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372. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Mistral. Mirèio »

Indubitablement, selon moi, le caractère épique, si l’on veut bien y réfléchir, est quelque chose de plus intime qu’une question de plénitude, résolue avec plus ou moins de puissance, et il vient bien moins de ce que le poète chante que de sa manière de chanter. […] cette déception funeste au poète, bien loin d’enlever à son œuvre quelque chose de son prestige ou de sa puissance, a tourné à son profit et fait preuve pour elle.

373. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre V. »

Que le poëte Alcman, naturalisé à Sparte, ait eu à Lesbos un disciple dont l’harmonie merveilleuse, sans attendrir les pirates, enchantait jusqu’aux dauphins des mers, c’est un récit aussi gracieux dans les pages d’Hérodote que douteux en lui-même ; mais la tradition lyrique dans la Grèce est certaine du moins ; et, soit Arion, soit Amphion, jusqu’aux fables, tout dépose de cette puissance d’imagination et de mélodie, qui, des lieux où naquirent les chants homériques, circulait vers Thèbes et vers Athènes. […] Laissons donc pour ce qu’elle vaut la citation d’Élien, et contentons-nous de croire, avec Hérodote et Plutarque, que le musicien Arion avait excellé sur le mode Orthien et le mode Pythien, les plus grandes puissances de l’antique mélodie, et que le jour où, charmant par ses accords les matelots âpres à sa dépouille, il eut le temps de sauter du milieu de ces brigands sur un dauphin préservateur, il avait employé au soutien de ses vers et de sa voix suppliante ces deux modes harmoniques, dont Platon a vanté la vertu pour adoucir tes âmes et calmer, sur place, même une sédition politique.

374. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — O. — article » p. 433

L’étude des intérêts des différentes Puissances de l’Europe, la connoissance qu’il avoit des Hommes en général, & du caractere de chaque Nation en particulier, le rendirent un des plus célebres Politiques de son temps.

375. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque » pp. 2-79

« Dans quelle région du ciel (reprend-il au vingt-cinquième sonnet) était le modèle incréé d’où la nature tira ce beau visage, dans lequel elle se complut à montrer la puissance d’en haut ? […] L’énergie des caractères et la puissance des intelligences qu’elle produit sont en perpétuel contraste avec la petitesse des États et avec la servitude des institutions pour lesquels ces natures romaines devaient vivre ; en sorte que cette noble et belle terre souffre doublement de rêver ce que fut l’Italie jadis, et de subir ce que l’Italie est aujourd’hui. […] Une forte confédération de toutes ses petites puissances, reliées en faisceau par une grande puissance militaire extérieure, peut seule restaurer une ombre de l’antique Italie. […] Le tribun paraissait alors, et, donnant du geste et de la voix l’éloquente explication de ces peintures énigmatiques, il incendiait le peuple d’indignation contre les oppresseurs de la patrie ; il prophétisait à une multitude, incapable de distinguer la différence des siècles, le prochain rétablissement de la liberté, de la puissance et de la gloire du sénat et du peuple romain. […] De leur puissance ?

376. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (1re partie) » pp. 397-476

Sa puissance s’accroît de tout ce qu’elle perçoit et de tout ce qui se produit d’idées ou de sentiments en elle par ces perceptions. […] Les arts mêmes ne paraissent avoir été accordés à l’homme que pour accroître indéfiniment cette puissance d’impressionnabilité, d’idées, de sensations, de sentiments, dans l’âme de l’homme. […] C’est toujours une religion qui enfante un art ; il n’y a que ces grands mouvements de l’esprit humain qui soient de force à surexciter et à concentrer assez les puissances vitales de l’imagination des hommes pour leur faire produire ces monuments populaires de la poésie, de la musique, de la peinture, de la sculpture, de l’architecture surtout. […] On peut dire qu’elle ne devint véritablement digne du nom d’art que quand le christianisme, parvenu lui-même à son âge de virilité, de puissance morale et de conquête universelle, régna à Rome sur l’univers. […] Et il a fait les Moissonneurs et les Pêcheurs, deux poèmes naturels par le sujet, surnaturels par l’expression ; deux poèmes qui sont devenus populaires en huit jours et sont entrés dans l’œil de ce siècle avec la puissance de l’évidence et avec le charme du rayon qui entre dans le regard.

377. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Troisième partie de Goethe. — Schiller » pp. 313-392

Il voit ses arbres qui grandissent, ses granges bien remplies, ses greniers qui plient sous le poids de leurs richesses, et ses moissons pareilles à des vagues ondoyantes ; et alors il s’écrie avec orgueil : La splendeur de ma maison, ferme comme les fondements de la terre, brave la puissance du malheur. […] « Heureuse est la puissance du feu, quand l’homme la dirige, la domine. […] La prétendue impassibilité de Goethe n’est que sa supériorité ; certes, on ne peut soupçonner l’auteur de Werther, de Charlotte, de Mignon, de Marguerite, de n’avoir pas eu dans l’âme toutes les puissances, et même les plus délicates, de sentir, d’aimer, de souffrir ; celui qui fait pleurer ne fait que prêter ses propres larmes à ceux qui le lisent ; il en a donc lui-même une source chaude, amère et abondante dans son propre cœur. […] Le mépris est une mauvaise puissance, mais c’est une puissance réelle sur les hommes ; cela prouve qu’on ne partage pas leurs petitesses, leurs enthousiasmes et leurs versatilités. […] Nous sommes loin de le penser, sans doute ; nous ne pensons pas non plus que la nature produise souvent, et même produise deux fois un homme supérieur en puissance de tête à Goethe.

378. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIe entretien. Littérature italienne. Dante. » pp. 329-408

Des cieux, des enfers, des purgatoires sans cesse décrits, peuplés, vidés par les moines prédicateurs dans les chaires du peuple, étaient devenus, par la puissance de la foi, par l’habitude des pratiques, par la répétition des cérémonies, des réalités de la pensée aussi visibles et aussi palpables dans l’esprit des fidèles que les réalités physiques. […] Il regarda donc pendant longtemps et jusqu’au vertige dans la profondeur de son âme, de sa foi, de ses amours, de ses haines, de ses vengeances, et il se dit : « Je ferai voir l’invisible, et je le rendrai si visible, par la puissance de ma foi et par la vigueur de mes pinceaux, que la terre et le ciel sembleront s’ouvrir aux yeux des hommes, et que je jouirai d’abord en ce temps, puis, par anticipation, dans l’éternité, de cette justice éternelle qui sera à la fois ma félicité et ma vengeance. […] Le Dante ou le Tasse, ou Pétrarque pouvaient, peut-être, exécuter cette épopée de l’âme, seul sujet qui reste ; mais il n’y avait en moi, disciple trop dégénéré de ces grands hommes, que la force de rêver une telle conception sans la puissance de l’enfanter. […] Il était à Rome et à Florence inamovible comme la tradition, à peu près semblable à ces premiers drogmans que les puissances européennes entretiennent dans les cours d’Asie auprès de leurs ambassadeurs pour leur enseigner la langue du pays et la politique de ces cours. […] Du haut du temple céleste, au milieu des âmes justes qui vont et viennent par la voie lactée, Scipion écoute les sept notes de cette musique éternelle que forment les astres ; il contemple les espaces où ils roulent, et, quand enfin il aperçoit la terre si petite, et sur la terre le point obscur qui est l’empire romain, il a honte d’une puissance qui trouve si tôt ses limites, il aspire à une félicité que rien ne circonscrive.

379. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée, par M. le chevalier Alfred d’Arneth et à ce propos de la guerre de 1778 »

Voilà les deux puissances qu’on veut substituer à nous, bons et honnêtes Allemands. « … Il serait bien malheureux que le repos de l’Europe dépendît de deux puissances si connues dans leurs maximes et principes, même en gouvernant leurs propres sujets ; et notre sainte religion recevrait le dernier coup, et les mœurs et la bonne foi devraient alors se chercher chez les barbares. » Elle fait un léger mea culpa sur l’affaire de la Pologne, sur ce partage où l’Autriche s’est laissé induire (le mot est d’elle), en se liant avec ces deux mêmes puissances qu’elle qualifie si durement ; elle a l’air d’en avoir du regret ; et l’on entrevoit pourtant, par quelques-unes de ses paroles, que si pareille chose était à recommencer, et si l’Autriche, abandonnée d’ailleurs, n’avait point d’autre ressource qu’une telle alliance, elle pourrait encore la renouer sans trop d’effort et jouer le même jeu, en se remettant à hurler avec les loups : « Car je dois avouer qu’à la longue nous devrions, pour notre propre sûreté ou pour avoir aussi une part au gâteau, nous mettre de la partie. » La femme ambitieuse laisse ici passer le bout de l’oreille.

380. (1896) Psychologie de l’attention (3e éd.)

En face d’un problème scientifique, l’esprit d’un Newton agit de même ; c’est une irritation perpétuelle qui le tient en sa puissance sans trêve ni repos. […] Aussi ceux qui n’ont parlé de l’attention que d’après l’observation intérieure sont restés muets sur son mécanisme et se sont bornés à célébrer sa puissance. […] Ici le mécanisme de l’association prend sa revanche ; il agit seul, de toute sa puissance, sans contrepoids. […] Cependant l’extase, quoiqu’elle élève, chez chaque individu, l’intelligence à sa plus haute puissance, ne peut pas la transformer. […] Pour exécuter ce tour de force durant une demi-journée sans interruption, il fallait développer une prodigieuse puissance d’action dans l’appareil moteur.

381. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Frémine, Aristide (1837-1897) »

Alphonse Lemerre Il a donné la Légende de Normandie, qui témoigne d’une réelle puissance d’imagination et d’une grande sincérité de sentiment.

382. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome III pp. 5-336

Les dieux consacrés dans les religions, les puissances motrices de la nature, elles-mêmes divinisées, l’animent et la soutiennent. […] L’époque du règne de Néron sous lequel parut ce poème national redoublait sa puissance sur l’esprit des Romains. […] Tout y est divinement à sa place : les puissances de l’olympe, celles de la terre, celles des enfers, ne s’y confondent point, mais réagissent ensemble par les justes relations de leurs discordes ou de leur harmonie. […] Néanmoins il ne devrait briller qu’en épisode, et non principalement ; car le fanatisme, né d’une abstraction morale, n’est qu’un agent des puissances infernales en lutte avec les puissances divines. […] Je ne personnifiai que les puissances motrices de la création, quelles propriétés des substances, et j’établis entre ces divinités une hiérarchie correspondante à leur importance naturelle.

383. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » p. 395

Ses Commentaires sur Montecuculli sont de nouvelles preuves de ses lumieres, & ont été accueillis avec distinction par plusieurs Puissances de l’Europe.

384. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre III. Combinaison des deux éléments. »

Il a été forgé par l’ignorance, par la crainte, par l’imagination, toutes puissances trompeuses. […] Le premier intérêt de l’homme sain est de s’en délivrer, d’écarter toute superstition, toute « crainte de puissances invisibles398 »  Alors seulement il peut fonder une morale, démêler « la loi naturelle ». […] » — On reconnaît, à travers la théorie, l’accent personnel, la rancune du plébéien pauvre, aigri, qui entrant dans le monde, a trouvé les places prises et n’a pas su se faire la sienne, qui marque dans ses confessions le jour à partir duquel il a cessé de sentir la faim, qui, faute de mieux, vit en concubinage avec une servante et met ses cinq enfants à l’hôpital, tour à tour valet, commis, bohême, précepteur, copiste, toujours aux aguets et aux expédients pour maintenir son indépendance, révolté par le contraste de la condition qu’il subit et de l’âme qu’il se sent, n’échappant à l’envie que par le dénigrement, et gardant au fond de son cœur une amertume ancienne « contre les riches et les heureux du monde, comme s’ils l’eussent été à ses dépens et que leur prétendu bonheur eût été usurpé sur le sien421 »  Non seulement la propriété est injuste par son origine, mais encore, par une seconde injustice, elle attire à soi la puissance, et sa malfaisance grandit comme un chancre sous la partialité de la loi. « Tous les avantages de la société422 ne sont-ils pas pour les puissants et pour les riches ? […] Elle a la puissance, rien de plus. Mais « un pistolet aux mains d’un brigand est aussi une puissance » ; direz-vous qu’en conscience je suis obligé de lui donner ma bourse   Je n’obéis que par force, et je lui reprendrai ma bourse sitôt que je pourrai lui prendre son pistolet.

385. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXIXe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe (2e partie) » pp. 161-232

Qui t’a donné, bourreau, cette puissance sur moi ? […] Je suis maintenant tout entière en ta puissance. […] La cour de Weimar, sous les auspices de ces deux amis, dont l’un prêtait sa gloire, l’autre sa puissance à une pensée commune, devint en peu d’années le foyer de l’art, du théâtre, de la renommée en Allemagne. […] Sa foi se serait plus justement appelée polythéisme que panthéisme, c’est-à-dire qu’il reconnaissait et qu’il adorait la Divinité dans toutes ses œuvres sans la confondre avec ses œuvres : sorte de paganisme sans idolâtrie, qui adorait la puissance divine dans la puissance matérielle des éléments, mais qui dans l’élément adorait l’impulsion divine et non l’élément lui-même.

386. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre II, grandeur et décadence de Bacchus. »

Les hymnes du Rig Véda sont pleins de sa bienfaisance et de sa puissance. […] Mais bientôt une attraction mystérieuse précipite vers ce dieu rustique toutes les puissances instinctives du mythe et de la légende. […] Bacchus, qui connaît la puissance des dieux du pays, veut les surpasser en prodiges : assaut de magie, luttes de métamorphoses. […] Des euphémismes consolants, Soter, Eleuthereus, Lysios, « Sauveur », « Libérateur », « Celui qui dénoue », voilent sa puissance destructive. […] Son hermaphroditisme caché se déclare, il a les deux sexes et il les affiche : mâle et femelle, fécondant et fécondé, puissance active et passive.

387. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Proudhon » pp. 29-79

Dans ce temps d’égalité fière, on respecte encore les malins, si on n’aime plus la puissance. […] X Elle est là toute, en effet, dans ces pages : instincts, passions, habitudes, double empreinte de l’esprit et de la volonté, puissances et impuissances ! […] Mais la sincérité n’est pas tout le génie ; Proudhon, malgré la puissance de son intellect, n’avait pas l’ensemble inspiré, harmonieux et grandiose qui constitue le génie, cette rareté de l’esprit humain, impossible, d’ailleurs, en dehors de la vérité Proudhon n’était qu’un esprit de grande force, mais c’était assez pour l’emporter sur Rousseau, esprit maladif et inflammatoire, qui fît croire à ses muscles parce qu’il convulsait ses nerfs. […] De cette Correspondance dont nous venons de parler, il n’est, en fait d’idées, sorti quoi que ce soit que nous n’eussions vu dans les Œuvres complètes de cet homme, un des premiers cerveaux du siècle en puissance, mais en puissance mal employée et funeste… Seulement, si cette Correspondance n’ajoute pas aux idées du penseur, elle les éclaire du moins de la personnalité de l’homme.

388. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Victor Hugo. Les Contemplations. — La Légende des siècles. »

Dieu lui en avait donné la puissance. […] Hugo est franchement osé et physique dans son inspiration, le mot s’affermit sous la brutalité de l’idée, et il redevient l’écrivain grossier, haut en couleur, qui choque les natures élevées non moins que les natures sincères, mais qui a pourtant je ne sais quelle puissance. […] Une si effroyable comédie de l’emphase n’est plus de la littérature ni du talent, mais du désordre intellectuel du plus inquiétant caractère, de l’anarchie d’esprit à sa plus haute puissance. […] Victor Hugo a été loué pour ce dernier volume comme en France on loue toute puissance, car littérairement il en est une. […] Il n’en comprend et n’en reproduit que les bons chevaliers ou les tyrans, les pères, les enfants, les vieillards, des vieillards qui se ressemblent tous comme se ressemblent des armures, un même type (Onfroy, Eviradnus, Fabrice), mais le cerf, mais le prêtre, mais le moine, mais le saint, mais le grand évêque oublié par Walter Scott lui-même, mais enfin tout le personnel de cette société si savamment hiérarchisée, il le néglige, car il faudrait chanter ce que ses opinions actuelles lui défendent de chanter, sinon pour le maudire, et c’est ainsi que pour les motifs les moins littéraires il manque la hauteur dont il a dans l’aile la puissance, parce qu’il n’est jamais en accord parfait de sujet avec son génie !

389. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Victor Hugo »

Les dames conférencières en font dans leurs conférences (une puissance maintenant, les dames conférencières !) […] Et un roman, c’est aussi un drame, c’est une œuvre de création et d’imagination poétiques, c’est-à-dire un livre dans les puissances intellectuelles de Victor Hugo. […] Je croyais véritablement que l’esprit de parti, la badauderie et la bassesse devant toute puissance reconnue, ces trois choses malheureusement françaises, tambourineraient, une fois de plus, avec fureur, la gloire et le génie du grand poète dont on dit : le Poète, comme on dit : le Pape. […] Quand on se rappelle la tempête d’éloges ou de blâmes que soulevèrent les Misérables, on trouve bien froid et même indifférent l’accueil fait au livre d’un homme qui, de toutes ses puissances à peu près perdues, n’avait jusqu’ici gardé intégrale que celle de passionner l’opinion. […] On y trouve qu’il leur est profondément inférieur, lui, cet homme d’une puissance plus verbale que réelle, plus dans les images et dans les mots que dans les choses.

390. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre III. La critique et l’histoire. Macaulay. »

L’objet des mathématiques n’est pas la satisfaction d’une curiosité oisive, mais l’invention de machines propres à alléger le travail de l’homme, à augmenter sa puissance à dompter la nature, à rendre la vie plus sûre, plus commode et plus heureuse. […] Macaulay porte dans les sciences morales cet esprit de circonspection, ce besoin de certitude et cet instinct du vrai qui composent l’esprit pratique, et qui, depuis Bacon, font dans les sciences le mérite et la puissance de sa nation. […] Il a porté dans cette œuvre une méthode nouvelle d’une grande beauté, d’une extrême puissance : le succès a été extraordinaire. […] Avec un talent différent, Macaulay a la même puissance : avocat incomparable, il plaide un nombre infini de causes ; et il possède chacune de ces causes aussi pleinement que son client. […] Par cette ampleur de science, par cette puissance de raisonnement et de passion, il a produit un des plus beaux livres du siècle, en manifestant le génie de sa nation.

391. (1880) Goethe et Diderot « Diderot »

Mais, s’il n’a pas la puissance de Voltaire, il en a la passion, qui fut celle de leur abominable siècle. […] Il mettait sa puissance artistique à cette belle œuvre d’être philosophe. […] Cet amoureux d’initiative, mais ce tempérament de plus de désir que de puissance, qui cherchait partout où se dégonfler et qui concubinait avec toutes les idées, s’était cru de force prolifique à féconder le théâtre épuisé. […] Il se contentait de dire sa petite impression, puis se retirait sous ses petites phrases, petit serpent de ces petites fleurs… Diderot, lui, avait cette puissance de dire à un homme qui avait échoué : Tenez ! […] Voilà pourquoi il n’éleva pas à sa plus grande puissance la meilleure faculté qui fût en lui.

392. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome II

Parmi les puissances coalisées, laquelle songeait à l’exilé de Hartwell ? […] Taine, bien qu’il reconnût les qualités de puissance de l’aquafortiste de l’Assommoir. […] Il considère donc une guerre avec cette puissance comme nécessaire et prochaine. […] De là à conclure que ce heurt est voulu et aggravé par ces puissances, le passage est insensible. […] Beyens explique très intelligemment les causes : l’hostilité des grandes puissances entre elles est suspendue un moment.

393. (1911) L’attitude du lyrisme contemporain pp. 5-466

Chacun se hausse jusqu’à la vie par sa « volonté de puissance », sa force, son caractère ; plus nous sommes pleinement nous-mêmes, plus nous respirons une vie large et rythmée. […] Il faut que l’intelligence vivifie les unes et les autres, leur insuffle sa puissance dynamique. […] De même Verhaeren a magnifié la Vie, la Force, la Puissance cosmique, — et aussi la Pitié : La-mort, la vie et leur ivresse ! […] Les choses sont autant d’émotions en puissance et recueillent notre propre exaltation. […] Ils ont enfin synthétisé le jeu des forces de l’univers dans cet instinct lyrique, la joie ou la libre expansion de nos puissances.

394. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome IV pp. 5-

Quelle autre puissance européenne eût pu légitimer sa colère d’autant de motifs douloureux, et charger de poids plus lourds la balance des représailles ? […] Qu’ils réfléchissent au parti qu’a su tirer le talent de Virgile des minutieuses circonstances qui occasionnèrent l’établissement des petites peuplades d’où la puissance romaine devait sortir. […] Naguère j’ai juré que je ne l’emploierais pas à louer en vil flatteur la puissance au lieu du mérite ; je l’ai juré sous peine d’encourir votre disgrâce. […] Cet exemple est trop favorable au système philosophique par lequel je corroborai la puissance des préceptes de l’art d’écrire, pour que je néglige d’en appuyer mes maximes. […] Il en est, ce me semble, des qualités physiques ainsi que des facultés intellectuelles ; elles ont également leurs bornes, au-delà desquelles une puissance inconnue les arrête.

395. (1869) Philosophie de l’art en Grèce par H. Taine, leçons professées à l’école des beaux-arts

De la puissance sourde qui déroule et distribue les destinées, ils font leur Némésis20 qui abat les superbes et réprime tous les excès, « Rien de trop », disait une des grandes sentences de l’oracle. […] Toutes les grandes puissances naturelles sont divines en Grèce, et il ne s’est point encore fait dans l’homme de divorce entre l’animal et l’esprit. […] Au sentiment profond de la perfection corporelle et athlétique s’ajoutait chez le public et chez les maîtres un sentiment religieux original, une idée du monde aujourd’hui perdue, une façon propre de concevoir, de vénérer et d’adorer les puissances naturelles et divines. […] On demeure un idolâtre sec et borné, si, au-delà de la figure personnelle, on n’entrevoit pas dans une sorte de lumière la puissance physique ou morale dont la figure est le symbole. […] Certainement, en imaginant son expression sereine et sublime, Phidias avait conçu une puissance qui débordait hors de tout cadre humain, une des forces universelles qui mènent le cours des choses, l’intelligence active qui, à Athènes, était l’âme de la patrie.

396. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre IV. Racine »

Ailleurs voici Agrippine, une mère aussi, mais ennemie de son fils, et l’aimant pourtant d’un reste d’instinct : fière, ardente, ambitieuse, d’une ambition de femme, qui n’est pas une énergie d’ordre supérieur, aspirant à pouvoir plus pour agir plus, ni une confiance superbe de savoir réaliser mieux que personne le bien public, mais une vanité avide de l’extérieur, de l’enivrement, des flatteries de la puissance : Agrippine est ambitieuse comme une autre est coquette. […] Il est poète, et dans toutes les actions qu’il met en scène, il saisit une puissance poétique qu’il dégage. […] Athalie est une vision d’une intensité étonnante : dans ce cadre grandiose du temple, devant ces chœurs, dont la voix, un peu maigre, rappelle à notre mémoire les fières beautés des psaumes hébraïques, Joad, si bien saisi dans son âpreté juive, dans sa puissance de haine et de malédiction, dans son absorption enfin du sentiment national par la passion religieuse, Joad est une figure biblique. Mais songez surtout à son accès de fureur prophétique, à ce qu’il a fallu de puissance poétique, de hardiesse artistique, pour concevoir et pour offrir à ce monde de raisonneurs et d’intellectuels un prophète, un vrai prophète, inspiré, délirant, dessinant l’avenir en images actuellement extravagantes.

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