/ 1381
583. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Shakespeare »

Comme on ne s’arrête plus, une fois sur la pente, cette idée d’enseigner, en se développant, se modifie et devient bientôt celle de juger, et le professeur Shakespeare devient le juge Shakespeare, sous la plume de François Hugo, une espèce de lord justicier, de haut shérif intellectuel d’Angleterre. […] Rose restée cent ans en bouton, sa gloire n’a fleuri dans toute l’ampleur de sa corolle que vers la fin du siècle dernier, mais depuis qu’elle ombrage la terre, depuis que, comme l’a dit Emerson, je crois, tout le monde intellectuel s’est shakespearisé, les critiques en masse se sont abattus sur le grand mûrier des bords de l’Avon pour en déchiqueter les feuilles gigantesques sous leurs analyses. […] Écoutez-le plutôt : « Il n’y a pas en l’homme — dit-il — de ces choses (things) qui soient distinctes et séparées et qui s’appellent intellect, imagination, fantaisie, etc., etc., comme il y a des pieds, des mains et des bras… Quand nous entendons dire d’un homme qu’il a une nature intellectuelle et une nature morale, et que ces natures existent à part l’une de l’autre, ce sont des nécessités de langage, et nous devons parler de cette manière si nous n’aimons mieux n’avoir pas à parler du tout. […] Je l’aime mieux et je le trouve plus beau jusque dans le mystère de sa vie, qui est peut-être une gracieuseté du bon Dieu ; car l’être moral que l’homme fait en soi n’est jamais si beau que l’être intellectuel que Dieu y crée, et la statue de diamant se voit mieux sur son noir piédestal d’ombres !

584. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin (suite et fin.) »

Quelle digestion intellectuelle s’est donc opérée au plus profond de notre cerveau ? […] Dominique qui, de son côté, essaye de tout pour se guérir, qui s’est jeté dans une vie intellectuelle forcée et qui a complètement cessé de la voir, visitant un jour un Salon d’exposition, s’arrête tout étonné devant une figure de femme, signée d’un illustre pinceau, et tout effrayante de réalité et de tristesse : il y peut lire dans un reflet étrange, dans un regard foudroyant d’éclat, l’aveu d’une âme qui souffre et qui aime.

585. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Émile Zola » pp. 70-104

Cette association intime de tendances diverses porte à leur attribuer une cause commune, et peut-être une seule hypothèse sur le mécanisme intellectuel de M.  […] En ces deux termes dont nous venons de marquer la coopération et l’antagonisme — réalisme intellectuel, idéalisme, volitionnel — son organisation cérébrale peut être résumée.

586. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Innocent III et ses contemporains »

En un mot, pourquoi cet emprunt forcé à l’immense crédit intellectuel de l’Allemagne ? […] On était aux beaux jours de la foi, cette fleur ardente de la jeunesse intellectuelle des nations.

587. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Ernest Hello » pp. 207-235

Mais il l’est pourtant des hommes attentifs aux événements intellectuels et qui ont l’œil à tout… Pour eux, peut-être il devait planer un jour dans ces hautes sphères de vérité où il pénètre quelquefois, mais par percées ; car l’esprit de Hello procédait comme certains oiseaux qui percent la nue et la traversent, comme s’ils voulaient monter plus haut et percer le ciel. […] Comme il y a vraiment de cette chose spéciale : l’inspiration, dans l’accent de Hello et jusque dans son regard intellectuel, M. 

588. (1868) Curiosités esthétiques « VI. De l’essence du rire » pp. 359-387

Aussi comme il rit, comme il rit, se comparant sans cesse aux chenilles humaines, lui si fort, si intelligent, lui pour qui une partie des lois conditionnelles de l’humanité, physiques et intellectuelles, n’existent plus ! […] Cela même est une condition de notre force intellectuelle générale.

589. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — L’inter-nationalisme »

L’isolement des premiers jours n’apparaît plus qu’aux contrées demeurées en enfance intellectuelle, tandis qu’au sein de l’humanité en travail se tisse le trame immense de l’échange et de l’accord.‌ […] Quelque soit l’importance de ces rapports matériels, celle des liens intellectuels de cité à cité, la dépasse à nos yeux.

590. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Contre une légende »

Il y a là de l’excès, de l’ivresse cérébrale, une poussée désordonnée de sève intellectuelle.

591. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’état de la société parisienne à l’époque du symbolisme » pp. 117-124

La supériorité intellectuelle et morale se résumait à peu près en ceci : « Mépriser la politique et aimer le théâtre. — Connaître au moins de vue et de nom les personnages de “la fête” à Paris. — N’aller déjeuner et dîner que dans les restaurants connus. — Faire semblant d’avoir tout lu. — Savoir tous les potins. — Couper les livres des auteurs qui dînent chez vous. — Dîner beaucoup en ville et aller à la messe. — Retenir d’une exposition les tableaux des gens qu’on rencontre dans le monde. — Éviter le solennel et prendre la vie à la blague. » * *   * Étrange société où connaître les gens qui font « la fête » suffit pour conférer un titre d’excellence.

592. (1890) L’avenir de la science « XIV »

Mais, dans l’état actuel de l’humanité, l’argent est une puissance intellectuelle et mérite à ce titre quelque considération.

593. (1888) La critique scientifique « Appendice — Plan d’une étude complète d’esthopsychologie »

Il serait facile d’en faire la démonstration par les faits sociaux et historiques de l’époque contemporaine ; ils se sont traduits notamment par l’incapacité politique du peuple ouvrier ; par rabaissement intellectuel des classes aisées ; par le romantisme plus ou moins accusé de toute la littérature française notable actuelle.

594. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Wallon »

Il s’est donné pour but de déshonorer le fondateur de l’éclectisme comme philosophe en l’honorant comme écrivain, comme orateur, comme… — il faut bien dire la chose puisqu’elle est, — comme le plus prestigieux comédien intellectuel qui se soit joué des comédies à soi-même, et, pour le déshonorer mieux, il l’honore trop.

595. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Madame Sand ; Octave Feuillet »

La revue littéraire d’une année ne doit contenir que ce qui provient de la germination intellectuelle de l’année.

596. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la liberté de l’enseignement »

Messieurs, ce grand diocèse, cette grande province intellectuelle et rationnelle n’a pas de pasteur ni d’évêque, il est vrai, de président de consistoire (peu importe le titre), de chef qualifié qui soit autorisé à parler en son nom ; mais chaque membre, à son tour, a ce devoir lorsque l’occasion s’en présente, et il est tenu par conscience à remettre la vérité, la science, la libre recherche et ses droits sous les yeux de quiconque serait tenté de les oublier et de les méconnaître. […] Que si je développe des considérations qui ne sont point celles qu’admet la grande majorité du Sénat, je prie qu’on veuille bien se dire que, de sa part, en écouter l’exposé et le développement, ce n’est point pour cela y adhérer, ce n’est point du tout s’engager ni s’en rendre à aucun degré responsable : c’est simplement faire preuve de tolérance, d’attention intellectuelle, de patience peut-être, mais d’une patience qui n’est certes pas de nature à faire tort à une grande assemblée. […] C’est là un triste état moral pour une nation et le plus grand symptôme de l’énervement intellectuel.

597. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXIXe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe (2e partie) » pp. 161-232

L’Allemagne était pleine d’hommes à sa hauteur en philosophie, en histoire, en science, en politique, en roman, en critique, en poésie ; il suffit de nommer les Herder, les Kant, les Jacobi, les Schlegel, les Winckelmann, les Klopstock, les Wieland, les Schiller, pour assigner au dix-huitième siècle allemand la même fécondité intellectuelle qu’au dix-huitième siècle français. […] La cour et le peuple avaient accepté sans discussion cette espèce de partage de l’empire entre le souverain légal et le souverain intellectuel du nord de l’Allemagne. […] Son caractère était éminemment propre à rallier l’Allemagne intellectuelle autour de lui.

598. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre II. Attardés et égarés »

Par là, la vie mondaine, échappant au formalisme frivole, eut un caractère profondément intellectuel ; les salons furent comme des marchés d’idées, où les échanges ne languissaient pas, et la fonction propre de l’homme du monde fut la conversation. […] Les Voiture, les Malleville, les Sarrazin, les Godeau, les Saint-Amant, les Scudéry, les Scarron même lui opposent leur fantaisie : en eux se perpétue le lyrisme du siècle précédent, mais un lyrisme desséché, plus intellectuel que sensible on imaginatif ; leur art, très contraint dans son apparente liberté, n’est qu’un jeu d’esprit compliqué, dont la règle est de calculer toujours l’effet le moins attendu ou le moins nécessaire, pour le produire. […] Les dames, telles que la marquise de Rambouillet, furent les institutrices de la haute société : elles firent de la galanterie et de la politesse les freins du tempérament ; elles substituèrent peu à peu des plaisirs et des goûts intellectuels aux passions et aux jouissances brutales.

599. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Hugo, Victor (1802-1885) »

Armand Fallières « … Il faut que la France entière présente un vaste ensemble, ou, pour mieux dire, un vaste réseau d’ateliers intellectuels, gymnases, lycées, collèges, chaires, bibliothèques, échauffant partout les vocations, éveillant partout les aptitudes… » Tel est le programme que traçait Victor Hugo à la tribune de l’Assemblée législative (1850). […] Eugène Guillaume Au Génie, qui, comme un témoin éternel et comme un prophète, a évoqué la nature et les temps, exprimé les aspirations infinies de l’humanité et, souverain maître de l’idée et de la forme, identifié avec la poésie la représentation intellectuelle de tous les arts. […] Victor Hugo fut le plus illustre parmi ceux qui entreprirent de ramener aux plus hautes aspirations cette culture intellectuelle déprimée.

600. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Victor Hugo. Les Contemplations. — La Légende des siècles. »

Nous ne pouvons oublier que la tête égarée, qui a écrit les énormités intellectuelles que voici, a failli être pour la France le poète que Gœthe et lord Byron sont pour l’Allemagne et l’Angleterre, et surtout nous nous rappellerons que M.  […] sont des vers avortés d’expression autant que d’idée, et ces vers manqués ne sont qu’un accident de la pensée, de peu d’importance en comparaison de la pauvreté et du dérangement intellectuels de cette tête à métaphores qui nous sert l’azur pour l’église, Dieu pour le prêtre, la lune pour l’hostie et l’élévation. […] Une si effroyable comédie de l’emphase n’est plus de la littérature ni du talent, mais du désordre intellectuel du plus inquiétant caractère, de l’anarchie d’esprit à sa plus haute puissance.

601. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Edmond et Jules de Goncourt »

— car pour les nuances et les transparences intellectuelles et morales, en d’autres termes, pour la moitié de la création, la description n’y est pas. […] J’aime autant cette race des clowns que M. de Goncourt lui-même, et je comprends peut-être aussi passionnément que lui la poésie de ces hommes, dans lesquels le corps est souvent plus spirituel, dans ses évolutions, que bien des intelligences dans les leurs… Je me permettrai de le dire ici, puisque l’occasion s’en présente, j’ai toujours été un grand hanteur de Cirques, un amateur de ces spectacles physiques qui ne me donnent pas qu’un plaisir des sens, quoiqu’il y soit aussi, mais un plaisir intellectuel bien autrement profond et raffiné. […] C’est la disparition volontaire d’un homme qui marchait au premier rang de l’état-major intellectuel de son siècle, et qui se jette dans le trou de sa décadence, dans ce byzantinisme encore plus honteux que celui de la décrépite Byzance ; car le sien, à Byzance, s’exerçait sur les choses sacrées, sur la théologie, sur la science de Dieu, et le nôtre, à nous, sur quelles chichetés s’exerce-t-il ?

602. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre I. Du comique en général »

De là ces définitions qui tendent à faire du comique une relation abstraite aperçue par l’esprit entre des idées, « contraste intellectuel », « absurdité sensible », etc., définitions qui, même si elles convenaient réellement à toutes les formes du comique, n’expliqueraient pas le moins du monde pourquoi le comique nous fait rire. […] Quand nous ne voyons dans le corps vivant que grâce et souplesse, c’est que nous négligeons ce qu’il y a en lui de pesant, de résistant, de matériel enfin ; nous oublions sa matérialité pour ne penser qu’à sa vitalité, vitalité que notre imagination attribue au principe même de la vie intellectuelle et morale. […] Quand le juge Brid’oison arrive sur la scène en bégayant, n’est-il pas vrai qu’il nous prépare, par son bégaiement même, à comprendre le phénomène de cristallisation intellectuelle dont il va nous donner le spectacle ?

603. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe, et d’Eckermann »

Quelle dépense, quelle tension des forces intellectuelles ne faut-il pas seulement pour ordonner en soi-même et pour organiser un grand ensemble, et quelles forces, quelle vie tranquille et sans troubles ne faut-il pas pour procéder à l’exécution, pour fondre tout, d’un seul jet d’expressions justes et vraies ! […] Miss Fuller était une Américaine de Boston, personne d’un vrai mérite et d’une grande vigueur intellectuelle.

604. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. J. J. AMPÈRE. » pp. 358-386

Les voyages ont été un des plus fréquents et des plus actifs moyens d’acquisition intellectuelle pour M. […] Comme il voit, avant tout, dans la littérature l’histoire du développement intellectuel et moral de la nation, il a pris cette nation à ses origines et jusque dans les éléments les plus anciens qu’on retrouve épars sur le sol.

605. (1892) Boileau « Chapitre II. La poésie de Boileau » pp. 44-72

Les impressions qu’il retirait des courtes et rares visites qu’il lui faisait, ne se reliaient pas suffisamment à ses idées : ces jouissances ne fournissaient rien à sa raison, et n’avaient pas de valeur intellectuelle ; aussi les goûtait-il sans en faire la matière d’un discours. […] Mais emporté par son admiration pour les modèles anciens, obéissant à un goût tout intellectuel que lui inspirait la société où il vivait, il entreprit d’écrire des discours moraux.

606. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre IV. Le patriarche de Ferney »

Aujourd’hui Mme d’Epinay, demain le prince de Ligne ; un autre jour le fils de l’avocat général qui requérait contre l’Encyclopédie et les brochures de Voltaire : des princes souverains, des rois venaient en pèlerinage chez M. de Voltaire, décidément sacré dans sa royauté intellectuelle. […] Dans le mouvement intellectuel, la trace principale de Voltaire est la diffusion de l’incrédulité du haut en bas de la société française.

607. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 7761-7767

La définition la plus générale du goût, sans considérer s’il est bon ou mauvais, juste ou non, est ce qui nous attache à une chose par le sentiment ; ce qui n’empêche pas qu’il ne puisse s’appliquer aux choses intellectuelles, dont la connoissance fait tant de plaisir à l’ame, qu’elle étoit la seule félicité que de certains philosophes pussent comprendre. L’ame connoît par ses idées & par ses sentimens ; elle reçoit des plaisirs par ces idées & par ces sentimens : car quoique nous opposions l’idée au sentiment, cependant lorsqu’elle voit une chose, elle la sent ; & il n’y a point de choses si intellectuelles, qu’elle ne voye ou ne croye voir, & par conséquent qu’elle ne sente.

/ 1381