Or la Russie n’a pas besoin de ces artifices pour comprendre et pour sentir la musique. […] Beethoven, qui, avec un effrayant génie, avait compris ce besoin d’une langue musicale définie, employait fréquemment des airs russes ou polonais, par exemple dans ses dernières sonates et dans ses quatuors. […] Mais, lui et son contemporain Klopstock, ils étaient arrivés à la limite de ce que les paroles peuvent exprimer ; et, comme leurs formes poétiques ne s’adaptaient pas bien à la musique, ils sont tous deux restés impopulaires ; Platen avoue lui-même que « le poète lyrique qui n’est plus un avec le musicien, a besoin du compositeur pour devenir populaire. » Mais Platen ne connaissait guère la musique comme art, il n’en saisissait que le côté formel et extérieur, et, n’ayant pas en lui-même l’esprit de de la musique, il ne pouvait créer une lyrique qui, malgré les perfections de sa forme, devînt immédiatement compréhensible et vraiment populaire.
Elle a besoin d’appui. Son éthique, quand elle sera dégagée d’une influence contraire à sa nature, sera faite uniquement de tendresse, uniquement du besoin de donner et de recevoir, Et l’esprit délicieusement ressemble à l’âme. Il a besoin, lui aussi, de recevoir et de donner, de se sentir solidaire et fraternel ou plutôt dévoué et filial.
Puisque la comédie avait besoin d’une bête noire, que ne prenait-elle cet être sordide, pétri d’avarice et de convoitise ? […] Ici, le paradoxe est flagrant : l’auteur avait besoin de déshonorer Jean Giraud, cela rentrait dans le plan et dans la moralité de sa comédie, et il n’a reculé devant aucune extrémité pour le perdre. […] Les accusations arrivent trop tard, elles semblent fabriquées pour le besoin de la cause ; des actions véreuses, des pêches en eau trouble, d’anciens trous faits à de vieilles lunes ne suffisent pas pour rendre subitement odieux un caractère qui, jusque-là, n’avait pas semblé déplaisant. « Vous m’ennuyez à la fin !
… j’ai besoin d’être fixé. […] D’aventures, il est bien entendu que je n’en ai nul besoin ; mais les impressions de petite fille et de toute petite fille, mais des détails sur l’éveil simultané de l’intelligence et de la coquetterie, mais des confidences sur l’être nouveau créé chez l’adolescente par la première communion, mais des aveux sur les perversions de la musique, mais des épanchements sur les sensations d’une jeune fille, les premières fois qu’elle va dans le monde, mais des analyses d’un sentiment dans de l’amour qui s’ignore, mais le dévoilement d’émotions délicates et de pudeurs raffinées, enfin, toute l’inconnue féminilité du tréfonds de la femme, que les maris et même les amants passent leur vie à ignorer… voilà ce que je demande. […] Enfin, j’ai besoin de relire nos confessions, notre livre préféré entre tous, un journal de notre double vie, commencé le jour de l’entrée en littérature des deux frères et ayant pour titre : Journal de la vie littéraire (1851-188.), journal qui ne doit paraître que vingt ans après ma mort.
V La France commençait à s’épuiser de génie et d’esprit français après les siècles de Louis XIV et de Voltaire ; elle sentait le besoin d’une sève étrangère, plus jeune et plus européenne, pour germer de nouvelles idées et de nouveaux sentiments. […] … Sans doute il fallait bien, pour coïntéresser le peuple et toutes les classes supérieures au peuple, à ce mouvement intestin, que le temps et les vices du gouvernement se prêtassent à ce besoin de réformes purement matérielles qui furent l’occasion et non la cause de la révolution ; les appétits matériels sont la solde des masses, qui servent les grandes pensées sans les comprendre, et qui, selon l’expression de Mirabeau, échangeraient leur liberté pour un morceau de pain. […] Les institutions, pour renaître, ont besoin de bonne renommée ; elle perdit de renommée la démocratie en la souillant du sang de ses milliers de victimes ; elle jeta des têtes sans compter à la Terreur, comme on jette des lambeaux de ses vêtements à la bête féroce par qui on est poursuivi pour lui échapper ; elle appela le peuple au spectacle quotidien de la mort sur la place publique ; elle commença par un massacre de trois mille prisonniers sans jugement aux journées de septembre, cette Saint-Barthélemy de la panique ; elle finit par un massacre le 9 thermidor : sa seule institution fut l’échafaud en permanence.
Je conçois très bien, Monsieur, qu’un homme de votre âge ait cherché avec ardeur un nouveau chemin pour arriver plus tôt à des succès ; mais je ne conçois pas qu’en y entrant, vous ayez eu besoin de salir les réputations anciennes et modernes2. […] Si les théâtres, pour un vieux peuple, sont devenus une nécessité, un besoin indispensable, il est du devoir du gouvernement de les soutenir convenablement, afin de pouvoir les diriger dans l’intérêt de la morale, des mœurs et de nos grandes institutions. […] Ce projet, Monsieur, aurait besoin de grands développements ; mais ce n’est pas ici le lieu d’entrer dans de tels détails.
La France et moi avions besoin de ces coups de marteau. […] Il me faut relever, au centre des champs égaux et par dessus les toits rustiques trop semblables, la « Tour du Meilleur », ce toit pointu qui veut pour lui seul la foudre des orages, afin d’en sauver les autres ; ce haut mur qui porte le faible lierre agrippé à ses pierres ; ce signe permanent de la hiérarchie désirable, qui rappelle aux fous qui l’oublient que nul homme ne s’élève sans degrés inégaux ; ce pignon, qui est détestable s’il n’est que celui de l’orgueil, mais divin dans sa mission, s’il ouvre ainsi qu’un grenier ou chacun peut puiser, suivant ses besoins, l’exemple, le conseil, le refuge ou l’aumône… … Il ne faut pas aller au peuple en descendant, mais faire monter le peuple jusqu’à soi, et se mettre haut, sans morgue et simplement… … Ma race est arrivée jusqu’à moi, sans tache et sans vulgarité ; ainsi dois-je la transmettre à l’avenir, dans la même intégrité, vêtue de même noblesse, dirigée dans le même sens de perfection… Voilà des pensées, n’est-ce pas, qu’il n’était pas possible de laisser en dehors du concert des familles spirituelles, que des catholiques aux socialistes, nous avons entendues. […] Ils savent qu’ils trouveront leur force et leur fécondité spirituelle dans des types de vie éprouvés par une suite de gens de leur sang, et ils ont besoin, fût-ce dans leurs audaces et nouveautés, de s’appuyer sur ce qui est d’antique expérience.
« Je n’ai pas besoin de poursuivre le raisonnement. […] Une horloge liée à un mobile (dont le mouvement n’a plus besoin ici d’être soumis à la restriction de la translation uniforme) mesure la longueur, divisée par c, de l’arc de ligne d’Univers de ce mobile. […] C’est ce que les théoriciens de la Relativité semblent parfois oublier, et c’est d’ailleurs à quoi ils n’ont pas besoin de prendre garde en tant que physiciens, puisque la distinction entre la vision réelle et la vision virtuelle, entre le système de référence qui est réellement adopté et celui qui est simplement représenté comme tel, disparaît nécessairement, comme nous l’avons montré, de l’expression mathématique de la théorie.
En tout cas, que la religion soit œuvre d’imagination ou besoin de foi, la conclusion à tirer de tous ces essais de définition tentés par les naturalistes psychologues, c’est que leur méthode est impuissante à donner une véritable idée de notre nature. […] Mon esprit n’a pas besoin d’une association habituelle pour lier d’une façon indissoluble les termes de ces jugements. […] Égale erreur, égale impuissance de part et d’autre, égal besoin de s’éclairer et de se compléter mutuellement.
Le poète n’a besoin que de solitude et de liberté. […] N’ayant rien, il a besoin de savoir l’exacte valeur de tout. […] Au besoin, il crée la même des pays enchantés. […] Je n’ai jamais senti mieux que maintenant le besoin de rouvrir les poètes anglais. […] Ce sont trois formes d’un même sentiment : le besoin de se transfigurer, le besoin de se connaître, le besoin au moins de s’entrevoir.
Elle satisfait la conscience du peuple, son besoin de logique, et aussi de respect et de vénération. […] Elle n’en a pas besoin. […] Il le ramasse ; il peut l’emporter du moins ; il n’a pas besoin de tuer pour cela. […] Ils ont éprouvé le besoin d’arranger le morceau. […] On n’a besoin d’aucun effort pour suivre et comprendre ce que dégoisent les artistes.
Maintenant, si vous éprouvez le besoin de les distinguer et de les nommer, comment vous y prendrez-vous ? […] Ce qui me frappe au contraire en étudiant l’histoire, c’est la quantité prodigieuse d’époques qui ont eu besoin d’un ou de plusieurs hommes de génie, et qui ne les ont pas trouvés. […] Nous n’avons pas besoin de vos conseils. » Mais lord Herbert n’était point facile à intimider, et tout son sang de gentilhomme lui monta subitement au visage. […] L’illusion morale de la réalité lui suffit ; il n’a pas besoin de l’illusion matérielle et sensible. […] Point n’était besoin de trouver des matériaux de meilleur aloi ; ceux qui existent suffisaient, il n’y avait qu’à les mettre en œuvre.
En France, l’idylle bucolique, est-il besoin de le remarquer ? […] Est-il même besoin de supposer qu’il y retourna, si l’on admet qu’il y était déjà allé au sortir de l’île de Cos ? […] Cet homme d’esprit, qui manquait de plusieurs sens, se croyait fort en état de juger des diverses sortes de peintures, et en particulier de celles de l’amour : « Les anciens, dit-il dans son discours sur l’Églogue, n’ont guère traité l’amour que par ce qu’il a de physique et de grossier ; ils n’y ont presque vu qu’un besoin animal qu’ils ont daigné rarement déguiser sous les couleurs d’une tendresse délicate. […] » Bref, se promettant de recommencer demain, si besoin est, avec des charmes plus puissants, elle clôt pour aujourd’hui le sacrifice, en envoyant Thestylis broyer des herbes à la porte de Delphis, sur ce seuil auquel, malgré tout, elle se sent encore enchaînée de cœur.
V Cicéron, tel que nous le trouvons dans les portraits et dans les lettres de ses contemporains ou de lui-même, était de haute taille, telle qu’elle est nécessaire à un orateur qui parle devant le peuple, et qui a besoin de dominer de la tête ceux qu’il doit dominer de l’esprit. […] Il n’eut plus besoin ainsi d’un affranchi, qu’on appelait le nomenclateur, et qui suivait toujours les candidats aux charges, ou les magistrats, pour leur souffler, à voix basse, le nom des citoyens. […] Combien de fois n’ai-je pas eu besoin de toutes les ruses de la défense pour parer des coups que ton adresse semblait rendre inévitables ! […] L’abstention complète eût été plus digne, l’exil même eût été plus stoïque : c’est sur cette époque de sa vie que les admirateurs de Cicéron auraient eu besoin de jeter un voile d’indulgence.
. — Et si on lui en demande la raison : « C’est, répondit-il que le riche qui pèche plus que le pauvre, a bien plus besoin de mon assistance au dernier moment. » Ici Jean de Meung, dans une digression dont il ne songe pas à s’excuser, se sert de Faux-Semblant lui-même, qui n’est que le type de l’ordre fameux des moines mendiants, pour attaquer cet ordre, dont la querelle avec l’Université est un des plus curieux épisodes du règne de saint Louis. […] La poésie ne veut plus être une profession ambulante et foraine, comme celle du joueur de luth ; elle prétend exprimer les besoins, les passions et les intérêts du genre humain. […] D’autres passages du même caractère ; quelques pièces plus connues, dont la plus goûtée, Les fourriers d’esté sont venus est une description du printemps, où la grâce n’est pas sans recherche ; dans tout le recueil, une certaine délicatesse de pensées, qui trop souvent tourne à la subtilité ; des expressions plus claires que fortes ; des images abondantes, mais communes une pureté prématurée à une époque où la langue avait plus besoin de s’enrichir que de s’épurer ; bon nombre de vers agréables qui prouvent plus de culture que d’invention, et où l’on reconnaît l’effet de l’éducation maternelle plutôt que le génie national : ces titres, que je suis bien loin de dédaigner, ne valent pas qu’on dépossède Villon de son rang, au. profit d’un poëte, le dernier qui ait imité le Roman de la Rose, le premier, qui ait imité la poésie italienne. […] Enfant du peuple, né dans la pauvreté, poussé au vice par le besoin, toujours dans quelque extrémité fâcheuse, il ne laisse voir dans sa vie que ce qui la rend intéressante pour tous.
. — Cependant, les besoins matériels forçaient le maître à essayer quand même de terminer ces opéras, que la cour de Weimar lui payait ; et en septembre 1851 il commençait à esquisser la musique du Jeune Siegfried. […] Wagner a indiqué dans Eine Mittheilung an meine Freunde (1851) la façon dont il entendait être compris : « Cette explication, dit-il, je projette de la faire à mes amis, parce que je ne puis être compris que de ceux à qui leur penchant vers moi fait éprouver le besoin de me comprendre, et ceux-là seuls peuvent être mes amis. […] Ce sont ceux qui ont pour unique ambition de réaliser le désir exprimé par Wagner ; ce sont ceux qui ont senti « le penchant à l’aimer et le besoin de le comprendre » et qui, pour le satisfaire, ont étudié l’œuvre, comme elle veut l’être, ils n’ont pas voulu faire ce départ de l’artiste et de l’homme qui est aussi insensé que la séparation de l’âme et du corps » ; ils ont voulu connaître à fond cet artiste qu’« inconsciemment au moins et involontairement » ils aimaient comme homme ; ils ont étudié aussi bien ses écrits théoriques que ses œuvres d’art et aussi ce qui pouvait être connu de sa vie. […] L’importance d’un ouvrage de ce genre, ai-je besoin de l’expliquer ?
Chacun de ces personnages primordiaux, ceux encore que nous négligeons de citer, présentés sans cesse, se témoignant vivants en des incidents toujours renouvelés et produits non tant par la marche même du récit, que par le besoin où est l’auteur, où ils sont pour ainsi dire eux-mêmes, de manifester et d’être manifestés, apparaissent par la constance même de leur mise en évidence, comme irrécusablement existants. […] Plus assidûment encore et avec de plus harcelants malaises, le prince Pierre Bezonkhof, inquiet et se dégoûtant des grosses jouissances dont il essaie de tromper ses besoins spirituels de foi, se lance de-ci de-là à la recherche d’une règle, d’un mot magique qui donne quelque sens à ses actes, et rencontre en plein désespoir, un singulier personnage qui lui parle de Dieu et de la vie future selon les formes de la franc-maçonnerie ; il se jette dans cette secte pour reconnaître promptement l’inanité de sa philosophie et de sa morale, retombe dans sa morosité et ses débauches quand à l’approche de l’année française il est témoin de la forte certitude, de la foi et de la joie qui animent les masses populaires et les armées ; pris de contagion, enflammé d’un patriotisme fumeux, il quitte son palais, se môle à la populace, conçoit un instant le dessin d’assassiner Napoléon ; une conversation dissipe ce transport de férocité, il se fait horreur devant l’exécution de quelques-uns de ses compagnons, et froissé, prostré, éperdu, rejoint une troupe de prisonniers, où l’existence de pauvre qu’il mène, cette vie de résignation et d’insouciance l’apaisent peu à peu et l’ouvrent aux humbles paroles d’un petit soldai paysan, familier, doux et sensé ayant sur lui quelque chose de la bonne fraîcheur de la terre. […] Tolstoï échoue de même et se récuse devant les passions de l’intelligence ; l’ambition, l’amour de l’or, de la domination, ne tiennent aucune place dans ses livres ; les solutions logiques des perplexités humaines, ces magnifiques efforts de l’esprit tâchant de concilier en un système cohérent ses besoins et ses notions sont débattus à peine, dans Anna Karénine notamment, et avec le langage grossier d’un homme qui n’a pu s’élever à les comprendre. […] Le problème allait se dresser dont on ne se tire pas avec quelques vagues gestes de malaise ; la pensée de la mort se présentait, et là, sentant que la vie des hommes est faite d’autant de malheur que de bonheur, le monde d’autant de bien que de mal, jugeant l’existence des individus insensée de durer en cette condition pour s’éteindre dans le noir de l’inconnu, Tolstoï dut répondre à la voix de son angoisse et choisir entre son adhésion au réel qu’il ne pouvait rendre sincèrement complète, et son amour du bien et de bonheur, son besoin d’explication du mal et du malheur, qu’il lui fallait satisfaire sous peine de désespérer.
La puissance intérieure de la France était centuplée ; sa puissance militaire était reconstituée depuis cinq mois d’une réorganisation énergique de ses armées ; la France n’avait pas besoin de cent mille hommes en faction sur les Alpes ou en Algérie pour se préserver des communistes qui lui font horreur : l’Italie en avait besoin pour rester l’Italie. […] En peu de jours j’étais déjà assez familier avec les quais de l’Arno, les avenues des Cacines, les galeries, les églises, les palais fameux, pour n’avoir plus besoin de guide. […] XXXII Je n’éprouvais dans mon isolement complet sur une terre étrangère aucun besoin de société.
Il est vrai que nous nous dispensons le plus souvent de recourir à cette image, et qu’après en avoir usé pour les deux ou trois premiers nombres, il nous suffit de savoir qu’elle servirait aussi bien à la représentation des autres, si nous en avions besoin. […] Il n’a pas besoin, pour cela, de s’absorber tout entier dans la sensation ou l’idée qui passe, car alors, au contraire, il cesserait de durer. Il n’a pas besoin non plus d’oublier les états antérieurs : il suffit qu’en se rappelant ces états il ne les juxtapose pas à l’état actuel comme un point à un autre point, mais les organise avec lui, comme il arrive quand nous nous rappelons, fondues pour ainsi dire ensemble, les notes d’une mélodie. […] Point n’est besoin de supposer une limite à la divisibilité de l’espace concret ; on peut le laisser infiniment divisible, pourvu qu’on établisse une distinction entre les positions simultanées des deux mobiles, lesquelles sont en effet dans l’espace, et leurs mouvements, qui ne sauraient occuper d’espace, étant durée plutôt qu’étendue, qualité et non pas quantité.
Mais cette distinction, toute relative à l’utilité pratique et aux besoins matériels de la vie, prend dans notre esprit la forme de plus en plus nette d’une distinction métaphysique. […] Ce qui nous intéresse dans une situation donnée, ce que nous y devons saisir d’abord, c’est le côté par où elle peut répondre à une tendance ou à un besoin : or, le besoin va droit à la ressemblance ou à la qualité, et n’a que faire des différences individuelles. […] Bref, on suit du minéral à la plante, de la plante aux plus simples êtres conscients, de l’animal à l’homme, le progrès de l’opération par laquelle les choses et les êtres saisissent dans leur entourage ce qui les attire, ce qui les intéresse pratiquement, sans qu’ils aient besoin d’abstraire, simplement parce que le reste de l’entourage reste sans prise sur eux : cette identité de réaction à des actions superficiellement différentes est le germe que la conscience humaine développe en idées générales.
Sa première femme, Marguerite de France, y est pourtraite à sa belle heure ; mais elle est tellement masquée par sa toilette et engoncée dans sa fraise, qu’on a besoin de savoir tout son charme pour être sûr que cette figure pouparde n’en manquait pas. Gabrielle d’Estrées qui est à côté, toute raide et comme emprisonnée dans sa riche toilette, a besoin aussi de quelque explication et de réflexion pour paraître ce qu’elle fut : les témoignages de la notice viennent en aide au portrait.
Et tout à côté il retraçait le portrait du véritable et pur incrédule par doctrine et par théorie, le portrait de Spinoza qu’il noircit étrangement, dont il fait un monstre, mais en qui il touche pourtant quelques traits fondamentaux : Cet impie, disait-il, vivait caché, retiré, tranquille ; il faisait son unique occupation de ses productions ténébreuses, et n’avait besoin pour se rassurer que de lui-même. […] Massillon les raille, eux qui rejettent toute autorité pour croire, d’avoir eu besoin de l’autorité et du témoignage d’un homme obscur pour oser douter.
Quand il est un peu plus assagi, et qu’on le met au latin, on a besoin de le battre plus d’une fois pour le contraindre. […] Mais, certes, quant à quelques centaines de vilains nés pour labourer la terre, le noble historien témoigne pour eux aussi peu, peut-être moins de sympathie que John Grahame de Claverhouse lui-même. » Froissart cependant a presque besoin d’être justifié et lavé d’un tel éloge, dont il ne faut accepter pour lui que l’enthousiasme, en laissant de côté ce qui tient au fanatisme.
Dans un singulier chapitre expressément dédié « Aux infortunés », et qui est placé, on ne sait trop comment, entre celui de « Denys à Corinthe » et celui d’« Agis à Sparte », il s’adresse à ses compatriotes émigrés et pauvres, à tous ceux qui souffrent comme lui du désaccord entre leurs besoins, leurs habitudes passées et leur condition présente ; il leur rappelle la consolation des Livres saints, vraiment utiles au misérable, parce qu’on y trouve la pitié, la tolérance, la douce indulgence, l’espérance plus douce encore, qui composent le seul baume des blessures de l’âme. […] Et après cette première citation : Dans un autre endroit, continue Chateaubriand, je peins ainsi les tombeaux de Saint-Denis avant leur destruction : « On frissonne en voyant ces vastes ruines où sont mêlées également la grandeur et la petitesse, les mémoires fameuses et les mémoires ignorées, etc. » Je supprime encore ce second morceau, inséré à la suite du premier, et qui prêterait aux mêmes observations comparatives ; mais je vais donner toute la fin de la lettre avec son détail mélangé, afin que le lecteur en reçoive l’impression entière, telle qu’elle ressort dans son désordre et son abandon : Je n’ai pas besoin de vous dire qu’auprès de ces couleurs sombres on trouve de riantes sépultures, telles que nos cimetières de campagne, les tombeaux chez les sauvages de l’Amérique (où se trouve le tombeau dans l’arbre), etc.
J’aime bien ces vins qui ont corps, et condamne ceux qui ne cherchent que le coulant à boire de l’eau. » Tout en se piquant, et avec raison, de n’être point coulant de style et d’être plutôt rude et fort de choses, d’Aubigné ne s’interdisait pas d’être recherché et alambiqué au besoin en certaines de ses productions poétiques. […] Il continuait sur ce ton élevé : Oui, il faut montrer notre humilité ; faisons donc que ce soit sans lâcheté ; demeurons capables de servir le roi à son besoin et de nous servir au nôtre, et puis ployer devant lui, quand il sera temps, nos genoux tout armés, lui prêter le serment en tirant la main du gantelet, porter à ses pieds nos victoires et non pas nos étonnements.