Que des hommes de la Montagne, les héros plus ou moins sanglants de cette formidable époque, soient demeurés fixes jusqu’au bout dans leur conviction et soient morts la plupart immuables, on le conçoit : la foudre, on peut le dire sans métaphore, les avait frappés : une sorte de coup fatal les avait saisis et comme immobilisés dans l’attitude héroïque ou sauvage qu’avait prise leur âme en cette crise extrême ; ils n’en pouvaient sortir sans que leur caractère moral à l’instant tombât en ruine et en poussière. […] Que cette conduite toute chevaleresque et civique soit jugée peu politique, je le conçois ; elle est d’un autre ordre. […] Mais M. de Chateaubriand, c’est tout simple, en proposant de mourir en armes, s’il le fallait, autour du trône des Bourbons, voyait pour l’idée monarchique, dans ce sang noblement versé, une semence glorieuse et féconde ; il motivait son opinion dans des termes approchants et avec cet éclat qu’on conçoit de sa bouche en ces heures émues. […] Je ne dis pas que sa situation eût été plus vraie en se ralliant à Bonaparte ; pourtant je le concevrais mieux : il n’y aurait rien eu du moins qui prêtât à rire.
On conçoit qu’un effet si prompt est invraisemblable si la pièce grecque est soumise à la règle des vingt-quatre heures, et qu’en nos climats tempérés les hommes sages n’éprouveraient pas une telle impatience d’une si courte séparation d’avec leurs femmes. […] On conçoit qu’un si clairvoyant et si téméraire critique se souciait peu de ménager la petite importance des corporations secondaires et des sectes querelleuses qui pullulaient dans Athènes. […] Concluons que Boileau n’eût pas accusé Molière d’avoir forcé le comique, s’il eût médité les maximes dramatiques d’Aristote, qui définit la tragédie, imitation du meilleur, ainsi que l’ont conçue Sophocle et Corneille ; et la comédie, imitation du pire, ainsi que l’ont imaginée Aristophane et Molière. […] Je répète, à l’occasion de celle-ci, que l’examen de toutes ces diversités est essentiel ; car on conçoit qu’il serait absurde de juger d’une comédie qui n’exige que l’observation de six règles, comme de celle qui se complique de vingt-trois. […] Mais chacun s’obstine en sa chimère ; et, sans cesse poursuivi du besoin d’éclaircir les doutes qu’il conçoit d’une fidélité chanceuse, à laquelle il attache son bonheur, chacun se parle à soi-même dans le langage de Sosie.
Les plaisirs que l’on conçoit à peine, on souffre peu d’en être privé. […] Une foi vague ne se conçoit même pas. […] Ici, je vois de tout près et je conçois clairement un genre de vie absolument différent de celui que je mène huit ou dix mois de l’année. […] « Voici comment j’aurais, moi, conçu la scène. […] Et il n’y a plus que des roturiers comme moi qui conçoivent quel élégant déclin elle aurait pu avoir si elle avait voulu.
Le jeu de l’activité humaine étant ainsi conçu, quelle devra être l’attitude du moraliste devant les spectacles de la vie ? […] Dans l’Inutile Beauté un homme du monde nous confie la conception qu’il se fait de Dieu : « Sais-tu comment je conçois Dieu ? […] Dans la critique ainsi conçue, la jouissance est le but unique, la jouissance personnelle et, pour autant dire, égoïste : c’est de quoi tout dépend et à quoi tout revient. […] Et peut-être sa critique mêlée de fantaisie devait-elle quoique chose aux procédés du roman ; mais ses récits et ses drames sont conçus par un critique. […] C’est « une idée chez ceux qui ne sont pas très capables d’en avoir deux, et qui, en ayant conçu ou emprunté une, y accommodent toutes les observations de détail qu’ils font sur les routes ».
Énergiques, volontaires, exagérés dans le sens de l’action, ils voient présent sans cesse aux yeux de leur esprit l’idéal de beauté qu’ils conçurent. […] Il libère par exemple aux remous des sensations débridées, des symboles d’ombre et d’étoiles, le plus violent sanglot de spleen qui se puisse concevoir : ce poème unique dans toutes les littératures : Bateau ivre. […] On y trouve des morceaux assez attrayants conçus et rédigés surtout sous l’influence de Baudelaire, un opuscule agréable : l’Après-midi d’un Faune. […] cela se pouvait-il concevoir ? […] Il conçoit son œuvre comme une sorte de théorème dont l’énoncé contiendrait virtuellement la solution.
On peut concevoir que l’art, ce luxe de l’imagination, finisse par devenir une nécessité pour tous, une sorte de pain quotidien3. […] On ne refera point la Vénus de Milo ou l’Hermès de Praxitèle ; mais qui sait si le statuaire ne deviendra pas capable de fixer dans la pierre des idées, des sentiments poétiques que les Grecs, avec toute la perfection plastique à laquelle ils étaient arrivés, n’auraient pu rendre ni peut-être concevoir ? […] Si les prétendus vers « romantiques » que nous venons de citer ne sont pas des vers, s’ensuit-il que l’alexandrin conçu par Boileau soit le seul possible ? […] Donc, le « vers romantique » et le « vers classique », si souvent opposés par nos poètes, ne font qu’un ; l’alexandrin, tel que l’a conçu V. […] C’est ainsi que dans une symphonie, où le musicien doit adapter l’une à l’autre deux phrases musicales, il peut, soulevé quelquefois par l’inspiration, les écrire toutes deux ensemble et mettre dans chacune prise à part plus de beauté qu’elles n’en auraient eu si elles avaient été conçues séparément.
Nos Archives nationales possèdent notamment un décret ainsi conçu : « Le nom de Marseille, que porte cette cité criminelle, sera changé. […] … C’est une monstruosité, que l’union du génie à une petite insignifiante créole, indigne de l’apprécier… Le général montrait ces lettres, en haussant les épaules, à son secrétaire Bourrienne, et disait avec une brusquerie soldatesque : « Bourrienne, concevez-vous rien à toutes ces extravagances ? […] Comment une femme aussi enthousiaste que Mme de Staël aurait pu échapper à une pareille contagion de popularité, c’est ce qu’il est difficile de concevoir. […] Ce journal contenait un décret impérial, ainsi conçu : Napoléon, par la grâce de Dieu et les Constitutions, empereur des Français, roi d’Italie, protecteur de la Confédération du Rhin, médiateur de la Confédération suisse, etc., etc., etc. […] Pour qu’il n’en ignorât, un courrier de cabinet lui remit l’ampliation d’un arrêté ainsi conçu : Nous, prince architrésorier de l’Empire, duc de Plaisance, lieutenant-général de S.
Tout y est juste, poli, judicieux… » Fléchier n’eut jamais honte de jeter un regard en arrière vers le premier idéal poétique qu’il avait conçu et cultivé dans sa jeunesse. […] C’était, on le conçoit, une partie de plaisir et un régal unique pour ce beau monde de Paris, que cette expédition et ces quartiers d’hiver au cœur d’une province réputée des plus sauvages, cette série de grands crimes, ces exécutions exemplaires auxquelles on n’était pas accoutumé de si près, et entremêlées de dîners, de bals et d’un véritable gala perpétuel.
Combien l’on conçoit cela de moralistes surtout, comme La Rochefoucauld, comme Nicole ou La Bruyère ! […] Un philosophe de nos jours qui, s’il n’y prend garde, conçoit plus vivement qu’il ne raisonne juste, a cru trouver dans tout ceci une réfutation suffisante des Maximes, et il s’est écrié : « Admirables représailles exercées par le petit-fils contre les écrits et la conduite de son grand-père !
On ne conçoit pas comment M. de Cassagnac attribue aux Girondins les massacres de septembre ; c’est comme si on attribuait la journée du 9 thermidor et la mort de Robespierre à Robespierre ! […] Qui les a conçues ?
C’est dans ses entretiens avec Forster qu’il conçut la première idée de son voyage terrestre dans l’Amérique du sud. […] En 1805, 1806 et 1807, il publie à Berlin ses Tableaux de la nature américaine, base de son Cosmos déjà conçu.
La bourgeoisie, à travers les malheurs et les désordres du xive siècle, ne cessera de croître : et même déchue des espérances qu’elle aura pu concevoir un moment de dominer la royauté ou de s’en passer, elle restera puissante et considérée dans sa docilité soumise. […] On conçoit tout ce que cette méthode d’investigation, réduite à ce que le jargon contemporain appelle interviews et reportage, entraîne d’erreurs de chronologie, de topographie, de confusions et d’altérations de noms : ce n’est pas la peine de s’y arrêter.
La passion de Vanité anime de Maistre ; il hait tout ce qui sépare, tout ce qui distingue ; il ne conçoit pas l’harmonie d’éléments multiples ; il y a unité où il y a volonté unique, et elle n’existe que dans l’absolu despotisme. […] Il conçut l’idée hardie et féconde d’un catholicisme démocratique681 ; il voyait dans les idées libérales et égalitaires un fruit lointain de l’Évangile, et si l’Eglise semblait actuellement tourner le dos à la société moderne, il croyait pouvoir l’en rapprocher par une originale conception de l’évolution du dogme682, toujours immuable en son essence et en ses formules, mais susceptible de divers sens et d’applications diverses, selon les époques et les esprits.
Le fait est qu’il ne s’opposa point à la publication des Élégies de sa femme (1819), et qu’il en conçut même quelque fierté. […] Conçues dans la tristesse et la pauvreté, élevées parmi des angoisses quotidiennes dans une bohème indigente de comédiens errants, les deux filles de Marceline, Ondine et Inès, furent des malades extrêmement distinguées.
Huysmans, En route, nous fait concevoir une aventure morale d’un rare intérêt : la transformation du naturalisme en mysticisme et la purification d’une âme par le dégoût. […] Et elle conçoit aussi un paradis à sa portée.
Ainsi, Crébillon concevait ou empruntait à la Fable un caractère et une action atroces ; et pour les faire passer au théâtre, il altérait le caractère ou adoucissait l’horreur de l’action par des atténuations de pure fantaisie. […] Je conçois cependant que Zaïre l’ait ébloui ou désarmé ; mais qu’il n’ait compté dans Mérope que neuf fautes, tout juste une de moins que dans Zaïre, voilà qui est moins d’un critique que d’un auteur de tragédies qui sentait les vers d’autrui comme il faisait les siens.
On sait que, vers la date où le Pharaon conçut pour Sara cet amour qui mit Abraham dans de si grands embarras, Sara, d’après le texte, aurait été presque septuagénaire. […] » Mais, avec la notion précise et à la fois respectueuse que j’avais du catholicisme, je n’arrivais point à concevoir une honnête attitude d’âme qui me permit d’être prêtre catholique en gardant les opinions que j’avais.
Déesse physique à sa plus lointaine origine, conçue par les eaux, montant avec elles vers l’éther qui les condense en vapeurs et les résout en orage, Pallas avait été d’abord l’Éclair qui fend le front nuageux du ciel. […] Homme par la force et par le génie, femme par l’adresse et par la finesse : Platon n’a pas autrement rêvé son Androgyne idéal que l’instinct primitif ne l’avait conçue.
Ce serait sans doute un homme très extraordinaire, un génie de la plus éminente supériorité, que celui qui aurait conçu tout l’art de la tragédie telle qu’elle parut dans les beaux jours d’Athènes, et qui en aurait tracé à la fois le premier plan et le premier modèle. […] Il conçut que le plus grand besoin qu’apportent les spectateurs au théâtre, le plus grand plaisir qu’ils puissent y goûter, est de se trouver dans ce qu’ils voient ; que si l’homme aime à être élevé, il aime encore mieux être attendri, peut-être parce qu’il est plus sûr de sa faiblesse que de sa vertu ; que le sentiment de l’admiration s’émousse et s’affaiblit aisément ; que les larmes douces qu’elle fait répandre quelquefois sont en un moment séchées, au lieu que la pitié pénètre plus avant dans le coeur, y porte une émotion qui croît sans cesse et que l’on aime à nourrir, fait couler des larmes délicieuses que l’on ne se lasse point de répandre, et dont l’auteur tragique peut sans cesse rouvrir la source, quand une fois il l’a trouvée.
Ils y sont hideux, nus, tremblants, à moitié dévorés par eux-mêmes, comme on les conçoit dans l’Enfer. […] C’est un de ces matérialistes raffinés et ambitieux qui ne conçoivent guère qu’une perfection, — la perfection matérielle, — et qui savent parfois la réaliser ; mais par l’inspiration il est bien plus profond que son école, et il est descendu si avant dans la sensation, dont cette école ne sort jamais, qu’il a fini par s’y trouver seul, comme un lion d’originalité.
Nous n’avions que le Cid qui fut continuellement naturel et vrai ; aussi est-il emprunté à un théâtre étranger, aussi Corneille l’appela-t-il tragi-comédie, tant ce grand homme sentait la nécessité du mélange des tons dans ce qui n’était point l’antique ; on sait comment il fut rejeté hors de cette voie nouvelle par les prétendus classiques du temps, mais on ne conçoit pas comment, dans les deux derniers siècles, aucun auteur n’a cherché à y rentrer. […] Comme si on pouvait séparer l’idée de l’expression dans un écrivain ; comme si la manière de concevoir n’était pas étroitement unie à la manière de rendre ; comme si le langage enfin n’était qu’une traduction de la pensée, faite à froid et après coup !
Je sais bien que lord Chesterfield, ce vieux damoiseau du xviiie siècle, avec sa manière de concevoir la vie élégante de son temps (car il n’y a pas de vie élégante absolue), a fait plus d’une fois sourire la race orgueilleuse de ces « Beaux » de l’époque du prince de Galles et de Brummell, qui cherchèrent et trouvèrent leur expression littéraire dans les premiers romans de Bulwer. […] Elle est dans la notion même de l’élégance telle qu’on la conçoit et qu’on l’admet en Angleterre.
Le lendemain de cet assaut, dans une lettre adressée à Joubert et où il lui donnait ses ordres, Bonaparte, vainqueur à Millesimo et se portant sur Dego, s’excusait presque de ne pas l’avoir appelé pour prendre part au dernier combat : « Je conçois que vous allez nous faire bien des reproches de ne vous avoir pas appelé ; mais vous étiez trop sur la gauche.
Vous concevez combien je dois trouver la journée courte, surtout en cette saison, surtout en me donnant le plaisir d’entendre trois ou quatre cours de suite dans la matinée, et deux ou trois dans l’après-midi jusqu’à sept heures.
L’auteur, on le conçoit, prend occasion du récit de Simiane pour juger la première moitié du xviiie siècle et en retracer les principales figures ; aussi, dans le récit de Simiane, sent-on par trop fauteur de nos jours.