de bonne heure trop réfléchi à l’amour pour le ressentir dans toute sa naïveté.

2380. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SOUZA » pp. 42-61

Dans les moments de marche ou d’installation incohérente et confuse, comme le sont les temps présents, il est simple qu’on aille au plus important, qu’on s’occupe du gros de la manœuvre, et que de toutes parts, même en littérature, ce soit l’habitude de frapper fort, de viser haut et de s’écrier par des trompettes ou des porte-voix. […] Eugène est le modèle auquel aurait dû aspirer tout homme bien né de ce temps-là, c’est un Grandisson sans fadeur et sans ennui ; il n’a pas encore atteint ce portrait un peu solennel que la maréchale lui a d’avance assigné pour le terme de ses vingt-cinq ans, ce portrait dans le goût de ceux que trace Mademoiselle de Montpensier. […] On était moins difficile du temps de la Princesse de Clèves, on l’était moins du temps même où parut Mademoiselle de Clermont : on ne saurait s’en plaindre ; si cette charmante nouvelle n’était pas faite heureusement, pourrait-elle se tenter aujourd’hui qu’on a lu dans le méchant grimoire de la Princesse Palatine : « Madame la Duchesse avait les trois plus belles filles du monde. […] L’auteur d’Eugène de Rothelin goûte peu, on le conçoit, les temps d’agitation et de disputes violentes.

2381. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 193-236

Puis, se tournant vers moi à demi morte : — Je vous laisse ensemble, me dit-il ; mes deux enfants, demain, avant la nuit, vous serez unis pour un jour et séparés le jour suivant pour un peu de temps ! […] — Non, disait-il ; il nous reste assez de temps pour fuir avec toi. […] C’était Hyeronimo qui, entendant les cloches du supplice, et en ne me voyant pas arriver sur ses pas sous l’arche du pont, s’était défié enfin de quelque chose, était rentré dans Lucques, avait volé à la porte de la prison, et, apprenant là par le piccinino que les sbires me menaient mourir à sa place, avait volé comme le vent sur mes traces, et venait réclamer à grands cris son droit de mort, s’il était encore temps. […] Pendant ce temps, le père Hilario avait réussi à prouver au docteur Bernabo la scélératesse de Calamayo pour favoriser le libertinage du capitaine des sbires, et la fausseté des pièces qu’il avait inventées pour nous dépouiller de nos pauvres biens pièce à pièce. […] On ne leur refuse pas chez nous, monsieur, en Italie, l’innocent plaisir d’écouter les airs de leurs montagnes, et de causer, tout le temps qu’ils ne travaillent pas, librement avec leurs parents, leur femme, leur fiancée, s’ils en ont, à travers les barreaux de fer de leurs cages qui prennent jour sur leurs cours, ni même de s’entrelacer leurs doigts dans les doigts de celles qu’ils aimaient pendant qu’ils étaient libres.

2382. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Campagnes d’Égypte et de Syrie, mémoires dictés par Napoléon. (2 vol. in-8º avec Atlas. — 1847.) » pp. 179-198

Les Mémoires de Frédéric et ceux du cardinal de Richelieu prêteraient aussi à un rapprochement ; mais, quoique ces grands hommes, dans les moments essentiels, se dégagent très bien des défauts de manière dont ils ne sont pas exempts, ils restent atteints dans leur ensemble et sont repris parfois, en écrivant, d’une sorte de manie de bel esprit que leur donnaient l’éducation littéraire de leur temps et leur prétention particulière11. […] Chez lui, le style proprement dit n’a pas le temps de se détacher. […] Il renonça donc sans hésiter à l’Égypte, et n’eut que le temps, à la veille de son brusque départ, de dicter pour Kléber trois mémoires, où il exposait ses vues sur la politique intérieure à suivre et sur les dispositions militaires à prendre. […] Pendant ce peu de temps, il avait pris Malte, conquis la basse et la haute Égypte ; détruit deux armées turques, pris leur général, leur équipage, leur artillerie de campagne ; ravagé la Palestine, la Galilée, et jeté les fondements, désormais solides, de la plus magnifique colonie. […] Pourtant, malgré l’amertume du sort, Napoléon ne dut pas, en somme, regretter de vivre, de supporter les années dévorantes de l’exil, ne fût-ce que pour avoir le temps de consigner dans la mémoire les actes du passé.

2383. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Confessions de J.-J. Rousseau. (Bibliothèque Charpentier.) » pp. 78-97

Rousseau, quelque temps, a été laquais ; on s’en aperçoit à plus d’un endroit de son style. […] Il était temps, et c’est en cela que Rousseau n’est pas un corrupteur de la langue, mais, somme toute, un régénérateur. […] Et il raconte cette scène vive et muette que personne n’a oubliée, cette scène par gestes, arrêtée à temps, toute pleine de rougeur et de jeunes désirs. […] Quand il revoit Mme de Warens, à son retour de Turin, il est logé quelque temps chez elle, et de la chambre qu’on lui donne il voit des jardins et découvre la campagne : « C’était depuis Bossey (lieu où il avait été mis en pension dans son enfance), c’était la première fois, dit-il, que j’avais du vert devant mes fenêtres. » Il avait été bien indifférent jusque-là à la littérature française d’avoir ou de n’avoir pas du vert sous les yeux ; c’était à Rousseau qu’il appartenait de l’en faire apercevoir. […] S’étant allé promener seul hors de la ville un jour de grande fête, pendant qu’on était à vêpres : Le son des cloches, dit-il, qui m’a toujours singulièrement affecté, le chant des oiseaux, la beauté du jour, la douceur du paysage, les maisons éparses et champêtres dans lesquelles je plaçais en idée notre commune demeure, tout cela me frappait tellement d’une impression vive, tendre, triste et touchante, que je me vis comme en extase transporté dans cet heureux temps et dans cet heureux séjour où mon cœur, possédant toute la félicité qui pouvait lui plaire, la goûtait dans des ravissements inexprimables, sans songer même à la volupté des sens.

2384. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Vauvenargues. (Collection Lefèvre.) » pp. 123-143

Les observateurs comme La Rochefoucauld, ayant surpris l’homme dans un temps d’intrigue et dans une société corrompue, avaient insisté dans le même sens ; avec cette différence qu’ils ne lui offraient point de remède, de sorte que, sous ce regard également inexorable des moralistes tant chrétiens que philosophes, sous ce double concert déprimant, toutes les vertus naturelles périssaient. […] Il arrête Pascal au début, dès les premiers mots, et c’est là qu’il faut effectivement l’arrêter, si l’on ne veut pas lui laisser le temps de faire en quelque sorte son nœud, dans lequel il vous tient ensuite et il vous serre. Vauvenargues, sous une forme plus modeste, porte dans la morale quelque chose du génie vaste et conciliateur qu’on admire chez Leibniz, et que lui il n’a pas eu le temps de développer et d’étendre dans tout son jour. […] On ne voit pas qu’il ait été occupé des femmes dans les années où il écrit, et le peu qu’il en dit nous montre un homme revenu : « Les femmes ne peuvent comprendre, dit-il, qu’il y ait des hommes désintéressés à leur égard. » Il semble que, brisé avant l’âge par les maladies, il se soit retranché sur ce point jusqu’aux regrets stériles : « Ceux qui ne sont plus en état de plaire aux femmes et qui le savent, s’en corrigent. » Sans être insensible aux lumières de son temps et sans y fermer les yeux, il était loin de s’en exagérer l’importance, et il se préoccupait du perfectionnement moral intérieur, bien plus que de cette perfectibilité générale à laquelle il est si commode de croire et de s’abandonner. […] Vauvenargues, en opposition ouverte avec les illusions de son temps, disait encore ; « Jusqu’à ce qu’on rencontre le secret de rendre les esprits plus justes, tous les pas qu’on pourra faire dans la vérité n’empêcheront pas les hommes de raisonner faux » ; et c’est ainsi, selon lui, que « les grands hommes, en apprenant aux faibles à réfléchir, les ont mis sur la route de l’erreur ».

2385. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La princesse des Ursins. Lettres de Mme de Maintenon et de la princesse des Ursins — II. (Suite et fin.) » pp. 421-440

Dans toutes ses lettres de ce temps-là, Mme des Ursins s’égaye et plaisante sur mille objets. […] Quoi qu’il en soit, il était bien permis, en ces temps de malheur, d’être d’avis différent sur le remède et sur les moyens de sortir des maux accablants. […] Elle mérita que Bolingbroke, qui connaissait son faible et ce qu’on pouvait tirer d’elle en lui donnant de l’Altesse, pût dire pendant les négociations de ce temps : « Il y a pour nous un avantage réel à flatter l’orgueil de cette vieille femme, puisque nous n’avons pas les moyens de flatter son avarice. » Cette affaire de souveraineté acheva de rompre l’accord entre elle et Mme de Maintenon. […] Malgré d’heureuses et rares exceptions, il est bien clair que le beau siècle se gâte ; les jeunes femmes de ce temps-là sont étranges de mœurs et de manières ; elles vont être les femmes de la Régence. […] Sur quoi Mme de Maintenon, avec sa rigidité la plus piquante et sa rectitude la plus ornée, répond (et il est bien entendu que ce qui suit ne saurait s’appliquer ni à Mme de Caylus ni à Mme de Noailles) : Vous me tyrannisez sur les étrangers et sur mes parents ; je vous avoue, madame, que les femmes de ce temps-ci me sont insupportables : leur habillement insensé et immodeste, leur tabac, leur vin, leur gourmandise, leur grossièreté, leur paresse, tout cela est si opposé à mon goût et, ce me semble, à la raison, que je ne puis le souffrir.

2386. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre III. L’art et la science »

Et attendez un peu de temps, laissez se réaliser cette imminence du salut social, l’enseignement gratuit et obligatoire, que faut-il ? […] L’entomologie a eu de l’avancement depuis le temps où l’on affirmait que le scarabée était un peu dieu et cousin du soleil, premièrement, à cause des trente doigts de ses pattes qui correspondent aux trente jours du mois solaire, deuxièmement, parce que le scarabée est sans femelle, comme le soleil ; et où saint Clément d’Alexandrie, enchérissant sur Plutarque, faisait remarquer que le scarabée, comme le soleil, passe six mois sur terre et six mois sous terre. […] La locomotion, pour aller du char antique de Laïus au railway, en passant par la patache, le coche, la turgotine, la diligence et la malle-poste, a fait du chemin ; le temps n’est plus du fameux voyage de Dijon à Paris durant un mois, et nous ne pourrions plus comprendre aujourd’hui l’ébahissement de Henri IV demandant à Joseph Scaliger : Est-il vrai, monsieur l’Escale, que vous avez été de Paris à Dijon sans aller à la selle ? […] Aux environs de ce temps-là, Sophocle écrivait l’Œdipe roi. […] On perd son temps quand on dit : nescio quid majus nascitur Iliade.

2387. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Macaulay »

VI Je ne connais personne, en effet, quand j’y regarde avec attention, qui soit plus fort que Lord Macaulay en critique littéraire, dans un temps que les critiques, assez intéressés à la chose, vantent plus pour sa critique que pour ses inventions. Si peu que je sois de cet avis, quand je pense à des inventeurs comme Walter Scott, Lord Byron, Chateaubriand et Balzac, qui furent tous, je crois, du xixe  siècle, je n’en confesserai pas moins que la Critique a pris dans notre temps des proportions qu’on ne lui connaissait pas il y a un siècle, et que Macaulay, par exemple, puisqu’il s’agit de lui, n’a pas peu servi à l’arracher à l’affreux pédantisme dans lequel elle rampait, le long des œuvres du génie. Demandez-vous ce qu’était la Critique du temps de Johnson, en Angleterre ? Demandez-vous ce qu’elle était, en France, du temps de Boileau et même de Voltaire, critique dans son Commentaire sur Corneille ? […] … Qui se doutait, du temps de ces animaux qui ont bien dû s’appeler Bossut ou Le Batteux, que la Critique pût, comme la Poésie, avoir des ailes ?

2388. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Mémoires et journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guettée. — I » pp. 248-262

Il y avait l’œil, comme il dit, il y mettait de la suite, et arrivait avec un peu de temps à tout bien savoir et à bonne fin. […] Le sermon de La Vocation, fait en vue de confirmer la conversion de M. de Turenne (1668), était mentionné par les carmélites, chez qui il fut prêché, comme un sermon d’une « exquise beauté », et des explications des épîtres faites à leur parloir vers le même temps sont données par elles comme ayant été d’une « beauté enchantée ». […] Écoutons l’abbé Le Dieu, ou plutôt Bossuet lui-même, dont Le Dieu n’est sensiblement ici que l’interprète et le secrétaire : La considération actuelle des personnes, du lieu et du temps, le déterminait sur le choix du sujet. […] Bossuet, en un mot, reste de tout temps l’homme de la parole de Dieu ; il l’aime, il n’aime qu’elle essentiellement.

2389. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre III. De la vanité. »

Absorbées par cet intérêt, elles abjurent, plus que les guerrières du temps de la chevalerie, le caractère distinctif de leur sexe ; car il vaut mieux partager dans les combats les dangers de ce qu’on aime, que se traîner dans les luttes de l’amour propre, exiger du sentiment, des hommages pour la vanité, et puiser ainsi dans la source éternelle pour satisfaire le mouvement le plus éphémère, et le désir dont le but est le plus restreint : l’agitation que fait éprouver aux femmes une prétention plus naturelle, puisqu’elle tient de plus près à l’espoir d’être aimée ; l’agitation que fait éprouver aux femmes le besoin de plaire par les agréments de leur figure, offre aussi le tableau le plus frappant des tourments de la vanité. […] Ce n’est pas d’abord à satisfaire des sentiments de haine et de fureur que des décrets barbares ont été consacrés, c’est aux battements de mains des tribunes ; ce bruit enivrait les orateurs et les jetait dans l’état où les liqueurs fortes plongent les sauvages ; et les spectateurs eux-mêmes qui applaudissaient, voulaient par ces signes d’approbation, faire effet sur leurs voisins, et jouissaient d’exercer de l’influence sur leurs représentants : sans doute, l’ascendant de la peur a succédé à l’émulation de la vanité, mais la vanité avait créé cette puissance qui a anéanti, pendant un temps, tous les mouvements spontanés des hommes. […] Comme elle fait haïr l’ascendant d’un homme, elle soutient les lois constitutionnelles, qui, au bout d’un temps très court, ramènent les hommes les plus puissants dans une condition privée ; elle appuie en général ce que veulent les lois, parce que c’est une autorité abstraite, dont tout le monde a sa part, et dont personne ne peut tirer de gloire. La vanité est l’ennemie de l’ambition ; elle aime à renverser ce qu’elle ne peut obtenir ; la vanité fait naître une sorte de prétentions disséminées dans toutes les classes, dans tous les individus, qui arrête la puissance de la gloire, comme les brins de paille repoussent la mer des côtes de la Hollande : enfin, la vanité de tous sème de tels obstacles, de telles peines dans la carrière publique de chacun, qu’au bout d’un certain temps le grand inconvénient des républiques, le besoin qu’elles donnent de jouer un rôle n’existera, peut-être, plus en France : la haine, l’envie, les soupçons, tout ce qu’enfante la vanité, dégoûtera pour jamais l’ambition des places et des affaires ; on ne s’en approchera plus que par amour pour la patrie, par dévouement à l’humanité, et ces sentiments généreux et philosophiques rendent les hommes impassibles, comme les lois qu’ils sont chargé d’exécuter.

2390. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre I. Origine des privilèges. »

Dans la langue du temps, le noble est l’homme de guerre, le soldat (miles), et c’est lui qui pose la seconde assise de la société moderne. […] En ce temps de guerre permanente, un seul régime est bon, celui d’une compagnie devant l’ennemi, et tel est le régime féodal ; par ce seul trait, jugez des périls auxquels il pare et du service auquel il astreint. « En ce temps-là, dit la chronique générale d’Espagne, les rois, comtes, nobles et tous les chevaliers, afin d’être prêts à toute heure, tenaient leurs chevaux dans la salle où ils couchaient avec leurs femmes. » Le vicomte dans la tour qui défend l’entrée de la vallée ou le passage du gué, le marquis jeté en enfant perdu sur la frontière brûlée, sommeille la main sur son arme, comme le lieutenant américain dans un blockhaus du Far-West, au milieu des Sioux. […] Quand on se représente un peu nettement la condition des hommes en ce temps-là, on comprend qu’ils aient accepté de bon cœur les pires droits féodaux, même celui de marquette ; ce qu’on subissait tous les jours était pire encore11.

2391. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre III. Poésie érudite et artistique (depuis 1550) — Chapitre I. Les théories de la Pléiade »

Il ne remplissait pas même celle des hommes de son temps. […] Au xvie  siècle, Lyon avait de plus des imprimeries florissantes : des souffles y parvenaient qui mettaient bien du temps à atteindre Paris, et la pensée s’y exprimait plus librement, loin des théologiens sorboniques et des inquisiteurs toulousains. […] La poésie devient comme un magasin de bric-à-brac gréco-romain, où sont entassés pêle-mêle toute sorte d’oripeaux et d’accessoires : et il est étrange que Ronsard, qui avait le bon goût d’aimer « la naïve facilité d’Homère », n’ait pas vu que le meilleur moyen de ne pas ressembler à Homère était précisément, pour un homme du xvie  siècle… de s’habiller, de parler, de marcher comme le lointain aède des temps héroïques. […] Devenu sourd, il étudie avec Baïf, et s’enferme quelque temps au collège de Coqueret, dont Daurat était devenu le principal.

2392. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre II. La critique »

L’admirable Port-Royal, où revit toute une partie de la société française du xviie  siècle, où se dessine une des grandes forces qui aient agi sur la littérature de ce temps, ce Port-Royal est surtout un chef-d’œuvre de restitution psychologique. […] Le fond de l’homme, c’est, pour Taine, aujourd’hui comme aux temps préhistoriques, « le gorille féroce et lubrique » : des éléments multiples se sont superposés à celui-là, mais ne s’y sont pas mêlés, ne l’ont pas altéré. […] Il avait dès 1829 commencé à faire des Portraits littéraires : en 1850, il entreprit dans le Constitutionnel la série des Causeries du lundi: il passa ensuite au Moniteur et au Temps […] Taine (1828-1893), né à Vouziers, entre à l’École Normale en 1848, professe peu de temps, étant très suspect pour ses opinions philosophiques.

2393. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Joséphin Soulary »

Mais, en somme, on n’y perd pas son temps. Outre qu’on a le plaisir, çà et là, de faire d’agréables découvertes et qui reposent, on voit se dégager peu à peu la physionomie d’un poète intéressant qui n’est pas du tout de Paris et qui n’est presque pas d’aujourd’hui, mais qui semble être venu d’Italie et dater de la Renaissance ; qui n’a subi que très peu l’influence des poètes contemporains et qui, par bien des points et par ses qualités aussi bien que par ses défauts, est comme en dehors et à part du mouvement poétique de notre temps. […] Soulary n’est ni un romantique, ni un parnassien, ni un névropathe, mais un « précieux » des temps passés. […] Deux pinsons qui vont s’adorer A leurs noces m’ont conviée : Je n’ai pas le temps de pleurer Ou bien le Soleil fait le pitre.

2394. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « « L’amour » selon Michelet » pp. 47-66

Il ne proteste même pas, du moins dans ce volume, contre l’éducation que recevaient encore la plupart des jeunes Françaises de son temps. […] Et il conclut : « Ces quelques planches de Gerbe, cet atlas étonnant, unique, est un temple de l’avenir, qui, plus tard, dans un temps meilleur, remplira tous les cœurs de religion. […] Michelet décrit très bien ces souples accommodations de l’âme féminine aux diverses saisons de l’homme, et comment la femme n’est pas seulement, pour son mari, l’épouse, mais aussi, selon les temps, une fille, une sœur, une mère. […] Il est très bon de dire aux gens d’aujourd’hui, — et de tous les temps, — que la vérité, c’est de se marier jeunes, de n’aimer qu’une femme et de l’aimer toute sa vie.

2395. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gautier, Théophile (1811-1872) »

Il peut rire du Temps et de l’homme brutal, L’insulte de la ronce et l’injure de l’herbe Ne sauraient ébranler son ferme piédestal. […] Ce magicien-roi qui sait tout, à qui toutes les époques et tous les personnages de l’histoire sont familiers, et qui ressuscite les Égyptiennes du temps de Moïse, aussi bien que la lydienne Omphale, a trop souvent caché, derrière son manteau de pourpre, le ferme et délicat rimeur, d’une pureté antique et d’une idéale délicatesse, qui, pareil à un statuaire grec, ne livre pas son Âme, et pudiquement la laisse deviner à peine sous les blancheurs du marbre sacré. […] [Souvenirs intimes (Le Temps, 1890).] […] Elles sont construites selon un plan déterminé dont l’auteur ne s’écarte pas ; la rime, si difficile qu’elle peut se présenter, ne l’entraîne jamais hors de la voie qu’il s’est tracée, car il la force à obéir et elle obéit, venant, à point nommé, compléter sa pensée, selon la forme voulue et le rythme choisi… Dans ses poésies, aussi bien dans celles de la jeunesse que dans celles de l’âge mur, Gautier a une qualité rare, si rare, que je ne la rencontre, à l’état permanent, que chez lui : je veux parler de la correction grammaticale… De tous ceux qui sont entrés dans la famille dont Goethe, Schiller, Chateaubriand, Byron ont été les ancêtres, dont Victor Hugo a été le père, ceux-là seuls ont été supérieurs qui ont fait bande à part… J’ai déjà cité Théophile Gautier et Alfred de Musset, qui eurent à peine le temps d’être des disciples qu’ils étaient déjà des maîtres.

2396. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lamartine, Alphonse de (1790-1869) »

[Le Temps (26 février 1878).] […] Mais, si le temps a déjà emporté bien des pages d’une œuvre trop inégale, si d’autres inspirent d’insurmontables défiances et même des colères et des rancunes, il y en a pourtant, et beaucoup, qui ont conservé leur fraîcheur, leur éclat presque entiers. […] Ferdinand Brunetière Depuis quelque temps on découvre non seulement que le politique avait vu plus loin qu’on ne croyait, mais encore que, dans ses erreurs mêmes, il n’y avait rien eu que de noble et de généreux comme lui, de libéral et de prodigue, de magnifique et de fastueux. […] Georges Rodenbach Chaque fois qu’il a pris parole : soit sur la page blanche où tombaient ses poèmes spontanés ; soit à la tribune ; dans les rues, les jours de révolution ; à l’Académie, où son discours de réception souleva d’un élan toutes les questions du temps et de l’éternité, chaque fois, ce fut vraiment « un concert », une voix pins qu’humaine, une vaste musique rebelle aux subtilités, mais qui enveloppait toutes les âmes dans ses grands plis.

2397. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXI. Dernier voyage de Jésus à Jérusalem. »

Pendant un espace de temps qu’on peut évaluer à dix-huit mois, il évita d’aller en pèlerinage à Jérusalem 940. […] Le temps des douceurs est passé ; il faut maintenant parcourir pas à pas la voie douloureuse qui se terminera par les angoisses de la mort. […] Par une singularité fort étrange, c’étaient ces incrédules, niant la résurrection, la loi orale, l’existence des anges, qui étaient les vrais Juifs, ou pour mieux dire, la vieille loi dans sa simplicité ne satisfaisant plus aux besoins religieux du temps, ceux qui s’y tenaient strictement et repoussaient les inventions modernes faisaient aux dévots l’effet d’impies, à peu près comme un protestant évangélique paraît aujourd’hui un mécréant dans les pays orthodoxes. […] « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui bâtissez les tombeaux des prophètes, et ornez les monuments des justes, et qui dites : Si nous eussions vécu du temps de nos pères, nous n’eussions pas trempé avec eux dans le meurtre des prophètes !

2398. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Les Confidences, par M. de Lamartine. (1 vol. in-8º.) » pp. 20-34

Je sais les difficultés d’en parler convenablement : le temps des illusions et des complaisances est passé ; il faut absolument dire des vérités, et cela peut sembler cruel, tant le moment est bien choisi. […] Il y a trois volumes en tout : l’un est le roman de Jacopo Ortis ; l’autre est un volume de Tacite (le poète, dès ce temps-là, ne sortait jamais sans un Tacite, en prévision de ses futures destinées) ; enfin, le troisième volume est Paul et Virginie. […] Est-ce Bernardin de Saint-Pierre qui, pour exprimer la facilité de liaison et de cordialité naturelle aux conditions simples, aurait dit : « Le temps qui est nécessaire à la formation des amitiés intimes dans les hautes classes, ne l’est pas dans les classes inférieures. […] Il se figure lui-même qu’il était, en ces temps éloignés, beaucoup plus libéral et plus voisin du tribun actuel qu’il ne le fut certainement.

2399. (1854) Préface à Antoine Furetière, Le Roman bourgeois pp. 5-22

Machiavel, dont le Traité du Prince peut passer pour un pamphlet contre la corruption des mœurs de son temps, et dont les comédies sont à coup sûr des satires du genre le plus vif, après avoir subi deux fois l’exil et la torture, meurt victime d’une méprise, pour s’être trompé sur la dose du médicament destiné à le soulager. […] L’identité d’inspiration se retrouve jusque dans le choix des personnages de la charmante nouvelle allégorique que Furetière a, suivant le goût du temps, intercalée dans la seconde partie de son roman. […] Furetière, d’ailleurs, ne s’est pas toujours borné, ainsi qu’on a voulu le faire croire, à critiquer les vices et les ridicules particuliers à son temps : le Tarif des partis sortables en mariage, l’Inventaire de Mytophilacte et la Somme dédicatoire, où se trouve formulée l’idée de l’association des gens de lettres telle que nous l’avons aujourd’hui, sont de la satire générale et éternelle. […] Regnier-Desmarets, qui tint la plume pour l’Académie pendant tout le temps de la querelle, prétend, au contraire, que les décisions d’un particulier sur la langue ne peuvent jamais être si sûres ni d’une si grande autorité que celles d’une compagnie instituée pour la perfectionner.

2400. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame Récamier »

Un miracle de beauté, de vertu, de bonté, de pitié, de pureté et de charme, et non pas seulement pour son temps, mais pour tous les temps ! […] Elle courra à ces deux volumes comme elle courait chez Madame Récamier, dans le temps que cette attirante femme vivait, mais elle en reviendra… moins contente ! […] Elle avait entre les partis qui, de son temps, n’avaient pas déposé les armes, l’attitude de la Sabine dans le tableau de son contemporain David.

2401. (1915) La philosophie française « I »

Ils ont fourni trois types de doctrines que nous rencontrons dans les temps modernes. […] La séduction qu’il exerça sur son temps tient à bien des causes. […] Par sa morale, autant que par sa théorie de la nature et de l’homme, il a agi considérablement sur la pensée de son temps 36. […] Il est temps de mettre ce penseur à sa vraie place, — une des premières, — parmi les philosophes du XIXe siècle.

2402. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — Oberman, édition nouvelle, 1833 »

Il y avait deux ou trois apparitions essentielles vers ce temps de 1800. […] Vers ce même temps, et non plus dans l’ordre de l’action, mais dans celui du sentiment, de la méditation et du rêve, il y avait deux génies, alors naissants, et longuement depuis combattus et refoulés, admirateurs à la fois et adversaires de ce développement gigantesque qu’ils avaient sous les yeux ; sentant aussi en eux l’infini, mais par des aspects tout différents du premier, le sentant dans la poésie, dans l’histoire, dans les beautés des arts ou de la nature, dans le culte ressuscité du passé, dans les aspirations sympathiques vers l’avenir ; nobles et vagues puissances, lumineux précurseurs, représentants des idées, des enthousiasmes, des réminiscences illusoires ou des espérances prophétiques qui devaient triompher de l’Empire et régner durant les quinze années qui succédèrent ; il y avait Corinne et René, Mais, vers ce temps, il y eut aussi, sans qu’on le sût, ni durant tout l’Empire, ni durant les quinze années suivantes, il y eut un autre type, non moins profond, non moins admirable et sacré, de la sensation de l’infini en nous, de l’infinienvisagé et senti hors de l’action, hors de l’histoire, hors des religions du passé ou des vues progressives, de l’infini en lui-même face à face avec nous-même.

2403. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Note sur les éléments et la formation de l’idée du moi » pp. 465-474

Je me souviens parfaitement d’avoir dit à un ami que les objets me paraissaient changés d’aspect ; il y avait aussi de l’hyperesthésie de la vue, et je portais depuis quelque temps des lunettes légèrement colorées… Le 25 novembre, aussitôt après avoir eu la sensation de cette bouffée chaude, je fus pris de bourdonnements d’oreille, et j’eus de l’obnubilation intellectuelle. […] « Dans les premiers temps, et aussitôt après mon attaque, dit l’excellent observateur132, il m’a semblé que je n’étais plus de ce monde, que je n’existais plus, que je n’existais pas. […] Il faut distinguer cette première et profonde impression de toutes les autres qui vont suivre. » — En effet, dans ce premier stade, les sensations nouvelles étaient trop nouvelles ; elles n’avaient pas été répétées un assez grand nombre de fois pour faire dans la mémoire un groupe distinct, une série cohérente, un second moi ; telle est la chenille dont nous avons parlé, dans le premier quart d’heure qui suit sa métamorphose en papillon ; son nouveau moi n’est pas encore formé, il est en train de se former ; l’ancien, qui n’éprouve que des sensations inconnues, est conduit à dire : Je ne suis plus, je ne suis pas. — « Plus tard et dans une seconde période, dit notre observateur, lorsque par un long usage j’eus appris à me servir de mes sensations nouvelles, j’avais moins d’effroi d’être seul et dans un pays que je ne connaissais pas ; je pouvais, quoique avec difficulté, me conduire ; j’avais reformé un moi ; je me sentais exister, quoique autre. » Il faut du temps pour que la chenille s’habitue à être papillon ; et, si la chenille garde, comme c’était le cas, tous ses souvenirs de chenille, il y a désormais un conflit perpétuel et horriblement pénible entre les deux groupes de notions ou impressions contradictoires, entre l’ancien moi qui est celui de la chenille, et le nouveau moi qui est celui du papillon. — Dans le second stade, au lieu de dire : Je ne suis plus, le malade dit : Je suis un autre.

2404. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre I. Influence de la Révolution sur la littérature »

L’imitation classique des œuvres grecques ou latines n’a plus de raison d’être : un écrivain perdrait son temps à se donner des mérites que presque personne ne sentirait. […] Le mouvement des idées et des passions politiques, l’imitation prétentieuse et sincère de la fermeté Spartiate, de l’héroïsme romain, ont renforcé le courant artistique qui, dès le temps de Louis XVI, ramenait le goût antique dans la peinture comme dans les lettres. […] Ses Révolutions de France et de Brabant, son Histoire des Brissotins, son Vieux Cordelier, ses lettres offrent un intérêt littéraire qu’on trouve rarement parmi les écritures de ce temps-là.

2405. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les petites revues » pp. 48-62

Il y a souvent plus d’intérêt à les feuilleter qu’à parcourir les grosses publications du temps. […] Et par le voile aux plis trop onduleux, ces Femmes Amoureuses du seul semblant d’épithalames Vont irradier loin d’un soleil tentateur : Pour n’avoir pas songé vers de hauts soirs de glaives Que de leurs flancs pouvait naître le Rédempteur Qui doit sortir des Temps inconnus de nos rêves. […] C’est du tournage de vocables vides, en chambre ; mais enfin la poésie est au-dessus de ces tourneurs et, par les temps utilitaires qui courent, il me semble qu’elle devrait être, à la suite de Baudelaire et de Verlaine, l’un des factices véhicules des esprits détenus, — quelque chose de vague comme une musique qui permette de rêver sur des au-delà, loin de l’américaine prison où Paris nous fait vivre.

2406. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 8, des plagiaires. En quoi ils different de ceux qui mettent leurs études à profit » pp. 78-92

Ils se sont servis des poësies anciennes par rapport au temps où ils composoient, comme les peintres illustres que j’ai citez, se sont servis des statuës antiques. […] On leur représenteroit en vain qu’ils peuvent gagner beaucoup à surprendre le public : que le public auroit bien plus de véneration pour eux, s’il ne les avoit jamais vû des apprentifs : que des chef d’oeuvres inesperez, contre lesquels l’envie n’a point eu le temps de cabaler, font bien un autre progrès que des ouvrages attendus long temps, qui trouvent les rivaux sur leurs gardes, et dont on peut définir l’auteur par un poëme ou par un tableau médiocre.

2407. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 5, explication de plusieurs endroits du sixiéme chapitre de la poëtique d’Aristote. Du chant des vers latins ou du carmen » pp. 84-102

Ainsi celui qui battoit la mesure sur le théatre, étoit astreint à marquer les temps de la declamation, suivant la figure des vers qu’on recitoit, comme il pressoit ou rallentissoit le mouvement de cette mesure, suivant le sens exprimé dans ces mêmes vers, c’est-à-dire, suivant les principes qu’enseignoit l’art rithmique. […] Comment ce chant auroit-il été transmis depuis le tems de Numa jusques au tems de Quintilien, s’il n’eut point été écrit en notes, et d’un autre côté s’il étoit un chant musical, pourquoi Quintilien l’appelle-t’il carmen ?

2408. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 9, de la difference qui étoit entre la déclamation des tragedies et la déclamation des comedies. Des compositeurs de déclamation, reflexions concernant l’art de l’écrire en notes » pp. 136-153

L’art d’écrire en notes les chants de toute espece, étoit déja très-ancien à Rome dès le temps de Ciceron. […] Ainsi ce furent des comédiens qu’on avoit fait venir d’étrurie qu’on vit dans ce tems-là sur notre théatre, où ils représentoient suivant la maniere de leur païs, c’est-à-dire, en faisant assez bien les gestes à la cadence des instrumens à vent, et en récitant des vers qui n’avoient point encore aucune déclamation composée, à laquelle nos comédiens fussent obligez d’assujettir leur action. Mais l’art des représentations théatrales où nos jeunes gens avoient pris un grand goût se perfectionna avant peu : d’abord on récitoit des vers faits sur le champ, mais bien-tôt on apprit, continuë Tite-Live, à faire des pieces suivies, et du temps du poëte Andronicus la récitation de quelques-unes de ces pieces se trouvoit déja être mesurée, et l’on en écrivoit déja la note pour la commodité des joüeurs de flutes.

2409. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XIV »

On n’a pas assez de temps pour se bien expliquer et, même quand on parle trop, il semble toujours que l’on n’a rien dit ! […] Brunetière perd son temps, s’il veut persuader au public que là se borne notre enseignement et que nous avons publié trois volumes pour répéter seulement ce que d’autres ont dit avant nous et ce qu’il dit lui-même après tant d’autres. […] Deux exceptions n’infirmeront jamais une vérité constante, irréfutable, démontrée par la succession de tous les chefs-d’œuvre de tous les temps.

2410. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Troisième partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère des idées politiques. » pp. 350-362

Un grand ressort des temps anciens, qui fut nécessaire à l’organisation primitive de la société, et qui ne peut plus être pour nous qu’une grande erreur, le sentiment exclusif de la nationalité doit disparaître : il ne peut tenir devant les hauts sentiments de l’humanité ; il restera l’amour du sol natal et l’attachement aux institutions de la patrie, seuls sentiments vrais, naturels, indestructibles comme le cœur de l’homme. […] Il a été difficile, dans tous les temps, d’accorder la liberté de l’homme et la prescience de Dieu : cet accord a été difficile surtout pour les peuples chez qui le flambeau des traditions n’a pas été directement transmis. […] Désormais les opinions n’auront plus le temps de se consacrer : celles qui continueront d’exister n’existeront point par une puissance de perpétuité : mais elles seront adoptées de nouveau à chaque instant de la vie sociale.

2411. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Dante »

Sociale, c’est le mot de ce temps où les liens sociaux ressemblent à du bois sec et où nous sommes menacés un jour ou l’autre de n’avoir plus du tout de société ! […] leur propre expression à eux-mêmes avant d’être celle de leur temps, selon l’infatuation de celui-ci. […] Magnier a évité le bord de tous les systèmes contemporains sur le Dante, et quoiqu’il promène, comme il le devait, sur le Moyen Âge, le regard qu’il arrête ensuite sur le poète, lui, du moins, il ne fait pas de ce grand poète, qui se sépare de son temps de toute la hauteur de son génie, une espèce d’incarnation et d’avatar du Moyen Âge.

2412. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Swift »

Avec une vocation manifeste pour l’observation de la nature humaine, profonde et sincère, en dehors de toute mode et de tout costume, il s’est détourné de l’œuvre éternelle pour s’occuper des questions éphémères de son temps. […] Jonathan Swift est né à Dublin, mais ses parents étaient du comté d’York ; il était donc Anglais de race, et on est bien aise de le savoir, quand on croit que la race est encore pour les hommes quelque chose… Mal élevé et malheureux dans les premiers temps de sa vie, Swift, né avec un esprit violent, fut de bonne heure misanthrope dans une société qui blessait son orgueil par toutes ses institutions, et quand le bonheur, la célébrité et l’influence sur les hommes lui vinrent, l’étoffe avait son pli et le vase était imbibé de liqueur amère. […] Pour être poète, dit le terrible et opiniâtre railleur, qui ne se déferre jamais de sa plaisanterie effrayante de vulgarité, il faut d’abord « ne pas croire à Dieu et lire la Bible pour y prendre des métaphores ; — ne rien savoir, puisque les plus beaux génies de ce temps n’ont pas, en connaissances, de quoi couvrir une pièce de six pence au fond d’une cuvette ; — traiter tous les auteurs comme des homards, dont on choisit le meilleur dans la queue et dont on rejette le reste au plat ; — avoir toutes prêtes des comparaisons comme le cordonnier a ses formes ».

2413. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « V. Saint-René Taillandier »

Et pour légitimer cette affirmation qui, vous le voyez, se détruit seulement en s’exprimant, et prouver qu’il est de l’essence de la vérité éternelle d’être moins forte que le temps et de changer avec lui, après avoir posé le principe faux du changement nécessaire, il le complète en l’appuyant sur des affirmations historiques d’une égale fausseté. […] … À quel fond de choses réelles vont ces vieilles rubriques usées comme pantoufles par les sophistes du temps, et qui sont chez M.  […] Tout le temps que M. 

2414. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXIII. P. Enfantin »

Il prouve, ce manifeste ironique ou patelin (et peut-être tous les deux), que le saint-simonisme a gardé la prétention d’être une Église, une Église cachée et qui se croit persécutée sans doute, car le mépris d’un temps, qui a encore à sa disposition les lucidités du ridicule et l’éclat de rire, peut paraître, à certaines gens sensibles, une persécution. […] Enfantin pour cacher et faire accepter à la pudeur publique, qu’elle outrage, une doctrine qui se trouvait plus religieuse d’aller toute nue, quand elle était plus jeune, il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit ici, comme au temps où le saint-simonisme cherchait la femme, de la réhabilitation de la chair. […] Campée audacieusement à la tête d’une théorie comme l’aurait lancée Saint-Simon tout seul, ce gentilhomme impertinent et dépravé, qui se croyait sorti de la cuisse de Charlemagne, dont il descendait peut-être par Eginhart, cette idée dans sa crudité eût probablement révolté jusqu’aux vices d’un temps aussi admirablement couard que le nôtre, sans le travail de haute confusion et d’immense hypocrisie que vient lui faire subir M. 

2415. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Victor de Laprade. Idylles héroïques. »

Il s’est bien un peu, — et surtout dans ces derniers temps, — embesogné d’idéal, mais il est de mesure et de donnée honnête. […] Sur le sommet de sa montagne, M. de Laprade s’est ressouvenu qu’en fin de compte il était un homme de son temps, de ce temps essentiellement endoctrineur et professeur, et il a prêché sa poésie après l’avoir chantée, dans une préface de soixante pages, encore plus Revue des Deux-Mondes que tout le reste.

2416. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Louis Bouilhet. Festons et Astragales. »

Ces derniers temps, mauvais à la poésie, et si mauvais que, pour être poète, il faut la vocation du génie ou le courage du héros, ces derniers temps lui ont été propices, à lui, par une exception aussi rare que douce. […] Nous connaissons assez le temps dans lequel nous avons le bonheur de vivre pour lui jurer… qu’il n’a pas sauvé la littérature, mais qu’il ne l’a pas exposée non plus… et qu’un jour ou l’autre il montera tout comme un autre à son petit Capitole d’Académie.

2417. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre IV. Conclusion. — D’une république éternelle fondée dans la nature par la providence divine, et qui est la meilleure possible dans chacune de ses formes diverses » pp. 376-387

Au bout d’un long temps, ceux qui étaient restés dans les plaines, sentirent les maux attachés à la communauté des biens et des femmes, et vinrent se réfugier dans les asiles ouverts par les pères de famille. […] Lorsque par la suite des temps, l’intelligence des plébéiens se développa, ils revinrent de l’opinion qu’ils s’étaient formée de l’héroïsme et de la noblesse, et comprirent qu’ils étaient hommes aussi bien que les nobles. […] Comme la souveraineté devait avec le temps être étendue à tout le peuple, la Providence permit que les plébéiens rivalisassent longtemps avec les nobles de piété et de religion, dans ces longues luttes qu’ils soutenaient contre eux, avant d’avoir part au droit des auspices, et à tous les droits publics et privés, qui en étaient regardés comme autant de dépendances.

2418. (1889) Derniers essais de critique et d’histoire

Ils viennent de temps en temps se montrer, plutôt pour faire voir qu’ils ne sont pas morts que pour rendre aucun service. » La duchesse d’Ossonne a trois cents femmes ; un peu auparavant elle en avait cinq cents. […] Il tuait ainsi le temps et prenait patience. […] Quelque temps après, M.  […] Notre race a eu son temps ; elle finit, et qu’importe ? […] En cela il est unique : rien de plus rare en tout temps, et surtout en ce temps-là, que la compétence politique, et, par un singulier concours de circonstances, Mallet, en politique, était compétent.

2419. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXI » pp. 87-90

Il affecte de rappeler à Janin le temps où celui-ci logeait rue Madame dans la même maison que Harel et mademoiselle Georges (espèce de ménage établi), et venait en tiers sans troubler l’harmonie parfaite et par manière d’accompagnement. […] Bien des gens disent et répètent que le temps de la comédie est passé, qu’elle est devenue impossible par toutes sortes de raisons, et les théories ingénieuses sur cette lacune désormais inévitable ne manquent pas.

2420. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de mademoiselle Bertin sur la reine Marie-Antoinette »

Que les hommes qui vivent dans une révolution, et qui en sont ou spectateurs éclairés ou acteurs principaux, lèguent à la postérité le dépôt fidèle de leurs souvenirs, c’est un devoir que nous réclamons d’eux ; que ceux mêmes qui, dans une situation secondaire, n’ont vu qu’un coin du vaste tableau et n’en ont observé que quelques scènes, nous apportent leur petit tribut de révélations, il sera encore reçu avec bienveillance ; et si surtout l’auteur nous peint l’intérieur d’une cour dans un temps où les affaires publiques n’étaient guère que des affaires privées, s’il nous montre au naturel d’augustes personnages dans cette transition cruelle de l’extrême fortune à l’extrême misère, notre curiosité avide pardonnera, agrandira les moindres détails ; impunément l’auteur nous entretiendra de lui, pourvu qu’il nous parle des autres ; à la faveur d’un mot heureux, on passera à madame Campan tous les riens de l’antichambre et du boudoir : mais que s’en vienne à nous d’un pas délibéré, force rubans et papiers à la main, mademoiselle Rose Bertin, modiste de la reine, enseigne du Trait galant, adressant ses Mémoires aux siècles à venir, la gravité du lecteur n’y tiendra pas ; et, pour mon compte, je suis tenté d’abord de demander le montant du mémoire. […] Une fois seulement mademoiselle Rose nous apprend que l’espèce de brouillerie qui divisait la reine et les tantes du roi se rattachait à la politique : madame Adélaïde tenait pour M. de Maurepas, et la reine pour M. de Choiseul : indè iræ ; on sent qu’un pareil temps est déjà loin de nous.

2421. (1874) Premiers lundis. Tome II « Le poète Fontaney »

D’une main affaiblie il écrivait encore dans cette Revue, il y a peu de temps, de bien fermes et spirituelles pages sur les romans et poésies du jour28 ; si quelque ironie chagrine y perce, il n’est aucun des blessés, aujourd’hui, qui ne le lui pardonne. […] Fontaney, un de ces hommes avec qui l’on sent, avec qui l’on est d’accord même sans se revoir, et qui font, en disparaissant successivement, que notre meilleur temps se voile, et que la vie devient comme étrangère29.

2422. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre IV. — Molière. Chœur des Français » pp. 178-183

La première règle de la comédie, c’est de peindre l’homme de tous les temps. […] Guizot, Shakespeare et son temps.

2423. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Barbey d’Aurevilly, Jules (1808-1889) »

. — Les Ridicules du temps (1884). — Les Critiques ou les Juges jugés (1885). — Sensations d’art (1886). — Memoranda (1887). — Les Philosophes et les Écrivains religieux (1887). — Les Œuvres et les Hommes, seconde édition (1889 et années suivantes). […] C’est une des intelligences les plus profondes, les plus complètes et les plus complexes de ce temps-ci, que cet homme qui aurait pu être, à son gré, un condottiere comme Carmagnola, un politique comme César Borgia, un rêveur à la Machiavel, un corsaire comme Lara, et qui s’est contenté d’être un solitaire, écrivant des histoires pour lui-même et pour ses amis, faisant bon marché de l’argent et de la gloire, et, prodigue éperdu, semant à tous les vents assez de génie pour laisser croire qu’il en a le mépris… En M. 

2424. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Barbier, Auguste (1805-1882) »

… Un poète unique dans notre temps, Barbier, c’est lui qui, dans un ïambe intitulé la Curée, a égalé Pindare en verve et dépassé […] Cette gamme, qui s’accordait avec la tumultueuse effervescence des esprits, était difficile à soutenir en temps plus paisible.

2425. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Courteline, Georges (1858-1929) »

Il y a là un entremêlement de vers et de prose du plus haut comique, un chœur de déménageurs qui réapparaît comme un chœur antique, disant du ton le plus noble les choses qui le sont le moins : LE CŒUR DES DÉMÉNAGEURS Le temps passe, que rien ne saurait prolonger. […] Romain Coolus Courteline est un des mieux doués parmi les auteurs dramatiques de ce temps, li a le don rare de créer des types, c’est-à-dire de donner une personnalité, une individualité, esthétiques à des personnages assez généraux pour garder, après l’époque, une indestructible vérité.

2426. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — Q — Quillard, Pierre (1864-1912) »

[Le Temps (1897).] […] Elles disent l’Amour, la Mort et le Temps, elles exhalent une mélancolie stoïque et païenne ; elles sentent la rose et le cyprès ; il y rôde une odeur de Bois sacré.

2427. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Première partie. Plan général de l’histoire d’une littérature — Chapitre III. Les questions que l’historien doit se poser. » pp. 16-17

D’une part, il doit les envisager en large et en long, si l’on peut ainsi parler, ou, si l’on préfère, étendus dans l’espace et déroulés dans le temps, dans leur existence simultanée et dans leurs développements successifs. […] Sans oublier qu’il n’y a et ne peut y avoir, dans la vie d’une littérature, solution de continuité, il doit diviser le temps comme le géographe l’espace.

2428. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 202-207

Ce n’est pas assez d’avoir de l’esprit, de savoir bien sa langue, d’écrire d’un style sentencieux & imposant ; il faut des remparts plus solides pour se garantir des insultes du temps. […] Duclos eut des liaisons avec les Philosophes de nos jours, ces liaisons ne l’empêcherent point de condamner leurs travers, comme on peut en juger par le morceau suivant : « On déclame beaucoup, depuis un temps, contre les préjugés ; peut-être en a-t-on trop détruit : le préjugé est la loi du commun des hommes…..

2429. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 122-127

Ronsard, [Pierre] Prieur de Croix-Val & de Saint Cosme-les-Tours, Abbé de Bellosane, né dans le Vendômois en 1524, mort en 1585 ; Poëte trop célébré de son temps, & trop méprisé dans le nôtre. […] L'envie de dominer les Esprits de son temps, de devenir le Législateur du Parnasse, prétention absurde qui ne manque pas d'exemples actuels, le jeta dans le galimatias ; mais les bornes du bon goût sont fixées, & ce ne sont pas des idées particulieres qui décideront les suffrages présens & à venir.

2430. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 293-297

« De tout temps, la reconnoissance publique accompagnant le nom des Grands Hommes au delà du trépas, leur rendit des honneurs avoués de l'Envie même, soit pour les dédommager, par une gloire qui leur survit, des fatigues qu'elle leur avoit coutées, soit pour encourager les autres à supporter les mêmes travaux par l'espoir des mêmes récompenses. […] La mort des personnes les moins connues est bientôt suivie d'une espece d'apothéose, & le moindre Artiste, sur le point de finir une carriere ignorée, pourroit presque dire comme Vespasien : Voici le temps où je vais devenir un Dieu.

2431. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre III. Suite du précédent. — Seconde cause : les anciens ont épuisé tous les genres d’histoire, hors le genre chrétien. »

Autre temps, autres mœurs. […] Suétone conta l’anecdote sans réflexion et sans voile ; Plutarque y joignit la moralité ; Velleius Paterculus apprit à généraliser l’histoire sans la défigurer ; Florus en fit l’abrégé philosophique ; enfin, Diodore de Sicile, Trogue-Pompée, Denys d’Halicarnasse, Cornelius-Nepos, Quinte-Curce, Aurelius-Victor, Ammien-Marcellin, Justin, Eutrope, et d’autres que nous taisons, ou qui nous échappent, conduisirent l’histoire jusqu’aux temps où elle tomba entre les mains des auteurs chrétiens : époque où tout changea dans les mœurs des hommes.

2432. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre premier. Du Christianisme dans l’éloquence. »

Les anciens n’ont connu que l’éloquence judiciaire et politique : l’éloquence morale, c’est-à-dire l’éloquence de tout temps, de tout gouvernement, de tout pays, n’a paru sur la terre qu’avec l’Évangile. […] Qu’on ne dise pas que les Français n’avaient pas eu le temps de s’exercer dans la nouvelle lice où ils venaient de descendre : l’éloquence est un fruit des révolutions ; elle y croît spontanément et sans culture ; le Sauvage et le Nègre ont quelquefois parlé comme Démosthène.

2433. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — V. L’avare et l’étranger »

Pendant ce temps, ce dernier s’était fait apporter son touho. […] Depuis ce temps, on ne refuse jamais à manger aux gens de passage.

2434. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre III. Du temps où vécut Homère » pp. 260-263

Du temps où vécut Homère L’âge d’Homère nous est indiqué par les remarques suivantes, tirées de ses poèmes : — 1. […] Parmi les présents offerts à Pénélope par ses amants, nous remarquons un voile ou manteau dont l’ingénieux travail ferait honneur au luxe recherché des temps modernes85. — 5.

2435. (1896) Études et portraits littéraires

Gloire aux temps où le jeu de l’énergie humaine développe la beauté humaine. […] « — Tout le temps, tout le temps pêcher ? […] « — Tout le temps. […] On ne perd pas son temps à l’entendre. […] Le temps a terni son éclat sanguin et éteint l’or de ses dentelles.

2436. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome I

Cette continuelle oscillation entre l’armée et l’Église devrait nous donner aussi l’idée d’un temps bien reculé. […] Certes le feuilletoniste d’Hommes et Dieux a sa propre originalité, mais il n’est pas une exception parmi les journalistes de son temps. […] Les Goncourt et Sainte-Beuve s’accordent à nous le montrer dans sa toute première maturité, tel que nous imaginons les jeunes gens de 1830 : « Fait de corps et d’âme pour d’autres temps, mal à l’aise dans son habit noir, Rémonville était mal à l’aise dans son temps, dans sa sphère. […] Toutes les analyses qu’il fait des sentiments humains dans les Pensées sont d’une exactitude qui les rend vraies pour tous les temps. […] Le contraste était remarquable entre sa façon de comprendre l’existence littéraire et l’ambition hâtive des débutants d’alors, et, je crois bien, de tous les temps.

2437. (1903) Le problème de l’avenir latin

En un laps de temps relativement très court, l’Eglise franchit les étapes de la démocratie pure à la monarchie absolue. […] Ces villes furent aussi dans leur temps des centres vers lesquels tous les regards intellectuellement avides convergeaient. […] Tout d’abord une moitié du temps actuellement employé à la culture du cerveau serait consacrée au développement physique. […] Je veux parler de ceux-là qui fondent sur le temps et sur ce qu’on appelle le « progrès des lumières » un espoir absolu. […] Il sera toujours temps d’élever la nouvelle demeure où s’abritera la pensée religieuse de générations soustraites à la contagion.

2438. (1875) Revue des deux mondes : articles pp. 326-349

Chez les animaux à sang chaud, ces phénomènes se passent en un temps beaucoup plus court, mais ils n’en existent pas moins. […] Après ce temps on peut délier le membre sans danger, parce que le poison et la mort ont pu s’enfuir d’une manière imperceptible. […] Toutefois ces réactions de la modification circulatoire sur les organes nerveux demandent pour s’opérer un temps très-différent selon les espèces. […] Cette suspension complète des manifestations apparentes de la vie est susceptible de durer un temps en quelque sorte indéfini. […] Exaltées dans le premier âge, restées comme stationnaires dans l’âge adulte, elles s’affaiblissent et deviennent nulles dans les derniers temps.

2439. (1842) Discours sur l’esprit positif

C’est pendant cette phase caractéristique, mal appréciée aujourd’hui, qu’il faut principalement étudier l’esprit théologique, qui s’y développe avec une plénitude et une homogénéité ultérieurement impossibles : ce temps est, à tous égards, celui de son plus grand ascendant. à la fois mental et social. […] Aussi, en tout temps, celui qui a pu devenir suffisamment conséquent a-t-il acquis, par cela même, la faculté de rallier graduellement les autres, d’après la similitude fondamentale de notre espèce. […] La philosophie théologique ne pouvait réellement convenir qu’à ces temps nécessaires de sociabilité préliminaire, où l’activité humaine doit être essentiellement militaire, afin de préparer graduellement une association normale et complète, qui était d’abord impossible, suivant la théorie historique que j’ai établie ailleurs. […] Mais l’incompatibilité, pour être moins explicite et plus tardive, n’en restait pas moins finalement inévitable, même avant le temps où la nouvelle philosophie serait devenue assez générale pour prendre un caractère vraiment organique, en remplaçant irrévocablement la théologie dans son office social aussi bien que dans sa destination mentale. […] Mais la même lacune se rencontrerait aussi chez la plupart des autres classes actuelles, en un temps où l’instruction positive reste bornée, en France, à certaines professions spéciales, qui se rattachent essentiellement à l’École Polytechnique ou aux écoles de médecine.

2440. (1896) Les idées en marche pp. 1-385

La précision se dévie dans le temps comme le bâton dans l’eau. […] Je sais des jeunes gens qui se vantent de mépriser leur temps. Leur temps fait mieux : il les ignore. […] la vieille économie politique a fait son temps. […] Les procédés et les formules ont fait leur temps, ainsi que les écoles.

2441. (1899) La parade littéraire (articles de La Plume, 1898-1899) pp. 300-117

Voilà l’histoire, comme elle a couru ces temps-ci. […] Aussi bien, j’éprouvai du malaise ces temps-ci ; je l’attribuais à la trop forte chaleur. […] Que les temps sont changés, Monsieur Maurice Le Blond !) […] Il n’a jamais créé de ces statues vivantes qui bravent les temps futurs et subjuguent les races. […] Pour nous, le temps des théogonies est aboli !

2442. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre III. De la signification de la vie. L’ordre de la nature et la forme de l’intelligence. »

Tant qu’elle roule dans l’espace ou dans le temps spatialisé elle n’a qu’à se laisser aller. […] L’induction implique donc d’abord que, dans le monde du physicien comme dans celui du géomètre, le temps ne compte pas. […] La raison en est que notre philosophie a son point de départ dans les grandes découvertes astronomiques et physiques des temps modernes. […] Il faut que des milliers et des milliers d’entre eux, à peu près semblables, se répètent les uns les autres dans l’espace et dans le temps, pour que grandisse et mûrisse la nouveauté qu’ils élaborent. […] Cette organisation prend pour nos sens et pour notre intelligence la forme de parties entièrement extérieures à des parties dans le temps et dans l’espace.

2443. (1883) La Réforme intellectuelle et morale de la France

Il est clair que, si la France voulait imiter son exemple, elle serait prête en moins de temps. […] On ne se discipline pas soi-même ; des enfants mis ensemble sans maître ne s’élèvent pas ; ils jouent et perdent leur temps. […] Le temps des volontaires indisciplinés et des corps francs est passé. Le temps des brillants officiers, ignorants, braves, frivoles, est passé aussi. […] Ce retour vers les questions nationales apporterait pour quelques années un temps d’arrêt aux, questions sociales.

2444. (1926) La poésie de Stéphane Mallarmé. Étude littéraire

Il y fait allusion, moyen pour nous induire à la tristesse même du temps qui passe. […] Il conçoit le temps en idéaliste mystique, avec une référence constante à la réalité par lui signifiée. […] L’Idée sur ses formes déploie le Temps, le dispose et le façonne comme un lin. L’expression des choses implique un ordre différent de celui que figure la succession brute des choses ; elle exige, par-delà le temps donné, le rétablissement du temps vrai. […] il ne sait — de son temps.

2445. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre V. La philosophie. Stuart Mill. »

Depuis Aristote, les logiciens ont passé leur temps à les polir. […] Quel que soit son domaine, il est limité dans le temps et dans l’espace ; le fait qu’elle observe est borné et amené par une infinité d’autres qu’elle ne peut atteindre. […] Pouvons-nous décider que tout événement à tout point du temps et de l’espace arrive selon des lois, et que notre petit monde, si bien réglé, est un abrégé du grand ? […] Il suffit de résoudre les notions d’égalité, de cause, de substance, de temps et d’espace en leurs abstraits, pour démontrer les axiomes d’égalité, de substance, de cause, de temps et d’espace. […] Si la fourmi était capable de raisonner, elle pourrait construire l’arithmétique, l’algèbre, la géométrie, la mécanique ; car un mouvement d’un demi-pouce contient dans son raccourci le temps, l’espace, le nombre et la force, tous les matériaux des mathématiques : donc, si limité que soit le champ d’un esprit, il renferme des données universelles, c’est-à-dire répandues sur tout le territoire du temps et de l’espace.

2446. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XLI » pp. 167-171

La Revue suisse voit avec plaisir qu’elle avait frappé d’avance dans le même sens et qu’en tirant sur le temps, elle avait atteint juste aux mêmes endroits. […] Dupaty, a fait une motion afin de se mettre d’autant plus en avant pour Molière, lequel, en son temps, n’était pas de l’Académie.

2447. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Deroulède, Paul (1846-1914) »

[Le Temps (1869).] […] [Le Temps (13 avril 1873).]

2448. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gautier, Judith (1845-1917) »

[Le Temps (avril 1888).] […] Prisonnière de son temps et de son milieu, horrifiée par ce que nous appelons notre civilisation occidentale (agio, machinisme, canons perfectionnés), elle s’en évade pour revenir aux pays chatoyants de son rêve, la Perse antique, l’Égypte, l’Inde, le Céleste-Empire, le Royaume du Soleil-Levant.

2449. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 240-246

Un des meilleurs Ecrivains & des plus agréables Poëtes de son temps. […] Il est bon d'observer que, dans le temps où il écrivoit, notre Langue n'avoit pas encore été fixée par les Pascal, les Racine & les Despréaux.

2450. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Voix intérieures » (1837) »

Au reste, cet écho intime et secret étant, aux yeux de l’auteur, la poésie même, ce volume, avec quelques nuances nouvelles peut-être et les développements que le temps a amenés, ne fait que continuer ceux qui l’ont précédé. […] Il faut enfin que, dans ces temps livrés à la lutte furieuse des opinions, au milieu des attractions violentes que sa raison devra subir sans dévier, il ait sans cesse présent à l’esprit ce but sévère : être de tous les partis par leur côté généreux, n’être d’aucun par leur côté mauvais.

2451. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Introduction » pp. 5-10

Considérable, car la liste est longue de ceux qui entre dix-huit et trente-six ans on écrit des pages intéressantes, ont participé au mouvement littéraire de ce temps, si fécond en cénacles, si fertile en personnalités curieuses ; dangereux enfin, parce que, malgré deux ans de recherches, nous avons commis des oublis inévitables et surtout parce qu’ayant combattu, nous aussi, dans les rangs de cette jeunesse, nous n’avons pourtant pas hésité à mettre de côté toute camaraderie, toute confraternité, pour présenter un tableau sincère et précis de cette « jeune littérature » dont on parle tant et qu’on connaît si peu. […] Notre temps a mêlé tous les genres, a rompu toutes les barrières, dépassé toutes les limites que l’expérience et l’observation de vingt siècles avaient mises entre les divers modes de l’expression artistique.

2452. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Chœur. » pp. 21-24

La raison veut, au contraire, qu’ils s’entretiennent de ce qui vient de se passer, de ce qu’ils ont à craindre ou à espérer, lorsque les principaux personnages, en cessant d’agir, leur en donnent le temps ; et c’est aussi ce qui faisait la matière des chants du chœur. […] Dans les intermèdes, il donnait le ton au reste du chœur, qui remplissait par des chants tout le temps que les acteurs n’étaient point sur la scène : ce qui augmentait la vraisemblance et la continuité de l’action.

2453. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre II. Vue générale des Poèmes où le merveilleux du Christianisme remplace la Mythologie. L’Enfer du Dante, la Jérusalem délivrée. »

Il n’y a dans les temps modernes que deux beaux sujets de poème épique : les Croisades et la Découverte du Nouveau-Monde : Malfilâtre se proposait de chanter la dernière ; les Muses regrettent encore que ce jeune poète ait été surpris par la mort avant d’avoir exécuté son dessein. […] Enfin, il aurait pu jeter un regard sur l’ancienne Asie, sur cette Égypte si fameuse, sur cette grande Babylone, sur cette superbe Tyr, sur les temps de Salomon et d’Isaïe.

2454. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 39, en quel sens on peut dire que la nature se soit enrichie depuis Raphaël » pp. 387-392

Depuis Raphaël, l’art et la nature se sont perfectionnez, et si Raphaël revenoit au monde avec ses talens, il feroit mieux encore qu’il ne l’a pû faire dans le temps où la destinée l’avoit placé, au lieu que Virgile ne pourroit point écrire un poëme épique en françois aussi-bien qu’il l’a écrit en latin. […] Raphaël et ses contemporains ont vêcu dans des temps où l’Asie orientale et l’Amerique n’étoient pas encore découvertes pour les peintres.

2455. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIe entretien. Sur le caractère et les œuvres de Béranger » pp. 253-364

C’était le temps où Parny, qu’on appelait le Tibulle français, était commis dans les bureaux de M.  […] Vous vouliez user la royauté en sa personne, vous n’aviez pas besoin de temps pour cela : en un jour vous l’aviez descendue de sa base ! […] Peu de temps après, Béranger se déclare franchement en opposition contre ses amis ; il prend congé d’eux. […] La France, selon l’expression de Béranger, n’avait pas eu le temps de le concevoir encore et de le porter à maturité. […] Mais la réflexion, l’expérience, le temps avaient complètement tué en lui le vieil homme et enfanté l’homme nouveau.

2456. (1903) Articles de la Revue bleue (1903) pp. 175-627

Comme le dirait Henrik Ibsen, ils sont déjà à moitié morts ; en tout cas, leur école n’a plus de raison d’être, et, depuis quelque temps déjà, elle n’existe plus. […] Les artistes de la Renaissance n’ont eu que le culte du Beau, les Hellènes du temps de Périclès ne pouvaient établir leurs certitudes sur des données positives. […] On a fait remarquer récemment avec quelque ironie que ce temps n’était pas favorable aux « jeunes revues ». […] N’en a-t-il plus le temps ou préfère-t-il ceux qui l’amusent ? […] C’est donc, au plus profond système des temps modernes qu’on aboutit en creusant cette notion de l’activité de l’esprit.

2457. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre premier. — Une leçon sur la comédie. Essai d’un élève de William Schlegel » pp. 25-96

Ne nous amusons pas à dissiper des nuages dans un ciel serein ; c’est du temps perdu, ou plutôt fort mal employé. […] « De tout temps il s’est glissé parmi les hommes de belles imaginations que nous venons à croire, parce qu’elles nous flattent et qu’il serait à souhaiter qu’elles fussent véritables. […] ne plaisantez pas ; il n’est pas temps de rire99 ! […] il est temps. […] …………………………………………………… Je suis donc résolu, si vous le trouvez bon, De laisser pour un temps le trône à l’abandon.

2458. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre sixième. Le roman psychologique et sociologique. »

Il n’y a pas de beauté particulière, et cette beauté ne consiste pas à aligner des mots dans un certain ordre ; il n’y a que des phénomènes humains, venant en leur temps et ayant la beauté de leur temps. […] Avant que l’homme eût eu le temps de reprendre la parole, elle ajouta : — Je ne crois pas. […] Son roman et son drame vivent du coup de théâtre, que la plupart du temps il ne prend même pas la peine de ménager, de rendre plus ou moins plausible. […] Le Pécheur d’Islande, une des œuvres les plus remarquables de notre temps, est absolument conformeà la progression ef à la continuité dans le développement des caractères. […] Tout le reste du temps, c’est le beau mari attirant, mais insaisissable et duquel on ne sait trop que penser.

2459. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre dixième. Le style, comme moyen d’expression et instrument de sympathie. »

Tant il est vrai que la force et le temps dépensés en vain, pour l’agrément, pour l’art, font accomplir les plus réels travaux et empêchent la fatigue de se produire trop tôt. […] La richesse constante de la rime est le pendant de l’emphase oratoire qui faisait la beauté du style au temps du premier empire, et qui nous fait sourire aujourd’hui. […] on ne parle que de passer le temps ! et nous Le temps passe, en effet passons avec lui. […]     Ils n’étaient nulle part, Hors de l’espace, hors du temps.

2460. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers, Tome xix. (L’île d’Elbe, — L’acte additionnel. — Le champ de mai.) » pp. 275-284

Je reconnais le talent, et je n’accuserai pas le patriotisme de leurs auteurs ; l’esprit de parti a fait de tout temps d’étranges illusions au patriotisme. […] — « Laissez-moi, lui répondit-elle, être mère un moment, et je vous dirai ensuite mon sentiment. » — Elle se recueillit, garda quelque temps le silence, puis d’un ton ferme et inspiré : — « Partez, mon fils, lui dit-elle, partez, et suivez votre destinée. […] Il y a une chose qui m’impatiente depuis quelque temps : ils répètent tous que M. 

2461. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Hommes et dieux, études d’histoire et de littérature, par M. Paul De Saint-Victor. »

J’ai là devant moi quantité de numéros de la Presse, renfermant des articles de lui, dont je voulais me souvenir, et sur l’un de ces numéros j’ai écrit : « Voici de ces jolies choses, dites en courant, que je crains que Saint-Victor ne conserve pas et ne recueille pas dans les volumes d’articles revus qu’il prépare ; il s’agit de je ne sais quelle petite pièce à couplets : « Ces chansons du vieux temps, Mlle Déjazet les dit de sa petite voix grêle et fine de cigale anacréontique ivre de  rosée. — « Tu ne subis point la vieillesse », — dit à la cigale le poëte de Téos, — « frêle enfant de la terre, toi qui aimes les chansons. » Et dans un autre feuilleton encore : « Les rides, si jamais elles viennent, iront à sa petite figure spirituelle et impertinente comme les craquelures à la porcelaine. » Ces charmants hasards de plume valent pour moi de plus grands traits, et je ne veux pas que le feuilleton, sous prétexte qu’il devient livre et qu’il se fait plus grave, me les ôte et me les supprime. […] Il appartenait, s’il eût continué dans cette voie, à l’Académie de ce temps-là. […] Le jeune Saint-Victor, élevé pendant ses premières années hors de France, en Suisse, puis en Italie, à Rome et en d’autres lieux peuplés de vivants souvenirs, y put comparer de bonne heure les chefs-d’œuvre des Écoles rivales ; il grandit et se forma à l’idée, du beau parmi les marbres et les tableaux des maîtres ; il lui fut donné, comme à Roméo, de voir à temps la beauté véritable, et depuis ce jour il ne put jamais s’en déprendre.

2462. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Indiana (1832) »

Les deux romans ont en outre cela de commun, d’obéir à une tendance philosophique, de viser à une moralité analogue, plus explicite et tout en dehors chez Mme de Staël, plus sous-entendue et laissée à la sagacité du lecteur dans Indiana ; les divagations métaphysiques à la mode, du temps de Mme de Staël, et dont elle ne s’est pas fait faute dans Delphine, sont remplacées de préférence, dans le roman de 1832, par les hors d’œuvre pittoresques, les descriptions d’intérieur et de boiseries de salon, si à la mode aujourd’hui, et auxquelles l’auteur d’Indiana s’est laissé quelquefois aller un peu complaisamment, mais qui sont après tout assez de mise dans le roman domestique. […] Dans le monde, le visage de ces hommes se compose et sourit invariablement par habitude, par artifice : dans la solitude, dans les moments de réflexion, en robe de chambre et en pantoufles, surprenez-les, ils sont sourcilleux, sombres ; ils se font, à la longue, un visage dur, mécontent et mauvais. — J’aurais autant aimé, de plus, qu’en accordant à Raymon de Ramière de grands talents et un rôle politique remarquable, on insistât moins sur son génie et sur l’influence de ses brochures : car, en vérité, comme les hommes de génie ou de talent qui écrivent des brochures en France, qui en écrivaient vers le temps du ministère Martignac ou peu auparavant, dans le cercle sacré de la monarchie selon la Charte, ne sont pas innombrables, je n’en puis voir qu’un seul à qui cette partie du signalement de Raymon convienne à merveille ; le nom de l’honorable écrivain connu vient donc inévitablement à l’esprit, et cette confrontation passagère, qui lui fait injure, ne fait pas moins tort à Raymon : il ne faut jamais supposer aux simples personnages de roman une part d’existence trop publique qui prête flanc à la notoriété et qu’il soit aisé de contrôler au grand jour et de démentir. […] L’auteur d’Indiana, en cédant avec mesure à ces instances, qui expriment à leur manière le vœu du public, fera bien de se consulter toujours, de se ménager le temps et l’inspiration, de ne jamais forcer un talent précieux, si fertile en belles promesses. 

2463. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « en tête de quelque bulletin littéraire .  » pp. 525-535

Si Racine, dans les vingt-six années environ qui forment sa pleine carrière depuis les Frères ennemis jusqu’à Athalie, avait eu le temps de voir une couple de révolutions politiques et littéraires, s’il avait été traversé deux fois par un soudain changement dans les mœurs publiques et dans le goût, il aurait eu fort à faire assurément, tout Racine qu’il était, pour soutenir cette harmonie d’ensemble qui nous paraît sa principale beauté : il n’aurait pas évité çà et là dans la pureté de sa ligne quelque brisure. Un critique distingué, ayant à parler assez récemment d’Horace et de Virgile, et de l’espèce de royauté qu’ils se fondèrent en regard, à l’abri et à l’appui de la monarchie impériale d’Auguste, a fait remarquer la convenance et la nécessité de ces deux royautés parallèles, produites à la fois par une double anarchie, dans un temps où la faiblesse de l’État d’une part, et de l’autre le trop facile usage de formes poétiques devenues la propriété commune, favorisaient toutes les entreprises de l’ambition politique, toutes les prétentions de la médiocrité littéraire153. […] De notre temps, les débuts ont été vifs et beaux ; mais c’est encore le monument qui manque.

2464. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XI. De la littérature du Nord » pp. 256-269

Et ce n’est pas le défaut de la poésie, c’est la faiblesse de nos organes qui nous fait sentir la fatigue au bout de quelque temps ; ce qu’on éprouve alors, ce n’est pas l’ennui de la monotonie, c’est la lassitude que causerait le plaisir trop continu d’une musique aérienne. […] Les bardes écossais ont eu, dans tous les temps, un culte plus sombre et plus spiritualisé que celui du Midi. […] Les peuples septentrionaux, à en juger par les traditions qui nous restent et par les mœurs des Germains, ont eu de tout temps un respect pour les femmes, inconnu aux peuples du Midi ; elles jouissaient dans le Nord de l’indépendance, tandis qu’on les condamnait ailleurs à la servitude.

2465. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre V. Des personnages dans les récits et dans les dialogues : invention et développement des caractères »

Un écrivain dramatique de notre temps, qui certes a su donner à ses caractères une rectitude et une consistance merveilleuse à travers les surprises de l’intrigue et les incohérences de la passion, nous a fait quelque part la confidence qu’il se faisait la biographie de chaque personnage qu’il voulait introduire dans une pièce, qu’il le dotait d’une existence antérieure, d’un long passé, où son tempérament et ses habitudes étaient minutieusement décrits. […] S’il vous est arrivé jamais de concevoir l’idée d’un enfantillage, d’une équipée, d’une folie, pure fantaisie de l’esprit inquiet et désœuvré, et de passer à l’exécution sans autre raison que l’idée conçue, sans entraînement, sans plaisir, mais fatalement, sans pouvoir résister ; — si vous avez repoussé parfois de toutes les forces de votre volonté une tentation vive, si vous en avez triomphé, et si vous avez succombé à l’instant précis où la tentation semblait s’évanouir de l’âme, où l’apaisement des désirs tumultueux se faisait, où la volonté, sans ennemi, désarmait ; — si vous avez cru, après une émotion vive, ou un acte important, être transformé, régénéré, naître à une vie nouvelle, et si vous vous êtes attristé bientôt de vous sentir le même et de continuer l’ancienne vie ; — si par un mouvement de générosité spontanée ou d’affection vous avez pardonné une offense, et si vous avez par orgueil persisté dans le pardon en vous efforçant de l’exercer comme une vengeance ; — si vous avez pu remarquer que les bonnes actions dont on vous louait n’avaient pas toujours de très louables motifs, que la médiocrité continue dans le bien est moins aisée que la perfection d’un moment, et qu’un grand sacrifice s’accomplit mieux par orgueil qu’un petit devoir par conscience, qu’il coûte moins de donner que de rendre, qu’on aime mieux ses obligés que ses bienfaiteurs, et ses protégés que ses protecteurs ; — si vous avez trouvé que dans toute amitié il y a celle qui aime et celle qui est aimée, et que la réciprocité parfaite est rare, que beaucoup d’amitiés ont de tout autres causes que l’amitié, et sont des ligues d’intérêts, de vanité, d’antipathie, de coquetterie ; que les ressemblances d’humeur facilitent la camaraderie, et les différences l’intimité ; — si vous avez senti qu’un grand désir n’est guère satisfait sans désenchantement, et que le plaisir possédé n’atteint jamais le plaisir rêvé ; — si vous avez parfois, dans les plus vives émotions, au milieu des plus sincères douleurs, senti le plaisir d’être un personnage et de soutenir tous les regards du public ; — si vous avez parfois brouillé votre existence pour la conformer à un rêve, si vous avez souffert d’avoir voulu jouer dans la réalité le personnage que vous désiriez être, si vous avez voulu dramatiser vos affections, et mettre dans la paisible égalité de votre cœur les agitations des livres, si vous avez agrandi votre geste, mouillé votre voix, concerté vos attitudes, débité des phrases livresques, faussé votre sentiment, votre volonté, vos actes par l’imitation d’un idéal étranger et déraisonnable ; — si enfin vous avez pu noter que vous étiez parfois content de vous, indulgent aux autres, affectueux, gai, ou rude, sévère, jaloux, colère, mélancolique, sans savoir pourquoi, sans autre cause que l’état du temps et la hauteur du baromètre ; — si tout cela, et que d’autres choses encore ! […] Vous ne devez pas perdre de vue que la nature et l’intensité des causes étant altérées, les effets ne devront pas rester les mêmes en nature et en intensité : c’est affaire d’observation, de tact et de temps, pour apprendre à y maintenir une exacte correspondance.

2466. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre II. Jean Calvin »

Il fait reparaître Moïse et saint Paul, comme d’autres au même temps ressaisissent Homère ou Tite-Live par-delà les abrégés et les romans. […] Ces prédicateurs protestants, et non seulement Viret, mais Calvin même qu’on croit si austère, sont tout près de Menot et de Baulin, ils y touchent non par le temps seulement, mais par le goût. […] Pour être juste, il faut se souvenir du temps où vivait Calvin.

2467. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « F.-A. Cazals » pp. 150-164

Il n’a pas le temps d’y revenir. […] Le hasard me donne pour compagnon de route Edmond Girard qui est une bien curieuse figure de ces temps-ci. […] J’y déplorai la mort d’un familier, d’un probe écrivain qui n’a pas eu le temps de donner sa mesure pleine, mais que j’aimais : Léon Dequillebec, ancien secrétaire de rédaction de la Plume, et mon éminent ami Laurent Tailhade avait dû subir une cruelle épreuve, l’ablation de l’œil droit.

2468. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’Âge héroïque du Symbolisme » pp. 5-17

À vrai dire, on s’y était mis depuis quelque temps déjà. […] L’opinion était si surexcitée qu’Anatole France, qui présidait alors aux destinées critiques du Temps, se voyait forcé de s’interrompre, soudain, des études archéologiques où il se confinait, au grand désespoir de Lucien Descaves, pour mettre ses lecteurs au courant. […] Ce n’est pas d’enthousiasme, encore qu’il fut égayé, un temps, à l’idée de se faire imprimer des cartes d’invitation à l’instar de M. de Choufleury « Monsieur Paul Verlaine restera chez lui le… » ; mais il est si harcelé !

2469. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Fontenelle, et le père Baltus. » pp. 2-16

Les empereurs chrétiens défendirent, vers ce temps, d’en faire aucun exercice, sous peine de mort. […] d’examiner le temps auquel ont cessé les oracles, & de faire voir qu’ils ont cessé d’une manière naturelle. […] Cependant ses élèves, messieurs de Bauffremont, disoient que tout le temps qu’il fut auprès d’eux, il ne leur inspira que de très-bons principes.

2470. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — De la langue Françoise. » pp. 159-174

Mais, lui répond-on, les Bavius & les Mævius, les Pradon & les Cotin, ont vécu dans le même temps & sous le même climat que ces grands hommes, dont les productions sublimes ont si fort honoré leur patrie, & font un étonnant contraste avec celles de leurs imbécilles rivaux. […] De toutes ces lumières particulières, il en résulte, pour la nation, une lumière générale qui n’a qu’un temps, & qui s’éteint lorsqu’on ne consulte plus la nature, qu’on lui préfère le singulier & le manièré. […] On pourroit remonter aux principes ; & demander pourquoi ces défauts, qui n’existent pas dans un temps, existent plutôt dans un autre.

2471. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XVII. Morale, Livres de Caractéres. » pp. 353-369

On y admire cette connoissance profonde de la Religion, cet amour de la vertu, cette éloquence de style qui le distinguoient parmi le petit nombre des bons écrivains de son tems. […] Diderot a donné sur la morale est écrit d’un style vif & énergique, mais de tems en tems louche, dur & négligé.

2472. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre X. Seconde partie. Émancipation de la pensée » pp. 300-314

Je ne suis cependant point entièrement délaissé, et j’ai encore un appui d’une assez grande force : c’est la tendance même des esprits les plus remarquables de ce temps. […] Lorsque Dieu tira les étoiles du néant, et qu’il les appela chacune par son nom, il leur marqua l’aire de l’espace qu’elles devaient parcourir jusqu’à la fin des temps ; depuis elles ont invariablement décrit leurs ellipses immenses. […] Alors l’union intime de la pensée et de la parole ne pouvait plus subsister comme dans les premiers temps.

2473. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Léopold Ranke » pp. 1-14

Pourquoi enfin son talent, qui a toujours poussé dans les mêmes directions, qui s’est acharné sur le même sujet pour en prendre et en vider toute la moelle, — car c’est du xvie et du xviie  siècle qu’il s’agit encore dans la nouvelle histoire de Ranke, — pourquoi son talent est-il moins remarquable et moins fort que dans le temps de ses premières découvertes et de ses premiers aperçus ? […] … Le temps n’aurait-il pas été pour lui l’accumulation des bénéfices de l’expérience ? […] Blême Narcisse pour le compte de la Prusse, il a passé son temps à la regarder poindre, cette idée, dans tous les courants et tous les torrents de l’Histoire.

2474. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Le docteur Revelière » pp. 381-394

La marque de ce temps, malgré l’École des Chartes et ses amusettes, est de ne rien comprendre à l’Histoire. […] II Leur cadet, il ne l’est pas que dans le temps ; il l’est aussi dans le génie. […] Mais il n’en est pas moins vrai que l’auteur des Ruines a l’honneur d’avoir avec eux la fraternité des idées et une parenté d’intelligence… Ce Revelière inconnu, et qui, dans l’égarement universel de la raison, a grande chance de rester inconnu, est un esprit d’une force rare, toujours, dans la pensée, et souvent dans l’expression, mais il est moins près de ces hommes profonds et sans égaux que d’un autre homme de leur temps, un autre observateur politique trop oublié et qu’il rappelle, ce Mallet-Dupan qui, lui aussi, préjugea la Révolution française dès son origine, et dont le préjugé eut parfois toute la justesse d’un jugement… L’auteur des Ruines est une espèce de Mallet-Dupan après la lettre, la terrible lettre de la Révolution !

2475. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VI. Jules Simon »

Ils ne tuèrent sous eux aucun système, et ils passèrent leur temps et leur jeunesse à faire sur la pensée et les systèmes des autres le petit travail critique que fait sur lui-même le pauvre enfant de Murillo dont je veux leur épargner le nom ! […] Elle a donc, il faut en convenir, toutes les conditions d’une popularité immense, car il est des temps pour niaiser, — a dit Pascal ; Pascal qui ne se doutait guère, quand il criait sa torture de sceptique, des citateurs qui devaient lui venir, et qui s’en serait allé à la Trappe, pour ne plus rien dire, s’il avait pu les deviner ! […] On a parlé beaucoup de signes du temps, en ces dernières années.

2476. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Chastel, Doisy, Mézières »

C’était le temps — on s’en souvient avec confusion — où l’Économie politique, cette grande fille niaise d’une mère madrée, la Philosophie, apportait, comme une fiancée, au monde charmé, dans un pli de ses théories, et l’abolition de la misère, et le droit au travail, et la richesse universelle, et toutes ces magnifiques inepties ouvragées si péniblement par la science, faux bijoux d’un écrin que nous avons enfin vidé ! […] Martin Doisy catholique, aussi à l’aise dans son sujet que les protestants le sont peu, par la raison naturelle que pour juger l’Église qui n’a jamais varié, il ne faut pas être devenu — si tard que cela ait été — l’ennemi de cette Église, Martin Doisy a montré par tous les développements de son ouvrage que la charité, qui a sauvé et nourri le monde, n’a pas concentré son action dans les premiers temps du christianisme. […] L’auteur de l’Assistance montre bien que les circonstances dans lesquelles vivaient les fidèles des premiers temps étaient des circonstances d’exception, et que la communauté, au sens chrétien, s’est perpétuée dans l’Église de Jésus-Christ là seulement où elle était réalisable, c’est-à-dire dans ces communautés religieuses, éternelles comme la religion elle-même, dont elles ne sont la plus grande force que parce qu’elles en sont la plus grande vertu.

2477. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Barthélemy Saint-Hilaire »

En effet, Barthélemy Saint-Hilaire, au lieu d’écrire l’histoire de Mahomet pour son compte particulier et pour le nôtre, ne nous fait que l’Histoire des Histoires qui ont été publiées sur Mahomet, en ces derniers temps. […] Et n’a-t-il pas fallu, et seulement en ces derniers temps, un voyant historique comme Thomas Carlyle, pour nous prouver que ce grand homme, qui n’a qu’une tache sur toute une gloire immense, fut, comme Mahomet, un être de la plus noble et de la plus profonde sincérité ? […] Quand on aperçoit Mahomet, au milieu des arabes grossiers et idolâtres du viie  siècle, il fait presque l’effet d’un patriarche des premiers temps, ce lent voyageur du désert qui conduit ses troupeaux comme un patriarche, et qui trafique des choses du commerce avec cette probité et cette prudence consommée qui séduisit Kadidja et qui l’avait fait nommer, bien jeune encore, parmi les tribus : « L’homme fidèle et sûr ! 

2478. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Vigny. Œuvres complètes. — Les Poèmes. »

Le temps n’a rien ôté à M. de Vigny, tout en lui apportant les choses nouvelles qui embaument en nous les choses mortes et qui nous consolent de leur perte. […] Et soyez sûr qu’il a conscience de ce privilège de jeunesse immortelle, qui ne révèle sa durée que par le temps qu’il faut aux choses humaines pour atteindre à leur perfection ; soyez-en sûr, car, aujourd’hui, dans le plein jour de ses Œuvres complètes, il a daté avec insouciance tous ses poèmes et s’est vanté très-haut de son droit d’aînesse dans la littérature du xixe  siècle. […] Qui ne connaît le sujet de ce poème unique, dans la littérature de ces temps, par sa céleste simplicité ?

2479. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Feuillet de Gonches »

C’est un livre très réfléchi sous prétexte d’enfantillages, très littéraire, de très scélérate naïveté, qui peut être lu en tous temps et goûté de ces autres enfants qui n’ont pas les yeux si beaux et qui sont des hommes. […] Feuillet de Conches, le chef du protocole au ministère des affaires étrangères, un homme très grave et très officiel, donne cette petite leçon aux puritains de la gravité et de l’étiquette de se permettre un livre émerveillant de merveilleux, comme dirait Rabelais, pour l’instant aussi son père et son compère, un livre vermillonné et émerillonné comme pas un des livres les plus colorés de ce temps. […] L’étude et le temps ont leur devenir.

2480. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre V. Des Grecs, et de leurs éloges funèbres en l’honneur des guerriers morts dans les combats. »

Je me représente un père dans ces anciens temps et chez ce peuple singulier, voulant animer son fils, et le promenant à travers les rues d’Athènes : « Vois-tu, lui dit-il, ces deux statues ? […] Ce général exhortant les troupes, et distingué des neuf autres, c’est Miltiade : il a sauvé la Grèce ; mais aussi il a obtenu ce prix de sa victoire. » — Peut-être dans le temps même qu’ils parlent, ils voient un Grec qui regardait ce même tableau en rêvant profondément. […] En donnant leur vie pour l’État, ils ont mérité la plus honorable des sépultures : je ne parle pas de celle où reposent leurs ossements, la gloire des grands hommes n’est pas renfermée sous le marbre qui les couvre : la terre entière est leur mausolée ; leur nom vit dans toutes les âmes : c’est là que leur mémoire habite éternellement, au lieu que les tombeaux élevés de la main des hommes sont détruits par le temps.

2481. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre III. Ben Jonson. » pp. 98-162

Peu d’écrivains ont travaillé plus consciencieusement et davantage ; son savoir était énorme, et dans ce temps des grands érudits, il fut un des meilleurs humanistes de son temps, aussi profond que minutieux et complet, ayant étudié les moindres détails et compris le véritable esprit de la vie antique. […] Chez aucun écrivain du temps, ce don ne manque ; ils n’ont point peur des mots vrais, des détails choquants et frappants d’alcôve et de médecine ; la pruderie de l’Angleterre moderne et la délicatesse de la France monarchique ne viennent point voiler les nudités de leurs figures ou atténuer le coloris de leurs tableaux. […] Il observe presque exactement l’unité de temps et de lieu. […] C’est ainsi qu’il se délasse de la satire militante et meurtrière ; le divertissement est approprié aux mœurs du temps, excellent pour attirer des hommes qui regardent la pendaison comme une bonne plaisanterie et rient en voyant couper les oreilles des puritains. […] Mais il se relève d’un autre côté ; car il est poëte ; presque tous les écrivains, les prosateurs, les prédicateurs eux-mêmes le sont en ce temps-là.

2482. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — Note »

D’ailleurs ce n’est pas vous, qui comprenez si bien la pensée de toutes choses, qui pouvez être un mauvais juge de la mienne. »  Vers ces premiers temps de notre connaissance, qui coïncidait avec l’entrée de George Sand à la Revue des Deux-Mondes, les directeur et propriétaires de cette Revue réunirent les principaux de leurs rédacteurs ou amis à un dîner chez Lointier, rue Richelieu.  […] Le lendemain j’avais précisément rendez-vous le soir chez George Sand pour lui lire quelques chapitres du roman que je faisais alors (Volupté) : elle devait elle-même me lire des pages de Lélia qu’elle écrivait dans le même temps. […] « Prévenez-le, je vous prie, de mon extérieur sec et froid, de la paresse insurmontable et de l’ignorance honteuse qui me rendent silencieuse la plupart du temps, afin qu’il ne prenne pas pour de l’impertinence ce qui est chez moi une habitude, un travers, mais non pas une malveillante intention. […] Je voulais vous en parler longuement et, dans l’intention de profiter de vos conseils, vous adresser quelques questions littéraires et philosophiques ; mais je n’en ai pas pu trouver le temps, et je ne l’ai pas encore. […] Donnez-moi votre avis tandis qu’il est temps encore de faire des corrections.

2483. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN DERNIER MOT sur BENJAMIN CONSTANT. » pp. 275-299

Il est très-permis alors de pénétrer dans les coulisses de cette scène où l’acteur tout le premier vous a introduit, et de lire, s’il se peut, avec l’impartialité du moraliste, sous le masque, de tout temps très-mal attaché, de celui que la popularité proclama un grand citoyen, et qui fut seulement un esprit supérieur et fin, uni à un caractère faible et à une sensibilité maladive. […] De très-bonne heure, à Brunswick et depuis, on peut remarquer que l’émotion et le malin plaisir de sa sensibilité consistaient à se partager, à se jeter dans des complications trop réelles, dont les embarras, les tiraillements et les déchirements même ravivaient pour lui l’ennui de l’existence ; il affectionna en un mot, de tout temps, cette situation entre les trois déesses, comme la définissait très-heureusement madame de Charrière. […] J’ai donc attendu d’être fixé pour quelque temps. […] Tout cela compose une situation beaucoup plus douce qu’il ne semble qu’on ait le droit de l’avoir dans le temps où nous vivons. […] Quand je passerai quelque temps de suite à Gottingue, ce que je compte faire à la fin de l’automne, j’espère le voir beaucoup.

2484. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — II. » pp. 195-213

C’est que La Blancherie, ce jeune sage, cet ami de Greuze, avec ses vers, ses projets, ses conseils de morale aux pères et mères de famille, représentait précisément dans sa fleur le lieu commun du romanesque philosophique et sentimental de ce temps-là ; or le romanesque, près d’un cœur de jeune fille, fût-elle destinée à devenir Mme Roland, a une première fois au moins, et sous une certaine forme, bien des chances de réussir. […] La sœur aînée de Sophie, Henriette, vient passer quelque temps à Paris et entre en tiers dans l’intimité ; sa vivacité d’imagination et son brillant d’humeur font un peu tort à la langueur de sa douce cadette ; du moins on se partage. […] Le temps seul fait les parts nettes et sûres : il les fait au sein même de l’écrivain original, mais qui a trop obéi au goût de ses disciples, et qui s’est laissé aller aux excès applaudis. Dans ces pages que les yeux contemporains, atteints du même mal et épris de la même couleur jaunissante, admirent comme également belles, et qu’une sorte d’unanimité complaisante proclame, le temps, d’une aile humide, flétrit vite ce qui doit passer, et laisse, au plein milieu des objets décrits, de grandes plaques injurieuses qui font mieux ressortir l’inaltérable du petit nombre des couleurs légitimes et respectées. […] Son père était artiste et graveur ; elle travailla quelque temps à l’être.

2485. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre III. Montesquieu »

Mais, rencontrant souvent Rome sur son chemin, il n’a pas su résister à la tentation : il s’est détourné pour un temps de son œuvre capitale, pour se donner le plaisir d’embrasser d’une seule vue toute la suite de l’histoire romaine. […] Il s’établit d’un saut dans son idée ; d’un saut, ensuite, il atteint une autre idée, sans retenir le contact de la première : sa réflexion n’est pas un acte continu, c’est une série d’actes isolés, dont chacun commence et détermine un effort, entre deux temps d’arrêt. […] Mais en ce temps-là, cela faisait lire l’ouvrage. […] Mais, sans la récente publication de quelques opuscules inédits, on ne verrait pas bien l’importance réelle de cette période scientifique de la vie de Montesquieu ; on ne se douterait pas de l’absolue domination possédée pendant un temps sur son intelligence, par l’esprit et les principes des sciences physiques et qu’une sorte de déterminisme naturaliste a précédé chez lui le mécanisme sociologique. […] Il a une ample information : il a lu, il a voyagé ; depuis les anciens Grecs jusqu’aux Suisses de son temps, depuis les sages Chinois jusqu’aux plus grossiers sauvages, tous les peuples fournissent des documents à son enquête.

2486. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VIII. La question de gout ce qui reste en dehors de la science » pp. 84-103

Considérons d’abord les œuvres littéraires dans le temps. […] Pour peu qu’on suive le développement de la poésie lyrique depuis le temps de Ronsard jusqu’à nos jours, on verra clairement qu’un genre, autant et plus que le génie d’un individu, passe par des phases d’éclat, de déclin, de renaissance, etc. […] Ô le bon temps de l’ancienne critique ! […] Il perdrait son temps à vouloir décider si la poésie épique est supérieure à la poésie lyrique. […] Comme on l’a dit30 : « A la longue et par un effet à peu près certain de justice distributive, les rangs se rétablissent, les suprématies usurpées se perdent, l’ombre et la lumière se répartissent avec une sorte d’équité finale entre les auteurs ; le temps, aidé de la raison qui n’abdique jamais complètement, remet chaque chose et chacun à sa place. » Il est certains procès qui sont pour la postérité définitivement vidés.

2487. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XI, les Suppliantes. »

Dans des temps où régnait la force, où tout étranger était un ennemi, tout être faible une proie, l’homme avait senti le besoin de se prémunir contre sa propre violence ; il avait bridé ses fureurs par des freins sacrés. […] C’est vers cet Olympe hospitalier que Danaos pousse l’essaim craintif de ses filles ; chacune tient à la main un rameau cueilli aux oliviers du coteau. — « Un autel est plus sûr qu’une tour, leur dit-il, et protège mieux qu’aucun bouclier. » — Il n’est que temps de s’abriter derrière ce rempart ; une troupe de guerriers, montés sur des chars, s’est élancée des portes d’Argos. […] Ce n’est point ainsi que s’habillent nos femmes d’Argos, ni d’aucune autre partie de l’Hellade. » — Ces vêtements orientaux effarouchent le monarque grec ; l’étrangeté du costume, dans les temps antiques, était presque une hostilité. […] Que le cruel Arès, destructeur des mortels, ne tranche pas cette fleur avant le temps ! […] Une piraterie effrénée battait la mer Égée, dans ces temps antiques.

2488. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame Geoffrin. » pp. 309-329

Mme Geoffrin n’a rien écrit que quatre ou cinq lettres qu’on a publiées ; on cite d’elle quantité de mots justes et piquants ; mais ce ne serait pas assez pour la faire vivre : ce qui la caractérise en propre et lui mérite le souvenir de la postérité, c’est d’avoir eu le salon le plus complet, le mieux organisé et, si je puis dire, le mieux administré de son temps, le salon le mieux établi qu’il y ait eu en France depuis la fondation des salons, c’est-à-dire depuis l’hôtel Rambouillet. […] Maîtresse de maison, elle a l’œil à tout ; elle préside, elle gronde pourtant, mais d’une gronderie qui n’est qu’à elle ; elle veut qu’on se taise à temps, elle fait la police de son salon. […] Est-ce donc bien prendre son temps pour les mépriser que de choisir précisément l’instant où on les élève, où on les attendrit et où on les rend meilleurs ? […] Je ne fais dans tout ceci qu’extraire et résumer les mémoires du temps. […] On a les lettres de Mme Geoffrin écrites de Varsovie, elles sont charmantes ; elles coururent Paris, et ce n’était pas avoir bon air dans ce temps-là que de les ignorer.

2489. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Diderot. (Étude sur Diderot, par M. Bersot, 1851. — Œuvres choisies de Diderot, avec Notice, par M. Génin, 1847.) » pp. 293-313

J’avais en une journée cent physionomies diverses, selon la chose dont j’étais affecté : j’étais serein, triste, rêveur, tendre, violent, passionné, enthousiaste ; mais je ne fus jamais tel que vous me voyez là… » Et il ajoute, car il nous importe dès l’abord de le bien voir : « J’avais un grand front, des yeux très vifs, d’assez grands traits, la tête tout à fait d’un ancien orateur, une bonhomie qui touchait de bien près à la bêtise, à la rusticité des anciens temps. » Représentons-nous donc Diderot tel qu’il était en effet, selon le témoignage unanime de tous ses contemporains, et non tel que l’ont fait les artistes ses amis, Michel Van Loo et Greuze, qui l’ont plus ou moins manqué, à ce point que la gravure d’après ce dernier le faisait ressembler à Marmontel : « Son front large, découvert et mollement arrondi, portait, nous dit Meister, l’empreinte imposante d’un esprit vaste, lumineux et fécond. » On ajoute que Lavater crut y reconnaître des traces d’un caractère timide, peu entreprenant ; et il y a lieu de remarquer en effet qu’avec l’esprit hardi, Diderot avait le ressort de conduite et d’action un peu faible. […] Si l’Encyclopédie fut l’œuvre sociale et principale de Diderot en son temps et à son heure, sa principale gloire à nos yeux aujourd’hui est d’avoir été le créateur de la critique émue, empressée et éloquente : c’est par ce côté qu’il survit et qu’il nous doit être à jamais cher à nous tous, journalistes et improvisateurs sur tous sujets. […] Il excellait à prendre pour un temps et à volonté cet esprit d’autrui, à s’en inspirer et souvent mieux que cet autre n’avait fait lui-même, à s’en échauffer non seulement de tête, mais de cœur ; et alors il était le grand journaliste moderne, l’Homère du genre, intelligent, chaleureux, expansif, éloquent, jamais chez lui, toujours chez les autres, ou, si c’était chez lui et au sein de sa propre idée qu’il les recevait, le plus ouvert alors, le plus hospitalier des esprits, le plus ami de tous et de toute chose, et donnant à tout son monde, tant lecteurs qu’auteurs ou artistes, non pas une leçon, mais une fête. […] Il a dit quelque part des pastels de La Tour, « qu’il suffirait d’un coup de l’aile du Temps pour en enlever la poussière », et pour faire que l’artiste ne fût plus qu’un nom. […] Dis-nous combien de ce temps as-tu laissé ravir par un créancier, par une maîtresse, par un patron, par un client… Combien de gens n’ont-ils pas mis ta vie au pillage, quand, toi, tu ne sentais même pas ce que tu perdais !

2490. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Essai sur Amyot, par M. A. de Blignières. (1 vol. — 1851.) » pp. 450-470

En procès avec son chapitre, menacé et insulté, le pistolet au poing, par cet odieux cordelier ligueur, maître Trahy, et par ses paroissiens, placé entre les crimes de Blois et les avanies d’Auxerre, il put faire la différence des grands hommes de Plutarque aux misères et au fanatisme de son temps. […] Parquoi Numa, pensant bien que ce n’étoit pas petite ne légère entreprise que de vouloir adoucir et ranger à vie pacifique un peuple si haut à la main, si fier et si farouche, il se servit de l’aide des dieux, amollissant petit à petit et attiédissant cette fierté de courage et cette ardeur de combattre, par sacrifices, fêtes, danses et processions ordinaires que il célébroit lui-même… Et plus loin, marquant que, durant le règne de Numa, le temple de Janus, qui ne s’ouvrait qu’en temps de guerre, ne fut jamais ouvert une seule journée, mais qu’il demeura fermé continuellement l’espace de quarante-trois ans entiers : Tant étoient, dit-il, toutes occasions de guerre et partout éteintes et amorties : à cause que, non seulement à Rome, le peuple se trouva amolli et adouci par l’exemple de la justice, clémence et bonté du roi, mais aussi aux villes d’alenviron commença une merveilleuse mutation de mœurs, ne plus ne moins que si c’eût été quelque douce haleine d’un vent salubre et gracieux qui leur eût soufflé du côté de Rome pour les rafraîchir : et se coula tout doucement ès cœurs des hommes un désir de vivre en paix, de labourer la terre, d’élever des enfants en repos et tranquillité, et de servir et honorer les dieux : de manière que par toute l’Italie n’y avoit que fêtes, jeux, sacrifices et banquets. […] Dès le temps de Montaigne, quelques lecteurs plus difficiles relevaient les fautes d’Amyot. […] C’est l’effet de tout style vieilli de paraître naïf et enfant ; et Amyot, de son temps et dans sa nouveauté, ne paraissait pas tout à fait tel à cet égard que nous le sentons aujourd’hui. […] Plutarque, comme saint Augustin, a les défauts de son temps : ce qui n’empêche pas son originalité et sa générosité propres.

2491. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

Son grand souci cependant était de se procurer des livres et de se ménager du temps pour les lire, tout en faisant exactement son travail. […] Tandis que ses compagnons étaient hors de l’imprimerie pour prendre leur repas, il y faisait vite le sien qu’il préparait frugalement de ses mains, et il lisait le reste du temps, se formant à l’arithmétique, aux premiers éléments de géométrie, lisant surtout Locke sur L’Entendement humain, et L’Art de penser de Messieurs de Port-Royal. […] Une des erreurs, un des errata de sa vie, c’est que, dans les premiers temps de son séjour à Londres, il écrit une seule lettre à cette jeune et digne personne, et pour lui annoncer qu’il n’est pas probable qu’il retournera à Philadelphie de sitôt : il résulta de cette indifférence que la jeune fille, sollicitée par sa mère, se maria à un autre homme, fut d’abord très malheureuse, et que Franklin ne l’épousa que quelques années plus tard, lorsqu’on eut fait rompre ce premier mariage et qu’elle eut recouvré sa liberté. […] Ç’a été de voir que, dans le temps où il était décidément esprit fort, il a manqué à la fidélité d’un dépôt, et que deux ou trois autres libres penseurs de sa connaissance se sont permis des torts d’argent ou de droiture à son égard : « Je commençai à soupçonner, dit-il, que cette doctrine, bien qu’elle pût être vraie, n’était pas très profitable. » Il revient donc à la religion elle-même par l’utilité. […] Pour peu que vous aimiez la vie, ne gaspillez pas le temps, car c’est l’étoffe dont la vie est faite.

2492. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — I. » pp. 329-349

On raconte que, dès ce temps-là, il recherchait les productions littéraires nouvelles, et qu’il s’essayait même à la composition ; il avait une finesse singulière pour saisir certains travers de société, et il avait fait quelques petites comédies qui sont restées en portefeuille. […] Un des meilleurs témoins de ce temps-là, Mme Du Deffand, dont M. et Mme Necker firent la connaissance. en 1773, nous les a peints, la femme et le mari, et surtout le dernier, d’une façon vraie et qui ne laisse rien à désirer au point de vue de la société : « Ils ont voulu me connaître, dit-elle, parce qu’on m’a donné auprès d’eux la réputation d’un bel esprit qui n’aime point les beaux esprits ; cela leur paraît une rareté digne de curiosité. » Elle se reproche d’abord d’avoir cédé à leur désir, puis bientôt, quand elle a connu M.  […] Ce trait distinctif lui est commun avec les hommes distingués qu’on a compris sous le nom de doctrinaires, et qui ont essayé, en leur temps, de donner une nouvelle façon, un nouveau pli à l’esprit français. […] Necker y rappelait en style peu pratique quelques vérités d’expérience ; on a remarqué depuis qu’il y parlait de la propriété et des propriétaires un peu légèrement, et qu’il y présentait ceux qui vivent de leur travail ou les prolétaires comme étant toujours la proie des premiers : « Ce sont, disait-il, des lions et des animaux sans défense qui vivent ensemble ; on ne peut augmenter la part de ceux-ci qu’en trompant la vigilance des autres et en ne leur laissant pas le temps de s’élancer. » M.  […] Necker, j’ai trouvé que c’était un casse-tête » ; et dont Voltaire écrivait dans le même temps : « Vous qui parlez, avez-vous lu le livre de Necker, et si vous l’avez lu, l’avez-vous entendu tout courant ? 

2493. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre sixième. Genèse et action des idées de réalité en soi, d’absolu, d’infini et de perfection »

Il y a donc en nous une pensée qui, élevée au-dessus de tous les temps, voit mes états de conscience dans ce qu’ils sont, dans ce qu’ils ont été, dans ce qu’ils doivent être144. — La conscience intellectuelle, la pensée pure, quoique numériquement identique à la conscience sensible, et n’ayant pas par elle-même de contenu particulier, en diffère en ce qu’elle convertit de simples états subjectifs en faits et en êtres qui existent en eux-mêmes et pour tous les esprits : elle est la conscience, non des choses, mais de la vérité ou de l’existence des choses. […] Par exemple, on dit que l’espace est infini, que le temps est infini, que la série des nombres est infinie. […] La fin serait une conséquence différente tirée de principes semblables, ce qui est contradictoire. — Même déduction pour le temps. […] Il s’agit de savoir si cette possibilité constante de progrès que nous déduisons de la constante égalité « des raisons » (comme pour l’infini de l’espace et du temps), sans nous rendre réellement parfaits, ne suffit pas cependant à nous fournir l’idée de la perfection. […] La résistance ne se conçoit pas sans notre sensation, le temps ne se conçoit pas sans le sentiment interne que nous en donne le changement de nos états de conscience ; l’étendue même est avant tout un mode de représentation ; enfin le mouvement ne peut manquer d’en être un, puisqu’il se ramène aux éléments qui précèdent et, en définitive, à un certain ordre temporel et spatial de nos sensations.

2494. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre VI. Le beau serviteur du vrai »

Homère était le géographe et l’historien de son temps, Moïse le législateur du sien, Juvénal le juge du sien, Dante le théologien du sien, Shakespeare le moraliste du sien, Voltaire le philosophe du sien. […] Dans les temps antérieurs à l’histoire, là où la poésie est fabuleuse et légendaire, elle a une grandeur prométhéenne. […] Nous vivons dans un temps où l’on voit des orateurs louer la magnanimité des ours blancs et l’attendrissement des panthères. […] Ces hommes-là, sous la pression des pouvoirs et des préjugés de leur temps, parlent à double sens. […] Mais quand c’est un poëte qui parle, un poëte en pleine liberté, riche, heureux, prospère jusqu’à être inviolable, on s’attend à un enseignement net, franc, salubre ; on ne peut croire qu’il puisse venir d’un tel homme quoi que ce soit qui ressemble à une désertion de la conscience ; et c’est avec la rougeur au front qu’on lit ceci : « Ici-bas, en temps de paix, que chacun balaye devant sa porte. « En guerre, si l’on est vaincu, que l’on s’accommode avec la troupe. » — … — « Que l’on mette en croix chaque enthousiaste à sa trentième année.

2495. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre v »

Le cri est superbe et emmène notre imagination vers les vieux temps bibliques et l’épopée des Macchabées. […] Mon Dieu, c’est le Temps, le Temps très bon et très puissant. » Enfin, à la veille de sa mort, cette belle page :‌ J’ai été purement stoïcien entre quinze et dix-sept ans ; j’avais alors Marc-Aurèle constamment sur ma table et je me grisais à froid d’Epictète… Depuis la guerre, j’ai dépassé et abandonné la doctrine stoïcienne ; je n’avais plus besoin de cet échafaudage, je l’ai mis à bas. […] J’aimerais avoir sur l’activité guerrière des israélites d’Algérie des précisions que je n’ai pu me procurer… ‌ Quelqu’un d’autorisé à parler en leurs noms m’écrit :‌ « Ils servent, pour la plupart, dans les zouaves et s’y trouvaient (jusqu’à ces derniers temps) dans la proportion d’un quart. […] Et je veux vous le dire aussi, le Dieu infiniment puissant et miséricordieux, dans lequel nous croyons tous, quoique différents de religion, dans lequel votre fils croyait (il me l’a dit), a pris auprès de lui, je l’espère, l’âme droite et loyale, qui s’est sacrifiée pour le devoir, et il l’a prise pour l’immortalité… J’ai prié du fond de mon cœur hier, aujourd’hui, ce Dieu de miséricorde, de recevoir votre fils auprès de lui, et de vous réunir à lui, quand le temps sera venu pour une réunion éternelle et heureuse… Puisse cette parole d’un ministre de Dieu, non pas calmer votre douleur, mais vous apporter l’espérance, soutenir votre courage, vous aider à supporter le sacrifice.

2496. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Deuxième partie. — L’école critique » pp. 187-250

Nous avons supposé que ces deux champions du sentiment et du dogme n’étaient pas morts avec leurs contemporains du temps de Molière, et qu’ils avaient traversé tout le dix-huitième siècle pour venir jusqu’à nous. […] Du temps de Molière, il jurait par Aristote. […] En ce temps-là, pour M.  […] Il vous répondrait qu’il faut lui laisser le temps de la réflexion ; que sa sensibilité a pu être surprise ; que son jugement reprendra sa ferme assiette et son équilibre, lorsque ses premières impressions trompeuses seront effacées. […] Elle se souvient du temps où elle n’avait pas de goût pour Molière, où les farces vulgaires qui plaisent toujours si fort au Marquis, la charmaient mille fois plus que L’École des femmes.

2497. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (2e partie) » pp. 81-159

Alquier reçut contre moi les mêmes ordres que son prédécesseur, mais ils n’eurent pas plus de succès pendant un certain temps. […] Il me sera permis de dire seulement que ce ne fut pas sans des pleurs réciproques et que, dans la suite des temps, le Saint-Père ne démentit jamais son immense bienveillance envers moi. […] Ils restèrent tout ce temps dans une ignorance parfaite de l’impression produite par leur abstention sur l’esprit de l’empereur ; car, ainsi que je l’ai raconté, ils ne quittèrent pas leurs appartements, et personne n’osa les visiter. […] Cette ignorance exigeait, répétais-je sans cesse, une perte de temps considérable pour arranger les termes avec eux. […] Très peu de temps après, nous reçûmes une lettre du ministre des cultes annonçant que nous avions 250 francs par mois pour notre subsistance.

2498. (1906) L’anticléricalisme pp. 2-381

C’est le gouvernement de Genève en son temps glorieux. […] Les temps n’étaient pas venus. […] Mais le temps n’était pas venu. […] Dans le même temps, M.  […] Ce sont les circenses de notre temps.

2499. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 novembre 1885. »

Pour Wagner, c’est le génie de sensualité et de perdition, la séductrice de tous les temps. […] Pour tous ceux qui considèrent l’œuvre comme un agrégat naturel, dont l’origine et les propriétés, pareilles à celles d’une fleur ou d’un cristal, sont soumises aux conditions de force, de temps et d’espace qui régissent tout mode de la matière, cette sorte de critique est la seule légitime. […] L’argument métaphysique par lequel on établit que toute éthique et que toute esthétique se basent sur la suppression des conceptions du Temps et de l’Espace, c’est-à-dire sur la Négation, peut être résumé ainsi : la conception de la pluralité est liée à celle de l’Espace et à celle du Temps, lesquelles sont intuitives. […] Mais nous possédons une conscience du moi qui est indépendante de toute conception de temps et d’espace, voilà donc la chose en soi. […] Il présente Wagner comme un initié à l’instar de Bouddha, Jésus ou Socrate et il voit dans ses œuvres, particulièrement dans Tristan, un parcours initiatique qui fait entrer le spectateur au cœur de nouveaux mystères comme en leur temps ceux d’Eleusis.

2500. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre V. Le souvenir du présent et la fausse reconnaissance »

Si, à ce dernier moment, l’impression première nous revient, elle nous fait l’effet d’un souvenir vague, non localisable dans le temps, et nous avons la fausse reconnaissance. […] Il se fabriquait déjà en temps normal ; mais il était empêché de paraître, au moment où il l’aurait voulu, par un de ces mécanismes antagonistes, constamment agissants, qui assurent l’attention à la vie. […] Notre existence actuelle, au fur et à mesure qu’elle se déroule dans le temps, se double ainsi d’une existence virtuelle, d’une image en miroir. […] Et pourtant nous savons bien qu’on ne vit pas deux fois le même moment d’une histoire, et que le temps ne remonte pas son cours. […] Le terme de l’opération nous apparaît aussitôt, et, pendant tout le temps que nous agissons, nous avons moins conscience de nos états successifs que d’un écart décroissant entre la position actuelle et le terme dont nous nous rapprochons.

2501. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Souvenirs et correspondance tirés des papiers de Mme Récamier » pp. 303-319

Quoi qu’il en soit, l’impression que laisse la lecture parallèle de ces lettres de M. de Montmorency et de M. de Chateaubriand est toute favorable au premier ; sa belle et bénigne figure ressort à nos yeux par le contraste ; et dans les générations modernes, ceux qui auront quelque souci encore de ces choses pourront dorénavant se faire une idée de ce dernier homme de bien des grandes races, de ce dernier des prud’hommes (comme on disait du temps de saint Louis), dont la renommée de vertu avait été jusqu’ici renfermée dans un cercle aristocratique tout exclusif. […] C’était donc un homme d’esprit, mais qui, à première vue, payait peu de sa personne : un peu bègue, très myope, toujours questionnant comme s’il n’était pas au fait, il lui fallait quelque temps avant d’être apprécié à sa valeur. […] Il ne cessa, dans aucun temps, d’être pour Mme Récamier un ami fidèle, constant, attaché, non exigeant, se plaignant à peine d’être rejeté au second ou au troisième plan (car il y avait une hiérarchie marquée dans ce monde d’amis), mais prouvant par la délicatesse et la suite de son affection qu’il eût été digne d’être mieux traité, d’être avancé au moins d’un cran. « Il n’y a de doux, de consolant, et je dirais même d’honorable, lui écrivait-il après trente années de liaison, que la suite et la persévérance des sentiments. […] Mme Récamier, le voyant, depuis sa rentrée aux affaires et son triomphe de la guerre d’Espagne, plus ardent, plus exalté et enivré que jamais, moins maniable probablement dans l’intimité, prit le parti d’aller à Rome, sur la fin de 1823 : dans son système d’amitié constante, mais d’amitié pure et non orageuse, elle jugea prudent, à cette heure critique, de s’éloigner pendant un certain temps, et de lui laisser jeter, avec ses fumées de victoire, ses derniers feux, — Mme Cornuel aurait dit, sa dernière gourme de jeunesse62.

2502. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Le général Joubert. Extraits de sa correspondance inédite. — Étude sur sa vie, par M. Edmond Chevrier. — I » pp. 146-160

— Élevons-nous d’un degré : Combien faut-il de Vauvenargues, d’André Chénier, de Barnave, pour arriver au philosophe, au poète puissant et complet, à l’orateur homme d’État, qui domine son temps, qui fait époque et qui règne ? […] Il n’en demeura pas moins découragé pour un temps et dégoûté, dans les intervalles, du moins, où l’on ne se battait pas ; il écrivait à son premier chef, le général Cervoni, sous qui il avait servi dès son arrivée à l’armée, et qui, lui-même, paraît avoir essuyé à ce moment une mortification ; car il avait quitté les camarades sans faire d’adieux et s’en était allé à Menton : (Août 1795. […] Dans une république, on n’est général qu’un temps. […] ) Nous souffrons tous les maux, couchés sur la paille, buvant de l’eau, très souvent réduits à 12 ou 14 onces de pain rempli de pierres et noir comme du temps de Robespierre.

2503. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 44-63

Moi aussi j’ai visité Rome vers ce même temps, une année après M.  […] parce qu’un homme de bon esprit, étudiant les sciences, méditant sur les faits naturels, sur les lois qui les régissent, sur les origines mystérieuses et les transformations qui s’y opèrent, ne peut arriver à concevoir l’idée de Création proprement dite, et qu’il accepte plus volontiers l’idée d’une succession continue, avant comme après, pendant un temps infini, — cet homme qui, en raison de cette conception qui lui paraît la plus probable, ne peut avoir les mêmes idées que vous sur la Genèse et l’origine du monde ; — vous qui n’avez nulle idée des sciences proprement dites ni de leurs méthodes, ni de leurs résultats, ni de leur progrès continuel et croissant, vous l’insulterez pour ce fait seul, — lui qui est d’ailleurs un savant de mérite, un honnête homme, un sage ! […] La Bruyère a dû être pour un temps son livre de chevet. […] Il est temps enfin d’en venir au journaliste en M. 

2504. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. » pp. 31-51

Que faisait donc pendant tout ce temps M.  […] On se le demandait, et bientôt on sut qu’en artiste ironique et fier, qui prétend ne pas dépendre du public ni de son propre succès, résistant à tout conseil et à toute insinuation, opiniâtre et inflexible, il laissait de côté pour un temps le roman moderne où il avait, une première fois, presque excellé, et qu’il se transportait ailleurs avec ses goûts, ses prédilections, ses ambitions secrètes ; voyageur en Orient, il voulait revoir quelques-unes des contrées qu’il avait traversées et les étudier de nouveau pour les mieux peindre ; antiquaire, il s’éprenait d’une civilisation perdue, anéantie, et ne visait à rien moins qu’à la ressusciter, à la recréer tout entière. […] Il y vit une occasion toute naturelle et nécessaire de ressusciter Carthage et ses ruines si abattues depuis le temps de Marius. […] Mais un Gaulois présent, et qui, comme tous les Gaulois et les zouaves de tous les temps, est un peu loustic et ne voit partout que prétexte à la gaudriole, se met à plaisanter en langage de son pays.

2505. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Souvenirs d’un diplomate. La Pologne (1811-1813), par le baron Bignon. »

C’est vers ce temps que le roi de Saxe, devenu grand-duc de Varsovie, crut devoir envoyer à Paris une députation de trois sénateurs du duché, pour présenter à l’Empereur l’expression renouvelée de sa reconnaissance et de celle de la nation polonaise. […] Quelque temps après, ayant eu affaire, pour une sœur compromise du baron de Stein, à Fouché, ministre de la police, il eut à se louer de lui. […] Le nom de Fouché, autrefois révolutionnaire furieux (il disait de lui-même qu’il avait eu la fièvre dans ces temps-là), était devenu, sous le règne de Napoléon, celui d’un homme d’État et de génie. […] Pendant que M. de Senfft, à la veille de l’éclatant démenti de l’histoire, se montre ainsi à nous un peu la dupe des confidences de Fouché qui, évidemment (comme l’abbé de Pradt, et avec plus de malice), était entré dans ses vues, avait médit du pouvoir qu’il servait et ne s’était pas fait faute de gémir sur les folies du maître, il m’a paru curieux de citer une lettre de Napoléon adressée, vers ce temps, à son ministre de la police, et qui, dans sa sévérité encore indulgente, va droit au défaut de l’homme, rabat fort de cette haute idée trop complaisante et remet à son vrai point ce prétendu génie du duc d’Otrante, un génie avant tout d’ingérence audacieuse et d’intrigue.

2506. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre V. La Fontaine »

Il voyait si clair, le bonhomme, qu’il a été le premier à noter, dès 16G0, que le temps de la fantaisie était passé, que le temps de la vérité était venu dans la littérature. […] Il lui fallut le temps de se reconnaître : lentement, péniblement, il s’est mis en possession de son originalité, après avoir tâtonné et erré. […] Ils nous aident à comprendre aussi ce que l’unique et personnelle perfection des Fables nous dérobe : par où La Fontaine tient à la poésie légère de son temps.

2507. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Le symbolisme ésotérique » pp. 91-110

Ces derniers, malgré tout, ont respiré l’air contagieux du temps. […] Leur catholicisme farouche, violent et outré, pue l’hérésie à plein nez, et, s’ils eussent vécu au temps des papes Farnèse et Ghisléri, il n’eût pas été prudent de les envoyer faire un tour aux environs du Saint-Office. […] Il semblait avoir renoncé au monde et se nourrissait, comme un moine des temps anciens, d’extase, de solitude et de silence. […] Il fournit à l’homme le moyen de reculer à l’infini les bornes de la conscience et de la perception, de s’affranchir de l’espace et du temps, et de se réaliser dans l’unité en s’identifiant à Dieu.

2508. (1890) L’avenir de la science « XII »

Que de travaux d’ailleurs qui, bien que n’ayant aucune valeur absolue, ont eu, de leur temps, et par suite des préjugés établis, une sérieuse importance ! L’Apologie de Naudé pour les grands hommes faussement soupçonnés de magie ne nous apprend pas grand-chose et cependant put de son temps exercer une véritable influence. […] Qui songe maintenant à tel grammairien d’Alexandrie, illustre de son temps ? […] Je regarde pourtant comme à peu près perdu pour l’acquisition des données positives le temps qu’on donne à cette lecture.

2509. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Raphaël, pages de la vingtième année, par M. de Lamartine. » pp. 63-78

Raphaël est un livre d’amour écrit avec de prodigieux défauts, mais aussi avec des qualités rares, par la plume de ce temps-ci la plus riche, la plus abondante et la plus flexible. Les défauts qui y circulent, et qui souvent y débordent, sont précisément les défauts de notre temps, c’est-à-dire ceux auxquels les lecteurs ordinaires sont le moins sensibles, tellement que quelques-uns vont peut-être jusqu’à y être sensibles dans un sens inverse et à y voir des beautés. […] Il fut un temps où il choisissait. Dans cette admirable élégie du Lac, qui vaut mieux, à mon sens, que tout Raphaël, le poète ne prenait encore les objets que pour ce qu’ils étaient un peu indistinctement à ses yeux, pour les témoins confus, pour les confidents et les dépositaires de son bonheur : Ô lac, rochers muets, grottes, forêt obscure, Vous que le temps épargne ou qu’il peut rajeunir, Gardez de cette nuit, gardez, belle Nature,              Au moins le souvenir !

2510. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre troisième. L’idée-force du moi et son influence »

Le moi est prolongé par l’imagination dans un temps incertain, avec un ensemble d’activités également incertaines dans leurs effets, comme dans leur nature et dans leur degré de développement. […] Si, après tout, le moi individuel de demain, si le moi incertain de l’avenir est lui-même une « conception symbolique », un prolongement idéal de ma personne dans le temps, et si cependant il mérite bien d’être appelé moi en vertu de son lien avec le moi actuel, je puis aussi appeler moi la conception symbolique de ma personne en tant que prolongée dans autrui et fondue avec un ensemble de volontés qui poursuivent la même fin. […] Nous n’irons cependant pas jusqu’à dire avec un disciple de Kant, Riehl, que le moi intellectuel soit tout entier un produit des relations sociales, car ces relations ne peuvent que développer ce qui était déjà en germe dans les individus : le logique n’est pas tout entier de l’historique ; mais ce qui est vrai, c’est que Kant projette dans un monde de noumènes un complexus de tendances à la fois logiques et sympathiques, qui lui paraît ainsi une sorte de moi intemporel et rationnel, quand ce moi est au contraire le produit du temps, des relations sociales, enfin de cette sorte de quintessence d’actions et réactions collectives qu’on appelle le langage. […] Vous verrez dès lors s’organiser dans le cerveau une disposition linéaire des sensations, émotions, appétitions, le tout rangé en ordre selon les similitudes : c’est l’avenue du temps, la grande route de la vie.

2511. (1876) Du patriotisme littéraire pp. 1-25

De notre temps si la Prose s’altère sur quelques points, c’est pour s’enrichir par tant de conquêtes : rappelons-nous la comédie élargissant son domaine, le roman agrandi suscitant ses véritables chefs-d’œuvre, l’histoire faisant de son champ jadis étroit tout un monde d’explorations et de découvertes, la critique vraiment fondée et promue à la dignité d’un genre original où cinq à six hommes supérieurs ont véritablement créé, l’érudition réconciliée avec le beau style et devenue l’une des provinces de la haute littérature, la politique rendant parfois de mauvais services à la pureté de la langue, mais produisant aussi dans la presse et à la tribune d’admirables écrits de polémique et de non moins admirables discours, la philosophie et la religion enfin pour de nouveaux besoins et avec de nouveaux interprètes se créant aussi une langue nouvelle. […] Ce calcul me semble d’une rigoureuse exactitude : j’aimerais à développer, comme je l’ai fait pour la prose, la perpétuelle fécondité de notre muse plusieurs fois séculaire : mais le temps ne me permet d’insister que sur l’un des titres de notre poésie française, le plus contesté d’ailleurs, je veux parler du mécanisme de notre versification. […] Il est temps de réduire à néant ces redites qui ne s’appuient que sur l’ignorance des uns ou l’impuissance des autres. […] C’est que notre littérature du dix-neuvième siècle a sur ses aînées cet incontestable avantage d’être plus accessible à tous et plus aimante pour tous, d’exprimer des sentiments plus fraternels et des idées plus généreuses, de se révéler plus philanthropique et, quoi qu’on dise, plus chrétienne, de porter sur elle-même le double signe des temps nouveaux, l’amour et la justice !

2512. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 16, des pantomimes ou des acteurs qui joüoient sans parler » pp. 265-295

Ainsi depuis le temps de Pylade il y eut quatre recueils de gestes propres au théatre : l’ emmelie qui servoit à joüer la tragédie, le cordax qui servoit pour la comédie, le sicinis qui servoit pour la satyre, et l’ italique qui servoit pour les pieces executées par les pantomimes. […] Peut-être fut-ce du temps de Lucien même qu’il se forma des troupes complettes de pantomimes, et qu’ils commencerent à joüer des pieces suivies. […] Seneque le pere qui exerçoit une profession des plus graves qui fussent de son temps, confesse que son goût pour les représentations des pantomimes étoit une véritable passion. […] Depuis quelque temps, Neron avoit ôté cette garde pour paroître plus populaire.

2513. (1874) Premiers lundis. Tome I « Le vicomte d’Arlincourt : L’étrangère »

Il est vrai qu’il a vu, le matin, en passant près du fort de Karency, les croisées du donjon où vit la malheureuse Agnès de Méranie, épouse répudiée de Philippe Auguste, et qu’il soupire depuis ce temps sur Agnès, car il a conçu ses souffrances. […] Et, en effet, il y avait depuis quelque temps dans la contrée une femme mystérieuse, solitaire, vêtue de blanc, habitant une maison blanche : on l’appelait l’Étrangère.

2514. (1875) Premiers lundis. Tome III « Lafon-Labatut : Poésies »

Celui-ci avait eu, il paraît, une vie fort errante et orageuse : après avoir un instant brillé à Paris dans la jeunesse dorée du temps, il s’était engagé, avait fait la guerre et couru le monde, puis s’était marié à Messine ; là, un jour, regrettant la patrie et songeant aux moyens d’y revenir, il lui tomba entre les mains un des volumes des Troubadours, dans la préface duquel M.  […] Raynouard, nous dit le biographe, touché de tant d’infortunes et des grâces naïves du petit Sicilien, lui témoigna le plus vif intérêt, se plaisant à le faire babiller dans son idiome natal, auquel l’accent de sa voix enfantine prêtait encore plus de charme. » Après un temps de repos, les voyageurs partirentpour le Bugue, petite ville du Périgord, où était né le père qui bientôt y mourut.

2515. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Béranger, Pierre-Jean de (1780-1857) »

Ils sont venus à lui ; oui, tous, un peu plus tôt, un peu plus tard, ils sont venus reconnaître en sa personne l’esprit du temps, lui rendre foi et hommage, lui donner des gages éclatants… [Causeries du lundi (1852).] […] Leconte de Lisle Le génie de Béranger est à coup sur la plus complète des illusions innombrables de ce temps-ci, et celle à laquelle il tient le plus ; aussi ne sera-ce pas un des moindres étonnements de l’avenir, si toutefois l’avenir se préoccupe de questions littéraires, que ce curieux enthousiasme attendri qu’excitent ces odes-chansons qui ne sont ni des odes ni des chansons.

2516. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre X » pp. 83-88

Pendant ce temps-là, la société s’accrut de dix-neuf membres, et s’éleva à vingt-huit, y compris Boisrobert. […] Voltaire rapporte, d’après un écrit du temps, que mesdames de Rambouillet trouvaient le christianisme trop exalté dans Polyeucte ; et Voltaire approuve ce jugement.

2517. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 189-194

Si l’on veut juger des complimens de ce temps-là, en voici un échantillon. […] Non seulement Dorat peut être regardé comme le Pere commun des Poëtes de son temps ; il fut encore Poëte lui-même, & bon Poëte, si l’on en juge par quelques-uns de ses Vers Grecs & Latins qui le firent surnommer par ses contemporains, le Pindare Moderne ; car alors on ne louoit que par comparaison.

2518. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Préface »

Replacer les tragédies et les comédies grecques dans le milieu qui les a produites, éclaircir et élargir leur étude en l’étendant sur monde antique, par les aperçus qui s’y rattachent et les rapprochements qu’elle suggère, soulever le masque de chaque dieu et de chaque personnage entrant sur la scène pour décrire sa physionomie religieuse ou son caractère légendaire ; commenter les quatre grands poètes d’Athènes, non point seulement par la lettre, mais par l’esprit de leurs œuvres et par le génie de leur temps ; tel est le plan que je me suis tracé et que j’ai tâché de remplir. […] Il est temps de séparer, par le changement radical des noms, la mythologie plagiaire des peuples latins de la mythologie créatrice et originale des races helléniques.

2519. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Racan, et Marie de Jars de Gournai. » pp. 165-171

Elle écrivit dans la sienne mieux qu’aucune femme de son temps. […] Elle tenoit pour l’ancien temps, pour les compilations & les longs commentaires, pour la solitude & l’austère raison.

2520. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre VIII. Bossuet historien. »

Patriarche sous le palmier de Tophel, ministre à la cour de Babylone, prêtre à Memphis, législateur à Sparte, citoyen à Athènes et à Rome, il change de temps et de place à son gré ; il passe avec la rapidité et la majesté des siècles. […] « Ce fut après le déluge que parurent ces ravageurs de provinces que l’on a nommés conquérants, qui, poussés par la seule gloire du commandement, ont exterminé tant d’innocents… Depuis ce temps, l’ambition s’est jouée, sans aucune borne, de la vie des hommes ; ils en sont venus à ce point de s’entretuer sans se haïr : le comble de la gloire, et le plus beau de tous les arts a été de se tuer les uns les autres179. » Il est difficile de s’empêcher d’adorer une religion qui met une telle différence entre la morale d’un Bossuet et d’un Tacite.

2521. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 14, qu’il est même des sujets specialement propres à certains genres de poësie et de peinture. Du sujet propre à la tragedie » pp. 108-114

Oedipe ne seroit plus un principal personnage de tragedie, s’il avoit sçu dans le tems de son combat, qu’il tiroit l’épée contre son propre pere. […] On plaint la misere des hommes de ce tems-là qui ne pouvoient plus discerner la loi naturelle à travers les nuages dont les fausses religions l’enveloppoient.

2522. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 11, des ouvrages convenables aux gens de génie et de ceux qui contrefont la maniere des autres » pp. 122-127

Peu de temps avant la derniere année sainte, on voulut faire racommoder le plafond du salon de ce palais, qu’on appelle à Rome, le petit farnese. […] Tous ces tableaux qui représentent differens évenemens de l’histoire de Persée, sont à Gennes dans le palais du marquis Grillo, qui païa le faussaire mieux que les grands maîtres, dont il se faisoit le singe, n’avoient été païez dans leur temps.

2523. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre IV. De la morale poétique, et de l’origine des vertus vulgaires qui résultèrent de l’institution de la religion et des mariages » pp. 168-173

Cette puissance fut sans borne chez les nations les plus éclairées, telles que la grecque, chez les plus sages, telles que la romaine ; jusqu’aux temps de la plus haute civilisation, les pères y avaient le droit de faire périr leurs enfants nouveau-nés. C’est ce qui doit diminuer l’horreur que nous inspire, dans la douceur de nos temps modernes, la sévérité de Brutus, condamnant ses fils, et de Manlius faisant périr le sien pour avoir combattu et vaincu au mépris de ses ordres.

2524. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIIe entretien. Poésie lyrique. David (2e partie) » pp. 157-220

« Mon visage s’amaigrit de mes angoisses ; la multitude de mes douleurs vieillit avant le temps ma face. » Ici on ne sait quel esprit soudain de jubilation et d’innocence saisit tout à coup le poète et le malade. […] « Je me console en pensant aux jours d’autrefois, aux années du temps qui a coulé ! […] » Cette revue lyrique des temps écoulés et des prodiges accomplis le rend plus pieux et plus poète. […] Mais il a eu de plus un bonheur suprême, celui d’être adopté dans les temps les plus reculés pour le barde du temple, en sorte que, par un phénomène unique en lui, la poésie est devenue religion. […] Tout était silence et deuil autour de moi dans ce demi-jour, mais tout était aussi mémoire des temps écoulés.

2525. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIe entretien. Madame de Staël »

Necker était de verre ; on y attirait sans cesse les regards du public ; on y voyait, dans un temps de licence et de corruption des mœurs, des scènes un peu apprêtées de philosophie, de religion, de bienfaisance, d’amour conjugal, d’éducation maternelle, de culte filial. […] Il n’est pas étonnant que leur fille ait contracté dans cette société le vice du temps. […] Le temps s’y prêtait autant que la nature toute littéraire et toute politique de l’esprit des salons. […] Sa jeunesse, sa passion, ses enthousiasmes, ses liaisons avec les publicistes et les orateurs du temps lui avaient fait dépasser les opinions de son père. […] « Peu de temps après le 18 brumaire, il fut rapporté à Bonaparte que j’avais parlé dans ma société contre cette oppression naissante dont je pressentais les progrès aussi clairement que si l’avenir m’eût été révélé.

2526. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE IX »

Armand, qui a appris enfin le sinistre dévouement de Marguerite, arrive à temps pour recueillir son pardon dans son dernier soupir, et la toile tombe, comme un suaire, sur cette mort consolée. […] Il faut le dire, le temps a agi sur elle. […] Ceci dit, la pièce reste, en bien des endroits, une œuvre jeune et vivante, étincelante d’esprit et de larmes, détachée de toute convention, imprégnée, jusqu’à la moelle, des mœurs et de la vie de son temps. […] A peine l’artiste a-t-il le temps de fuir par une porte secrète, que le mari apparaît, grave, sérieux, glacé, poli, comme toujours. […] A peine a-t-on le temps d’entrevoir le mari, immobile et debout dans l’embrasure de la porte, et baissant d’un geste tranquille son pistolet qui fume encore.

2527. (1888) Études sur le XIXe siècle

Costa, ont dépensé beaucoup de temps et d’efforts à rechercher ses écrits inédits et les documents relatifs à sa biographie. […] Mais la simple présence de l’amour procure à l’homme plus de bonheur que les heureux n’en connurent aux meilleurs temps du monde. […] Je répondis que, quand le temps le permettait, je m’exerçai la main avec des couleurs à l’huile. […] Il les a racontées longuement, il leur a consacré plus d’un tiers de son volume, et avec quel enthousiasme il évoque ce temps lointain ! […] Agissons d’abord, il sera toujours temps de raisonner.

2528. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre II. De la rectification » pp. 33-65

Les deux ensemble forment alors une représentation complexe, à deux temps : dans ce composé, la seconde nie la première, sur un point ou sur un autre ; et l’altération ainsi produite varie en grandeur et diffère en nature, suivant l’espèce des deux représentations qui sont unies et en conflit. […] De même que, dans la perception extérieure, nous avons vu de simples fantômes internes être pris pour des objets externes, mais, par une adaptation admirable, correspondre à la présence de véritables objets externes ; de même, dans la mémoire, nous voyons de simples images actuelles être prises pour des sensations passées, mais, par un mécanisme aussi beau, correspondre à la présence antérieure de sensations véritables. — Ainsi, la première répression que subit l’image et qui enraye l’hallucination complète à laquelle naturellement cette image eût abouti, nous ouvre un nouveau monde, celui du temps et de la durée. […] D’où il suit que toute image, occupant un fragment du temps, possède deux bouts, l’un antérieur, plus voisin des événements précédents, l’autre postérieur, plus voisin des événements ultérieurs, le premier contigu au passé, le second contigu à l’avenir. […] Elle persiste en moi quelque temps et s’entoure de détails nouveaux. « Quand je l’ai vu, il était tête nue, en jaquette de travail, peignant, dans un atelier ; c’est un tel, telle rue. […] On voit maintenant pourquoi nos conceptions et imaginations ordinaires nous apparaissent comme telles et ne nous font pas illusion ; toutes sont comprises entre deux états extrêmes, et chacun de ces deux états renferme une particularité qui réprime l’illusion. — Ou bien, ce qui est le cas ordinaire, elles sont vagues et dépouillées de circonstances précises, en sorte que, déjà rejetées hors du présent par la contradiction des sensations présentes, elles manquent d’attaches pour s’emboîter dans le présent et dans l’avenir ; d’où il suit que, dépourvues de situation dans le temps, elles apparaissent comme exclues du temps, c’est-à-dire de la vie réelle, et sont déclarées sensations apparentes, fausses et purement imaginaires.

2529. (1892) Boileau « Chapitre V. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » (Fin) » pp. 121-155

Tout le Dialogue des héros de roman n’est aussi qu’une parodie, qui fait ressortir le contraste perpétuel des mœurs et de la Fable dans un certain nombre de romans et de tragédies du temps : Boileau n’admet pas qu’on représente la cour et la ville sous le costume romain ou persan. […] Boileau respecte le public, qui peut bien pour un temps être aveugle ou injuste, mais dont, en somme, la voix finit par être celle de la souveraine raison ; et nous avons vu quelle importance il attribuait au consentement universel, pour marquer les chefs-d’œuvre. […] Peut-être Boileau, en parlant ainsi, n’a-t-il point cédé seulement à la délicatesse mondaine et au goût trop poli de son temps. […] Il avait des procédés de traduction qui, sans affaiblir ou fausser, procuraient une sensation agréable aux hommes de ce temps-là. […] Boileau, qui faisait la théorie de leur génie, estimait aussi la conciliation possible entre le goût du temps, qu’il jugeait légitime, et le vrai caractère des choses, qu’il ne consentait pas à dénaturer.

2530. (1890) L’avenir de la science « VIII » p. 200

Pourquoi un des plus beaux génies des temps modernes, Herder, dans ce traité De la Poésie des Hébreux, où il a mis toute son âme, est-il si souvent inexact, faux, chimérique, si ce n’est pour n’avoir point appuyé d’une critique savante l’admirable sens esthétique dont il était doué ? […] Je ne crains pas d’exagérer en disant que la philologie, inséparablement liée à la critique, est un des éléments les plus essentiels de l’esprit moderne, que, sans la philologie, le monde moderne ne serait pas ce qu’il est, que la philologie constitue la grande différence entre le Moyen Âge et les temps modernes. […] Mais ils étaient plus critiques ; ils jouissaient du bénéfice du temps et des connaissances acquises ; ils profitaient des heureuses circonstances amenées par les événements. […] Dites donc que ceux qui auront contribué à cette œuvre immense, qui auront poli une des faces de ce diamant, qui auront enlevé une parcelle des scories qui voilent son éclat natif ne sont que des pédants, des oisifs, des esprits lourds qui perdent leur temps et qui, n’étant pas bons pour faire leur chemin dans le monde des vivants, se réfugient dans celui des momies et des nécropoles ! […] Comte, toutes les belles âmes convoleraient au suicide ; il ne vaudrait pas la peine de perdre son temps à faire aller une aussi insignifiante manivelle.

2531. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XII, les sept chefs devant Thèbes. »

Le temps les a mutilées par les deux bouts, de manière à en faire de sombres énigmes : on n’en a ni le premier ni le dernier mot. […] Ces sacrifices humains étaient fréquents en temps de siège, à ces hautes époques. […] Lui-même déclare qu’il ne doit parler « que quand il le faut et selon le temps ». […] Un sac de ville a été de tout temps le triomphe de la cruauté et l’orgie du mal. […] Mais le meurtre mutuel de deux frères, le temps passerait sur cette souillure sans jamais pouvoir l’effacer.

2532. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Sieyès. Étude sur Sieyès, par M. Edmond de Beauverger. 1851. » pp. 189-216

Mignet, qui de tout temps avait paru très frappé de ce génie original et systématique, l’a apprécié dans une équitable Notice. […] Sieyès, avant la fin de son cours d’études, fut amicalement invité à se retirer dans un autre établissement, et il alla terminer le temps voulu pour la licence de Sorbonne au séminaire de Saint-Firmin, dans le quartier Saint-Victor. […] À l’occasion de je ne sais quelle séance de comité à laquelle il assista vers ce temps de pleine anarchie, il écrivait pour lui, sur un bout de papier, ces notes inachevées, mais qui rendent au vif l’impression répulsive d’une noble intelligence à la vue de procédés si déshonorants pour une nation et pour l’esprit humain : Comité du 20 mars. — Paillasse (Chalier ?) […] » Dénoncé à la société des Jacobins peu de temps avant le 9 Thermidor, il aimait à raconter qu’il avait été sauvé par son cordonnier qui se leva et dit : « Ce Sieyès, je le connais, il ne s’occupe pas du tout de politique, il est toujours dans ses livres : c’est moi qui le chausse, et j’en réponds. » D’une stricte économie pour lui-même, il n’était pas aussi peu secourable que quelques personnes l’ont cru. […] [NdA] Remarquez comme Sieyès a compris, présagé tous les temps principaux de la Révolution, et les a marqués par des mots qui restent : À la veille de la convocation des États généraux, il demande : Qu’est-ce que le tiers état ?

2533. (1809) Quelques réflexions sur la tragédie de Wallstein et sur le théâtre allemand

Vers la fin de ce repas, il demande du vin à sa femme, qui, suivant les usages de ces temps, est à la fois la dame et la ménagère du château. […] L’unité de temps et de lieu, que j’ai voulu observer, quoique Schiller s’en fût écarté, suivant l’usage de son pays, m’a forcé à tout-bouleverser et à tout refondre. […] La même chose lui arrive lorsqu’on l’avertit du temps qui s’est écoulé d’un acte à l’autre. […] Mais ces choses mêmes, lorsque le temps anéantit leur utilité, reprennent une vie mystique. […] Le sort annoncé par les astres, les pressentiments, les songes, les présages, ces ombres de l’avenir qui planent autour de nous, souvent non moins funèbres que les ombres du passé, sont de tous les pays, de tous les temps, de toutes les croyances.

2534. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier après les funérailles »

Sa jeunesse donc essaya de tout, et risqua toutes les aventures, politique et sentimentale tour à tour, passant de la conspiration à l’idylle, de l’étude innocente et austère au délire romanesque, mais arrêtant, coupant le tout assez à temps pour n’en recueillir que l’émotion et n’en posséder que le rêve. […] Depuis que je vieillis, et qu’une femme, un ange, Souffre sans s’émouvoir que je baise son front ; Depuis que ces doux mots que l’amour seul échange Ne sont qu’un jeu pour elle et pour moi qu’un affront ; Depuis qu’avec langueur j’assiste à la veillée Qu’enchantent son langage et son rire vermeil, Et la rose de mai sur sa joue effeuillée, Je n’aime plus la vie et j’aime le Sommeil ; Le Sommeil, ce menteur au consolant mystère, Qui déjoue à son gré les vains succès du Temps, Et sur les cheveux blancs du vieillard solitaire Épand l’or du jeune âge et les fleurs du printemps. […] Ces idées, ces croyances du berceau et de la tombe, étaient de tout temps demeurées présentes à son imagination, à son cœur.

2535. (1874) Premiers lundis. Tome II « Alexis de Tocqueville. De la démocratie en Amérique. »

Les études sur les États-Unis d’Amérique se sont multipliées chez nous depuis ces derniers temps. […] Lorsque son livre de la Démocratie parut, j’en écrivis quelques mots d’éloge que je fis insérer dans le journal le Temps, dirigé alors par M.  […] « Je viens de lire, Monsieur, dans le journal le Temps d’hier, un article de vous dont il me tarde de vous remercier.

2536. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre IV. Unité et mouvement »

Cependant ce sont là des exemples pris de la littérature classique, et l’on ne trouvera point extraordinaire que, jusque dans leurs écarts apparents, les poètes du xviie  siècle aient, au fond, respecté les règles universellement admises en France de leur temps. […] Quand les idées se succéderont, nombreuses et pressées, ne restant devant les yeux que le temps justement nécessaire pour en être bien reconnues et cédant la place à l’instant qu’on les a saisies, le mouvement sera vif, et le discours sera bref ; si chacune d’elles, au contraire, est retenue en scène, tournée et retournée sous tous ses aspects, le mouvement sera lent et le discours sera ample. […] Au-delà, sont deux défauts, deux excès, soit qu’on se hâte trop sans laisser le temps au lecteur de remarquer suffisamment les objets qu’on lui présente, soit qu’on s’attarde à lui montrer ce qu’il a bien vu d’un coup d’œil, à lui détailler ce qui n’en vaut pas la peine, à lui expliquer ce qu’il connaît.

2537. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Édouard Rod »

» Et, si j’ai bien compris, il finit par se faire à lui-même cette réponse ou à peu près : « Si la vie a un sens, elle a celui que lui donnent les honnêtes gens et les braves gens, quels que soient, d’ailleurs, l’espèce et le degré de leur culture. » Seulement il a l’air de songer tout le temps : « Peut-être bien que la vie n’a pas de sens du tout. » Et c’est pourquoi son livre est triste, aussi triste, en vérité, que la Course à la mort. […] … Sans réflexion, sans calcul, poussé par sa nature et par l’esprit du temps, il s’est livré à ses séductions, dont il n’a pas vu le danger : c’est si facile, si doux, si distingué, de jouer avec les idées, de s’en caresser l’intelligence, d’en extraire l’essence, et, comme un riche répand sur ses mouchoirs un parfum dont le prix nourrirait des familles, d’en saupoudrer élégamment sa vie… Cependant, ces plaisirs s’émoussent comme toutes les ivresses : le Pharisien se fatigue à la fin des arcs-en-ciel qu’allument sur toutes choses les prismes de son esprit. […] Et je me figure que l’origine de ce mouvement, c’est, quoi qu’on en dise, cette curiosité même qui est la marque éminente de notre temps : car on arrive assez vite à reconnaître que la curiosité intellectuelle et sentimentale ne suffit pas pour vivre pleinement, et c’est là une constatation qui a des conséquences.

2538. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXII » pp. 222-236

Pendant ce temps-là (c’est-à-dire dans le mois d’août), une lettre adressée à a reine par la poste lui découvre l’intrigue du roi avec madame de Montespan, et accuse madame de Montausier de la favoriser. […] Selon lui, quelque temps après la scène que fît Montespan à madame de Montausier, « cette dame descendant, avec son écuyer et ses gens, un petit degré pour aller de chez elle chez la reine, elle trouva une femme assez mal mise qui l’arrêta, lui fit des reproches sanglants sur madame de Montespan, et lui parla même à l’oreille. […] La duchesse de Richelieu fut nommée dame d’honneur à la place de madame de Montausier, peu de temps après sa mort.

2539. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — La synthèse »

Mais ce groupe a réellement existé dans le temps ou dans l’espace ; il existe parfois encore ; il forme ou a formé un milieu particulier, sur lequel le plus souvent l’histoire ou le journal ajoutent des renseignements à ceux plus exacts et plus intimes que procure l’examen de leur centre de ralliement, l’œuvre ou l’ensemble d’œuvres, dans lesquelles ils se reconnaissent et se désignent. […] Taine reprend toute sa valeur et toute son importance ; elle est celle qu’il faut prendre pour tenter de recréer en pleine vie le groupe d’individus humains dont on aura déterminé grossièrement mais exactement le mécanisme interne par l’analyse de leurs admirations, et que l’on aura appris à considérer, non plus comme les producteurs premiers ni de l’œuvre qui les rallie, ni des œuvres de leur temps, mais au contraire comme des êtres faiblement semblables à l’auteur de ce qui les émeut, et fixés dans cette similitude par cette émotion même. […] Les contemporains, les auteurs de mémoires, les comiques et les moralistes du temps, les représentations graphiques, des tableaux aux caricatures, les mille faits épars de la vie de tous les jours, la reconstitution architecturale et géographique des lieux, des monuments et des villes, tous les départements de la vie publique, de la politique à la théologie, seront mis à contribution, fouillés en quête de détails typiques et significatifs ; ces notions sur le vêtement, la demeure, le séjour, sur les habitudes intimes et sociales, sur le type ethnique, sur les relations célestes et humaines, sur toute la vie en somme du groupe formé autour d’une œuvre ou autour d’une famille d’œuvres, groupe qui comprendra tantôt tout ce qui est notable d’une nation, tantôt toute une classe, tantôt enfin un nombre épars d’individus dont il faudra rechercher les points d’union, — seront dégagés, fondus ensemble, ordonnés, et plaqués enfin sur la sorte de squelette psychologique que l’on aura obtenu antérieurement par l’ordre de recherches que nous avons exposé au précèdent chapitré.

2540. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VIII. Mme Edgar Quinet »

… Et tel sera toujours le sort de tout homme qui osera écrire l’histoire de son temps, quand les faits, qui la font, saignent et brûlent encore. […] Un jour, avec l’emphase propre aux Quinet, mari et femme, ce bon ménage en tout, même en amphigouri, elle dit : « Mon mari vient d’écrire, sous les obus, sa Victoire morale » (c’est un article de journal), comme si on écrivait autrement que sous les obus dans ce temps-là, quand on écrivait à Paris ! […] « Le 24 janvier au soir (écrit-elle), l’horrible éventualité de la capitulation se présenta à notre esprit. » Mais plus tard, ni l’accablante capitulation, ni les derniers écrasements de nos pauvres armées ne l’empêchent, à la page 359, d’écrire cette froide réclame d’une plume sensée, qui sait que le fin et le contre-fin de tout est la réclame dans ce noble temps : « Lacroix vient d’emporter les manifestes d’Edgar Quinet pendant le bombardement.

2541. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XIII. Mme Swetchine »

Jusqu’à trente ans passés, elle eut à ses trousses trois professeurs allemands qui la bourraient de philosophie ; qui lui apprenaient, je ne sais en combien de temps, l’exercice… de l’intelligence. […] Voilà tout ce que le démon y peut gagner. » C’est elle qui a dit encore : « Il y a des temps où l’on croirait que le bon Dieu pêche à la ligne, et que le diable, lui, fait les coups de filet. » C’est la plaisanterie de Voltaire, mais retournée de l’autre côté ; ou plutôt ce n’est la plaisanterie de personne, c’est la plaisanterie de tout ce qui sait plaisanter et parler légèrement de choses graves, sans rien diminuer de leur gravité. […] Ni toute cette malheureuse et vaine littérature qu’elle avait d’abord absorbée avec une voracité d’engoulevent, dans le temps où elle avait ses trois professeurs allemands à la suite qui la chargeaient de notions inutiles ou de connaissances ridicules, comme on charge de poudre, à l’en faire crever, une pauvre pièce d’artillerie, ni le grand amour de Dieu qui l’atteignit plus tard, cette mâle passion des âmes fortifiées, ne purent lui faire perdre le sexe de ses facultés qui ne furent jamais, Dieu en soit béni !

2542. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « A. Grenier » pp. 263-276

Les professeurs de notre temps ont trop d’antiquité dans la tête pour ne pas se payer, en la vantant, de la peine de l’avoir étudiée. […] Parmi les journalistes de ce temps, où (malheureusement) la forme du journal s’impose à tous les écrivains, Grenier est, pour moi, sans conteste, un des premiers. […] « En ces temps heureux, — continue Grenier, — le commerce obligatoire avec les classiques me portait à un excès d’intolérance. » (Comme si on n’était pas toujours intolérant, quand on croit à la vérité !)

2543. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Abailard et Héloïse »

C’est que cette philosophie qui, au xixe  siècle, se réclame avec tant d’orgueil de Descartes et de son cogito, ergo sum, se sent des parentés certaines avec l’homme qui, clerc de l’Église de Dieu, introduisit le scepticisme là où l’Église avait mis ses sécurités sublimes, et déposé dans les esprits de son temps, comme dit Cousin : « le doute salutaire et provisoire qui préparait l’esprit à des solutions meilleures » que celles de la Foi. […] D’un côté, vous avez un fat de quarante ans, un bellâtre gauche et impudent, une de ces âmes comme celle de Rousseau, coquinement honnêtes, qui se passionnent d’esprit pour le bien et de volonté pour le mal ; et de l’autre vous avez un bas-bleu du xiie  siècle, froide de cœur comme toutes ces folles Ménades de la gloire qui l’appellent « un deuil éclatant du bonheur », et qui s’est, comme on dit vulgairement, monté la tête, non pour l’homme tel qu’il soit, mais pour le professeur le plus renommé de son temps. […] Cette païenne qui a toujours répugné au mariage parce qu’elle n’a jamais senti en elle que l’amour des courtisanes lettrées de la Grèce, cette femme qui pressentait, dès le xiie  siècle, les libertés saint-simoniennes de notre temps, écrit dans ses lettres cette déclaration de principes : « Quoique le nom de femme soit jugé plus fort et plus saint, — (quel préjugé !) 

2544. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Valmiki »

Malheureusement le temps est un peu passé où l’imagination occidentale voyait en Orient les splendeurs amoncelées de je ne sais combien de civilisations finies, mais qui avaient laissé derrière elles aux chercheurs de trésors trois ou quatre terrains d’alluvions de poudre de perles et de fragments d’escarboucles. […] Nous, dans ce temps-là, nous étions à notre tour épris de l’Allemagne. […] À cette époque, un homme qui cachait parfois la critique de son temps sous de la critique littéraire, un homme qui en contait souvent aux autres, mais qui ne s’en laissait jamais conter, écrivait, de sa plume la plus moqueuse, de ces choses inouïes sur les.

2545. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XIX. Abailard »

C’est que cette philosophie qui, au dix-neuvième siècle, se réclame avec tant d’orgueil de Descartes et de son cogito, ergo sum, se sent des parentés certaines avec l’homme qui, clerc de l’Église de Dieu, introduisit le scepticisme là où l’Église avait mis ses sécurités sublimes, et déposé dans les esprits de son temps, comme dit M.  […] D’un côté, vous avez un fat de quarante ans, un bellâtre gauche et impudent, une de ces âmes comme celle de Rousseau, coquinement honnêtes, qui se passionnent d’esprit pour le bien et de volonté pour le mal ; et de l’autre vous avez un bas-bleu du douzième siècle, froide de cœur comme toutes ces folles Ménades de la gloire qui l’appellent « un deuil éclatant du bonheur », et qui s’est, comme on dit vulgairement, monté la tête, non pour l’homme tel qu’il soit, mais pour le professeur le plus renommé de son temps. […] Cette païenne qui a toujours répugné au mariage parce qu’elle n’a jamais senti en elle que l’amour des courtisanes lettrées de la Grèce, cette femme qui pressentait, dès le douzième siècle, les libertés saint-simoniennes de notre temps, écrit dans ses lettres cette déclaration de principes : « Quoique le nom de femme soit jugé plus fort et plus saint (quel préjugé !)

2546. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXVI. Médecine Tessier »

Les prétentions du temps actuel sont philosophiques. […] En ce temps-là, les habiles et les modérés du Matérialisme dirent que La Mettrie avait l’esprit un peu dérangé ; et pour se consoler, il s’en alla, Triboulet de la philosophie, bouffonner chez le roi de Prusse. […] Blafard et douceâtre écrivain, élégant, mais à la manière des Incroyables de son temps, appliquant aux matières philosophico-médicales la rhétorique effacée de son ami Garat, Cabanis, malgré une médiocrité foncière, a laissé un sillon profond que d’autres ont fécondé, et a exercé une influence décisive sur l’enseignement en France, tel qu’il est encore aujourd’hui.

2547. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Mgr Rudesindo Salvado »

En effet, depuis son établissement jusqu’aux temps actuels, l’Église, au milieu des changements, des progrès et des révolutions qui bouleversent et renouvellent toutes choses, l’Église a toujours procédé de la même manière dans son évangélisation sublime, et toujours avec le même succès. […] On ne saurait trop le répéter : cette force immense de fondation sociale que l’Angleterre reconnaît aujourd’hui comme l’apanage de l’Église romaine, est ailleurs que dans la conception de quelques cerveaux qui ont vu un peu plus juste et un peu plus loin que les autres hommes, ou dans des règlements de ménage que le temps pouvait, à son aise, emporter. […] Toutes questions redoutables que les Mémoires historiques sur l’Australie pressentent, et que les événements résoudront seuls dans un temps plus ou moins éloigné.

2548. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Docteur Favrot »

Je connais, de vieux temps, le docteur Favrot. […] L’erreur, d’ailleurs, glisse beaucoup moins quand elle est carrée, et je sais mieux ainsi par où la prendre pour la renverser… Il était matérialiste comme la plupart des médecins, ces grands tripoteurs de matière, qui finissent par s’en aveugler… Et justement, en ces temps derniers, le matérialisme a beaucoup remué, sans arriver à rien, cette question des inhumations qui est pour lui la question définitive. […] Je ne crois pas que depuis que la sagesse d’un temps profondément matérialiste, et qui, par-dessus le marché, se donne les grands airs d’être athée, a supprimé d’un trait cette capucinade de l’enfer chrétien qui fut la terreur de tout le Moyen Âge, il y ait dans la conscience humaine une idée plus féconde en terreur, une idée pareille à celle d’être enterré vivant !

2549. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Catulle Mendès »

Il a, dans un temps où il n’y en a plus, du vieux sang romantique (sangre azul)> dans les veines, et il le fait souvent couler largement dans ses œuvres. […] Comme tous les Infatués de ce temps-ci, qui s’aiment dans le siècle, il peut se tromper et il se trompe sur la beauté de la vie moderne, qui n’est, à mes yeux, que plate et laide ; mais il s’efforce toujours d’en faire bomber les platitudes et d’en pousser jusqu’à l’horrible les laideurs. […] … Quand, il y a quelque temps, M. 

2550. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre xi‌ »

On en retombe à chaque fois que l’on s’écarte de la ligne de feu ; on en retombera davantage à mesure qu’on s’éloignera dans le temps. […] Ce temps de misère demeurera comme un idéal pour ceux qui l’ont vécu dans leur jeunesse. […] » Et voilà qu’il y a quelque temps, m’étant trouvé séparé de mon cercle habituel d’amis, je fus mis dans une intimité étroite et prolongée avec quelques-uns de mes camarades qui pouvaient, en raccourci, me représenter à peu près toute la nation : il y avait des ouvriers et des agriculteurs, des gars du Nord, du Midi, du Centre et de l’Est… Peu à peu, je vis combien, sans qu’ils s’en doutent eux-mêmes, la souffrance avait fait son œuvre en eux, les avait épurés, combien ils sortiraient modifiés de la guerre.‌

2551. (1901) L’imagination de l’artiste pp. 1-286

Combien de temps peut durer un sourire dans sa grâce naturelle ? […] Il serait temps de renoncer à cette plaisanterie. […] Mais le temps s’est vite attaqué à son œuvre. […] Nous perdrions notre temps à les convaincre. […] Que de temps perdu en recommencements stériles !

2552. (1924) Intérieurs : Baudelaire, Fromentin, Amiel

L’emplacement seulement, comme la Corne d’Or présentait l’emplacement d’une capitale du monde au temps où les Grecs ne fondaient sur le Marmara qu’une Chalcédoine. […] Et au bout de cinq mois de labeur il s’aperçoit qu’il a perdu son temps, que tout ce travail est demeuré à peu près stérile, et qu’il lui faut l’Afrique. […] Ses lettres révèlent, comme toutes celles du temps, la plus noire tristesse, et il s’y joint un froid découragement qui l’empêche quelque temps de travailler. […] Dès lors, dit-il de sa vie, « il était temps de l’achever moi-même ». […] Il serait temps de me refaire un corps, un volume, une masse, une existence réelle au sortir du monde vague, ténébreux et froid que me fait la pensée isolée.

2553. (1923) Paul Valéry

L’autre temps est celui de la nature. […] Ici le temps ne fait rien à l’affaire. […] C’est en fonction du temps et non de l’espace que le corps et l’âme se distinguent. […] Ô grande âme, il est temps que tu formes un corps ! […] Qui dit romantisme dit poésie personnelle, manière de rendre publics ses sentiments et de les imposer à la sensibilité de son temps.

2554. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — I. » pp. 342-363

Revenant à ces grands esprits de l’Antiquité qu’on cite toujours et qu’on oppose à la prétendue stérilité des âges suivants, il estime qu’aucune époque n’en est déshéritée, que seulement la forme de ces esprits varie dans l’histoire et qu’ils se produisent avec plus ou moins de bonheur et de dégagement selon les temps et les conjonctures. […] Telles sont quelques-unes des idées vraiment originales et à la Fontenelle, que Marivaux énonce avec autant de netteté que de hardiesse : à quoi il faut ajouter cette remarque très fine qu’il n’omettait pas, et qu’il aurait pu s’appliquer à lui-même et à ses amis, à savoir que le goût d’une époque n’est pas toujours en raison du nombre des idées qui y circulent ou qui y fermentent, et qu’il y a des temps où la critique et le goût peuvent s’altérer ou disparaître, « pendant que le fonds de l’esprit humain va toujours croissant parmi les hommes ». […] À ces remarques qu’il entend à demi-mot et qu’il devine à l’autre bout du salon, même quand on les fait à voix basse (car il est là-dessus d’une susceptibilité exquise), il a des raisons de toutes sortes à opposer, des quantités de réponses à faire, et il les a faites en son temps. […] La place de Marivaux en son temps n’est qu’à côté et un peu au-dessus de celle de Crébillon fils. […] Elle se met donc à l’instant à s’en dépouiller ; mais elle s’en dépouille lentement, et, à mesure qu’elle avance, il lui vient des raisons pour retarder : elle est décidée à aller trouver le bon religieux qui l’a recommandée par mégarde au fourbe, et qui est son seul protecteur ; il faut qu’elle le voie à l’instant, et, pour cela, qu’elle garde sa robe, qu’elle reprenne même cette coiffe galante qui, se dit-elle, déposera à vue d’œil de l’intention perfide du corrupteur : enfin elle trouve bientôt un prétexte tout honnête et naturel pour reprendre au complet cet habit qu’elle venait de quitter et qu’il sera temps de rendre demain.

2555. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Souvenirs militaires et intimes du général vicomte de Pelleport, publiés par son fils. » pp. 324-345

Qu’il dise ce qu’il sait, rien que ce qu’il sait, et ne fasse pas l’Histoire de mon temps. […] Je parlais, il y a quelque temps, de Villars. […] Les nominations, dans ces premiers temps, se faisaient par l’élection. […] C’était le temps du blocus établi dans toute sa rigueur, et les négociants dont ces mesures prohibitives ruinaient le commerce essayaient de les éluder par tous les moyens : Depuis longtemps, raconte Pelleport, l’une des plus riches maisons de commerce du pays, — je tairai le nom —, avait eu recours à toutes sortes d’expédients pour faire entrer des marchandises anglaises en Hollande ; elle avait échoué. […] Pelleport ne manque pas, en cet endroit, de rendre à son dernier chef Marmont une justice qu’il est redevenu de mode depuis quelque temps de lui refuser.

2556. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (6e partie) » pp. 129-176

Homme de tempérament plus que de pensée, élément plus qu’intelligence, il fut homme d’État, cependant, plus qu’aucun de ceux qui essayèrent de manier les choses et les hommes dans ce temps d’utopies ; plus que Mirabeau lui-même, si l’on entend par homme d’État un homme qui comprend le mécanisme du gouvernement. […] Robespierre eut le temps de rassembler dans un seul et dernier regard son passé, son présent, son lendemain, le sort de la république, l’avenir du peuple et le sien. […] Ce fut la punition de l’homme, la punition du peuple, celle du temps et celle aussi de l’avenir. […] Jamais peut-être sur cette terre, à aucune époque, sauf l’ère de l’incarnation de l’idée chrétienne, un pays ne produisit, en un si court espace de temps, une pareille éruption d’idées, d’hommes, de natures, de caractères, de talents, de crimes, de vertus. […] J’en ai commis une autre et que j’aurai le courage d’avouer aussi, dans ma carrière d’orateur politique, peu de temps avant le jour où la monarchie de 1830, ébranlée par d’autres coups que les miens, s’écroula, comme un rempart d’une ville sapée par ses propres défenseurs, sur leur tête et sur la mienne, et où il nous fallut supporter seul le poids de ce formidable écroulement.

2557. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre I. Roman de Renart et Fabliaux »

Cependant l’esprit bourgeois, qu’on voyait poindre dès les temps épiques dans les gabs du Pèlerinage de Charlemagne, commence à se faire sentir par des contes ironiques ou plaisants, par des fabliaux, et par quelques branches de Renart : il s’épanouit au xiiie par la prodigieuse fécondité de ces deux genres, tandis que se déploie la noble et fine galanterie de la poésie lyrique de cour. […] Ailleurs, dans un conseil que tient le roi Noble, sur la façon de conduire le procès de Renart, Musart le chameau, légat du pape, prend la parole : il faut entendre cette éloquence de canoniste et de lettré, cet incroyable jargon fait d’italien, de latin, de français burlesquement amalgamés, et dont le sens fort impudent est qu’il faudra mettre Renart hors de cour s’il sait donner à temps « universe sa pécune ». […] C’est là la terre classique du Fabliau, et c’est là qu’en tout temps fleurissent les contes salés, propos grivois, impertinentes satires, sur les maris, les femmes et les curés. […] Les auteurs de Fabliaux n’ont pas songé à peindre les mœurs de leur temps, et leurs œuvres étaient pour nos pères ce qu’ont été pour nous la Boule ou le Chapeau de paille d’Italie. […] Ce qui a duré, c’est l’esprit du genre qui est une forme de l’esprit de la race, et ainsi reparaissent de temps à autre dans nos farces du Palais-Royal des moyens et des effets dont usaient les auteurs des fabliaux : nos armoires ont remplacé les buffets de nos pères, nos pantalons leurs braies.

2558. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre V. Le roman »

L’œuvre a paru brutale en son temps ; dans l’ensemble, elle n’est que forte et triste. […] Dans leur œuvre laborieuse, ils ont réussi surtout à exprimer certains types de détraqués et de déclassés, gens de lettres, artistes, acrobates ; ils ont rendu avec une singulière originalité les formes d’âmes les plus factices qu’une civilisation trop raffinée fait éclore, la jeune fille du grand monde parisien, par exemple, dans ce roman de Renée Mauperin, qui demeurera, je pense, l’une des œuvres caractéristiques de notre temps. […] Daudet, finement et nerveusement, a su rendre certains aspects du Paris d’il y a trente ans, aspects de la ville, aspects des âmes ; il a dessiné de curieuses et vivantes figures : il a rendu aussi, en scènes touchantes ou grandioses, l’idée que de loin, par les indiscrétions des journaux ou la publicité des tribunaux, nous pouvons nous faire des existences princières dans les conditions que le temps présent leur fait. […] Plus commune dans les nouvelles des premiers temps, cette nuance de comique un peu dur s’atténue dans les principales œuvres. […] Au temps même où Flaubert donnait le type du roman naturaliste, le roman idéaliste survivait en George Sand, toujours active, et en Feuillet913.

2559. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Anatole France »

Surtout en ce temps de réflexion et de conscience croissante, il y a, à côté des hommes de génie, des artistes qui sans eux n’existeraient pas, qui jouissent d’eux et en profitent, mais qui, beaucoup moins puissants, se trouvent être en somme plus intelligents que ces monstres divins, ont une science et une sagesse plus complètes, une conception plus raffinée de l’art et de la vie. […] Je ne parle point de la puissance d’invention qu’un caprice de la nature a évidemment accordée avec plus de libéralité à quelques écrivains de notre temps. […] Et c’est dans une école ecclésiastique qu’il a passé son enfance, ce qui est, je crois, un grand avantage, car souvent les exercices de piété y font l’âme plus douce et plus tendre ; la pureté a plus de chance de s’y conserver, au moins un temps, et (sauf le cas de quelques fous ou de quelques mauvais cœurs), quand plus tard la foi vous quitte, on demeure capable de la comprendre et de l’aimer chez les autres, on est plus équitable et plus intelligent. […] Anatole France, le souci du plus singulier des événements historiques, de celui qui a le plus préoccupé depuis trente années quelques-uns des grands esprits de ce temps. […] Il est une autre attitude, une autre façon de prendre la vie, qui est bien de ce temps : une espèce de pessimisme stoïque, une affectation de voir toutes les duretés et toutes les absurdités du monde réel et tout ce qu’il y a d’inhumain dans, ses lois, et d’y opposer une résignation ironique.

2560. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 7761-7767

de cet Ouvrage ; ce fragment a été trouvé imparfait dans ses papiers : l’auteur n’a pas eu le tems d’y mettre la derniere main ; mais les premieres pensées des grands maitres méritent d’être conservées à la postérité, comme les esquisses des grands peintres. […] Telle est dans une chose l’idée accessoire de la difficulté de l’avoir faite, ou de la personne qui l’a faite, ou du tems où elle a été faite, ou de la maniere dont elle a été faite, ou de quelque autre circonstance qui s’y joint. […] L’esprit consiste à savoir frapper plusieurs organes à-la-fois ; & si l’on examine les divers écrivains, on verra peut-être que les meilleurs & ceux qui ont plû davantage, sont ceux qui ont excité dans l’ame plus de sensations en même tems. […] L’ame reste donc incertaine entre ce qu’elle voit & ce qu’elle sait, & elle reste surprise de voir une masse en même tems si énorme & si legere. […] nous ont été formidables, Satrique & Cornicule étoient des provinces : nous rougissons des Boriliens & des Véruliens ; mais nous en avons triomphé : enfin Tibur notre fauxbourg, Preneste où sont nos maisons de plaisance, étoient le sujet des voeux que nous allions faire au capitole  » ; cet auteur, dis-je, nous montre en même tems la grandeur de Rome & la petitesse de ses commencemens, & l’étonnement porte sur ces deux choses.

2561. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre douzième. »

Cette morale, que l’esprit chrétien a d’ailleurs élevée et épurée, ne prétend donner qu’un fonds de préceptes applicables à tous les temps comme à tous les pays, qui fassent faire à l’homme le meilleur usage de sa raison et rendent plus heureuse la vie présente. […] Il peignait à loisir et d’une main tranquille, sûr de retrouver le lendemain le modèle de la veille, ni pressé par le temps, ni troublé, comme la Rochefoucauld, par des souvenirs qui avaient pu être des blessures. Il faut connaître ces convenances du temps et de l’écrivain, pour ne pas regarder les monuments d’une grande littérature comme des œuvres de mode, ou comme la bonne fortune d’un auteur. […] Dans le même temps que La Bruyère, par sa manière d’administrer la morale, nous met le plus à l’aise avec nous-mêmes, par sa méthode, ou plutôt par ce manque étudié de méthode, il se rend maître de notre attention. […] Le seul de cette grande famille, il a cherché la vérité pour plaire, dans un temps où les auteurs plaisaient en la cherchant pour elle-même.

2562. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « V »

J’ai, à mes risques, fondé la Revue Wagnérienne, je l’ai soutenue par beaucoup de sacrifices peu soupçonnés, sacrifices de temps, d’argent et autres (et cela malgré le secours à jamais admirable de quelques honnêtes gens épris d’art wagnérien), je l’ai conduite pure radicalement de toute concession et indéniablement vierge de compromis quels qu’ils soient avec l’argent ou la puissance : j’aimerais mieux qu’elle pérît plutôt que de déshonorer ces trois années de dévotion à un idéal d’art très vénéré, plutôt que d’en faire hommage à quelqu’un (même fût-il wagnérien) plutôt que de trahir la religion de mon maître Richard Wagner — celui qui ne craignit pas de faire la guerre aux grands… Et la Revue Wagnérienne, fière de son titre et d’avoir avant tout et constamment été une « revue wagnérienne » aura dit pourquoi, en 1887, après tant de luttes nobles et courageuses, le wagnérisme aura honteusement succombé à Paris. […] Il y a encore des survivants, à Paris, de la meute qui pourchassa si gaillardement Berlioz, au temps où le maître vivait. […] — Mais, me répondit-il en souriant, si je ne ressentais, en mon âme, la lumière et l’amour vivants de cette foi chrétienne dont vous parlez, mes œuvres, qui, toutes, en témoignent, où j’incorpore mon esprit ainsi que le temps de ma vie, seraient celles d’un menteur, d’un singe ? […] Lorsqu’après quelque temps, j’eus feuilleté la musique placée tout devant moi, j’y trouvai mêlées quelques brochures « l’œuvre d’art de l’avenir » « la musique de l’avenir », par Richard Wagner. […] Quelque temps après, j’entendis le Lohengrin.

2563. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE XIV »

Elle était mère avant son mariage ; quelque temps après, Claude a découvert ce triste secret. […] On n’espionne pas Dieu, on ne l’achète pas ; tout au plus peut-on l’exploiter, en temps de guerre, dans des ordres du jour aux armées dont ce mouchard est goujat. […] Il allait accompagner, au chemin de fer, son ami Daniel partant pour l’exode ; il ne sort pas moins, après avoir appris tout cela, persuadé que le Dieu dont il est le prophète le fera revenir à temps. […] Le jeune Antonin, d’abord sympathique, se corrompt si vite, que l’intérêt n’a pas le temps de s’en approcher. […] Mais le vice organique de la Femme de Claude est surtout le faux système que, depuis quelque temps, M. 

2564. (1888) La critique scientifique « La critique et l’histoire »

Les tentatives modernes de changer la méthode de cette science, en la raccordant aux découvertes récenles et surtout à la tendance démocratique de ce temps, ont abouti à une interprétation singulière des événements sociaux. […] Une direction, un type, un entreprenant, un but, peuvent apparaître seuls et sans suite : une force, une variété animale, une masse d’hommes actifs, une volonté ne peuvent être conçus indéterminés ; le rapport qui unit ces deux facteurs est le même que celui qui relie la forme et la substance d’Aristote ; c’est un rapport de plasticité, de formation, d’assimilation, d’imitation enfin ; des facteurs que cette relation unit en un ensemble, c’est le premier en fonction de temps qui est le générateur et qui participe le plus largement à l’existence ; comme un nombre produit ceux qui le suivent et se multiplie en eux, un grand homme s’agrège la foule et grandit par sa masse. […] Enfin, saisissant ainsi des intelligences telles quelles, les analysant avec une précision et une netteté considérables et les replaçant ensuite par une minutieuse synthèse dans leurs familles, leurs patries, leurs milieux, l’esthopsychologie, un ensemble d’études particulières de cette science, sont appelés à vérifier les plus importantes théories de ce temps sur la dépendance mutuelle des hommes, sur l’hérédité individuelle, sur l’influence de l’entourage physique et social. […] L’historien Augustin Thierry (1795-1856), Normalien, secrétaire de Saint-Simon, grand lecteur de Chateaubriand et de Walter Scott, défenseur de la Révolution de 1830, s’est penché sur l’histoire de l’Angleterre féodale (Histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands, 1825), avant se consacrer à la France mérovingienne dans un ouvrage qui, par son style mêlant érudition et imagination, eut un large succès en dehors du cercle des spécialistes (Récits des temps mérovingiens, 1840). […] Bien évidemment, en ces temps où se développent marxisme et socialisme, les choix politiques orientent une telle lecture du rôle des « masses » dans l’histoire.

2565. (1694) Des ouvrages de l’esprit

Certains poètes sont sujets, dans le dramatique, à de longues suites de vers pompeux, qui semblent forts, élevés, et remplis de grands sentiments ; le peuple écoute avidement, les yeux élevés et la bouche ouverte, croit que cela lui plaît, et à mesure qu’il y comprend moins l’admire davantage, il n’a pas le temps de respirer, il a à peine celui de se récrier et d’applaudir. […] Un bel ouvrage tombe entre leurs mains, c’est un premier ouvrage, l’auteur ne s’est pas encore fait un grand nom, il n’a rien qui prévienne en sa faveur, il ne s’agit point de faire sa cour ou de flatter les grands en applaudissant à ses écrits ; on ne vous demande pas, Zélotes , de vous récrier, C’est un chef-d’œuvre de l’esprit ; l’humanité ne va pas plus loin : c’est jusqu’où la parole humaine peut s’élever : on ne jugera à l’avenir du goût de quelqu’un qu’à proportion qu’il en aura pour cette pièce ; phrases outrées, dégoûtantes, qui sentent la pension ou l’abbaye, nuisibles à cela même qui est louable et qu’on veut louer : que ne disiez-vous seulement, Voilà un bon livre ; vous le dites, il est vrai, avec toute la France, avec les étrangers comme avec vos compatriotes, quand il est imprimé par toute l’Europe et qu’il est traduit en plusieurs langues ; il n’est plus temps. […] Je ne sais si l’on pourra jamais mettre dans des lettres plus d’esprit, plus de tour, plus d’agrément et plus de style que l’on en voit dans celles de Balzac et de Voiture : elles sont vides de sentiments qui n’ont régné que depuis leur temps, et qui doivent aux femmes leur naissance. […] Le poème tragique vous serre le cœur dès son commencement, vous laisse à peine dans tout son progrès la liberté de respirer et le temps de vous remettre, ou s’il vous donne quelque relâche, c’est pour vous replonger dans de nouveaux abîmes et dans de nouvelles alarmes. […] Ces ouvrages ont cela de particulier qu’ils ne méritent ni le cours prodigieux qu’ils ont pendant un certain temps, ni le profond oubli où ils tombent, lorsque le feu et la division venant à s’éteindre, ils deviennent des almanachs de l’autre année.

2566. (1920) Action, n° 4, juillet 1920, Extraits

Le petit meurtrier a consommé son œuvre ayant emprunté le poignard de Lalique de l’Amazone ou le sourire monocléen dont Giraudoux inventorie les cadavres de poètesy — armes exquises, flèches aériennes de ses aînés, les deux charmeurs en qui se reflète l’Insensibilité de notre temps. […] Et depuis ce temps aussi j’aime la Russie et ce qu’en premier lieu je demande de chaque poète révolutionnaire, c’est qu’il partage cet amour. […] ACTION situe et commente les problèmes du temps présent et en fait la Somme. […] L’action se déroule peu de temps avant l’éclatement de la guerre dans une Cour d’Europe centrale où le Français Vignerte tombe amoureux de la mystérieuse grande-duchesse Aurore dont il découvrira que la mari a été assassiné. […] Le point de départ en est le compte rendu du Salon des indépendants qu’Arthur Cravan publie dans sa revue Maintenant, où il écrit à propos de La Frenaye : « J’ignore si la critique du juif Apollinaire — je n’ai aucun préjugé contre les juifs, préférant, la plupart du temps, un juif à un protestant — lui donna de l’incertitude, quand cet [sic] espèce de Catulle Mendès déclara dans une de ses critiques qu’il était le disciple de Delaunay. », Arthur Cravan, « L’exposition des Indépendants », Maintenant, 3e année, n° 4, mars-avril 1914, p. 10.

2567. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XII » pp. 47-52

Ponsard, et celui-ci doit aller passer quelque temps à Saint-Point. […] Une remarque très-juste que j’entendais faire, c’est que, au temps d’Hernani, Hugo avait contre lui presque tous les journaux, mais pour lui le mouvement du public ; aujourd’hui, le lendemain des Burgraves, il a pour lui… tous les journaux et contre lui tout le public15.

2568. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXI » pp. 237-241

. — L'Ultramontanisme de Quinet a été fort sévèrement et fort judicieusement jugé par Lerminier dans la Revue des Deux Mondes ; Lerminier qui a, lui aussi, en son temps, connu les ivresses de la popularité et qui en a eu ensuite les déboires, était en mesure de faire la leçon à Quinet là-dessus : tout le détail de cet article et les remarques sur cette érudition confuse et fougueuse ont beaucoup d’à-propos et un grand caractère de raison. […] Sainte-Beuve sur Daunou nous a appris à bien fixer nos idées sur un savant et un écrivain dont on avait beaucoup parlé dans ces derniers temps, depuis sa mort ; il en avait été fait tant d’éloges qu’on se demandait naturellement ce qui avait manqué à un homme qui avait été aussi profond érudit et aussi habile écrivain pour arriver à plus de célébrité et à plus de résultats notoires.

2569. (1874) Premiers lundis. Tome II « La Comtesse Merlin. Souvenirs d’un créole. »

Il y a quelque temps que, parcourant un de ces livres aimables et légers, les Souvenirs de madame Lebrun, je me plaisais à y retrouver tout ce monde facile, brillant, poliment mélangé d’avant la Révolution, gens de cour, gens d’esprit, Russes, Français, dont Delille était le poète favori, et madame Lebrun le peintre ordinaire. […] Nièce du général O’Farrill, ministre de la guerre sous Joseph, et parfaitement informée de tout le détail de ces temps mémorables, madame Merlin réfléchit dans ces pages les sentiments de son oncle et les siens propres, de manière à nous transporter aisément à l’époque et aux lieux dont il s’agit.

2570. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre VI. Exordes. — Péroraisons. — Transitions. »

Ou bien l’on conte une anecdote, amusante ou singulière, et on ne s’aperçoit pas qu’on allonge outre mesure son début, et que, perdant son temps à ces bagatelles extérieures, l’on n’en aura plus guère pour le développement sérieux et essentiel. […] On ne trouverait au reste la plupart du temps que des transitions plates, ou de fausses transitions, qui ne lient pas les choses, mais les phrases : comme sont toutes ces formules banales de rapprochement, de comparaison et d’opposition, qui s’appliquent à tout, pareilles aux crochets dont on raccommode les assiettes cassées ; porcelaine fine ou terre grossière, cela mord partout ; peu importe l’objet, pourvu qu’il ne soit pas entier.

2571. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — K — Karr, Alphonse (1808-1890) »

Alphonse de Lamartine Te souviens-tu du temps où tes Guêpes caustiques, Abeilles bien plutôt des collines attiques, De l’Hymète embaumé venaient chaque saison Pétrir d’un suc d’esprit le miel de la raison ? […] C’était aussi le temps où, ces jouets de l’âme, Tes romans s’effeuillaient sur des genoux de femme, Et laissaient à leurs sens, ivres du titre seul, L’indélébile odeur de la fleur du Tilleul !

2572. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rodenbach, Georges (1855-1898) »

Les lettrés de Rome, au temps des mauvais empereurs, auraient peut-être savouré cette forme délicieuse du suicide. […] Paul Léautaud Achevée depuis si peu de temps, la vie de Georges Rodenbach n’a pas besoin d’être rappelée longuement.

2573. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 331-337

On pourroit dire que son génie fut heureusement secondé par l’excès auquel tous ces genres de travers étoient portés de son temps. […] Est-ce avec une Métaphysique subtile & quintessenciée, des sentimens vagues & romanesques, le jeu d’une Pantomime insipide, les détails minutieux d’une décoration péniblement combinée, une Prose froide, ou des Vers symétriques, qu’on pourra se promettre de corriger les ridicules qui fourmillent aujourd’hui, & qui demandent plus de vigueur comique que n’en exigeoient ceux qui régnoient du temps de Moliere ?

2574. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Louise Labbé, et Clémence de Bourges. » pp. 157-164

C’étoit la Ninon l’Enclos de son temps, mais avec plus de talent & moins de retenue. […] en moi il semble qu’il s’augmente Avec le temps, & que plus me tourmente.

2575. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre troisième. »

Depuis le temps de Thrace, etc., n’est pas une tournure bien poétique ni bien française : cependant elle ne déplaît pas, parce qu’elle évite cette phrase : depuis le temps où nous étions ensemble dans la Thrace.

2576. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VII. Suite du précédent. — Paul et Virginie. »

Ils connaissaient les heures du jour par l’ombre des arbres ; les saisons, par le temps où elles donnent leurs fleurs ou leurs fruits, et les années, par le nombre de leurs récoltes. Ces douces images répandaient les plus grands charmes dans leurs conversations. « Il est temps de dîner, disait Virginie à la famille : les ombres des bananiers sont à leurs pieds », ou bien : « La nuit s’approche : les tamarins ferment leurs feuilles. — Quand viendrez-vous nous voir ?

2577. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Carle Vanloo » pp. 183-186

Où est le temps où mes lèvres suivaient sur la gorge de celle que j’aimais, ces traces légères qui partaient des côtés d’une touffe de lis, et qui allaient se perdre vers un bouton de rose ? […] C’est qu’il y a tant de choses qui tiennent au technique, et dont il est impossible de juger, sans avoir eu quelque temps le pouce passé dans la palette.

2578. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Restout » pp. 187-190

Plus bas Orphée et Euridice conduite par le Temps. […] Et ce Temps revenu sur ses pas pour rendre Euridice à la vie et à son époux, n’est-il pas d’une belle poésie ?

2579. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 50, de la sculpture, du talent qu’elle demande, et de l’art des bas-reliefs » pp. 492-498

Je pense même que sur beaucoup de faits de physique, d’astronomie et de géographie, les peintres, les poëtes et les sculpteurs doivent s’en tenir à l’opinion vulgairement reçûë de leur temps, quoiqu’elle soit contredite avec fondement par les sçavans. […] Je ne disconviens point que ces veritez devenant plus communes avec le temps, il ne faille un jour que les poëtes s’y conforment.

2580. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre II. Dryden. »

Ici croiriez-vous bien qu’on donne la torture à Montézuma sur le théâtre, et que pour comble un prêtre pendant ce temps dispute avec lui712 ? Je reconnais dans cette pédanterie atroce les beaux cavaliers du temps, logiciens et bourreaux, qui se nourrissaient de controverse, et par plaisir allaient voir les supplices des puritains. […] Il est de son temps ; il écrit comme les autres des comédies fangeuses, le Soldat de fortune, l’Athée, l’Amitié à la mode. […] Un second talent, peut-être le premier en temps de carnaval, est l’art de dire des polissonneries, et la Restauration fut un carnaval à peu près aussi délicat qu’un bal de débardeurs. […] C’est à peine si une allégorie biblique conforme au goût du temps dissimule les noms sans cacher les hommes.

2581. (1895) La comédie littéraire. Notes et impressions de littérature pp. 3-379

Prenons garde de ne pas savoir mourir pendant qu’il en est temps encore. […] Enfin, de temps à autre, la critique s’occupe de son œuvre. […] Le temps pressait, le complot était mûr. […] Mais sont-ils d’une comédienne du temps de Louis XV ? […] Cette figure, plus que toute autre, porte l’empreinte de notre temps.

2582. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Nouveaux voyages en zigzag, par Töpffer. (1853.) » pp. 413-430

Ainsi Saussure découvrait l’Alpe et en annonçait sobrement la poésie, vers le même temps où Bernardin de Saint-Pierre versait les trésors tout nouveaux de la nature tropicale et des mornes de l’île de France, et un peu avant que Chateaubriand eût trouvé la savane américaine. […] Vers le même temps, un peintre de Neuchâtel, Meuron, osait, le premier, tenter de rendre sur la toile « la saisissante âpreté d’une sommité alpine, au moment où, baignée de rosée et se dégageant à peine des crues fraîcheurs de la nuit, elle reçoit les premiers rayons de l’aurore ». […] Ce n’est pas le moment de discuter quelques-uns des noms qu’il met en cause : il apprécie les talents célèbres et en vogue, moins encore en eux-mêmes, ce semble, que d’après leurs disciples et leurs influences ; il a de ces condamnations décisives, anticipées, qu’entre contemporains et artistes qui courent plus ou moins la même carrière, il faut laisser au temps seul le soin de tirer entièrement. […] Près de mourir, Töpffer reviendra sur cette idée d’assujettissement, d’acquiescement intime et volontaire qui était le trait essentiel de sa foi : « Qui dispute, doute ; qui acquiesce, croit… Je crois et je me confie, deux choses qui peuvent être des sentiments vagues, sans cesser d’être des sentiments forts et indestructibles. » Dès le temps où il visitait la Grande-Chartreuse, Töpffer, voyant ce renoncement absolu qui imprime le respect et une sorte de terreur, s’était posé dans toute sa précision le problème qui est fait pour troubler une âme préoccupée des destinées futures : le chartreux, le trappiste, en effet, le disciple de saint Bruno ou de Rancé vit chaque jour en vue de sa tombe, tandis que d’autres, la plupart, ne vivent jamais qu’en vue de la vie et comme s’ils ne devaient jamais mourir : Destinée étrange que celle de l’homme !

2583. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — II. (Fin.) » pp. 427-443

Le sort en est jeté ; mon ébauche va être faite, et si je ne me décourage pas, mon tableau viendra à sa fin. » Dans les premiers temps de son essai, il est tout occupé de surmonter cette difficulté, selon lui non insoluble : Je suis impatient de savoir ce que vous penserez de mon sujet, écrivait-il à M.  […] Dans son bon temps, et avant que la maladie eût altéré sa faculté et sa puissance d’exécution (ce qui me paraît avoir dû être dans le courant de 1833), il avait de grandes douceurs mêlées à un travail et à une peine inévitables. […] L’arrivée de son frère Aurèle à Venise lui avait été bien utile, et avait remis pour quelque temps « de l’huile à la lampe qui était près de s’éteindre ». […] Louis Boulanger, ne pouvait donner à Léopold Robert qu’une très médiocre et très fausse idée de ce qui se tentait à Paris vers le même temps.

2584. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. (Tome XII) » pp. 157-172

. — « Une armée dont on détruit les détachements est un arbre dont on coupe les racines, et qui est destiné, après avoir langui quelque temps, à bientôt sécher et mourir. » Le procédé de formation des guérillas est présenté en des pages excellentes (219-226) qu’on pourrait presque détacher, mais qui, comme toutes les pages de M.  […] En général, il évite d’exprimer les passions du temps et des hommes dans ce qu’elles ont de trop impétueux, de trop saillant : il pense que cela n’est pas conforme à la dignité de l’histoire. […] Toutefois, n’oublions pas qu’on est ici avec Napoléon, non seulement le plus grand guerrier et héros des temps modernes, mais un des hommes qui ont le plus traduit et livré leur propre nature par des paroles. […] Mais aussi il y a un historien des plus heureusement doués dont le procédé est autre : il lit, il étudie, il se pénètre pendant des mois et quelquefois des années d’un sujet, il en parcourt avec étendue et curiosité toutes les parties même les plus techniques, il le traverse en tous sens, s’attachant aux moindres endroits, aux plus minutieuses circonstances ; il en parle pendant ce temps avec enthousiasme, il en est plein et vous en entretient constamment, il se le répète à lui-même et aux autres ; ce trop de couleur dont il ne veut pas, il le dissipe de la sorte, il le prodigue en paroles, en saillies et en images mêmes qui vaudraient souvent la peine d’être recueillies, car, plume en main, il ne les retrouvera plus : et ce premier feu jeté, quand le moment d’écrire ou de dicter est venu, il épanche une dernière fois et tout d’une haleine son récit facile, naturel, explicatif, développé, imposant de masse et d’ensemble, où il y a bien des négligences sans doute, bien des longueurs, mais des grâces ; où rien ne saurait précisément se citer comme bien écrit, mais où il y a des choses merveilleusement dites, et où, si la brièveté et la haute concision du moraliste font défaut par moments, si l’expression surtout prend un certain air de lieu commun là où elle cesse d’être simple et où elle veut s’élever, les grandes parties positives d’administration, de guerre, sont si amplement et si largement traitées, si lumineusement rapportées et déduites, et la marche générale des choses de l’État si bien suivie, que cela suffit pour lui constituer entre les historiens modernes un mérite unique, et pour faire de son livre un monument.

2585. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Essais de politique et de littérature. Par M. Prevost-Paradol. »

Un livre d’histoire, qu’il publia quelque temps après (Revue de l’Histoire universelle), et qui semblait ne répondre qu’à une demande de librairie, lui servit à se remémorer les faits principaux du passé, dont il faut être muni dans le présent, et à rassembler sous une vue sommaire les résultats d’idées qui sont des conquêtes ; c’étaient des armes qu’il préparait. […] Ainsi, après avoir enregistré quelque interdiction légale, dont l’application s’était faite le jour même, il passait brusquement, sans transition, à des nouvelles de l’autre monde et des pays transatlantiques : « Le Pérou vient de déclarer la guerre à l’Équateur… » ou bien : « On n’apprendra pas sans intérêt que la route qui vient d’être ouverte entre San-Francisco et la Nouvelle-Orléans abrégera d’une semaine le temps exigé naguère, etc. » Puis venait l’histoire des oiseaux du Palais de Cristal à Londres, les perroquets et les perruches qu’on avait représentés dans le catalogue comme d’excellents parleurs, et qui, « intimidés apparemment par la présence du public, ont gardé le silence » ; de jolies malices enfin, un peu renouvelées de Swift, mais accommodées à la française. […] Nous autres, je me le rappelle, il nous arrivait quelquefois de regretter de n’avoir point assisté aux grandes luttes des premiers temps de la Révolution, aux combats à mort des Girondins et de la Montagne ; c’était notre chimère demi-politique, demi-poétique. […] Il est venu à temps, et son succès s’explique par autre chose encore que par son talent même : il était très désiré.

2586. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres choisies de Charles Loyson, publiées par M. Émile Grimaud »

Cousin se rattache à ce temps. […] Le premier Recueil de Loyson, publié en 1817, porte tout à fait le cachet du temps. […] Tu dis : le Temps se hâte, ou revient sur ses pas. […] Je viens de parcourir un recueil auquel il a fort collaboré, le Spectateur politique et littéraire, de 1818 : c’était une feuille périodique ou à peu près, créée en opposition à la Minerve, et qui bientôt tint le milieu entre elle et le Conservateur, c’est-à-dire entre les libéraux-bonapartistes du temps et les ultra-royalistes.

2587. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre III. Poésie érudite et artistique (depuis 1550) — Chapitre II. Les tempéraments »

D’abord, sa langue le discrédite : où elle est de son invention, elle ne s’est pas imposée ; où elle est de son temps, elle a passé. […] Mais comme le monde n’a souci d’éruditions et suit son plaisir, il ne remonte point aux temps antérieurs ; une tradition mondaine, en fait de jugements littéraires, ne commence à se former que dans les dernières années de Malherbe, et c’est à partir du xviie  siècle seulement que se constitue et s’enrichit peu à peu dans l’opinion de la société polie le dépôt des chefs-d’œuvre de notre littérature classique. […] Mais si l’on veut être juste envers la Pléiade, on se souviendra qu’avant le romantisme, Ronsard est en somme notre plus certain lyrique ; en second lieu, qu’il est à peu près notre unique lyrique qui ait cherché son inspiration hors de la religion, hors même des faits historiques et de l’héroïsme, le seul qui ait tâché de tirer son œuvre des sources intimes du tempérament ; enfin, que Ronsard, c’est vraiment la première ébauche et la période, si l’on peut dire, préhistorique du classicisme : qu’alors dans la langue, dans la poésie, apparaissent une multitude de formes dont quelques-unes survivront, et deviendront les types parfaits, et stables pour un temps, de la poésie. […] Élégie sur les troubles d’Ambroise, 1560 ; Institution pour l’adolescence du Roy, 1562 ; Discours des misères de ce temps, 1562 ; Continuation, 1562 ; Remontrance au peuple de France, 1563 ; Responce aux injures et calomnies, etc., 1563.

2588. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame la duchesse d’Angoulême. » pp. 85-102

Tout change, tout meurt ou se renouvelle ; les races les plus antiques et les plus révérées ont leur fin ; les nations elles-mêmes, avant de tomber et de finir, ont leurs manières d’être successives et revêtent des formes diverses de gouvernement dans leurs divers âges ; ce qui était religion et fidélité dans un temps n’est plus que monument et commémoration du passé dans un autre ; mais à travers tout, tant que la dépravation n’est pas venue, il y a quelque chose qui reste : l’humanité et les sentiments naturels qui la distinguent, le respect pour la vertu, pour le malheur, surtout immérité et innocent, la pitié qui elle-même n’est que le nom de la piété envers Dieu en tant qu’elle se retourne vers les infortunes humaines. […] On y célébrait la chèvre et le chien qu’on lui avait accordés dans les derniers temps, et que, des fenêtres voisines, on apercevait avec elle dans le jardin de la prison. […] » s’écrièrent les généraux en levant la main. — « Je ne vous demande pas de serments, répliqua-t-elle avec un geste de pitié dédaigneuse ; on m’en a fait assez, je n’en veux plus 12. » Ce mot altier, elle avait droit de le dire, et certes peu de personnes ont vu de leurs yeux plus qu’elle jusqu’où peuvent aller, selon les temps, ou la méchanceté ou la versatilité des hommes. […] Même à travers l’habitude des peines, une sorte de joie enfin surnageait comme il arrive aux âmes austères et éprouvées que la religion a guidées et consolées dans tous les temps.

2589. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Seconde partie. Nouvelles preuves que la société a été imposée à l’homme » pp. 243-267

Je ne sais de qui est cette observation sur l’énergie vitale : les éléments matériels dont se compose un être quelconque, ai-je vu quelque part, sont, tout le temps que dure la vie de cet être, en opposition avec les affinités chimiques ; et, lorsque la vie se retire, les affinités chimiques viennent se ressaisir de ces éléments pour leur imprimer de nouvelles combinaisons. […] Les inconvénients de la société, qui à toutes les époques blessent toujours plus ou moins certains hommes, se font bien plus sentir, ou deviennent bien plus généraux, dans les temps de révolution, ou dans les temps qui précédent les révolutions. […] On peut donc dire, en thèse générale, que les modifications doivent se faire successivement par le travail lent et graduel du temps et des mœurs.

2590. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre V : M. Cousin historien et biographe »

Du temps de La Bruyère (1687), et de l’aveu de La Bruyère, il avait seulement quelques années de date. […] Et, pour cela, l’on n’a pas besoin d’une longue explication ; souvent une phrase suffit ; un seul mot, comme un éclair, déchire le voile obscur du temps, ramène en pleine lumière les figures cachées, rallume dans leurs yeux ternes la divine flamme de la vie. […] Les yeux étaient du bleu le plus tendre ; des cheveux d’un blond cendré de la dernière finesse, descendant en longues boucles abondantes, ornaient l’ovale gracieux de son visage, et inondaient d’admirables épaules, très-découvertes selon la mode du temps[…] Mais répondons-nous à nous-mêmes que Coligny était jeune, qu’il n’avait pas eu le temps de se faire connaître, et qu’il a été naturellement éclipsé par Dandelot, qui succéda à son titre et prit sa place auprès de Condé.

2591. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Il y avait dans les dernières années de la Restauration un poète errant et des plus bohèmes, Franc-Comtois d’origine ou à peu près, resté de tout temps provincial, voué à l’Épître laudative et à l’Élégie, d’une verve facile et un peu banale dans son harmonie coulante, Aimé De Loy. […] Alfred de Vigny disait d’elle qu’elle était « le plus grand esprit féminin de notre temps. » Je me contenterais de l’appeler « l’âme féminine la plus pleine de courage, de tendresse et de miséricorde. » — Béranger lui écrivait : « Une sensibilité exquise distingue vos productions et se révèle dans toutes vos paroles. » — Brizeux l’a appelée : « Belle âme au timbre d’or. » — Victor Hugo, enfin, lui a écrit, et cette fois sans que la parole sous sa plume dépasse en rien l’idée : « Vous êtes la femme même, vous êtes la poésie même. — Vous êtes un talent charmant, le talent de femme le plus pénétrant que je connaisse. » Et un seul mot en finissant pour ceux et celles qui trouveraient que j’ai parlé bien longuement des douleurs de Mme Valmore, et qui, se reportant à leurs propres peines, seraient tentés de dire : « Et moi donc, suis-je sur des roses ?  […] J’ai eu un temps l’espoir que je souffrais assez pour beaucoup d’autres : je me trompais bien !

2592. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Appendice à l’article sur Joseph de Maistre »

Quant à écrire de pareille encre et à colorer avec l’imagination, il ne l’aurait pas su ; mais il y a deux rôles : on a trop supprimé, dans ces derniers temps, le second. […] On peut trouver qu’il a mis du temps à cette réfutation : « Quand le livre de M. Joseph de Maistre parut, j’étais, dit-il, occupé d’un grand travail que je ne pouvais interrompre : je me bornai à recueillir quelques notes, et ce sont ces notes que, devenu plus libre, je me sujs décidé à présenter à mon lecteur en leur donnant plus d’étendue. » Les Soirées de Saint-Pétersbourg ont paru en 1821 ; vingt ans et plus d’intervalle entre l’ouvrage et sa réfutation, c’est un peu moins de temps que n’en mit le Père Daniel à réfuter les Provinciales.

2593. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre II. Des tragédies grecques » pp. 95-112

Les tragiques grecs, fondant la plupart de leurs pièces sur l’action continuelle de la volonté des dieux, étaient dispensés d’un certain genre de vraisemblance, qui est la gradation des événements naturels ; ils produisaient de grands effets, sans les avoir amenés par des nuances progressives ; l’esprit étant toujours préparé à la crainte par la religion, à l’extraordinaire par la foi, les Grecs n’étaient point astreints aux plus grandes difficultés, de l’art dramatique ; ils ne dessinaient point les caractères avec cette vérité philosophique exigée dans les temps modernes. […] On peut remarquer un perfectionnement sensible dans les trois tragiques, Eschyle, Sophocle et Euripide ; il y a même trop de distance entre Eschyle et les deux autres, pour expliquer seulement cette supériorité par la marche naturelle de l’esprit dans un si court espace de temps ; mais Eschyle n’avait vu que la prospérité d’Athènes : Sophocle et Euripide ont été témoins de ses revers ; leur génie dramatique s’en est accru ; le malheur a aussi sa fécondité. […] L’esprit philosophique rend plus sévère sur l’emploi du temps ; et loin que les peuples à imagination exigent de la rapidité dans les tableaux qu’on leur présente, ils se plaisent dans les détails, et se fatigueraient bien plus tôt des abrégés.

2594. (1890) L’avenir de la science « VI »

Sans doute, si l’école était dans les temps modernes ce qu’elle était dans l’antiquité, une réunion d’hommes poussés par le seul désir de connaître et réunis par une méthode commune de philosopher, on permettrait à la science de s’y renfermer. […] Personne ne s’en offense chez les humanistes de la restauration carlovingienne, ni chez ceux de la Renaissance : il faut que l’esprit humain s’amuse d’abord quelque temps de ses découvertes et des résultats nouveaux qu’il introduit dans la science, qu’il s’en fasse un plaisir, quelquefois même un jouet, avant d’en faire un objet de méditation philosophique. […] Mme de Staël dit que les Viennois de son temps s’amusaient méthodiquement et pour l’acquit de leur conscience.

2595. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Louis XVI et sa cour »

L’auteur de Louis XVI et sa Cour 38, qui fut aussi le traducteur de Chesterfield et de Cantu, est d’instinct, d’éducation et d’étude, un esprit vraiment littéraire, qu’on aime à retrouver présent dans l’historien alors qu’il manie avec le plus de préoccupation les choses de l’histoire, et dans un temps surtout où, comme dans le nôtre, la Spécialité est entrain d’assassiner, avec un si grand succès, la littérature ! […] Ils ont la conscience de l’histoire et sa gravité, le soin vigilant des faits et du détail, et cette raison moderne et libérale, cet esprit du temps qui voit peut-être avec trop de confiance et de sérénité les problèmes sociaux auxquels est suspendu l’avenir. […] Sismondi, qui n’était pas peintre et qui était économiste et philosophe, n’eût pas conçu de cette façon le règne de Louis XVI, et, s’il avait eu le temps de l’écrire, ne l’aurait pas concentré sous ce titre, qui est une manière de voir très entière et très accusée : Louis XVI et sa Cour.

2596. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Histoire de la Révolution »

Je sais bien que, quand il m’arrive de trouver en ce volume, qui n’a pas le temps de regarder dans le cœur des hommes, des hélas ! […] Dans les temps de trouble, les cœurs s’émeuvent au moindre choc. […] La reine fut, en effet, ce qu’elle dut être, Autrichienne et Française à la fois, ce qui, sans les passions du temps, aurait fait la force de son double pays et de sa double maison.

2597. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Sixte-Quint et Henri IV »

Cela déconcerte un peu les idées reçues, mais voyez si avec la nature de Henri, cette nature indifférente aux idées religieuses pour elles-mêmes, son bon sens qui touchait au génie, son ardeur de cœur et de sens, son esprit politique, pratique et si bien fait pour le commandement, voyez si le catholicisme, cette religion de l’unité et de l’ordre et qui était encore la force dans le pays, ne devait pas être préférée à l’anarchie des doctrines protestantes, scindées déjà de son temps par plusieurs communions. […] Si catholique que soit Segretain, n’allez pas croire pourtant qu’il ne fasse pas tout aussi bien qu’un autre la part du temps et des situations, qui ne sont jamais que l’engagement des fautes commises par nous-mêmes ou par ceux qui nous ont précédés… Il ne lui répugne nullement que Henri, venant après une guerre civile, eût accordé aux protestants la tolérance à laquelle seule ils avaient droit. […] Rien ne montre mieux ce qui mène la barque de saint Pierre sur les flots des tempêtes humaines que le récit fait par Segretain de cette vie inébranlable et inaltérable, la seule qui fut calme quand tout était agité autour d’elle, au temps effroyable où elle fut.

2598. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes de la Révolution » pp. 73-87

Que ce soient les femmes de telle société, de telle époque ou de telle autre, dont on s’occupe et dont on jase ; que ce soient les femmes de l’Antiquité ou du Moyen Âge, de la Renaissance ou des temps modernes, de la Régence ou de la Révolution, peu importe ! […] Ni Danton, ni Robespierre, ni Marat, ni celui qui devait se mettre en travers du boulet qui l’eût coupé en deux si la mort — venue à temps — ne lui eût épargné cette leçon cruelle, ni Mirabeau, ce Pitt manqué de la Monarchie française qui a ressuscité sans lui, ni aucun de ceux qui se sont taillé un bout de renommée dans la colossale famosité de la Révolution, ne furent des personnalités libres, puissantes par elles-mêmes, possédant ce qui investit les vrais chefs, les vraies têtes de gouvernement, c’est-à-dire : l’autorité incontestée d’un commandement, plus forte que les passions, qui frémissent de subir le commandement mais qui le subissent ! […] Voilà pourquoi toute critique qui va plus loin que l’œuvre d’art et l’édifice de la composition, ne doit pas laisser circuler, sans avertir et sans y attacher une étiquette, ce sachet de graines vénéneuses, ce haschich préparé pour les têtes ardentes, ce petit poison de Java dans lequel les Tricoteuses des temps futurs peuvent tremper la pointe de leurs aiguilles, et qu’on nous débite, en ce moment, avec des airs vertueux et sensibles dignes de la femme de l’apothicaire de Roméo !

2599. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Xavier Eyma » pp. 351-366

… Il est, je le sais, beaucoup d’hommes politiques de ce faible temps, dont l’âme domptée par la matière et tremblant devant elle prend l’énormité pour la grandeur et l’obésité territoriale pour la force. […] … Puisqu’il est sceptique et moderne, je ne reproche à Eyma que comme aux hommes de ce temps, et qui n’en dépassent pas la hauteur, toutes les pusillanimités de son histoire. […] — si la question de l’esclavage déchirera un jour, pour en faire des cartouches, cette Constitution de papier, à travers laquelle ce n’est pas des chars attelés à quatre chevaux, mais les événements, les choses et les hommes, qui, dans un temps donné, passent toujours à travers les Constitutions !

2600. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Byron »

Mais, de plus, c’est un artiste grec attardé dans les temps modernes, plus grec que Chénier lui-même, Chénier l’archaïste, et tellement grec, en restant Byron, qu’il n’a même la révélation et la conscience de son génie que quand il s’est mis en rapport avec la Grèce et avec les. […] » — Chose très curieuse à noter et qu’on ne note point, et par laquelle je terminerai cette vue trop rapide sur Byron, c’est que ce Grec des premiers temps dans les temps modernes, était, qu’il l’ait voulu ou non, ignoré ou su, un chrétien !

2601. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Victor Cousin »

Dans ce temps-là, Victor Cousin était un jeune homme dont tout retentissait dans l’Université ; il était l’enfant gâté de Royer-Collard, cet homme populaire dans la bourgeoisie, qui avait été élu député dans sept collèges ! Professeur qui avait, comme ils le faisaient tous dans ce temps-là, ces aimables fonctionnaires, choqué le pouvoir avec cette stoïque indépendance qui leur rapportait toute sorte d’agréments de la part de la société, on l’avait (le pouvoir d’alors) suspendu de sa fonction et prié de s’aller promener quelque peu, et il était allé en Allemagne. Grâce à des modifications ministérielles, il en était revenu peu de temps après, avec deux raisons pour réussir à son retour.

2602. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Ernest Hello »

Nous avons rendu compte, lorsqu’il les publia, de ces deux livres, d’une beauté rare et profonde, intitulés : l’Homme et Physionomies de saints 15, restés obscurs tous deux, malgré leur beauté et notre effort, et qui devaient naturellement et fatalement le rester dans un temps comme le nôtre, où l’on n’a plus souci que des choses matérielles et basses, et même des plus basses, en littérature… Quand M.  […] Il est impatient des applaudissements de ce temps dégradé, où la gloire n’est plus maintenant que là où Héliogabale mourut, — derrière une porte de latrines. […] Ces trois soleils, les aveugles et les clignotants de ce temps-ci les verront-ils ?

2603. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Marquis Eudes de M*** »

C’est un livre très hardi, très calme et très net, trois singularités ajoutées à la première (celle du sujet même), dans un temps où, en matière d’idées, la lâcheté du scepticisme donne la main à la quiétude des positions faites pour ne pas troubler la paix de l’erreur. […] Et cependant il était temps, il était temps pour tout le monde, et pour les hommes religieux, et pour les philosophes, et pour le public, que les questions fussent nettement et carrément posées.

2604. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Maurice de Guérin »

Quoique d’un temps fécond en misères qui fit cabrer plus d’un orgueil, il n’aurait pas, lui, allumé le réchaud d’Escousse. […] Peu de temps après sa mort, la Revue des Deux-Mondes lui consacra un long article. […] Dans l’introduction aux Reliquiæ de Maurice de Guérin dont on l’a chargé, je trouve cette dernière phrase tout à fait dans les cordes indécises de son agréable, mais petite voix : « Ce que Guérin n’a pas eu le temps de tresser et de transformer selon l’art, devient sa plus belle couronne, a et qui ne se flétrira point, si je ne m’abuse ! 

2605. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Théodore de Banville »

pas la baisse du talent, mais sa hausse plutôt, car cet âge apporte au talent un sentiment qui s’y ajoute et l’achève en lui donnant ce coup de pouce du Temps qui fait tourner mieux l’éclatant relief par l’ombre d’une mélancolie, M.  […] Le temps, sur ce point, n’a pas modifié ma pensée. […] Le Thiers-parti, Chez Monseigneur, Le Petit crevé, Le Roy s’amuse, Le Budget, le Delirium tremens, etc., toutes satires dans lesquelles Juvénal-Pierrot soufflette de sa grande manche et Boileau-Arlequin fouaille de sa batte éblouissante les sottises, les vices et les ridicules du temps, — et, malheureusement, sans leur faire le moindre mal.

2606. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Alfred de Vigny »

J’ai eu l’honneur de connaître le poète d’Éloa et de Moïse, et je dois dire que jamais je n’ai pu oublier un moment, quand je l’ai rencontré, que j’avais affaire à la plus suave poésie des temps modernes. […] Le temps y a séché le breuvage et en a emporté le parfum. […] Je dis que c’est là l’intérêt, le grand intérêt de ces dernières poésies d’Alfred de Vigny, qui tranchent si nettement et avec une incision si profonde sur toutes les poésies de ce temps et même sur les siennes.

2607. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Jean Richepin »

Je lui ai entendu dire à lui-même, à ce jeune homme du temps de la photographie victorieuse, dans les œuvres de l’esprit comme dans les œuvres de la main, qu’il n’y avait, en définitive, que des romans d’analyse. […] Si la Critique, comme je l’entends du moins, n’était pas plus haute que la sensation, le sentiment et tous les genres de critiques de ce temps matérialiste, sentimentalement niais et individuel, le livre, je l’avoue, aurait passé avec moi un mauvais quart d’heure. […] Cet écrivain, qui avait débuté par des poésies osées, d’un cynisme archaïquement rabelaisien, d’un cynisme d’un autre temps et d’un relief sinistrement ou grotesquement pittoresque ; cet impétueux sensuel, qui ailleurs ne comprenait de l’amour que les voluptés et les fureurs, s’est dompté tout à coup jusqu’à exécuter un livre d’analyse et à travailler agilement sur ce métier à dentelles.

2608. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Madame Sand et Paul de Musset » pp. 63-77

Quant au livre même d’Elle et Lui, — il est vrai que l’auteur a eu le temps de le combiner (dame ! […] seulement deux lignes plus bas, ce pauvre cerveau chancelant, que les critiques galantins de ce temps appellent une tête forte, écrit, de sa plume titubante de femme littéraire : « L’exercice de la vie est le combat éternel contre soi », et elle ne s’aperçoit pas qu’elle est en pleine contradiction avec elle-même ! Elle oublie que son héroïque Thérèse devrait, pour l’honneur de son honneur, un peu plus combattre contre les tentations de sa pitié ; que si Laurent est un fou, c’est au moins un fou incendié par la tête et qui a des éclairs lucides, tandis qu’elle, c’est bien pis qu’une folle, c’est un esprit faux et un cœur débile, toujours prêt à faire, sans aucun enthousiasme, l’exercice de la compassion en douze temps !

2609. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Deux romans scandaleux » pp. 239-251

Quant au livre même d’Elle et Lui, — il est vrai que l’auteur a eu le temps de le combiner (dame ! […] Deux lignes plus bas que celles dans lesquelles Thérèse se donne et qu’il ne faut pas se lasser de citer : « J’ai été coupable envers toi, et n’ayant pas eu la prudence égoïste de te fuir, il vaut mieux que je sois coupable envers moi-même », oui, seulement deux lignes plus bas, ce pauvre cerveau chancelant, que les critiques galantins de ce temps appellent une tête forte, écrit de sa plume titubante de femme littéraire, « l’exercice de la vie est le combat éternel contre soi », et elle ne s’aperçoit pas qu’elle est en pleine contradiction avec elle-même ! Elle oublie que son héroïque Thérèse devrait, pour l’honneur de son honneur, un peu plus combattre contre les tentations de sa pitié ; que si Laurent est un fou, c’est du moins un fou incendié par la tête et qui a des éclairs lucides ; tandis qu’elle c’est bien pis qu’une folle, c’est un esprit faux et un cœur débile, toujours prêt à faire, sans aucun enthousiasme, l’exercice de la compassion en douze temps !

2610. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Malot et M. Erckmann-Chatrian » pp. 253-266

Erckmann-Chatrian25 I D’ici à bien peu de temps, le roman, qui déborde plus que jamais, deviendra une œuvre de la plus affreuse difficulté. […] La tragédie a eu ses jours d’empire et même de despotisme, comme le roman de notre temps. […] Dans une époque comme la nôtre, sans force de principe et sans force de volonté, je sais bien que ce misérable type d’homme ou de femme à deux amours, indésouillable du premier, ayant pris corps avec cette fange, est le type commun et presque universel ; que c’est le cri du sang, de ce sang que nous avons gâté, et que de son temps tout romancier, qui en porte le joug comme un autre homme, peut jeter ce cri à son tour !

2611. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Gogol. » pp. 367-380

C’est le sublime de l’ennuyeuse platitude et dans des proportions tellement énormes et tellement continues, qu’on ne sait vraiment plus, au bout de quelque temps de lecture, lequel est le plus insupportable de la Russie ainsi peinte, ou du genre de talent de celui qui l’a peinte ainsi. […] Il possédera des âmes qui, aux yeux du fisc, existent tout le temps que la révision des listes n’est pas faite ; et muni de ses titres de vente, il empruntera sur ces âmes fictives au Lombard (le Mont-de-Piété, en Russie) des sommes parfaitement réelles. […] Charrière, qui a pour Gogol les bontés d’un homme d’esprit pour la personne qu’il a pris la peine de traduire, n’hésite pas à mettre les Ames mortes à côté de Gil Blas, et, si cela lui fait bien plaisir, nous ne dérangerons rien à cet arrangement de traducteur, car la réputation de Gil Blas, — ce livre écrit au café entre deux parties de dominos, — a dit le plus fin et le plus indulgent des connaisseurs, — n’est pas une de ces gloires solides qui aient tenu contre le temps.

2612. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre III. Des moyens de trouver la formule générale d’une époque » pp. 121-124

Le milieu terrestre et cosmique a déjà une importance plus considérable, quoiqu’elle aille en diminuant à mesure qu’on s’éloigne des temps primitifs. […] Il nous suffit de constater que, en un temps et en un pays donnés, l’art, la littérature, le costume, l’habitation, l’état politique et religieux sont rattachés par des traits d’union que nul ne songe plus sérieusement à contester.

2613. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 196-203

Ses Réflexions sur les divers Génies du Peuple Romain, dans les divers temps de la République ; les Considérations sur Annibal ; son Traité de l’Amitié & celui de la Conversation ; ses Jugemens sur quelques Auteurs Latins ; ses Remarques sur les Traducteurs, les Historiens, sur l’Art de la guerre ; ses maximes, ses Pensées détachées, sont autant de Productions exquises qui le placent parmi les plus estimables Littérateurs. […] Dans le même Chapitre, parlant des bonnes qualités de Scipion, qui le rendirent suspect aux Romains, il dit, que dans le temps qu'on l'accusoit, il pouvoit répondre & se justifier ; « mais, ajoute-t-il, il y a une innocence héroïque aussi-bien qu'une valeur, si on peut parler de la sotte ; la sienne négligea les formes où sont assujettis les innocens ordinaires ; & au lieu de répondre à ses Accusateurs : Allons , dit-il, rendre graces aux Dieux de mes victoires : & tout le monde le suivit au Capitole ».

2614. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 5, que Platon ne bannit les poëtes de sa republique, qu’à cause de l’impression trop grande que leurs imitations peuvent faire » pp. 43-50

On ne doit proscrire dans un état que les arts superflus et dangereux en même tems, et se contenter de prendre des précautions pour empêcher les arts utiles d’y faire du dommage : Platon lui-même ne défend pas de cultiver la vigne sur les côteaux de sa republique, quoique les excès du vin fassent commettre de grands désordres, et quoique les attraits de cette liqueur engagent souvent d’en prendre au-delà du besoin. Le bon usage que plusieurs poëtes ont fait dans tous les tems de l’invention et des imitations de la poësie, montre assez qu’elle n’est pas un art inutile dans la societé.

2615. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 6, que dans les écrits des anciens, le terme de chanter signifie souvent déclamer et même quelquefois parler » pp. 103-111

Il dit que dans les premiers âges, tout ce qui se composoit, se composoit en vers, et que comme tous les vers se chantoient dans ce temps-là, on s’étoit habitué à dire chanter, pour dire en general reciter une composition. […] Quintilien se plaint que les orateurs de son tems plaidassent au barreau comme on recitoit sur le théatre.

2616. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Gabriel Ferry »

Cette mort fut poétique, en effet, dans un temps où la vie ne l’est plus, et elle parle plus haut à l’imagination que les œuvres de celui-là qui s’appellera Gabriel Ferry dans l’histoire littéraire du xixe  siècle. […] L’écrivain futur est au fond de ce style solide, rapide et ferme, lequel n’a pas, il est vrai, le coup de lime définitif qui donne au fer l’éclat de l’acier, mais qui brille de force à plus d’un endroit et semble mépriser toutes les petites gentillesses littéraires de ce temps d’énervation et de prétention intellectuelle pour aller au fait, l’appréhender et le rendre avec un relief vigoureux.

2617. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Champfleury ; Desnoireterres »

Il s’est avisé, lui, de montrer, dans le xviiie  siècle le côté qui est resté le moins connu et le plus voilé des mœurs d’un temps où ce n’était pas le vice que l’on gazait, mais la vertu. […] D’autres nous avaient raconté comment les femmes cédaient et succombaient dans ce malheureux temps de perdition universelle.

2618. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VI. Des éloges des athlètes, et de quelques autres genres d’éloges chez les Grecs. »

On sent que presque rien de tout cela n’était chez les anciens, l’homme n’avait pas encore eu le temps de rassembler autour de lui tant de machines ; il n’avait que lui-même à opposer à la nature, aux travaux, aux dangers. […] Il n’était pas préparé ; mais traversant en silence la foule du peuple, il se rendit au lieu où était la statue d’Homère ; là, posant les deux mains sur la base, il rêva quelque temps profondément, puis, comme inspiré par la statue du poète, il parla tout à coup avec la plus grande éloquence.

2619. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XII. Des panégyriques ou éloges des princes vivants. »

Ainsi on ne disait mot du général, et on prononçait dans le sénat un panégyrique en l’honneur du prince ; mais si par hasard l’empereur sortait de Rome en temps de guerre, pour peu qu’il lui arrivât, comme à Domitien, ou de voir de loin les tentes des armées, ou de fuir seulement l’espace de deux ou trois lieues en pays ennemi, alors il n’y avait plus assez de voix pour célébrer son courage et ses victoires ; à plus forte raison, quand l’empereur était un grand homme, et qu’à la tête des légions il faisait respecter par ses talents la grandeur de l’empire. […] Il semble que cette nation d’esclaves fût jalouse de ne pas laisser passer un jour sans bassesses, et qu’elle voulût, pour ainsi dire, imprimer la trace de ses chaînes sur chaque partie du temps qui s’écoulait.

2620. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre III. Trois principes fondamentaux » pp. 75-80

Observons toutes les nations barbares ou policées, quelque éloignées qu’elles soient de temps ou de lieu ; elles sont fidèles à trois coutumes humaines : toutes ont une religion quelconque, toutes contractent des mariages solennels, toutes ensevelissent leurs morts. […] Aussi dans toute la suite des temps, dans toute l’étendue du monde, on peut réduire à quatre le nombre des religions principales.

2621. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIe Entretien. Marie Stuart, (Reine d’Écosse). (Suite et fin.) »

« Sauvez votre vie, lui dit la reine, il le faut pour moi ; nous nous retrouverons dans un temps plus heureux !  […] … » XXVII On voit par le ton de cette lettre, si différent des jactances de Marie Stuart, quand elle menaçait Élisabeth de déchéance, et l’Angleterre d’invasion des Écossais catholiques, combien son âme et sa langue savaient se plier aux temps. […] La réponse de Marie Stuart a toute l’impudeur d’un temps où l’assassinat s’avouait comme un exploit de la haine. […] Vous êtes brave comme le meilleur de mes hommes d’armes ; et si les femmes se battaient comme aux temps anciens, j’estime que vous sauriez bien mourir. » — Il me reste à montrer, reprit-elle, à mes amis et à mes ennemis, de quel lieu je sors. » « Elle avait demandé son aumônier Préau ; on lui envoya deux ministres protestants […] Bourgoing lui répondit de la chambre où il était avec les autres serviteurs, que les lords attendaient Sa Majesté. — « Il n’est pas temps encore, reprit la reine ; qu’on revienne à l’heure convenue. » Alors, se précipitant de nouveau à genoux entre Élisabeth Curle et Jeanne Kennethy, elle fondit en larmes, se frappant la poitrine, rendant grâce à Dieu de tout, lui demandant avec ferveur, avec sanglots, de la soutenir durant les dernières épreuves.

2622. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Lettres de m. l’Abbé Sabatier de Castres ; relatives aux trois siecles de la littérature françoise.ABCD » pp. -641

… Vous en conviendrez, Monsieur, qu'après avoir affronté les Elémens, les Climats, les Sauvages, c'est trop redouter les clameurs d'une petite Horde que la raison & le temps détruiront, s'ils ne peuvent la contenir & la civiliser. […] Dans un temps, il croit à la révélation, à la divinité de Jésus-Christ, à l'infaillibilité de l'Eglise ; & dans un autre, il attaque l'authenticité des Livres Saints, & l'autorité des Conciles. […] Il étoit temps, car l’Homme universel se seroit bientôt trouvé réduit à peu de chose. […] Si vous êtes curieux d’apprendre comment, au milieu de cet ébranlement général, les Divinités majeures du Monde Philosophique ont vu les atteintes portées à leur culte & à leurs Adorateurs, vous saurez qu’elles sont restées muettes pendant quelque temps. […] Je me défiois quelquefois de l’hypocrisie de leur jargon, mais je me le reprochois ensuite comme une injustice ; enfin, pour ne vous rien cacher, j’ai flotté pendant quelque temps entre l’enthousiasme & le degoût.

2623. (1878) La poésie scientifique au XIXe siècle. Revue des deux mondes pp. 511-537

Sainte-Beuve nous montre, à peu près dans le même temps, trois talents occupés du même sujet et visant chacun à la gloire difficile d’un poème sur la nature des choses. […] Sainte-Beuve ne semblait pas le croire, et il a porté un jugement bien sévère et décourageant sur les tentatives de ce genre ; c’est à propos d’une idée émise par Chênedollé, qui aimait à expliquer le médiocre succès du Génie de l’Homme (un autre Hermès, achevé celui-là) en se disant à lui-même que le temps n’était pas venu d’appliquer la poésie aux sciences, que la science était encore trop verte, trop jeune, que dans l’état des choses actuelles, elle n’était pas encore nubile et qu’il ne fallait pas songer au mariage. […] Quel que soit le sort de cette tentative auprès du grand public, qui n’est pas toujours en goût de faire des efforts pour comprendre, elle mérite d’être signalée à deux points de vue, comme l’essai hardi d’un talent personnel et comme un symptôme des temps. […] Sachons ne pas savoir, c’est la vraie démarche philosophique et la conclusion de cette ingénieuse dissertation où Spinosa ne semble triompher d’abord que pour succomber à la fin sous la critique de Kant. — « Sachons ne pas savoir », je note le mot, il est caractéristique ; il trahit une disposition philosophique qui a sa raison d’être, puisqu’elle est celle de beaucoup d’esprits distingués en ce temps ; mais ce n’est pas assurément une disposition poétique. […] La Nature n’est pas soumise aux lois de notre conscience, et la Divinité, si elle existe, laisse faire à la Nature son œuvre nécessaire ; le large plan qui se développe à travers l’infini de l’espace, du temps et du nombre, ne peut se laisser troubler par les incidents misérables de nos plaintes et de nos gémissements.

2624. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIIe entretien. Balzac et ses œuvres (3e partie) » pp. 433-527

J’ai d’imposants souvenirs ensevelis au fond de mon âme, comme ces productions marines qui s’aperçoivent par les temps calmes, et que les flots de la tempête jettent par fragments sur la grève. […] Quelque temps après un ami de sa famille lui propose de visiter avec lui les bords de la rivière. […] Sous cet arbre, confident de mes pensées, je m’interroge sur les changements que j’ai subis pendant le temps qui s’est écoulé depuis le dernier jour où j’en suis parti. […] En venant m’établir ici, l’année dernière, je suis allé leur faire une visite de politesse ; ils me l’ont rendue et nous ont invités à dîner ; l’hiver nous a séparés pour quelques mois ; puis les événements politiques ont retardé notre retour, car je ne suis à Frapesle que depuis peu de temps. […] En pensant qu’elle pouvait se rappeler ma figure, je voulus m’enfuir ; il n’était plus temps, elle apparut sur le seuil de la porte, nos yeux se rencontrèrent.

2625. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome I

Elle n’est qu’une lutte spasmodique contre l’atmosphère raréfiée d’un temps intellectuellement sans espérance. […] Il les veut médiocres, pour que leur caractère soit plus significatif du temps et du milieu. […] Il n’en va déjà plus de même quand il s’agit de temps plus rapprochés. […] J’eusse veu la France et l’Espagne, en mesme temps. […] Il fallait un peu de temps pour sentir que cette prose si sage brûlait de passion, mais en dedans.

2626. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mort de M. Vinet »

Oui, il y avait en ce temps-ci un critique sagace, précis, clairvoyant, et, quand il le fallait, sévère, qui obéissait en tous ses mouvements à un esprit chrétien de charité. […] Mais le cours des destinées humaines est tel, et l’ironie des événements, l’indifférence du sort est si parfaite en soi et si profonde que, de cette révolution essentiellement mauvaise dans son principe, est sorti, après quelque temps, un nouvel état de choses paisible, animé et assez reflorissant pour qu’à dix-sept ans de distance, et en nous relisant aujourd’hui, cet excès de plaintes nous étonne un peu nous-même et amène sur nos lèvres un triste sourire (1864).

2627. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre X. De la simplicité du style »

Il en est quelques-uns, morts jeunes, qui n’ont pas eu le temps de mûrir, et dont tous les écrits le laissent apercevoir : mais un certain charme de fraîcheur et de naïveté y compense les défauts, qui sont imputables à l’âge plutôt qu’au talent de l’homme. […] Elle exige un sens délicat des convenances, qui sache estimer la valeur des mots, non plus dans leur rapport avec les choses, mais dans leur rapport avec mille circonstances variables de temps et de lieu.

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