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558. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires de Marmontel. » pp. 515-538

Navarre, receveur des tailles à Soissons, était, nous dit un homme non amoureux (Grosley), la plus brillante partie de sa famille ; elle visait au grand, à l’extraordinaire, et se fit aimer du maréchal de Saxe : « La beauté, les grâces, les talents, un esprit délicat, un cœur tendre, l’appelaient à cette brillante conquête… Sa conversation était délicieuse70. » Marmontel nous la montre de plus imprévue, capricieuse, avec plus d’éclat encore que de beauté : « Vêtue en Polonaise, de la manière la plus galante, deux longues tresses flottaient sur ses épaules ; et sur sa tête des fleurs jonquille, mêlées parmi ses cheveux, relevaient merveilleusement l’éclat de ce beau teint de brune qu’animaient de leurs feux deux yeux étincelants. » C’est cette amazone, cette belle guerrière qui, sacrifiant l’illustre maréchal au jeune poète, enleva un matin Marmontel à ses sociétés de Paris et le transporta d’un coup de baguette dans sa solitude d’Avenay, où elle le garda plusieurs mois enfermé au milieu des vignes de Champagne comme dans une île de Calypso. […] Il ne tint à rien que, du coup, Aurore de Saxe ne fût désavouée, déshéritée et marmontélisée. […] En perdant le privilège du Mercure, Marmontel ressentit ce coup d’aiguillon qui de temps en temps nous est bon et nécessaire ; il retrouva sa liberté et son temps pour les longs ouvrages, et il se rapprocha de l’Académie. […] C’est assez pour l’honneur de sa mémoire qu’en voyant les hommes devenir tout à coup furieux et méchants, il ait arrêté à temps sa bonhomie, et ne l’ait laissée dégénérer ni en lâcheté ni en sottise.

559. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre premier. Existence de la volonté »

Si je ressens tout à coup une piqûre, elle a beau se fondre immédiatement avec mon état général, la conscience du changement est ex abrupto, la transition n’a été ni prévue ni pressentie. […] La volonté n’apparaît pas et n’intervient pas tout d’un coup, par des actes spéciaux et des fiat, soit pour faire attention à une idée, soit même pour prendre, comme on dit, une « détermination ». Toutes les scènes intérieures qui nous paraissent et sont, en effet, si diversifiées, empruntent leur diversité aux sensations de mille sortes qui viennent se combiner avec le déploiement de notre volonté ; mais, encore un coup, ce déploiement en lui-même est toujours continu et toujours général ; nous voulons et agissons tout entiers, et les réactions tranchées contre les obstacles ne sont encore que les continuations de notre vouloir antérieur combiné avec des sensations nouvelles. […] Un centre n’est sensoriel que parce qu’il est moteur : la sensation implique un mouvement transmis à un centre qui oppose à l’action une réaction en sens contraire ; le centre mû meut à son tour : s’il n’y avait pas d’autres centres en question, le coup donné par le mouvement centripète produirait en réponse un mouvement centrifuge sur la même ligne.

560. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pommier. L’Enfer, — Colifichets. Jeux de rimes. »

Sans ses ennemis politiques, sans ces papes qu’il osait damner, ne croyant pas que ce fût assez de les insulter et de les maudire, Dante, ce Juvénal du Moyen Age, ce pamphlétaire plus grand que Tacite, auquel des critiques qui ressemblent un peu aux petits garçons de Florence ont voulu donner l’air inspiré d’un prophète revenant de l’autre monde, tandis qu’il est un homme du temps, se possédant fort bien, au contraire, et tenant d’une main très-froide son stylet de feu, Dante n’aurait jamais songé à enfoncer son profond regard, fait pour juger les hommes et leur commander, dans cette conception de l’enfer, dont la vision pour lui se mêle à d’autres rêves et qu’il a faussée au profit de ses haines et sous le coup de ses douleurs. […] Question qui se lève tout à coup au bout de nos éloges, et qu’il est facile de résoudre. […] ………………………………………… Des diables à rugueuses cornes Vers les flamboyants souterrains Font avancer les damnés mornes À coups de fourche dans les reins ! […] Ce cruel mépris d’expression, cette brutalité du coup de pinceau dans la description, sont, à notre sens, magnifiques, et on les retrouve à toutes pages dans le poème de M. 

561. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIV. »

L’hymne où il la célèbre, avec les nombres sonores de son idiome natal, répandit tout à coup son nom dans les États-Unis, que flattait cet hommage aux phénomènes de leurs solitudes sauvages encore. […] Les ondes, éparses en rosée légère sous la violence du coup, remontaient pressées en colonnes qui parfois s’étendaient à toute la largeur de l’abîme et cachaient une part de l’horizon… « Ce qui m’étonna le plus, c’est qu’à l’abord du précipice, les vagues résistent en sens contraire et s’entrechoquent comme pour échapper ‘à l’impulsion qui les précipite, jusqu’au moment où, vaincues, elles s’abattent dans l’abîme avec un tonnerre souterrain, et font jaillir dans les airs d’immenses colonnes de nuées sur lesquelles l’arc d’Iris réfléchit ses plus éblouissantes couleurs. » C’est l’esquisse du voyageur, de l’émigré des Andes accoutumé à la puissante nature du monde américain, et la trouvant dépassée dans ce désert. […] Aux coups de l’ouragan furieux, aux rejaillissements de l’éclair sur mon front, je palpitais de joie. […] Le temps a fait un pas, et, sous le coup de ses vicissitudes, qui délivrent aussi promptement qu’elles accablent, déjà un monde n’est plus tributaire d’un autre monde ; mais le soleil des Incas et des Aztèques illumine la colonne immuable du Calvaire.

562. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Note »

Que si ma pensée se reporte, non plus sur le poëte, mais sur l’homme auquel tant de liens de ma jeunesse m’avaient si étroitement uni et en qui j’avais mis mon orgueil, ressongeant à celui qui était à notre tête dans nos premières et brillantes campagnes romantiques et pour qui je conserve les sentiments de respect d’un lieutenant vieilli pour son ancien général, je me prends aussi à rêver, à chercher l’unité de sa vie et de son caractère à travers les brisures apparentes ; je m’interroge à son sujet dans les circonstances intimes et décisives dont il me fut donné d’être témoin ; je remue tout le passé, je fouille dans de vieilles lettres qui ravivent mes plus émouvants, mes plus poignants souvenirs, et tout à coup je rencontre une page jaunie qui me paraît aujourd’hui d’un à-propos, d’une signification presque prophétique ; je n’en avais été que peu frappé dans le moment même. […] Et cependant après coup, si l’on y revient, si l’on repasse sur ce fond moral antérieur, pour peu qu’on ait des éléments suffisants, on distingue la veine qui devait prévaloir.

563. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « VICTORIN FABRE (Œuvres mises en ordre par M. J. Sabbatier. (Tome II, 1844.) » pp. 144-153

Villemain, l’emporta du premier coup sur le lauréat émérite qui ployait sous les couronnes. […] Lorsque Victorin fut mort, Auguste, atteint du coup, se renferma dans l’appartement de son frère, laissa croître sa barbe, ne sortit plus, ne permit plus qu’on enlevât la poussière des papiers et des meubles, désormais consacrés à ses yeux ; il mourut tout entier à ce deuil, et constatant sa pensée fixe dans un testament dont un récent procès est venu révéler les dispositions singulières.

564. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Mignet : Histoire de la Révolution française, depuis 1789 jusqu’en 1814. 3e édition. »

C’est aussi de la sorte qu’en jugea Malebranche lorsqu’à la lecture du livre De l’homme, il se sentit tout à coup pénétré de dédain pour l’étude des historiens ecclésiastiques, et que dès ce jour il estima l’histoire indigne de son génie. […] Que la fièvre inflammatoire, je le suppose, n’eût pas saisi Mirabeau, qu’une tuile un coup de sang eût tué Robespierre, qu’une balle eût atteint Bonaparte, la face des choses n’aurait-elle pas changé ?

565. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre IX. L’avenir de la Physique mathématique. »

Faudra-t-il chercher à raccommoder les principes ébréchés, en donnant ce que nous autres Français nous appelons un coup de pouce ? […] Et après, qu’avons-nous gagné à ce coup de pouce ?

566. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre VIII. La mécanique cérébrale »

Par exemple, un éclair ou un coup de tonnerre produira en moi un ébranlement très-vif qui, je l’accorde, ne cessera pas tout d’un coup, et je puis passer très-rapidement et à mon insu par des alternatives de bruit et de silence, de lumière et de nuit, avant de m’arrêter au silence complet et à la nuit complète ; mais il n’y a rien là qui m’oblige à repasser par une série de phénomènes antérieurs.

567. (1879) Balzac, sa méthode de travail

Au premier aspect, ce manuscrit n’est pas d’un intérêt considérable : l’écriture manque d’accent et on ne sent pas la maîtrise de la main, inséparable de la maîtrise de la pensée ; mais les premières épreuves révèlent quel coup d’éperon l’écrivain recevait de la typographie. […] Les écrivains concis se rognent facilement les ongles ; mais les génies touffus veulent des cisailles de jardinier pour tailler les arbres, et il arrive même parfois qu’en abattant des branches inutiles, ils tranchent du même coup des pousses vertes et vigoureuses.

568. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La défection de Marmont »

Il faut donc renoncer à faire de l’acte de Marmont le coup de vertige, qui n’explique rien du reste, puisque ce vertige, qui pourrait frapper les connétables de Bourbon, ne frapperait jamais les Bayard. […] Rapetti, qui écrit à la première ligne de la préface de son histoire avec une si noble mélancolie : « Je dois dire d’abord pourquoi j’ai eu le pénible courage de faire un livre contre un homme », Rapetti a suprêmement ce qui fait pardonner l’inflexibilité à l’historien et au juge, et ce qui ferait pardonner, même à la victime, le coup de hache du bourreau.

569. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Μ. Jules Levallois » pp. 191-201

Or, un matin, en y allant, ce Jean Lapin de Jules Levallois rencontra sur sa route des fourmis, et tout à coup, ô l’amour au premier regard ! […] Levallois a fait entrer, après coup, dans son amour naïf et spontané de la nature, l’idée, cette incroyable idée que la nature est une éducatrice et qu’elle nous trousse plus libres moralement et plus souples pour le devoir !!!

570. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Docteur Véron »

C’est ainsi qu’il va demander son nom au scrutin en faisant des révérences, et c’est le cas de dire comme Éraste : « Que de coups de chapeau !  […] Ses idées se bornent assez modestement à redemander ces vieux errements parlementaires dont le coup d’État et la raison de Napoléon III nous ont si bien débarrassés.

571. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Belmontet »

Or, c’est là le reproche que l’on pourrait faire au nouveau chantre de l’Empire : l’expression sort bien, déprimé saut et de prime jet, de sa plume, mais souvent elle s’interrompt, se trouble et se fausse tout à coup, comme un marbre qui se fendrait au second coup de maillet du sculpteur.

572. (1859) Critique. Portraits et caractères contemporains

C’est pour le coup que votre mauvaise humeur vous emporte trop loin. […] » On a tant dit cela et on l’a tant répété, que, de tous ces coups de griffes, on a fait un livre, un assez gros petit volume, sur ma parole ! […] Le frère gardien, qui avait l’œil à tout, détache au bon frère un grand coup de sa discipline à cinq branches. « Par saint François ! » s’écria le moine, « voilà un coup qui n’est pas de mon cru ! […] « Le 14 juillet 1789, une plus grande cloche que le bourdon de la cathédrale se fit entendre au fond même de l’Auvergne et du Rouergue, et ce premier coup de tocsin fit plaisir à mon père ; au second coup, mon père eut grand-peur ! 

573. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Charles Magnin ou un érudit écrivain. »

résisterait-il aux vents et aux coups, à la tempête excitée et aux colères ? […] Nature audacieuse et ambitieuse, trop tôt démentie, talent d’emphase et d’éclat, d’apparat et de montre, clairon et cymbale, boute-en-train de la jeunesse, simulacre révolutionnaire qu’un brusque coup de vent démasqua et retourna, qu’on venait d’entendre faire le généralissime et commander la charge, qu’on vit tout d’un coup culbuté et en déroute comme un tambour-major sans armée ; à la fin, esprit déchu qui n’était plus qu’un tempérament, tombé de la passion dans l’appétit, il eut pourtant, jusque dans les dernières années, et même dans ce qu’on ne lisait plus de lui, quelques éclairs d’autrefois, bien des restes de ses fortes études du commencement. […] Évidemment il n’aimait plus la guerre, il craignait les coups ; il évitait de se commettre. […] Magnin ne sentait pas assez dans chaque branche les différences tranchées, les points de départ et les fins : ce qui lui manquait, c’était le coup d’archet, ou de le donner lui-même ou de le distinguer chez d’autres ; il était porté à voir dans les choses plus de continuité et de suite qu’elles n’en ont. […] Ce sont les coups d’essai de petits Molières restés en chemin et inconnus, mais dont quelques-uns se sont approchés assez près du Molière véritable et immortel.

574. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « LOUISE LABÉ. » pp. 1-38

De telle sorte, la renaissance à Lyon s’était faite insensiblement par voie d’infusion successive, et il y eut bien moins lieu que partout ailleurs au coup de tocsin de 1550, qui ressemblait à une révolution. […] Tout à coup je le vis au détour d’une allée, Je le vis, et n’osai m’approcher d’un seul pas ; Je m’arrêtai confuse, interdite, troublée, Le regardant sans cesse et ne respirant pas. […] avoir le cœur séparé de soi-mesme, estre maintenant en paix, ores en guerre, ores en trefve ; couvrir et cacher sa douleur ; changer visage mille fois le jour ; sentir le sang qui lui rougit la face, y montant, puis soudain s’enfuit, la laissant pâle, ainsi que honte, espérance ou peur nous gouvernent ; chercher ce qui nous tourmente, feignant le fuir, et néanmoins avoir crainte de le trouver ; n’avoir qu’un petit ris entre mille soupirs ; se tromper soi-mesme ; prusler de loin, geler de près ; un parler interrompu, un silence venant tout à coup, ne sont-ce tous signes d’un homme aliéné de son bon entendement ? […] Tout à un coup je ris et je larmoye, Et en plaisir maint grief tourment j’endure ; Mon bien s’en va, et à jamais il dure ; Tout en un coup je sèche et je verdoye.

575. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Quelques documents inédits sur André Chénier »

Viens, Fanny : que ma main suspende Sur ton sein cette noble offrande… La pièce reste ici interrompue ; pourtant je m’imagine qu’il n’y manque qu’un seul vers, et possible à deviner ; je me figure qu’à cet appel flatteur et tendre, au son de cette voix qui lui dit Viens, Fanny s’est approchée en effet, que la main du poëte va poser sur son sein nu le collier de poésie, mais que tout d’un coup les regards se troublent, se confondent, que la poésie s’oublie, et que le poëte comblé s’écrie, ou plutôt murmure en finissant : Tes bras sont le collier d’amour ! […] Thiers par les femmes, et on y verra, si l’on veut, après coup, un pronostic. […] On ne se figure pas jusqu’où André a poussé l’imitation, l’a compliquée, l’a condensée ; il a dit dans une belle épître : Un juge sourcilleux, épiant mes ouvrages, Tout à coup, à grands cris, dénonce vingt passages Traduits de tel auteur qu’il nomme ; et, les trouvant, Il s’admire et se plaît de se voir si savant. […] Toute édition d’écrits posthumes et inachevés est une espèce de toilette qui a demandé quelques épingles : prenez garde de venir épiloguer après coup là-dessus. […] , et celui-ci, tout d’un coup satirique, aiguisé d’Horace, à l’adresse prochaine de quelque sot, Grand rimeur aux dépens de ses ongles rongés.

576. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIVe entretien. Littérature politique. Machiavel (3e partie) » pp. 415-477

En se sentant valeureux soldats auxiliaires dans les armées de la France, ils se sont sentis dignes patriotes, nobles citoyens, capables d’indépendance et de toutes les libertés qui constituent l’homme moderne sur leur propre terre ; la France leur a inoculé la gloire ; la France a conçu tout à coup la noble idée de ressusciter l’Italie, l’Italie a conçu la juste volonté de revivre. […] et supprimez du même coup toute propriété de la terre pour d’autres familles humaines que la famille de Romulus armée contre tous ! […] Que dirait le monde, par exemple, si la Suisse prenait tout à coup le caprice de s’annexer à la France ou de s’annexer à l’Autriche ? […] Le coup de tête d’un cabinet sauvé par la France et égaré par l’Angleterre ne prévaudra pas contre le coup d’État des peuples revendiquant leurs noms, leurs personnalités, leurs capitales, leur gloire dans la famille italique.

577. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre premier. La sélection et la conservation des idées dans leur relation à l’appétit et au mouvement. »

Si un savant, après avoir reçu un coup violent sur la tête, oublie tout ce qu’il sait de grec sans oublier autre chose, et si plus tard, par l’effet d’un second coup, il retrouve soudain son grec perdu, il est bien difficile de voir dans le souvenir une « action toute spirituelle ». Le côté automatique de la mémoire, surtout de la mémoire passive, est mis en lumière par certains faits extraordinaires, où les choses sont conservées et reproduites avec une telle facilité qu’on y reconnaît du premier coup un effet machinal. […] Un coup de cloche retentit, le son éclate, puis diminue, puis s’éteint, et un moment vient où je ne distingue plus si l’écho affaibli est extérieur ou intérieur, s’il est un dernier ébranlement de l’air ou un dernier ébranlement de mon cerveau, s’il est une image ou une perception. […] On pourrait comparer les cordons nerveux à des cordes tendues, l’une produisant le la du diapason, une autre produisant l’ut, etc. ; quel que soit le moyen par lequel vous arriverez à ébranler la première, — frottement d’un archet, pincement avec le doigt, coup donné sur la corde, fort ébranlement de l’air, courant électrique, — la première corde donnera toujours le la et non une autre note, l’autre corde donnera toujours l’ut ; l’une sera, sous le rapport mécanique, la mémoire du la, l’autre de l’ut.

578. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1883 » pp. 236-282

« Quel coup !  […] Il n’avait rien laissé percer de son inquiétude, auprès de sa mère, mais, samedi, comme son père était en retard pour le dîner, et qu’on dînait sans lui, tout à coup, il se mettait à fondre en larmes, et comme sa mère se moquait de ses larmes imbéciles de petit garçon, sur le retard de son père, il continuait à pleurer, mais ne disait rien de ce qu’il devinait, se passer dans le moment. […] Il est impossible de mieux faire valoir, de mieux monter en épingle la valeur des mots, et quand on entend cela, c’est comme un coup de fouet, donné à ce qu’il y a de littéraire en vous. […] Et le voilà tout à coup travaillant, et étant le premier, jusqu’à la fin de ses classes. […] C’est le coup de hache qui coupe la dernière amarre retenant le temps présent au passé.

579. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Victor Hugo » pp. 106-155

Des personnages de son théâtre, aux héros de la Légende des Siècles aux femmes et aux enfants qui traversent certains poèmes, tous sont ainsi peints au décuple, saisis une première fois d’un coup, repris, traités à nouveau, enclos de mille contours semblables et déviants, obsédés et retouchés par une main sans cesse retraçante. […] A tous les tournants des drames ou des romans, se passent des coups de théâtre, de poignantes alternatives, des luttes de conscience entre deux devoirs, des ironies tragiques qui font dire ou faire à un personnage le contraire de ce qu’il veut de toute son âme. […] Se mire dans la Loire à l’endroit où le fleuve… Le soir à la campagne, on sort, on se promène… Et l’on peut joindre à ce groupe de poèmes nuls, une bonne partie des Orientales, des premières Contemplations, et presque toutes les Odes et Ballades, auxquelles il faut ajouter ces développements oiseux à un point stupéfiant, qui tout à coup, dans les œuvres en prose, laissent entre deux chapitres, un vide nébuleux. […] De là ses romans allant de coups de théâtre en crises de conscience, de situations extrêmes, en soudaines catastrophes, sans que même les interstices soient comblés par des files de petits incidents médiocres et quotidiens, tels que les chroniques et les mémoires nous les montrent exister sous les plus grands remuements de l’histoire. […] Que l’on rapproche de ces grands nocturnes, la descente de Gilliatt dans la caverne sous-marine dont la mer a fait un écrin et un antre, cette voûte, aux lobes presque cérébraux, éclairée d’une lumière d’émeraude, tapissée d’herbes déliées, mouvantes et molles, où roulent des coquillages roses, que frôle le gonflement des vagues, venant polir un noir piédestal où s’évoque « quelque nudité céleste, éternellement pensive, un ruissellement de lumière chaste sur des épaules à peine entrevues, un front baigné d’aube, un ovale de visage olympien, des rondeurs de seins mystérieux, des bras pudiques, une chevelure dénouée dans de l’aurore, des hanches ineffables modelées en pâleur » ; la description des halliers sombres, ces « lieux scélérats » d’où les chouans fusillaient les bleus », et dans l’Homme qui rit, ce merveilleux tableau de la baie de Portland par un crépuscule d’hiver, où les côtes blafardes se profilent en contours linéaires, puis encore l’enterrement de Hardquannone, emporté silencieusement à la brune, le glas toquant à coups espacés et discords, et cette molle nuit grise où Gwynplaine, dans l’amertume de son cœur, suit les quais gluants de la Tamise, portant le sourd désir de se suicider ; M. 

580. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XIII] »

      Tel, et plus éloquent encore,       Bossuet parut parmi nous, Quand, s’annonçant au nom du grand Dieu qu’il adore, De sa parole aux rois il fit sentir les coups. […]       Et comme il peint cette princesse,       Riche de grâce et de jeunesse, Tout à coup arrêtée au sein du plus beau sort, Et des sommets riants d’une gloire croissante,       Et d’une santé florissante,       Tombant dans les bras de la mort !       Voyez, à ce coup de tonnerre 225,       Comme il méprise nos grandeurs, De ce qu’on crut pompeux sur notre triste terre Comme il voit en pitié les trompeuses splendeurs ! […] Cette république conservera une paix constante, et se soutiendra sans armée… Ils affectent tous une sainte horreur pour la guerre… S’ils haïssent les armées et les généraux qui se rendent célèbres, cela ne les empêche pas de se battre à coups de plume, et de se dire souvent des grossièretés dignes des halles ; et, s’ils avaient des troupes, ils les feraient marcher les unes contre les autres… En leur style, ces beaux propos s’appellent des libertés philosophiques ; il faut penser tout haut, toute vérité est bonne à dire ; et comme, selon leur sens, ils sont seuls les dépositaires des vérités, ils croient pouvoir débiter toutes les extravagances qui leur viennent dans l’esprit, sûrs d’être applaudis. […] Tous deux ont entrepris d’ôter au genre humain Le joug sacré qu’un Dieu n’imposa pas en vain ; Et des coups que ce Dieu frappe pour les confondre, Au monde, leur disciple, ils auront à répondre.

581. (1833) De la littérature dramatique. Lettre à M. Victor Hugo pp. 5-47

Il serait maladroit à moi, en m’exposant aux coups d’un aussi puissant adversaire, de négliger de rapporter tout ce qui peut justifier ma témérité. […] Cette idée répandue tout à coup que le théâtre allemand et celui de Shakespeare étaient supérieurs au théâtre français, il n’est pas étonnant que quelques jeunes gens aient vu dans cette découverte l’espoir de surpasser, en s’affranchissant de toute espèce de frein, nos plus grands maîtres de la scène1. […] De cette puissante voix qui se fait entendre tout à la fois dans vos ouvrages, dans les journaux, dans les salons vous avez dit : « L’art dramatique n’est point connu en France, nos prédécesseurs n’y entendaient rien, nos pères ont eu tort de rire, ou d’éprouver de vives émotions à la représentation de leurs anciens ouvrages, il n’y a de vrai beau que la nature, moi seul je ferai connaître aux Français le vrai beau. » À ces paroles mémorables cent novateurs ont répondu par des cris de joie ; vous êtes tout à coup devenu leur prophète, leur Dieu ; vous avez parlé, ils vous ont écouté avec respect ; vous avez prêché votre loi, ils ont suivi vos préceptes ; vous avez ordonné des chefs-d’œuvre, ils ont travaillé ; enfin vous avez opéré vos miracles, et les théâtres sont tombés. Mais vos sectaires, Monsieur, qui, au moment où vous avez commencé à leur prêcher la parole romantique, avaient encore la modestie, la douceur des apôtres du divin Messie, grâce au succès rapide de votre doctrine, sont devenus tout à coup cruels, intolérants. […] Victor Hugo ne peut pas nier qu’il en ait eu le projet, car, après les premières représentations d’Hernani, il s’écria dans un salon à moi bien connu : « Enfin, j’ai porté le dernier coup à la baraque classique. » Mot énergique qui fait bien connaître la mission du prophète.

582. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VII. M. Ferrari » pp. 157-193

Ferrari a porté coup à son talent même. […] À quoi bon et pourquoi, devant les ombres chinoises qui n’ont pas de Séraphin pour les remuer, cet autre Séraphin qui tient la plume de l’historien, après coup, inutilement ; ombre chinoise lui-même ? […] Il est ensuite dans la circonstance piquante et exemplaire d’un homme, de révolution par les passions générales de son livre, par le tour d’esprit, par l’athéisme, frappant à coups redoublés le parti de la révolution et ses idées les plus chères, n’étant pas de la force de Samson et animé de l’esprit de Dieu, comme Samson ; mais n’en abattant pas moins la maison sur lui et les autres révolutionnaires. […] En ces quatre volumes à peine, — par l’histoire des Révolutions d’Italie s’arrête vers le milieu du quatrième, où l’auteur nous apprend tout à coup que sa tâche est finie parce qu’il touche à l’époque de Charles-Quint, et qu’à cette époque l’ère des révolutions est fermée, — il n’y a pas moins (l’auteur s’en est assez vanté) que sept mille révolutions qu’il a mesurées « à l’équerre et au compas », nous dit-il, avec l’orgueil d’un Képler de l’Histoire, Assurément, sept mille révolutions, poussées, bousculées en quinze cents pages à peu près, font un entassement formidable, et on aurait vraiment le droit de se demander comment elles sont passées sous l’angle d’un compas si peu ouvert, pour peu qu’elles méritent le nom qu’on leur donne et qu’elles soient réellement des révolutions ! […] Ferrari y introduit, du même coup, l’algèbre et la géométrie.

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