L’auteur, encore tout ému de sa chute et de l’ingratitude de l’Assemblée, ne prévoyant pas que, dans les malheurs qui s’apprêtent à fondre sur toutes les têtes, cette retraite prématurée deviendra pour lui un salut et un bienfait, l’auteur se laisse aller à toutes ses pensées ; il nous livre son âme au vif, toute saignante et gémissante ; il la montre dans sa sensibilité, dans ses étonnements, dans ses douleurs de tout genre, dans ses passions naturelles, honnêtes, droites, humaines et un peu débonnaires. […] Ses cris de douleur et d’étonnement sur l’iniquité et l’ingratitude humaines seront bientôt proportionnés à ses premières expressions de délices et de reconnaissance. […] Parlant des deux partis qui l’avaient tour à tour et à la fois blessé, du parti aristocratique surtout qui ne lui avait point épargné les sarcasmes amers, il disait, dans la supposition qu’il eût pu en regagner les plus indulgents : « Je ne veux aujourd’hui ni d’eux ni de personne ; c’est de mes souvenirs et de mes pensées que je cherche à vivre et mourir ; et, quand je fixe mon attention sur la pureté des sentiments qui m’ont guidé, je ne trouve nulle part une association qui me convienne. » C’est en ces termes que l’honnête homme blessé s’exaltait lui-même dans le premier soulèvement de sa douleur.
Et quelque désir que j’eusse d’épargner à Votre Majesté la douleur de cette nouvelle, s’il était possible qu’elle ne lui parvînt jamais, et ne troublât ainsi aucun instant le repos de son grand et sensible cœur, un devoir trop important et trop sacré y est attaché pour que je pusse cependant la lui cacher, Oui, Sire, il n’est que trop certain, après bien des soins inutiles pour prolonger mes jours, je me vois enfin sur le bord de la tombe. […] Une lettre à Algarotti, du 16 novembre, est toute remplie de sa douleur dans le premier instant, et elle supplée aux autres témoignages : Remusberg, 16 novembre 1740. […] Adieu ; je ne puis parler d’autre chose ; le cœur me saigne, et la douleur en est trop vive pour penser à autre chose qu’à cette plaie.
Son séjour dans l’Ardèche, de 1815 à 1821, et qui fut consacré à de vertueuses douleurs, sembla (ceci est triste à dire) l’avoir rouillé littérairement. […] Si, en le lisant, il verse des larmes d’admiration et de douleur, s’il rougit d’avoir été couronné, s’il jette, s’il dépose cette couronne aux pieds du vaincu, alors il donnera de hautes espérances ; s’il continue à se croire vainqueur, il restera, à peu près, aussi petit que son discours. » O Garat, Garat !
Le jour où un sentiment profond et passionné le prend au cœur, où une douleur sublime l’aiguillonne, il se défait aisément de ces coquetteries frivoles, et brise, en se relevant, tous les fils de soie dans lesquels jouaient ses doigts nerveux. […] Qu’on ne s’y trompe pas : les douleurs célébrées avec harmonie sont déjà des blessures à peu près cicatrisées, et la part de l’art s’étend bien avant jusque dans les plus réelles effusions d’un cœur qui chante.
La douleur du père, son indifférence aux bruyantes orgies de la setch qu’il entend à peine gronder autour de lui, ses courses solitaires à la chasse, où il oublie de décharger son arme et où il passe des heures assis près de la mer, sont décrites avec une énergique vérité. […] La trace de Boulba se retrouve bientôt en effet : il est retourné parmi les siens ; il les a soulevés sans peine au récit de ses douleurs, et cent mille Cosaques reparaissent en armes sur les frontières de l’Ukraine.
Des accents inconnus se font déjà entendre pour exalter le martyre et célébrer la puissance de « l’homme de douleur. » A propos de quelqu’un de ces sublimes patients qui, comme Jérémie, teignaient de leur sang les rues de Jérusalem, un inspiré fit un cantique sur les souffrances et le triomphe du « Serviteur de Dieu », où toute la force prophétique du génie d’Israël sembla concentrée 86. « Il s’élevait comme un faible arbuste, comme un rejeton qui monte d’un sol aride ; il n’avait ni grâce ni beauté. […] C’est qu’il s’est chargé de nos souffrances ; c’est qu’il a pris sur lui nos douleurs.
Il faut qu’elle lui soit aussi une matière à douleur. […] La petite Sue n’est pas de force à porter la douleur : elle s’enivre pour oublier, elle s’enivre de foi comme quelques-uns s’enivreraient de gin.
Le beau génie de la Grèce, dit-il, semble s’obscurcir ; un nuage a voilé sa lumière ; mais c’est un des progrès moraux que le christianisme apportait au monde, un progrès de douleur sur soi et de charité pour les autres. […] On croit sentir dans ces pages toutes sérieuses, tout étendues, et où nulle trace d’inquiétude littéraire ne se fait jour, ce je ne sais quoi d’achevé que donne au talent la connaissance du mal caché et l’épreuve même de la douleur.
On connoît les quatre vers qu’il envoya au roi de Prusse à cette occasion : Je les reçus avec tendresse, Et je les rends avec douleur, Comme un amant, dans sa fureur, Rend le portrait de sa maîtresse. […] C’est ainsi que M. de Voltaire, dans son séjour à Léipsig, malgré tous ses maux, & malgré les menaces du géomètre, soutenoit le ton qu’il avoit pris : mais il fut saisi de douleur & d’étonnement, lorsqu’il lut ces paroles rapportées dans une gazette d’Utrecht, & qu’on disoit faussement lui avoir été adressées par le roi de Prusse : « Il n’étoit pas besoin de faire le malade pour obtenir votre congé… Je hais les gens à cabale. » Etant encore à Léipsig, il fut invité, par la plupart des princes d’Allemagne, à venir à leur cour.
Si je viens à ressentir une grande douleur morale dans le moment où je suis occupé d’un travail intellectuel, je deviens incapable de le continuer, et si je veux m’y forcer, je ne sens mes idées ni si vives, ni si faciles, ni si suivies qu’auparavant. […] N’est-ce pas comme si l’on disait : J’apprends la nouvelle de la mort d’un ami ; cette nouvelle imprime une secousse anormale à mon cerveau, et à la suite de cette secousse j’éprouve une grande douleur, d’où il suivrait que le chagrin causé par la mort d’un ami ne serait en réalité que la conséquence d’un mal de tête.
Elle fut à peine achevée ; et l’on sent avec douleur que le peu qui reste à faire ne se fera jamais. […] Maintenant, car les explications mènent loin, on pourra ne pas sentir la nécessité de revenir ainsi avec douleur sur ce qui est irrévocable.
… On a parlé de la douleur d’avoir perdu l’Impératrice, de cette affection blessée par la mort et qui saigna toujours dans l’âme de ce fils de Jeanne-la-Folle, en qui l’amour conjugal semblait une passion héréditaire, mais la Douleur a son idée fixe et ne revient pas toucher, de ses mains préoccupées, les amusettes de l’Ambition.
Puis vient la fin, Douleur immense ! […] Puis vient la fin, Douleur immense !
Ghéon fait revivre en nous une foule de menues impressions quotidiennes que le souffle brutal des passions et de la douleur disperse, hélas !
Excès de sensibilité de Schopenhauer, qui sert de point de départ à sa théorie de la douleur. […] Et il a imaginé une théorie de la douleur qui correspond exactement à son cas particulier : avec une rare puissance d’analyse, à travers des images frappantes d’éclat et de précision, il montre la douleur se développant sans cesse, devenant plus aiguë, plus envahissante à mesure que l’on monte dans la série des êtres : elle n’atteint que la volonté, mais elle s’accroît en degré avec la connaissance : « La volonté est comme la corde d’un instrument, l’obstacle qui le froisse produit la vibration ; la connaissance est le fond sonore, la douleur est le son. » Plus l’instrument est parfait, plus la résonnance est profonde, plus les vibrations rapprochées produisent des sons déchirants. C’est ainsi que le monde inorganique ne connaît pas la douleur ; l’animal, au contraire, quelque imparfait qu’il soit, souffre déjà. « À mesure qu’elle s’élève sur l’échelle animale, la douleur croit en proportion. […] Chez les animaux supérieurs, la douleur n’approche pas de celle de l’homme, par suite de l’absence des idées et de la pensée. » Notez encore que, d’après notre philosophe, le développement de la faculté de jouir ne correspond pas au développement de la faculté de souffrir, au contraire : en sorte que l’être le plus parfait qu’on puisse concevoir nous apparaît comme une sorte de machine merveilleusement organisée pour la souffrance et impropre au plaisir, comme un instrument dans lequel la douleur éveillerait de longs échos et qui n’aurait pas de cordes pour exprimer la joie. […] Guidé par le même instinct, il fouillait les sciences qui se développaient autour de lui, demandant à la vie des animaux, ou à celle des plantes, ou à celle du globe, des preuves à l’appui de sa théorie de l’universelle douleur.
Lainé, avec douleur, mais sans colère, la diplomatie, dans laquelle j’avais passé ma jeunesse. […] Mais elle n’est plus ; et il vous reste ce qu’après vous elle a le plus aimé, sa mère et la vôtre, que votre douleur inconsolable conduira au tombeau. […] C’est dans le sommeil de la mort que reposent pour jamais les maladies, les douleurs, les chagrins, les craintes, qui agitent sans cesse les malheureux vivants. […] J’ai échappé pour toujours à la pauvreté, à la calomnie, aux tempêtes, au spectacle des douleurs d’autrui. […] La douleur l’avait submergé.
La douleur qui prend naissance au point affecté ne tarde pas à étendre la lésion, puis « fait avalanche ». Qu’on enlève ou atténue la douleur, on enlèvera ou on affaiblira l’un des facteurs du mal organique. […] L’hypnotisme, qui distrait cette attention, opère en sens inverse de la douleur : il diminue le mal en faisant que nous n’y songions plus. […] Douleur et idée impliquent certains processus de l’onanisme qui ont leur action propre dans le résultat final. […] Après avoir imaginé des sensations inconscientes, des plaisirs et douleurs inconscients (ô merveille !)
Et quels regrets, quelle douleur pour ceux qui se savent aimés ! […] Dante lui-même s’égare au sein de la tourmente, et, dans sa douleur, il invoque le secours de César. […] » Mais il se débat dans sa douleur jusqu’à ce qu’une larme tombe des yeux de Jésus. […] Sa douleur et son infortune nous émeuvent profondément, mais nous comprenons fort bien que Faust ne puisse avoir pour elle qu’un amour des sens. […] redevenir le rien que j’étais avant de naître à la vie et à la douleur vivante !
Mais leur doux chant point ne le solatie, Tant la douleur le tient dedans ses lacs !
Traverser le tumulte, la rumeur, le rêve, la lutte, le plaisir, le travail, la douleur, le silence ; se reposer dans le sacrifice, et, là, contempler Dieu ; commencer à Foule et finir à Solitude, n’est-ce pas, les proportions individuelles réservées, l’histoire de tous ?
Celle de la douleur serait misérable ; celle du désespoir commune.
La branche d’un myrte auquel Roger a attaché par la bride l’hippogriffe, et dont le cheval cherche à se dégager, pousse une plainte humaine ; l’écorce sue de douleur et de honte comme une peau humaine. […] Pendant cet oubli fatal de Roger dans les jardins d’Alcine, sa vertueuse amante Bradamante s’informe partout de lui ; elle s’évanouit de douleur et de jalousie en apprenant qu’il est dans les bras d’Alcine. […] Elle lui raconte ses peines ; l’histoire est naïve autant que pathétique : « Je suis Isabelle, fille de l’infortuné roi de Gallicie, ou plutôt je fus fille de ce roi, car je ne suis plus maintenant que fille de la douleur, de l’infortune et des larmes ! […] Ce fut le coup de hache qui trancha sa raison avec son espoir ; cette couche, cette cabane de berger, ce vallon, lui deviennent si odieux que, sans attendre ni le lever de la lune ni celui de l’aube, il prend ses armes, il remonte sur son cheval, il s’enfonce dans le plus épais du bois, et, quand il se sent enfin seul, il répand en cris et en hurlements sa douleur ! […] Les charmes d’Isabelle, quoique pâlis par les larmes, lui ravissent le cœur ; il terrasse l’ermite, il le lance dans la mer ; il menace Isabelle d’attenter à sa douleur et à sa pureté.
Nos joies ne sont pas assez radieuses, ni nos douleurs assez cruelles, pour entrer en comparaison avec les joies et les douleurs que la musique nous fait rêver, de sorte que, ne pouvant espérer d’être heureux, nous n’avons pas même la consolation de souffrir fortement. […] Son grand malheur, c’est d’avoir été éprouvé plutôt par des souffrances mesquines que par de grandes douleurs. […] Lorsque quelqu’un d’entre nous a éprouvé quelque grande douleur, il peut trouver autour de lui des agents de consolation. La bonne nature nous ouvre ses bras, nous berce et nous endort en nous chantant ses vagues complaintes de nourrice ; elle nous fait oublier nos douleurs à force de nous en entretenir, et, par une alchimie particulière et bienfaisante, transforme ces douleurs en joies radieuses et en souvenirs affectueux. […] La douleur, qui, trop prolongée, finit par apporter la mort aux autres hommes, est au contraire l’élément vital du harpiste vagabond.
Sa douleur était superbe ; une belle douleur mâle et forte qui lui serrait les lèvres faisait haleter sa poitrine. […] Elle ouvrit la porte, elle ne pleurait pas, elle n’aurait jamais eu assez de larmes pour une aussi grande douleur. […] Peu de bruit, peu de fracas font les infortunes réelles ; « je n’aime pas les malades qui mangent leur douleur », disait Velpeau. Et il avait raison, l’expansion est un soulagement et souvent une guérison ; la douleur qui fermente brise le vase trop faible pour la contenir. […] On juge de la douleur de M. de Boisvilliers, mais un père n’a plus de volonté sur un cœur de vingt ans.
Crimes, douleurs, collisions sanglantes, bouleversements, misères, n’étaient pas, il est vrai, derrière elle, mais devant elle : à l’état de souvenirs, mais de pressentiments ou d’inquiétudes. […] C’est un hymne de douleur paternelle qui forme le point culminant, et, disons-le, la partie la plus remarquable de son livre. […] Comme critique, nous sommes forcé de constater avec douleur que ses anciennes opinions lui avaient inspiré de bien beaux vers, et que ses opinions nouvelles lui en inspirent de diamétralement contraires. […] Cette fois, M. de Lamartine a été dans le vrai : dans le vrai de ses désenchantements, dans le vrai de ses douleurs, et, — pourquoi ne pas le dire, puisqu’il le dit lui-même ? […] Vous vous êtes fait trop de mal à vous-même pour être bien tranquille dans votre douleur ; vous nous avez fait trop de mal pour qu’un peu de ressentiment et d’amertume ne se mêle pas à notre compassion.