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770. (1886) Le naturalisme

Tandis que Dumas pouvait gaspiller en folies des fortunes gagnées par sa plume de romancier, Balzac luttait corps à corps avec la misère, sans atteindre jamais un état de fortune moyen. […] Dieu merci, il y a de tout dans le monde ; et même dans ce siècle de tuberculose et d’anémie, il ne manque pas de gens qui ont un esprit sain dans un corps sain ! […] que dans la galerie de ses personnages il n’y en a aucun qui ne souffre de l’âme ou du corps, ou des deux à la fois. […] Qu’importe que le corps se vautre dans la boue, pourvu que le regard soit fixé vers les étoiles ! […] L’influence indéniable du corps sur l’âme et vice versa, lui offre un superbe trésor d’observations et d’expériences.

771. (1894) Dégénérescence. Fin de siècle, le mysticisme. L’égotisme, le réalisme, le vingtième siècle

Il peut montrer sur son corps les blessures reçues. […] A ce tissu aboutissent les nerfs de la périphérie du corps et des organes intérieurs. […] La « forme idéale » à laquelle aspire chaque objet, le peintre ne la voit pas devant lui avec les yeux du corps. […] Je voudrais que la terre eût ton corps comme fruit à manger, et qu’aucune bouche, mais seulement quelque ver, te trouvât douce. […] Creusez une fosse pour mon beau corps.

772. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1871 » pp. 180-366

C’est une étude, en plusieurs planches, de la décomposition d’un corps, après la mort. […] Oui, le voici, c’est quand un chef d’état-major prussien a l’ordre de faire avancer un corps d’armée sur un tel point, pour une telle heure : il prend ses cartes, étudie le pays, le terrain, suppute le temps que chaque corps mettra à faire certaine partie du chemin. […] À Passy, on m’annonce que de nouveaux corps arrivent, et que les maisons d’Auteuil vont être occupées. […] J’arrive à la gare d’Orléans, où est déposé le corps du fils Hugo. […] La vie se vit, ces jours-ci, dans un état extraordinaire d’absence de l’esprit et de fatigue du corps.

773. (1905) Études et portraits. Portraits d’écrivains‌ et notes d’esthétique‌. Tome I.

Si le corps est malade, l’âme l’est plus encore. […] Le « ci-gît » irréparable est gravé sur les pierres, les croix plantées, les corps dévorés… Et les âmes ?‌ […] Il avait la démarche rythmée, légère, le corps ailé, la beauté de l’Apollon antique. […] tout mon talent pour un travail qui occupe les bras, brise le corps, et permette de vivre parmi les simples ! […] Il n’y a pas dans le corps d’organe inutile, et il ne s’accomplit dans aucun organe des opérations indifférentes.

774. (1905) Études et portraits. Sociologie et littérature. Tome 3.

Il était plus difficile de reconnaître sur le moment même, le point essentiel que la Révolution venait d’atteindre dans le corps social et peut-être mortellement. […] Le rôle du médecin n’est pas de recréer ce corps, mais de l’aider à bien vivre. […] Ce sont les corps religieux. […] L’enseignement par les corps religieux était et reste tout au contraire ménager de ces forces fruste, par définition même. […] Il y a là une poésie, en effet, mais si dangereuse que s’y abandonner c’est se condamner par avance aux pires détraquements de l’âme et bientôt du corps.

775. (1889) Ægri somnia : pensées et caractères

Celui-là seul qui a fait les lois des corps sait où va disparaître, en s’effaçant par degrés, la ride que dessine à la surface la chute de la pierre. […] Je vérifie la justesse du mot de Buffon sur l’éloquence : « C’est le corps qui parle au corps. » Mon esprit était indifférent, mais tous mes nerfs tressaillaient. […] Chaque matin, il y cherche à quel endroit de son précieux corps il souffre, et il le trouve. […] Sauf deux ou trois personnes, tous les invités appartenaient au Corps législatif. […] Et vous, Bersot, qui m’avez si souvent entendu glorifier les modèles, est ce que vous n’avez écrit qu’à votre corps défendant » ?

776. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 453-456

Du moment que la fiere Parque Nous a fait entrer dans la barque Où l’on ne reçoit point les corps, Et la Gloire & la Renommée Ne sont que songe & que fumée, Et ne vont point jusques aux Morts ; Au delà des bords du Cocyte, Il n’est plus parlé de mérite, Ni de vaillance, ni de sang ; L’ombre d’Achille ou de Thersite, La plus grande & la plus petite Vont toutes en un même rang.

777. (1868) Curiosités esthétiques « V. Salon de 1859 » pp. 245-358

La platonique Amanda (qui est tout âme), fait-elle donc, quand elle disserte sur l’Amour, allusion à cet être trop palpable, qui est tout corps ? […] Qu’il soit prompt à fondre, cela tient à sa graisse, et s’il brûle avec flamme, il en est de même de tous les corps gras. Il a des langueurs comme tous les corps d’un pareil tonnage, et il est naturel qu’un si gros soufflet soupire. […] A défaut des explications du livret (Prédication maronite dans le Liban, Corps de garde d’Arnautes au Caire), tout esprit exercé devinerait aisément les différences. […] Corot, qui est son antithèse absolue, n’a pas assez souvent le diable au corps.

778. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — II. Duclos historien » pp. 224-245

Il avait en même temps cherché à débarrasser le corps de l’histoire de tout ce qui retarde inutilement sa marche : L’historien doit chercher à s’instruire des moindres détails, parce qu’ils peuvent servir à l’éclairer, et qu’il doit examiner tout ce qui a rapport à son sujet ; mais il doit les épargner au lecteur. […] L’Histoire de saint Louis, écrite académiquement par M. de La Chaise, avait été préparée et digérée en corps par le scrupuleux Tillemont. […] Duclos, qui est philosophe et qui méprise l’astrologie, dit en deux mots : « L’on prédit, suivant l’usage, beaucoup de choses vagues, et flatteuses pour le prince régnant. » Je n’ai pas grand regret à la suppression du détail de l’horoscope ; mais, comme Duclos appliquera presque partout cette méthode de suppression et retranchera les détails qui peignent le temps, il en résulte à la longue maigreur et sécheresse, tandis que l’abbé Le Grand, qui ne songe qu’à raconter fidèlement et non à peindre, se trouve présenter un récit qui a plus de corps et de substance, et qui est nourri de ces choses particulières que l’esprit aime à saisir.

779. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

S’il fréquenta quelque temps les amphithéâtres, il ne prit jamais en main un scalpel : ce qui ne l’empêchait pas de trancher à la rencontre sur la structure du corps humain, sur les formes et les dispositions précises des organes, comme il tranchait sur tout ; il y commettait parfois de singulières méprises9. […] Représente-toi, sur un monceau de plus de cent cadavres de femmes et d’enfants, que les Kabyles dépouillaient ou achevaient lorsqu’ils respiraient encore, un sergent et un soldat du 17e leur disputant, les armes à la main, un pauvre petit être de quatre ans, encore attaché au corps de sa mère morte. […] Son costume bizarre lui plaît, et, dès le lendemain, il commence un tableau représentant un de ces soldats improvisés, arrêté par le mauvais temps dans la campagne, et saisissant son fusil pour le décharger sur quelqu’un ; on aperçoit dans le lointain un petit corps de troupes et la plaine déserte.

780. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

En effet, le soleil parut, et au même moment un long nez au bout duquel se trouvait un visage ; ce visage était sous un parapluie jaune et noir et surmontait un grand corps pris dans une petite redingote. […] Horace et sa caravane, avant d’arriver à ces lieux consacrés par tant de souvenirs, ont fait la rencontre du gouverneur de Jérusalem en personne qui tenait la campagne à la tête d’un corps de cavalerie, pour aller châtier quelque bicoque du voisinage ; ce gouverneur les invite poliment au passage, et les oblige, un peu malgré eux, de s’arrêter à son bivac, d’un aspect d’ailleurs des plus mélodramatiques et des plus bigarrés. […] La seule différence qui existe entre ces deux corps est que les pièces de la garde sont attelées avec des chevaux, et la ligne avec des mulets… Le matériel est à la Gribeauval… En voyant ces évolutions si lestes qui semblaient raser la terre, il me semblait lire Habacuc et ses prophéties.

781. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Don Carlos et Philippe II par M. Gachard Don Carlos et Philippe II par M. Charles de Mouy »

Son grand-père fut obligé de lui dire : « Tu l’auras quand je serai mort. » On rapporte cet autre mot très-probable du vieil empereur à la reine Éléonore : « Il me semble qu’il est très-turbulent ; ses manières et son humeur ne me plaisent guère ; je ne sais ce qu’il pourra devenir un jour. » Son gouverneur, don Garcia de Tolède, dans une lettre à l’empereur où il rend compte du régime et de l’éducation du prince, le montre en bonne santé à cet âge, « quoique n’ayant pas bonne couleur », peu avancé dans ses études, s’y livrant de mauvaise grâce ainsi qu’aux exercices du corps qui forment le cavalier et le gentilhomme, ne faisant rien en aucun genre que par l’appât d’une récompense, et en tout « très évaporé. » On insista beaucoup auprès de Charles-Quint, retiré à Yuste, pour qu’il y laissât venir quelque temps le jeune prince ; on espérait que l’autorité de l’aïeul aurait quelque influence sur lui pour le réformer et l’exciter. […] Il a la tête disproportionnée au reste du corps. […] Le traitement de Vésale paraît avoir eu de bons effets : le toucher des reliques d’un religieux, Fray Diego, mort en état de sainteté il y avait quelque cent ans, et dont on fit apporter processionnellement le corps dans la chambre du malade, fut réputé aussi une des causes du rétablissement.

782. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc (suite et fin.) »

L’architecture, sans caractère propre, a cessé d’être ce qu’elle était au Moyen-Âge et jusqu’à la Renaissance inclusivement, l’enveloppe de la société, le vêtement qui se prêtait aux formes et aux mouvements du corps : « Ce vêtement est devenu la chose principale ; il a gêné le corps, parlant l’esprit. Il s’est formé à la longue une compagnie privilégiée qui a fini par ne plus permettre qu’une seule coupe d’habit, quel que fût le corps à vêtir : cela évitait la difficulté de chercher des combinaisons nouvelles, et celle, non moins grande, d’étudier les diverses formes adoptées chez nous dans les siècles antérieurs et d’y recourir au besoin. » Voilà le grief.

783. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Maurice comte de Saxe et Marie-Josèphe de Saxe, dauphine de France. »

M. de Schulenburg m’avait fait faire un uniforme de soldat, que l’on me mit sur le corps avec un grand ceinturon et une grande épée, des guêtres à la saxonne, et, dans cet équipage, il me mena baiser la main du roi. […] C’est à Lützen, à deux lieues de Leipzig, sur ce champ de bataille deux fois célèbre et qui était consacré dès lors par le trépas du moderne Alexandre, que le jeune Maurice reçut le sacrement héroïque dont il était digne et auquel il devait faire honneur avec tant d’éclat : « On me mit un fusil sur le corps dans la colonelle du premier bataillon7, et on me fit jurer à l’enseigne. […] Ce général, qui avait la force du corps singulière du roi son père, avec la douceur de son esprit et la même valeur, possédait de plus grands talents pour la guerre. » Cette douceur d’esprit qui étonne un peu d’abord, nous la retrouverons nous-même et nous la vérifierons.

784. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le Général Franceschi-Delonne : Souvenirs militaires, par le général baron de Saint-Joseph. »

Ses qualités, dès l’ouverture de la campagne, avaient pu s’appliquer et se développer avec bien de la distinction. « À la tête de son régiment, toujours à l’avant-garde, quelquefois avec un corps d’infanterie, il lui avait été donné d’assurer et d’éclairer les marches et les mouvements du 4e corps (maréchal Soult) depuis nos frontières jusqu’à Ulm, Vienne et Austerlitz. » Les jours qui avaient précédé et suivi la grande bataille, et dans la journée même, l’officier de cavalerie et l’homme de guerre en lui avaient fait leurs preuves avec éclat. Il s’agissait pour le maréchal Soult, arrivé des premiers avec ses forces sur le plateau d’Austerlitz, de s’éclairer au loin sur sa droite, afin de s’assurer que les corps d’armée venus d’Italie sous les archiducs ne menaçaient pas le flanc de l’armée française et ne cherchaient pas à se réunir par la Hongrie avec le gros des Austro-Russes, On serait surpris de savoir avec quel petit nombre, avec quel chiffre réduit de sabres, mais d’autant plus mobiles, tous confiants, dociles à sa voix et aussi intelligents qu’impétueux, Franceschi s’acquitta de cette mission délicate et hardie.

785. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre douzième. »

Ce moment dura près de quarante années, les plus belles peut-être de l’histoire de notre nation, non seulement par la gloire des lettres et des arts, mais par l’emploi le plus complet de toutes ses facultés : au dedans, par les conquêtes pacifiques de l’unité sur les restes des institutions et des habitudes féodales ; au dehors, par des guerres glorieuses qui réunissaient au corps de la France des provinces qui en étaient comme les membres naturels. […] La partie dogmatique du livre s’augmentait dans la même mesure ; toute observation de mœurs qui ne pouvait pas prendre un corps et un visage paraissait sous la forme d’une réflexion ou d’un aphorisme. […] Il s’agit de cette logique qui, dans tous les arts, n’est que l’imitation de la nature, laquelle ne crée pas de membres séparés du corps.

786. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XII. La littérature et la religion » pp. 294-312

Une exécution sanglante, impitoyable, au début du xiiie  siècle, supprime l’hérésie avec les hérétiques ; le membre gangrené, suivant l’expression du temps, est violemment retranché du corps des fidèles. […] Guillaume d’Orange, sur le point de combattre un géant musulman, est rendu invulnérable par un bras de Saint-Pierre qu’on promène sur tout son corps ; seulement on a oublié une petite partie de sa personne, son nez, qui sera coupé dans la lutte, ce qui lui vaudra le surnom de Guillaume au court nez. […] L’Eglise catholique pourrait par suite répéter du corps des écrivains ce que Corneille disait de Richelieu : Il m’a fait trop de bien pour en dire du mal ; Il m’a fait trop de mal pour en dire du bien.

787. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre IV, Eschyle. »

Les murs en sont affolés, les toits pris d’ivresse. » Il dit ailleurs : « Le miroir du corps, c’est le poli de l’airain ; celui de l’âme, c’est le vin. » Eschyle naquit et grandit dans l’âge héroïque d’Athènes, à l’aurore sanglante de sa liberté. […] Il la transforma corps et âme, esprit et matière. […] La pluie qui tombe du Ciel générateur féconde la Terre ; alors elle enfante, pour les mortels, la pâture des bestiaux et le grain de Déméter. » — Ailleurs, il pousse ce cri qui dissout l’Olympien sculpté par Phidias, et disperse dans l’infini son corps et son âme, sa foudre et son sceptre, sa barbe pluvieuse et sa chevelure rayonnante ; « Zeus est l’air, Zeus est le ciel, Zeus est la terre, Zeus est tout ce qu’il peut y avoir au-dessus de tout. » Dans un Chœur de l’Orestie, le Dieu qu’on invoque semble invité à choisir lui-même son nom, dont le poète n’est pas sûr. — « Zeus !

788. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame de La Vallière. » pp. 451-473

En tout, c’était une beauté touchante et non triomphante, une de ces beautés qui ne s’achèvent point, qui ne se démontrent point aux yeux toutes seules par les perfections du corps, et qui ont besoin que l’âme s’y mêle (et l’âme avec elle s’y mêlait toujours) ; elle était de celles dont on ne peut s’empêcher de dire à la fois et dans un même coup d’œil : « C’est une figure et une âme charmantes. » Le roi l’aima donc, et pendant des années uniquement et très vivement : pour elle, elle n’aima en lui que lui-même, le roi et non la royauté, l’homme encore plus que le roi. […] Et montrant l’âme qui se dépouille peu à peu des ornements extérieurs, colliers, bracelets, anneaux, parure, et qui commence à être plus proche d’elle-même, il ajoutait : « Mais osera-t-elle toucher à ce corps si tendre, si chéri, si ménagé ? » Il répondait avec vigueur au nom de cette âme généreuse qui va, au contraire, s’en prendre au corps comme à son plus dangereux séducteur, qui déclare une guerre immortelle et irréconciliable à tous les plaisirs, puisqu’ils l’ont trompée une fois, et qui, venant enfin à s’assiéger elle-même, s’impose de toutes parts des bornes, des clôtures et des contraintes, de peur de laisser à sa liberté le moindre jour par où elle puisse s’égarer : « Ainsi resserrée de toutes parts, disait-il, elle ne peut plus respirer que du côté du ciel. » Une fois entrée dans cette voie de prière et de pénitence, Mme de La Vallière ne se retourna pas en arrière un seul instant.

789. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Hégésippe Moreau. (Le Myosotis, nouvelle édition, 1 vol., Masgana.) — Pierre Dupont. (Chants et poésies, 1 vol., Garnier frères.) » pp. 51-75

Lui-même, dans une pièce À mon âme, l’exhortant à s’envoler vers les cieux, et à laisser ce corps qu’il a trop souillé, il lui dit : Fuis, âme blanche, un corps malade et nu ; Fuis en chantant vers le monde inconnu ! […] On voit que Moreau renouvelle en un point la doctrine indulgente de certains mystiques, qui ne font point l’âme responsable et complice des absences et des distractions du corps.

790. (1888) La critique scientifique « La critique et l’histoire »

Que l’on conçoive un travail psychologique, historique, littéraire de cette sorte, accompli parfaitement pour l’art, les artistes et les admirateurs dans une époque, dans un peuple ; que l’on sache celui-ci divisé par un procédé approximatif, en une série de types intellectuels et de similaires, à constitution déterminée par termes scientifiques précis : que ces types soient connus et posés comme des hommes vivants et en chair, ces foules comme des agrégats tumultueux, vivants, animés, logés, vêtus, gesticulant, ayant une conduite, une religion, une politique, des intérêts, des entreprises, une patrie, — qu’à ces groupes ainsi déterminés et montrés, on associe, si l’histoire en porte trace, cette tourbe inférieure ne participant ni à l’art ni à la vie luxueuse ou politique communeee, et dont on peut vaguement soupçonner l’être, par le défaut même des aptitudes reconnues aux autres classes ; que l’on condense enfin cette immense masse d’intelligence, de cerveaux, de corps, qu’on la range sous ses chefs et ses types, on aura atteint d’une époque ou d’un peuple la connaissance la plus parfaite que nous puissions concevoir dans l’état actuel de la science, la plus profonde pénétration dans les limbes du passé, la plus saisissante évocation des légions d’ombres évanouies. […] Toute réussite pratique et toute œuvre admirée, toute gloire de tout ordre, littéraire, artistique, militaire, religieuse, politique, industrielle, comprend donc les mêmes éléments, le même accord entre esprits supérieurs et inférieurs : l’œuvre, l’entreprise, est d’abord une conception, résultant, de plus en plus profondément, de l’intelligence acquise et originelle de son auteur, de la constitution de son cerveau, de tout son corps, des influences obscures encore qui l’ont formé tel : elle est ensuite cette conception détachée pour ainsi dire de son auteur et y tenant, comme un germe issu d’un être, passée de ce cerveau à d’autres, où elle se répercute, se reproduit, renaît, redevient efficace et cause des actes ou des émotions analogues à ceux qui existent dans l’âme primitive : cette reproduction, son degré marquent la similitude entre l’âme réceptrice et l’âme émettrice, en vertu du fait que les phénomènes psychiques d’un individu forment une série cohérente, en vertu encore du fait qu’une conception suppose la coopération de toute une série de rouages mentaux et qu’ainsi le fait de partager pleinement une conception montre ta similitude de ces rouages. […] Si l’on conçoit la suite des sciences qui, prenant la matière organique à ses débuts, dans les cornues des chimistes ou l’abîme des mers, en conduisent l’étude à travers la série ascendante des plantes et des animaux, jusqu’à l’homme, le décrivent et l’analysent dans son corps, ses os, ses muscles, ses humeurs, le dissèquent dans ses nerfs, sa moelle, son cerveau, son âme enfin et son esprit ; si, abandonnant ici l’homme individu, on passe à la série des sciences qui étudient l’être social, de l’ethnographie à l’histoire, on verra que ces deux ordres de connaissances, les plus importantes sans aucun doute, et celles auxquelles s’attache l’intérêt le plus prochain, se terminent en un point où ils se joignent : dans la notion de l’homme individu social, dans la connaissance intégrale, biologique, physiologique, psychologique de l’individu digne de marquer dans la société, constituant lui-même par ses adhérents et ses similaires un groupe notable, propageant dans son ensemble particulier ou dans l’ensemble total, ces grandes ondes d’admirations, d’entreprises, d’institutions communes qui forment les États et agrègent l’humanité.

791. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Henri Heine »

Je me rappelais la nuit que je passai à veiller près de son lit — le lit sur lequel gisait son pâle et beau corps, aux lèvres silencieuses et pâles… — Et quel regard singulier me jeta la vieille femme chargée de garder le cadavre, quand elle m’abandonna ce soin pour quelques heures ! […] Il a passé ses dernières années à draper décemment autour de son pauvre corps les plis d’une tunique mortuaire, sans oublier jamais son rôle de malade spirituel, sans une lamentation, une demande de grâce, sans même la raideur théâtrale du stoïcien. […] Ses derniers livres sont écrits par un artiste, dont le corps inférieur seul se décompose.

792. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Le Prince » pp. 206-220

Au-devant du massif, jeune homme s’avançant bêtement vers une vieille qui le regarde et semble lui dire : " c’est l’oiseau de ma fille. " au pied du bassin, vers la gauche, cette fille est étendue à terre, la tête et la partie supérieure du corps tournés vers le porteur d’oiseau et le bras droit appuyé sur sa cage ouverte. […] Il a le corps et les jambes jettées vers l’extrémité gauche du tableau, il est appuyé sur un de ses coudes et la tête avancée vers les concertans. […] Ce n’était pourtant qu’une ou deux pièces d’étoffes négligemment jettées sur le corps.

793. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre I. La quantité des unités sociales : nombre, densité, mobilité »

La chimie, pour définir la constitution d’un corps, tient compte non plus seulement du nombre des corpuscules élémentaires qu’elle y distingue, mais de la vitesse et de la fréquence des mouvements dont ces éléments sont animés. […] Il se réjouissait d’exercer, comme portion du corps collectif, une souveraineté directe sur les affaires publiques ; il se consolait d’être esclave, comme soumis au corps collectif, dans tous ses rapports privés ».

794. (1888) Études sur le XIXe siècle

Nos esprits malheureux et nos corps sont séparés pour l’éternité. […] Aussi, dédaigneux des belles formes du corps, ne recherche-t-il que l’expression et le genre de beauté qui peut le mieux la faire ressortir. […] En retournant aux sources de la peinture, à l’époque où les Botticelli, les Beato Angelico, les Pollajualo, les Ghirlandajo, indifférents aussi à la beauté du corps, attentifs seulement à la pensée religieuse que les corps peuvent révéler, arrivaient à traduire leur sentiment tout entier en représentant des figures presque immobiles, il a vu que l’attitude la plus calme et le geste le plus lent sont parfaitement compatibles avec la plus grande intensité de la vie intérieure ; et il a rendu à l’art des qualités expressives qu’il avait perdues depuis la Renaissance. […] Les ordonnances se dévouent corps et âme à leurs officiers, qui se dévouent à leurs ordonnances et adoptent en commun des enfants égarés. […] Comme un avril éternel, — ton sourire m’invite toujours à chanter, — et fait, dans mon corps auquel il rend la vigueur, — bouillir les îlots de mon sang juvénile.

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