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1677. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE LA FAYETTE » pp. 249-287

C’étoit un grand personnage, quoi que ses envieux en aient voulu dire : il ne savoit pourtant pas toutes les finesses de la poésie ; mais Mme de La Fayette les entendoit bien. » La personne qui préférait à tout et sentait ainsi les poëtes était à la fois celle-là même qui se montrait vraie par excellence, comme M. de La Rochefoucauld plus tard le lui dit, employant pour la première fois cette expression qui est restée : esprit poétique, esprit vrai, son mérite comme son charme est dans cette alliance. […] Même quand Mme de La Fayette n’alla plus à Versailles et n’embrassa plus en pleurant de reconnaissance les genoux du roi, même quand M. de La Rochefoucauld fut mort, elle garda son crédit, sa considération : « Jamais femme sans sortir de sa place, nous dit Mme de Sévigné, n’a fait de si bonnes affaires. » Louis XIV aima toujours en elle la favorite de Madame, un témoin de cette mort touchante et de ces belles années avec lesquelles elle restait liée dans son souvenir, n’ayant plus guère reparu à la cour depuis. […] Mme de Maintenon, en grandissant la dernière, dut par degrés changer envers Mme de La Fayette qui resta la même ; c’est ce procédé uniforme que Mme de Maintenon aurait peut-être voulu voir changer un peu avec sa fortune113. […]  » Il lui était resté, à travers tout, un coin de goût romanesque.

1678. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier »

Il fut le premier et longtemps l’unique maître de ce fils adoré (fils naturel, je le crois), dont l’éducation ainsi resta presque entièrement privée et qui ne parut au collège que dans les classes supérieures. […] Weiss, cet ami d’enfance, bibliographe comme Nodier, et, qui plus est, homme d’imagination comme lui, l’un des derniers de cette franche et docte race provinciale à la façon du xvie  siècle, héritier direct des Grosley et des Boisot, l’excellent Weiss est resté dans sa ville natale comme un exemplaire déposé de la vie première et de l’âme de son ami, un exemplaire sans les arabesques et les dorures, mais avec les corrections à la main, avec les marges entières précieuses, et ce qu’on appelle en bibliographie les témoins. Qui donc n’a pas ainsi quelqu’un de ces amis purs et fidèles qui est resté au toit quand nous l’avons déserté, le pigeon casanier qui garde la tourelle ? […] Prévenu à temps, il gagna la campagne et resta errant jusque vers le commencement de 1806, soit dans le Jura français, soit en Suisse178.

1679. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre troisième. Les sensations — Chapitre II. Les sensations totales de la vue, de l’odorat, du goût, du toucher et leurs éléments » pp. 189-236

. — D’autre part, cette quantité pourra surpasser la distance moyenne ou rester en dessous. Plus elle surpassera la distance moyenne et approchera de l’écartement extrême, plus la couleur produite par le mélange sera voisine du pourpre qui est produit par l’écartement extrême ; au contraire, plus elle restera au-dessous de la distance moyenne et approchera de l’écartement nul, plus la couleur produite par le mélange sera voisine de la couleur intermédiaire, dans laquelle l’écartement de deux couleurs spectrales composantes est nul85. […] La sensation d’odeur proprement dite y est compliquée d’une autre qui cesse, s’accroît ou se renverse selon l’état de l’estomac ; la même odeur, celle d’un plat de viande fumante, est agréable pendant la faim et désagréable pendant une indigestion ; probablement, dans ce cas, il y a d’autres nerfs profonds du canal alimentaire qui entrent aussi en action ; la sensation totale est composée d’une sensation du nerf olfactif et de plusieurs sensations adjointes. — On peut enfin diviser en deux les odeurs fraîches ou suffocantes, c’est-à-dire, d’un côté, celles des sels volatils, de l’eau de Cologne, du goudron, du tan, et, de l’autre côté, celles du renfermé, celle d’une pâtisserie, d’une manufacture de coton, d’un magasin de laine ; visiblement ici, à la sensation d’odeur proprement dite s’ajoute une sensation de bien-être et de malaise qui vient des voies respiratoires et qui a pour canaux des nerfs de contact et de douleur. — Je pense aussi que dans plusieurs cas, par exemple lorsqu’on respire de l’alcool, une faible sensation de chaleur vient compliquer la sensation d’odeur proprement dite. — Restent les pures sensations d’odeur, agréables ou désagréables par elles-mêmes, celles de la violette et de l’assa fœtida par exemple ; il y en a un nombre infini desquelles on ne peut rien dire, sinon qu’elles sont agréables ou désagréables ; par elles-mêmes, elles résistent à l’analyse, et pour les désigner nous sommes obligés, de nommer le corps qui les produit. […] L’action élémentaire nerveuse et, partant, la sensation élémentaire tactile, restent hors de nos prises.

1680. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre troisième. La connaissance de l’esprit — Chapitre premier. La connaissance de l’esprit » pp. 199-245

Si à certains égards, eux et moi, nous avons changé, à d’autres égards, eux et moi, nous n’avons pas changé, et je conçois en eux comme en moi quelque chose qui est resté fixe. […] Ils resteront à la porte ou sur le seuil ; l’autre, l’unique, le privilégié, entrera seul et fera seul partie de moi-même. […] Si je n’appuie pas, si je ne chasse pas les impressions et les distractions survenantes, si je ne laisse pas à mes souvenirs le temps de se préciser et de se compléter, ils restent presque tous à l’état latent ; ce qui survit et ce qui émerge, c’est un fragment sur dix mille, la représentation vague de ma marche à tel moment dans la rue, ou de mon arrivée dans la maison, ou de l’attitude de l’ami que je suis allé voir. — Mais cela suffit ; ce lambeau conservé me tient lieu du reste ; je sais par expérience que, en concentrant sur lui mon attention, j’en ressusciterais plusieurs semblables de la même série ; il est dorénavant pour moi la représentation sommaire du tout. — Il en est de même pour le déjeuner que j’ai fait auparavant, pour la lecture qui a employé les premières heures de ma matinée ; de sorte qu’avec trois substituts abréviatifs je remonte en un clin d’œil jusqu’à mon lever, c’est-à-dire jusqu’à un incident séparé par dix heures du moment où je suis. […] À l’en croire, ses parents l’avaient perdue exprès sept ou huit fois, et sa mère avait fini par la vendre à des saltimbanques chez qui elle était restée deux ans.

1681. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIVe entretien. Cicéron (3e partie) » pp. 257-336

« Quand ma patrie fut tombée dans ce dernier état, dépouillé de mes anciennes fonctions, je repris ces études, qui, tout en calmant mes douleurs, m’offraient de plus le seul moyen qui me restât d’être encore utile à mes concitoyens. […] … Je vis mon père, et je fondis en larmes ; mais lui, m’embrassant, me défendit de pleurer… « Dès que je pus retenir mes sanglots, je dis : Ô mon père, modèle de vertus et de sainteté, puisque la vie est en vous, comme me l’apprend l’Africain, pourquoi resterais-je plus longtemps sur la terre ? […] « Restez donc le disciple du premier philosophe de ce siècle, restez-le aussi longtemps que vous le voudrez, et vous devez le vouloir tant que vous ne vous repentirez pas du temps que vous lui consacrerez.

1682. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre premier. La sensation, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. La sensation »

Si le milieu reprend son état primitif, l’organe tendra à y revenir, lui aussi ; il restera pourtant une trace, si faible soit-elle, de l’action qu’il avait subie dans l’intime arrangement de ses molécules. […] C’est ainsi que le contact souvent répété d’un aimant finit par aimanter un barreau d’acier, parce que les molécules de l’acier, souvent dérangées, finissent par rester dans la position qu’on leur fait prendre ; ainsi l’organe passager devra se transformer en organe permanent. […] De même, nous sommes restés sans vision et sans yeux pour tous les éléments de la réalité qui ne nous intéressaient pas, qui ne se rapportaient pas à du sentiment possible, à du plaisir ou à de la douleur, à la satisfaction de l’appétit par des mouvements appropriés. […] Dès lors, les sensations, comme sensations, restent en dehors des réductions mécaniques à l’unité ; celles ci portent sur certaines conditions communes à toutes, sur certains concomitants communs et même sur certains éléments communs ; mais elles ne peuvent pas porter sur ce que les sensations ont de propre, puisqu’alors, nous venons de le voir, pour expliquer les différences qualitatives, on serait obligé de les supprimer et de dire qu’il n’y a aucune différence pour la conscience entre sentir une brûlure ou sentir une odeur.

1683. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1884 » pp. 286-347

Ce cabinet de lecture où j’ai été imaginativement si heureux, tout enfant, ce cabinet de lecture, qui est resté à peu près ce qu’il était, en ces vieilles années, c’est là où je lis tous les jours les attaques et les férocités contre l’auteur de Chérie. […] Une bousculade des deux corps, dans laquelle le rose derrière de ma cousine disparut si vite, que j’aurais pu croire à une hallucination… mais la vision cependant me resta. […] Enfin nous persuadons à la malheureuse femme de se coucher auprès de son enfant, resté toute la journée dans ces tristes choses, afin qu’il n’ait pas peur, s’il venait à se réveiller. […] » Et le lendemain matin, le petit frère, dans l’oreille duquel étaient restés des mots, qui étonnent la pensée enfantine, passait tout le déjeuner, à vouloir savoir ce qu’on devenait, quand on était mort.

1684. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

Tout l’or de vos cheveux est resté dans mon cœur. […] La lumière a fait les yeux en les pénétrant : leur transparence n’est qu’un peu de sa clarté restée en eux. — Cet idéal tremblant au fond des cœurs, est-ce aussi une aube près de poindre ? […] Il restait et il reste encore bien des inspirations à chercher, pour le poète, dans toute cette partie de la société, la plus nombreuse, qui vit ignorée, et qui est cependant le fond même de l’humanité. […] Sous cette âpre rhétorique Si ses yeux restent sereins, Alors je ferai ma trique Discuter avec ses reins.

1685. (1840) Kant et sa philosophie. Revue des Deux Mondes

De même, quand Luther eut détruit l’influence de Rome dans une grande partie de l’Allemagne, les esprits une fois sortis de la vieille autorité, n’en surent plus reconnaître aucune ; le luthéranisme eut aussi ses schismes, le calvinisme ses bûchers, et ce qui restait de foi ne sut plus à quelle forme se prendre et s’arrêter. […] Ils frondaient ce qui restait de christianisme et de théologie en Allemagne. […] Restent les jugemens synthétiques à posteriori dont la certitude vient de l’expérience. […] Je prends les deux exemples donnés par Kant. — Dans tout changement du monde matériel, la quantité de matière doit rester la même ; dans toute communication du mouvement, l’action et la réaction doivent être égales. — Ce sont évidemment là des jugemens synthétiques, car l’idée de matière n’implique pas le moins du monde que dans tous les changemens la quantité de matière est la même ; de même on peut avoir l’idée de mouvement sans en déduire que l’action et la réaction sont toujours égales.

1686. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le buste de l’abbé Prévost. » pp. 122-139

Était-ce bien pour l’abbé Prévost, pour l’auteur de ces romans et de ces mille écrits qu’ils n’ont point lus, que se pressaient vers la ville, dès le matin du dimanche 23, les habitants des communes rurales d’alentour, tellement que le travail des moulins chômait et qu’il ne restait dans les villages qu’une seule personne par maison pour la garde des enfants et des bestiaux ? […] Sa mort, survenue brusquement le 25 novembre 1763, est restée enveloppée de mystère dans quelques-unes de ses circonstances, et ce qui s’est dit l’autre jour à Hesdin, dans la cérémonie même, n’est pas de nature à lever tous les doutes.

1687. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — II. (Fin.) » pp. 364-380

Le théâtre de Marivaux est resté sa gloire. […] Les pièces de Marivaux qui sont restées au répertoire et qu’on joue encore quelquefois : Le Jeu de l’amour et du hasard, son chef-d’œuvre ; Le Legs, La Surprise de l’amour, Les Fausses Confidences, L’Épreuve et d’autres encore, se ressemblent plus ou moins ou ne diffèrent que par des nuances déliées.

1688. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Geoffroy de Villehardouin. — I. » pp. 381-397

Le doge s’entendait à ménager ses effets, et à mettre en jeu ce qui restait du fonds démocratique dans le gouvernement vénitien de cette date : Quand la messe fut dite, le duc manda les députés, et leur dit, pour l’amour de Dieu, qu’ils priassent le commun peuple d’octroyer ce qui était convenu. […] Villehardouin, qui nous donne cette impression à travers son récit, ne la démêlait sans doute qu’imparfaitement lui-même : il n’y avait point de contradiction déclarée alors entre ces intérêts du monde et ceux de la religion ; les mêmes hommes qui pourvoyaient aux uns étaient sincèrement préoccupés des autres : toute la différence n’était que dans la proportion et dans la mesure ; mais la part faite au ciel, même quand elle ne venait qu’en seconde ligne, restait encore grande.

1689. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — I. » pp. 91-108

Et questionné par un de ses malades sur je ne sais quel remède en vogue, un autre médecin célèbre, Bouvart, répondait : « Dépêchez-vous d’en prendre pendant qu’il guérit. » — M. de Meilhan avait un frère qui fut fermier général et qui avait les mœurs du jour ; une des paroles de ce fermier général à sa femme est restée comme peignant l’immoralité domestique portée à son comble, elle n’est pas de celles qu’on puisse citer25. […] Pourtant il est clair, en lisant les très fidèles portraits de M. de Meilhan, que si l’on était exactement resté dans les salons de ce règne de Louis XVI, dans cette atmosphère adoucie et tiède, sans les ouragans qui survinrent et les tempêtes, on allait s’affadir de plus en plus, s’user et s’effacer dans une ressemblance commune.

1690. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — III. (Fin.) » pp. 162-179

Le dernier acte de Jeannin comme négociateur en Hollande est mémorable, bien qu’il soit resté sans fruit. […] Dans ses derniers projets d’expédition et de guerre à l’étranger, il l’invitait en riant à se pourvoir d’une bonne haquenée pour l’accompagner et le suivre en toute entreprise. — Un jour qu’il y avait eu une indiscrétion commise sur quelque matière d’État, il prenait Jeannin par la main, en disant aux autres membres du Conseil : « Messieurs, c’est à vous de vous examiner ; pour moi, je réponds du bonhomme. » La carrière du président Jeannin semble remplie et comblée dans sa mesure, et pourtant il resterait encore tout un chapitre à y ajouter.

1691. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — I. » pp. 343-360

Il paraît que Bailly n’était point du tout un aveugle et qu’il s’acquitta de son entreprise de manière à perfectionner sur un point la science newtonienne, à faire rentrer sous la loi universelle de l’attraction une province restée jusque-là assez rebelle. […] Rien ne ressemble moins au maire de Paris de la fin et à l’idée à la fois honorable et monotone (quand elle n’est pas tragique) qui en est restée.

1692. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Tallemant et Bussy ou le médisant bourgeois et le médisant de qualité » pp. 172-188

En un mot, Bussy a donné dans l’Histoire amoureuse des Gaules une sorte de plat de son métier, une rabutinade qui a un ragoût particulier pour les palais qui n’en sont pas restés aux mets de l’âge d’or. […] Cet abbé Tallemant, qui est resté pour nous le sec traducteur du français d’Amyot, n’aimait pas notre Tallemant et lui portait envie.

1693. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — II » pp. 268-284

Un Caton trop rude et trop hérissé, un Paul-Émile patricien trop dur, ne lui allaient pas ; il avait à les présenter surtout par leurs aspects publics, patriotiques, à jamais mémorables ; le côté anecdotique est resté dans l’ombre. […] Guizot, tout allait bien, et il parlait de ces choses du dedans à qui savait les entendre ; mais devant les contradicteurs, et avec ses tâtonnements de parole, il restait court et se déconcertait aisément : Le 25 novembre (1817), j’ai passé la soirée chez l’abbé Morellet. — Conversation psychologique. — Mon vieux ami m’a demandé brusquement : « Qu’est-ce que le moi ? 

1694. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « L’abbé de Marolles ou le curieux — I » pp. 107-125

Mais Marolles n’était pas encore satisfait ; en matière de catalogue, il était ambitieux comme César et comme tous les vrais collectionneurs, ces insatiables conquérants, qui n’aspirent qu’à se compléter : rien ne lui semblait fait tant qu’il restait quelque chose à faire. […] Une conversation qu’il eut, en 1632, avec l’abbé de Saint-Cyran, ce chrétien austère, ne contribua pas peu à le remettre à la raison : sous air de l’exhorter à aller en avant dans la carrière ecclésiastique, M. de Saint-Cyran lui fit une telle description du péril où se jettent ceux qui recherchent une si haute élévation sans connaître les perfections et les grands devoirs que Dieu leur impose, qu’il le consterna et le guérit, comme on guérit un malade avec une douche froide : « Au lieu d’accroître mon souci pour cela, il aida merveilleusement à me faire perdre le peu de désir qui m’en pouvait rester, dont je lui aurai une éternelle obligation. » Marolles se contenta désormais d’être le plus paisible et le plus oiseusement occupé des abbés de France, dont il sera le doyen un jour.

1695. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Œuvres de Maurice de Guérin, publiées par M. Trébutien — I » pp. 1-17

Celui qui était encore l’abbé de Lamennais célébrait dans la chapelle la messe pascale, — sa dernière messe2 —, et y donnait de sa main la communion à de jeunes disciples restés fidèles, et qui le croyaient fidèle aussi : c’étaient Guérin, Élie de Kertangui, François du Breil de Marzan, jeune poète fervent, tout heureux de ramener à la sainte table une recrue nouvelle, un ami plus âgé de dix ans, Hippolyte de La Morvonnais, poète lui-même. […] — Et qui donc s’était placé sous cette cloche et se plaisait à y rester plus que lui ?

1696. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance de Voltaire avec la duchesse de Saxe-Golha et autres lettres de lui inédites, publiées par MM. Évariste, Bavoux et Alphonse François. Œuvres et correspondance inédites de J-J. Rousseau, publiées par M. G. Streckeisen-Moultou. — II » pp. 231-245

À l’instant, toutes les énigmes qui l’avaient si fort inquiété s’éclaircirent à son esprit : le cours des cieux, la magnificence des astres, la parure de la terre, la succession des êtres, les rapports de convenance et d’utilité qu’il remarquait entre eux, le mystère de l’organisation, celui de la pensée, en un mot le jeu de la machine entière, tout devint pour lui possible à concevoir comme l’ouvrage d’un Être puissant directeur de toutes choses ; et s’il lui restait quelques difficultés qu’il ne pût résoudre, leur solution lui paraissant plutôt au-dessus de son entendement que contraire à sa raison, il s’en fiait au sentiment intérieur qui lui parlait avec tant d’énergie en faveur de sa découverte, préférablement à quelques sophismes embarrassante qui ne tiraient leur force que de la faiblesse de son esprit. […] Je ne demande qu’à obéir ; qu’on me dise seulement ce que je dois faire, car, durant ma malheureuse existence, je ne puis pas m’empêcher d’être quelque part, mais rester ici ne m’est pas possible, et je suis bien déterminé, quoi qu’il arrive, à ne plus essayer de la maison d’autrui.

1697. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Essai sur l’Histoire générale des sciences pendant la Révolution française. »

Bien lui prit, comme à Fontenelle, non seulement de vieillir, mais de savoir vieillir, d’hériter avec habileté et prudence des renommées disparues, de rester le dernier et le seul représentant parmi nous de tout un âge héroïque de la science, dont il discourait volontiers comme un Nestor, d’avoir gardé un vif amour de la pure science en elle-même, de l’avoir cultivée jusqu’à sa dernière heure, et d’avoir su trouver à propos dans l’érudition, dans la littérature, un complément et un prolongement varié qui est venu se confondre peu à peu, en la grossissant, dans sa réputation première. […] Lorsque les membres du Comité de salut public annoncèrent aux administrateurs qu’il fallait fabriquer dix-sept millions de poudre dans l’espace de quelques mois, ceux-ci restèrent interdits ; « Si vous y parvenez, dirent-ils, vous avez des moyens que nous ignorons. » C’était cependant la seule voie de salut.

1698. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourg, par M. Michelet. (suite.) »

« Il y avait longtemps qu’il travaillait en secret à connaître les maux de ce beau royaume et les remèdes qui les pouvaient guérir, lorsqu’il ne vit plus rien entre le trône et lui que ce qui restait de vie à un aïeul plus que septuagénaire. […] Il n’était pas né mal fait ; sa taille resta droite, tant qu’il fut dans les mains des femmes ; mais, pendant ses études, de bonne heure elle tourna, et il devint un peu bossu.

1699. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’Impératrice Catherine II. Écrits par elle-même. »

Je n’ai pas à caractériser ici le dessein général et la pensée politique qui peut inspirer cet écrivain patriote, je ne cherche que le côté historique ; et quand il n’y aurait que les Mémoires authentiques où l’Impératrice Catherine a raconté les premières années de sa jeunesse et de sa vie si contrainte et si intriguée avant d’atteindre à l’empire, qui donc parmi les lecteurs sérieux et les observateurs de la nature humaine pourrait y rester indifférent ? […] Mais il est plus probable que Catherine écrivait ces pages, destinées à rester secrètes et confidentielles, pour se rendre compte à elle-même de ses années de jeunesse, de souffrance et de plaisir, pour revenir sur les impressions mélangées, mais si vives, qu’elle y trouvait en y repassant.

1700. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « M. de Pontmartin. Les Jeudis de Madame Charbonneau » pp. 35-55

Peu s’en faut que vous n’ajoutiez, et je crois que vous l’avez dit : « Enfin j’ai trouvé mon genre. » Que si vous n’avez pas recueilli dans le volume tout ce que vous aviez inséré dans la feuille, c’est que vous aviez, au moment de cette seconde publication, quelques ménagements à garder, c’est que vous ne vouliez pas mettre tout le monde contre vous à la fois, que vous ne vouliez pas vous fermer toutes les portes ; mais ces articles, d’abord dissimulés, et qui étaient restés comme des soldats couchés dans le fossé, attendant pour se montrer un nouveau signal, ont été levés par des indiscrets, et maintenant tout est connu ; je parlerai donc du tout. […] Les Anciens, honnêtes gens, avaient un principe, une religion : tout ce qui était dit à table entre convives était sacré et devait rester secret ; tout ce qui était dit sous la rose, sub rosa (par allusion à cette coutume antique de se couronner de roses dans les festins), ne devait point être divulgué et profané.

1701. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Sainte-Hélène, par M. Thiers »

Sa philosophie, à lui, restait toute pratique, non critique, non ironique, nullement pessimiste, mais toute en vue de l’usage qu’on peut faire, du parti qu’on peut tirer de ce merveilleux instrument qui s’appelle l’homme, dans une société, dans une nation. […] Il y a, dans ce tableau complet de la captivité et des travaux de Sainte-Hélène, de quoi confirmer et transporter tous ceux qui croient surtout au génie et qui l’idolâtrent ; de quoi ramener et réconcilier ces autres esprits, moins enthousiastes, qui étaient restés surtout sensibles aux dernières fautes d’un règne où tout fut immense ; de quoi émouvoir enfin et confondre en réflexions salutaires ces âmes délicates qui mêlent au spectacle de toute grande infortune humaine une idée religieuse d’expiation.

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