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992. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Madame, duchesse d’Orléans. (D’après les Mémoires de Cosnac.) » pp. 305-321

Dans le méchant libelle dont Cosnac avait envoyé chercher les ballots en Hollande, il y avait une phrase entre autres, qui n’était pas si mal tournée : « Elle a, disait-on de Madame, un certain air languissant, et quand elle parle à quelqu’un, comme elle est tout aimable, on dirait qu’elle demande le cœur, quelque indifférente chose qu’elle puisse dire. » Cette douceur du regard de Madame avait opéré sur l’âme assez peu sensible de Cosnac, et, sans y mêler ombre de sentiment galant, il s’était laissé prendre le cœur à celle qui le demandait si doucement et si souverainement. […] Au lieu de voir la vérité et de s’adoucir par là, il a pris cette occasion de vous faire du mal auprès du roi, et de tâcher à m’y rendre de mauvais offices. […] car la nature, au contraire de l’art, fait bien presque tous les yeux et mal presque tous les nez.

993. (1912) L’art de lire « Chapitre IV. Les pièces de théâtre »

Pour que Phèdre se lève elle-même quelques instants après ; car, pour la liberté des gestes dans le grand récit que Phèdre doit faire tout à l’heure, à partir de : « Mon mal vient de plus loin… », il convient qu’elle soit debout. […] Nous pouvons la voir se lever, soit quand elle dit : « Tu vas ouïr le comble des horreurs » ; soit quand elle dit : « C’est toi qui l’as nommé », soit quand elle dit : « Mon mal vient de plus loin ». […] Une des choses qui distinguent une pièce bien faite d’une pièce mal faite, une pièce vivante d’une pièce sans vie, c’est que la première, on la voit, et que la seconde, on ne la voit pas.

994. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre V. Mme George Sand jugée par elle-même »

Vous avez tous cru — même vous, Monsieur Sainte-Beuve, qui voulez que mes opinions en morale soient la religion de l’avenir, — que j’étais un écrivain d’ordre philosophique, ayant des idées sociales à faire triompher, écrivant des romans comme Rousseau pour prêcher et enseigner quelque chose ; espérant arriver à soulever par l’imagination, cette grande force, tous les sentiments de la vie contre la Loi et l’Opinion, — ces choses mal faites. […] Mais on donne le fouet aux enfants pour leur apprendre qu’ils ont mal fait. […] Le style qui sauve tout, le style qui empêche, dans Mme de Staël, qu’Oswald avec ses bottes à glands, Corinne avec sa harpe, ne soient des gravures de l’Empire ; le style conservera-t-il les inventions de Mme Sand, — de cette femme qui n’eut pour tout génie d’invention que d’être mal mariée, bohème et démocrate, et qui n’a jamais que ces trois sources d’inspiration : le mauvais ménage, le cabotinisme et la mésalliance, par haine du noble et amour de l’ouvrier ?

995. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — I » pp. 143-149

Mais La Motte, que Duclos appelle le plus aimable des gens de lettres, ne s’éloignait guère, et pour cause, du café Gradot : Après avoir vécu dans les meilleures sociétés de Paris et de la Cour, devenu aveugle et perclus des jambes, il était réduit à se faire porter en chaise au café de Gradot, pour se distraire de ses maux dans la conversation de plusieurs savants ou gens de lettres qui s’y rendaient à certaines heures. […] Celui-ci lui ayant lu sa pièce du Lot supposé avant la représentation, il l’avait approuvée, et il se croyait comptable devant l’auteur et devant tous de son premier jugement : Il me semble, disait-il, que lorsqu’un ouvrage livré à notre censure nous a semblé bon, nous devons à l’auteur l’hommage public du jugement avantageux que nous en avons porté… Quand il me serait arrivé de trouver bon un ouvrage que le public aurait ensuite jugé mauvais, il n’y aurait pas grand mal à cela, et j’ose assurer que je serais en ce cas moins mécontent de moi, que si, dissimulant lâchement mon estime, je m’étais épargné cette espèce d’humiliation.

996. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — Oberman, édition nouvelle, 1833 »

Ce mot d’ennui, pris dans l’acception la plus générale et la plus philosophique, est le trait distinctif et le mal d’Oberman ; ç’a été en partie le mal du siècle, et Oberman se trouve ainsi l’un des livres les plus vrais de ce siècle, l’un des plus sincères témoignages, dans lequel bien des âmes peuvent se reconnaître. 

997. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « EUPHORION ou DE L’INJURE DES TEMPS. » pp. 445-455

Lorsqu’on y est rentré après des siècles, on a relevé celles des statues brisées qui jonchaient encore le parvis ; on a recueilli les débris reconnaissables, on a tiré parti des moindres parcelles : le palais est remeublé à l’œil ; les lacunes sont, tant bien que mal, dissimulées. […] Je crois bien que si, à de certains moments, on avait été dire en pleine Memphis, en pleine Rome, en pleine Athènes, à la face de ces civilisations jusqu’alors incomparables : « Vous mourrez, et d’autres, en d’autres lieux, succéderont à votre gloire, à vos plaisirs, à vos lumières », je crois bien qu’on eût été mal venu, médiocrement écouté, et sifflé, sinon lapidé d’importance.

998. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française — II. La Convention après le 1er prairal. — Le commencement du Directoire. »

La Constituante, par un mélange de faste et de candeur patriotique qui ne se voit qu’au commencement des révolutions, s’était exclue de l’Assemblée législative ; de tels scrupules allaient mal à la Convention ; elle s’en affranchit, et décrète, le 5 fructidor, que les deux tiers de ses membres feraient partie de la législation suivante. […] On pesait leurs mérites divers ; mais aucun œil encore, si perçant qu’il pût être, ne voyait dans cette génération de héros les malheureux ou les coupables : aucun œil ne voyait celui qui allait expirer à la fleur de l’âge, atteint d’un mal inconnu, celui qui mourrait sous le poignard musulman ou sous le feu ennemi, celui qui opprimerait la liberté, celui qui trahirait sa patrie ; tous paraissaient grands, purs, heureux, pleins d’avenir !

999. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française. IXe et Xe volumes »

Mais le 9 thermidor, le 31 mai, la rupture de la paix d’Amiens, celle de la paix de Tilsitt, étaient des résultats tôt ou tard immanquables, auxquels les hommes ont contribué de part et d’autre, bon gré, mal gré, en vertu de systèmes plus forts qu’eux. […] « Elle n’est pas venue, dit-il : elle viendra. » Espérons-le avec lui : il est de ceux qui ont le plus droit de la promettre ; car il la sert, il en hâte le triomphe ; et certes, lorsqu’à la lecture de son livre nous voyons ce que nos pères ont souffert pour elle, et que nous sentons en nos cœurs ce que nous serions prêts à souffrir nous-mêmes, quand il nous semble qu’à travers les larmes, le sang et d’innombrables douleurs, tout a été préparé par une providence attentive pour son mystérieux enfantement, nous ne pouvons imaginer que tant de mal ait été dépensé en pure perte, que tant de souffrances aient été vainement offertes en sacrifice ; et dût-il nous en rester encore quelque part à subir, nous croyons plus fermement que jamais au salut de la France.

1000. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Guy de Maupassant »

Je trouvai que ce n’était pas mal : la méfiance que m’inspirait l’admiration débordante du vieux Flaubert m’empêcha de voir que c’était même très bien. […] Vous, mon cher Bourget, vous avez un tas d’intentions et d’affectations ; nul romancier ne transforme plus complètement que vous la matière première de ses récits ; vous ajoutez votre esprit tout entier à chacune des parcelles du monde que vous exprimez dans vos livres ; vous vous donnez un mal de tous les diables, vous fatiguez, vous exaspérez ; avec tout cela vous contraignez à penser et l’on peut disserter sur vous indéfiniment.

1001. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre III. Soubrettes et bonnes à tout faire »

Qu’on dise tout le mal qu’on voudra de l’École avec un grand E : il est certain que les fantômes qui sortent de ce monument savent prendre partout leur bien, je veux dire ce qu’il faut pour, devant des yeux naïfs, se matérialiser. […] Mais tout à coup éclate ce couac anachronique : « Il a dû naguère, à Guernesey, s’amuser beaucoup des journaux religieux, qui annonçaient, avec une douce charité chrétienne, que, frappé par Dieu dans son orgueil, Victor Hugo venait d’être atteint de folie. » Et Claretie nous raconte encore, en plein 1902 : « On entourait le poète qui, souriant devant cette mort, qui n’est heureusement pas près de le toucher, disait parfois avec sa gaîté robuste : — Il est peut-être temps de désencombrer mon siècle. » Que contiennent ces vieux articles mal repeints que Claretie et Fasquelle nous vendent honnêtement pour du neuf ?

1002. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Madame Therbouche » pp. 250-254

La tête ne serait pas mal, si elle n’était pas vile. […] Elle en tomba dans le désespoir, elle se trouva mal ; la fureur succéda à la défaillance ; elle poussa des cris ; elle s’arracha les cheveux, elle se roula par terre ; elle tenait un couteau, incertaine si elle s’en frapperait ou son tableau.

1003. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « II »

Le mal ? Y a-t-il un mal ?

1004. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le marquis de Grignan »

… Sans la marquise de Sévigné et sa passion incompréhensiblement folle pour sa maussade fille, qui donc se douterait seulement de l’existence de ce Grignan, qui ne fut qu’une bouture assez mal venue de sa mère, et dont la possession d’État — comme on dit en droit — vient de deux femmes, deux cents ans avant que ce bâtard de Girardin demandât que la femme fît la possession d’État de l’enfant légitime ! […] Frédéric Masson nous a raconté, dans son histoire, cette ruine par amour du roi de la grande et séculaire maison d’Adhémar de Grignan, enfermée, comme un palais enchanté et maudit, dans le tortueux et inextricable labyrinthe de dettes énormes et dont, remède pire que le mal !

1005. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Notre critique et la leur »

Cela ne se voit pas, quoique cela se sente, semblable aux insectes imperceptibles dont on ne soupçonne l’existence que quand le mal qu’ils font obscurément est accompli ! […] Eh bien, dans cette spécialité des journaux qu’on appelle le compte rendu littéraire, le mal est plus grand qu’au feuilleton même !

1006. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Lessing »

Lessing savait bien ce que Voltaire ne savait qu’à peu près ou mal… Linguiste immense, fort dans les langues anciennes, dont Voltaire avait seulement éraflé le dictionnaire, Lessing lisait dans leur propre langue tous les théâtres de l’Europe moderne, et encore par là il tenait Voltaire, ce menteur et ce pickpocket de Voltaire, qui aurait si bien escroqué la gloire d’autrui, si on l’eût laissé faire. […] préféré Destouches ; mais le mal est moins grand pour Lessing que de n’avoir pas compris que Shakespeare était tout le théâtre, résumé dans un homme, par conséquent le théâtre même qu’il voulait fonder.

1007. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Paul Bourget »

Il nous a rappelé cette torture sublime… Il ne l’aurait pas eue que sa Vie inquiète n’aurait plus été la Vie inquiète, au même degré du moins, et que sa poésie aurait manqué de ce qui touche le plus en elle : Heureux l’homme qui, jeune et le cœur plein de songes Meurt sans avoir douté de son cher Idéal, À l’âge où les deux mains n’ayant pas fait de mal Nos remords les plus vrais sont de pieux mensonges. […] Toute l’humanité n’est qu’un seul être immense Dont nous sommes le cœur, comme il en sont les bras, Et nous savons leurs maux, mais ils ne savent pas Le labeur idéal qui toujours recommence.

1008. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Deltuf » pp. 203-214

Deltuf, l’a-t-il si mal nommé ? […] C’est aussi la Confession d’UNE enfant du siècle que cette Confession d’Antoinette, mais d’une enfant à qui le siècle n’a pas fait le mal affreux que ce pauvre de Musset a peint, en regardant son cœur !

1009. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXII. Des panégyriques latins de Théodose ; d’Ausone, panégyriste de Gratien. »

L’orateur parle avec éloquence de tous les maux que nos ancêtres ont soufferts sous ce tyran ; il peint les brigandages et les rapines, les riches citoyens proscrits, leurs maisons pillées, leurs biens vendus, l’or et les pierreries arrachées aux femmes ; les vieillards survivant à leur fortune ; les enfants mis à l’enchère avec l’héritage de leurs pères ; le meurtre employé comme les formes de justice, pour s’enrichir ; l’homme riche invoquant l’indigence, pour échapper au bourreau ; la fuite, la désolation ; les villes devenues désertes et les déserts peuplés ; le palais impérial, où l’on portait de toutes parts les trésors des exilés et le fruit du carnage ; mille mains occupées jour et nuit à compter de l’argent, à entasser des métaux, à mutiler des vases ; l’or teint de sang, posé dans les balances, sous les yeux du tyran ; l’avarice insatiable engloutissant tout, sans jamais rendre, et ces richesses immenses perdues pour le ravisseur même qui, dans son économie sombre et sauvage, ne savait ni en user, ni en abuser ; au milieu de tant de maux, l’affreuse nécessité de paraître encore se réjouir ; le délateur errant, pour calomnier les regards et les visages, le citoyen qui de riche est devenu pauvre, n’osant paraître triste, parce que la vie lui restait encore, et le frère, dont on avait assassiné le frère, n’osant sortir en habit de deuil, parce qu’il avait un fils.

1010. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre IV. Conclusion. — D’une république éternelle fondée dans la nature par la providence divine, et qui est la meilleure possible dans chacune de ses formes diverses » pp. 376-387

Au bout d’un long temps, ceux qui étaient restés dans les plaines, sentirent les maux attachés à la communauté des biens et des femmes, et vinrent se réfugier dans les asiles ouverts par les pères de famille. […] Mais si les peuples restent longtemps livrés à l’anarchie, s’ils ne s’accordent pas à prendre un des leurs pour monarque, s’ils ne sont point conquis par une nation meilleure qui les sauve en les soumettant ; alors au dernier des maux, la Providence applique un remède extrême.

1011. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XIX. »

Personne, devant la lumière, n’a la même fermeté dans le mal. […] Mais les flots de la barbarie, mal contenus par le despotisme usé du vieux monde, allaient pour un temps tout submerger et tout détruire, sauf les croix immortelles des églises, qui apparaîtraient encore çà et là sur l’abîme.

1012. (1891) La bataille littéraire. Quatrième série (1887-1888) pp. 1-398

— Pas mal jusqu’à présent, répond le maçon, mais ça se verra au bout ! […] Mais il n’est jamais trop tard pour mal faire, hélas ! […] et de mal embouchés que subit la littérature française. […] Il fallut le recoucher : il se trouvait mal. […] Elle frappera le prince Polkine, l’auteur de ses maux, dans toutes ses affections.

1013. (1930) Physiologie de la critique pp. 7-243

On ne saura jamais le mal effroyable qu’a fait le journalisme à la littérature du xixe  siècle ». […] Il a parlé mal de ce qu’il ne savait pas et admirablement de ce qu’il savait, et c’est le cas des critiques professionnels eux-mêmes. […] Ajoutons-en même un quatrième, un libre faubourg, une banlieue, des maisons dans la forêt, pour les formes de critique qui paraîtront rentrer mal dans notre ville aux trois quartiers. […] J’ai commencé moi-même un travail de ce genre ; j’ai pu sentir combien mes divisions s’appliquaient mal sur une continuité, combien la vie multiforme d’une génération échappe aux figures auxquelles on est tenté de la limiter, aux formules dans lesquelles il faut bien, tant bien que mal, la fixer. […] Il a souvent mal inspiré les critiques.

1014. (1911) L’attitude du lyrisme contemporain pp. 5-466

III. — Définition du mot symbolisme. — En quoi ce mot est bien et mal choisi. — Les images accumulées. […] Je dis mal. […] Quant à son âme ancienne, toute parfumée d’extase, toute meurtrie de sa chute dans le mal, elle sera rachetée par Marthe. […] Il est mal aisé d’exposer dans sa plénitude, de suivre dans toutes ses conséquences une pensée sans cesse en mouvement. […] Au fond cette question, ainsi que la question latine, a été mal posée.

1015. (1900) Quarante ans de théâtre. [II]. Molière et la comédie classique pp. 3-392

En tout cas, il n’écrit pas mal pour la scène. […] Y eut-il jamais comédie plus mal faite que celle de Don Juan ? […] Dieu sait si c’était mal joué ! […] Ces altérations sont nombreuses, et quelques-unes paraissent assez mal justifiées. […] Elle a failli se trouver mal, au coup qui lui était porté.

1016. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article »

Une vingtaine d’Ouvrages traduits de l’Anglois n’ont pas été capables de lui faire une réputation : peut-être a-t-il mal choisi ses Originaux ?

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