Ce sont là de ces traits un peu trop appuyés, qui font rire aux dépens des gouvernements les gens mêmes qui sont le plus en peine quand les gouvernements viennent à leur manquer.
Il est vrai que le moment d’après on riait de soi et des autres, et on ne s’en aimait que mieux.
Ici nous avons le cadre, nous avons l’érudit, mais l’étude rit peu ; elle est froide.
Voltaire est le premier, et il demeure incomparable : vif, naturel, facile, toujours prêt, donnant au moindre compliment un tour aisé, une grâce légère, exprimant au besoin des pensées sérieuses, mais les déridant bientôt, et toujours attentif à plaire, à faire rire l’esprit.
« Quelquefois on n’y pensait plus, et il reparaissait triomphant avec le mot de l’énigme ; — et il riait de toutes ces originalités de studieux et de curieux avec une naïveté charmante.
Demain il essayera de faire rire le monde à vos dépens.
Soit qu’il parle ou qu’il agisse, il le fait avec élégance et avec gravité : jamais on ne l’a vu rire, mais on l’a vu pleurer souvent (Nemo vel semel ridentem vidit, sed flentem imo).
La bête furieuse l’enveloppait du battement de ses ailes ; il l’étreignait contre sa poitrine, et à mesure qu’elle agonisait, ses rires redoublaient, éclatants et superbes comme des chocs d’épées. » Est-ce donc que le génie d’Hannibal appelle avec lui l’idée d’une si fabuleuse enfance ?
Sa femme riait souvent de la mine qu’il devait avoir lorsque, dans un de ses déguisements en Écosse, il jouait le rôle d’une grosse servante.
L’auteur de Bertrand et Raton, lequel, il est vrai, n’y regardait pas tout à fait de si près, et qui n’a accepté, en matière de difficultés, que l’indispensable, a réussi à faire rire.
Différaient-elles beaucoup de l’Élégie à la voix gémissante ; Au ris mêlé de pleurs, aux longs cheveux épars, Belle, levant au ciel ses humides regards ?
Les Italiens n’ont pensé qu’à faire rire en composant leurs pièces ; tout but sérieux, même déguisé sous les formes les plus légères, ne peut y être aperçu ; et leurs comédies sont la caricature de la vie, et non son portrait.
« La langue d’Amphitryon est la plus souple, la plus épanouie, la plus polie, la plus savoureuse, la plus riante, la plus pure qu’on ait écrite. » Quand il nous parle de Labiche, il n’y a plus que Labiche et son rire épique ; et quand il nous parle d’Octave Feuillet, il n’y a plus qu’Octave Feuillet et son délicieux romanesque, consolateur de l’homme dont le cœur est supérieur à sa fortune.
Il s’y avoue mélancolique « jusqu’à ne pas rire trois ou quatre fois en trois ou quatre ans ; le visage sombre, qui le fait paraître encore plus réservé qu’il n’est ; avec un esprit que gâte cette mélancolie, et une si forte application à son chagrin que souvent il exprime assez mal ce qu’il veut dire. » Voilà qui ne convient guère à un homme d’action.
Et, malgré tout, ces demi-dieux une fois honorés, ne voyez-vous point là-bas une foule nombreuse et familière d’esprits excellents qui va suivre de préférence les Cervantès, les Molière toujours, les peintres pratiques de la vie, ces amis indulgents et qui sont encore les premiers des bienfaiteurs, qui prennent l’homme entier avec le rire, lui versent l’expérience dans la gaieté, et savent les moyens puissants d’une joie sensée cordiale et légitime ?
Janin, qui intervient à chaque moment en tiers avec ses amoureux, relève ces riens par de jolis traits, par des fraîcheurs de plume comme il en a volontiers : un sang rose à la joue, une goutte de rosée au front, un rire étincelant, l’élan naturel et le découplé de la jeunesse.
Il voit tout, il lit tout, il rit de tout, il est content de tout, il s’occupe de tout.
Il y mêla des sarcasmes et des railleries qui tirent plus d’une fois rire à gorge déployée tous les membres du Conseil.
Le peintre Cyprien n’est à l’aise que devant certains spectacles douloureux et minables ; il préfère « la tristesse des giroflées séchant dans un pot, au rire ensoleillé des roses ouvertes en pleine terre » ; à la Vénus de Médicis, « le trottin, le petit trognon pâle, au nez un peu canaille, dont les reins branlent sur des hanches qui bougent » ; formule son idéal de paysage en ces termes : « Il avouait d’exultantes allégresses, alors qu’assis sur le talus des remparts, il plongeait au loin… Dans cette campagne, dont l’épiderme meurtri se bossèle comme de hideuses croûtes, dans ces roules écorchées où des traînées de plâtre semblent la farine détachée d’une peau malade, il voyait une plaintive accordance avec les douleurs du malheureux, rentrant de sa fabrique éreinté, suant, moulu, trébuchant sur les gravats, glissant dans les ornières, traînant les pieds, étranglé par des quintes de toux, courbé sous le cinglement de la pluie, sous le fouet du vent, tirant résigné sur son brûle-gueule. » Et sur ce dolent idéal, des Esseintes renchérit encore : « Il ne s’intéressait réellement qu’aux œuvres mal portantes, minées et irritées par la fièvre » « … se disant que parmi tous ces volumes qu’il venait de ranger, les œuvres de Barbey d’Aurevilly étaient encore les seules dont les idées et le style présentassent ces faisandages, ces taches morbides, ces épidermes talés, et cegoût blet, qu’il aimait tant à savourer parmi les écrivains décadents ».
On dirait qu’ils se sont donné le mot pour s’agencer ainsi et que c’est une chûte pour rire.
Thiers ; mais il était petit… Chateaubriand osa un jour (riait-il ?)
Zola sont orduriers ou blasphématoires, et la seconde que nos vaudevillistes, assez contens de nous avoir fait rire, n’ont pas cru qu’ils écrivaient, dans Le plus heureux des trois ou dans le Chapeau de paille d’Italie : « L’histoire naturelle et sociale » de leur temps.
La nature ne connaît ni le rire ni la fantaisie. […] Il y a dans Francillon une scène où l’un des personnages s’écrie : « Oui, nous sommes tous comiques, extrêmement comiques ; tu es comique, ta femme est comique, je suis comique… » Oui, l’auteur a ri, nous avons ri, — mais, sachez-le bien, ce rire-là emporte avec lui une tristesse profonde, et, si vous en étiez capable, un enseignement. […] Je le revois, dans un angle de salon, un lorgnon sur la pointe de son nez busqué, déchiffrant, dans de blanches paumes qui en frémissaient d’effroi, toutes sortes de secrets qu’il savait par cœur, et, quand il avait bien donné la petite mort à ses jolies pénitentes, il riait de ce beau rire sonore que j’entendrai toujours. On s’apercevait, à ce rire, que ce Moraliste amer avait gardé, à travers la vie, mieux que la force, la bonté. […] tout cela, jeunesse, amour, joie et pensée, Chants de la mer et des forêts, souffles du ciel, Emportant à plein vol l’espérance insensée, Qu’est-ce que tout cela qui ri est pas éternel 19 ?
Et, quand il fut entré à Port-Royal, il eut aussi le don du rire, — d’un rire qui n’avait rien du tout de profane. […] C’est le rire des jeunes filles très pures et des religieuses innocentes. […] … La compassion a aussi ses charmes, qui ne sont pas moindres que ceux du rire. […] Gélaste défend la comédie et le rire par des plaisanteries qui nous font croire que Gélaste est bien Chapelle et non pas Molière. […] On le dit, Mais Pan tout bas s’en moque, et la Sirène en rit.
quand l’auteur riait dans une stalle à côté de lui. […] C’est en plein Paris, hier, à l’église Saint-François-de-Sales, rue Brémontier, que commence ce roman qui nous fait entrevoir les mystères d’Hermès, dont la célébration a lieu, ne riez pas, dans un quartier de la butte Montmartre. […] Max O’Rell faisait une conférence en Australie : « Quelquefois, le soûlard colonial a le mot pour rire. […] En prêtant l’oreille, on aurait pu entendre, de tous les c’oins de Paris, rire et crier la Maison de la Vieille. […] Ceux qui se penchaient au-dessus des demi-portes basses ne riaient plus et se taisaient, parce que le malheur accompagnait et grandissait le pauvre closier.