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700. (1885) Le romantisme des classiques (4e éd.)

Nous pouvons les combattre, mais nous voyons que nous avons affaire à des hommes convaincus, pour lesquels la parole n’est pas un jeu. […] Et, à propos de cette parole piquante, nous pourrions comparer au récit du Cid le tableau de cette bataille, tel que l’a donné Bossuet dans l’oraison funèbre du Prince. […] Don Sanche peut enfin expliquer qu’on lui a coupé la parole ; c’est un peu tard. […] Après Scudéry et l’Académie, pour clore ces débats, la parole est à Boileau d’abord, et à La Bruyère ensuite. […] Celle-ci, dans la première moitié, promettait de l’être ; mais elle ne tint pas parole dans la seconde.

701. (1888) Études sur le XIXe siècle

Et il s’éloigna bientôt de cette malade pour paraphraser les paroles désespérées de Brutus mourant. […] Un éditeur, qui l’avait chargé d’illustrer une édition de Longfellow, retirait sa parole en voyant les trois premiers dessins. […] parole !  […] Je parlais peu le portugais, et je prononçai ces téméraires paroles en italien. […] Les dernières paroles de la femme de mon cœur avaient été pour ses enfants qu’elle pressentait de ne plus revoir !

702. (1911) Nos directions

Comment eût-on accepté d’eux une parole de « pensée » ? […] La vraie parole, la parole de vie, il la lègue à Glaucos, le petit aide jardinier ; celui-là du moins saura être libre, peut-être ? […] Claudel replace en son rang la parole : elle est pensée, milieu, action : elle est tout. […] Claude Debussy, par la magie expressive de son orchestre, ne se contenta point d’aider ses personnages à vivre devant nous ; il leur donna en surcroît la parole, la parole de ce qui vit. […] Du reste, il y a contradiction dans vos paroles, lorsque vous louez tour à tour la difficulté vaincue (oh !

703. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre II. La vie de salon. »

En ce temps-là, la femme est aussi active que l’homme246, dans la même carrière, et avec les mêmes armes, qui sont la parole flexible, la grâce engageante, les insinuations, le tact, le sentiment juste du moment opportun, l’art de plaire, de demander et d’obtenir ; il n’y a point de dame de la cour qui ne donne des régiments et des bénéfices. […] Avec les grâces de l’attitude et du geste, ils ont déjà celles de l’esprit et de la parole. […] Un étranger reste stupéfait en voyant de quelle démarche adroite et sûre elle circule parmi tant de vanités en éveil, sans jamais donner ni recevoir un choc. « Elle sait tout exprimer par le mode de ses révérences, mode varié qui s’étend par nuances imperceptibles, depuis l’accompagnement d’une seule épaule qui est presque une impertinence, jusqu’à cette révérence noble et respectueuse que si peu de femmes, même à la cour, savent bien faire, ce plié lent, les yeux baissés, la taille droite, et une manière de se relever en regardant alors modestement la personne et en jetant avec grâce tout le corps en arrière : tout cela plus fin, plus délicat que la parole, mais très expressif comme moyen de respect. » — Ce n’est là qu’une action et très ordinaire ; il y en a cent autres et d’importance : imaginez, s’il est possible, le degré d’élégance et de perfection auquel le savoir-vivre les avait portées. […] Tous les soirs, dans chaque salon, on servait des bonbons de cette espèce, deux ou trois avec la goutte d’acide, tous les autres non moins exquis, mais n’ayant que de la douceur et du parfum. — Tel est l’art du monde, art ingénieux et charmant qui pénètre dans tous les détails de la parole et de l’action pour les transformer en grâces, qui impose à l’homme, non la servilité et le mensonge, mais le respect et le souci des autres, et qui en échange extrait pour lui de la société humaine tout le plaisir qu’elle peut donner. […] Mais elles aiment mieux l’appartement que le grand air ; en ce temps-là le vrai soleil, c’est la clarté des bougies, et le plus beau ciel est un plafond peint ; y en a-t-il un moins sujet aux intempéries, plus commode pour causer, badiner   On cause donc et l’on badine, en paroles avec les amis présents, par lettres avec les amis absents.

704. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque » pp. 2-79

« Solitaire et pensif, les lieux les plus déserts je vais mesurant à pas lourds et lents, et je promène attentivement mes regards autour de moi pour éviter la trace de tout être humain sur le sable ; je n’ai pas de plus grande crainte que de rencontrer des personnes qui me connaissent, parce que, sous la fausse sérénité de mon visage et de mes paroles, on peut découvrir trop facilement du dehors la flamme intérieure qui me consume ; en sorte qu’il me semble désormais que les montagnes, les plaines, les rives des fleuves, les fleuves eux-mêmes et les forêts savent ce qui s’agite dans mon âme, fermée aux regards des hommes. […] Pour accroître sa popularité, il employait l’éloquence des yeux autant que celle des paroles. […] On voit qu’il cherche à fixer pour l’éternité, par la parole immortelle, le dernier soupir de celle qui emporte sa propre vie avec la sienne, afin que rien ne périsse de ce qui fut Laure, même quand Laure elle-même a disparu de ses yeux : « La peste d’Avignon enlevait depuis plusieurs semaines tous les âges et tous les sexes. […] « Les douces paroles, les tendres regards que tu as si souvent décrits, ô pauvre âme sans repos ! […] puisqu’à l’accent de ces paroles si compatissantes et si chastes, peu s’en manqua que je ne demeurasse moi-même dans l’immortalité avec elle ! 

705. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe » pp. 81-160

si, par la force de l’esprit et de la parole, certains arcanes m’étaient enfin révélés ! […] Que ce regard, que cette étreinte te disent l’inexprimable par les paroles ! […] Elles sont les plus beaux éclairs de paroles qui entrouvrent aux regards l’âme mystérieuse du grand poète. […] Froid et superbe, d’un souffle de sa parole il réduit tous tes dons à néant ! […] Et sa parole pénétrante !

706. (1860) Cours familier de littérature. X « LVe entretien. L’Arioste (1re partie) » pp. 5-80

Un homme bien supérieur à nous, Voltaire lui-même, quoique coupable d’une débauche d’esprit bien autrement cynique et bien autrement répréhensible dans son poème de la Pucelle, avait commencé, comme nous, par mépriser l’Arioste sur parole ; mais quand il eut vieilli, quand il eut essayé vainement lui-même d’imiter et d’égaler cet inimitable modèle de plaisanterie poétique, il changea d’avis ; il se reconnut vaincu, il écrivit les lignes suivantes en humiliation et en réparation de ses torts : « Le roman de l’Arioste, dit-il dans son examen des épopées immortelles, est si plein et si varié, si fécond en beautés de tous les genres, qu’il m’est arrivé plusieurs fois, après l’avoir lu tout entier, de n’avoir d’autre désir que d’en recommencer la lecture. […] On aurait plutôt pu la chanter en musique qu’on n’aurait pu la décrire en paroles ou la représenter en couleurs. […] Il portait le front haut comme le verbe ; son geste, majestueux et presque héroïque, accompagnait toutes ses paroles, comme s’il eût voulu les sculpter indélébilement dans la mémoire de ses auditeurs. L’habitude de professer donne souvent un pédantisme à la parole et une impériosité au geste, qui révoltent au premier abord ; l’homme n’aime pas à vivre avec les oracles. […] « Ô généreux descendant d’Hercule, ornement et splendeur de notre siècle, Hippolyte (d’Este), puissiez-vous accueillir le peu que votre humble serviteur veut ainsi vous offrir ; ce que je vous dois, je peux essayer de le payer en paroles et en ouvrage d’encre, et, si je vous donne si peu, ne me l’imputez pas à ingratitude, puisque tout ce que je peux donner, je le donne à vous ! 

707. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1857 » pp. 163-222

1er mai Théophile Gautier, l’oreille somnolente, un doux et bon sourire dans l’œil, avec sur les lèvres une parole lente, émise par une voix trop petite pour le corps, et mal notée, et pourtant à la longue agréable, presque harmonieuse. […] Faire semblant de prendre intérêt par le remuement et le jeu de la physionomie au bruit de paroles dont le devoir est seulement d’empêcher le silence, devient une attention crispante au bout de quelque temps. […] Je peux même me casser le cou… Et sa parole s’arrêta. […] Dans le salon d’entrée, on aperçoit quelques oreilles tendues qui boivent les paroles de notre cénacle, des oreilles de gandins qui finissent de manger leurs petites fortunes, des oreilles de jeunes gens de la Bourse, de commis de Rothschild qui ramènent du Cirque ou de Mabille, quelques lorettes de la première catégorie, auxquelles ils offrent le passe-temps d’un fruit ou d’un thé, en leur montrant de loin, du doigt, les premiers rôles de la troupe. […] — mettent L’Artiste à mes pieds, Aubryet me salue comme un succès, m’adresse la parole comme à un grand homme, et moi-même, je me mets à lui parler comme du haut d’un piédestal.

708. (1885) La légende de Victor Hugo pp. 1-58

Victor Hugo a loyalement tenu parole. […] Ses votes glorieux et ses paroles éloquentes sont bien connus ; ils sont recueillis dans les annales de la réaction qui accoucha de l’empire ; mais on ignore la conduite, non moins admirable de son journal, l’Événement fondé le 30 juillet 1848, avec le concours de Vacquerie, de Théophile Gautier, et de ses fils ; elle mérite d’être signalée. […] Ce sont là les propres paroles de Victor Hugo, narrant le sac de sa maison par les pillards de juin. […] En exil, pour plaire à son entourage, il pérora sur la liberté de la presse, de la parole et bien d’autres libertés encore ; cependant il ne détestait rien plus que cette liberté, qui permet « aux démagogues forcenés, de semer dans l´âme du peuple des rêves insensés, des théories perfides… et des idées de révolte ». […] Mais Hugo, et c’est là son plus sérieux titre à la gloire, sut mettre en contradiction si flagrante ses actes et ses paroles, qu’il ne s’est pas encore rencontré en Europe et en Amérique un politicien pour démontrer d’une manière plus éclatante la parfaite innocuité des truculentes expressions du libéralisme.

709. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — II. (Fin.) » pp. 495-513

Son défaut particulier, c’est de garder un reste de Scaliger en français, d’avoir des paroles qui sentent leur xvie  siècle, de dire à ses adversaires qu’ils ne savent ce qu’ils disent, et de citer M.  […] Méconnaissant dans Homère, ou plutôt n’estimant point cette langue si abondante et si riche, qui est comme voisine de l’invention et encore toute vivante de la sensation même, il préférait nettement la nôtre : « J’oserai le dire à l’avantage de notre langue, je la regarde comme un tamis merveilleux qui laisse passer tout ce que les anciens ont de bon, et qui arrête tout ce qu’ils ont de mauvais. » Enfin, s’emparant d’un mot de Caton l’Ancien pour le compléter et le perfectionner à notre usage, il concluait en ces termes : Caton le Censeur connaissait parfaitement l’esprit général des Grecs, et combien ils donnaient au son des mots, lorsqu’il disait que la parole sortait aux Grecs des lèvres, et aux Romains du cœur ; à quoi j’ajouterais, pour achever le parallèle, qu’aux vrais modernes elle sort du fond de l’esprit et de la raison. […] La jeunesse des premières années du xviiie  siècle ne répondit pas, comme il aurait fallu, à cette parole de cœur où palpitait le zèle d’une amie : « M. de La Monnoye, écrivait Brossette à J.

710. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — I. » pp. 409-426

Je souris involontairement en citant ces paroles, car à très peu de temps de là il arriva à Léopold Robert de rencontrer une Corinne véritable ou voulant l’être ; il y avait alors chez nous toute une race et une postérité de Corinne comme il y en a eu pour René. […] Navez ces paroles tout empreintes d’affection amicale et d’esprit de famille : Il est vrai que tu as tout pour te trouver heureux d’être au monde : tu te trouves dans ta patrie, honoré et considéré pour ton talent brillant ; estimé, aimé par toutes les personnes qui te connaissent ; regardé par la Fortune de son œil le plus favorable ; heureux époux, heureux père. […] J’ai anticipé en tout ceci sur les derniers sujets de réflexion familiers et chers à Léopold Robert ; car, passé trente ans, il aimait à moraliser de plus en plus : j’ai à revenir en arrière et à le suivre, en le citant surtout et en me servant de ses paroles.

711. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — I » pp. 351-368

De la parole vive au papier il s’est fait bien des naufrages. […] Joinville, dans sa narration, n’a su que nous bégayer avec un embarras qui a sa grâce les paroles bien autrement coulantes et abondantes de saint Louis. […] Mais, dès ce temps-là, la comtesse a fait son deuil de cet amour qui n’est plus qu’en paroles.

712. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — I » pp. 356-374

Les paroles de Frédéric sont d’une grande autorité, et nous arrivent en accents qui vibrent encore : Vous avez mis, par votre mauvaise conduite, mes affaires dans une situation désespérée ; ce n’est point mes ennemis qui me perdent, mais les mauvaises mesures que vous avez prises. […] On croit l’entendre : combien de fois le prince Henri n’a-t-il pas dû répéter cette parole, en causant avec ses familiers ! […] Lui présent et parlant, toutes ces paroles, aujourd’hui rassises, s’illuminaient de son regard : ce regard qui jaillissait de ses grands yeux manque dans ses écrits.

713. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Les Caractères de La Bruyère. Par M. Adrien Destailleur. »

Reçu dans la même séance que l’abbé Bignon, qui n’avait d’autre titre que son nom et sa naissance, La Bruyère, se levant après lui et prenant la parole, montra qu’il pouvait à la fois rester peintre de caractères et devenir orateur. […] Il perdit dès le premier instant la parole, non la connaissance ; il montrait sa tête comme le siège du mal. […] Il semblait donc, étant le dernier à opiner, devoir lever le partage et décider entre les concurrents ; chacun tâchait par ses regards de l’attirer dans son parti, lorsque, prenant la parole, il dit :« Je n’ai pas oublié, Messieurs, qu’un des principaux statuts de cet illustre Corps est de n’y admettre que ceux qu’on en estime les plus dignes : vous ne trouverez donc pas étrange, Messieurs, si je donne mon suffrage à M. 

714. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier (suite et fin.) »

Nous avons eu des querelles terribles par lettres sur Bonaparte : il a vu la liberté là où elle était impossible ; mais il faut convenir aussi que pour la France tout valait mieux que l’état où elle est réduite actuellement. » Cette parole écrite à la date du 8 décembre 1815, et en partie à la décharge de Sismondi, montre que si Mme de Staël avait pu, sans partager ses espérances de liberté, paraître approuver pourtant l’Acte additionnel, elle avait bien pu, à plus forte raison, faire une tentative auprès du Prince-Régent en faveur de la paix, c’est-à-dire de l’indépendance nationale dont elle déplorait si amèrement la violation et la perte. […] Au moment où elle fut dite par elle, déjà mortellement atteinte et défaillante, une telle parole dut paraître admirable, et elle l’était ; mais c’est à la condition d’y mettre aussi l’éclair du regard, la physionomie, l’accent ; il faut tout cela à sa parole pour se compléter ; sa plume n’avait pas ce qui termine : il manque presque toujours à sa phrase écrite je ne sais que] accompagnement.

715. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

« Les Chambres s’étant assemblées deux jours après, M. de Lescar adressa la parole, moi présent, à M. de Cazaux, et, autant peut-être pour le mortifier que pour le corriger, lui fit un narré de tous les désordres de sa vie et conclut par supplier la Compagnie de trouver bon qu’en cas que M. de Cazaux ne rendît pas cette fille à son père, il se servît des voies canoniques dont l’Église se sert contre les adultères publics. […] Foucault pourtant se permet encore, çà et là, de bien étranges choses ; il soutient la réputation terrible qu’il s’est faite, et, si quelquefois il critique en paroles, il n’est jamais homme à adoucir dans l’exécution les ordres qu’il reçoit. En fait de paroles, il commet un bien singulier Discours adressé aux gentilshommes du haut Poitou qu’il a fait assembler à Poitiers pour les exhorter à se convertir.

716. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset. »

En lisant cette histoire de Louvois, en la voyant ainsi montrée à nu et comme par le revers de la tapisserie, je crois entendre continuellement ce mot de la tragédie grecque, qui résonne et se murmure de lui-même à mon oreille ; « S’il faut violer le droit, c’est pour l’empire et la domination, c’est en haute matière d’État qu’il est beau de le faire : dans tout le reste, observe la bonne foi et la justice. » Je paraphrase un peu là parole d’Euripide, cette parole si détestée de Cicéron. […] Dans un voyage qu’il fit en Alsace, en juin 1679, les magistrats de Strasbourg étaient venus à Schelestadt lui faire leurs protestations les plus humbles pour l’avenir ; il dissimula, répondit par des paroles assez polies, et noua probablement dès lors des intelligences secrètes avec quelques-uns du dedans.

717. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Jean-Bon Saint-André, sa vie et ses écrits. par M. Michel Nicolas. »

Pleins de confiance en la bonté paternelle de notre monarque et rassurés par sa parole royale, nous devons attendre avec soumission l’abrogation de ces lois rigoureuses qui nous menacent encore… Ah ! […] » Paroles malheureuses, s’il les a prononcées telles en effet, deux fois malheureuses dans la bouche d’un pasteur qui avait dû prononcer si souvent des paroles contraires de conciliation et de charité !

718. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Méditations sur l’essence de la religion chrétienne, par M. Guizot. »

Il est bien plutôt occupé à rompre l’arrangement artificiel et les antithèses spécieuses qu’engendre la parole, pour se remettre sans cesse en présence de la vérité des objets et de la réalité nue. Soigneux d’échapper aux apparences trompeuses, il sait que le talent de la parole crée plus de choses encore qu’il n’en exprime. […] Dans ce que nous lisons chaque matin, combien de fois la parole donne un corps à ce qui n’en a pas !

719. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Dès le retour d’Égypte, il avait vu rue Chantereine le général Bonaparte, et avait eu à se faire pardonner de lui, car il lui avait manqué de parole dix-huit mois auparavant, au lendemain du départ pour l’Orient. […] Il s’en tira d’ailleurs dans le temps par un mot, et tandis qu’un autre, en apprenant le meurtre du duc d’Enghien, disait cette parole devenue célèbre : « C’est pire qu’un crime, c’est une faute22 », Talleyrand répondait à un ami qui lui conseillait de donner sa démission : « Si, comme vous le dites, Bonaparte s’est rendu coupable d’un crime, ce n’est pas une raison pour que je me rende coupable d’une sottise23. » Quant à l’affaire du Concordat et aux négociations qui l’amenèrent, il y poussa et y aida de toutes ses forces ; il y avait un intérêt direct, c’était de taire sa paix avec le pape et de régulariser son entrée dans la vie séculière ; ce qu’il obtint en effet par un bref. […] Répondant dans cet écrit à ses ennemis et ses détracteurs, il disait : « Ils osent affirmer que c’est moi qui ai aliéné de nous les États-Unis, lorsqu’ils savent bien qu’au moment précis où ils impriment cet étrange reproche, des négociateurs américains arrivent en France, et qu’ils ne peuvent ignorer la part qu’il m’est permis de prendre dans cet événement, à raison du langage plein de déférence, de modération et j’ose dire aussi de dignité, que je leur ai adressé au nom du Gouvernement français… » Il sut les attirer en effet par d’adroites paroles ; mais comment les actes et les procédés y répondirent-ils, et que devint cette dignité de ton en présence des faits ?

720. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre premier. Les signes — Chapitre II. Des idées générales et de la substitution simple » pp. 33-54

Quelle que soit cette expression, geste imitatif de l’artiste, demi-vision métaphorique du poète, pantomime figurative du sauvage, parole accentuée de l’homme passionné, parole terne et mots abstraits du raisonneur calme, l’opération mentale est toujours la même ; et, si nous examinons ce qui se passe en nous lorsque de plusieurs perceptions nous dégageons une idée générale, nous ne trouvons jamais en nous que la formation, l’achèvement, la prépondérance d’une tendance qui provoque une expression, et, entre autres expressions, un nom. […] Au dedans, cette œuvre est une image plus ou moins vague, celle d’une ligne élancée, puis épanouie ; au dehors, elle est l’attitude et le geste imitatif du corps ; dans le langage primitif, chez les peuples enfants, à l’origine de la parole, elle est une autre imitation poétique et figurative, dont nous retrouvons çà et là des fragments ; aujourd’hui, elle est un simple mot appris, pure notation, reste desséché du petit drame symbolique et de la mimique vivante par laquelle les premiers inventeurs, véritables artistes, traduisaient leurs impressions.

721. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « La génération symboliste » pp. 34-56

L’un de nos professeurs de rhétorique, M. de la Coulonge, idéaliste de l’école de Cousin et de Villemain, avait à peine achevé de nous enfiévrer de sa parole chaude et exaltée que son collègue, M.  […] D’ailleurs il avait su prendre sur nous un entier crédit par sa parole vive et imagée, sa franche et loyale nature, son obligeante assiduité. […] 1885. — Apparition des Paroles d’un révolté de Kropotkine.

722. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VI. Pour clientèle catholique »

« Car Dieu est infiniment équitable et chaque homme, en ce monde comme en l’autre, a toujours ce qu’il mérite. » Je ne ferai pas remarquer ce que de telles paroles, écrites pendant que l’innocent souffrait encore, avaient d’odieux. […] Celui qui promettait un penseur original s’est rangé à la banalité catholique et, au lieu de rugir dans la solitude, il bêle avec force parmi le troupeau de la Libre Parole. […] Godard évite aussi tous les risques : le plus souvent, il reproduit avec respect les paroles de quelqu’un de « nosseigneurs les évêques ».

723. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XIII »

Chacune de ses paroles lui fait la morsure d’une cantharide. […] Voilà, sur ma parole, un abominable homme ! […] Une sourde menace gronde, par moments, à travers tant de douces paroles ; un éclair luit sous ses yeux humides, où brillent les belles larmes des réconciliations amoureuses : mais il passe et s’éteint, bientôt, dans une effusion de tendresse.

724. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Éloges académiques de M. Pariset, publiés par M. Dubois (d’Amiens). (2 vol. — 1850.) » pp. 392-411

Mais la concision n’exclut pas les liens communs de la parole ; et, faute de ces liens nécessaires la phrase de Pinel, sèche et maigre, a quelquefois un mouvement heurté qui la rend fatigante. […] Dès qu’il ouvre la bouche, la parole abonde et afflue sur ses lèvres, mais il ne la ménage pas assez. […] Il paraît qu’entre les deux interlocuteurs les paroles furent vives et singulières ; et ce qui prouverait que l’esprit de la dame se fourvoya dans le dialogue, c’est l’étrange condition qu’elle voulait imposer… » Le lecteur, à travers ces vagues allusions, est dans un certain embarras et peut bien se fourvoyer lui-même.

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