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1197. (1896) Les idées en marche pp. 1-385

On ne trouve point l’arrêt, le choc qui fait songer « j’y suis » et limite l’admiration. […] Le terrible est de songer que toute parole émise doit s’accomplir et qu’il n’est si étrange paradoxe qui, une fois conçu par l’esprit humain, ne cherche éperdument à vivre et à agir. […] Songez aux phrases de Chateaubriand. […] On s’étonne de ce qu’il songeait à la mort et s’occupait d’assurer son trône. […] Chaque lame a ses deux profils dont l’un rit et l’autre pleure, ses deux voix dont l’une approuve et l’autre chasse : Songe à l’immortalité ; Que t’importe un nom éternel.

1198. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Conduite de l’action dramatique. » pp. 110-232

Cléopâtre, à la vérité, dans la tragédie de Rodogune, ne s’attire nulle compassion ; mais songez que, si elle n’était pas possédée de la passion forcenée de régner, on ne la pourrait pas souffrir, et que si elle n’était pas punie, la pièce ne pourrait être jouée. […] A ma douleur je chercherai des charmes ; Je songerai peut-être, au milieu de mes larmes, Qu’à vous perdre pour moi vous étiez résolu, Que vous vivez, qu’enfin c’est moi qui l’ai voulu. […] C’est que les tragiques grecs, contents de dessiner d’après Homère, et de ne point démentir l’idée qu’on s’était faite de leurs personnages, ne songeaient point à y ajouter. […] Songe que je reste et que je peine. […] Elle ne pourra recommander à son amant de songer quelquefois à sa solitude et à ses peines, sans être frappée elle-même de la situation où elle va se trouver dans un moment : ainsi les accents prendront le caractère de la plainte la plus touchante, à laquelle Mandane fera peut-être succéder un effort subit de fermeté, de peur de rendre à Arbace ce moment aussi douloureux qu’il l’est pour elle.

1199. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre III. De la signification de la vie. L’ordre de la nature et la forme de l’intelligence. »

Mais la vérité est qu’il y en a une quatrième, à laquelle Kant ne paraît pas avoir songé, — d’abord parce qu’il ne pensait pas que l’esprit débordât l’intelligence, ensuite (et c’est, au fond, la même chose) parce qu’il n’attribuait pas à la durée une existence absolue, ayant mis a priori le temps sur la même ligne que l’espace. […] La nature n’a pas songé à cette superposition. […] Quand on pense à l’infinité d’éléments infinitésimaux et de causes infinitésimales qui concourent à la genèse d’un être vivant, quand on songe qu’il suffirait de l’absence ou de la déviation de l’un d’eux pour que rien ne marchât plus, le premier mouvement de l’esprit est de faire surveiller cette armée de petits ouvriers par un contremaître avisé, le « principe vital », qui réparerait à tout instant les fautes commises, corrigerait l’effet des distractions, remettrait les choses en place : par là on essaie de traduire la différence entre l’ordre physique et l’ordre vital, celui-là faisant que la même combinaison de causes donne le même effet d’ensemble, celui-ci assurant la stabilité de l’effet lors même qu’il y a du flottement dans les causes. […] On l’omet, précisément parce qu’on ne songe pas à distinguer deux espèces d’ordre irréductibles l’une à l’autre. […] Mais la loi resterait vaguement formulable et aurait pu, à la rigueur, être formulée en gros, lors même qu’on n’eût jamais songé à mesurer les diverses énergies du monde physique, lors même qu’on n’eût pas créé le concept d’énergie.

1200. (1925) Portraits et souvenirs

Cependant ne se peut-il pas qu’on songe à résister pour de bon à un homme aussi périlleux que M. de Valmont ? […] Et c’était ainsi qu’il errait par le monde, tourmenté de songe, obscur et pauvre, lui qui était apparu jadis tout frémissant d’exaltation et tout impatient de renommée. […] L’hirondelle qui rase de son vol rapide les fleurs des corbeilles me fait songer à celle qui nichait à la fenêtre de la mansarde où cousait Musette, tandis que Rodolphe et Schaunard narguaient leurs créanciers en fumant de longues pipes, assis à la turque sur un divan râpé. […] Parfois, il prend sur la table un petit livre — les Trophées — en lit quelques pages, le repose et songe. […] De Vigneux, par Hirson, on était à peu de distance de la frontière, mais je ne pense pas que mon bisaïeul eût songé à s’expatrier, s’il n’y eût été forcé par une circonstance particulière.

1201. (1898) XIII Idylles diaboliques pp. 1-243

Remarque qu’il est très heureux, qu’il ne songe pas à réclamer un univers, qu’il recommencera tant qu’on voudra. […] Rêver son repos, ce serait t’abandonner à un songe de lâcheté qui te ferait retomber aux séries inférieures. […] Notre race se noie dans l’égout, grâce à ces Maîtres à la fois si stupides qu’ils ne songent plus qu’aux intérêts de leur bas-ventre, et si rusés qu’ils ont su se réserver quelques bribes du cadavre dont les gratifièrent ceux de l’or. […] La nuit odorante et radieuse les enveloppe de songe. […] Non, ce n’est pas l’agonie des feuillages qui t’attriste, ce n’est pas le songe mélancolique de la Forêt, c’est la paresse de poursuivre la tâche entreprise, c’est la peur de cette volonté agissante que je développai en toi et à laquelle tu obéiras désormais.

1202. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CLe entretien. Molière »

XIV Molière n’était, en naissant, ni l’un ni l’autre ; il n’y songeait pas. […] Songez qu’en vous faisant moitié de ma personne, C’est mon honneur, Agnès, que je vous abandonne ; Que cet honneur est tendre et se blesse de peu ; Que sur un tel sujet il ne faut point de jeu ; Et qu’il est aux enfers des chaudières bouillantes Où l’on plonge à jamais les femmes mal vivantes25. […] Elle fait des tableaux couvrir les nudités ; Mais elle a de l’amour pour les réalités. » Pour moi, contre chacun je pris votre défense, Et leur assurai fort que c’était médisance ; Mais tous les sentiments combattirent le mien, Et leur conclusion fut que vous feriez bien De prendre moins de soin des actions des autres, Et de vous mettre un peu plus en peine des vôtres ; Qu’on doit se regarder soi-même un fort long temps Avant que de songer à condamner les gens ; Qu’il faut mettre le poids d’une vie exemplaire Dans les corrections qu’aux autres on veut faire ; Et qu’encor vaut-il mieux s’en remettre, au besoin, À ceux à qui le ciel en a commis le soin. […] Il songe à inspirer de la crainte, du respect ; il oublie d’inspirer de l’amour ; il veut intimider l’esprit et ne sait pas gagner le cœur.

1203. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1891 » pp. 197-291

Cette affirmation m’amenait à demander à Hayashi, si par hasard il n’existerait pas quelque part des poésies imprimées de ces femmes : à quoi il me répondait que si, qu’il y avait un gros recueil très connu, et sur ma demande m’en traduisait quatre ou cinq caractéristiques, — ce qu’il n’aurait jamais songé à faire, si c’était lui qui avait fait le travail que j’ai fait, et ainsi de tout. […] Et le psychisme, le symbolisme, le satanisme cérébral, ce avec quoi les jeunes veulent le remplacer, avant qu’aucun d’eux n’y songeât, n’ai-je pas cherché à introduire ces agents de dématérialisation dans Madame Gervaisais, Les Frères Zemganno, La Faustin ? […] Me trouvant sur la place Saint-Germain-l’Auxerrois, je songeais tout à coup à la fraîcheur de la salle du rez-de-chaussée du Louvre, en face de moi, à ces catacombes de la vieille Égypte pharaonique. […] Le jeune homme, sans aucun amour pour elle, sans occupation dans sa vie, a l’idée, avec l’assentiment du mari, d’en faire quelque chose, de lui apprendre à lire, de lui donner quelque instruction, et là dans l’éclaircie de son intelligence, il songe à placer la phrase qu’il a entendu dire à la mère de Mistral, après une lecture de son fils : « Je n’ai pas tout compris, mais j’y ai vu une étoile. » Là-dessus arrive passer une semaine chez lui, une ancienne maîtresse, une actrice de boui-boui qui fait éclater la jalousie de la femme du garde de marais, qui aime inconsciemment, et un jour se refuse à préparer les plats du Nord que veut manger l’autre.

1204. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — [Introduction] » pp. 132-142

Et en effet, qu’on y songe un peu : pour que le combat entre l’Antiquité et les temps modernes se pût engager dans toute son étendue et sur toute la ligne, il fallait deux conditions essentielles, l’une qu’il y eût une Antiquité bien connue, bien en vue, bien distincte et comme échelonnée sur les hauteurs du passé, l’autre qu’il y eût une époque moderne, bien émancipée, bien brillante et florissante, un grand siècle déjà et qui parût tel aux contemporains.

1205. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) «  Poésies inédites de Mme Desbordes-Valmore  » pp. 405-416

Elle ne songeait pas à être une héroïne politique quand elle allait ainsi les chercher à travers les barreaux, pas plus qu’elle n’était une théologienne quand elle épanchait avec confiance ses pleurs et ses parfums devant Dieu ; elle n’avait que des instincts de miséricorde et de fraternité humaine, mais elle les avait pressants, irrésistibles.

1206. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre II. Des tragédies grecques » pp. 95-112

Les trois tragiques grecs ont tous traité les mêmes sujets ; ils n’en ont point inventé de nouveaux ; les spectateurs n’en avaient nullement le désir ; les auteurs n’y songeaient pas, et ils n’y auraient peut-être pas réussi.

1207. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre I. Malherbe »

On peut trouver sa forme étriquée, ses rythmes monotones et simples : songeons que la liberté antérieure était indétermination, confusion : il a réglé la cadence de la poésie comme il était possible en son temps, et il fallait passer par la simplicité classique pour arriver à la complexité plus riche de l’harmonie romantique.

1208. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XV. Les jeunes maîtres du roman : Paul Hervieu, Alfred Capus, Jules Renard » pp. 181-195

On ne songe pas, il ne lire que ses petits dialogues, en elzévir serré, qu’il est un romancier d’humanité large et touchante.

1209. (1890) L’avenir de la science « VI »

Quand on songe que chaque petite ville d’Italie au XVIe siècle avait son grand maître en peinture et en musique, et que chaque ville de 3 000 âmes en Allemagne est un centre littéraire, avec imprimerie savante, bibliothèque et souvent université, on est affligé du peu de spontanéité d’un grand pays, réduit à répéter servilement sa capitale.

1210. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre II. Filles à soldats »

Parfois, en effet, ils nous font songer « aux dessous répugnants et affreux, à cette insanité du meurtre, à cette exaltation de la force et des instincts sauvages, à toute la basse animalité lâchée ».

1211. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 32, que malgré les critiques la réputation des poëtes que nous admirons ira toujours en s’augmentant » pp. 432-452

Monsieur Despreaux a dit cent fois qu’il n’avoit songé qu’à opposer le sentiment de ceux qui faisoient tourner le soleil sur son axe au sentiment de ceux qui n’avoient pas voulu qu’il tournât sur son axe, et le vers le dit même assez distinctement pour n’avoir pas besoin d’être interpreté.

1212. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Mathilde de Toscane »

Elle restera parce qu’avant lui personne n’avait songé à l’écrire, et surtout, surtout, parce qu’elle touche intimement à un homme bien plus grand encore que la femme qu’elle nous fait connaître, un homme envers qui l’Histoire, en France, a honteusement manqué de justice.

1213. (1880) Goethe et Diderot « Introduction »

Vous m’expliquerez « ce songe. » Mais jusqu’à présent cette lettre a été cherchée en vain dans la Correspondance de Gœthe.

1214. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Armand Carrel » pp. 15-29

Paulin et Littré, ses éditeurs, n’ont songé qu’à la fin de 1857 à réunir en un corps d’ouvrage les écrits dispersés du célèbre rédacteur du National.

1215. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Eugène Pelletan » pp. 203-217

Personne, à l’heure qu’il est, et de Maistre pas plus que personne, ne songea défendre ni même à excuser les procédures de l’Inquisition, qui ressemblent, par leurs abus et par leurs vices, à toutes les autres anciennes procédures criminelles de l’Europe ; mais le principe même de cette institution, est-ce à cette heure — cette heure d’athéisme qui menace le monde des plus épouvantables catastrophes — qu’on peut le reprocher à la sagesse de nos pères ?

1216. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VII. Vera »

Mais, s’il avait plus songé à l’éducation à faire de l’intelligence du public, qu’il doit, avec ses convictions, vouloir rendre hégélien, qu’à l’éducation toute faite des philosophes comme lui, il eût commencé par les autres œuvres d’Hegel, moins cruellement abstraites (par exemple, les idées sur la Religion, sur l’État, sur l’Art, etc.), et il serait remonté de là vers les principes philosophiques d’où dépend toute la philosophie de son maître, et il eût placé ainsi le lecteur, familiarisé avec les idées et le langage hégélien, à la source même du système.

1217. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « MM. Delondre et Caro. Feuchtersleben et ses critiques. — L’Hygiène de l’âme » pp. 329-343

… Pour mon compte, je n’en parlerais pas, je n’aurais jamais songé à en parler, s’il n’était pas d’obligation, pour toute critique qui se sent, de réagir contre les importances ridicules faites à des livres qui, véritablement, n’en ont pas.

1218. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « L’abbé Monnin. Le Curé d’Ars » pp. 345-359

Mais l’abbé Monnin, qui écrit pour les lettrés et ne leur marchande pas les longueurs de son histoire, n’a pas manqué de donner des exemples foudroyants de cette expression surnaturelle, et il les a donnés avec une profusion qui étonne, quand on songe que ces inspirations, qui forment des pages si nombreuses dans son livre (de la page 413 à la page 485 du second volume), ont été saisies à la volée, et quand on se demande quelle dut être leur beauté première pour avoir résisté si bien à la pâle dictée du souvenir !

1219. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Maynard »

À propos d’histoire et de biographie, nous nous plaignions, il y a quelque temps, que personne, parmi nos contemporains, n’eût songé à écrire la vie de saint Vincent de Paul.

1220. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Mme Desbordes-Valmore. Poésies inédites. »

Moi, j’ai retenu tout ce qu’elle songeait.

1221. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Amédée Pommier »

C’est une frivole et une étourdie, et quand on ne la prend pas par le chignon et par la nuque pour lui tourner la tête vers un chef-d’œuvre et lui mettre le nez dedans, elle ne le voit pas et ne songe même pas à le regarder.

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