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427. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mémoires de madame de Staal-Delaunay publiés par M. Barrière »

De quoi s’agit-il en effet, sinon de grâce, d’esprit et d’agrément (je parle de cet agrément qui survit et qui se distingue à travers les âges) ? […] Le xviiie commence avec Mme la duchesse du Maine et avec Mme de Staal, de même qu’on en sort par l’autre Mme de Staël et par Mme Roland : je mets ce dernier nom à dessein, car il marque tout un avénement, celui du mérite solide et de la grâce s’introduisant dans la classe moyenne, pour y avoir sa part croissante désormais. […] Le commencement des Mémoires est d’une grâce infinie et tient du roman ; c’est ainsi que la vie se dessine d’abord avant le charme cessé , avant l’illusion évanouie.

428. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Le symbolisme ésotérique » pp. 91-110

Mais quel autre de nos militants catholiques eût trouvé grâce devant un collège ecclésiastique ? […] Tandis qu’il s’agenouille, la grâce opère. […] L’enseignement officiel du jour et la poussée positiviste semblent lui avoir porté le coup de grâce.

429. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXII » pp. 355-377

« Madame de Richelieu a reçu des lettres du roi si excessivement tendres et obligeantes, qu’elle doit être plus que payée de tout ce qu’elle a fait. » Le roi, dont l’amour s’était ranimé par l’absence, par la contradiction et par l’ivresse d’une campagne glorieuse, était bien aise que sa maîtresse fut toujours considérée à la cour, et l’entrée en grâce près de la reine. […] Mais ce n’est pas sans scrupule, et j’ai de la peine du côté de la cour, à presser des gens de me faire des grâces, quand je pense que ce n’est que pour les quitter. […] Sous-entendez : Dans les bonnes grâces de la reine, et n’oubliez pas que le roi était à l’armée.

430. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Pensées de Pascal. Édition nouvelle avec notes et commentaires, par M. E. Havet. » pp. 523-539

Grâce à lui, on a maintenant les Pensées de Pascal conformément aux manuscrits mêmes. […] Quant aux autres, aux indifférents, à ceux qui sont destitués de foi vive et de grâce, « dire à ceux-là qu’ils n’ont qu’à voir la moindre des choses qui les environnent, et qu’ils verront Dieu à découvert, et leur donner, pour toute preuve de ce grand et important sujet, le cours de la lune ou des planètes, et prétendre avoir achevé sa preuve avec un tel discours, c’est leur donner sujet de croire que les preuves de notre religion sont bien faibles ; et je vois, par raison et par expérience, que rien n’est plus propre à leur en faire naître le mépris ». […] Il faut citer ce passage d’une souveraine beauté : Qui voit Pythagore ravi d’avoir trouvé les carrés des côtés d’un certain triangle, avec le carré de sa base, sacrifier une hécatombe en actions de grâces ; qui voit Archimède attentif à quelque nouvelle découverte, en oublier le boire et le manger ; qui voit Platon célébrer la félicité de ceux qui contemplent le beau et le bon, premièrement dans les arts, secondement dans la nature, et enfin dans leur source et dans leur principe, qui est Dieu ; qui voit Aristote louer ces heureux moments où l’âme n’est possédée que de l’intelligence de la vérité, et juger une telle vie seule digne d’être éternelle, et d’être la vie de Dieu ; mais (surtout) qui voit les saints tellement ravis de ce divin exercice de connaître, d’aimer et de louer Dieu, qu’ils ne le quittent jamais, et qu’ils éteignent, pour le continuer durant tout le cours de leur vie, tous les désirs sensuels : qui voit, dis-je, toutes ces choses, reconnaît dans les opérations intellectuelles un principe et un exercice de vie éternellement heureuse.

431. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Monsieur Walckenaer. » pp. 165-181

Walckenaer, qui connaît si bien son xviie  siècle, qui en sait les grandes et les moyennes et les plus petites choses, qui nous en redit les menus propos, n’est pas averti de bonne heure qu’il y a là un goût particulier, un style dont les négligences ont leur grâce, une saveur dans les moindres dires qui ravit ceux qui l’ont une fois sentie, et qu’un amateur comme il l’est devrait se bien garder de corriger. […] J’en veux citer un qui, dans son genre, a de la grâce, et qui est un joli exemple de ce style d’après Louis XVI, dans lequel il entre une réminiscence très sensible de Bernardin de Saint-Pierre, avec un peu de Marmontel. […] Pour moi, je ne puis qu’exprimer un regret qui rentre dans ce que je viens de dire tout à l’heure sur le goût et les urbanités du siècle de Louis XIV, c’est que le biographe, en abordant le siècle d’Auguste, n’ait pas assez senti que le plus grand charme d’une Vie d’Horace, pour le lecteur homme du monde, était l’occasion même de relire le poète peu à peu et sans s’en apercevoir, moyennant des citations bien prises et qui feraient repasser sous les yeux tous ces beaux et bons vers, trésor de sagesse ou de grâce.

432. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Les romans de M. Edm. de Goncourt » pp. 158-183

Grâce aux infinies ressources de son style et au biais particulier de sa manie observante, il est parvenu à saisir quelques-uns des faits profonds et obscurs de notre vie cérébrale. […] Ce penchant qui le conduisit à recueilir les dessins du XVIIIe siècle, à étudier en toutes ses faces et à faire revivre en son entier cette époque de la grâce française, qui lui fit aimer dans les objets du Japon leur puérilité, l’ingénu et l’impromptu de leur art, pénètre et détermine ses œuvres d’imagination, leur infuse comme une nuance et un parfum à part, les farde et les poudre. […] Il sait goûter la malice d’une vieille pantomime italienne et en inventer de poétiques pour ses clowns, rendre la douceur de gestes et de caractère d’un soldat, ancien berger, la grâce native d’une actrice naturellement fine, s’arrêter aux idylliques visions enfantines qui fleurissent la folie d’une vieille idiote.

433. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre douzième. »

et quelle grâce fine à la fois et naïve, pour justifier Circé qui parle la première ! […] Cette parenthèse est pleine de grâces, et les deux vers suivans sont au-dessus de tout éloge. […] Toute cette fin me paraît dénuée de grâces, et le mot de Charles II à madame Harvey : V. 63….

434. (1856) Articles du Figaro (1855-1856) pp. 2-6

Il avait l’onction, il avait la grâce, il avait le charme, comme dit cet ex-prince du feuilleton qui a la manie de faire encore des décrets après avoir mangé sa principauté. […] Mais cette claudication, je l’avoue, n’est pas sans grâce. […] Castille. — Nous lui demandons seulement en grâce de ne pas aggraver méchamment notre situation en nous prêtant, par voie d’hypothèse, — comme il nous est déjà arrivé, — des crimes imaginaires. […] — Distinction, grâce, beauté, jeunesse, esprit, tout s’y trouve. — Mais n’y a-t-il pas bien à dire encore ? […] Mademoiselle Delphine Fix est la fusion la mieux réussie du bon Dieu — de la gentillesse, de la grâce et de l’esprit. — Elle n’a qu’un défaut : elle sourit trop

435. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mademoiselle Aïssé »

L’esprit d’Aïssé ne fut pas lent à s’orner de tout ce qui pouvait relever ses grâces naturelles sans leur ôter rien de leur légèreté, et la jeune Circassienne, la jeune Grecque, comme chacun l’appelait autour d’elle, continua d’être une créature ravissante, en même temps qu’elle devint une personne accomplie. […] Cependant la postérité féminine d’Aïssé prospérait en beauté et en grâce ; je ne sais quel signe de la fine race circassienne continuait de se transmettre et de se refléter à de jeunes fronts. […] Sa grâce était incomparable ; à soixante-dix ans, elle en mettait encore dans ses moindres actions, dans ses moindres paroles. […] Personne ne s’adresse à elle pour demander des grâces au vieux maréchal…  » (Lettre XI.) […] Grâce à une copie manuscrite qui provient des papiers mêmes du Chevalier, nous pouvons donner ce portrait, un peu différent de ce qu’il est dans la Correspondance de Mme du Deffand ; on a fait subir à celui-ci, comme il arrive trop souvent, de prétendues petites corrections qui l’ont écourté.

436. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre premier. — Une leçon sur la comédie. Essai d’un élève de William Schlegel » pp. 25-96

Quand le mauvais sujet chez qui elle a établi son empire, avoue gaiement ses fautes au public, et cherche à s’attirer ses bonnes grâces (ce qui est possible, puisqu’il ne fait de tort à personne et qu’il est un joyeux compagnon), il nous présente ce que j’ai appelé le comique avoué 60. […] Avec quelle grâce et quel à-propos elle vient s’abattre au beau milieu d’une farce ! […] Puis il se vante avec bonne grâce de sa poltronnerie : J’ai jeté tout par terre et couru comme quatre74. […] Elle est fort amusante ; mais ne se termine-t-elle pas par un trait tout à fait exagéré, quand Valère, en présence de l’avare, s’adresse ainsi à sa fille : « Oui, l’argent est plus précieux que toutes les choses du monde, et vous devez rendre grâces au ciel de l’honnête homme de père qu’il vous a donné. […] Il ne se préoccupe dans toutes les pièces de théâtre, que du squelette et de l’arrangement de la fable, sans s’inquiéterle moins du monde de ce qu’un auteur peut nous offrir de grâce, de vie, de politesse et d’élévation dans les sentiments.

437. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (1re partie) » pp. 313-408

Cette illustration des grâces d’un siècle était devenue un digne débris de votre culte ; c’est là du moins que je vous retrouvai, c’est-à-dire avec Ballanche, les deux Deschamps, Vigny, madame Émile de Girardin, Brifaut, chez madame Récamier, régnant par l’attrait universel sur l’universalité des talents. […] Il est doux sans doute, il est doux, dans le calme des sens, dans les jouissances de l’étude et de l’art, “de causer entre amis, de s’approuver avec grâce, de se complaire en cent façons ; de lire ensemble d’agréables livres ; de discuter parfois sans aigreur, ainsi qu’un homme qui délibère avec lui-même, et par ces contestations rares et légères de relever un peu l’habituelle unanimité de tous les jours. […] Là seulement on trouve sécurité et plénitude ; des remèdes appropriés à toutes les misères de l’âme ; des formes divines et permanentes imposées au repentir, à la prière et au pardon ; de doux et fréquents rappels à la vigilance ; des trésors toujours abondants de charité et de grâce. […] Il est tout plein de grâce, de naïveté, de mélancolie. […] Moi, pédant (tout ignorant que je suis), je trouverais bien encore à guerroyer contre quelques mots, quelques phrases ; mais vous vous amendez de si bonne grâce et de vous-même, qu’il ne faut que vous attendre à un troisième volume.

438. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome I

Nous ne terminerons pas cette notice sans parler des deux ouvrages que Geoffroy a laissés : on lui doit une traduction de Théocrite exacte, mais où l’on voudrait plus de grâce, et des commentaires sur Racine. […] Un homme que la loi condamne à mort n’est-il pas toujours dans un danger évident, puisqu’il ne peut vivre que par grâce ? […] Horace se désolait de trouver sa maîtresse encore plus belle lorsqu’elle l’avait trompé ; il eût voulu qu’en disant un mensonge, elle perdît une grâce. […] Il faut convenir que Pierre Messier n’était pas un nom brillant et digne d’un héros de théâtre ; il prit celui de Bellerose, nom galant et fleuri, sous lequel il se signala par le talent d’exprimer la tendresse, et par des grâces qui approchaient de la fatuité. […] Voilà une belle grâce que fait Boileau aux auteurs tragiques, et il est bien bon de consentir qu’ils fassent usage de ce qu’il y a, selon lui, de plus propre à toucher le cœur !

439. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Poésies d’André Chénier »

C’est pourquoi il ne faut point voir dans la tentative d’André Chénier une renaissance gréco-latine ; c’est véritablement une renaissance française, conséquence des xvie et xviie  siècles, avec cette différence que le xvie  siècle avait vu la Grèce à travers l’afféterie italienne ; le xviie , à travers le faste de Louis xiv ; tandis qu’André Chénier a, dans l’âme de sa mère, respiré la Grèce tout entière ; il parle la même langue que Racine, mais trempée d’une grâce byzantine, attique même, naturelle et innée, et dans laquelle se fondent heureusement l’ingéniosité grecque et la franchise gauloise. » Certes, André Chénier n’a pas réussi partout ; plus d’une pièce de lui trahit des inexpériences sensibles ; il y a des différences d’âge entre ses poésies ; mais celles de sa dernière manière, les élégies lyriques à Fanny, à la Jeune Captive, l’ode à Charlotte Corday, les Iambes, ne laissent rien à désirer. Le grand poëte s’y montre et s’y manifeste dans toute sa grâce ou sa puissance, armé et formé tout entier.

440. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « La poésie »

laissez-nous de grâce, à nous autres critiques, l’histoire littéraire et ce qui en dépend. […] La Jérusalem délivrée du Tasse y est traitée avec grâce et réserve.

441. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vigny, Alfred de (1797-1863) »

De graves négligences dans l’ordonnance de ce poème, l’incohérence des détails, l’obscurité de l’ensemble, les singularités d’un système de versification qui a bien sa grâce et sa douceur, mais qui a aussi ses défauts particuliers, toutes ces taches que des critiques, à la vérité bien sévères, avaient remarquées dans la première publication de M. de Vigny, ne peuvent être reprochées à la seconde. […] Il repousse avec une sorte de pudeur virile la tentation d’amuser les désœuvrés des secrets de sa vie ou des mystères de son cœur… l’art est toujours chez lui, en un sens, philosophique… Chacun de ses poèmes : Moïse, Éloa, n’est, si l’on veut bien le prendre, qu’un admirable symbole… C’est une succession de petits ou de grands drames dont chaque partie se relie par une pensée unique, mais l’artiste, nulle part, ne se sacrifie au penseur ; il garde tous ses droits, nous enivre et s’enivre lui-même de poésie, orne d’une grâce infinie chaque détail.

442. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XIV. Moralistes à succès : Dumas, Bourget, Prévost » pp. 170-180

Grâce ce petit Évangile de poche, nous la retournons comme un gant. […] : 1º Les imaginatifs, à la façon de Cazotte ou de Coster, ou les fantaisistes, comme Bret Hart, — et vous ne songez pas à relever de leur genre, non plus que de celui des sentimentaux moutonneux ; 2º Les érotiques, de Beroalde de Verville à Crébillon ; mais ceux-là ont une connaissance du vice et de la volupté, aussi une verve ou une grâce en leur parler, — dont les passages mêmes où vos fillettes, à table, enfourchent les cuisses de leurs voisins, ne donnent qu’une maigre illusion ; 3º Les réalistes, la lignée de Le Sage, ceux qui nous documentent sur un temps et sur une société ; et pour cela il faut une acuité de vision, une audace de dire, une pénétration psychologique, que je suis confus de ne pas vous reconnaître.

443. (1762) Réflexions sur l’ode

Un poète est un homme qu’on oblige de marcher avec grâce les fers aux pieds ; il faut bien lui permettre de chanceler quelquefois légèrement. […] Mais démêleront-ils les grâces de cet auteur inimitable, sa facilité, sa naïveté, les charmes de sa négligence même ?

444. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XI. Mme Marie-Alexandre Dumas. Les Dauphines littéraires »

III Car c’est une sainte, à ce qu’il paraît, que Mme Marie-Alexandre Dumas ; une sainte de prétention, sinon d’humilité… J’ai entendu raconter que la Grâce un jour l’avait touchée ; à Jérusalem, je crois, — une bonne place pour l’effet dramatique, chose indispensable pour des Dumas ! — et que sous l’empire de cette Grâce, elle avait quitté son mari comme on ne le quitte guère dans les ouvrages de son père et de son frère, pour se jeter en pleines œuvres de haute dévotion et de prosélytisme, mais tout cela avec une telle gesticulation théâtrale, que les prêtres français de Jérusalem s’étaient inquiétés en leur prudence, de ce trop de gesticulation… Revenue en France, ajoutait-on, elle était entrée chez des religieuses de Passy, sans pourtant se faire religieuse, et elle y vivait dans une piété exaltée, peignant des sujets religieux ; mortifiant ainsi de la toile, si elle ne se mortifiait pas elle-même ; s’entretenant la main de cette façon et mortifiant toujours quelque chose !

445. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Lettres portugaises » pp. 41-51

Tout le monde y cherchait son nom, et de plus elles étaient écrites avec toutes les grâces d’un talent qui a la légèreté des dentelles que portaient nos grand’mères, et qui, comme les dentelles, semblent avoir gagné en vieillissant. […] nourrie jusque-là du pain eucharistique, et tombée des hauteurs de la Pureté et de la Grâce dans les fanges de la passion humaine, et demandez-vous ce que doivent être l’amour et sa faute, pour une pareille femme, sinon le plus grand des crimes, le plus affreux des adultères, l’infidélité à Dieu même, le sacrilège dans la trahison !

446. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XI. Des éloges funèbres sous les empereurs, et de quelques éloges de particuliers. »

Il ne nous reste aucun des discours d’Auguste ; nous savons seulement que ce meurtrier avait un genre d’éloquence plein de simplicité et de grâce : il faisait des vers aisément16, et il avait composé les mémoires de sa vie : tout cela s’est perdu ; on se doute bien qu’il fut hué après sa mort ; on célébra son humanité et sa clémence sur la tribune où la tête sanglante de Cicéron avait été attachée. […] Elle était parvenue au rang d’impératrice par ce mélange de coquetterie, d’artifice et de grâces, qu’ont eu tant de femmes célèbres.

447. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XIV. Panégyrique de Trajan, par Pline le jeune. »

Ceux qui ont reçu de la nature une âme forte, ceux qui ont le bonheur ou le malheur de sentir tout avec énergie, ceux qui admirent avec transport et qui s’indignent de même, ceux qui voient tous les objets de très haut, qui les mesurent avec rapidité et s’élancent ensuite ailleurs, qui s’occupent beaucoup plus de l’ensemble des choses que de leurs détails, ceux dont les idées naissent en foule, tombent et se précipitent les unes sur les autres, et qui veulent un genre d’éloquence fait pour leur manière de sentir et de voir, ceux-là sans doute ne seront pas contents de l’ouvrage de Pline ; ils y trouveront peut-être peu d’élévation, peu de chaleur, peu de rapidité, presqu’aucun de ces traits qui vont chercher l’âme et y laissent une impression forte et profonde ; mais aussi il y a des hommes dont l’imagination est douce et l’âme tranquille, qui sont plus sensibles à la grâce qu’à la force, qui veulent des mouvements légers et point de secousses, que l’esprit amuse, et qu’un sentiment trop vif fatigue ; ceux-là ne manqueront pas de porter un jugement différent. Ils aimeront dans Pline la grâce du style, la finesse des éloges, souvent l’éclat des idées.

448. (1824) Épître aux muses sur les romantiques

Un essaim de beautés réfléchi par vingt glaces, Étalait à l’envi ses attraits et ses grâces y De leurs riches atours les yeux étaient charmés. […]      Je ne veux point ici blesser la modestie Des prosateurs fameux qu’admire ma patrie ; Mais je loûrai leur style et leurs descriptions, La grâce et la clarté de leurs inversions, Le fracas de leurs mots, et ces phrases sublimes, Qui, pour être des vers, n’ont besoin que de rimes.

449. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Troisième partie. — L’école historique » pp. 253-354

Des diables en enfer s’amusent à disputer sur la grâce, sur le libre arbitre, sur la prédestination, tandis que d’autres jouent de la flûte. […] Il est vrai qu’elles n’ont pas la grâce de l’antilope, ni la noblesse du cygne ; mais le cygne n’a pas leur cuirasse, et l’antilope n’a pas leurs dents. […] De tous côtés, sous les portiques des temples, je voyais les Athéniens se promener librement, se saluer avec grâce, s’arrêter, causer, rire. […] Jamais il n’y en eut un qui eût plus besoin de sacrifier aux Grâces. […] C’est lui qui nous a fait la grâce de nous délivrer du cardinal456 !

450. (1897) La vie et les livres. Quatrième série pp. 3-401

La joie y manque un peu, et la grâce. […] Mais sa vieillesse pensive avait plus de grâce que sa jeunesse élégante et dissolue. […] J’évoquais la forme d’Elvire, sa frêle beauté, heureuse de s’offrir, sa grâce d’épouse fière d’être vaincue. […] Entre chien et loup, dans les brumes de la nuit commençante, leur silhouette a de la grâce. […] Nous admirons comment les Athéniens savaient ennoblir de grâce la tristesse de la mort.

451. (1902) Le chemin de velours. Nouvelles dissociations d’idées

Le déterminisme est tempéré par la grâce. […] Cette grâce, dont dépend la vertu et le salut éternel, il n’est pas au pouvoir de l’homme de lui résister ; la grâce est toujours nécessitante. […] La grâce est un fait, Renan employa plusieurs fois ce mot fort à propos. […] Mais les grands esprits manquent ici et là : Descartes n’avait pas d’opinion sur la grâce. […] Sa seule inquiétude, c’est de savoir s’il a la grâce ; s’il avait la grâce, tout lui serait égal, parce que la grâce, dès qu’elle est, elle est toujours nécessitante.

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