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457. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. le Cte Alfred de Vigny à l’Académie française. M. Étienne. »

Il a exactement commencé avec ce régime, il l’a servi officiellement, il y a fleuri, et s’il s’est très-bien conservé sous le suivant et durant les belles années du libéralisme, il a toujours gardé son premier pli. […] On exhuma Conaxa ; c’était le titre de la pièce qui avait, disait-on, servi de matière et d’étoffe aux Deux Gendres. […] Non, l’excès même du despotisme impérial n’amena point cette fuite panique des familles françaises dont avait parlé le poëte à propos de l’Intrigante ; non, les familles nobles ne redoutaient point tant alors le contact avec le régime impérial, et trop souvent on les vit solliciter et ambitionner de servir celui qu’elles haïssaient déjà. […] À quoi serviraient-elles désormais ?

458. (1886) De la littérature comparée

Aussi, ces œuvres que nous relisons sans cesse ne sont-elles pas seulement des documents historiques auxquels nous pouvons demander les secrets des siècles éteints : elles ont, pour ainsi dire, passé dans notre sang, elles ont servi chacune à nous former tels que nous sommes, nous les retrouvons en descendant au fond de nous-mêmes comme des levains auxquels nous devons peut-être nos meilleures aspirations. […] III Avec l’ancienne méthode critique, la base d’un enseignement littéraire était trouvée d’avance : c’était la littérature classique qui servait de commune mesure à toutes les autres. […] Mais avec la méthode historique et psychologique, le problème est tout autre : il s’agit de rattacher le cours à quelque idée générale, de s’en servir pour arriver à la démonstration de quelqu’une de ces lois que la pensée moderne s’efforce de préciser, ou tout au moins pour suivre dans ses diverses phases un grand mouvement intellectuel. […] Deux siècles auparavant, quand Brunetto Latini osait dire que « toutes les choses étaient faites pour l’homme et que l’homme était fait pour lui-même », un prudent contemporain se hâtait d’ajouter « et pour aimer et servir Dieu et avoir la joie perdurable ».

459. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVI » pp. 413-441

Madame de La Sablière eut le malheur de remarquer que l’astrolabe sert à mesurer la hauteur des astres et non à reconnaître si la terre tourne ou est fixe ; et que parallaxe est du féminin. […] Dans la même année, il écrivait à madame de La Sablière :                  « Les pensers amusants,                  « Les romans et le jeu, « Cent autres passions des sages condamnées « Ont pris comme à l’envi la fleur de mes années. » Il finit par s’exhorter, il est vrai, sans grande espérance de succès, à embrasser un autre genre de vie : « Que me servent ces vers avec soin composés ? […] Cette pièce donna lieu à un incident qui servit à cimenter et à manifester l’alliance de nos deux poètes avec la société que favorisait chaque jour plus hautement une des plus notables personnes qui en avaient fait partie ; je parle de madame de Maintenon. […] N’en doutons pas, ceux-ci s’étaient assurés de la manière la plus positive qu’ils n’avaient point à redouter les applications des ouvrages satiriques dont les auteurs leur faisaient la lecture ; ils savaient indubitablement de la bouche des auteurs mêmes le nom des personnes qui avaient servi de modèle à leurs tableaux, et ils n’avaient pas besoin de le demander.

460. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Lettres inédites de l’abbé de Chaulieu, précédées d’une notice par M. le marquis de Bérenger. (1850.) » pp. 453-472

Dès 1745, l’abbé d’Estrées avait prouvé, sur cette question de généalogie, que la famille des Anfrie, seigneurs de Chaulieu, était d’épée avant d’être de robe (circonstance réputée honorable), et qu’elle servait sur un bon pied du temps de Charles VII. […] Je ne saurais pas vous dissimuler qu’il est gros de beaucoup de choses qu’il ne servirait rien d’écrire, et que je ne veux pas confier à du papier. […] Mlle de Launay, dépendante chez la duchesse du Maine, souffrait de sa position, et s’en servait aussi pour observer. […] La vieillesse, qui affaiblit d’ordinaire les talents, servit plutôt celui de Chaulieu.

461. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — III. (Suite et fin.) » pp. 128-145

Il est revenu plus d’une fois, dans des pages dignes d’un vrai politique et d’un historien, sur ce que c’est que l’heure de l’entraînement dans une nation, et sur le parti qu’on en peut tirer pour de grandes choses : Il y a de profonds politiques, dit-il avec raillerie (26 septembre 1831), qui ne croient pas qu’on puisse faire autre chose que du désordre par l’entraînement, et qui prétendent que c’est la ressource de l’incapacité… Il y a aussi, dans l’opposition, des hommes qui ont lu l’histoire, et qui se sont persuadé qu’en politique comme en guerre, ce qui distingue le génie de la capacité vulgaire, c’est de saisir l’entraînement et de s’en servir. […] La modération, après tout, était ici chose de tact et de goût ; elle m’a bien servi ; et toutes fois que vous me verrez paraître en mon nom, ne craignez pas que j’exagère. […] Habile et prudent jusque dans ses colères, plus consommé qu’on ne le croirait dans l’art de se servir de la légalité et d’atteindre jusqu’à l’extrême limite sans l’outrepasser, il crut qu’il pourrait toujours gagner ses procès, et il se trompa. […] Carrel, en effet, n’avait pas seulement à combattre le gouvernement qui était en face de lui, il avait à côté et en arrière à tenir tête aux ardents et aux brouillons dont il disait : « Leurs qualités ne servent que dans les cas tout à fait extraordinaires ; … leurs inconvénients sont de tous les jours. » Complètement étranger (est-il besoin de le dire ?)

462. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Appendice à l’article sur Gabriel Naudé »

Au reste, je fusse toujours demeuré dans la promesse que je vous avois faite de mépriser les médisances qu’il vous avoit faites de moi, si trois ou quatre mois après je n’eusse reçu nouvel avis de Paris et de la part de M. de La Motte 254 que je vous nomme confidemment, et depuis encore par la bouche du Père Le Duc, minime, qu’il continuoit tous les jours à vomir son venin contre moi ; après quoi je vous avoue que la patience m’est échappée, mais non pas néanmoins que j’aie encore rien écrit contre ledit Père, sinon en général à ceux que je croyois le pouvoir remettre en bon chemin ; ce qui néanmoins n’a servi de rien jusqu’à cette heure, à cause de son orgueil insupportable : et Dieu veuille que vous ne soyez pas le quatrième de ses bienfaiteurs qui éprouviez son étrange ingratitude ! […] Je mets de mes pensées où je puis, et à chaque édition nouvelle d’un ouvrage j’en profite comme d’un convoi qui part pour envoyer au public, à mes amis et même à mes ennemis (dussent-ils se servir de cette clé comme d’une arme, selon leur usage) quelques mots qu’il m’importe de dire sur moi-même et sur ce que j’écris.

463. (1874) Premiers lundis. Tome I « Fenimore Cooper : Le Corsaire Rouge »

Le fleuve, si l’on peut parler ainsi, n’est pas là pour couler et suivre sa pente ; le propriétaire veut en faire quelque chose, et s’en sert comme d’un moyen pour un but. […] Quelques années encore, et l’écumeur de mer sera un Paul Jones, de même que le pirate grec sera un Canaris ; seulement, je ne voudrais pas que le héros au lit de mort eût à la main ce rouleau qui lui avait servi comme d’oreiller, et que, par un effort soudain, au moment d’expirer, il déployât le pavillon national, en s’écriant : « Nous triomphons. » Cela ressemble trop aux morts théâtrales de notre Cirque-Olympique.

464. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 181-190

Il fut Philosophe, mais Philosophe Chrétien ; & l’on peut dire que ses lumieres ont autant servi à la gloire de la Religion, qu’à celle de la Philosophie. […] L’application qu’il donna à cette espece de travail, servit du moins à fortifier ses bons principes.

465. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre IV »

Les bûcherons qui mesurent encore le bois au lieu de le peser se servent plus volontiers de la corde, et les auvergnats, de la voie. […] Sauf quelques mots par lesquels d’académiques vétérinaires voulurent glorifier leur profession, la maréchalerie se sert d’un dictionnaire entièrement français, ou francisé selon les bonnes règles et les justes analogies ; parmi les plus jolis mots de ce répertoire peu connu figurent les termes qui désignent les qualités, les vices ou la couleur des chevaux ; azel, aubère, balzan, alzan, bégu, cavecé, fingart, oreillard, rouan, zain.

466. (1761) Salon de 1761 « Peinture — M. Pierre » pp. 122-126

Point de vêtement que ce qui sert à désigner. […] Que le peintre s’en serve pour faire sortir tout l’éclat de Venus.

467. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 3, que le merite principal des poëmes et des tableaux consiste à imiter les objets qui auroient excité en nous des passions réelles. Les passions que ces imitations font naître en nous ne sont que superficielles » pp. 25-33

Les premiers inventeurs du bain n’ont pas songé qu’il fût un remede propre à guerir de certains maux, ils ne s’en sont servis que comme d’un rafraîchissement agréable durant la chaleur, lequel on a découvert depuis être utile pour rendre la santé dans certaines maladies : de même les premiers poëtes et les premiers peintres n’ont songé peut-être qu’à flater nos sens et notre imagination, et c’est en travaillant pour cela qu’ils ont trouvé le moïen d’exciter dans notre coeur des passions artificielles. […] On peut même penser que le berger visionnaire dont je viens de parler, n’auroit jamais pris ni pannetiere, ni houlette sans quelque bergere qu’il voïoit tous les jours ; il est vrai seulement que sa passion n’auroit pas produit des effets aussi bizarres, si, pour me servir de cette expression, elle n’eût été entée sur les chimeres dont la lecture de l’Astrée avoit rempli son imagination.

468. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 4, objection contre la proposition précedente, et réponse à l’objection » pp. 35-43

Je suis déja tombé d’accord que les hommes, qui naissent avec le génie du commandement des armées, ou bien avec le génie de tous les grands emplois, et même, si l’on veut, avec le génie de l’architecture, ne peuvent se manifester qu’ils ne soient secondez par la fortune, et servis par les conjonctures. […] On l’y reçoit pour servir à la messe, et le voilà à portée de faire les premieres études.

469. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville (suite et fin.) »

En 1847, aux approches de la révolution, Tocqueville avait conçu des craintes sérieuses en voyant la hardiesse et l’espèce de concert des différents systèmes socialistes ; nous l’apprenons par un fragment intitulé : De la classe moyenne et du peuple, qui devait servir de manifeste au petit groupe d’opposants dont il était le chef. […] Je ne puis rencontrer cela qu’en écrivant l’histoire, en m’attachant à une époque dont le récit me serve d’occasion pour peindre les hommes et les choses de notre siècle, et me permettre de faire de toutes ces peintures détachées un tableau. […] Nous ne sommes d’ailleurs pas au bout de cette sorte de confession intellectuelle, la plus curieuse et la plus détaillée que je connaisse : « A cette première manière d’envisager le sujet, poursuis l’auteur, en a succédé dans mon esprit une autre que voici : il ne s’agirait plus d’un long ouvrage, mais d’un livre assez court, un volume peut-être ; je ne ferais plus, à proprement parler, l’histoire de l’Empire, mais un ensemble de réflexions et de jugements sur cette histoire ; j’indiquerais les faits sans doute et j’en suivrais le fil, mais ma principale affaire ne serait pas de les raconter ; j’aurais, surtout, à faire comprendre les principaux, à faire voir les causes diverses qui en sont sorties ; comment l’Empire est venu, comment il a pu s’établir au milieu de la société créée par la Révolution ; quels ont été les moyens dont il s’est servi ; quelle était la nature vraie de l’homme qui l’a fondé ; ce qui a fait son succès, ce qui a fait ses revers ; l’influence passagère et l’influence durable qu’il a exercée sur les destinées du monde, et en particulier sur celles de la France. […] Gustave de Beaumont, qui me serviront peut-être d’excuse, et qui montreront que les meilleurs amis de Tocqueville ont bien voulu, en définitive, n’être point tout à fait mécontents de ce qu’eux-mêmes ils avaient désiré et presque exigé de moi. […] Ailleurs, ayant à parler de Fontanes, il dira : « M. de Fontanes, qui restait fort amoureux du passé et était ce qu’on eût appelé dans le jargon moderne un grand réactionnaire… » J’avoue que ce dédain de la langue courante m’impatiente un peu riiez Tocqueville : car enfin le mot de réaction ne pouvait exister sous Louis XIV, puisqu’il n’y avait pas lieu au mouvement des partis, qui a motivé l’introduction du mot ; il fallait la Terreur et Thermidor, le Directoire et Fructidor, 1815 et les Cent-Jours, pour qu’il naquît et s’autorisât : à choses nouvelles il faut des mots nouveaux ; et quand l’emploi en est modéré, comme dans les exemples que je cite, quand l’usage les accepte et les consacre, c’est le fait d’un dégoût ou d’une timidité extrêmes de s’en priver ou de ne s’en servir qu’en s’en excusant de cette façon… Tangens maie singula dente superbo.

470. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres mêlées de Saint-Évremond »

Il s’appliqua dans sa jeunesse au métier des armes, s’acquit l’estime des généraux sous lesquels il servit, et, arrivé au grade de maréchal de camp, il pouvait prétendre à une plus grande fortune militaire, lorsqu’une lettre de lui, très-spirituelle et satirique, sur la paix des Pyrénées et contre le cardinal Mazarin, lettre adressée au marquis de Créqui et connue seulement de trois ou quatre personnes, fut trouvée dans une cassette déposée chez Mme du Plessis-Bellière, dont on saisissait les papiers. […] Je me servirai de l’un et de l’autre selon que j’en jugerai à propos, et, s’ils font leur devoir, comme je suis persuadé qu’ils feront, j’espère que Votre Majesté aura la bonté de les ouïr nommer et permettre qu’ils méritent par leurs services qu’Elle leur pardonne, après une pénitence conforme à la faute. » Mais, après s’être galamment conduit en bon Français à l’occasion, Saint-Évremond rentrait dans sa philosophie et dans sa tranquillité. […] « La duchesse, au désespoir, se servit de son crédit auprès du roi Guillaume pour faire sortir sa fille d’Angleterre, et, en effet, celle-ci fut obligée de se retirer en Hollande ; mais la duchesse n’y gagna rien, car le duc d’Albemarle suivit aussitôt la duchesse de Richelieu. […] Ce fut le poison dont elle voulut se servir, car, quoiqu’on ne s’en serve pas à cet usage, mais seulement comme d’un dissolvant pour la digestion, néanmoins, quand on en boit beaucoup à jeun, cette liqueur est tellement corrosive qu’elle tue comme de l’arsenic.

471. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « M. MIGNET. » pp. 225-256

A propos des similitudes frappantes et presque des symétries d’accidents qui sautent aux yeux entre l’avénement de la seconde race et celui de la troisième, il disait : « Cette analogie de causes et d’effets est remarquable, et prouve combien les choses agissent avec suite, s’accomplissent de nécessité, et se servent des hommes comme moyens, et des événements comme occasions. » Après avoir montré dans saint Louis le principal fondateur du système monarchique, il suivait les progrès de l’œuvre sous les plus habiles successeurs, et faisait voir avec le temps la royauté de plus en plus puissante et sans contrôle, roulant à la fin sur un terrain uni où elle n’éprouva pas d’obstacle, mais où elle manqua de soutien ; si bien qu’un jour « elle se trouva seule en face de la Révolution, c’est-à-dire d’un grand peuple qui n’était pas à sa place et qui voulait s’y mettre, et elle ne résista pas. […] Bolingbroke, parlant d’un écrit de Pope (son Essai sur l’Homme, je crois) et du bien qui pouvait en résulter pour le genre humain, écrivait à Swift (6 mai 1730) : « J’ai pensé quelquefois que si les prédicateurs, les bourreaux et les auteurs qui écrivent sur la morale, arrêtent ou même retardent un peu les progrès du vice, ils font tout ce dont la nature humaine est capable ; une réformation réelle ne saurait être produite par des moyens ordinaires : elle en exige qui puissent servir à la fois de châtiments et de leçons ; c’est par des calamités nationales qu’une corruption nationale doit se guérir. » Voilà encore une de ces paroles qui serviraient bien d’épigraphe et de devise à une histoire de la Révolution française. […] Servi par eux, Louis XIV sut se guider lui-même, choisir et trouver ses voies, suffire à tout, réparer les fautes, diviser ses adversaires, ne rien relâcher qu’à la dernière heure, et à force de suite, d’artifice et de volonté, enlever à point nommé la paix la plus glorieuse. […] Si habilement et si artistement tissu que soit le filet, les hommes et leurs intentions, et les mille hasards de leur destinée passent de toutes parts au travers, et la présence même du réseau d’airain ne sert qu’à faire mieux apercevoir ce qu’il ne parvient pas à enserrer.

472. (1868) Alexandre Pouchkine pp. 1-34

Il lui a fallu créer en quelque sorte la langue dont il s’est servi. […] Les paysans ne font pas de fautes contre la grammaire, et souvent s’expriment plus correctement que leurs seigneurs, à qui l’habitude de se servir du français dans la conversation a fait adopter des gallicismes et des tournures étrangères au génie de leur langue. […] On dit qu’à l’exemple de Molière, il consultait souvent sa vieille nourrice, et qu’il s’appliquait à ne se servir que de mots familiers à tous ses compatriotes, gentilshommes ou paysans. […] Je ne connais pas d’ouvrage plus tendu, si l’on peut se servir de cette expression comme d’un éloge ; pas un vers, pas un mot ne s’en pourrait retrancher ; chacun a sa place, chacun a sa destination, et cependant en apparence tout cela est simple, naturel, et l’art ne se révèle que par l’absence complète de tout ornement inutile. […] Le général n’est pas jaloux, il est plein de confiance dans sa femme ; mais celle-ci est prudente, et sa science du monde, nouvellement acquise, elle s’en sert pour éviter le danger, sans paraître le craindre ou même le soupçonner.

473. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre huitième »

Il fait voir admirablement avec quel bonheur de première invention et quel esprit de suite on y fait servir la guerre à l’agrandissement au dehors et à la paix au dedans ; avec quelle audace réfléchie on la porte chez l’ennemi au lieu de l’attendre ; avec quelle habileté on change les vaincus en alliés pour en vaincre d’autres ; avec quelle magnanimité farouche on y sacrifie la nature à la discipline ; avec quel sens pratique on imite de l’ennemi ses usages militaires et jusqu’à ses armes pour le battre ; avec quelle prévoyance Rome se fait de ses colonies militaires comme autant d’enceintes fortifiées qu’il faudra franchir avant de l’atteindre. […] La comparaison sert à faire voir non des infériorités, mais des différences dont la vérité historique, la morale et la langue ont profité. […] Les pays où Montesquieu a voyagé y ont trouvé leur compte, et dans ce sens d’Alembert a raison ; mais l’auteur de l’Esprit des lois pensait plutôt à faire servir les nations à son livre, et ses voyages n’ont été que la manière la plus agréable d’y travailler. […] Les vrais grands hommes pâtissent pour servir l’espèce humaine, et troublent leur vie pour améliorer la nôtre. […] Si la chose n’était plus à faire pour nous, si notre pays était à cette heure en possession de cette sagesse, l’Esprit des lois n’y aurait pas peu servi.

474. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Discours préliminaire, au lecteur citoyen. » pp. 55-106

Est-il rien de plus abject, que de lui servir de marche-pied pour atteindre au pouvoir dont il ne peut qu’abuser Syst. social, Part.  […] Ils ont des bras : s’ils ne peuvent s’en servir à cultiver une portion de terre en propriété, qu’ils s’en servent à purger cette même terre des monstres qui la dévorent. […] il vaut mieux mourir, que de servir de trophée à des hommes stupéfiés d’orgueil & pétris de vices. […] Comme je ne puis douter que ce bruit calomnieux ne soit une ruse imaginée pour décréditer mes Censures, en les attribuant à des motifs étrangers à mon zele, je crois devoir déclarer que je n’ai été payé par personne, que je n’ai ni bénéfice, ni pension de l’Eglise, & que le Clergé ne m’a pas donné de quoi acheter la plume qui m’a servi à combattre les ennemis de la Religion & les siens, Je puis ajouter, qu’en écrivain contre la Philosophie & ses partisans, je n’ai été animé que par le désir d’être utile.

475. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Bussy-Rabutin. » pp. 360-383

Mécontent du prince de Condé, Bussy ne sut pas se tenir mieux avec M. de Turenne : il servit sous ce dernier après la Fronde (1653-1659). […] De tous les généraux sous lesquels il servit, il n’en est aucun avec qui Bussy s’entendît si bien qu’avec le prince de Conti, frère du Grand Condé. […] Tel était le prince sous qui Bussy voulait aller servir en Catalogne pendant la campagne de 1654 ; il s’accommodait très bien de ce général qui aimait la raillerie, et qui mêlait le badinage et le bel esprit jusque dans les ordres de service qu’il donnait. […] Veuf d’une première femme et voulant se remarier, « cherchant du bien, dit-il, parce qu’il savait qu’il sert beaucoup à faire obtenir les grands honneurs », il s’était laissé persuader par quelques entremetteurs intrigants qu’une jeune veuve fort riche, Mme de Miramion, ne demandait pas mieux que de l’épouser, mais qu’elle avait besoin d’y paraître contrainte pour donner un consentement que sa famille n’aurait pas approuvé. […] » Ici on excuse presque ses bassesses de ton pour rentrer en grâce auprès du maître qu’il voudrait servir : c’est moins le courtisan que le soldat qui se réveille en lui.

476. (1856) Les lettres et l’homme de lettres au XIXe siècle pp. -30

Le nouveau prince que l’homme de lettres doit servir est un singulier mélange de qualités et de travers. […] Appuyée sur la science, servie par le commerce et les institutions de crédit, elle a ses princes qu’elle couronne d’un diadème d’or ; grands propriétaires, puissants banquiers, suzerains d’ateliers et de comptoirs, plus riches que des rois et plus indépendants. […] L’homme de lettres n’a d’autre maître que le public : et c’est, nous l’avons vu, un maître juste, intelligent, débonnaire, qu’il faut servir et non flatter. […] J’écrivais ce Discours en voyage, sans livres, sur les rochers de la Hougue, qui me servaient de bureau. […] Le général Bonaparte demande de quelle espèce de véhicule le poète s’est servi pour venir, et apprenant qu’il a tout simplement loué un fiacre : « Cela ne se peut pas, dit-il ; il faut qu’un homme de votre âge, de votre talent, ait une bonne voiture à lui, bien simple, bien commode.

477. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre VI. De la politique poétique » pp. 186-220

Mais c’est aussi une loi que l’âme doit toujours y commander, et le corps toujours servir. […] L’ingénieux écrivain s’est servi du plus faible des trois mots employés par les jurisconsultes pour désigner la possession, habere, tenere, possidere. […] Quand je t’aurai tué, je te dépouillerai, pendant trois jours je te traînerai lié à mon char autour des murs de Troie, et tu serviras ensuite de pâture à mes chiens. […] Tout l’héroïsme des maîtres du peuple ne servait qu’à l’épuiser par des guerres interminables, qu’à l’enfoncer dans un abîme d’usure, pour l’ensevelir ensuite dans les cachots particuliers des nobles, où les débiteurs étaient déchirés à coups de verges, comme les plus vils des esclaves. […] Pour désigner un grand nombre, on se servit d’abord de celui de douze, de là les douze grands dieux, les douze travaux d’Hercule, les douze parties de l’as, les douze tables, etc.

478. (1890) Le réalisme et le naturalisme dans la littérature et dans l’art pp. -399

Mais ils se servent des mêmes procédés esthétiques, et peut-être manquent-ils également leur but. […] La muraille y sert de rideau. […] L’orchestre enrichi de timbres nouveaux servit à donner aux airs une sorte de couleur locale. […] Taine s’en empare et s’en sert avec une résolution âpre, acharnée, indépendante et discrète. […] Point, mais pour le servir.

479. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLe entretien. L’homme de lettres »

Ses lettres de recommandation ne lui ayant servi à rien, il alla à Amsterdam et à Lubeck, où quelques modiques présents qu’il reçut du chevalier de Chazat lui servirent à s’embarquer pour Cronstadt. […] Ces livres avaient servi à sa gloire. […] La selle lui servit d’oreiller, et sans plus s’inquiéter des soucis du lendemain, il s’endormit bientôt du plus profond sommeil. […] Le feu lui servit encore à dépouiller le chou de l’enveloppe de ses longues feuilles ligneuses et piquantes. […] Mais bientôt il s’aperçut que ce jupon servait d’abri à deux têtes charmantes animées par la course et par la joie.

480. (1892) Les idées morales du temps présent (3e éd.)

A quoi donc servent les saints ? A quoi ont servi les stoïciens ? A quoi ont servi tant de belles âmes de l’antiquité mourante ? […] Pourquoi faut-il éviter de nuire à son prochain et le servir autant qu’on peut ? […] A quoi sert d’avoir trouvé ce que c’est que le bien si on continue à faire le mal ?

481. (1921) Esquisses critiques. Première série

Ce sont les mots qui leur servent de sentiments ou d’âme. […] Une écriture rapide, voluptueuse, moins confiante qu’on ne la supposerait à l’avance, sert de première traduction à son idée. […] Soit ignorance, soit volonté d’être ignorant, un jargon prétentieux et relâché servait alors d’habit à la pensée. […] Aucun régent de lettres ne proclama jamais qu’il est illégitime de remettre en œuvre des thèmes qui ont précédemment servi. […] Son précieux langage, ornementé, policé, achevé, lui sert d’un voile doré qu’il tire devant la réalité et qui la métamorphose.

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