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609. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (1re partie) » pp. 337-416

Elle avait de ces beautés qui se conservent, parce qu’elles sont plus dans la physionomie que dans les traits ; aussi la sienne était-elle encore dans son premier éclat. Elle avait un air caressant et tendre, un regard très doux, un sourire angélique, des cheveux cendrés d’une beauté peu commune, et auxquels elle donnait un tour négligé qui la rendait très piquante. […] Ce démocrate ne sent la beauté que vêtue de luxe et de vanités : son orgueil prévaut même sur la nature. […] Quant à la duchesse de Luxembourg, elle avait été célèbre autrefois par sa beauté sous le nom de Boufflers, son premier mari. […] Forcée par l’âge de renoncer à l’empire de la beauté, elle avait aspiré à l’empire de l’esprit, dont elle était assez digne.

610. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIIe entretien. Fior d’Aliza » pp. 177-256

On distinguait déjà dans sa gracieuse et spirituelle physionomie les signes d’une femme courageuse qui saurait faire de la jeunesse, de la beauté et de l’attrait trois pouvoirs politiques aussi irrésistibles que la nature. […] Mais c’était une Maintenon sicilienne, avec le pédantisme de moins, la jeunesse et la beauté de plus. […] Le prince avait été séduit par la jeunesse, la beauté et les grâces intellectuelles de sa compagne ; il l’avait aimée, mais il n’avait pu conserver son estime, encore moins son amour. […] On ne pouvait s’empêcher de chercher encore sur sa figure douce, fine, intelligente et passionnée, les traces de la beauté qui l’avait fait adorer dans un autre âge. […] La Nature, immuable en sa fécondité, T’a laissé deux présents, ton soleil, ta beauté ; Et, noble dans ton deuil, sous tes pleurs rajeunie, Comme un fruit du climat enfante le génie.

611. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome I

Loin de flatter son siècle, loin de chercher à l’éblouir par de faux brillants, il se livrait aveuglément aux inspirations de son âme ; le seul ascendant de son génie avait subjugué les esprits ; il avait arraché les applaudissements à force de beautés. […] » C’est un grand principe en littérature, que la qualité et non le nombre des beautés fait la gloire et le mérite des ouvrages : si on mettait dans la balance d’un côté toutes les tragédies de Voltaire, de l’autre le seul Cinna de Corneille, il est plus que probable qu’elle pencherait du côté de Cinna, parce que cette seule tragédie renferme plus de beautés du premier ordre, plus de traits sublimes qu’on n’en peut trouver dans tout le théâtre de Voltaire. […] Nous devons cependant nous féliciter que Corneille ait fait la tragédie de Pompée, par quelque motif que ce soit ; car cet ouvrage a des beautés d’une nature très singulière, et dont Corneille seul était capable. […] Il est bien étonnant que ce littérateur, d’ailleurs estimable, se soit laissé aveugler par les préjugés de sa jeunesse, au point de méconnaître les beautés de Corneille. […] Il faut convenir que la tragédie de Nicomède n’ébranle pas aussi vivement que Rodogune ; qu’elle n’inspire ni pitié ni terreur ; mais elle a un autre genre de beauté et d’intérêt pour un spectateur instruit et attentif.

612. (1864) Corneille, Shakespeare et Goethe : étude sur l’influence anglo-germanique en France au XIXe siècle pp. -311

« Si le système romantique a des beautés, dit M.  […] Hugo découpait la forme des choses avec un relief puissant et parfois d’une grande beauté plastique. […] Mais où sont les vrais amants de la beauté ? […] La vraie critique devrait tenir compte des beautés comme des défauts, se montrer initiée au langage mystérieux des poètes, et applaudir à leurs élans plutôt qu’à leurs chûtes. […] Faust y aperçoit dans un miroir l’image de la beauté féminine, du féminin éternel, comme il l’appelle.

613. (1900) La vie et les livres. Cinquième série pp. 1-352

Le modèle est saisi, désormais imposé à notre souvenir, dans la plénitude et la beauté de sa vie intellectuelle. […] Il a aimé passionnément la beauté. […] Dans le livre, parmi les réussites, les trouvailles et, par instants, les beautés où s’exerce, s’amuse et triomphe le brillant génie de M.  […] Et la beauté de l’univers n’est, en somme, qu’un feu d’artifice sous un crâne. […] Cela est beau, d’une beauté primitive et cependant contemporaine de tous les âges, d’une beauté déchirante, comme tout ce qui touche le fond de nos joies rapides et de nos longues misères.

614. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome II

Il reconnaît une beauté coupable et dépravante en regard de la beauté purifiante et saine. […] Il n’est point de palais ni d’ordre social qui crée cette divine beauté là où elle n’est pas. […] Leconte de Lisle, lui, a composé une œuvre où la poésie n’est mélangée d’aucun alliage, et qui ne saurait être comprise et sentie que par les lecteurs qui aiment la Beauté pour la Beauté. […] Beauté souillée et malheureuse ! […] Il essaya pareillement de transposer en littérature les beautés propres aux arts plastiques, comme il essaya de transposer en ces derniers les beautés propres à la littérature.

615. (1890) La vie littéraire. Deuxième série pp. -366

Ils admirent en eux la beauté des divers types humains. […] ) « Il apparaît resplendissant d’une beauté satanique. » (P. 362.) […] Mais sa mère, la voyant fort en beauté, n’était pas en peine. […] Il n’y a pas de sagesse capable de supprimer la beauté vivante. […] Ils ont la beauté profonde qui vient de l’harmonie.

616. (1826) Mélanges littéraires pp. 1-457

Quelle beauté d’harmonie ! […] que tes beautés sont ravissantes ! […] Quel chef-d’œuvre des arts égale vos beautés ? […] Et qui pourrait se flatter d’ailleurs d’égaler la beauté du Nouveau Testament ? […] Enfin, pour l’intérêt même de notre gloire et la perfection de nos ouvrages, nous ne saurions trop nous attacher à la vertu : c’est la beauté des sentiments qui fait la beauté du style.

617. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Mémoires »

C’était, comme on le sait, dans un salon réservé, à l’ombre d’une de ces hautes renommées de beauté auxquelles nul n’est insensible, puissance indéfinissable que le temps lui-même consacre et dont il fait une muse. La bonté ingénieuse surtout, si une fois elle a été unie à la beauté souveraine, et n’a composé avec elle qu’un même parfum, est une grâce qui devient enchanteresse à son tour et qui ne périt pas. […] Quand M. de Chateaubriand ne confesserait pas cette lutte dans ses Mémoires, on en retrouverait l’empreinte continuelle dans sa vie, et elle y répand une teinte de mélancolie et de mystère qui en achève la poétique beauté. […] Et c’est là, je le dirai, ce qui m’a le plus profondément attaché au milieu de la beauté et de la grandeur vraiment épiques de l’ensemble.  […] Ce mal originel d’ennui puisé au ventre de la mère, qui tourne chez les uns en vice et en folies déréglées, tourne chez les autres en poésie et en génie ; mais la douleur se cache sous la beauté.

618. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

Politien, son ami, le décrit comme un homme d’une beauté accomplie : taille élevée, constitution solide et souple, force à la lutte, habileté à manier les coursiers, bravoure modèle, goût de tous les arts, passion pour la poésie, grâce pour les femmes, discrétion dans ses amours, tel fut son éloge ratifié par son temps. […] « Souvent, dit-il dans un de ces sonnets, où il montra la charité produisant l’amour, souvent Apollon, le dieu de la flamme, cueille ses rayons dorés sur les monts glacés du Nord. » Et dans un autre sonnet, sur les larmes de sa Beauté : « Qu’elles étaient belles, grands dieux ! […] Ces attraits de la beauté qu’Amour présentait à tes yeux, et qui te séduisirent dès tes plus jeunes ans, t’ont privé de toute la paix et de tout le bonheur dont tu devais jouir. […] brise enfin ces chaînes honteuses ; arrache tes bras de ces liens funestes dont les a chargés une beauté trompeuse. […] C’était une beauté ravissante, aussi célèbre par ses grâces que par ses talents.

619. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre dixième. »

Si un certain degré de culture est nécessaire pour en goûter toutes les beautés, il suffit d’avoir l’esprit sain pour s’y plaire. […] Boileau, qui se fit le champion de l’aimable chambrière, loua dans la pièce, « outre ce je ne sais quoi qui nous charme, et sans lequel la beauté même n’aurait ni grâce ni beauté65 », la hardiesse de La Fontaine à rompre la mesure. […] Tous les âges de notre langue poétique, ou plutôt un choix des beautés de chaque âge, forme la sienne. […] Quant à ses beautés, elles semblent se cacher sous sa simplicité et s’ignorer elles-mêmes. […] Les fautes lui paraissent le prix dont il est bien juste de payer les beautés si diverses et si charmantes des lettres.

620. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 457-512

La Postérité est également à l’abri de la séduction & de la partialité ; elle sait apprécier les beautés, démêler les défauts, modérer les louanges, fixer les degrés de gloire & de blâme. […] Quand on ignoreroit que le choix des représentations dépend des Comédiens, & non du Public, on seroit encore en droit de leur répondre, que les Pieces de Corneille & de Racine ne paroissent si rarement, que parce qu'elles ont occupé la Scene pendant près d'un Siecle, qu'il est peu de personnes qui ne les sache par cœur, & que l'amour de la nouveauté fait souvent courir après des beautés frivoles, sans affoiblir le tribut d'admiration qu'on doit aux beautés solides. […] La Pucelle, la Guerre de Geneve, quelques-uns de ses Contes, & tant d'autres fruits de l'audace & de la malignité, ne sauroient être loués, malgré la beauté des détails, par le libertinage lui-même, puisque cette même Muse qui les a produits les a désavoués, dans le temps qu'elle conservoit encore quelques restes de pudeur. […] La plupart de ses Dissertations littéraires sont un tribut d’hommages qu’il se paye à lui-même, ou des arrêts prononcés contre ses Rivaux ; ses observations sur la Tragédie, une justification de ses Pieces, & la satire adroite de celle des autres ; son Essai sur la Poésie épique, une Apologie de la Henriade, & une censure injuste des autres Poëmes ; la connoissance des beautés & des défauts de la Poésie & de l’Eloquence, dans la Langue Françoise, donnée sous un nom emprunté, l’apothéose de ses Productions ; mille autres Ouvrages de sa façon, sont autant de trompettes sonores qu’il consigne à la Renommée, pour préconiser son mérite en tout genre.

621. (1913) La Fontaine « II. Son caractère. »

Dans le même livre (les Amours de Psyché), il s’est dépeint lui-même de la façon suivante ; et l’on y trouvera, avec moins de beauté de forme, exactement les mêmes traits : « Acante ne manqua pas, selon sa coutume, de proposer une promenade en quelque lieu hors de la ville, qui fût éloigné, et où peu de gens entrassent. […] Il y a la morale religieuse, qui est d’une extrême beauté et qui, pour mon compte, est celle que je trouve, tout compte fait, la plus haute et la plus sublime. […] Rien ne manque à Vénus, ni les lis, ni les roses, Ni le mélange exquis des plus aimables choses, Ni ce charme secret dont l’œil est enchanté, Ni la grâce plus belle encor que la beauté. […] C’est un Benserade, un Benserade supérieur, qui avait plus de beauté de forme, plus de délicatesse de tour, non pas plus d’esprit, car Benserade en est plein, mais enfin un Benserade supérieur, qu’a été La Fontaine amoureux. […] Beauté qui triomphez de moi, Vous rêvez à je ne sais quoi Sans qu’on puisse juger quel chagrin est le vôtre.

622. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Sainte-Beuve » pp. 43-79

Ce qu’il aurait fallu et ce qu’il eût mieux fait que personne s’il l’avait soupçonné, c’était de nous révéler le génie-femme qui palpitait au fond de Virgile, de nous en donner l’anatomie, et par là de nous expliquer et de nous rendre tangible ce phénomène de la beauté d’un poète qui ne ressemble pas à Homère, qui est différent, mais aussi beau. […] Il nous aurait fait sentir que ce génie-femme ne l’est pas seulement par les formes de sa beauté, par la placidité, par la tendresse, par la rêverie, par le rythme du sein sous le mouvement du cœur, mais qu’il l’est encore par son amour pour le vieil Homère et par tout ce qu’une longue intimité laisse après elle, par la pudeur discrète des plaisirs qu’il en a reçus. […] Composée surtout de notes ajoutées à des notes, son Œuvre critique me fait l’effet d’un interminable obélisque de notes sur notules et de notules, sur notes, sur la pointe duquel il y aura toujours de la place pour d’autres notulettes qui viendront… Sûr de rien et curieux de tout, comment voulez-vous qu’un homme puisse être jamais un critique, — un juge intellectuel de ce qui fait la beauté ou la laideur des œuvres humaines ? […] Il avait poussé l’amour de son article si loin, qu’il avait pris un professeur de grec, vrai grec, pour la beauté de son article ! […] … Ainsi Mme Lenormand, qui n’est pas Troubat, troubatise ; et elle, la nièce par le sang de Mme Récamier, — qui avait déjà publié un volume sur cette femme dans lequel cette Légende de Beauté et de Bonté, cette Séduction en perpétuel exercice ne semble plus rien du tout dans les riens qu’on nous donne d’elle, — Mme Lenormand a republié d’autres chiffons de sa belle tante et elle en republiera tout le temps qu’elle en aura de quoi faire, seulement, une papillote !

623. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’avenir du naturalisme »

Que, d’une part, cette constatation n’attente en rien à la grandeur, à la puissante beauté de son rôle comme représentant de la vie en face du spiritualisme pourri et de l’idéalisme enfantin, nul n’en doutera, s’il est sincère et de jugement sain ; mais que, d’autre part, ce strict attachement à une doctrine qui nous paraît singulièrement insuffisante, aride et succincte, malgré l’enthousiasme qui cherchait à l’imposer, ne porte pas atteinte à l’intégrale portée de son œuvre aux yeux de l’avenir, il est au moins téméraire de l’affirmer. […] Il est semblable à celui qui, lassé d’entendre sans cesse chanter sur tous les tons les plus fades la beauté précieuse et délicate, la beauté suprême de la fleur, déclarerait brutalement que, pour lui, la beauté réside toute entière dans l’écorce rugueuse. […] Quel autre écrivain de l’heure présente aurait-on pu lui préférer, s’il avait vraiment approfondi cette phrase de son étude sur Edouard Manet : « Le beau devient la vie humaine elle-même », ou cette autre : « La vie seule parle de la vie, il ne se dégage de la beauté et de la vérité que de la nature vivante18 » ?

624. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Malherbe et son école. Mémoire sur la vie de Malherbe et sur ses œuvres par M. de Gournay, de l’Académie de Caen (1852.) » pp. 67-87

La première ode de Malherbe qui le mit en vue fut celle qu’il présenta, étant à Aix en 1600, à Marie de Médicis, la jeune reine qui venait prendre possession du trône : Peuples, qu’on mette sur la tête Tout ce que la terre a de fleurs… André Chénier, commentateur excellent, a remarqué les beautés rares, et à cette date toutes neuves, de cette ode qui aujourd’hui frappe bien plutôt le lecteur par ses côtés exagérés et faux. […] Ce plan lui eût fourni un poème grand, noble, varié, plein d’âme et d’intérêt, et plus flatteur pour une jeune princesse, surtout s’il eût su lui parler de sa beauté moins longuement et d’une manière plus simple, plus vraie, plus naïve qu’il ne l’a fait. […] Cette observation de Balzac et de Godeau se peut résumer ainsi : Ronsard et son école ne savaient pas l’art d’imiter ; dans leur ardeur et leur inexpérience première, ils transportaient tout de l’antiquité, l’arbre et les racines : Malherbe le premier sut et enseigna l’art de greffer les beautés poétiques. […] Son ode intitulée La Belle Vieille est célèbre ; elle s’adresse à une de ces beautés comme nous en avons connu, qui défient les années et dont les retours de saison ont des triomphes comme les printemps : Ce n’est pas d’aujourd’hui que je suis ta conquête : Huit lustres ont suivi le jour que tu me pris, Et j’ai fidèlement aimé ta belle tête Sous des cheveux châtains et sous des cheveux gris.

625. (1890) La fin d’un art. Conclusions esthétiques sur le théâtre pp. 7-26

Qu’est-ce donc que la beauté d’une œuvre dramatique ? […] Faut-il donc, au théâtre comme ailleurs, renoncer au critérium chancelant du suffrage universel, estimer que la beauté des drames ne se mesure pas aux nombres des représentations ou aux chiffres des encaissements, bien que ces nombres et ces chiffres attestent, d’un témoignage mathématique, irrécusable, le jugement du vrai public ? […] La matière de son œuvre est forcément prise au monde extérieur (les chimériques fictions d’un Poe ou d’un Rops sont faites avec des morceaux de réalité), mais il est génial, c’est-à-dire créateur, parce que : 1º Sa sensibilité exceptionnelle (supériorité nerveuse) le fait descendre à des profondeurs encore vierges, où il sent les harmonies cachées et les beautés inconnues ; 2º Son intellectualité exceptionnelle (supériorité cérébrale) lui découvre, après des analyses plus subtiles ou des synthèses plus générales, les expressions neuves et les formules définitives. […] Transporté jusqu’à l’extase par l’harmonieuse beauté de la sensation, il rêve de la garder, pour cela s’efforce de la noter.

626. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XX. La fin du théâtre » pp. 241-268

Qu’est-ce donc que la beauté d’une œuvre dramatique ? […] Faut-il donc, au théâtre comme ailleurs, renoncer au critérium chancelant du suffrage universel, estimer que la beauté des drames ne se mesure pas aux nombres des représentations ou aux chiffres des encaissements, bien que ces nombres et ces chiffres attestent, d’un témoignage mathématique, irrécusable, le jugement du vrai public ? […] La matière de son œuvre est forcément prise au monde extérieur (les chimériques fictions d’un Poë où d’un Rops sont faites avec des morceaux de réalité), mais il est génial, c’est-à-dire créateur, parce que : 1º Sa sensibilité exceptionnelle (supériorité nerveuse) le fait descendre à des profondeurs encore vierges, où il sent les harmonies cachées et les beautés inconnues ; 2º Son intellectualité exceptionnelle (supériorité cérébrale) lui découvre, après des analyses plus subtiles ou des synthèses plus générales, les expressions neuves et les formules définitives. […] Transporté jusqu’à l’extase par l’harmonieuse beauté de la sensation, il rêve de la garder, pour cela s’efforce de la noter.

627. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) «  Mémoires et correspondance de Mme d’Épinay .  » pp. 187-207

Rousseau a parlé d’elle dans ses Confessions avec peu de justice, même en ce qui concerne la beauté ; il a insisté sur de certains agréments, essentiels selon lui, et qui auraient manqué à Mme d’Épinay ; il a parlé d’elle, enfin, comme un amoureux qui n’aurait pas été écouté. […] La voilà donc à trente ans passés, un peu embellie si l’on veut, ou du moins vue par des yeux amis, un jour de beauté et de soleil. […] Vous êtes si gentille, Si mignonne et si belle, et d’un regard si doux, Que la beauté plus grande est laide auprès de vous. […] Et elle continue, sur ce ton, de prêcher l’usage utile de la beauté et de la jeunesse.

628. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le Brun-Pindare. » pp. 145-167

Fréron, dans L’Année littéraire, ne manqua pas cette occasion de critique ; il y raillait l’enthousiasme lyrique du jeune poète, méconnaissait les beautés réelles de son ode, et disait en propres termes : « Il m’est passé bien des odes par les mains ; je n’en ai point encore lu d’aussi mauvaise que celle de M.  […] Dans la troisième partie, l’Ombre de Mme de Buffon, morte à la fleur de l’âge et de la beauté, nous est représentée s’adressant à la Parque pour la fléchir, et obtenant la guérison de son époux. […] Il vise lui-même à remplir quelques-unes de ces conditions difficiles qu’il impose au génie ; il sait qu’une muse n’atteindra jamais aux beautés sévères, « si elle n’a point le courage d’acquérir dans le silence littéraire cette mâle vigueur que ne sauraient énerver ni le bon ton ni la bonne compagnie : Ceux dont le présent est l’idole Ne laissent point de souvenir : Dans un succès vain et frivole Ils ont usé leur avenir. […] Ivre de notre sang, désastreuse beauté, Femme horrible !

629. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Ivan Tourguénef »

Toutes ces agitations et ces passions ne parviennent pas à le distraire de la torpeur qu’il sent glacer sa force morale, lise contraint longuement, à force de monologues, en essayant de s’exagérer à lui-même la beauté de son but. […] Il a pour son malheur « des idées esthétiques », c’est-à-dire qu’il aime à faire des vers mélancoliques et sceptiques, à rêver vaguement à la suite de son imagination, que ses sens délicats apprécient le luxe, une nourriture saine, la beauté féminine. […] Mais son intelligence lui démontre sans cesse la beauté du parti qu’il a pris. […] L’homme est faible, la femme est tenace, le hasard est tout-puissant ; se résigner à une vie décolorée est difficile, s’y résigner complètement est impossible…, et ici il y a beauté et sympathie, chaleur et lumière, comment s’y dérober ?

630. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Henri Heine »

Comme ce doux Hylas, aimé d’Hercule, dont il avait alors spirituellement la beauté vierge, s’il eût été entraîné au sein du torrent amer, il fût tombé au moins dans une onde que le soleil aurait tiédie, et la Nature, glorifiée par Schelling, l’aurait reçu dans ses bras de déesse, comme les nymphes y reçurent Hylas. […] Mais pour l’admirer comme il convient, il faut en comprendre la très profonde et très particulière beauté. […] Et quand il écrit tant devers divins, qui ont la beauté des plus cruelles amertumes humaines, n’a-t-il pas encore, pour nids, son propre cœur saignant, et la nature radieuse et immortelle, à travers laquelle il va semant les gouttes de sang de ce cœur déchiré ? […] Aussi passa-t-il quatre-vingts ans à se droguer, vivant de café, de médecines et de clystères, dont il parlait souvent, comme Scarron, et dont il tirait des effets d’une bonhomie ou d’une hypocrisie comique… Mais ces maux qui ne tuèrent pas Voltaire, tandis que Henri Heine est mort des siens, sont aussi différents des maux de Heine que sa pâle poésie est différente de la poésie du grand poète allemand, lequel reste supérieur à Voltaire autant par la beauté de son génie poétique que par la sincérité tragique de ses douleurs.

631. (1880) Goethe et Diderot « Diderot »

Seulement Piron, qui était poète et capable de comprendre la beauté des idées religieuses, Piron, converti, se purifia pour mourir dans le christianisme, tandis que Diderot est mort, comme un chien, de trop plein, après avoir dîné. […] Diderot, qui passe à tort ou à raison pour le plus artiste de tous, Diderot, qui traita dans une thèse spéciale de la question de la Beauté, ne fut pas plus haut que son temps et il le subit tout entier. […] Elle y voit et fait voir aussi les beautés, souvent inaperçues, autant que les défauts. […] Ces lettres-ci sont bien de véritables lettres, écrites, non plus pour le public ou pour entamer une tête de sculpteur aussi dure que ses marbres et rebelle aux beautés de la gloire. […] Diderot n’était qu’un charlatan chaud, qui avait des abandons, des oublis de rôle, des imprudences d’une grande beauté et d’une grande bêtise.

632. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre III. Buffon »

Il a retrouvé la poésie de Lucrèce ; et ses Époques de la nature ont la beauté du cinquième livre du De natura rerum. […] Il faisait de l’utilité sociale, du goût contemporain, la mesure de tout bien et de toute beauté.

633. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « La Tolérance »

Élargissons nos fronts, comme Renan voulait élargir celui de Pallas-Athéné, pour qu’elle conçût divers genres de beauté. […] Et, si Valmiki n’est pas encore un bon terrain de conciliation, si nous ne pouvons décidément pas communier dans le même beau, communions dans le même amour de la beauté, dans les plaisirs que cet amour donne et dans les vertus qu’il inspire.

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