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53. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 250-251

Comme il importe à tout le monde de savoir raisonner juste, de connoître la nature & les facultés de son ame, la structure de l'Univers & l'Auteur qui l'a créé & le conserve, rien n'étoit plus nécessaire que de donner de justes idées sur tous ces objets, & ce qui n'est pas moins nécessaire, de les mettre à la portée de tous les Lecteurs.

54. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [M. de Latena, Étude de l’homme.] » pp. 523-526

Mais le doute ne tarde pas à être éclairci par sa rougeur ou son air de contrariété, par son calme affecté ou sa triste préoccupation. » La Bruyère, sans entrer dans ces nuances un peu prolongées, avait dit vivement : « Une femme qui n’a jamais les yeux que sur une même personne, ou qui les en détourne toujours, fait penser d’elle la même chose. » Mais, dans bien des cas, on éprouve chez M. de Latena la satisfaction de rencontrer des pensées justes, exprimées avec une attention et une description circonstanciée qui montre qu’elles sont bien nées, en effet, dans l’esprit de l’auteur : son seul soin est d’être élégant d’expression en même temps que fidèle. […] Joubert, et que j’en voudrais retrancher, ne m’ont pas empêché de le reconnaître dès l’abord pour un de nos premiers moralistes, et de le voir tout proche de Vauvenargues et de La Bruyère, avec le cachet de notre temps, ce qui est un mérite selon moi, et une originalité. — Cela dit, ces réserves posées et ma prédilection ainsi confessée pour ce qui est neuf dans le fond ou piquant dans la forme, je citerai quelques-unes des pensées, toujours justes plutôt que vives, que je note au crayon dans le volume de M. de Latena, etc., etc. […] On peut être indulgent, on peut être poli, on peut être juste, même pour ce qu’on ne préfère pas : mais on serait inexcusable d’attribuer à un ouvrage sa qualité contraire.

55. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Lettre, à Madame la comtesse de Forbach, sur l’Éducation des enfants. » pp. 544-544

Avec une âme juste et ferme, j’ai désiré que mon enfant eût un esprit droit, éclairé, étendu. […] L’esprit géométrique et l’esprit juste, c’est le même esprit. […] Agir devant ses enfants, et agir noblement, sans se proposer pour modèle ; les apercevoir sans cesse, sans les regarder ; parler bien, et rarement interroger ; penser juste et penser tout haut ; s’affliger des fautes graves, moyen sûr de corriger un enfant sensible : les ridicules ne valent que les petits frais de la plaisanterie, n’en pas faire d’autres ; prendre ces marmousets-là pour des personnages, puisqu’ils en ont la manie ; être leur ami, et par conséquent obtenir leur confiance sans l’exiger ; s’ils déraisonnent, comme il est de leur âge, les mener imperceptiblement jusqu’à quelque conséquence bien absurde, et leur demander en riant : Est-ce là ce que vous vouliez dire ?

56. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Introduction »

Par exemple, nous avons accepté les principes naturalistes ; nous tenons que la satisfaction des besoins est chose sacrée, qui prime tout, et que d’ailleurs les besoins diffèrent avec les organisations ; c’est en vertu de ces jugements généraux que nous déclarons juste et bon que les biens soient distribués proportionnellement aux besoins. Ou bien, nous avons accepté les principes rationalistes : nous tenons que la raison est par-dessus tout respectable, et que d’ailleurs elle habite dans tous les hommes ; c’est en vertu de ces jugements généraux que nous déclarons juste et bon que les mêmes devoirs leur soient imposés, et les mêmes droits reconnus. […] Par exemple, je tiens pour souverainement juste la maxime : « À chacun selon ses œuvres », et d’autre part je crois que la libre concurrence ne saurait, par elle-même, répartir les richesses proportionnellement aux travaux, j’invoque en conséquence l’intervention de l’État dans l’économie nationale. […] Quelle que soit sa valeur — qu’elle soit, ou non, juste, et réalisable ou non — comment, son apparition est-elle déterminée ?

57. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, par M. J. Zeller. Et, à ce propos, du discours sur l’histoire universelle. (suite.) »

La vie de Jésus, le scandale qu’il cause par sa prédication et sa vertu même, l’attentat commis en sa personne par la Synagogue, sa condamnation et son supplice, sont résumés en une page touchante : « Le Juste est condamné à mort : le plus grand de tous les crimes donne lieu à la plus parfaite obéissance qui fut jamais. » — Autant j’ai pu paraître en garde précédemment, autant je dirai ici en toute conviction que ces pages admirables par la simplicité et la beauté morale de l’expression sont en bonne partie vraies, de quelque côté qu’on les envisage. […] Si l’on ne voit pas, dit-il, « que tous les temps sont unis ensemble, que la tradition du peuple juif et celle du peuple chrétien ne font qu’une seule et même suite, que les Écritures des deux Testaments ne font qu’un même corps et un même livre » ; si on n’y découvre pas « un dessein éternel toujours soutenu et toujours suivi » ; si on n’y voit pas « un même ordre des conseils de Dieu qui prépare dès l’origine du monde ce qu’il achève à la fin des temps, et qui, sous divers états, mais avec une succession toujours constante, perpétue aux yeux de tout l’univers la sainte Société où il veut être servi, on mérite de ne rien voir et d’être livré à son propre endurcissement comme au plus juste et au plus rigoureux de tous les supplices. » A un moment l’orateur impatient, le prédicateur se lève : « Qu’attendons-nous donc à nous soumettre ? […] Il parle fort bien, pour commencer, des Égyptiens, et il a un sentiment juste de l’importance de ce premier grand empire civilisé. […] Bossuet apprécie dignement cette juste et forte proportion que portait en tout cette Grèce heureuse ; il loue chez elle la passion de la liberté et de la patrie comme s’il n’était pas l’auteur de la Politique sacrée. […] Mais il est juste aussitôt d’ajouter qu’il n’y a pas là de quoi décourager ceux qui ne sont nullement rivaux du grand évêque, qui procèdent d’un autre esprit et qui, sans sortir du domaine des faits positifs et du champ visuel des causes secondes, ne prétendent qu’au genre de vérité sublunaire qui est à la portée de notre recherche et de notre raison.

58. (1900) L’état actuel de la critique littéraire française (article de La Nouvelle Revue) pp. 349-362

Ces jugements ne peuvent être dès lors rédigés que par des gens superficiels, en notes courtes sans valeur et sans intérêt, ne comportant pas la place d’exposer les sujets, d’étudier le talent des auteurs, permettant tout juste l’éloge ou le blâme. […] Les journaux à tirage trop faible pour exiger ce droit léonin relèguent en des colonnes de troisième page, bien après les informations politiques et tout juste avant les faits divers, des critiques qu’on ne va pas lire, et que rédigent des personnes n’ayant à ce rôle d’autre aptitude que leur bonne volonté. […] On compte tout juste la Nouvelle Revue, la Revue des Revues, le Mercure de France et la Revue Blanche comme admettant à chaque numéro une critique littéraire unifiée et étendue. […] * *   * La juste irritation soulevée par les abus, la pédanterie, le manque de tact de bien des critiques contemporains ne doit pas faire oublier que l’esprit humain comporte la faculté critique, et que par conséquent ce genre littéraire a droit à être représenté. […] Cela n’est pas juste, puisque souvent ils sont mauvais appréciateurs.

59. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 120-121

Son Traité des Etudes, plein de réflexions justes, délicates & solides, est le Livre le plus propre que nous connoissions à inspirer l'amour de la vertu & le goût des Lettres. […] Rollin n'empêcheront pas qu'il ne soit placé, par les justes appréciateurs du vrai mérite, au nombre de nos Littérateurs les plus estimables.

60. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Appendice. Discours sur les prix de vertu »

Et c’est l’auteur de l’Histoire de la Grande Armée, c’est un brave et éloquent guerrier dont la jeunesse s’est prodiguée sur les champs de bataille, c’est lui-même qui, depuis vingt ans et plus, a donné ainsi ses soins scrupuleux, minutieux, à compulser, à peser les actions d’humbles filles, de pauvres domestiques, à tâcher que rien d’essentiel n’échappe, que chaque mérite atteigne juste à son degré de rémunération. […] Que de fois, dans le doute, il a remporté chez lui les dossiers, les a repassés tout entiers une dernière fois, de peur de ne pas être assez juste ! […] Cela est juste. […] Non, cela est impossible : la loi est juste, et la justice, en cette question, s’est introduite et s’est étendue, grâce surtout à la considération de la femme, de la veuve. […] J’allais oublier de rappeler à titre d’innovation, et d’une innovation juste qui a été suggérée par la fréquence des exemples, autrefois plus rares, que le mari de la femme auteur aura dorénavant le droit qu’avait seule autrefois la femme du mari auteur.

61. (1856) Les lettres et l’homme de lettres au XIXe siècle pp. -30

La France donna alors le magnifique spectacle d’une nation tout entière qui cherche de bonne foi le vrai et le juste, et ne reconnaît en toute chose d’autorité que la raison. […] Il possède toutes les idées justes, tous les sentiments honnêtes, mais il a en même temps toutes les erreurs et tous les défauts. […] L’homme de lettres n’a d’autre maître que le public : et c’est, nous l’avons vu, un maître juste, intelligent, débonnaire, qu’il faut servir et non flatter. […] Il leur demande non d’être justes, mais d’être frappantes ; non d’exprimer une vérité, mais de produire une belle page. […] Le beau, le juste, le vrai sont les aspects différents d’une seule et même chose, les faces diverses d’une même pyramide ; elles semblent éloignées à la base, elles se réunissent au sommet.

62. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre premier. »

Il paraphrasait les idées, selon le juste reproche que lui fait l’abbé Massieu, qui se contente, lui, de paraphraser les mots. […] Il fallait aller plus loin, pour être juste envers le poëte et pour toucher aux sources profondes de l’art. […] Mais c’est surtout par la croyance à l’âme immortelle et à l’avenir des méchants et des justes, que ce caractère du poëte se montre, soit dans les trop rares fragments de ses cantiques perdus, soit même dans les odes consacrées aux jeux athlétiques, où il ramène un sentiment, dont son cœur surabonde. […] Mais, habitantes du ciel, les âmes des justes chantent harmonieusement dans des hymnes le grand bienheureux15. » Cette dernière expression, qui n’a point été remarquée ni traduite, n’aurait-elle pas pu sortir de la bouche de Bossuet même, lorsqu’il parle de ces justes « jouissant de Dieu dans une bienheureuse paix qui réunit en lui tous leurs désirs, et le contemplant avec une insatiable admiration de ses grandeurs », ou bien encore, lorsqu’il se figure « les élus tombant, à la vue de Dieu, dans un tel ravissement d’amour qu’il leur faut toute l’éternité pour en revenir » ? […] C’est de la contemplation d’une telle béatitude que Pindare dit encore ces mots si simples : « La félicité des justes n’est pas fugitive. » Ces idées sublimes, dont Platon a félicité le poëte thébain, étaient-elles une leçon recueillie dans ces mystères d’Éleusis désignés parfois comme le dépôt d’antiques et saintes vérités ?

63. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre V. Sculpture. »

Cependant, il est à désirer que les sculpteurs bannissent à l’avenir de leurs compositions funèbres ces squelettes qu’ils ont placés au monument ; ce n’est point là le génie du christianisme, qui peint le trépas si beau pour le juste. […] La mort pourrait y paraître, mais sous les traits d’un ange à la fois doux et sévère ; car le tombeau du juste doit toujours faire s’écrier avec saint Paul : Ô mort !

64. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Collé. »

Bonhomme a écrit sur lui cette note incroyable au point de vue de la logique ; « L’abus de l’esprit et la recherche puérile déparent ses Lettres, qui, du reste, ont une juste célébrité. » Comment accommoder cette célébrité juste avec cette recherche puérile sans rien entre deux qui corrige et qui explique ? […] Lorsqu’on interroge sur lui, lui-même d’abord, bon témoin, des plus véridiques, et ceux qui l’ont connu, on arrive à se faire une idée fort juste de sa personne et de son genre d’originalité. […] Consultez-le… » C’est juste, mais que c’est petit ! […] Il est bon, lorsqu’on prétend juger les hommes célèbres et d’un grand talent, vers qui, pourtant, on ne se sent pas porté de goût, de se contrarier un peu, de faire effort pour être juste ; il est bon, en un mot, d’être un peu gêné ; et Collé, n’écrivant contre Voltaire que pour lui seul ou pour des amis intimes, ne se gêne pas du tout. […] Jamais, de mes jours, je n’ai vu autant de sortes d’esprit que dans ces Mémoires… Je n’aime point Rousseau ; personne ne rend plus de justice que moi à son éloquence, à sa chaleur et à son énergie, mais je trouve Beaumarchais mille fois plus vrai, plus naturel, plus insinuant et plus entraînant que cet orateur, qui veut toujours l’être, le paraître, qui est d’ailleurs sophiste à impatienter son lecteur que l’on sent qu’il méprise, et dont il se joue perpétuellement comme le rat fait de la souris. » Sauf le dernier trait contre Rousseau qui n’est pas juste (car Rousseau n’y met pas tant de malice), l’ensemble du jugement est parfait.

65. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. Tome IXe. » pp. 138-158

Le tout, pour cette race de mortels à part, est de bien prendre son moment, de bien proportionner son audace, et de faire valoir encore dans une certaine juste mesure le droit du lion. Frédéric calcula juste pour la Silésie ; Napoléon présuma trop pour l’Espagne. […] Il agit noblement en repoussant le bien qui lui venait d’une main étrangère, et, sans yeux, il vit plus juste que les hommes éclairés, en croyant qu’on pouvait tenir tête au conquérant auquel n’avaient pu résister les plus puissantes armées et les plus grands généraux. […] On pourrait sans doute désirer, en quelques endroits du récit, un coup de pinceau plus vif, un trait de burin plus profond ; mais je ne sais si une autre manière produirait une impression aussi nette, aussi lucide et aussi parfaitement juste que celle que laisse ce récit égal, uni, et ce style, interprète fidèle et patient de l’équité. […] qui n’aimerait à savoir au juste ces préoccupations de l’intendant militaire en grand chez Annibal ou chez Alexandre ?

66. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre VI. Le beau serviteur du vrai »

Dévouons-nous au bien, au vrai, au juste. […] Il y a de la chasteté dans la colère du juste contre l’injuste. […] Refaisons le plus haut possible la leçon du juste et de l’injuste, du droit et de l’usurpation, du serment et du parjure, du bien et du mal, du fas et nefas ; arrivons avec toutes nos vieilles antithèses, comme ils disent. […] Ayez dans les bonnes intentions des czars orthodoxes juste assez de foi pour prendre les armes. […] Ces colères, quand elles sont justes, sont bonnes.

67. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Dübner »

Mais le grand philologue de Leyde, qui était son véritable ami, qui entretenait avec lui un commerce de lettres, qui se plaisait à être son hôte dans ses voyages à Paris, saurait dire mieux que personne et dans leur juste mesure les qualités précises et multiples de celui qu’il distinguait et estimait entre tous. […] « Mort il y a juste un an, le 13 octobre 1867, Dübner n’avait pas accompli sa soixante-cinquième année : à ne voir que sa vie saine et son apparence robuste, de longs jours lui semblaient encore promis. […] Que d’ailleurs la grammaire grecque de Dübner soit plus ou moins applicable à nos classes, qu’elle remplisse ou non les conditions qu’exigent l’esprit et le cerveau français, que l’auteur ait rencontré ou non dans ses exposés l’expression juste, précise et claire, c’est-à-dire française, ou qu’il ait trop retenu du jargon scolastique, je n’ai qualité, ni compétence, ni goût, pour traiter de pareilles questions. […] Miller, de l’Académie des Inscriptions, dans la préface de ses Mélanges de Littérature grecque publiés en 1868, a rendu un juste hommage à Dübner, et en des termes ingénieux qui méritent d’être rapportés : « Feu Dübner, dont la science philologique déplore la perte encore récente, était, depuis un grand nombre d’années, le confident et le conseiller de mes travaux.

68. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Grèce antique »

Eh bien, ce rapprochement, qu’il faudrait faire beaucoup pour voir juste, nous croyons utile de l’essayer à propos de deux livres que la Critique, qui reconnaît ceux qui les ont écrits pour des maîtres, a traités avec un silence par trop respectueux. […] Chez les Grecs, les plus poètes des hommes, l’Histoire, pour emprunter une image juste au symbolisme qu’ils aimaient, l’Histoire ressemble au thyrse de leurs prêtresses. […] Et cette différence nous frappe d’autant plus que, dans tout le cours de cette histoire, qui a la juste prétention d’être fidèle et impassible comme un miroir, l’historien n’a pas songé une minute à la faire saillir. […] Lerminier assure avec juste raison que tout cela n’épargna pas une seule faute à un État quelconque de cette Grèce, livrée à ses passions.

69. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre V. Figures de construction et figures de pensées. — Alliances de mots et antithèses »

Voici une large période qui n’est au fond qu’une antithèse : Cent mille hommes criblés d’obus et de mitraille, Cent mille hommes couchés dans un champ de bataille, Tombés pour leur pays par leur mort agrandi, Comme on tombe à Fleurus, comme on tombe à Lodi, Cent mille ardents soldats, héros et non victimes, Morts dans un tourbillon d’événements sublimes, D’où prend son vol la fière et blanche Liberté, Sont un malheur moins grand pour la société, Sont pour l’humanité, qui sur le vrai se fonde, Une calamité moins haute et moins profonde, Un coup moins lamentable et moins infortuné Qu’un innocent, un seul innocent, condamné, Dont le sang ruisselant sous un infâme glaive, Fume entre les pavés de la place de Grève, Qu’un juste assassiné dans la forêt des lois, Et dont l’âme a le droit d’aller dire à Dieu : “Vois ! […] Considérée dans son juste emploi, non dans son excès, l’antithèse ramasse dans une phrase courte et condensée les pensées qu’elle oppose : moins il y a de mots, plus le contraste ressort, et il semble qu’en l’étendant on met entre les idées un tampon qui en affaiblit le choc. […] Ici la faute est juste et la loi criminelle ; Le prince pèche ici bien plus que le rebelle ; J’offense justement un injuste pouvoir Et ne crains pas la mort qui punit le devoir…..

70. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 328-330

On trouve dans ses Considérations sur l’origine & la décandence des Lettres, chez les Romains, des vûes souvent profondes, & des réflexions assez justes ; mais un Ouvrage de cette nature exigeoit une finesse d’observation, & un discernement exquis, dont M. […] Par ce moyen, en jugeant des différens symptomes, en comparant le caractere des Ouvrages d’un temps avec le caractere de ceux d’un autre, il seroit facile de savoir au juste si la maniere actuelle est préférable à celle qui l’a précédée.

71. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Proudhon » pp. 29-79

L’Antiquité avait fait l’homme fier ; l’Église, l’homme bon (qu’il appelle le bonhomme, par stupide moquerie) ; mais l’avenir produira l’homme juste. […] Qu’est-ce que l’homme juste ? […] n’est pas chrétienne, à ce juste de la Révolution ! […] On dirait à beaucoup plus juste titre le vertueux et incorruptible Proudhon, qui n’a pas, lui, pataugé dans la fange de l’action politique, et qui n’a pas de fleuves de sang sur les mains. […] Le Christianisme seul, dans le cours des siècles, a répondu aux épouvantes des législations en donnant à la femme sa place juste dans l’organisation du monde.

72. (1858) Du vrai, du beau et du bien (7e éd.) pp. -492

Kant, affligé du scepticisme de son temps, se proposa de l’arrêter en lui faisant une juste part. […] Renfermons bien notre pensée dans ses justes limites. […] Elle est juste l’art opposé à la sculpture, qui porte moins vers l’infini, parce que tout en elle est arrêté avec la dernière précision. […] Il n’en a pu sentir la justice, puisqu’il n’y a rien de juste en soi. […] Le désir en est juste l’opposé.

73. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre VI. Voltaire historien. »

Voltaire écrit pour son couvent. » Ce jugement, appliqué au Siècle de Louis XIV et à l’Histoire de Charles XII, est trop rigoureux ; mais il est juste, quant à l’Essai sur les Mœurs des nations 172. […] Comment Voltaire, avec tant de goût et un esprit si juste, ne comprit-il pas le danger d’une lutte corps à corps avec Bossuet et Pascal ?

74. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 21, de la maniere dont la réputation des poëtes et des peintres s’établit » pp. 320-322

Elles seroient bien-tôt estimées à leur juste valeur si le public étoit aussi capable de défendre son sentiment et de le faire valoir, qu’il sçait bien prendre son parti. […] Ce premier temps écoulé, le public apprétie un ouvrage à sa juste valeur, et il lui donne le rang qu’il mérite, ou bien il le condamne à l’oubli.

75. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Essai sur l’Histoire générale des sciences pendant la Révolution française. »

Succédant à la génération puissante et féconde des Lagrange, des Laplace, des Monge, venant aussitôt après en tête des générations qui comptèrent avec honneur dans leurs rangs les Poisson, les Malus, les Gay-Lussac, les Ampère, les Poinsot, les Cauchy, les Fresnel, les Arago, il embrassa par l’étendue et la curiosité de son esprit la totalité des connaissances et des découvertes de ses devanciers et de ses contemporains ; il prit une part active, incessante, à tous les travaux de la science de son temps par ses recherches, par ses perfectionnements, par ses applications et ses allées et venues fréquentes d’une branche à l’autre, par ses remarques diverses, multipliées, et ses additions successives, par ses exposés et ses traités généraux que distinguent la netteté et même l’élégance ; mais il inventa peu, moins qu’aucun de tous ceux que je viens de nommer, et dont quelques-uns n’étaient peut-être pas appréciés par lui à leur juste valeur. […] Il me le disait encore tout récemment à l’occasion des Mémoires de M. de Candolles : il ne comprenait pas qu’on occupât ainsi le public de soi ; je ne donne pas cette opinion comme juste, mais comme sienne. […] L’intelligence humaine en possession des méthodes modernes, de ces méthodes précises et graduelles « qui lui donnent non des ailes pour l’égarer, mais des rênes qui la dirigent, » y reçoit des hommages qui ne sont, à les bien prendre, qu’un juste et fier encouragement. […] Il y dit des choses très justes. […] Toutes les critiques qu’il adresse à Chateaubriand dans ce même article sont justes, excepté une seule.

76. (1881) Études sur la littérature française moderne et contemporaine

Son jugement est juste et délicat, avec une finesse d’esprit qui est le résultat de la réflexion. […] On s’en fera une idée juste en prenant exactement le contre-pied des tendances d’Alfred de Musset. […] Ne restreignons pas la portée d’un éloge si juste. […] L’auteur leur a fait dans son récit une large et juste place. […] « Vous n’êtes pas justes envers les choses, écrit-il à Virieu en décembre 1830.

77. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 544-547

C’est le sacré lien de la Société, Le premier fondement de la sainte équité, Le frein du scélérat, l’espérance du juste. […] Plus ce Raisonneur sera juste, honnête, vertueux, plus il aura à gémir de l’impunité des crimes qui l’environnent, des méchans qui l’accablent, des iniquités dont il sera la victime.

78. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [II] »

Ce que c’était qu’être classique au sens où l’avait conçu Du Bellay, et comme on l’a été en France jusqu’au temps de notre jeunesse, nous le savons tous, nous qui y avons passé et qui en avons été témoins ; mais nos neveux, je le crains, ne le sauront plus bien et auront peine à se le figurer dans la juste mesure. […] Les jugements auxquels on était le plus accoutumé se retournent ; on en est venu à découvrir bien souvent dans les mêmes choses juste le contraire de ce qu’on y avait vu précédemment. […] L’idée de traiter notre idiome vulgaire à l’aide du latin, comme le latin, depuis les Scipions, a été traité et perfectionné à l’aide du grec, est fort juste. […] On transporte, on charrie les choses, mais pour le style, pour l’élocution, « cette partie, certes la plus difficile et sans laquelle toutes autres choses restent comme inutiles et semblables à un glaive encore couvert de sa gaine », comment en prendre une juste et lumineuse idée chez les traducteurs ? […] En tout, Du Bellay, malgré son ardeur et son enthousiasme, reste dans une assez juste mesure.

79. (1694) Des ouvrages de l’esprit

Il faut chercher seulement à penser et à parler juste, sans vouloir amener les autres à notre goût et à nos sentiments ; c’est une trop grande entreprise. […] Elles trouvent sous leur plume des tours et des expressions qui souvent en nous ne sont l’effet que d’un long travail et d’une pénible recherche ; elles sont heureuses dans le choix des termes, qu’elles placent si juste, que tout connus qu’ils sont, ils ont le charme de la nouveauté, semblent être faits seulement pour l’usage où elles les mettent ; il n’appartient qu’à elles de faire lire dans un seul mot tout un sentiment, et de rendre délicatement une pensée qui est délicate ; elles ont un enchaînement de discours inimitable, qui se suit naturellement, et qui n’est lié que par le sens. […] Il semble qu’il y ait plus de ressemblance dans ceux de Racine, et qui tendent un peu plus à une même chose ; mais il est égal, soutenu, toujours le même partout, soit pour le dessein et la conduite de ses pièces, qui sont justes, régulières, prises dans le bon sens et dans la nature, soit pour la versification, qui est correcte, riche dans ses rimes, élégante, nombreuse, harmonieuse : exact imitateur des anciens, dont il a suivi scrupuleusement la netteté et la simplicité de l’action ; à qui le grand et le merveilleux n’ont pas même manqué, ainsi qu’à Corneille, ni le touchant ni le pathétique. […] Les esprits justes, et qui aiment à faire des images qui soient précises, donnent naturellement dans la comparaison et la métaphore. […] Les esprits justes, doux, modérés, non seulement ne les atteignent pas, ne les admirent pas, mais ils ne les comprennent point, et voudraient encore moins les imiter ; ils demeurent tranquilles dans l’étendue de leur sphère, vont jusques à un certain point qui fait les bornes de leur capacité et de leurs lumières, ils ne vont pas plus loin, parce qu’ils ne voient rien au-delà ; ils ne peuvent au plus qu’être les premiers d’une seconde classe, et exceller dans le médiocre.

80. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « VICTORIN FABRE (Œuvres mises en ordre par M. J. Sabbatier. (Tome II, 1844.) » pp. 144-153

Les anciens expliquaient aux plus jeunes de quoi il s’agissait au juste : était-ce un grand écrivain, décidément, qui nous revenait de Jaujac ? […] Il semblait croire, plus qu’il ne devait être permis depuis les déceptions de 89, à la puissance de la vérité pure, à l’influence d’une idée juste une fois imprimée quelque part. […] Que si, rabattant de ces illusions de famille, nous venons à peser à leur juste valeur les œuvres de Victorin Fabre (je ne parle que de celles qui sont publiées), nous trouvons qu’il mérite, en effet, une mention honorable dans la littérature des premières années du siècle.

81. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VII. De la littérature latine, depuis la mort d’Auguste jusqu’au règne des Antonins » pp. 176-187

On ne trouve donc point, dans les écrits de ce temps, le caractère qu’imprime toujours l’espoir d’être utile, cette juste mesure qui a pour but de déterminer une action, d’amener par la parole un résultat actuel et positif. […] Si l’imprimerie avait existé, les lumières et l’opinion publique acquérant chaque jour plus de force, le caractère des Romains se serait conservé, et avec lui la nation et la république ; on n’aurait pas vu disparaître de la terre ce peuple qui aimait la liberté sans insubordination, et la gloire sans jalousie ; ce peuple qui, loin d’exiger qu’on se dégradât pour lui plaire, s’était élevé lui-même jusqu’à la juste appréciation des vertus et des talents pour les honorer par son estime ; ce peuple dont l’admiration était dirigée par les lumières, et que les lumières cependant n’ont jamais blasé sur l’admiration. […] L’esclavage qui mettait une classe d’hommes hors des devoirs de la morale, le petit nombre des moyens qui pouvaient servir à l’instruction générale, la diversité des sectes philosophiques qui jetait dans les esprits de l’incertitude sur le juste et l’injuste, l’indifférence pour la mort, indifférence qui commence par le courage et finit par tarir les sources naturelles de la sympathie ; tels étaient les divers principes de la cruauté sauvage qui a existé parmi les Romains.

82. (1914) En lisant Molière. L’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

Cela est juste surtout de la première moitié du règne. […] Or Orgon est assez abêti pour encourager toutes les audaces ; et tout est juste. […] Et il est tombé très juste, plus que tel autre très grand. […] Mais pourquoi le prenez-vous juste à ce moment-là, qui est exceptionnel ? […] Cela est juste.

83. (1772) Éloge de Racine pp. -

Quand il s’agit d’être juste envers le génie, je ne le serai pas à demi : je ne craindrai pas de heurter des erreurs qui ont acquis du crédit à force d’avoir été répétées. […] Je suis loin de vouloir affaiblir ce juste sentiment de reconnaissance et d’admiration qui consacre parmi nous le nom de Corneille. […] Corneille ne paraît pas avoir eu une juste idée de tout le travail que demandent les vers. […] Soyons donc justes, et rendons gloire à la vérité et au génie. […] Vous vous écrierez alors dans votre juste admiration : quel art que celui qui me domine si impérieusement, que je ne puis y résister sans démentir mon propre coeur ; qui force ma raison même d’approuver des fictions qui m’arrachent à elle ; qui avec des douleurs feintes, exprimées dans un langage harmonieux et cadencé, m’émeut autant que les gémissemens d’un malheur réel ; qui fait couler, pour des infortunes imaginaires, ces larmes que la nature m’avait données pour des infortunes véritables, et me procure une si douce épreuve de cette sensibilité dont l’exercice est souvent si amer et si cruel !

84. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Étude sur la vie et les écrits de l’abbé de Saint-Pierre, par M. Édouard Goumy. L’abbé de Saint-Pierre, sa vie et ses œuvres, par M. de Molinari. — II » pp. 261-274

nous croissons du côté de la raison. » Ses idées, convenons-en (et notre ton médiocrement respectueux l’a déjà assez indiqué), ne sont jamais grandes ; un bon nombre, quoique très inégalement sont utiles et justes. […] Il énonce une chose juste, il propose une réforme utile, vous l’approuvez, il n’est pas content : pour la mieux établir et pour vous convaincre à satiété, il va s’amuser à énumérer les objections les plus futiles, se donnant le plaisir de les réfuter à son aise, une à une, premièrement, secondement…, vingt-huitièmement… Il ne s’arrêtera qu’après nous avoir accablés ; il tient à rester victorieux jusqu’au bout sur le papier, et à dormir sur le champ de bataille : dormir est bien le mot, surtout pour le lecteur. […] Dans ces mêmes pages (il faut être juste), Voltaire lui attribue pourtant l’honneur d’avoir fait substituer, à force d’avertissements, la taille tarifée à la taille arbitraire ; il revient encore ailleurs sur ce bienfait public dû aux travaux de l’abbé et sur le résultat qu’il obtint en cette seule matière. […] Mais si Bossuet pourtant s’oublie dans une oraison funèbre jusqu’à faire de l’ancien secrétaire d’État Le Tellier, de cet homme d’esprit doucereux et fin, une majestueuse figure de chef de justice et un pendant de L’Hôpital, on n’est pas fâché d’entendre l’abbé de Saint-Pierre réduire la figure à ses justes proportions, et mettant, comme on dit vulgairement, les pieds dans le plat, nous dire crûment : Il (Le Tellier) n’eut durant sa vie que le même but qu’ont les hommes du commun dans la leur, et ce but fut d’enrichir sa famille et d’augmenter son pouvoir tous les jours par des charges, par des emplois, par des alliances, par des richesses, par des dignités et surtout par la faveur du roi.

85. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Appendice. »

Enfin, cher Monsieur, vous lui avez rendu un juste hommage, et c’est ainsi qu’il n’y a plus qu’une presse et un genre de critique, la bonne en regard de la mauvaise, la vraie vis-à-vis de celle qui ne l’est pas. […] Elle disait toujours bien, parfaitement, en termes élégants et justes ; il n’y avait pas d’à peu près avec elle : je me figure que la maréchale de Luxembourg, tant vantée, devait s’exprimer ainsi. […] Cette publication a été, selon moi, une faute, car elle n’est propre qu’à donner une idée très-peu juste de la femme si distinguée dont l’excellence n’était pas en ce genre de littérature. […] Dans la vie si au hasard que je mène depuis des années et où j’obéis aux nécessités de chaque jour, j’ai gardé du moins et réservé un coin de ma vie antérieure : c’est une appréciation profonde et encore plus juste que reconnaissante des personnes si distinguées, si à part, que j’ai eu le bonheur de connaître et qui m’ont honoré de leur bonté en même temps qu’élevé par leur commerce.

86. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Gustave Flaubert » pp. 61-75

. — Selon nous, jamais succès ne fut plus juste. […] … II Madame Bovary est une idée juste, heureuse et nouvelle. […] Il en a fait la fille d’un paysan dans l’aisance, qui lui a donné tout juste ce qu’il faut d’éducation à une fausse demoiselle pour mépriser son bonhomme de père, s’il a dans sa grosse main le calus du manche de la charrue ou du pied de frêne et s’il fait des fautes de français. […] Salammbô, — pour laquelle les amis de l’auteur ont tiré tellement les cordes de toutes les grosses cloches qu’ils les ont cassées et qu’elles ne sonnent plus, — Salammbô est tombée définitivement dans le plus juste oubli.

87. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXI. De Thémiste, orateur de Constantinople, et des panégyriques qu’il composa en l’honneur de six empereurs. »

Le prince est, pour ainsi dire, forcé par son siècle ; la voix publique lui sert de loi ; d’ailleurs il s’honore lui-même, et alors il n’y a presque que de l’orgueil à être juste. […] Il décide d’après les mots et la lettre, exerçant, pour ainsi dire, une injustice juste. […] si vous vous apercevez que je vous trompe, si le moindre mensonge se mêle à mes paroles, élevez tous votre voix contre un lâche orateur ; repoussez-moi du sanctuaire de la sagesse, et ne permettez plus à celui qui l’outrage, d’oser en donner des leçons ; mais si toutes les fois que je louerai, je dis la vérité, ne regardez pas comme une vile flatterie ce qui est un juste éloge. […] Valens, qui ne manqua jamais une occasion d’être cruel, sous prétexte d’être juste, l’avait fait traîner dans les prisons, où il souffrit tous les tourments que notre justice barbare ne compte pour rien, parce que ces tourments ne sont point la mort.

88. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIIe Entretien. Montesquieu »

Il faut lui payer un grand et juste hommage pour ce courage, supérieur encore à l’entendement. […] Dire qu’il n’y a rien de juste ni d’injuste que ce qu’ordonnent ou défendent les lois positives, c’est dire qu’avant qu’on eût tracé de cercle, tous les rayons n’étaient pas égaux. […] « Les mesures qu’il prit furent justes. […] Tout ce qu’il dit sur la famille, en Orient, est dépourvu de notions vraies et justes. […] Le meilleur tireur n’est pas celui qui vise au blanc et qui fait un grand bruit avec son arme, mais celui qui vise juste et qui atteint l’objet qu’il s’est proposé.

89. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 451-455

Ses Couplets joignent au mérite de l’agrément, celui d’une critique de nos mœurs, aussi juste qu’ingénieuse. […] Contre un juste Public un Auteur révolté Se croit un Bel-Esprit, malgré son ignorance.

90. (1904) Propos littéraires. Deuxième série

Bourdeau est très juste pour les Maximes. […] Le système reste pour moi plus spécieux que juste. […] Est-ce une idée juste ? […] Rien de plus juste. […] Gibon qui écrit : « Esprit juste et sérieux.

91. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres complètes de Buffon, revues et annotées par M. Flourens. » pp. 55-73

On aime à savoir où ce grand écrivain et ce grand esprit s’est trompé et a décidé trop à la légère avant de bien savoir ; où il a été épigrammatique et injuste envers des prédécesseurs illustres et considérables ; où il a donné dans l’hypothèse pure et hasardée ; où il a deviné juste par étendue d’esprit et par aperçu de génie ; on aime à saisir avec précision sa marche progressive, à mesurer sa prise de possession graduelle de son sujet, à noter l’endroit certain où il devient complètement naturaliste, de physicien qu’il était en commençant. […] Buffon, à ses débuts, ne fut pas plus juste pour Réaumur que pour Linné. […] Mais dans l’article de l’âne, dans celui du chien, il arrive aux idées essentielles de la science, à rechercher et à déterminer au juste en quoi consiste l’espèce, et quel en est le signe distinctif. […] Isidore Geoffroy Saint-Hilaire s’est occupé avec étendue de Buffon ; une comparaison qu’il établit de l’éloquent historien de la nature avec Linné, et où il marque vivement les contrastes des deux génies, se termine en ces termes : Linné, un de ces types si rares de la perfection de l’intelligence humaine, où la synthèse et l’analyse se complètent dans un juste équilibre, et se fécondent l’une l’autre : Buffon, un de ces hommes puissants par la synthèse, qui, franchissant d’un pied hardi les limites de leur époque, s’engagent seuls dans les voies nouvelles, et s’avancent vers les siècles futurs en tenant tout de leur génie, comme un conquérant de son épée ! […] Quelques erreurs ne doivent pas nous empêcher de lui payer un juste tribut d’admiration, de respect et surtout de reconnaissance ; car les hommes lui devront longtemps les doux plaisirs que procurent à une âme jeune encore les premiers regards jetés sur la nature, et les consolations qu’éprouve une âme fatiguée des orages de la vie en reposant sa vue sur l’immensité des êtres paisiblement soumis à des lois éternelles et nécessaires.

92. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — II. (Fin.) » pp. 198-216

Par conséquent, homme sensuel qui ne renoncez à la vie future que parce que vous craignez les justes supplices, n’espérez plus au néant ; non, non, n’y espérez plus : voulez-le, ne le voulez pas, votre éternité vous est assurée. […] Il abonde et déborde chaque fois dans son propre sens, et ne rentre ensuite dans le juste que lorsqu’on lui a opposé de tous côtés des contradictions et des digues, et qu’on l’a forcé à se réduire, à se modérer. […] Louis XIV eut de tout temps la parole la plus juste, de même qu’il avait, dit-on, la rectitude et la symétrie dans le coup d’œil. […] Maintenant, il est juste de dire que dans ces sermons ou discours prononcés par Bossuet de 1661 à 1669 et au-delà, — dans presque tous, il y a des endroits admirables, et qui pour nous autres lecteurs de quelque ordre que nous soyons, sont tout autrement émouvants que les sermons lus aujourd’hui de Bourdaloue. […] Et sur cet homme petit en soi et honteux de sa petitesse, qui travaille à s’accroître, à se multiplier, qui s’imagine qu’il incorpore tout ce qu’il amasse et ce qu’il acquiert : Tant de fois comte, tant de fois seigneur, possesseur de tant de richesses, maître de tant de personnes, ministre de tant de conseils, et ainsi du reste : toutefois, qu’il se multiplie tant qu’il lui plaira, il ne faut toujours pour l’abattre qu’une seule mort… Dans cet accroissement infini que notre vanité s’imagine, il ne s’avise jamais de se mesurer à son cercueil, qui seul néanmoins le mesure au juste.

93. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Connaissait-on mieux la nature humaine au XVIIe siècle après la Fronde qu’au XVIIIe avant et après 89 ? »

J’accorderai d’abord tout ce qui me paraît juste. […] Les lumières proprement dites, dans l’idée desquelles entre la pensée du bien public, de l’amélioration de l’homme en société, d’une constitution plus juste, d’une manière de penser plus saine et plus naturelle, ne vinrent que peu à peu, et d’abord à l’état de vœu, de rêve et un peu de chimère. Ce fut l’œuvre du xviiie  siècle tout entier de mûrir, de rassembler, de coordonner, de propager ces vues plus justes, plus salutaires et tendant à une civilisation meilleure. […] Il semblait plus facile, avec des intentions droites et des idées justes, de faire le bien des hommes et des peuples que cela ne s’est vérifié, au fait et au prendre ; on ne comptait assez ni avec les passions, ni avec les intérêts, ni avec les vices. […] Or, les idées de bon sens, de tolérance, de réforme, civile, les idées justes, exclusives des vieux préjugés et vraiment libératrices des esprits, circulaient, étaient partout au xviiie  siècle, tandis qu’elles étaient rares, étouffées, contraintes, et n’existaient que dans quelques têtes durant la dernière et même la première moitié du règne de Louis XIV.

94. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français, et de la question des anciens et des modernes, (suite et fin.) »

Il est juste que nous soyons aussi au premier rang dans les, combats, afin que chacun des nôtres dise, en nous voyant : S’ils font la meilleure chère et boivent le vin le plus doux, ils ont aussi l’énergie et la force quand ils combattent à notre tête. » — Et il ajoute, dans un sentiment bien conforme à l’héroïsme naïf de ces premiers temps, avant l’invention du point d’honneur chevaleresque : « Ô mon cher, si nous devions, en évitant le combat, vivre toujours jeunes et immortels, ni moi-même je ne combattrais au premier rang, ni je ne t’engagerais, toi aussi, à entrer dans la mêlée glorieuse ; mais maintenant, puisque mille chances de mort sont suspendues sur nos têtes, sans qu’il soit donné à un mortel ni de les fuir ni de les éviter, allons, soit que nous devions fournir à d’autres le triomphe, soit qu’ils nous le donnent !  […] Grote, sur Alcée et Sapho, sur Théocrite, sont d’un esprit juste et net, ferme et prudent, qui sait et qui pense, et aussi d’une plume qui dit ce qu’elle veut et comme elle le veut. […] Pour avoir descendu un moment de leur piédestal ces demi-dieux et les avoir mesurés d’aussi près que possible, leurs statues et leurs bustes ne sont pas tombés en poussière : redressons-les de nouveau, et hâtons-nous de les replacer sur leur base de marbre, à leur juste hauteur. […] Ce n’est là rien de plus qu’un juste tribut payé à leur renommée ; en d’autres termes, c’est la modestie convenable à tout individu de penser que son jugement inexpérimenté est sujet à se méprendre plutôt que la voix unanime du public. […] Que l’admiration de nous à eux, des modernes aux vrais Anciens, à ceux qui ont le mieux connu le beau, s’entretienne de phare en phare, de colline en colline, et ne s’éteigne pas ; que l’enthousiasme de ce côté n’aille pas mourir, — ce serait une diminution du génie humain lui-même ; — non un enthousiasme crédule, aveugle et indigne d’eux comme de nous, mais un enthousiasme léger, clairvoyant, intelligent, divinateur et réparateur, qui n’est que l’émotion la plus délicate et la plus vive en face de tant de belles choses, accomplies une fois en leur juste cercle et à jamais disparues.

95. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid. »

En remontant à quelques années en arrière, je rencontre sur Corneille quelques ouvrages littéraires qu’il n’est que juste de rappeler quand on parle de lui : Et d’abord le Corneille et son temps de M. Guizot48, un travail datant de 1813, réimprimé en 1852 avec corrections et additions, et dans lequel l’éminent auteur, sans tant creuser, sans tant raffiner et renchérir qu’on l’a fait depuis, a su rassembler dans un juste cadre et dans une proportion raisonnable les idées vraies, les considérations importantes et les documents intéressants qui font connaître une grande nature de poète. […] Mais le mot véritable est différent, et il est plus juste : « Si Corneille eût vécu de mon temps, je l’eusse fait prince » ; c’est-à-dire je l’eusse honoré, aussi grandement honoré que possible. […] Goethe, comme toujours, était plus juste, et, le seul peut-être de son pays, il s’est occupé de Corneille avec une sympathie intelligente et en voulant bien entrer dans son génie. […] La première idée (il est juste de la lui rapporter) en était venue à M. 

96. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Observations sur l’orthographe française, par M. Ambroise »

Il est d’avis de ne pas s’arrêter sans doute à l’orthographe impertinente de Ramus, mais aussi de ne pas s’asservir à l’ancienne orthographe, « qui s’attache superstitieusement à toutes les lettres tirées des langues dont la nôtre a pris ses mots » ; il propose un juste milieu : ne pas revenir à cette ancienne orthographe surchargée de lettres qui ne se prononcent pas, mais suivre l’usage constant et retenir les restes de l’origine et les vestiges de l’antiquité autant que l’usage le permettra. […] émotionner, dans ce cas-là, je le demande, n’est-il pas français et selon l’acception la plus juste ? […] » Donc il y a des cas où le mot est juste, où il est plus à sa place que tout autre. […] Mais je conviens que sur cette pente il y a à prendre garde et qu’il est un point où il est juste de s’arrêter. […] Mais commettre cette ânerie pour le mot même qui répond juste à bien écrire, convenez que c’est jouer de malheur.

97. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. le Cte Alfred de Vigny à l’Académie française. M. Étienne. »

Les discours de réception se ressentirent de la publicité dès le premier jour : « Mais j’élève ma voix insensiblement, disait Fléchier, et je sens qu’animé par votre présence, par le sujet de mon discours (l’éloge de Louis XIV), par la majesté de ce lieu (le Louvre), j’entreprends de dire foiblement ce que vous avez dit, ce que vous direz avec tant de force… » Dès ce moment, le ton ne baissa plus ; la dimension du remercîment se contint pourtant dans d’assez justes limites, et la harangue, durant bien des années, ne passa guère la demi-heure. […] C’est là un trait juste, et nous nous hâtons de le saisir. […] Mais sur les autres sujets un peu mixtes et par les autres œuvres qui atteignent les bons esprits dont je parle, dans ces matières qui sont communes à tous ceux qui pensent, et où ces hommes de sens et de goût sont les excellents juges, prouvons-leur aussi que, tout poëtes que nous sommes, nous voyons juste et nous pensons vrai : c’est la meilleure manière, ce me semble, de faire honneur auprès d’eux à la poésie, et de lui concilier des respects ; c’est une manière indirecte et plus sûre que de rester poëtes jusqu’au bout des dents, et de venir à toute extrémité soutenir que nos vers sont fort bons . […] C’est qu’en effet il est de ces choses qu’on ne peut entendre sans laisser échapper un mot de rappel : elles sont comme une fausse note pour une oreille juste. […] quand on a la voix belle, pourquoi ne pas chanter juste toujours ?

98. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre I. François Rabelais »

On voit que l’ordure de Rabelais est tout juste l’opposé de la gravelure du xviiie  siècle, qui a sa raison au contraire dans la notion d’une indécence positive des choses désignées. […] Il faut ajouter, pour être juste, que de ce même culte de la vie, de cette même joie d’être sortira une égalité sereine de l’âme. […] Juste, 1535. […] Juste, Lyon, 1535. […] Juste, 1542 ; Lyon, E.

99. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — II. » pp. 494-514

Malouet lui écrivait en 1791 : « Nous qui raisonnons juste, nous ne rencontrons presque jamais avec précision aucun événement, parce que les actions des hommes ont fort peu de ressemblance aux bons raisonnements. » Cela est vrai pour tous les peuples et pour tous les hommes ; mais cela est encore plus vrai en France, car la nature française résume en elle avec plus de rapidité et de contraste les défauts et peut-être aussi les qualités de l’espèce. Mallet du Pan appartenait à ce groupe de constitutionnels dont les chefs à l’Assemblée constituante, Mounier, Malouet, Lally, voulurent en 1789 quelque chose d’impossible, mais d’infiniment honorable, le juste accord de la monarchie avec la liberté ; on peut dire que Louis XVI, en tant qu’il pensait et voulait par lui-même, était de cette nuance. […] Il est pourtant deux traits d’exception à cet égoïsme presque universel, et Mallet les relève, comme il est juste de les relever aussi : 1º le peuple, ce qu’il appelle le bas peuple (mais cela s’étend très loin), n’a pas cessé, selon lui, d’être atteint de son hydrophobie, il n’en est nullement revenu : « C’est toujours un animal enragé, dit-il, malgré sa misère profonde. » Cette rage qui survit même à la souffrance et à la misère, c’est la soif de l’égalité et la haine du tyran. […] Ce n’était point par un coup de main, fût-il heureux, qu’on pourrait faire face et satisfaire à tant d’intérêts et de sentiments de nouvelle espèce et de formation récente : « Les coups de main sont pernicieux tant qu’on n’a point pourvu à leur lendemain » ; et un succès partiel n’entamerait point la République, « à moins qu’en même temps et avant tout on ne frappât juste sur les esprits et les intérêts, en saisissant le point de conciliation auquel on peut espérer d’amener les volontés et les efforts ». […] Il est difficile d’avoir l’esprit plus juste, plus formé, plus éclairé, de mieux parler, de montrer plus de sens, de connaissances, une politesse plus attirante et plus simple.

100. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre III : La littérature du xviiie et du xixe  siècle »

Enfin il est facile de voir que la critique classique s’est réconciliée avec la critique romantique dans ce que celle-ci avait de judicieux et de conforme au bon goût, lorsqu’on lit ce jugement si délicat et si juste de M.  […] Il est de ce beau temps des lettres françaises par la mesure, les images modérées et justes, par l’éclat doux et égal, par les beautés antiques pensées et senties de nouveau, par le style, où il a la noblesse du grand siècle sans en avoir l’étiquette. […] Il est juste, libéral, humain, dès qu’il veut que tout le monde soit de même. […] Néanmoins, dans l’incrédulité de son siècle, avoir eu un sentiment si juste et si élevé du christianisme, n’est-ce pas le signe d’une âme largement douée pour le beau ? […] Montesquieu lui-même paraît avoir plutôt un sentiment juste des convenances qu’un respect réfléchi de la loi.

101. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre V. Seconde partie. Des mœurs et des opinions » pp. 114-142

Pour apprécier au juste ce qu’une telle cause a pu jusqu’à présent produire de modifications, il faudrait remonter aux époques et aux modes des différentes réunions à la couronne de France, ce qui nous mènerait beaucoup trop loin. […] Dans un pays où le bien-être social consiste en des choses de délicatesse et de goût, où l’existence intime repose sur l’honneur, où les discours légers ont tant de gravité, où les interprétations d’une conduite exempte de tout reproche peuvent être si fatales, ou les femmes sont tellement mêlées à la société, et y mêlent tellement toutes les sortes de susceptibilités, et j’oserais dire toutes les sortes de pudeur, où tous les amours-propres sont toujours éveillés et si facilement irritables ; dans un tel pays, avouons-le, la médisance devient de la calomnie, les écrits indiscrets feront des blessures profondes que nulle puissance au inonde ne pourra guérir, la censure deviendra un tribunal public dont les arrêts justes ou injustes seront trop souvent des outrages. […] L’égalité ne sera pas même parmi les justes dans le séjour de la félicité qui leur est préparée, car il est dit dans l’Évangile : « Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père. » L’égalité est dans la société, sauf la différence des fortunes, sauf la différence des rangs, sauf la différence des facultés, sauf enfin l’inégalité. […] Ce que je voudrais que l’on sentît aussi, c’est que nous n’avons point de reproche juste à faire à ce qui a précédé, car cela ne pouvait pas être autrement. […] On a voulu, pour suppléer aux mœurs de cette dernière classe, y faire pénétrer les lumières, c’est-à-dire renforcer encore le principe intelligent aux dépens mêmes, s’il le faut, du principe moral : voilà tout juste où nous en sommes.

102. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre septième »

Des genres et des écrivains que Louis XIV a moins goûtés, et s’il est juste d’appeler le dix-septième siècle de Louis XIV. […] « Le roi, dit l’abbé de Choisy, est peut-être l’homme de son royaume qui pense le plus juste, et qui s’explique le plus agréablement. […] Au surplus, que ne s’en rapporte-t-on aux écrivains eux-mêmes, à titre d’esprits justes et d’honnêtes gens ? […] On risquerait d’être moins juste que ne l’ont été les auteurs mêmes de ces chefs-d’œuvre. […] Des genres et des écrivains que Louis XIV a moins goûtés et s’il est juste d’appeler le dix-septième siècle le siècle de Louis XIV.

103. (1907) Propos de théâtre. Quatrième série

Je ne vois rien en lui qui ne soit parfaitement juste. […] dit Chateaubriand, c’est juste ; nous avons aujourd’hui tant de sensibilité !  […] Les deux princes — ce qui est très juste — sont aussi entêtés l’un que l’autre. […] La mise en scène est très belle et très juste. […] Ceci est bon, ceci est juste, et nous le comprenons.

104. (1874) Premiers lundis. Tome II « L. Aimé Martin. De l’éducation des mères de famille, ou de la civilisation du genre humain par les femmes. »

Son livre repose sur cette vue très juste que dans le relâchement actuel de tous les liens et de toutes les disciplines, l’affection de la femme, de la mère, est ce qui reste de plus puissant sur les jeunes âmes et de plus tendrement respecté. […] Il y a semé des aperçus justes, des observations élevées ; il a animé un sujet grave de mouvements honnêtes et généreux ; son style et sa parole sont restés fidèles à l’harmonie de ses maîtres.

105. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 516-521

Comme cet Ouvrage, qui suppose autant de connoissances que d'application, peut être infiniment utile à la jeune Noblesse & à tous les Militaires curieux d'avoir une juste idée du Corps Germanique, nous saisissons cette occasion de le faire connoître ; & nous ne pouvons mieux y réussir, qu'en rapportant la Lettre d'un Ambassadeur de l'Empire d'Allemagne, adressée à l'Auteur même qui lui en avoit envoyé un exemplaire. […] Vous rendez par cet Atlas un service essentiel à tous ceux qui désireront avoir une idée juste de la constitution de l'Allemagne, & les notions élémentaires que vous en donnez faciliteront les moyens d'en faire une étude suivie, en remontant aux sources où vous avez puisé.

106. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Préface »

Il ne s’agit que de frapper juste toute pierre, si roulée et même si salie qu’elle soit dans les ornières de la vie, pour en faire jaillir le feu sacré ; seulement, pour frapper ce coup juste, il faut la suprême adresse de l’instinct qui est le génie, ou l’adresse de seconde main de l’expérience, qui est du talent plus ou moins cultivé.

107. (1860) Cours familier de littérature. X « LXe entretien. Suite de la littérature diplomatique » pp. 401-463

Je n’eus que l’honneur d’avoir pris, avec tous mes collègues, l’initiative d’une pensée juste qui était dans la raison publique. […] Examinons l’état de l’Europe à la minute juste où le temps et les événements nous ont porté. […] Si la diplomatie civilisée n’a point ce principe dirigeant dans ses conseils, ce n’est plus la diplomatie : c’est la barbarie, la violence, l’astuce, l’ambition, l’égoïsme national, bouleversant partout et sans cesse les sociétés humaines, et ne reconnaissant de juste que son intérêt, de morale que la victoire. […] Le temps est lent, mais il est juste. […] Ces vues étaient si justes que l’Autriche se trouva entraînée à nous suivre en Russie, même dans notre folie : à plus forte raison nous eût-elle suivis dans notre raison et dans notre droit.

108. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Discours préliminaire, au lecteur citoyen. » pp. 55-106

On pourroit dire cependant au Philosophe, qu’autant les gens sages sont prêts à condamner les guerres d’ambition, autant il est nécessaire de soutenir quelquefois des guerres justes, soit pour la défense de l’Etat, soit pour le maintien de sa gloire. […] Si je n’ai pas cédé aux clameurs de mes ennemis, qui ne défendoient que les principes & les défauts contre lesquels j’ai dû m’élever sans cesse, j’ai senti combien il étoit doux pour moi de déférer aux critiques justes & honnêtes de quelques amis, qui n’ont voulu que m’éclairer & m’encourager. […] Les Philosophes s’arrogent non seulement le privilége de diffamer leurs adversaires, ils prétendent encore que c’est-là faire une action juste & louable. […] Voici pour sa justification : Mais qu’un homme de bien [l’expression est modeste] dénonce à la société l’ennemi & le calomniateur des talens, il fait une action honnête & juste. […] Depuis que ces hautes Intelligences s’appliquent à éclairer les hommes, elles ne leur montrent la vérité, qu’en leur faisant tirer des conséquences presque toujours aussi justes que celle que je viens d’indiquer.

109. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — I. » pp. 262-280

Mais ces exemples, trop tôt interrompus, n’avaient pas eu force de loi, et il fallut en effet le règne de Bourdaloue, durant plus de trente ans, pour inaugurer et établir dans le sermon la véritable et juste éloquence, digne en tout de l’époque de Louis XIV. […] Aujourd’hui, le genre de talent de Bourdaloue nous semble bien loin de prêter à de telles vivacités de couleurs, et, pour mieux essayer d’y pénétrer, je dirai d’abord l’effet assez général que cette éloquence produit à la lecture, et par quel effort, par quelle application du cœur et de l’esprit il est besoin de passer pour revenir et s’élever à la juste idée qu’il convient d’avoir de sa grandeur, de sa sobre beauté et de sa moralité profonde. […] Aujourd’hui, ces heureuses et vives qualités de l’orateur, parmi lesquelles il faut compter l’une des premières, « une voix pleine, résonnante, douce et harmonieuse », ont disparu, et l’écrivain seul nous reste, écrivain juste, clair, exact, probe comme sa pensée, mais qui n’a rien de surprenant. […] En terminant cette oraison funèbre, genre de discours pour lui tout nouveau, et dans lequel il ne demandait qu’à être supporté de son auditoire, il faisait une prière directe au ciel pour le prince de Condé présent : C’est pour ce fils et pour ce héros que nous faisons continuellement des vœux ; et ces vœux, ô mon Dieu, sont trop justes, trop saints, trop ardents, pour n’être pas enfin exaucés de vous ! […] Il en a un assez pareil dans le sermon qui ouvre son premier Avent, pour le jour de la Toussaint, lorsque voulant inspirer le désir et donner un avant-goût du bonheur réservé aux justes et auquel ils atteignent dès cette vie, il s’écrie : Avoir Dieu pour partage et pour récompense, voilà le sort avantageux de ceux qui cherchent Dieu de bonne foi et avec une intention pure.

110. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Béranger, recueillie par M. Paul Boiteau. »

Au reste, qui s’est trompé sur La Fontaine a bien pu se tromper sur Béranger. » J’ai rendu, j’ai reproduit fidèlement l’impression de quelques sincères amis du poëte, et il était juste qu’elle se fît jour pour la première fois dans sa vivacité ; car en tout ce qu’on avait imprimé jusqu’ici sur Béranger, on n’en avait pas tenu compte. […] Mais on en a bien assez pour se former dès à présent une juste et complète idée : la suite des lettres à M.  […] Vous voilà dans le vrai ; soyez heureux en faisant des heureux ; vous méritez un pareil sort : tous vos amis s’en féliciteront, et les vieux garçons comme moi, en voyant votre bonheur, regretteront de n’avoir pas su prendre la même route. » Avec des faiblesses et de légers travers, on le voit donc foncièrement ami des hommes et philanthrope dans le juste sens du mot, bien plus que politique. […] Les conseils qu’il donnait étaient un mélange de choses justes et insignifiantes, non décisives. […] Au contraire, le critique liseur, si je puis dire, celui qui, dans son fauteuil, reprenait pour la centième fois de vieux écrits et se mettait à penser tout haut en refermant le livre, c’est celui-là qu’il y avait plaisir à entendre et à faire causer : idées justes, idées fines ou hardies, boutades légères et inspirées, lui sortaient en foule à la fois.

111. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Mémoires de l’abbé Legendre, chanoine de Notre-Dame, secrétaire de M. de Harlay, archevêque de Paris. »

On saura désormais, grâce à son utile travail, tout ce qu’on peut savoir au juste sur les deux légendes qu’on est sujet à confondre, sur le Père Le Jeune de l’Oratoire, le Père Senault, et autres précurseurs plus ou moins oubliés. […] La Chaire française, en le perdant, ne fit point une grande perte ; mais M. de Harlay, en se l’attachant, fit une excellente acquisition, et l’abbé lui rendit plus d’un service, y compris celui de nous aider aujourd’hui à nous faire une plus juste idée de ses talents qu’un seul défaut obscurcissait. […] L’abbé Legendre, qui a écrit jusqu’à quatre Éloges de M. de Harlay, sans compter ce qu’il en dit dans ses Mémoires ; qui l’a loué une première fois en français, mais un peu brièvement40, une seconde fois en français encore41 et en s’attachant à ne mettre dans ce second morceau ni faits, ni pensées, ni expressions qui fussent déjà dans le premier ; qui l’a reloué une troisième fois en latin42, puis une quatrième et dernière fois en latin encore43, mais pour le coup avec toute l’ampleur d’un juste volume, Legendre a commencé ce quatrième et suprême panégyrique qui englobe et surpasse tous les précédents par un magnifique portrait de son héros ; je le traduis ; mais on ne se douterait pas à ce début qu’il s’agit d’un archevêque, on croirait plutôt qu’il va être question d’un héros de roman : « Harlay était d’une taille élevée, juste, élégante, d’une démarche aisée, le front ouvert, le visage parfaitement beau empreint de douceur et de dignité, le teint fleuri, l’œil d’un bleu clair et vif, le nez assez fort, la bouche petite, les lèvres vermeilles, les dents très bien rangées et bien conservées jusque dans sa vieillesse, la chevelure épaisse et d’un blond hardi avant qu’il eût adopté la perruque ; agréable à tous et d’une politesse accomplie, rarement chagrin dans son particulier, mangeant peu et vite ; maître de son sommeil au point de le prendre ou de l’interrompre à volonté ; d’une santé excellente et ignorant la maladie, jusqu’au jour où un médecin maladroit, voulant faire le chirurgien, lui pratiqua mal la saignée ; depuis lors, s’il voyait couler du sang, ou si un grave souci l’occupait, il était sujet à des défaillances ou pertes de connaissance, d’abord assez courtes, mais qui, peu à peu, devinrent plus longues en avançant : c’est ce mal qui, négligé et caché pendant plus de vingt ans, mais se répétant et s’aggravant avec l’âge, causa enfin sa mort. » L’explication que l’abbé Legendre essaye de donner des défaillances du prélat par suite d’une saignée mal faite est peu rationnelle : M. de Harlay était sujet à des attaques soit nerveuses, soit d’apoplexie plus probablement, dont une l’emporta. […] Il était le harangueur toujours prêt, toujours juste et à propos, tout à la circonstance, jamais ennuyeux.

112. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre (suite et fin) »

Les sentiments sont tout purs, tout désintéressés, ce qu’ils doivent être du moment qu’ils s’expriment ; les raisonnements généraux, de la manière dont ils sont présentés, paraissent justes ; ils s’appuient à d’excellentes maximes politiques : nous ne sommes pas très bons juges de l’application ni de bien des détails. […] Je ne puis m’empêcher de lui dire qu’il y a, dans toutes les parties de l’administration du gouvernement, une sorte d’engourdissement, d’indolence et d’insensibilité à laquelle il faut apporter le plus prompt remède, sans quoi, Sire, votre royaume est menacé de grands malheurs. » Suivaient des considérations et des recommandations générales fort justes ; mais tous ces conseils, reçus avec bienveillance et discutés même avec bon sens par Louis XV, profitaient peu pour la conduite. […] Il apporte dans les moindres choses une éloquence juste et précise. […] Fénelon n’était pas un flatteur ou il ne l’était qu’avec goût, lorsque dans son Mémoire sur les occupations de l’Académie française, et conseillant à la docte Compagnie de donner une Rhétorique et une Poétique, il disait : « S’il ne s’agissait que de mettre en français les règles d’éloquence et de poésie que nous ont données les Grecs et les Latins, il ne vous resterait plus rien à faire : ils ont été traduits… Mais il s’agit d’appliquer ces préceptes à notre langue, de montrer comment on peut être éloquent en français, et comment on peut, dans la langue de Louis le Grand, trouver le même sublime et les mêmes grâces qu’Homère et Démosthène, Cicéron et Virgile, avaient trouvés dans la langue d’Alexandre et dans celle d’Auguste. » Il y aurait à dire aux analogies, mais ce qui est certain, c’est que, s’il est naturel et juste de dire la langue de Louis XIV, il serait ironique et ridicule de dire la langue de Louis XV. […] Le plus souvent, le baromètre de l’avocat Barbier devine juste dans ses variations.

113. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Lettres de la marquise Du Deffand. » pp. 412-431

Puis on a Mme de Maintenon, esprit juste, tête saine, parole agréable et parfaite dans un cercle tracé. […] Les mots les plus vifs et les plus justes qu’on ait retenus sur les hommes célèbres de son temps, c’est elle qui les a dits. […] Je vous avoue qu’au sortir de là, si j’avais su où vous trouver, j’aurais été vous chercher ; il faisait le plus beau temps du monde, la lune était belle… On peut juger si Mme Du Deffand le plaisante sur cette lune ; elle réduit cet éclair de sentiment à sa juste valeur, et, tout en essayant de lui dire quelques paroles aimables elle livre la clef de sa propre nature au physique et au moral. […] Je viens de regarder d’assez près à cette relation de Walpole et de Mme Du Deffand, et je trouve qu’en général on n’est pas juste envers tous deux. […] Son jugement sur chaque sujet est aussi juste que possible : sur chaque point de conduite elle se trompe autant qu’on le peut ; car elle est tout amour et tout aversion, passionnée pour ses amis jusqu’à l’enthousiasme, s’inquiétant toujours qu’on l’aime, qu’on s’occupe d’elle, et violente ennemie, mais franche.

114. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Maintenon. » pp. 369-388

L’esprit de Louis XIV, on le sait, était très juste : mais, en vieillissant, cet esprit était juste sans mouvement et sans invention, et seulement en quelque sorte pour les choses qui lui étaient soumises, et dans les termes où elles lui venaient sur la table du Conseil : il n’allait pas les chercher de lui-même au-delà. L’esprit de Mme de Maintenon, très juste également, ne l’était aussi que dans un cercle restreint, pour les choses de famille et de société, pour ce qui se passait dans l’intérieur d’une chambre : elle ne voyait pas et ne prévoyait pas au-delà de la muraille. […] On n’a pas d’édition complète et tout à fait exacte de ses lettres, mais ce qu’on a permet d’asseoir un jugement et confirme ce qu’a si bien dit Saint-Simon de ce « langage doux, juste, en bons termes, et naturellement éloquent et court ». […] Tout tombe juste, il n’y a pas un pli dans ce style-là.

115. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le cardinal de Richelieu. Ses Lettres, instructions et papiers d’État. Publiés dans la Collection des documents historiques, par M. Avenel. — Premier volume, 1853. — II. (Fin.) » pp. 246-265

Tout le monde favorise la reine de ses vœux ; elle a tous les cœurs, elle a même bien des bras, et cependant elle va être vaincue en un clin d’œil : « Dieu le permit ainsi à mon avis, dit Richelieu, pour faire voir que le repos des États lui est en si grande recommandation qu’il prive souvent de succès les entreprises qui le pourraient troubler, quoique justes et légitimes. » Parlant du rôle de Richelieu en cet instant critique, quelques hommes du temps l’ont accusé d’avoir trahi les intérêts de la reine mère et des confédérés ; le duc de Rohan, ce grand fauteur de guerres civiles, l’accuse d’avoir exprès conseillé à la reine, dans une ville tout ouverte, cette défense tremblante. […] Mais pour ceux qui voudraient tirer parti contre notre nation de ses paroles, ajoutons que, selon lui, cette légèreté française porte souvent son remède en elle-même ; car, si elle nous jette souvent dans des précipices effroyables, elle ne nous y laisse pas, « et nous en tire si promptement, que nos ennemis, ne pouvant prendre de justes mesures sur des variétés si fréquentes, n’ont pas le loisir de profiter de nos fautes ». […] La rigueur est très dangereuse où personne n’est content ; la mollesse, où il n’y a point de satisfaction, l’est aussi ; mais le seul moyen de subsister est de marier la rigueur avec une juste satisfaction de ceux qu’on gouverne, qui aboutit à punition des mauvais et récompense des bons. […] Quelque ardent qu’ait été le caractère de Richelieu et son feu d’ambition, il reste évident que son esprit au fond est juste par essence et bien tempéré. Dans ses peintures morales, et dans l’examen des conditions qu’il exige des hommes appelés à être des conseillers politiques, il avait certainement en vue tel ou tel de ceux qu’il avait connus ; mais ses observations sont si justes et si fortes que, rien qu’à les transcrire ici, il semble encore aujourd’hui qu’on puisse mettre des noms propres au bas des qualités et des défauts : Les plus grands esprits, dit Richelieu, sont plus dangereux qu’utiles au maniement des affaires ; s’ils n’ont beaucoup plus de plomb que de vif-argent, ils ne valent rien pour l’État.

116. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — II. (Suite.) » pp. 147-161

Il sépare les gens de bien ; il fait que les uns se mettent avec choix au parti qu’ils estiment le plus juste, et que les autres se trouvent comme ravis et emportés par certains respects et mouvements secrets, qui sont au-dessus d’eux, dans le parti qu’ils approuvent quelquefois le moins. […] Ces pièces des étrangers, surprises et lues, donnèrent dès lors à Henri IV une idée juste de la conduite du président Jeannin, et il le lui dira plus tard. […] Villeroi, comme médecin social, a le sentiment juste des crises, des situations et des bons instants qu’il importe de saisir : Monsieur, dit-il en s’adressant à M. de Bellièvre dans son Apologie, c’est grande imprudence de perdre l’occasion de servir et secourir le public, principalement quand elle dépend de plusieurs ; car il advient rarement qu’elle se recouvre, parce qu’il faut peu de chose à faire changer d’avis à une multitude. […] Nous verrons le président dans son ambassade de Hollande se prononcer bien noblement au nom de son maître pour la cause de la tolérance et d’une juste liberté religieuse, et le continuateur de De Thou l’a grandement loué à ce sujet, comme l’eût fait de Thou lui-même s’il eût poussé jusque-là son Histoire.

117. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre premier. La critique et la vie littéraire » pp. 1-18

Sentir vif et juste, désirer s’expliquer et expliquer son sentiment, sont également nécessaires. […] La sincérité, c’est l’effort pour penser juste. […] Le père Thierry me conseillait l’indulgence systématique, non par habileté, mais par équité. « Vous serez tout de même complaisant pour vos amis : la justice veut donc que vous le soyez pour tous. » Il suffit, pensai-je, d’être juste même pour les compagnons. […] Que la sévérité n’est, en aucune façon, le dénigrement ; et que, s’il convient de faire bonne guerre aux défauts, il n’est que juste de reconnaître et de signaler les qualités.

118. (1761) Apologie de l’étude

Ne peut-on pas même espérer que leurs ouvrages, dispersés dans la foule des autres livres, obtiendront grâce pour le reste, comme autrefois un patriarche demandait grâce pour une ville coupable en faveur de quelques justes ? […] J’avouerai cependant, car il faut être juste, que dans ces archives de frivolité, d’erreur et d’ennui, j’ai distingué quelques historiens philosophes, quelques physiciens qui savent douter, quelques poètes qui joignent le sentiment à l’image, quelques orateurs qui unissent le raisonnement à l’éloquence ; mais le nombre en est trop petit, trop étouffé par le reste, pour me réconcilier avec cette vaste collection de livres : je la compare à ces tristes maisons, destinées à renfermer des insensés ou des imbéciles, avec quelques gens raisonnables qui les gardent, et qui ne suffisent pas pour embellir un pareil séjour. […] Si la critique est juste et pleine d’égards, vous lui devez des remerciements et de la déférence ; si elle est juste sans égards, de la déférence sans remerciements ; si elle est outrageante et injuste, le silence et l’oubli.

119. (1874) Premiers lundis. Tome II « Thomas Jefferson. Mélanges politiques et philosophiques, extraits de ses Mémoires et de sa correspondance, avec une introduction par M. Conseil — II »

Il admet dans l’homme un sens du juste qui nous a été donné pour nous diriger ; il regrette que le profond auteur du Commentaire sur l’Esprit des lois, ait emprunté sa base morale à Hobbes. […] Condorcet, dans son bel éloge de Franklin, où perce toutefois une velléité de réticence, n’a pu s’empêcher de dire de ce dernier : « Il croyait à une morale fondée sur la nature de l’homme, indépendante de toutes les opinions spéculatives, antérieure à toutes les conventions ; il pensait que nos âmes reçoivent dans une autre vie la récompense de leurs vertus et de leurs fautes ; il croyait à l’existence d’un Dieu bienfaisant et juste, à qui il rendait dans le secret de sa conscience un hommage libre et pur. » Tel fut aussi Jefferson, tel Washington ; tels ont dû être, en effet, sur cette terre d’Amérique, en présence de cette vaste nature à demi défrichée, au sein d’une société récente, probe, industrieuse, où les sectes contraires se neutralisaient, tels ont dû être ces grands et stables personnages, nourris à l’aise, au large, sous un ciel aéré, loin du bagage des traditions, hors des encombrements de l’histoire, et dont pour quelques-uns, comme pour Washington, par exemple, l’éducation première s’était bornée à la lecture, l’écriture et l’arithmétique élémentaire, à laquelle plus tard il avait ajouté l’arpentage. […] Une foule de pensées justes et d’observations frappantes ressortent de cette Correspondance et augmentent le trésor du lecteur : « Je ne crois pas avec les La Rochefoucauld et les Montaigne que les quatorze quinzièmes des hommes soient des fripons : je crois que cette proportion doit être singulièrement restreinte en faveur de l’honnêteté commune ; mais j’ai toujours reconnu que les fripons abondent à la surface, et je ne crois pas que la proportion soit trop forte pour les classes supérieures et pour ceux qui, s’élevant au-dessus d’une multitude ignorante et abrutie, trouvent toujours moyen de se nicher dans les positions où il y a du pouvoir et du profit à acquérir. » L’expression, en maint endroit, s’anime de bonhomie et de grâce : « Cela, dit-il, en parlant de l’incandescence politique, cela peut convenir aux jeunes gens, pour qui les passions sont des jouissances ; la tranquillité est le lait des vieillards. » Le portrait que Jefferson a tracé de Washington est digne de tous deux : la beauté morale reluit dans ces lignes calmes et précises, dans cette touche solide.

120. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre IV. De la méthode » pp. 81-92

Ainsi conduit par elle, l’homme incapable d’atteindre toute l’utilité qu’il désire, obtient ce qu’il en doit prétendre, et c’est ce qu’on appelle le juste. La dispensatrice du juste parmi les hommes, c’est la justice divine, qui, appliquée aux affaires du monde par la Providence, conserve la société humaine. […] Son critérium est la maxime suivante : ce que l’universalité ou la pluralité du genre humain sent être juste, doit servir de règle dans la vie sociale.

121. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mikhaël, Éphraïm (1866-1890) »

Remy de Gourmont Puisqu’il ne nous laissa que de trop brèves pages, l’œuvre seulement de quelques années ; puisqu’il est mort à l’âge où plus d’un beau génie dormait encore, parfum inconnu, dans le calice fermé de la fleur, Mikhaël ne devrait pas être jugé, mais seulement aimé… Parallèlement à ses poèmes, Mikhaël avait écrit des contes en prose ; ils tiennent dans le petit volume des Œuvres, juste autant, juste aussi peu de place que les vers… Il suffit d’avoir écrit ce peu de vers et ce peu de prose : la postérité n’en demanderait pas davantage, s’il y avait encore place pour les préférés des dieux dans le-musée que nous enrichissons vainement pour elle et que les barbares futurs n’auront peut-être jamais la curiosité d’ouvrir.

122. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 521-526

le Clerc de Montmercy, nous conviendrons qu’il auroit pu rendre ses Productions plus estimables, si, au lieu de peindre les écarts de l’imagination, il se fût attaché à réprimer la sienne ; si son excessive fécondité eût été resserrée dans les bornes d’une juste modération, & s’il se fût toujours souvenu que la quantité des vers ajoute au ridicule, parce qu’il n’y a que ceux qui sont bons, fussent-ils en petit nombre, qui puissent faire une bonne réputation. […] On trouve dans ses énormes Epîtres des morceaux pleins de force, d’élégance, de vivacité ; en sorte qu’en corrigeant ses Productions, & les réduisant à une juste étendue, il pourroit peut-être les relever du discrédit où elles sont tombées.

123. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 202-207

La Préface d’Acajou a bien pu en imposer d’abord par une morgue qui ne domine que les petits esprits : nos descendans n’y verront qu’une hardiesse de systême, & le reste de cette ingénieuse bagatelle, inférieure aux Confessions, sera réduit à sa juste valeur. […] Une connoissance profonde des hommes, des pensées neuves, des caracteres bien saisis, des peintures vraies, des réflexions justes, en font aimer la lecture à ceux qui ne sont pas révoltés par un certain pédantisme qui ne devroit pas se trouver au milieu des belles qualités que nous venons d’y reconnoître.

124. (1907) Propos littéraires. Quatrième série

Ribot est très juste, et puis qu’il y a des choses qui le dépassent. […] Jaurès… D’abord, pour être juste, disons que M.  […] À la vérité, ici, ma théorie n’est peut-être pas juste. […] Il y a peut-être là quelque observation très juste qui est à jamais perdue. […] Juste l’inverse de Barras.

125. (1929) Critique et conférences (Œuvres posthumes III)

Seul il voyait juste le poète qui, voilà quelques lustres, baptisa notre époque, encore à naître : « Une France aux yeux ronds !  […] De la malle mentionnée à l’instruction, point un mot, du délit en litige, juste quelques phrases à la fin. […] Il s’entend avec les justes lois. […] Soyons galants mais justes. […] Vous le voyez, le livre, avant tout, est chaste et juste.

126. (1888) Poètes et romanciers

Dieu juste, est-ce vous ? […] On pourrait être plus sévère en restant juste. […] Il est juste de reconnaître que M.  […] Est-ce juste ? […] Comme le sentiment est juste, délicat, naturel !

127. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Ponsard » pp. 301-305

Il a parlé de son prédécesseur en des termes que je me permettrai tout bas de trouver indulgents, mais qui étaient convenables dans la circonstance et qui n’ont semblé que justes. […] Ponsard me permettre aussi d’ajouter que sur Goethe et les Allemands, tout en ayant raison peut-être dans le cas particulier, il n’a pas été juste pour l’ensemble : Goethe est un si vaste esprit et un critique d’un ordre si élevé, qu’il est mieux de ne pas prononcer son nom dans une grande assemblée littéraire que de ne l'amener uniquement que pour y rattacher une raillerie et un sourire.

128. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — J. — article » pp. 519-526

Vous faites des choses si belles, Si justes & si naturelles, Que votre style est sans égal ; Sans cesse je vous étudie : Qui peut être votre Copie, Passe pour être Original. […] compagnes des Justes, Je vois deux Héros* prosternés, Dépouiller leurs bandeaux augustes, Par vos mains tant de fois ornés : Mais quelle Puissance céleste Imprime sur leur front modeste Cette suprême majesté ?

129. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre IV. Pourquoi les Français n’ont que des mémoires. »

Trop occupés d’une nature de convention, la vraie nature nous échappe ; nous ne raisonnons guère sur celle-ci qu’à force d’esprit et comme au hasard ; et, quand nous rencontrons juste, c’est moins un fait d’expérience qu’une chose devinée. […] Il y a des vérités qui sont la source des plus grands désordres, parce qu’elles remuent les passions ; et cependant, à moins qu’une juste autorité ne nous ferme la bouche, ce sont celles-là même que nous nous plaisons à révéler, parce qu’elles satisfont à la fois et la malignité de nos cœurs corrompus par la chute, et notre penchant primitif à la vérité.

130. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rostand, Edmond (1868-1918) »

Il faut, pourtant, être juste envers M.  […] Jules Claretie Cette future première édition de l’Aiglon, encore dans les limbes de l’imprimerie, deviendra aussi précieuse, — si elle paraît jamais, — que l’édition princeps, ou plutôt l’unique édition des Musardises, le premier recueil de vers publié par l’auteur de Cyrano , il y a tout juste dix ans, et qui est parfaitement introuvable. […] Le vrai et le juste seraient, au contraire, de dire que, depuis Victor Hugo, nous n’avions pas eu au théâtre une forme lyrique plus jaillissante, et plus vigoureuse, plus dorée et plus étincelante.

131. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Seconde Partie. De l’Éloquence. — Éloquence en général. » pp. 177-192

Son critique ne trouvoit pas ce raisonnement juste. […] Chez les Grecs & chez les Romains, comme aussi chez les Anglois, & généralement dans toutes les républiques où l’on est continuellement occupé de grands intérêts publics, il se peut qu’on réduise toute la force de l’éloquence à sçavoir persuader & faire réussir ses desseins ; qu’on ne lui reconnoisse aucune autre vertu, parce que toutes les autres qualités doivent être subordonnées à celle-là, & qu’il est juste que le principal l’emporte sur l’accessoire : mais, en France, & partout ailleurs où le gouvernement républicain n’a pas lieu, on doit distinguer ces deux choses. […] On prouveroit, par ce raisonnement, s’il étoit juste, que la peinture n’est pas un art, puisque les règles ne donnent point le génie au peintre.

132. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Crétineau-Joly » pp. 367-380

On a dit que la plus grande corruption des partis, c’était l’espérance, et rien n’est plus juste… L’oubli des injures, plus crétin que chrétien des Légitimistes, est un espoir. […] Ainsi, un Macbeth manqué et dépareillé, un Macbeth bourgeois, qui n’a jamais senti, comme l’autre, entre ses deux épaules, l’inflexible bras tendu de la vigoureuse femme qui le pousse à l’action, voilà le Louis-Philippe que Crétineau-Joly a entrevu, mais qui, s’il l’avait regardé plus longtemps, lui aurait expliqué ce piètre règne qu’on a appelé le règne du juste milieu pour en dissimuler, sous ce nom-là, les pusillanimités et les tristesses ! […] Quoique l’auteur soit vivement hostile à l’un et à l’autre, et qu’il ne leur épargne ni ses indignations, ni ses mépris, cependant, il est, comme je l’ai dit, très occupé de l’obligation d’être juste.

133. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « IV. Saisset »

Saisset a vu très juste dans les circonstances contemporaines, et si la question morale et intellectuelle du monde doit s’agiter entre les conséquents du catholicisme ou les conséquents du panthéisme, a-t-il vu également juste en croyant possible d’établir, ou, pour parler aussi modestement que lui, de pressentir une troisième solution à introduire en catimini, sous les regards de l’opinion, avec des patelinages de plume qui montrent au moins de la souplesse dans le talent de M.  […] Saisset est d’une si profonde nullité dans sa partie affirmative, nous serons assez juste pour revenir et pour insister sur la valeur de la partie négative ou critique de son ouvrage.

134. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (3e partie) » pp. 249-336

La campagne est à Napoléon, la victoire est à Davout ; l’historien ici est juste. […] En présence de si grandes choses, où s’effacent les individualités, être juste, voilà la seule vengeance des grandes âmes. […] est-il juste de nier le style dans l’Histoire du Consulat et de l’Empire ? Non ; ce qui est juste, c’est de reconnaître que M.  […] Thiers, qui paraît doué lui-même à un haut degré de cet instinct du gouvernement et de ce dédain souvent si juste des théories, M. 

135. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Une petite guerre sur la tombe de Voitture, (pour faire suite à l’article précédent) » pp. 210-230

Balzac, jeune, fut un Malherbe en prose : il put se vanter, et avec raison, « d’avoir trouvé ce que quelques-uns cherchaient, c’est-à-dire de savoir un certain petit art d’arranger des mots ensemble et de les mettre en leur juste place ». […] Une fois appelé sur le terrain par Balzac et mis en situation de répondre à M. de Girac, il semble qu’il n’y avait rien de plus simple que le rôle de Costar : il n’avait qu’à relever ce qui lui paraissait peu juste dans la critique du savant ami de Balzac, à balancer lui-même les éloges entre le mort et le vivant, et à se faire honneur par un ton d’impartialité généreuse et un air de fidélité envers une chère mémoire. […] Ainsi Voiture est à la mode, l’engouement pour lui est à son comble, sa mort précoce exalte avec encore plus de vivacité les admirations et les tendresses : et cependant voilà un homme appelé Paul Thomas, sieur de Girac, un provincial, un propriétaire campagnard, un homme d’un autre monde et d’un autre camp, qui va trouver à dire, sur cette fleur des pois et cette coqueluche des grâces appelée Voiture, toutes les choses raisonnables et justes, et qui va faire toutes les saines réserves. […] Si l’on y regarde bien, il en est plus ou moins toujours ainsi : à chaque époque, quelles que soient les réputations régnantes et les vogues qui paraissent tout envahir, il y a toujours dans la diversité des esprits un nombre suffisant de contradicteurs, de critiques qui voient juste ; seulement, ils n’écrivent pas, on ne les imprime pas, ou quand ils écrivent, ils écrivent souvent mal, hors de portée et hors de saison, ils mêlent à leurs vérités des choses inutiles, ils sont à contretemps, comme l’est ici ce sieur de Girac qui s’en va dire la vérité sur Voiture, mais en latin, ou, quand il écrira ensuite en français, qui la dira dans un style chargé de latinismes et à la mode du xvie  siècle. Toutefois, le bon sens y est ; dès qu’un certain nombre d’hommes sont en présence, il est toujours quelque part, grâce à la diversité et à la contrariété des natures ; et si, plus tard, la postérité croit trouver la première les jugements justes et se flatte en quelque sorte de les inventer, c’est qu’elle n’a pas été informée des contradictions et protestations contemporaines : mais, après tout, les hommes qui se voient de près ne sont pas tous dupes ou enthousiastes, ils se connaissent et se jugent ou tout haut ou tout bas, mais aussi bien qu’on le fera jamais.

136. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite et fin.) »

Telle est l’idée juste et nullement malveillante que donne de lui Tessé, qui n’est pas un jaloux ni un rival de guerre. […] les contemporains et l’histoire, adoratrice elle-même du succès, leur accordent souvent plus qu’il n’est juste et au-delà de ce qu’ils ont mérité. […] Il n’en fut rien pour Catinat : bon esprit, de tout temps ennemi de l’ostentation, simple par goût, contenu et ramené au juste sentiment de lui-même, et à un sentiment moins que juste peut-être, depuis ses disgrâces, poussant la modestie jusqu’à l’humilité, il fut après ce qu’il était devant. […] Ce serait M. de Catinat s’il se portait bien ; mais ce n’est ni M. de Villars, ni la plupart des autres que nous connaissons. » Voilà l’idée vraie et juste de Catinat, qui nous est donnée par les plus fins connaisseurs en mérite et en vertu.

137. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Monsieur de Bonald, (Article Bonald, dans Les Prophètes du passé, par M. Barbey d’Aurevilly, 1851.) » pp. 427-449

« On ne persuade pas aux hommes d’être justes, pensait M. de Bonald, on les y contraint. […] Mais, à côté de ces travers tout à fait désagréables du dialecticien, on aime à dégager de belles et justes pensées comme celle-ci, qu’il ne faut pas que la loi conspire avec les passions de l’homme contre sa raison  : « Ainsi, du côté que l’homme penche, la loi le redresse, et elle doit interdire aujourd’hui la dissolution à des hommes dissolus, comme elle interdit, il y a quelques siècles, la vengeance privée à des hommes féroces et vindicatifs. » La conclusion de ce traité Du divorce, adressée sous forme d’allocution aux législateurs du Code civil, est d’une grave et réelle éloquence ; l’âme de l’homme de bien et du bon citoyen s’y fait jour par des accents qui ne se laissent pas méconnaître ; on y entend ce cri vertueux et ce vœu de réparation qui s’élève de la société après chaque grand désordre, et qui ne demande qu’à être régulièrement dirigé : Commandez-nous d’être bons, et nous le serons. […] Je n’en ferai remarquer que quelques-unes qui me semblent des plus justes, des plus modérées, et tout à fait incontestables : Le bon sens, dans le gouvernement de la société, doit remplir les longs interrègnes du génie. […] C’est joli, c’est juste, et ce n’est pas trop dur. […] Le nom et le personnage de M. de Bonald sont une de ces représentations les plus justes et les plus fidèles qu’on puisse trouver de l’ordre monarchique et religieux pris au sens le plus absolu ; il a été l’un des derniers sur la brèche et n’a pas cédé une ligne de terrain en théorie.

138. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Essai sur Amyot, par M. A. de Blignières. (1 vol. — 1851.) » pp. 450-470

On s’est demandé si, en un siècle aussi riche que le xvie , en un siècle qui possédait un si grand nombre d’écrivains énergiques, colorés, vifs, naïfs, ou même gracieux par endroits, il était juste de transférer tout l’honneur de la naïveté, de la grâce et de l’éloquence sur un simple traducteur. […] Il est juste que la récompense des écrivains se mesure à l’étendue de l’influence qu’ils exercent, quand cette influence est toute bienfaisante et salutaire. […] Il s’agit de Numa et de ses premiers actes de législateur et de civilisateur qui adoucirent le naturel féroce des premiers Romains ; j’ai regret d’altérer dans ma citation l’orthographe ancienne, qui dans ses longueurs mêmes, et par la surabondance de ses lettres inutiles, contribue à rendre aux yeux la lenteur et la suavité de l’effet : Ayant donques Numa fait ces choses à son entrée, pour toujours gaigner de plus en plus l’amour et la bienveillance du peuple, il commença incontinent à tâcher d’amollir et adoucir, ne plus ne moins qu’un fer, sa ville, en la rendant, au lieu de rude, âpre et belliqueuse qu’elle étoit, plus douce et plus juste. […] Tout cela reste juste et incontestable. […] Il n’est pas plus juste de dire de Plutarque que c’est un sophiste, qu’il ne le serait de le dire de saint Augustin.

139. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Arnault, de l’Institut. » pp. 496-517

Le comte de Provence a dit d’ailleurs, sur Marius à Minturnes, un mot juste : « La pièce est d’un genre trop austère. » Ces trois actes représentés le 19 mai 1794, sans un rôle de femme, sans trop de déclamation, et avec les touches nues de l’histoire, font honneur à la simplicité sensée du jeune poète ; il y résonne comme un mâle écho de Lucain et de Corneille : mais l’action s’y dessine à peine ; l’émotion manque, le pathétique fait défaut. […] La simplicité chez Arnault ressemble trop souvent à de la nudité ; la veine, chez lui, même lorsqu’elle est juste, n’est pas fertile. […] Pour être juste, je prendrai le mot épigramme dans le sens un peu étendu où le prenaient les anciens. […] Tout cela est très juste, mais M.  […] La tache est tout juste à l’endroit Où l’on voit briller la paillette.

140. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Innocent III et ses contemporains »

Quelquefois, il est vrai, on l’y suppose, comme fit Saint-Chéron dans sa traduction du livre très politique et très peu catholique de Ranke, qui clama, mais assez vainement, car ceux qui lisent la supposition ne liront peut-être pas la réclamation, et, par un côté du moins, le coup est porté à cette opinion publique qui voit juste, mais à la longue, et qu’il faut d’autant plus se hâter de tromper qu’il est bien sûr qu’un jour ou l’autre elle reviendra de son erreur. […] De ce que, justes envers le passé, quand ils n’en sont pas enthousiastes, mais l’étudiant avec trop de persévérance et d’efforts pour ne pas finir par l’aimer, — car il est de la nature de l’homme de mettre son amour où il a mis sa peine, — des écrivains se prennent d’une haute bienveillance ou d’un sentiment plus respectueux encore pour quelques grands caractères de l’Église romaine, est-ce une raison suffisante pour déclarer que les écrivains en question ne trouvent d’absolument vrai que les idées au nom desquelles ces grands caractères ont agi ? […] Le traité tardif que Leibnitz, ce grand esprit de juste milieu, avait entrevu, mais à son heure, au moment où il était possible, n’est pas seulement empêché par l’inertie peureuse du ministère prussien, dont le seul homme capable (Eichorn) est piétiste exalté, il rencontre un empêchement plus dirimant et plus honorable encore dans le bon sens de l’Allemagne, qui ne le réclame pas, qui ne s’en émeut pas, qui dit : À quoi bon ? […] Ne devons-nous pas leur faire une mesure juste, mais exacte ? […] Mais ce n’est pas seulement par le caractère que ce grand homme exagéré diminua la force de son pontificat ; il y fit échec aussi par l’intelligence, par l’absence d’une juste pénétration.

141. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — L’inter-nationalisme »

Entre deux facultés vivantes, dont l’union intime engendre seule le juste équilibre, on a créé une fausse opposition. […] Je crois que ces conceptions artificielles trouveront de plus en plus difficilement crédit et qu’une plus réelle interprétation des lois de la vie permettra de formuler une solution plus juste de ce débat sans fin. […] Et en effet, si l’on regarde au fond des choses, tous les hommes de bien sont inconsciemment ou consciemment solidaires, et les coquins, les brutes et les hypocrites toujours isolés, c’est-à-dire en perpétuelle menace de conflits. « Ceux qui recherchent le bien, aurait dit Antisthène, sont amis les uns des autres » Rien de plus juste, en effet. […] La véritable vie sociale pour l’individu consiste en un juste équilibre entre ses affinités nationales et ses affinités humaines. Si cet équilibre n’existe pas, l’individu ne peut prétendre à une juste place dans l’ensemble de la vie sociale.

142. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Madame de Verdelin  »

Je ne le trouve pas juste pour Diderot, par exemple. […] Chaque noble écrivain ramasse sur sa route et emporte avec soi ses ennemis, ses envieux cachés, des êtres ignobles qui lui sont acharnés, qui s’attachent à lui et en vivent : il est juste que des êtres généreux l’en dédommagent ; il est juste qu’il ait aussi, par compensation, ses joies cachées, des suavités de bonheur qui n’arrivent qu’à lui. […] Les lettres de Mme de Verdelin qui sont maintenant sous nos yeux nous donnent d’elle une plus juste idée. […] Elle raisonnait juste dans ses conseils, mais son bon sens même se trompait, croyant avoir affaire à un bon sens non altéré. […] Mais soyons justes : sans Rousseau et les pages des Confessions, qui donc aurait aujourd’hui l’idée de s’occuper de ces anciens Bremond d’Ars ?

143. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXIXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (1re partie) » pp. 241-314

Qui pourrait dire si Napoléon à Sainte-Hélène pensait juste comme Napoléon à Marengo ou même comme Napoléon à l’île d’Elbe ? […] Il n’en est pas de même avec un livre ; s’il déplaît, on le jette de ses mains ; au théâtre, c’est mieux, il faut tout endurer. » Je trouvai qu’il avait raison, et je pensai que tout était pour le vieillard une occasion de dire quelque chose de juste. […] Mais, je vous le répète, votre remarque est aussi juste que la sienne13. » Je rappelai cette opinion qui prétend que l’effet produit par Werther a tenu au moment de sa publication. […] Mais telle qu’elle est, tout esprit juste saura y voir votre manière de penser. […] Si tout ce qui existe était excellent, bon et juste, je l’accepterais très volontiers.

144. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre sixième »

Enfants de sa bonne humeur, quelques traits d’observation juste, sinon profonde, les font par moments ressembler à des gens de connaissance. […] Devenu plus juste avec plus de talent, Regnard se rapprocha de celui de tous les critiques qui a eu le plus de souci de la gloire des écrivains. […] Le meilleur ouvrage de Destouches, le Glorieux, demande un parterre d’enfants, quoiqu’il n’y manque pas de traits justes et délicats, dont les parents peuvent faire leur profit. […] La Chaussée lui-même ne se fiait guère à son genre, tant il prend de précautions pour ne pas forcer le rire ou les larmes, et pour se tenir dans le juste milieu. […] Juste châtiment de l’égoïste.

145. (1901) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Deuxième série

quel appui la cause du juste et du vrai eût trouvé aujourd’hui dans cet honnête homme ! […] Mais Dieu sait tout, mais Dieu n’oublie rien, mais Dieu est juste, mais Dieu venge et répare. […] Peut-être en sera-t-elle d’autant plus juste. […] — Mais, me direz-vous peut-être, on ne s’appelle pas Porcon du Babinais. — C’est juste. […] Cette vue n’est probablement pas la plus juste.

146. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Appendice » pp. 453-463

S’ils sont aimés du public, et si la faveur, si l’estime ou l’admiration les récompense, il importe de plus que cette récompense, sous ses différentes formes, aille bien à eux, leur revienne en une juste proportion et ne reste point en chemin : c’est à cette condition que leur talent vieillissant ne sera point condamné à une production toujours recommençante, et que là aussi, au bout de la carrière, il y aura la dignité d’un certain loisir. […] Du moment, d’ailleurs, qu’il y a production d’une richesse dans la société, il y a un possesseur, et il est juste que la richesse produite ne se trompe point, qu’elle n’aille point presque entière à qui l’a moins méritée. […] Le jury a fait tous ses efforts pour être juste et pour ne manquer à aucun devoir. […] C’est sur le terrain élargi de ce second et plus impartial jugement que j’ai vu des hommes de directions et de natures de talent très diverses se rencontrer, se rapprocher durant des semaines, et chercher sincèrement à se mettre d’accord pour rester justes envers les concurrents, ces autres confrères inconnus.

147. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — II » pp. 107-121

Mais je me permettrai de vous demander si vous croyez donc que vous serez plus libre d’engagement, si vous arrivez par les légitimistes, les républicains ou une nuance quelconque de la gauche que par le juste milieu. […] Ces esprits faits, quand ils s’y mettent, ont sur les livres des jugements droits et justes, et qui ne sentent en rien le métier. […] Dans cette matière si éloignée des habitudes de son esprit, Bourdaloue emploie avec une exactitude si rigoureuse, quoique non affectée, les termes justes, et ils s’appliquent si bien à ce qu’il veut dire, qu’il n’y a pas un des hommes de son temps auquel il ne rendît sensible sa pensée… L’adresse avec laquelle il varie les formes du langage pour soutenir et reposer l’attention de l’auditeur est véritablement merveilleuse. […] Ce mot de sauvage est le mot juste ; c’est bien l’effet que produit par moments cette singulière et si brusque éloquence des sermons de Bossuet, à laquelle les critiques classiques proprement dits, de l’école de La Harpe, ont eu tant de peine à s’accoutumer.

148. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803, (suite et fin) » pp. 16-34

Chaque ouvrage d’un auteur vu, examiné de la sorte, à son point, après qu’on l’a replacé dans son cadre et entouré de toutes les circonstances qui l’ont vu naître, acquiert tout son sens, — son sens historique, son sens littéraire, — reprend son degré juste d’originalité, de nouveauté ou d’imitation, et l’on ne court pas risque, en le jugeant, d’inventer des beautés à faux et d’admirer à côté, comme cela est inévitable quand on s’en tient à la pure rhétorique. […] S’il est juste de juger un talent par ses amis et ses clients naturels, il n’est pas moins légitime de le juger et contre-juger (car c’est bien une contre-épreuve en effet) par les ennemis qu’il soulève et qu’il s’attire sans le vouloir, par ses contraires et ses antipathiques, par ceux qui ne le peuvent instinctivement souffrir. Rien ne sert mieux à marquer les limites d’un talent, à circonscrire sa sphère et son domaine, que de savoir les points justes où la révolte contre lui commence. […] Son Éloge reste à faire, un Éloge littéraire, éloquent, élevé, brillant comme lui-même, animé d’un rayon qui lui a manqué depuis sa tombe, mais un Éloge qui, pour être juste et solide, devra pourtant supposer en dessous ce qui est dorénavant acquis et démontré 3.

149. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Octave Feuillet »

Si on ne lit pas tout, presque tout, dans cette quantité de productions qui ont chacune leur qualité, si l’on a manqué le moment où elles passent pour la première fois sous nos yeux, on est en peine ensuite pour rétablir le point de vue ; un mouvement si compliqué, si divers, si fécond, et dans un genre indéfini qui menace de devenir la forme universelle, demande à être suivi jour par jour ; faute de quoi l’on ne sait plus exactement les rapports, les proportions des talents entre eux, la mesure d’originalité ou d’imitation, le degré de mérite des œuvres, ce qu’elles promettent au juste et ce que l’auteur peut tenir. […] Feuillet à l’origine et dans sa première manière (car il en a eu deux, ou du moins sa première manière a pris, depuis, un second et très-grand développement), il faut voir où en était juste le roman lorsqu’il débuta, quels en étaient les sujets habituels et le ton dominant. […] Juste le revers de Musset et l’opposé des solutions passionnées jusque-là en honneur. […] Ainsi, chez leur cher auteur, il y a de toutes jeunes femmes qui exilent un mari de leur lit dès le premier soir (la Clé d’or), et qui lui font faire pendant bien des mois une juste quarantaine expiatoire.

150. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires du comte Beugnot »

Je ne sais : peut-être simplement le vin n’était-il pas depuis assez longtemps en bouteille, et n’avait-il pas fait tous les voyages voulus pour nous revenir juste à point, à l’heure propice. […] Beugnot, et qui est désormais inséparable de l’auguste image du juste immolé. […] Ici tout est net, juste, bien frappé ; toute ambiguïté de langage a disparu. […] Je recueillis là, même pour mon compte, de bons propos frappés juste à l’empreinte du corps de garde et du bivouac.

151. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 28, du temps où les poëmes et les tableaux sont apprétiez à leur juste valeur » pp. 389-394

Section 28, du temps où les poëmes et les tableaux sont apprétiez à leur juste valeur Enfin le temps arrive où le public apprétie un ouvrage non plus sur le rapport des gens du métier, mais suivant l’impression que fait cet ouvrage. […] Une piece de théatre, par exemple, sera plûtôt prisée sa juste valeur qu’un poëme épique.

152. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre IV. Des éloges funèbres chez les Égyptiens. »

Alors on célébrait l’homme juste ; à l’aspect de sa cendre, on rappelait les lieux, les moments et les jours oh il avait fait des actions vertueuses ; on le remerciait de ce qu’il avait servi la patrie et les hommes ; on proposait son exemple à ceux qui avaient encore à vivre et à mourir. […] Il est juste que la tombe soit une barrière entre la flatterie et le prince, et que la vérité commence où le pouvoir cesse.

153. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (5e partie) » pp. 65-128

Je dois à un examen plus attentif des questions sociales, à l’âge, à l’expérience, des sentiments plus justes sur la société politique, qu’elle soit républicaine ou monarchique. […] Pour que cette communauté des biens soit juste, il faut supposer à tous les hommes la même conscience, la même application au travail, la même vertu. […] « La sagesse humaine imparfaite a trouvé plus facile, plus sage et plus juste de dire à l’homme : “Sois toi-même ton propre juge ; rétribue-toi toi-même par ta richesse ou par ta misère.” […] L’histoire, quand le temps d’être juste sera venu pour elle, rendra à la France l’hommage unique qui lui est dû pour ces cinq mois pendant lesquels elle se gouverna sans gouvernement légal, par sa propre sagesse et par la seule autorité de la raison publique. […] Ses traits ne portaient pas, comme ceux de son mari, l’empreinte de la béatitude anticipée du juste et du martyr, mais celle du dédain des hommes et de la juste impatience de sortir de la vie.

154. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Edgar Allan Poe  »

Il sent maintenant sa propre vie par une infinité de plaisirs imparfaits, — les plaisirs partiels et entremêlés de peine de ces êtres prodigieusement nombreux que tu nommes ses créatures, mais qui ne sont réellement que d’innombrables individualisations de lui-même… La somme générale de leurs sensations est juste le total du bonheur qui appartient de droit à l’Être divin quand il est concentré en lui-même. […] Une vision en plein Océan polaire après d’étranges aventures dans une île inconnue, une maison qui s’abîme singulièrement par une tempête, la résurrection d’un cataleptique, des ressemblances bizarres, une ombre sur une porte, un corbeau qui répond merveilleusement juste ; en ces faibles atteintes au vraisemblable, consiste tout le fantastique mesuré de Poe, qu’atténue encore une science exacte des transitions, du milieu et du moment propices. Que cette invention discrète, la juste brièveté et l’originalité constatées plus haut, dérivent d’une propriété générale plus haute encore et dernière de l’esthétique de Poe, l’artificiosité, de nombreux indices le démontrent. […] À la fin l’horrible morceau tomba, avec un sinistre piaffement, juste aux pieds de Parker. […] Le caractère commun de toutes ces qualités de mesure, d’ordre, de prévision, de juste calcul est celui d’adaptation à un but.

155. (1910) Études littéraires : dix-huitième siècle

Ils suspendent l’action et la reposent, juste au moment où il est utile. […] Il est juste de faire quelques exceptions. […] Le moraliste a la passion de regarder et le don de voir juste. […] Mais c’est une étude psychologique très poussée, et souvent très finement juste. […] Le mot même de législateur, si cette théorie est juste, est un non-sens.

156. (1894) Études littéraires : seizième siècle

Qu’y fit-il au juste ? […] Donc tous les justes et tous les pécheurs sont prédestinés. […] Ces mots ne sont pas justes. […] Rien n’est plus juste pourtant par comparaison. […] Il reste juste.

157. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. de Fontanes »

Contraire aux nouveautés ambitieuses, il ne résistait pourtant pas à celles qui s’appuyaient de quelque titre légitime, de quelque juste accord dans le passé. […] L’anglomanie qui gagnait le détourna de ce qui, chez lui, n’eût jamais été que juste. […] La nature est forcée de contraindre ses plus justes et ses plus généreux mouvements, sous peine de mort. […] On ajoute que les passages des deux pièces, que cita avec éloge l’Académie, tombèrent juste aux vers de Fontanes. […] « On doit être juste envers Henri IV, Louis XIII, Louis XIV et Louis XV, mais sans être adulateur.

158. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vaugelas. Discours de M. Maurel, Premier avocat général, à l’audience solennelle de la Cour impériale de Chambéry. (Suite et fin.) »

« Quand un homme serait déclaré par les États-Généraux du royaume le Père de la Langue et de l’Éloquence française, il n’aurait pourtant pas le pouvoir d’ôter ni de donner l’usage à un seul mot. » C’est Vaugelas qui a dit cette belle et juste parole. […] Vaugelas a fréquemment de ces horoscopes de mots, et la plupart du temps il devine juste. […] Il faut bien pourtant, si l’on veut être impartial et juste, s’y arrêter un moment. […] Il continua toute sa vie de balancer les opinions des Anciens, de les équilibrer les unes par les autres, de dire : « Ceci est juste, cela ne l’est pas ; il y a un milieu ; dans le doute il est bon de s’y tenir. » — Mais ce n’est point avec ces balancements et ces alternatives qu’on agit sur le public et qu’on entre dans les esprits, surtout quand le style est aussi neutre et aussi peu tranchant que la pensée. […] Baser est une expression juste et qui n’a pas son équivalent dans une discussion de finances et de budget.

159. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « L’Académie française »

Les sujets proposés en ces années par l’Académie française sont d’un ordre élevé et qui fournissait une juste arène aux jeunes talents. […] Ici nous n’avons plus affaire à des théories absolues, étroites, toujours sur le qui-vive et la défensive : l’ancien goût est satisfait par de justes réserves, mais l’inspiration nouvelle reste libre : on semble lui faire appel et la désirer. […] Il est juste de faire observer que la majorité s’est montrée indulgente pour cette infiniment petite minorité. […] Les deux premières, selon une définition bien juste, sont proprement des prix de l’humanité à la souffrance. […] Que ceux qui sont trop prompts à railler l’Académie française pour sa prétendue oisiveté, veuillent réfléchir au travail d’examen nécessaire pour la juste distribution de tous ces prix, et l’Académie n’y a jamais failli jusqu’à présent.

160. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXIXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (2e partie) » pp. 5-63

Les correspondances de M. de Chateaubriand sont justes, fortes, héroïques. […] Là commence son rôle politique ; il se montra homme de tact du premier coup de plume ; il vit juste, il vit loin, il vit en grand toute chose. […] C’est le commentaire respectueux, mais juste, du disciple sur le texte d’un maître qui s’égare. […] « J’avais une tête très froide et très bonne, dit l’auteur d’Atala, et le diplomate, aussi grand que juste et ambitieux dans ses vues, avait le cœur cahin-caha pour les trois quarts et demi du genre humain. » Voici le cri du commentaire, cette fois plus juste que bienséant, arraché à M. de Marcellus par la flagrante ingratitude envers l’âme de Juliette (madame Récamier), oubliée si cruellement pour des affections légères à l’âge du poète : « Je crois, dit-il, qu’il faut rétablir ainsi cette phrase : J’avais une très froide et très bonne tête, et, après, le cœur cahin-caha pour les trois quarts et demi du genre humain. […] Il faut bien, ajoutai-je lentement, que l’affliction soit de quelque profit aux hommes, puisque Dieu si bon a pu se résoudre à les affliger. » XV Ainsi finit le livre par une réflexion morose sur la vie, et par une réflexion juste et consolante, pleine de confiance en Dieu qui a fait ou permis la douleur.

161. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 22, que le public juge bien des poëmes et des tableaux en general. Du sentiment que nous avons pour connoître le mérite de ces ouvrages » pp. 323-340

Plus notre sentiment est délicat, ou si l’on veut, plus nous avons d’esprit, plus la montre est juste. […] Ainsi quoique ces personnes ne soient point capables de contribuer à la perfection d’un ouvrage par leur avis, ni même de rendre methodiquement raison de leur sentiment, leur décision ne laisse pas d’être juste et sûre. […] Mais nous discutons ailleurs quelles sont les beautez d’un tableau dont le public est un juge non recusable, et quelles sont ses beautez qui ne sçauroient être apprétiées à leur juste valeur que par ceux qui sçavent les regles de la peinture.

162. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La Société française pendant la Révolution »

La vie n’est pas si simple, nos instincts ne sont pas si justes ! […] Avant Louis XV, cette société d’un instinct si juste et qui vivait dans une telle atmosphère de lumière, qu’on y disait, en riant, qu’un gentilhomme savait tout sans avoir rien appris, n’avait jamais songé, il est vrai, à devenir littéraire et à échanger ses grâces naturelles, saines et savoureuses, contre le caquet pédant des cercles et l’histrionisme philosophique des salons ; mais, alors même que les influences du xviiie  siècle commençaient de l’atteindre et de la gâter, elle n’était pas pour cela uniquement dans les salons parisiens, où Ton veut obstinément la voir toujours. […] Il vous reste juste leur livre : des miettes historiques tombées de quelques corbeilles, de quelques pamphlets, de quelques journaux, — des miettes historiques, des atomes, de la poussière de documents qui en eux-mêmes ne sauraient changer le caractère jugé de la Révolution, mais que de grands artistes broieraient seulement dans les couleurs de leur palette pour donner plus d’éclat et plus de vie à cette grande fresque d’une histoire qu’on ne fera jamais au pointillé.

163. (1893) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Première série

On ne lit plus le cours de La Harpe, on ne relira point les feuilletons de Sarcey ; mais le labeur consciencieux et persévérant de ces deux vaillants ouvriers leur a valu un juste renom qui durera dans l’avenir. […] Le juste tempérament qui convient ici est, d’ailleurs, le secret du génie. […] Elle avait appris de Boileau lui-même qu’il ne faut jamais présenter au lecteur que « des pensées vraies et des expressions justes ». […] Théoriquement, cet optimisme est juste. […]  » La formulé est aussi juste que fière ; mais elle est incomplète dans sa tranchante concision.

164. (1910) Propos de théâtre. Cinquième série

Non ; la théorie de Kant est juste ; elle est incomplète peut-être ; mais elle est juste. […] Mais comme image en soi, c’est très juste. […] Il avait juste trente ans. […] Mais enfin la remarque est juste et la date est bien posée. […] Mais ils voyaient juste partiellement.

165. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) «  Essais, lettres et pensées de Mme  de Tracy  » pp. 189-209

Mais bientôt les esprits renaissent, le foyer intérieur se ranime, elle se remet à vivre, à penser, à écrire à ses amis ou à les appeler près d’elle, amis de choix et d’un commerce sérieux, parmi lesquels il est juste de nommer MM.  […] Juste pensée du chrétien, pour qui le vieillard, quand il est saint, n’est qu’un épi plus mûr ! Et Sénèque lui-même n’a-t-il pas dit à son jeune ami Lucilius, dans un admirable langage : « Viget animus, et gaudet non multum sibi esse cum corpore ; magnam partem oneris sui posuit ; exsultat, et mihi facit controversiam de senectute : hunc ait esse florem suum… » — « Mon esprit est plein de vigueur, et il se réjouit de n’avoir plus beaucoup à faire avec le corps ; il a déposé le plus lourd de son fardeau ; il bondit de joie, et me tient toutes sortes de discours sur la vieillesse : il dit que c’est à présent sa fleur. » Je trouve dans un livre d’hier, et sur ce même sujet de l’âge, cette autre pensée juste et ferme, et si poétiquement exprimée : Me promenant, par une belle journée d’octobre, dans les jardins de la villa Pamphili, je fus frappé de la beauté merveilleuse d’un grand nombre d’arbres verts que je n’avais point aperçus durant l’été, cachés qu’ils étaient par l’épais feuillage des massifs, alors dans tout l’éclat de la végétation, maintenant dépouillés. […] Penser pour soi et pour ses amis, sans prétention à s’afficher ; vouloir se former des opinions justes sur les choses essentielles, sans aspirer à les produire ; étudier, vivre, regarder, oser sentir et dire, est une marque de distinction dans une nature. […] [NdA] Quelqu’un qui a bien connu Mme de Tracy, et qui ne faisait point grâce à ses singularités, m’écrit d’elle ce mot juste et fin : « C’était une personne naturellement affectée ; mais les sentiments qu’elle cultivait de façon à en faire des fleurs doubles avaient des racines franches et profondes.

166. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc (suite et fin.) »

Étant donnés le climat, les mœurs de la France, les matériaux, le fond d’art préexistant, c’est-à-dire quelques traditions venues des Romains et des Byzantins, l’architecture romane est née et devait naître la première : et déjà impliquée en celle-ci, s’y laissant d’abord entrevoir par places, la seconde, plus élancée et à ogive, l’architecture gothique se produit à un certain moment avec hardiesse et se déduit comme d’elle-même, grâce à des gens qui raisonnent juste, et qui, par émulation et par zèle, sont poussés à toujours mieux faire. […] Le mot de Philibert Delorme, qui s’en plaignait amèrement en son temps, est juste encore : « Le naturel du Français, disait-il, est de priser beaucoup plus les artisans et artifices des nations étranges que ceux de sa patrie, bien qu’ils soient très ingénieux et excellents. » M.  […] Leurs robes sont justes, et elles portent de petites franges d’or et d’argent depuis les poignets jusqu’aux hanches, qui sont très belles et très blanches. […] Je me garderai bien de m’embarquer dans de telles questions44 ; mais j’en ai dit assez pour indiquer le point juste et le point vif où M.  […] On comprend les avantages et le profit qu’un esprit juste, élevé, a pu tirer ensuite de tous ces détails et de tout cet acquit pour la pratique de son art.

167. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. CHARLES MAGNIN (Causeries et Méditations historiques et littéraires.) » pp. 387-414

Il y aurait une manière bien simple, bien commode, et à la fois bien juste, de recommander ces volumes ; nous nous hâterions de dire qu’à une grande variété de sujets sur lesquels le critique a répandu tous les assortiments d’une érudition exacte et fine, se joint le mérite d’un style constamment net, rapide, élégant ; que la nouveauté des points de vue n’exclut en rien les habitudes et les souvenirs de la plus excellente et de la plus classique littérature ; que l’ancienne critique s’y trouve toute rajeunie, en ayant l’air de n’être que continuée. […] Magnin de se trop souvenir peut-être dans quelques occasions, et de reprendre trop juste les choses où elles étaient hier. Il a mis le signet en fermant le livre, et il le rouvre juste à la même page ; n’était-ce pas le cas de sauter quelques feuillets ? Les esprits et les choses sont allés tellement depuis quelques années, et se comportent tellement chaque matin, que, pour se remettre au pas avec eux et avec elles, rien n’est mieux, rien n’est plus court et plus juste qu’une certaine inconséquence. […] Magnin est écrivain, qu’il en a les qualités, le goût, un peu l’entraînement ; il aime à étudier, à connaître, mais pour écrire, pour déduire ce qu’il sait, pour le mettre en belle et juste lumière.

168. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIe Entretien. Chateaubriand »

Une seule chose m’avait offensé, car j’étais partial, mais j’étais juste ; c’était une anecdote évidemment et sciemment calomniatrice qu’il avait insérée dans son pamphlet de guerre : De Buonaparte et des Bourbons. […] — Laissez cela, dit-il à son jeune disciple, vous portez secours au vainqueur, faites le contraire pour être juste et surtout pour être applaudi. […] Il abordait un homme quelconque de plain-pied ; son tact merveilleux le plaçait juste dans l’attitude, ni trop haut ni trop bas ; on voyait qu’il rendait tout ce qu’il devait rendre à son puissant interlocuteur, mais qu’il se sentait devant lui digne d’être regardé et respecté à son tour. […] votre reproche est juste : je voudrais pouvoir sécher vos larmes, mais il vous faut implorer le secours d’une main plus puissante que celle des hommes. […] XXIV M. de Sainte-Beuve parle avec un juste dédain de ces critiques de l’abbé Morellet et de Marie-Joseph Chénier.

169. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre I. Roman de Renart et Fabliaux »

La famille y est constituée aussi fortement que chez nous : tous ces barons sont mariés canoniquement ; Ysengrin a pour femme Hersent, Renart Ermeline ; Madame Fière la lionne figure aux côtés de Noble le lion, roi, comme il est juste, de la féodalité animale. […] Cette connaissance du juste point où il faut aller, c’est la moitié du génie de La Fontaine, et c’est ce qui fait de certaines « branches » de Renart des choses exquises. […] De même le dialogue est juste, facile, vivant : il se poursuit trop sans autre but que lui-même, et tourne au jacassement vide. […] Comme on n’y saisit pas d’intention de faire vrai, on n’y trouve guère aussi trace d’observation : quand le trait est juste, c’est d’instinct, par une bonne fortune de l’œil et de la main. […] Dans l’un, c’est le type du garçon qui, vivant largement de son salaire, se met dans la misère en se mariant à une fille pauvre comme lui ; le dessin est juste : garçon, fille, parents, hésitations, accord, résolutions, regrets, discorde, tous les caractères et tous les sentiments sont marqués d’expressions précises à la fois et générales.

170. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XII] »

., s’il peint le coupable au Tartare et le juste aux Champs-Élysées, ce sont sans doute de belles fictions, mais qui ne constituent pas un code moral attaché au polythéisme comme l’Évangile l’est à la religion chrétienne. […] Mais comme le juste et l’homme de bien est le miracle de sa grâce et le chef-d’œuvre de sa main puissante, il est aussi le spectacle le plus agréable à ses yeux217 : Oculi Domini super justos : « Les yeux de Dieu, dit le saint psalmiste, sont attachés sur les justes », non seulement parce qu’il veille sur eux pour les protéger, mais encore parce qu’il aime à les regarder du plus haut des cieux comme le plus cher objet de ses complaisances218. « N’avez-vous point vu, dit-il, mon serviteur Job, comme il est droit et juste, et craignant Dieu, comme il évite le mal avec soin, et n’a point son semblable sur la terre ?  […] Que si les justes sont le spectacle de Dieu, il veut aussi à son tour être leur spectacle : comme il se plaît à les voir, il veut aussi qu’ils le voient : il les ravit par la claire vue de son éternelle beauté, et leur montre à découvert sa vérité même dans une lumière si pure qu’elle dissipe toutes les ténèbres et tous les nuages.

171. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre X. Des Livres nécessaires pour l’étude de la Langue Françoise. » pp. 270-314

Comme l’auteur (l’Abbé Feraud de Marseille) n’est pas né à Paris, il n’est pas étonnant que ses observations ne soient pas toujours justes ; mais il n’a rien oublié pour rendre son Dictionnaire complet en son genre, & pour qu’il fût imprimé correctement. […] Ses définitions, fur-tout, paroissent fort justes. […] Des phrases composées exprès pour rendre sensible toute l’énergie d’un mot, & pour marquer de quelle maniere il doit être employé, donnent une idée plus nette & plus précise de la juste étendue de sa signification, que des phrases tirées de nos bons auteurs, qui n’ont pas eu ordinairement de pareilles vues en écrivant. […] Ses définitions sont justes, claires & précises. […] “Le mot de vis-à-vis (dit M. de Voltaire dans une Lettre à M. l’Abbé d’Olivet) qui est très-rarement juste & jamais noble, inonde aujourdhui nos livres, & la Cour & le Barreau & la société ; car dès qu’une expression vicieuse s’introduit, la foule s’en empare.

172. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « V. M. Amédée Thierry » pp. 111-139

Il ne s’agit que d’événements communs, de règlements de chancelleries, de diplomatie plus ou moins fine, de guerres régulières en douze temps, comme l’exercice, mais, quand il est question d’Attila, du maillet du Seigneur, comme disaient les moines, qui avaient le sentiment plus juste de leur époque que les écrivains du xixe  siècle, venus maintenant pour l’expliquer ; quand il est question du monde romain qui s’écroule sous cet effroyable maillet emmanché dans une si compacte masse d’hommes, il n’y a plus de Gibbon ni de Montesquieu qui puissent arracher le sens à cette exceptionnelle histoire ! […] La Critique a été plus que juste envers lui, elle a été généreuse. […] Il faut être juste pour tous deux, et la justice, je crois, est d’abaisser de quelques degrés le niveau de l’un et d’élever d’autant le niveau de l’autre, par conséquent de les rapprocher, ces frères, qui ne s’en plaindront pas, mais de les rapprocher sans effacer la distance qui doit exister cependant entre l’auteur des Récits mérovingiens et celui des Récits de l’histoire romaine ! […] Augustin Thierry, nature de juste milieu, qui le fut en politique comme il le fut en facultés, comme il le fut en toutes choses, exprima, avec la discrétion d’un homme de goût qui craint l’asphyxie, le suc de ces fleurs d’un temps naïf et barbare, dont il sentait pourtant et a nous donné quelques-unes des âpres saveurs. […] Amédée Thierry qu’avec les yeux d’une Académie des inscriptions, il est certain que l’ensemble de ces travaux est imposant et que l’aperçu n’y manque pas, à ses risques et périls, il est vrai, car ce n’est pas tout que de voir en histoire, il faut voir juste.

173. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « X. M. Nettement » pp. 239-265

et, quoiqu’il soit assez éclairé et même assez juste pour vouloir toujours être impartial, son impartialité manque de hardiesse et n’ose pas descendre dans ces profondeurs. […] Seulement, après la part des influences dont il ne suit qu’à moitié les vastes ramifications, fait-il celle des hommes avec cette juste rigueur que nous aurions aimé à rencontrer dans son livre ? […] Nettement, a oublié ses circonspections ordinaires, il est monté jusqu’à cette indépendance où l’on ne craint plus de paraître implacable, et il l’a été en restant juste. […] Ces longues luttes, l’occupation de toute sa vie, n’ont pas cependant durci cette main trop grasse et trop molle, qui souvent (nous ne le nions pas) frappa juste, mais ne frappa jamais bien fort. […] … Nous savons bien que les esprits qui ont la lourdeur sans le poids, et l’épaisseur sans la résistance, s’affaissent parfois avec une rapidité singulière, mais il faut être juste, dans l’intervalle de ces deux publications, M. 

174. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre premier. Du rapport des idées et des mots »

L’opération est unique et simple : c’est en changeant de mot qu’on modifie l’idée, et le mot et l’idée arrivent ensemble à leur forme juste et parfaite. […] Pour l’écrivain, le dessin et le plan de l’œuvre ne valent que si l’on passe à l’exécution, et ne se complètent à vrai dire que dans l’exécution : tant qu’il ne l’a pas toute écrite, elle reste flottante et vague, à l’état de pure possibilité : il ne peut donner à chaque chose sa place propre et sa juste grandeur que par le style : la seule mesure de l’idée, c’est le mot.

175. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Stéphane Mallarmé »

Au moins voudrais-je savoir au juste pourquoi je ne les comprends pas  C’est peut-être, direz-vous, que c’est inintelligible  Mais non, puisqu’ils sont trois qui comprennent, et probablement quatre, en comptant l’auteur. […] Ou, si vous voulez, il croit que les justes correspondances entre le monde de la pensée et l’univers physique ont été fixées de toute éternité, que l’intelligence divine porte en elle le tableau synoptique de tous ces parallélismes immuables et que, lorsque le poète les découvre, ils éclatent à son esprit avec tant d’évidence qu’il n’a point à nous les démontrer.

176. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Vernet » pp. 227-230

Cette réponse ne me parut pas juste. […] Mais un tableau médiocre au milieu de tant de chefs-d’œuvre ne saurait nuire à la réputation d’un artiste, et la France peut se vanter de son Vernet à aussi juste titre que la Grece de son Apelle et de son Zeuxis, et que l’Italie de ses Raphaels, de ses Correges et de ses Carraches.

177. (1910) Propos littéraires. Cinquième série

La foule aime, tout juste, à être prêchée de cette manière. […] À la vérité, ici, ma théorie n’est peut-être pas juste. […] Ne trouvez-vous pas cette demi-ligne singulièrement juste ! […] La dernière fois, il se sera seulement frappé un peu trop fort et un peu trop juste. […] C’est l’esprit le plus juste du monde.

178. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

c’est la raison forte et invincible : leur élocution noble n’en est que le juste vêtement. […] Il est même une juste rigueur plus profitable aux talents qu’une faveur inconsidérée. […] Une juste dialectique vous convainc froidement : une véritable éloquence vous persuade et vous ravit. […] Ce malheur d’une loquacité diffuse n’arrive pas à l’homme qui se circonscrit une carrière et s’enferme en de justes bornes. […] Une juste logique est le nécessaire naturel : une logique passionnée est le nécessaire extraordinaire.

179. (1903) Propos de théâtre. Première série

Bien… c’est-à-dire, enfin, c’était comme cela et juste cela. […] C’est une note très juste. […] Et rien n’était plus juste que cette illumination-là. […] Elle est juste au fond et excessivement dure dans la forme. […] C’est très juste.

180. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — I. » pp. 279-295

Ainsi dans l’éloge du médecin portugais Sanchez, il le montre ne puisant à l’université de Coïmbre ou même à celle de Salamanque que des connaissances incomplètes : Il n’y avait point trouvé, dit-il, cet enseignement dont la précision peut seule satisfaire un esprit juste. […] Ainsi encore, à propos des expériences de Haller sur l’œuf du poulet, si le physiologiste, étendant ses considérations aux autres animaux, conclut que le fœtus appartient entièrement à la femelle, et qu’elle a, par conséquent, la plus grande part à la reproduction de l’espèce, Vicq d’Azyr, regardant son élégant auditoire, s’empressa d’ajouter : « Ce système plaira sans doute au sexe qui nous prodigue dans l’âge le plus tendre tant de caresses et de soins, et auquel nous devons un juste tribut d’amour et de reconnaissance. » Il se glisse aisément jusque dans les exposés des savants d’alors, dès qu’ils veulent réussir et plaire, des tons et des intentions de Florian et de Legouvé. […] Ici Vicq d’Azyr sait être à la fois délicat et fin en songeant à son auditoire, et sans sortir des plus justes tons. […] Je regrette qu’il ait mis le laurier, mais l’idée est bien juste.

181. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — I. » pp. 343-360

Il y a quelque chose qui, dans une étude sur Bailly, dominera toujours sa vie et ses ouvrages : c’est sa mort, son courage calme et céleste 66, sa patience, ce mot simple et sublime, le seul tressaillement suprême qui échappa à sa conscience de juste et d’homme de bien. […] Dans le volume où sont renfermés plusieurs morceaux de ce genre, je ne trouve de vraiment digne de lui que la notice sur l’abbé de La Caille, juste tribut du disciple envers un maître, et l’Éloge de Leibniz, couronné par l’Académie de Berlin en 1768 : il y explique avec étendue et facilité ce génie universel et souverainement conciliateur de Leibniz, le moins ressemblant de tous (dans ces hauteurs) à celui de Pascal, lequel au contraire se plaît à opposer en tout point les deux rivages, à les tailler à pic, et à creuser l’abîme qui les sépare. […] Vous pouviez intituler votre livre Histoire du ciel, à bien plus juste titre que l’abbé Pluche, qui, à mon avis, n’a fait qu’un mauvais roman… Je vois dans votre livre, monsieur, une profonde connaissance de tous les faits avérés et de tous les faits probables. […] Bailly a, ce me semble, une idée peu juste, en vertu de laquelle il juge très défavorablement de ces peuples anciens et les déclare incapables des inventions scientifiques, qu’il estime peut-être supérieures elles-mêmes à ce qu’elles étaient en effet : quand il voit chez eux des fables accréditées et prises au pied de la lettre, il croit que tout cela a dû commencer par être une poésie allégorique, et que ce n’est que par une sorte de corruption et de décadence qu’on en est venu à prêter graduellement à ces fables une consistance qu’elles n’avaient pas d’abord dans l’esprit des inventeurs : en un mot, il croit à une sorte d’analyse antérieure à une réflexion philosophique préexistante à l’enfance et à l’adolescence humaines si aisément riches de sensations et toutes fécondes en imagesj.

182. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire de la littérature française à l’étranger pendant le xviiie  siècle, par M. A. Sayous » pp. 130-145

Ce fut la ligne que suivirent les Cramer, les Calandrini, les Abauzit, et qu’observa lui-même dans sa belle et juste carrière Charles Bonnet, le dernier de tous et le plus en vue. […] Il me paraît surtout avoir plus d’un rapport avec ce dernier, avec le philosophe de Béziers, de qui Marmontel nous dit que « ce que l’âge lui avait laissé de chaleur n’était plus qu’en vivacité dans un esprit gascon, mais rassis, juste et sage, d’un tour original, et d’un sel fin et doux18 ». […] Saussure est de ces esprits parfaits qui unissent dans une haute et juste mesure les éléments les plus différents, l’exactitude du physicien, le jugement froid de l’observateur, la sagacité du philosophe, l’amour et le culte de la nature, l’imagination qui l’embrasse ; avec cela, n’accordant rien à l’effet, à la couleur, à l’enthousiasme ; et quand il devient peintre, n’y arrivant que par la force du dessin, par la pureté de la ligne, la clarté de l’expression, et, comme il sied au savant sévère, avec simplicité21. […] [NdA] On peut lire pourtant encore une Lettre à une dame de Dijon touchant les dogmes de l’Église romaine, où il y a bien des choses justes et fines : comme on oppose toujours aux protestants l’Exposition de la foi catholique, par Bossuet, Abauzit fait très bien remarquer que ce livre si vanté, auquel on renvoie toujours et qui fut publié dans des circonstances et dans des vues qu’on n’ignore pas, « est moins une exposition qu’un adoucissement de la foi catholique », que l’on s’efforce de rapprocher de la protestante : « Ainsi le livre de M. de Meaux ne nous regarde pas, mais il est excellent pour son Église qui devrait en profiter ; et ce n’est pas tant une apologie dans les formes que des excuses qu’il nous fait.

183. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourg, par M. Michelet. (suite.) »

Je n’ai point suivi le maître dans les plans et programmes de lectures sérieuses et graduées qu’il propose, à mesure que l’éducation avance : peu de grammaire, pas de rhétorique formelle ni dogmatique, et la logique ajournée ; mais la jurisprudence positive, historique, l’histoire elle-même, la lecture directe des auteurs, c’est ce qu’il conseille, indiquant chacun de ces auteurs alors en usage, le désignant au passage d’un trait juste, et sur les sujets et pour les époques les plus éloignées de cette « ingénue Antiquité » qu’il préfère, montrant qu’il sait comprendre tout ce qu’il regarde, même l’âge de fer et le Moyen-Age, et qu’il est un guide non trompeur, évitant partout sans doute l’accablement et la sécheresse, mais de trop de goût pour aller mettre des fleurs là où il n’en vient pas. […] Écoutez le sage Fleury, son sous-précepteur : « C’était, nous dit-il, un esprit du premier ordre : il avait la pénétration facile, la mémoire vaste et sure, le jugement droit et fin, le raisonnement juste et suivi, l’imagination vive et féconde (que de choses !). […] En voici la première page, où se fait d’abord sentir l’empressement et comme le débordement de phrase habituel à Saint-Simon : « Il ne faut point d’autre éloge pour un prince prêt à régner suivant le cours ordinaire de la nature, que les projets qu’on va voir qu’il avait formés et qu’il avait fortement résolu de suivre et d’exécuter sagement de point en point l’un après l’autre ; surtout si l’on fait réflexion au pouvoir sans bornes qui l’attendait, auquel il fut tout à fait associé par la volonté du roi son aïeul, aussitôt après la mort du prince, fils unique du monarque, père de celui qui, aux dépens de cette autorité qui enchante les plus grands hommes, mettait toute son étude et toute sa satisfaction à rendre son règne juste et ses peuples heureux. […] Il serait à souhaiter sans doute que tous les sujets d’un royaume fussent vertueux, et l’on ne saurait prendre de trop justes mesures pour qu’une bonne éducation les rende tels ; mais il suffit qu’il s’y trouve autant d’hommes versés dans les sciences qu’il en faut pour remplir les places.

184. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Sainte-Hélène, par M. Thiers »

Napoléon semble ne plus mettre son orgueil qu’à voir plus loin et plus juste que d’autres. […] Il ne serait pas juste maintenant, après avoir tant parlé du héros, de ne pas dire quelque chose de l’historien qui nous l’a si bien fait connaître. […] Royer-Collard répliqua : « N’ayez pas peur, vous vous défendez contre tout le monde. » Le mot est charmant, et, de plus, il est juste et a tout son poids dans la bouche d’un homme qui ne faisait guère de compliments. […] Que ne puis-je détacher ces trois pages de résumé admirable sur le caractère de Napoléon (p. 710-713), depuis ces mots : Napoléon était né avec un esprit juste, … jusqu’à ceux-ci : Telle fut cette nature extraordinaire !

185. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Gisors (1732-1758) : Étude historique, par M. Camille Rousset. »

Il avait montré comment une bonne armée se crée et s’organise, il nous montre aujourd’hui comment elle se fond et se défait ; on sait mieux, après l’avoir lu, ce qu’il faut entendre par ces mots de corruption et de décadence ; on s’en fait une trop juste idée, en même temps qu’on sait aussi faire la part des exceptions, de la valeur, du désintéressement et de l’intégrité, qui se personnifient en quelques nobles figures, même aux plus tristes moments de cette monarchique histoire. […] Surtout il semble radicalement guéri du travers originel des Fouquet et dont son père même n’était point du tout exempt, de ce qui est vanité et présomption, le trop d’entreprise, l’audace et le vaste des pensées : lui, il est modéré dès vingt ans, modeste, appliqué, prudent, et il ne semble amoureux que d’une juste gloire. […] Il a été pleuré à l’armée des ennemis comme dans la noire. » Dans le premier moment, un sentiment de regret unanime s’associa comme une trop faible consolation et un bien juste hommage à l’immense douleur du maréchal de Belle-Isle ; mais la malignité qui se glisse partout, et qui est si prompte à se venger d’un premier mouvement de sympathie, trouva bientôt mauvais qu’il n’eût point résigné le ministère tout aussitôt après la mort de son fils. […] Cette parfaite culture à laquelle rien n’avait manqué et qui avait si bien réussi, ce respect absolu pour son père, cette soumission, cette juste égalité de sentiments en tout, ou cette réserve qui était une vertu à son âge, ne laissent pas deviner quelle nature de génie particulière pouvait être en lui, et s’il avait du génie ou seulement un parfait mérite ; car, quand on a tant de bon sens à vingt-cinq ans, aura-t-on du génie à cinquante ?

186. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres choisies de Charles Loyson, publiées par M. Émile Grimaud »

A y bien songer, on trouvera qu’il est convenable et juste que la gloire ainsi remonte, qu’il y ait réversibilité, que l’ancêtre (antecessor) profite de la célébrité du descendant, et que, par une sorte de culte religieux comme en Chine, les aïeux gagnent et croissent en honneur par les mérites mêmes de leurs petits-neveux. […] Lainé et de ses collègues, peu juste (on ne saurait lui demander des choses contraires) envers l’Empire tombé dont elle ne voyait que les désastres et les malheurs128. […] Cette espèce de rendez-vous à prochaine échéance qu’il n’hésitait pas à donner à l’âme de Loyson se trouva heureusement fort ajournée : mais il est juste de dire que, s’il tarda de près d’un demi-siècle à le rejoindre, il ne l’oublia jamais ; il aimait à s’en entretenir avec nous ; il provoquait notre ami M.  […] Mais, ces points obtenus, l’ensemble fait défaut ; la juste proportion des choses et des hommes n’y gagne pas.

187. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « APPENDICE. — CASIMIR DELAVIGNE, page 192. » pp. 470-486

Comment, par exemple, sa raison si fine et si juste ne s’est-elle pas révoltée contre la bizarrerie de l’image suivante : Vainqueurs, sauvez les Grecs ! […] Les talents poétiques et littéraires d’aujourd’hui (sans parler des autres, politiques et philosophes) sont soumis à de redoutables épreuves qui furent épargnées aux beaux génies du siècle de Louis XIV, et il est bien juste de tenir compte, en nous jugeant, de ces difficultés singulières qu’on a à subir. […] Delavigne, mérite grave à la fois et charmant, pour lequel, si l’on voulait être tout à fait juste en l’analysant, on aurait besoin, non plus d’une simple audition, mais d’une lecture. […] Aussi, quelles que soient les convictions particulières qu’on apporte à cette pièce, il est impossible de n’en pas saluer la juste intention.

188. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre III. Poésie érudite et artistique (depuis 1550) — Chapitre II. Les tempéraments »

Il serait plus juste de dire que Ronsard n’a pas pu éviter ces erreurs, parce qu’il n’avait à aucun degré le sens épique. […] Il a manié toutes ces formes avec un réel instinct du rythme : s’il n’a pas semblé avoir une conscience nette du rôle des accents dans les vers, s’il n’en parle jamais, non plus que Du Bellay dans sa théorie, en fait il les distribue souvent avec un très juste sentiment. […] Il a réussi, chaque fois que s’est fait un juste équilibre de son art et de son inspiration, et que la réflexion n’a point paralysé la spontanéité. […] Mais si l’on veut être juste envers la Pléiade, on se souviendra qu’avant le romantisme, Ronsard est en somme notre plus certain lyrique ; en second lieu, qu’il est à peu près notre unique lyrique qui ait cherché son inspiration hors de la religion, hors même des faits historiques et de l’héroïsme, le seul qui ait tâché de tirer son œuvre des sources intimes du tempérament ; enfin, que Ronsard, c’est vraiment la première ébauche et la période, si l’on peut dire, préhistorique du classicisme : qu’alors dans la langue, dans la poésie, apparaissent une multitude de formes dont quelques-unes survivront, et deviendront les types parfaits, et stables pour un temps, de la poésie.

189. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Légendes françaises. Rabelais par M. Eugène Noël. (1850.) » pp. 1-18

C’est ce mélange et ce juste équilibre qui caractérise la véritable et complète éducation selon Rabelais : le médecin, l’homme qui sait les rapports du physique au moral et qui consulte en tout la nature, se retrouve en lui à chaque prescription. […] Il y a de l’excès, de la charge assurément dans tout l’ensemble ; mais c’est une charge qu’il est facile de ramener au vrai, et dans le sens juste de l’humaine nature. […] Pour renverser ces deux colosses, ils n’employèrent d’autres armes que le ridicule, ce contraste naturel de la terreur humaine (Quelle plus juste et plus heureuse définition ! […] J’avais alors un souverain mépris pour Rabelais. » Dans ses Lettres philosophiques, il a parlé de lui très légèrement en effet, en le mettant au-dessous de Swift, ce qui n’est pas juste : « C’est un philosophe ivre, concluait-il, qui n’a écrit que dans le temps de son ivresse. » Mais, vingt-cinq ans plus tard, il lui a fait réparation en écrivant à Mme Du Deffand : J’ai relu, après Clarisse, quelques chapitres de Rabelais, comme le combat de frère Jean des Entommeures et la tenue du conseil de Picrochole ; je les sais pourtant presque par cœur, mais je les ai relus avec un très grand plaisir, parce que c’est la peinture du monde la plus vive.

190. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Du Rameau » pp. 288-298

On voit le saint sur son lit, on le voit de face, le chevet au fond de la toile, présentant la plante des pieds au spectateur, et par conséquent tout en raccourci ; mais la figure entière est si naturelle, si vraie, le raccourci si juste, si bien pris, qu’entre un grand nombre de personnes qui m’ont loué ce tableau je n’en ai pas trouvé une seule qui se soit apperçue de cette position, qui montre sur une surface plane le saint dans toute sa longueur, toutes les parties de son corps également bien dévelopées, la tête et l’expression du visage dans toute sa beauté. […] Il y a derrière ces deux principales figures, dont la position, les vêtemens, les draperies, les plis sont si justes, qu’on ne songe pas à les vouloir autrement, un porte-dais et quelques autres ecclésiastiques assistans avec des cierges, des flambeaux et la croix. […] Le Joseph est de tête, d’action, de mouvement, de vêtement un bon vieux charpentier tout juste, sans presque d’autre exagération qu’un bon choix de nature ; cependant on ne peut l’accuser d’être ignoble, mesquin ou petit. […] Le palais me rappelle des tyrans, des dissolus, des fainéans, des esclaves ; la chaumière, des hommes simples, justes, occupés et libres.

191. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — Les traductions. » pp. 125-144

Auquel cas, il recommande qu’on substitue des allusions plus ingénieuses & plus sensibles, qu’on remplace même quelquefois les idées outrées, les détails trop étendus, les comparaisons forcées par des choses plus justes & plus nobles, en avertissant toutefois le public de ces changemens. […] Faute de prendre un juste milieu entre une exactitude scrupuleuse & une liberté honnête, presque toutes nos traductions ont été manquées ; il en est très-peu dont ont parle. […] Le célèbre président Bouhier, ce sçavant d’un esprit si juste & d’un goût si délicat, tient pour les vers.

192. (1799) Dialogue entre la Poésie et la Philosophie [posth.]

Le voici : c’est d’abord quand ils offrent des idées heureuses ou neuves ; c’est en second lieu quand l’expression est propre et juste sans être commune. […] Ces efforts leur font chercher, et trouver quand ils ont du génie, les expressions les plus justes et les tours les plus heureux dont leur langue soit susceptible. […] Alexandre, César, ce roi philosophe dont je viens de vous parler, tous d’aussi bonne maison que ces messieurs, et à ce que je crois, un peu plus grands hommes, seraient d’un autre avis, plus juste et plus flatteur pour celui dont je parle ; et le public, plus fort que tous les gens à la mode, le dédommagera, par son suffrage, de ceux qu’il n’aurait pas le bonheur d’obtenir : ce public, un peu dur quelquefois, mais toujours respectable, prendrait la liberté de dire à ses frivoles censeurs : Rien n’est si ridicule que de vouloir attacher du ridicule aux talents, et de paraître dédaigner ce qu’on n’est pas en état de faire.

193. (1889) La critique scientifique. Revue philosophique pp. 83-89

Toute œuvre, du reste, et c’est le cas pour la peinture, ne manifeste guère ces caractères intellectuels : le raisonnement juste ou fautif, le jugement sain ou faux, la faculté forte ou faible de généralisation, etc. […] L’hérédité, la sélection naturelle qui s’opère entre les artistes et les facultés de l’artiste, les lieux ou l’habitat, ces trois facteurs, juge-t-il, ne nous donnent pas grand-chose, même entre les mains de Taine ; leurs influences sont indécises, et les théories de ce puissant critique ne semblent ni justes dans leur rigueur, ni surtout vérifiables. […] Si elle est juste en partie, elle ne va pas sans difficultés.

194. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Louis XIV. Quinze ans de règne »

Il faut être juste : la philosophie, qui se moque des hypocrites religieux et qui a les siens, les révolutions, qui ont détruit les grandes fortunes et rendu la vie si exiguë, ne devaient-elles pas arriver à ce résultat de nous pousser l’imagination, de toute la force de l’ennui enragé qu’elles ont créé pour les peuples modernes, vers le temps passé des grandes existences et des plaisirs largement conçus et splendidement réalisés ? […] Quand on a lu son livre des Quinze ans du règne de Louis XIV, on a certainement quelques notions justes de plus, quelques faits de plus dans la tête, bien époussetés et bien éclaircis, mais on n’a pas une vue nouvelle, — une de ces traînées de lumière, ou même, simplement, un de ces points fixes et lumineux que les hommes qui fécondent les événements par la méditation allument dans l’esprit avec une phrase ou avec un mot. […] Avec le choix qu’il avait fait des plus tristes années d’un règne qui tenterait par les côtés les plus brillants les imaginations vulgaires, nous pensions qu’il avait sur ces quinze années, jugées un peu trop par les hommes, ces valets de bourreau du succès, comme le sont les phases malheureuses, quelque juste réclamation à élever, quelque inscription en faux inattendue à introduire contre des opinions la plupart sans sagacité et sans largeur.

195. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XIX. Panégyriques ou éloges composés par l’empereur Julien. »

Accessible aux étrangers, sensible aux prières de ceux qui l’emploient, jaloux de plaire aux meilleurs citoyens, juste avec tous, il s’occupe également de tous les intérêts. […] Il en est d’autres qui n’ont plus l’espérance de redevenir justes, et que la loi condamne, pour leur épargner de nouveaux crimes ; il évitera de les condamner lui-même ; jamais la bouche du souverain ne s’ouvrira pour prononcer une peine de mort. […] Qu’il imite l’Être suprême dont il est le ministre : Dieu est le créateur du bien ; jamais cet être juste et bienfaisant n’a créé le mal.

196. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 40-47

Ce n’est pas par des Remarques plus subtiles que justes, par des Réflexions plus fausses que conformes au goût, par des Analyses infidelles & insidieusement présentées, par des Critiques minutieuses & souvent puériles, par des Notes grammaticales auxquelles on attache une importance d’autant plus ridicule, que les fautes de langue qu’on y releve appartiennent moins au Poëte qu’au temps où il vivoit, qu’on pourroit se former une idée sûre du Héros de la Tragédie. […] De petits Auteurs froids & composés auront beau disserter, raisonner, subtiliser, ressasser ces mots imposans de vûes justes & fines, de discernement sûr, de sentiment, de convenance, de sensibilité ; le Héros de notre Tragédie sera toujours en droit de dire, au sujet de ses sentimens & de sa Poésie : Rome n’est plus dans Rome, elle est toute où je suis.

197. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Les nièces de Mazarin et son dernier petit-neveu le duc de Nivernais. Les Nièces de Mazarin, études de mœurs et de caractères au xviie  siècle, par Amédée Renée, 2e éd. revue et augmentée de documents inédits. Paris, Firmin Didot, 1856. » pp. 376-411

Il y a même plus ou moins que de l’impartialité, car si l’auteur voit juste et finement sur bien des points de la conduite de Mazarin, il se trompe en voulant retirer à Richelieu ce qu’il accorde à son cher grand-oncle. […] Il faut toutefois ne rien exagérer et continuer de voir le duc de Nivernais dans son juste cadre. […] Dîner au son du cor et du hautbois ; promenade au belvédère, avec un arc-en-ciel qui paraît juste comme à point nommé pour décorer le fond du paysage ; collation rurale dans le bois, à l’entrée de la grotte. […] Il commence par parler de la comtesse de Rochefort, qu’il distingue des autres femmes, et particulièrement d’avec la comtesse de Boufflers : « Son intelligence est juste et délicate, avec une finesse d’esprit qui est le résultat de la réflexion. […] Et parlant d’une de ces séances les plus goûtées : « M. le duc de Nivernais a lu une demi-douzaine de fables d’une moralité juste, mais commune, et d’une versification aussi mince que sa voix est flûtée : l’une semble être faite pour l’autre.

198. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (2e partie) » pp. 365-432

Or le cœur humain est sympathique, mais il n’est jamais radical, parce qu’il pèse d’un juste poids, et non au poids seul de la chair et du sang, les innombrables différences du passé et du présent dont le même malheur se compose, pour le frère de Cartouche ou pour le fils de Louis XVI. […] Il faut être juste, Victor Hugo le sent, le dit, et restreint aux prêtres sa condamnation radicale du luxe. […] L’impôt est le grand répartiteur du superflu du riche entre les pauvres ; l’impôt, comme cela est juste, est supporté, en immense majorité, par celui qui possède pour celui qui n’a pas encore le bonheur de posséder : c’est la pompe sans cesse aspirante et foulante qui soutient tous les ans la richesse publique de l’épargne de chaque propriétaire, qui la condense en nuée dans les coffres de l’État, et qui la distribue ensuite en travail, en salaire, en services publics entre les mille mains et les mille bouches des travailleurs qui en vivent. […] L’évêque sent juste, mais raisonne mal ; ce sont là des paradoxes qu’il est très dangereux de donner au peuple, car le peuple vit d’idées justes et non de rhétorique humanitaire. […] Mais il sent juste, et il s’exprime en style magique, quand il oublie ses sophismes pour méditer la nuit sur l’œuvre infinie du Créateur dans ses contemplations nocturnes devant les étoiles.

199. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Malherbe »

En tout il voit et il prend les choses au point juste où il les trouve. […] Il n’était pas juste ce jour-là, et il abusait de ses avantages. […] quelle juste couronne il se tresse de ses propres mains ! […] Il a trop supprimé sans doute, il s’est trop retranché de ce qui avait précédé ; mais il a fondé quelque chose de noble et de juste, et qui est bien dans le sens de la nation. […] une pièce qui nous rappelle et nous rende en français quelques-uns de ces mérites, qui offre correction, noblesse, gravité, pureté, des images nettes et fermes, des pensées justes, un fonds de raison et de sens commun, même dans la verve !

200. (1875) Premiers lundis. Tome III « Émile Augier : Un Homme de bien »

C’est là du bon style ; mais il est fâcheux encore que toutes les saines pensées et les maximes justes de la pièce se trouvent rejetées dans la bouche de ce triste Féline, et qu’elles s’y trouvent (notez-le), non pas comme des ressorts de son rôle, mais à titre même de choses justes ; il devient ainsi par moments une manière d’Ariste véritable ; c’est Tartufe et Cléante mis en un, s’il est permis d’amener ici ces grands noms

201. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — Q. — article » pp. 572-580

J’ajouterai même que, dans le temps où j’écrivois contre lui, nous étions tous deux fort jeunes, & qu’il n’avoit pas fait alors beaucoup d’Ouvrages qui lui ont acquis dans la suite une juste réputation* ». […] Ce jugement fait voir que M. de Voltaire n’étoit pas plus infaillible ni plus juste dans ses éloges que dans ses critiques.

202. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre premier. Sujet de ce livre » pp. 101-107

Le second motif fut leur juste admiration pour l’ordre social qui en est résulté et qui ne pouvait être que l’ouvrage d’une sagesse surnaturelle. […] D’après cela, nous distinguerons à plus juste titre que Varron, trois espèces de théologie : théologie poétique, propre aux poètes théologiens, et qui fut la théologie civile de toutes les nations païennes ; théologie naturelle, celle des métaphysiciens ; la troisième, qui dans la classification de Varron est la théologie poétique42, est pour nous la théologie chrétienne, mêlée de la théologie civile, de la naturelle, et de la révélée, la plus sublime des trois.

203. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Troisième série

Voilà qui est juste, mais qui ne nous intéresse plus beaucoup. […] En cela elle est juste. […] Parce que c’est juste. […] Et « successivement » n’est pas juste. […] Rien même de plus juste.

204. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (2e partie) » pp. 305-367

Quant aux vrais principes d’une république unanime appelant toutes les classes et tous les citoyens sans exception à apporter, par le suffrage universel, leur part juste de souveraineté naturelle dans une première assemblée, pour que cette première assemblée dictatoriale régularisât à loisir les degrés divers de ce suffrage universel, pour que la souveraineté brutale du nombre, équilibrée par la souveraineté morale de la lumière et de la raison, donnât la majorité au droit général qui fait de l’intelligence une condition de tout droit humain ; je ne les répudie pas davantage. […] Ne serait-il pas possible de retrouver ce sens vrai de la Révolution française en remontant à son origine et à ses premiers organes, d’en dégager la juste signification des passions et des crimes à travers lesquels elle a perdu son caractère et son but, et de rappeler ainsi la France de 1840 à la philosophie sociale et politique dont elle fut l’apôtre et la victime pour devenir, quoi ? […] X Un écrivain qui frappe juste, mais qui frappe souvent trop fort, à cause de la vigueur même de son talent, M. de Cassagnac, vient d’écrire à son tour un livre sur les Girondins. […] Cela était juste. […] Le jugement final porté par moi dans les Girondins sur cet homme, sur ses systèmes et sur ses actes, est trop implacable de sévérité pour qu’on puisse m’imputer aucune complicité d’idées ou aucune intention d’atténuation de ses immanités, juste horreur des siècles.

205. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (3e partie) » pp. 369-430

Quand, dans le moyen âge de Rome papale, la belle et infortunée Cinci devint complice de la mort d’un tyran féodal, féroce et incestueux, qui était son père, et quand la juste inflexibilité du pape refusa la grâce d’une coupable, grâce que toute l’Italie demandait à cause de la fatalité, de l’innocence et de la beauté de la victime, un peintre illustre saisit son pinceau et retraça, pendant qu’elle marchait à l’échafaud, la figure angélique et la pâleur livide de la Cinci ; ce portrait rendit à la condamnée une vie immortelle. […] Là où tout le monde tâtonne, il touche juste, il marche droit. […] Qu’on lise sans exception tous les mémoires de ses plus intimes courtisans de Versailles ou de Trianon, publiés avant et depuis les Girondins, on se convaincra qu’à cet égard ils sont tous plus sévères même que l’histoire sur l’action politique de la reine ; et qu’on lise dans les Girondins les pages du cinquième volume consacrées par moi aux malheurs et au supplice de cette princesse, dont l’apothéose, juste alors, eut pour piédestal un cachot et un échafaud, certes on ne m’accusera plus d’avoir voulu ternir cette sublime ascension de la victime. […] Si le roi eût été ferme et intelligent, si le clergé eût été désintéressé des choses temporelles, si l’aristocratie eût été juste, si le peuple eût été modéré, si Mirabeau eût été intègre, si La Fayette eût été décidé, si Robespierre eût été humain, la Révolution se serait déroulée, majestueuse et calme comme une pensée divine, sur la France et de là sur l’Europe ; elle se serait installée comme une philosophie dans les faits, dans les lois, dans les cultes. […] La pensée la plus sainte, la plus juste et la plus pieuse, quand elle passe par l’imparfaite humanité, n’en sort qu’en lambeaux et en sang.

206. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Villemain » pp. 1-41

Il croit, avec juste raison, que le règne se passe de ceux-là qui, depuis trente ans, débitaient de la rhétorique sur toutes choses, et qu’après la tribune qu’on leur a brisée sous le pied on pourrait bien descendre, au moins d’un degré, la chaire qui leur reste… et voilà le secret de ces plaintes de Josse en déconfiture, que l’on nous soupire aujourd’hui sur le chalumeau d’une fausse nationalité. […] Le professeur d’art oratoire, le rhéteur, l’ancien ministre du Juste Milieu qu’avait été quelques instants Villemain, trouvaient leur compte à cela… Seulement, il aurait fallu un esprit plus puissant que celui de Villemain pour mener à bien pareille œuvre. […] Mais partout, partout derrière eux, il y a Villemain, Villemain le professeur et le rhéteur, Villemain le ministre du Juste Milieu, l’académicien perpétuel aux éloges académiques éternels, Villemain célèbre un jour, mais qui commence à ne plus l’être, qui commence enfin d’entrer dans la pénombre vengeresse qui suit trop de célébrité ! […] Et quoique Villemain, le révolutionnaire mitigé, l’homme du Juste Milieu en tout, même en littérature, n’approuve pas complètement toutes les audaces de Fox, de ce sanguin au sang bouillant et pourpré ; quoiqu’il trouve de mauvais goût peut-être tous ces déboutonnements du gilet jaune du whig, enivré de démocratie comme il l’était souvent de porto gingembré, il préfère Fox cependant avec ses débraillements démocratiques à des hommes bien plus grands que lui, aux deux Pitt, par exemple, et à Burke, qu’il a oubliés dans son histoire, et il nous l’a donné (le croirait-on ?) […] C’étaient comme lui des gens de Juste Milieu, des moitiés de royalistes et de révolutionnaires.

207. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance de Voltaire avec la duchesse de Saxe-Golha et autres lettres de lui inédites, publiées par MM. Évariste, Bavoux et Alphonse François. Œuvres et correspondance inédites de J-J. Rousseau, publiées par M. G. Streckeisen-Moultou. — I » pp. 219-230

Et ceci me rappelle un contraste ; car, pour être juste envers Rousseau, il ne faut jamais le séparer de son siècle ni de ceux qu’il est venu contredire et en face desquels il a osé relever son noble drapeau. […] de tous les points de vue auxquels on peut se placer pour le regarder, il en est un qui me paraît le plus juste et qui est aussi le plus simple : voyons-le à son moment dans le siècle ; voyons-le en lui-même et dans ses écrits, dans ses pensées confidentielles, dans tout ce qui lui échappe de contradictoire et de sincère. […] Perçons la légende dont l’histoire elle-même n’est pas exempte ; replaçons-nous de l’autre côté du nuage ; voyons-le de près, comme quelqu’un qui l’aurait rencontré à Motiers ou qui l’aurait visité rue Plâtrière ; c’est encore le moyen de nous faire de lui la plus juste idée.

208. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. Vitet à l’Académie française. »

Mais ce même public, s’il aime un grain ou deux de malice, goûte encore plus la diversité ; et pour lui, l’accord, quand il est juste, peut aussi avoir son piquant. […] Tout cela reste juste, et pourtant dans la vie réelle, dans l’exacte ressemblance, les choses ne se passent jamais tout à fait ainsi : M.  […] Molé ne trouverait à y opposer, a-t-il dit, que le « for intérieur du promeneur pensif et solitaire, auquel notre vie, notre civilisation active et compliquée fait chercher, avant tout, le calme, le silence et la fraîcheur. » Analysant avec détail le beau travail sur Lesueur et sur les révolutions de l’art, insistant sur l’accord mémorable avec lequel ces trois jeunes gens, Poussin, Champagne et Lesueur, se dégagèrent du factice des écoles et vinrent retremper l’art dans le sentiment intérieur et dans la nature, le directeur de l’Académie a fait entendre de nobles et bien justes paroles : « Constatons-le, a-t-il dit, ces trois hommes étaient de mœurs pures, d’une âme élevée ; tout en eux était d’accord.

209. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre VII. Développement des idées de Jésus sur le Royaume de Dieu. »

Les justes sont persécutés, et l’unique partage des bons est de pleurer. […] Jésus ne savait pas assez l’histoire pour comprendre combien une telle doctrine venait juste à son point, au moment où finissait la liberté républicaine et où les petites constitutions municipales de l’antiquité expiraient dans l’unité de l’empire romain. […] Mais, pour être juste envers les grands créateurs, il ne faut pas s’arrêter aux préjugés qu’ils ont pu partager.

210. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XI. Le royaume de Dieu conçu comme l’événement des pauvres. »

Mais quand tu fais un repas, invite les pauvres, les infirmes, les boiteux, les aveugles ; et tant mieux pour toi s’ils n’ont rien à te rendre, car le tout te sera rendu dans la résurrection des justes 507. » C’est peut-être dans un sens analogue qu’il répétait souvent : « Soyez de bons banquiers 508 », c’est-à-dire : Faites de bons placements pour le royaume de Dieu, en donnant vos biens aux pauvres, conformément au vieux proverbe : « Donner au pauvre, c’est prêter à Dieu 509. » Ce n’était pas là, du reste, un fait nouveau. […] » Jésus avait alors de fines réponses, qui exaspéraient les hypocrites : « Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin de médecin 521 » ; ou bien : « Le berger qui a perdu une brebis sur cent laisse les quatre-vingt-dix-neuf autres pour courir après la perdue, et, quand il l’a trouvée, il la rapporte avec joie sur ses épaules 522 » ; ou bien : « Le fils de l’homme est venu sauver ce qui était perdu 523 » ; ou encore : « Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs 524 » ; enfin cette délicieuse parabole du fils prodigue, où celui qui a failli est présenté comme ayant une sorte de privilège d’amour sur celui qui a toujours été juste.

211. (1811) Discours de réception à l’Académie française (7 novembre 1811)

Laujon n’a donné que de justes éloges et n’a reçu que d’honorables récompenses ; enfin, Messieurs, il a en un talent bien rare, il s’est fait estimer de ceux qu’il s’était chargé de divertir. […] Si, chez une nation, la satire de tout mérite personnel est une des règles du théâtre, l’ostracisme doit être un des articles de la législation, et les hommes qui se plaisent à voir outrager Euripide, parce qu’il est trop grand, sont les mêmes qui exilent Aristide, parce qu’il est trop juste. […] Alors ta voix éloquente célébrerait ses bienfaits : dans l’ivresse de ta reconnaissance, tu t’écrierais encore : « Nous vivons sous un prince aussi juste que grand ! 

212. (1760) Réflexions sur la poésie

Eu un mot, voici, ce me semble, la loi rigoureuse, mais juste, que notre siècle impose aux poètes ; il ne reconnaît plus pour bon en vers que ce qu’il trouverait excellent en prose. […] Chacun des concurrents en particulier, trouve cette sévérité très juste à l’égard de ses rivaux ; mais plusieurs la jugent inique et barbare pour ce qui les concerne. […] La Fontaine surtout, qu’on regarde assez mal à propos comme le poète des enfants, qui ne l’entendent guère, est à bien plus juste titre le poète chéri des vieillards : il l’est même plus que Racine.

213. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « L’idolâtrie au théâtre »

Et, en effet, pour être juste il faut le reconnaître, l’amour du théâtre parmi nous n’est pas seulement le plaisir matériel des spectacles, le pain des yeux, le vin des sens, cher à tout peuple devenu intellectuellement une populace, et qui demande ses circenses. […] Le vieux mot qu’on a tant répété : « la littérature est l’expression de la société », n’est plus juste. […] Élevée par des maîtres sceptiques, gouvernée longtemps par des hommes de juste milieu pour qui jamais la vérité ne fut qu’un jeu d’escarpolette, tourbillon d’individualités sans le ciment qui les relierait et leur donnerait la solidité d’un monde, la société moderne, privée du profond et sympathique intérêt des doctrines communes, n’a plus que le théâtre pour toute ressource.

214. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Michelet » pp. 259-274

Ils étaient simples, doux, bons et justes, au milieu des enivrements terribles de la guerre. Desaix fut appelé : « le Sultan juste » par les Mameloucks. […] La Tour d’Auvergne fait tout pâlir dans le livre de Michelet, Desaix, le Sultan juste, le héros sans phrases, qui, de l’aveu de Michelet (aveu qui l’honore), avait été élevé par des prêtres, — ce qui expliquerait le christianisme de ses vertus ; Hoche le clément, qui ne s’est élevé que par lui-même, s’effacent devant La Tour d’Auvergne… C’est, en art, une faute, selon moi, d’avoir, dans le volume, donné sa Vie la première.

215. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Littré. »

 » Modeste pour son auteur comme pour lui-même, on peut trouver qu’il ne le loue que juste assez. […] Notez qu’en traduisant ainsi tout un chant, là où cinquante vers eussent suffi pour donner une juste idée aux lecteurs, M.  […] Tout ce qui arrive a sans doute ses raisons d’être et d’arriver, mais ces raisons ne sont pas nécessairement les plus justes par rapport à nous ni les meilleures. […] Nisard, Pline l’Ancien : bonne traduction, bonne notice, point de vue juste, élevé, mais général, et d’où les mille difficultés de détail qui se rattachent au livre ne sont pas abordées. […] Il se réjouit peut-être tout bas d’avoir à souffrir quelque chose pour un juste méconnu et persécuté.

216. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Alfred de Vigny. »

Molé trop sec et trop sobre d’éloges : on le trouva juste, au contraire ; que dis-je ? […] Molé, les supériorités poétiques de M. de Vigny sont hors de cause et demeurent hors d’atteinte ; mais dans les sphères humaines et même littéraires, c’est quelque chose aussi qu’un esprit fin, un esprit juste et un bon esprit. […] Dieu juste, est-ce vous ? […] Une grave inexactitude s’y fait remarquer : Caïn y est représenté comme laboureur, et c’est à bon droit ; mais Abel, le pastoral Abel, y est donné comme chasseur et hantant les forêts, ce qui n’est pas juste. […] Les derniers vers, où il montre le pauvre mendiant, tout réconforté et encouragé par de bonnes paroles, se remettant à jouer et jouant mieux qu’il n’avait jamais fait, sont des plus heureux : Son regard attendri paraissait inspiré, La note était plus juste et le souffle assuré.

217. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Deuxième partie. — L’école critique » pp. 187-250

Lysidas se souvient-il d’une remarque bien fine et bien juste que faisait Uranie, le jour où L’École des femmes était si habilement attaquée, et si vivement défendue dans sa maison ? […] Lysidas, d’érudit qu’il était devenu métaphysicien, et la spirituelle Uranie, assistant en 1862 à une représentation de L’École des femmes, juste deux siècles après la première. […] Par quelle logique inaperçue est-elle partie de cette émotion vive pour arriver à des critiques si justes et si élégantes ? […] Serait-ce qu’elle compare aujourd’hui leurs œuvres à cet idéal devenu clair à ses yeux, et la netteté de cette intuition est-elle cause que ses sentiments actuels sont justes ? […] Je nie qu’elles soient justes, moi théoricien, moi dialecticien ; démontrez que j’ai tort et qu’elle a raison.

218. (1856) Cours familier de littérature. II « XIIe entretien » pp. 429-507

C’est la victime devenue juge par l’impersonnalité sublime de la raison, célébrant son propre supplice et jetant comme le Brutus des Romains les gouttes de son sang vers le ciel, non comme une insulte, mais comme une libation au Dieu juste ! […] C’était un homme juste. » Ici tableau patriarcal et pastoral de la richesse, de la considération, du bonheur domestique de cet homme puissant et heureux. […] « Oui », dit-il, « j’ai péché peut-être ; mais plût à Dieu que les fautes qui m’ont attiré la colère de mon juge fussent pesées dans une juste balance avec ce que je souffre ! […] Ce code de la conscience de l’humanité est tellement inné qu’il a été rédigé partout et de tout temps, par tous les législateurs sacrés et profanes, avec des formes différentes de mœurs, mais avec la même uniformité de volonté d’être juste et saint. […] Cela est juste : le mensonge et la servitude aiment ce qui leur ressemble.

219. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIe entretien. Boileau » pp. 241-326

Une intelligence juste, vive et fine, un cœur ouvert, large et bienveillant sont les deux conditions nécessaires à un peuple ou à un homme pour avoir ce qu’on appelle de l’esprit. […] Le seul juste jugement des femmes, c’est l’amour ; qui ne les adore pas ne les connaît pas. […] Il est véritablement curieux et presque ridicule de voir comment il prenait avec un compas la mesure des ailes de Pindare pour ajuster ses ailes factices à lui sur ce modèle, et pour fendre le ciel à l’aide de ce lourd mécanisme d’enthousiasme classique qui le laissait tomber ventre à terre aux justes sifflets de ses admirateurs ébahis. […] Ce n’est que juste un siècle après sa mort que la France conçut de l’esprit nouveau de nouveaux germes poétiques, et qu’elle redevint capable d’enfanter ce que nos neveux verront naître et grandir, une poésie à grand foyer dans l’âme, à grand souffle et à grandes ailes, pour emporter aux siècles le nom propre et non le nom latin de notre patrie. […] Ces monstruosités n’offenseraient pas moins la vérité éternelle que l’intelligence saine ou que les sens justes de l’homme.

220. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — I. » pp. 1-19

Celui-là aimera Massillon, qui aime mieux le juste et le noble que le nouveau, qui préfère le naturel élégant au grandiose un peu brusque ; qui, dans l’ordre de l’esprit, se complaît avant tout à la riche fertilité et à la culture, à la modération ornée, à l’ampleur ingénieuse, à un certain calme et à un certain repos jusque dans le mouvement, et qui ne se lasse point de ces lieux communs éternels de morale que l’humanité n’épuisera jamais. […] Louis XIV, qui avait des mots si justes quoique trop rares, disait à Massillon un jour, au sortir d’un de ses sermons : « Mon père, j’ai entendu plusieurs grands orateurs, j’en ai été fort content ; pour vous, toutes les fois que je vous ai entendu, j’ai été très mécontent de moi-même. » On a cité des exemples de conversions soudaines opérées par l’éloquence de Massillon. […] Il a pourtant d’agréables et justes passages, comme celui-ci par exemple, qui peint Louis XIV dans son caractère de familiarité grave et de haute affabilité : De ce fonds de sagesse sortait la majesté répandue sur sa personne : la vie la plus privée ne le vit jamais un moment oublier la gravité et les bienséances de la dignité royale ; jamais roi ne sut mieux soutenir que lui le caractère majestueux de la souveraineté. […] Ici on croit entendre dans Massillon celui à qui Louis XIV avait adressé quelques-unes de ces paroles si justes, si flatteuses, si parfaites, et qui, amateur passionné du noble et bon langage, avait regretté de ne point puiser plus souvent à cette source élevée, de ne point entendre plus souvent dans son roi l’homme de France qui parlait avec le plus de propriété et de politesse.

221. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — II. (Fin.) » pp. 495-513

À part ce double contresens général, il se dit bien de bonnes choses, et justes : La Motte, à force d’esprit et de sagacité, devina quelques-unes des objections que plus tard l’érudition de Wolf appuiera et vérifiera. Pourtant, entre lui et Mme Dacier, il ne serait pas juste de s’en tenir purement et simplement à ce que fit dans le temps Fénelon par politesse, c’est-à-dire de laisser la balance indécise. […] En face de ce colosse d’érudition et de pédantisme, elle fut même relativement légère et spirituelle : Quand je lui ôterai le mérite d’avoir entendu Homère et pénétré l’art de la poésie, disait-elle du docte jésuite, je ne lui ôterai presque rien : il lui reste des richesses infinies : au lieu que moi, si le révérend père m’avait ravi le médiocre avantage d’avoir passablement traduit et expliqué ce poète et démêlé l’art du poème, je n’aurais plus rien ; c’est la seule petite brebis que je possède116 ; je l’ai nourrie avec soin, elle mange de mon pain et boit dans ma coupe : serait-il juste qu’un homme si riche vînt me la ravir ? […] Il se fait donc entre eux une espèce de compensation ; mais il faut être bien juste pour attraper le point de l’équilibre, et profiter de leur disposition : cela vous est réservé, mon révérend père.

222. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. »

M. de Chateaubriand, à la tribune des Pairs, eut ce jour-là de nobles paroles, et, cet autre jour, il en eut de malheureuses… » Sur les violences matérielles et les horreurs qui ensanglantèrent le Midi, on est unanime ; mais là encore on essaye de n’en pas trop dire et de limiter l’indignation ; on n’emprunte que discrètement à l’effroi de la tradition populaire qui a survécu et qui subsiste encore ; on craint de paraître donner dans la légende qui grossit les faits et les transfigure : à ce travail honorable, entrepris par de bons esprits qui ont oublié d’être de grands peintres, le courant incendiaire qui traversa alors et dévora toute une partie de la France, se dissipe et s’évapore ; l’atmosphère embrasée du temps ne se traduit point au milieu de ces justes, mais froides analyses ; l’air échappe à travers les mailles du filet, et c’est encore dans les historiens d’une seule pièce, d’une seule et uniforme nuance comme Vaulabelle, dans ce récit ferme, tendu et sombre, où se dresse énergiquement passion contre passion, qu’on reçoit le plus au vif et en toute franchise l’impression et le sentiment des fureurs qui caractérisent le fanatisme royaliste à cette époque. […] Berryer et Dupin, et contre le système de défense qu’ils avaient adopté dans l’affaire du maréchal Ney, à des invectives tellement violentes, qu’il faut les citer textuellement, parce qu’aucune analyse n’en donnerait une juste idée : « A Dieu ne plaise, disait-il, que nous suivions jamais l’exemple qui nous a été donné dans une affaire récente dont les détails ont longtemps lasse notre patience… Nous avons une plus juste idée des devoirs que nous impose notre ministère, et si jamais ils se trouvaient, en opposition avec nos devoirs et nos sentiments de citoyens, notre choix ne serait pas douteux. […] A côté des du Serre, des Royer-Collard, des Pasquier, de ces organes éloquents et justes d’une minorité courageuse, que voyait-on en effet ?

223. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre II. Du goût, de l’urbanité des mœurs, et de leur influence littéraire et politique » pp. 414-442

De l’opposition de ces deux extrêmes, les idées factices de la monarchie et les systèmes grossiers de quelques hommes pendant la révolution, résultent nécessairement des réflexions justes sur la simplicité noble qui doit caractériser, dans la république, les discours, les écrits et les manières. […] L’aperçu fin et juste du petit côté d’un grand caractère, des faiblesses d’un beau talent, trouble jusqu’à cette confiance en ses propres forces, dont le génie a souvent besoin ; et la plus légère piqûre d’une raillerie froide et indifférente peut faire mourir dans un cœur généreux la vive espérance qui l’encourageait à l’enthousiasme de la gloire et de la vertu. […] Or, sans ce tribunal toujours existant, l’esprit des jeunes gens ne peut se former au tact délicat, à la nuance fine et juste, qui seule donne aux écrits, dans le genre léger, cette grâce de convenance et ce mérite de goût tant admiré dans quelques écrivains français, et particulièrement dans les pièces fugitives de Voltaire. […] Mais si la politesse est la juste mesure des relations des hommes entre eux, si elle indique ce qu’on croit être et ce qu’on est, si elle apprend aux autres ce qu’ils sont ou ce qu’on les suppose, un grand nombre de sentiments et de pensées se rallient à la politesse.

224. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VI. De la philosophie » pp. 513-542

Il faut que ces calculs aient pour base l’uniformité constante de la masse, et non pas la diversité de chaque exemple : un à un, tout diffère dans l’ordre moral ; mais si vous admettez cent mille chances, si vous calculez d’après cent mille hommes pris au hasard, vous saurez, par une approximation juste, quelle est dans ce nombre la proportion des hommes éclairés, des hommes faibles, des scélérats et des esprits distingués. […] De quel coup d’œil exercé n’a-t-on pas besoin pour marquer le point juste où l’autorité exécutive cesse d’être un bien, comme celui où son absence serait un mal ? […] D’action en réaction, de vengeance en vengeance, les victimes qu’on avait immolées sous le prétexte du bien général, renaissent de leurs cendres, se relèvent de leur exil ; et tel qui restait obscur si l’on fût demeuré juste envers lui, reçoit un nom, une puissance par les persécutions mêmes de ses ennemis. […] L’homme qui s’égare dans les sciences physiques, est ramené à la vérité par l’application qu’il doit faire de ses combinaisons aux faits matériels ; mais celui qui se consacre aux idées abstraites dont se composent les sciences morales, comment peut-il s’assurer si ce qu’il imagine sera juste et bon dans l’exécution ?

225. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre VI. Science, histoire, mémoires »

Quand ce qu’il a apporté d’idées neuves et justes aura passé dans les manuels élémentaires, et que les historiens verront surtout les témérités ou les erreurs de ses livres, il demeurera entier dans la littérature, comme Montesquieu et comme Michelet. […] Mais ce sont là des impressions fugitives, qu’il faut vite chasser pour être juste. […] Par-là, comme par ces Souvenirs que je rappelais, il nous conduit à des ouvrages qui sont tout juste l’opposé de ceux dont je me suis occupé au commencement de ce chapitre, aux mémoires, aux lettres, aux récits et impressions de voyages. […] Trois de ces Mémoires me paraissent se distinguer dans la foule : ceux de Mme de Rémusat943, qui a pour ainsi dire donné le branle, une femme intelligente, curieuse, un peu commère ; ceux de Marbot944, un soldat, très brave et pas du tout paladin, qui nous donne la note très juste et très réelle de l’héroïsme militaire du temps, mélange curieux de naturelle énergie, d’amour-propre excité et d’ambition d’avancer ; ceux enfin de Pasquier945, un honnête homme sans raideur, excellent serviteur de tous les régimes pour des motifs légitimes, fidèle à ses maîtres sans servilité, à sa fortune sans cynisme, et très clairvoyant spectateur de toute l’intrigue politique ou policière qui se machinait derrière le majestueux tapage des batailles946.

226. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Introduction »

Néanmoins, une telle conclusion, serait-elle fondée, ne saurait être satisfaisante, jusqu’à ce qu’il fût possible de démontrer comment les innombrables espèces qui habitent ce monde ont été modifiées de manière à acquérir cette perfection de structure et cette adaptation des organes à leurs fonctions, qui excite à si juste titre notre admiration. […] Si l’on tient un juste compte de notre profonde ignorance en ce qui concerne les relations réciproques de tous les êtres qui vivent autour de nous, on ne peut s’étonner de ce qu’il reste encore beaucoup de choses inexpliquées au sujet de l’origine des espèces et des variétés.

227. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre V. Première partie. Les idées anciennes devenues inintelligibles » pp. 106-113

Vous avez vu, en effet, soutenir le droit par les mêmes arguments que le fait, le juste par les mêmes arguments que l’utile ; d’un autre côté, le fait et l’utile avaient des champions qui puisaient leurs moyens de défense dans les doctrines sur lesquelles reposent le droit et le juste ; la légitimité était confondue avec l’hérédité, avec l’hypothèse de l’élection continue ou du pacte primitif : il en résultait une grande confusion de langage ; mais tout, dans ce combat inégal, tournait au profit des idées nouvelles, parce que ce sont elles seulement qui sont douées de la force expansive.

228. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — II. (Suite.) » pp. 346-370

Il établissait qu’il était juste, utile, pressant, même pour les finances, de rendre à ces derniers la liberté de rentrer en France et dans leurs biens, réservant pour les autres toutes les sévérités de la loi et les rigueurs non pas tant de la confiscation que de la conquête. […] J’en trouve sur Chamfort, Duclos, Chabanon, qui sont agréables et justes. […] II, p. 175) ; il examine les droits de Chénier à l’exercice de la censure, ce que pourrait être la satire en des temps de calamité générale, et ce qui fait qu’à de pareilles époques l’arme de l’épigramme et du ridicule est fort émoussée : il n’y parle pas le moins du monde en auteur irrité, mais en homme public qui, sans se défendre l’amertume, s’attache à dire avant tout des choses graves et justes. […] Il suppose que son républicanisme prend à volonté toutes les formes : « Il a serpenté avec succès, dit-il, au travers des orages et des partis, se réservant toujours des expédients, quel que fût l’événement. » Rien ne paraît moins juste que cette assertion quand on a suivi, comme je viens de le faire, la ligne de Roederer jour par jour d’après ses écrits. […] Assidu à toutes les séances ; Les tenant cinq à six heures de suite ; Parlant, avant et après, des objets qui les ont remplies ; Toujours revenant à deux questions : Cela est-il juste ?

229. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — II. (Fin.) » pp. 180-203

Lassay a pour nous cet avantage, précisément parce qu’il n’est qu’un homme de société et un amateur, non un auteur, de nous représenter au juste le ton de distinction et de bonne compagnie du xviie  siècle, et la langue parlée que ce siècle finissant transmit au xviiie . […] Récapitulant tous les talents et toutes les facultés qu’il reconnaît ne posséder que d’une manière secondaire et inférieure à ce qu’il avait vu chez d’autres, il ajoute que pour l’esprit de connaissance et de discernement, il croit que peu de personnes l’ont plus que lui : Et cela, conclut-il, m’a fait penser bien des fois fort extravagamment que, de toutes les charges qui sont dans un royaume, celle de roi serait celle dont je serais le plus capable ; car l’esprit de connaissance et de discernement est juste celui qui convient aux rois : ils n’ont qu’à savoir bien choisir ; et, donnant à un chacun l’emploi qui lui convient, ils se servent de toutes ces sortes d’esprits que Dieu a distribués aux hommes, sans qu’il soit nécessaire qu’ils les aient. […] Lassay était de ces esprits tempérés, bien faits et polis, que l’usage du monde a perfectionnés en les usant, qui ont peu d’imagination, qui n’ajoutent rien aux choses, et qui prisent avant tout une observation juste, une pensée nette dans un tour vif et concis : « Un grand sens, disait-il, et quelque chose de bien vrai renfermé en peu de paroles qui l’expriment parfaitement, est ce qui touche le plus mon goût dans les ouvrages d’esprit, soit en vers, soit en prose. » Il n’allait pas pourtant jusqu’à la sécheresse, et il tenait à rester dans le naturel ; il croyait que les choses qu’on dit ont quasi toujours chance de plaire quand elles sont plutôt senties que pensées : « Il y a des gens qui ne pensent qu’à proportion de ce qu’ils sentent, observait-il ; et il semble que leur esprit ne sert qu’à démêler ce qui se passe dans leur cœur : ces gens-là, qui sont toujours vrais, ont quelque chose de naturel qui plaît à tout le monde. » Chamfort, qui prête quelquefois de son âcreté aux autres et qui est homme à la glisser sous leur nom, a écrit dans ses notes : « M. de Lassay, homme très doux, mais qui avait une grande connaissance de la société, disait qu’il faudrait avaler un crapaud tous les matins pour ne trouver plus rien de dégoûtant le reste de la journée quand on devait la passer dans le monde. » On ne voit rien ou presque rien dans ce que dit et dans ce qu’écrit Lassay qui soit en rapport avec une si amère parole54. […] Un discernement juste, une humeur douce et aisée, un bon esprit éclairé par un grand usage du monde, et cultivé par beaucoup de lecture ; un cœur qui ne respire que l’amour et qui est rempli de courage ; cette sagesse que l’expérience donne et qui est le partage de la vieillesse, accompagnée de la vivacité et de la gaieté de la jeunesse ; tout cela forme un caractère unique, et tout cela se trouve en M. le marquis de Lassay, que je vous prie d’embrasser tendrement pour moi. […] Quand la langue est restée pure, elle permet de ces acceptions heureuses et justes, trouvées en passant et sans qu’on appuie trop. — Il y a bien des années, un jeune écrivain, depuis célèbre, M. 

230. (1875) Premiers lundis. Tome III «  À propos, des. Bibliothèques populaires  »

Il est, — je le sens trop d’après l’épreuve d’hier, — il est des points sur lesquels je ne m’accoutumerai jamais à retenir ma pensée, toutes les fois que je la croirai d’accord avec le vrai, avec le juste, et aussi avec le bien de l’Empire qui n’a nul intérêt à pencher tout d’un côté, et qui, sorti de la Révolution, ne saurait renier aucune philosophie sérieuse. […] Ici, ma conscience d’écrivain et d’homme qui se croit le droit d’examen et de libre opinion se révolte, et prenant votre liste même, monsieur et respectable confrère, monsieur Suin, je la relève et je dis : Dans cette suite de livres que vous confondez sous une même dénomination infamante, je trouve Voltaire tout d’abord, le premier (et il est bien juste qu’il soit le premier) ; je le trouve pour son Dictionnaire philosophique, qui n’a le tort que de dire bien souvent trop haut et trop nettement ce que chacun pense tout bas, ce que l’hypocrisie incrédule de notre époque essaye de se dissimuler encore. […] Défenseurs de l’ordre social, laissez-moi, laissez quelqu’un qui a vécu longtemps en dehors de voire sphère vous le dire en toute franchise : c’est une étrange erreur, c’est une faute que de partager ainsi le monde politique ou littéraire en bons et en méchants, de ranger et d’aligner ainsi tous ses ennemis, ceux qu’on qualifie tels et qui souvent ne le sont pas ; qui réclament l’un une réforme, l’autre une autre ; qui n’attaquent pas tout indistinctement ; qui demandent souvent des choses justes au fond et légitimes, et qui seront admises dans un temps plus ou moins prochain. […] Il a par moments de justes sévérités pour Coligny, comme de justes admirations pour le premier des Guises.

231. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Bussy-Rabutin. » pp. 360-383

Il parlait bien ; il écrivait juste et agréablement. […] Il y a, chemin faisant, de très bonnes et très justes remarques sur le cœur et les passions. […] Il avait du feu dans l’esprit, mais il ne l’avait pas juste. […] Il avait été nommé de l’Académie française à temps, un mois juste avant sa disgrâce et sa prison (mars 1665). […] Il avait, a dit de Bussy sa compatriote et son émule en satire, Mme Du Deffand, il avait beaucoup d’esprit, très cultivé, le goût très juste, beaucoup de discernement sur les hommes et sur les ouvrages, raisonnait très conséquemment ; le style excellent, sans recherche, sans tortillage, sans prétention (il y aurait bien ici quelque chose à contester) ; jamais de phrases, jamais de longueurs, rendant toutes ses pensées avec une vérité infinie ; tous ses portraits sont très ressemblants et bien frappés.

232. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Études sur Saint-Just, par M. Édouard Fleury. (2 vol. — Didier, 1851.) » pp. 334-358

Certes, il n’a donné à personne d’humain le désir de savoir quelle eût été la suite, et ce qu’il aurait pu faire hors de sevrage et dans sa juste maturité ; mais, physiologiquement, je maintiens qu’à aucune époque Saint-Just ne fut mûr. […] Voltaire a commencé l’un de ses chants par ces vers bien connus : Si j’étais roi, je voudrais être juste. […] La pensée d’ailleurs est juste, et certes, s’il y avait moyen d’établir la proportion entre le degré de liberté qui peut être accordé par les lois et le degré de vertu qu’indiquent les mœurs, on aurait résolu le problème social ; mais les hommes sont peu bons juges dans cet examen d’eux-mêmes, et Saint-Just, tout le premier, commence par se trouver une très grande dose de vertu ; il se pose dès l’abord en sage : N’attendez de moi, dit-il, ni flatterie, ni satire ; j’ai dit ce que j’ai pensé de bonne foi. […] Il a rendu ce méchant sentiment avec toute l’énergie dont il était capable, dans un de ses rapports où il est dit : « Il serait juste que le peuple régnât à son tour sur ses oppresseurs, et que la sueur baignât l’orgueil de leur front. » Selon Barère, une telle proposition ne trouva que résistance au sein même du Comité ; on répondit que nos mœurs répugnaient à un tel genre de supplice ; que la noblesse pouvait bien être abolie par les lois politiques, mais que les nobles conservaient toujours dans la masse du peuple un rang d’opinion, une distinction due à l’éducation, et qui ne permettait pas d’agir à Paris comme Marius agissait à Rome : Eh bien ! […] Je n’ai jamais considéré, d’ailleurs, la Révolution française au point de vue de cet auteur, adversaire à outrance, qui a pu compulser et produire bien des documents et les interpréter dans le sens de ses systèmes, mais qui n’a pas la tradition des choses dont il parle : la tradition, cette voix divine, comme disaient les anciens, et qui maintient et remet le chanteur dans le ton juste.

233. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préface des « Derniers Jours d’un condamné » (1832) »

heureux s’il a rendu pitoyables ceux qui se croient justes ! […] Ham fut choisi comme juste milieu entre la mort et la liberté. […] Ce redoublement d’horreur est le juste châtiment des hommes qui ont remis le code du sang en vigueur. […] Soyons juste pourtant, l’exécution n’a pas été tout à fait secrète. […] D’autres avant vous ont ordonné des exécutions capitales, mais ils s’estimaient dans le droit, dans le juste, dans le bien.

234. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre V. La parole intérieure et la pensée. — Premier problème : leurs positions respectives dans la durée. »

Examinons donc de plus près ce qui se passe dans l’esprit de l’homme qui cherche l’expression juste de sa pensée ou le sens exact et définitif du texte qu’il étudie. […] Si les associations antérieures ont toujours été réglées par un esprit juste, rigoureux, soumises à une discrimination attentive, la mémoire verbale peut être consultée avec profit pour la pensée même : avant de parler, on ne savait pas au juste ce que l’on voulait dire ; après qu’on a parlé, on s’admire, on s’étonne d’avoir si bien dit et si bien pensé. […] IV, § 3] ; certains faits intellectuels apparaissent donc à la conscience sans qu’aucun mot leur corresponde, et si, faute d’une juste discrimination, ils ne passent pas inaperçus, ils doivent attendre un certain temps avant d’obtenir l’expression qui leur est due. […] Corollaire : les inventeurs et les vulgarisateurs Quoi qu’aient soutenu les interprètes de Boileau, on peut avoir une pensée claire sans en trouver immédiatement l’expression, ou du moins l’expression juste.

235. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre II. Le rôle de la morale » pp. 28-80

L’instinct individuel approuve et tâche d’obtenir au plus juste prix les avantages offerts et de s’assurer les joies d’en haut en renonçant le moins possible à celles d’ici-bas. […] Ceux qui se font le mieux obéir, ce ne sont pas toujours ceux qui donnent les ordres les plus justes ou les plus utiles. […] Et combien pourtant serait-il plus juste de dire qu’on nous l’impose parce qu’il ne s’impose pas ! […] Le devoir de servir ma famille et mes amis contrarie mon devoir d’être juste envers tous ; mon devoir de respecter l’autorité nuit nécessairement au devoir de rechercher et de dire la vérité. […] Ce qu’il y a de juste dans la conception du devoir3 supporte ainsi toute une végétation parasite d’illusions et de mensonges, une véritable mythologie.

236. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mars 1886. »

Pour finir, ajoutons que ces concerts sont aussi subventionnés par l’État, ce qui importe peu, et qu’il n’y a aucune raison pour ne pas accepter ailleurs ce qu’on applaudit chez eux avec un juste enthousiasme tous les dimanches. […] Quand la musique était en Italie, nous avons eu le théâtre italien ; le mouvement musical s’accuse aujourd’hui en Allemagne, ayons le théâtre allemand, rien de plus juste. […] C’est là le juste hommage qu’il faut lui rendre, et pour cela il faut le connaître en lui donnant droit de cité chez nous. […] Je voudrais savoir qu’en penser au juste. […] Vous ajoutez qu’il a insulté la France et qu’il l’a insultée grossièrement, sans esprit, juste à l’heure où ces insultes lui devaient être le plus sensibles.

237. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre V. Des orateurs anciens et Modernes. » pp. 223-293

de la Baumelle, encore chaque morceau étant isolé, on ne peut se former une juste idée de son éloquence. […] On ne peut les regarder que comme des esprits justes, des écrivains exacts ; ils ont peu de chaleur & presque point d’éloquence. […] Il avoit l’esprit si pénétrant & si juste, qu’on auroit été tenté de croire qu’il démêloit par-tout le vrai, plûtôt par sentiment & par instinct, que par étude & par réfléxion. Aussi disoit-on communément de lui, qu’il dévinoit la loi, & qu’il dévinoit juste. […] La Philosophie en rendant l’esprit plus juste, & en bannissant le ridicule d’une parure recherchée, a rendu plus d’une province l’émule de la Capitale.

238. (1894) La bataille littéraire. Sixième série (1891-1892) pp. 1-368

Voici par exemple, une sortie inattendue et très juste à propos de l’ameublement moderne. […] On dira certainement qu’il renferme des parties obscures ; peut-être serait-il plus juste de dire au contraire qu’elles sont trop lumineuses pour nous. […] dangereux dans la médication des âmes, et le tout est de prendre juste la dose, ni plus ni moins, c’est affaire de prudence et de tact. […] En sorte que son œil, juste autant que son esprit, a gardé cette première vision si précieuse et si difficile à conserver pour bien juger. […] Il en a été du duc de Morny comme de bien d’autres hommes politiques qu’on n’apprécie à leur juste valeur que dès qu’ils ont fermé les yeux.

239. (1874) Premiers lundis. Tome II « Étienne Jay. Réception à l’Académie française. »

Par cette espèce de juste milieu, l’abbé ex-ministre ne blessait ni Louis XVIII, ni sa conscience, ni l’Académie. […] Ils peuvent avoir eu à certains moments, et pour la vulgarisation de certaines idées justes, leur genre d’utilité, qu’il nous appartient moins qu’à personne de leur dénier ; mais, comme écrivains, comme personnages littéraires distincts, ils ne sont pas.

240. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « La Solidarité »

Des réflexions si justes et si élevées de mon ami Corréard, je vous engage particulièrement à retenir ceci, que nous ne sommes pas des isolés dans le temps ; que tout ce que la vie a pour nous soit de commodité, soit de noblesse, c’est à nos pères, à nos aïeux, à nos ancêtres que nous le devons ; que nous devons aux morts la culture même d’esprit qui nous permet, sur certains points, de penser autrement qu’eux  et mieux, je l’espère  et qu’enfin, suivant le beau mot d’Auguste Comte, l’humanité est composée de plus de morts que de vivants. […] de première classe), vous aurez maintes occasions d’être secourables aux pauvres gens, de faire payer pour eux les riches, de réparer ainsi, dans une petite mesure, l’inégalité des conditions et d’appliquer pour votre compte l’impôt progressif sur le revenu  Notaires (car il y en a ici qui seront notaires), vous pourrez être, un peu, les directeurs de conscience de vos clients et insinuer quelque souci du juste dans les contrats dont vous aurez le dépôt  Avocats ou avoués, vous pourrez souvent par des interprétations d’une généreuse habileté, substituer les commandements de l’équité naturelle, ou même de la pitié, aux prescriptions littérales de la loi, qui est impersonnelle, et qui ne prévoit pas les exceptions  Professeurs, vous formerez les cœurs autant que les esprits ; vous… enfin vous ferez comme vous avez vu faire dans cette maison  Artistes ou écrivains, vous vous rappellerez le mot de La Bruyère, que « l’homme de lettres est trivial (vous savez dans quel sens il l’entend) comme la borne au coin des places » ; vous ne fermerez pas sur vous la porte de votre « tour d’ivoire », et vous songerez aussi que tout ce que vous exprimez, soit par des moyens plastiques, soit par le discours, a son retentissement, bon ou mauvais, chez d’autres hommes et que vous en êtes responsables  Hommes de négoce ou de finance, vous serez exactement probes ; vous ne penserez pas qu’il y ait deux morales, ni qu’il vous soit permis de subordonner votre probité à des hasards, de jouer avec ce que vous n’avez pas, d’être honnête à pile ou face  Industriels, vous pardonnerez beaucoup à l’aveuglement, aux illusions brutales des souffrants ; vous ne fuirez pas leur contact, vous les contraindrez de croire à votre bonne volonté, tant vos actes la feront éclater à leurs yeux ; vous vous résignerez à mettre trente ou quarante ans à faire fortune et à ne pas la faire si grosse : car c’est là qu’il en faudra venir  Hommes politiques, j’allais dire que vous ferez à peu près le contraire de presque tous vos prédécesseurs, mais ce serait une épigramme trop aisée.

241. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Malherbe, avec différens auteurs. » pp. 148-156

Enfin Malherbe vint ; &, le premier en France, Fit sentir dans les vers une juste cadence, D’un mot mis en sa place enseigna le pouvoir, Et réduisit la muse aux règles du devoir, &c. […] Lorsqu’on venoit se plaindre à lui, comme au prince des poëtes, du peu d’égard qu’on avoit pour eux, qu’on lui disoit qu’il n’y avoit de récompense que pour les militaires ou pour les financiers, il répondoit : Rien de plus juste que cette conduite.

242. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Deuxième série

De fait, c’est très juste. […] Le procédé est aussi ingénieux que la vue est juste. […] C’en est juste le contre-pied que l’humanité a pris, avec complaisance. […] Les théories sont justes à les réduire à un minimum raisonnable. […] Mais l’idée n’en est pas moins belle, et peut-être en est-elle plus juste.

243. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIIe entretien. Poésie lyrique. David (2e partie) » pp. 157-220

Replace le juste debout ! […] » Mais un juste orgueil, dérivant de la grandeur de sa destinée, arrête tout à coup le poète et le fait passer de l’humilité de sa condition de fils de la mort à l’orgueil de sa destinée morale. […] « Tu es juste avec les justes ! […] « Le juste fleurit comme le palmier ; il monte comme le cèdre, il fructifie encore dans sa vieillesse !  […] Jamais la fibre humaine n’a résonné d’accords si intimes, si pénétrants et si graves ; jamais la pensée du poète ne s’est adressée si haut et n’a crié si juste ; jamais l’âme de l’homme ne s’est répandue devant l’homme et devant Dieu en expressions et en sentiments si tendres, si sympathiques et si déchirants.

244. (1828) Préface des Études françaises et étrangères pp. -

Il est juste toutefois d’excepter les caractères de chevaliers que Voltaire a tracés avec beaucoup de charme et une fidélité de couleur plus que suffisante pour l’époque. […] Les continuateurs français nous donnent tout juste, en moindre qualité, ce que nous avions depuis longtemps, en immortels chefs-d’œuvre. […] Parce qu’une partition semble obscure à des yeux peu exercés, elle n’en sera pas moins belle à l’oreille quand elle sera exécutée avec un sentiment juste. […] L’art est de les combiner et de les faire jouer dans des proportions et à des distances justes et harmoniques. […] Une juste défiance de mes forces m’a retenu.

245. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — II. (Fin.) » pp. 213-233

Mézeray l’embrasse dans son ensemble ; il la décrit au naturel dans tout son cours, et, quand on l’a parcourue avec lui d’un bout à l’autre, on peut dire véritablement qu’on a vécu avec ces hommes du xvie  siècle, qu’on les a vus au juste point, ni trop loin ni trop près, qu’on les a entendus parler, qu’on a eu la saveur de leurs propos, qu’on a conçu la suite des événements dans leur exacte proportion, avec mille particularités de mœurs qui les animent et qui en sortent d’elles-mêmes. Ce pesant Chapelain, qui avait du jugement dans les matières de prose, a dit de Mézeray en notant quelques-uns de ses défauts : « C’est néanmoins le meilleur de nos compilateurs français. » L’éloge est juste, si l’on entend le mot de compilateur sans aucune idée défavorable et en se contentant de le prendre par opposition aux écrivains de mémoires et de première main. […] Mézeray, par l’esprit qui circule dans son Histoire, me représente assez bien un libéral de l’école de 89, qui aurait à raconter la Révolution française et qui tâcherait d’en extraire ce qu’il y a eu de louable, de modéré, de juste, en s’affligeant d’autant plus des horreurs et des représailles qui ont eu lieu dans les deux sens. […] Ce sont des faiblesses qui sont faciles à comprendre, et qu’il n’est pas juste de trop étaler.

246. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — I. » pp. 234-253

Né en Belgique, le 12 mai 1735, de l’illustre famille qu’on sait, il n’aime pas à dire au juste son âge ; il dit que son extrait baptistaire a été perdu. […] Sur tous ces personnages historiques, le prince de Ligne est le témoin le plus juste et le plus rapide, le peintre le plus animé, le plus aisé et le plus au naturel. […] Il faut nourrir cette amabilité, en avançant, de toutes sortes d’idées justes et solides sans en avoir l’air : l’homme aimable de soixante ans, même pour paraître n’en avoir jamais que vingt, ne doit pas être aimable comme on l’est à vingt, où l’on paye de mine et de jolies manières en bien des cas ; il faut, tout en conservant le désir de plaire, qu’il y joigne bien des qualités qu’il n’avait pas à cet âge ; il faut qu’en sentant toujours de concert avec la jeunesse, il ait l’expérience de plus, et qu’elle accompagne sans se marquer. […] Ces aperçus et bien d’autres du prince, qui sont juste de la date du poème des Jardins de Delille, me paraissent aujourd’hui représenter, mieux que ne le feraient quelques vers du charmant abbé, l’esprit de transition véritable qui, profitant des idées et des inspirations des grands écrivains pittoresques novateurs, les voulait concilier avec les traditions de notre goût et avec les inclinations de notre nature.

247. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — II. (Fin.) » pp. 281-300

Or qu’était-ce au juste que M. de Tréville, et d’où vient l’intérêt que mettait à ce qui le concernait toute la Cour, et qu’y mettait Bourdaloue lui-même ? […] À travers cette sévérité apparente et en partie réelle, il s’attachait à reconnaître ceux qu’il appelait des esprits superbes, ceux « qui se regardaient et se faisaient un secret plaisir d’être regardés comme les justes, comme les parfaits, comme les irrépréhensibles ; … qui de là prétendaient avoir droit de mépriser tout le genre humain, ne trouvant que chez eux la sainteté et la perfection, et n’en pouvant goûter d’autre ; … qui, dans cette vue, ne rougissaient point, non seulement de l’insolente distinction, mais de l’extravagante singularité dont ils se flattaient, jusqu’à rendre des actions de grâces à Dieu de ce qu’ils n’étaient pas comme le reste des hommes : Gratias tibi ago, quia non sum sicut cœteri hominum ». […] Je n’ai pas à entrer dans l’exposé du dogme et de la morale de Bourdaloue : qu’il me suffise de dire que son mérite et sa vertu comme son grand art est de professer un juste milieu en théologie. Membre d’une société qu’on accusait d’être accommodante et relâchée, il s’attache à prendre chez les adversaires ce qu’ils ont de juste, de moral, de profondément chrétien et de raisonnablement sévère ; il en ôte ce qu’ils y mettent d’excessif, et il ne leur laisse en propre que cette dureté.

248. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — II. (Suite.) » pp. 434-453

Daru, s’ils paraissent un jour, l’époque et celui qui en était l’âme, nonobstant les justes restrictions, n’en sortiront pas diminués. Et cela seul ne fait-il pas honneur au souverain qui l’avait choisi, et qui apprécia de bonne heure l’utilité dont il pouvait être, d’avoir pris goût à cette nature parfaitement droite, sincère, qui, dès qu’on la questionnait, disait vrai et répondait juste, et n’eût pu s’empêcher de le faire ? […] Ses amis, lui dit spirituellement Arnault qui le recevait, eurent, malgré tout, le courage d’être justes. […] Daru y parlait de lui-même avec modestie, de ses amis hommes de lettres avec un juste sentiment de réciprocité, et des grandeurs du règne présent sans exagération, avec vérité et force.

249. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. »

Il faut être tout à fait juste. […] Je vous supplie donc de vous laisser persuader, et de vous souvenir que, la citadelle de Lille ayant l’honneur d’être votre fille aînée dans la fortification, il est juste que vous lui fassiez quelque prérogative. — Rien, disait-il encore en ouvrier amoureux de son ouvrage, rien n’est mieux conduit ni plus beau que toute cette maçonnerie ; l’on n’y voit pas le moindre défaut. » La maçonnerie était belle, mais on menait les maçons un peu rudement : « Pour empêcher la désertion des maçons, qui me faisait enrager, j’ai pris, sous votre bon plaisir, deux gardes de M. le maréchal (d’Humières), des plus honnêtes gens, qui auront leurs chevaux toujours sellés dans la citadelle, avec chacun un ordre en poche et un nerf de bœuf à la main ; les soirs, on verra ceux qui manqueront ; après quoi, dès le matin, ils les iront chercher au fond de leur village, et les amèneront par les oreilles sur l’ouvrage. » Est-il besoin d’avertir qu’il y a quelque plaisanterie dans cette rudesse un peu grossière ? […] Ils échangent leurs cadeaux d’amitié : Vauban aura le portrait de Louvois, peint par Mignard ; Louvois recevra de Vauban « un Plan de Lille bien rectifié, avec la description de tout son paysage à la portée du canon à la ronde, où toutes choses, jusqu’au moindre fossé, sont mises dans leur place juste, et où il ne manque pas la moindre chose du monde » ; présent sévère et de main de maître aussi. […] Camille Rousset est juste et il fait équitablement la part du bien et du mal, pour tous (exception étrange !)

250. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Œuvres complètes de Molière »

On se lasse et on s’ennuie de tout ; on se lasse d’entendre louer M. de Turenne, d’entendre appeler Aristide le juste, d’entendre dire que le grand siècle est le grand siècle, Louis XIV un grand roi, que Bossuet est l’éloquence en personne, Boileau le bon sens, Mme de Sévigné la grâce, Mme de Maintenon la raison ; on se dégoûte de Racine plus aisément encore que du café. […] Malgré de très légères erreurs qu’un des rivaux les plus compétents et non des moins malins s’est amusé à y relever, et qui me prouvent précisément combien il y a peu à y reprendre, elle est généralement irréprochable sur tous les faits essentiels, et elle porte avec elle, sur l’œuvre et le caractère du grand comique, toutes les circonstances élevées et justes qu’on peut désirer. […] Il s’est fait une règle fort sage, de ne jamais critiquer ni discuter les opinions des commentateurs qui l’ont précédé ; cela irait trop loin : « Lorsqu’ils commettent des erreurs, dit-il, il suffît de les passer sous silence : lorsqu’ils ont bien exprimé une réflexion juste, nous nous en emparons. […] Enfin sa critique éclectique, au meilleur sens du mot, fait un choix dans tous les travaux antérieurs et y ajoute non-seulement par la liaison qu’il établit entre eux, mais par des considérations justes et des aperçus fins qui ne sont qu’à lui.

251. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Le maréchal de Villars. »

Pour s’en rendre compte, il faut avant tout remonter en arrière et se former une juste idée de l’état de la France pendant les campagnes précédentes. […] La postérité, elle, de sa vue à distance, ne s’y est pas trompée : elle a été plus juste dans l’appréciation totale et un peu confuse. […] Toute part d’éloges accordée au mérite de M. de Montesquiou pour la spécialité de l’opération, il n’est que juste (ce que ne fait pas assez, ce me semble, le rédacteur des Mémoires militaires) de ne point effacer devant un trop jaloux collègue le vainqueur de Denain. […] Mais il est beau que sa fortune fasse la fortune publique. » Et songeant moi-même à Villars, à Masséna, à ces grands hommes de guerre qui ont eu des vices, mais qui peuvent aussi montrer dans leur vie ces nobles pages, Rivoli, Essling et Zurich, ou bien Friedlingen, Hochstett et Denain, je dirai qu’il convient de leur appliquer les paroles de Périclès dans l’Éloge funèbre des guerriers morts pour Athènes : « A ceux qui ont de moins bonnes parties il est juste que la valeur déployée contre les ennemis de la patrie soit comptée en première ligne ; car le mal disparaît dans le bien, et ils ont été plus utiles en un seul jour par ce service public, qu’ils n’ont pu nuire dans toute leur vie parleurs inconvénients particuliers. » C’est la conclusion qui me paraît la plus digne pour ce chapitre d’histoire.

252. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

Pour moi, j’avais, lorsque je recommençai il y a près de trois ans ici 67 cette série d’études, un dessein que je n’ai exécuté que très-imparfaitement ; on n’accomplit jamais tous ses desseins ; le mien eût été de neutraliser le pays des Lettres, non pas de le rendre à jamais inviolable et sacré comme l’était le territoire de Delphes dans l’Antiquité, — ce serait trop demander à nos mœurs et à nos usages, —  mais de le rendre au moins plus hospitalier et plus ami, pour qu’on pût y être juste les uns envers les autres et que « les iniquités de la polémique » ne nous y suivissent pas. […] Il suffit, pour se sentir à l’aise en parlant de lui, de l’avoir rencontré souvent, de l’avoir trouvé si impartial envers les personnes, si oublieux de toute injure, si étranger à toute rancune, si oublieux des choses seules et des questions importantes, de celles du jour, de celles de demain, un esprit sincèrement, obstinément voué à la prédication des idées qu’il croit justes et utiles. […]  » Ceux qui sont si empressés à refuser aux hommes engagés dans la vie active et dans l’âpreté des luttes publiques la faculté de sentir et de souffrir n’ont pas lu Émile, où se rencontrent, au milieu d’une certaine exaltation de tête, tant de pensées justes, délicates ou amères nées du cœur : « A l’âge où les facultés sont usées, où une expérience stérile a détruit les plus douces illusions, l’homme, en société avec son égoïsme, peut rechercher l’isolement et s’y complaire ; mais, à vingt ans, les affections qu’il faut comprimer sont une fosse où l’on est enterré vivant. » « Cette proscription qui désole mon existence ne cessera entièrement que lorsque j’aurai des enfants que je vous devrai (il s’adresse à celle qu’il considère déjà comme sa compagne dans la vie) ; je le sens, j’ai besoin de recevoir le nom de père pour oublier que le nom de fils ne me fut jamais donné. » Émile parle de source et, quand il le pourrait, il n’a à s’inspirer d’aucun auteur ancien ; la tradition, je l’ai dit, ne le surcharge pas ; elle commence pour lui à Jean-Jacques, et guère au-delà : c’est assez dans le cas présent. […] L’autre jetait le gant aussi, mais il le jetait aux préjugés, à la routine, quelquefois en apparence au sens commun, et, pour mieux frapper, il poussait l’idée neuve, l’idée juste jusqu’au paradoxe, jusqu’au scandale et à l’impossible, sauf à reculer légèrement après : il faisait trois pas en avant pour en gagner deux.

253. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite) »

La conquête de l’Angleterre par les Normands (1066) est la dernière en date des grandes invasions territoriales qui ont précédé partout le Moyen-Age, et le Moyen-Age était déjà commencé partout ailleurs quand elle eut lieu ; la langue, et partant la littérature anglaise qui en devait sortir, se trouva ainsi en retard sur les autres littératures du continent, particulièrement sur la française : elle s’inspira, elle s’imprégna d’abord de celle-ci, et elle n’acquit qu’avec le temps son juste tempérament, sa saveur propre. […] Les prosateurs de la Renaissance, dont Bacon est le plus célèbre, mais dont quelques autres ont repris depuis peu faveur et ont obtenu un riche regain de renommée, trouvent une juste place dans le livre de M.  […] Encore une fois, revenons au vrai, et à ce vrai littéraire qui n’oublie jamais l’humanité, et qui implique une sorte de sympathie pour tout ce qui en est digne ; si nous sommes justes pour l’ex-chaudronnier Bunyan qui, dans ses visions fanatiques, a fait preuve de force et d’imagination, n’écrasons point d’autre part cette gentille et spirituelle créature, cette quintessence d’âme, cette goutte de vif esprit dans du coton, Pope. […] en sortant de l’ordre de création, de cette création aveugle et un peu fumeuse, en daignant entrer dans la sphère sereine et tempérée des idées morales, des pensées justes, lucides, des réflexions élevées ou fines qui sont proprement l’objet et, comme dirait Montaigne, le gibier des philosophes et des sages, ne raillons pas trop ce curieux et aimable Pope d’avoir écouté si soigneusement la voix de son démon à lui et de son génie, d’avoir prêté l’oreille aux inspirations purement abstraites et spirituelles qui s’élèvent dans la solitude du cabinet ou dans l’entretien à deux quand on se promène en quelque allée de Tibur ou de Tusculum ; et quand l’esprit, tout en restant calme, se sent excité par l’émulation ou la douce contradiction d’un ami, ne nous scandalisons pas si lui-même, venant avec une sorte d’ingénuité nous initier à sa préoccupation littéraire constante, il nous fait la confidence que voici : « Une fois que Swift et moi nous étions ensemble à la campagne pour quelque temps, il m’arriva un jour de lui dire que si l’on prenait note des pensées qui viennent à l’esprit, à l’improviste, quand on se promène dans les champs ou qu’on flâne dans son cabinet, il y en aurait peut-être quelques-unes qui vaudraient bien celles qui ont été le plus méditées.

254. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette (suite et fin.) »

Rappelle à ton mari qu’il me dit au mois de juillet que j’étais à peu près la seule qui vît juste dans ce moment. […] La reine, dans ce cercle resserré qu’elle parcourt d’un coup d’œil juste, se rend compte désormais de tous les périls : du premier jour elle s’est mise à la raison par nécessité ; c’en est fait de toutes ses vivacités passées : « Le seul moyen, pense-t-elle, de nous tirer d’ici est la patience, le temps, et une grande confiance qu’il faut leur inspirer. » Elle se fait d’ailleurs bien peu d’illusions ; après les premiers mois écoulés, elle ne voit qu’accroissement de dangers autour d’elle et sombres présages pour l’avenir ; de faibles et rares retours de l’opinion, des fluctuations d’une heure en sens favorable ne l’abusent point ; le courant général est trop fort ; les violents et les ardents entraînent les faibles. […] Le 26 février 1790, elle écrivait à son frère l’empereur Joseph, déjà mort depuis quelques jours sans qu’elle le sût : « Mon cher frère, la situation des choses, je le reconnais avec vous, est très mauvaise, et votre dernière lettre apprécie très juste les dangers que nous courons ; vous craignez que je ne me fasse encore trop d’illusions : j’en ai bien peu. […] Elle avait l’esprit juste, elle comprenait ; mais la suite et l’ensemble n’étaient guère son fait.

255. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Mlle Eugénie de Guérin et madame de Gasparin, (Suite et fin.) »

« Il y a même, en mai, juste au moment ou je marchais ainsi, une heure où le vert l’emporte sur les autres tons. […] Ce mot, bien que juste à la réflexion, m’étonne appliqué à une Lisette. […] Eugénie qui voit juste, qui voit bien, mais qui n’a pas, comme on dit, le diable au corps, continue en ces termes sa description souriante et sobre, que nous donnerons jusqu’à la fin comme un exemple parfait en son genre : « Le verre cassé, on s’est mis en danse. […] Je ne me flatte pas d’avoir tenu la balance parfaitement égale dans la comparaison que j’ai essayé d’établir ; mais si je n’ai pas été tout à fait aussi juste que je l’aurais voulu, je ferai réparation en donnant ici la lettre à la fois gracieuse et véridique que m’a écrite à cette occasion la personne distinguée, ainsi prise à partie par moi sans plus de façon et mise en antagonisme avec Eugénie de Guérin : « Monsieur, « Je reçois le Constitutionnel, et je viens vous remercier d’un cœur sincère.

256. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre »

Aujourd’hui il a tenu à justifier au plus tôt le choix de M. le maréchal ministre en publiant par son ordre une Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, laquelle nous montre ce roi si décrié sous un jour un peu plus avantageux qu’on n’est accoutumé de le voir ; on y surprend non seulement des jugements justes, mais d’honorables velléités et des désirs de bien faire ; on y saisit l’instant remarquable et fugitif où Louis XV fut tenté d’être quelqu’un dans son gouvernement et où il faillit devenir roi. […] L’honnête homme en personne, sans arrière-pensée, sans intrigue, fidèle à sa cause, mais fidèle noblement et tristement, esprit juste, caractère élevé, nous le connaissons, nous avons l’honneur d’avoir notre fauteuil non loin du sien à l’Académie : c’est le duc de Noailles. […] En lui refusant un de ces grands succès, tel que l’eût été par exemple Dettingen, s’il y eût été vainqueur, une de ces actions d’éclat qui couvrent bien des fautes ou des insuffisances et qui font passer un homme de l’état contesté a l’état consacré, il semble que la Fortune, si prodigue d’ailleurs envers lui, n’ait été que juste et qu’elle ait résisté, au dernier moment, à couronner une gloire trop superficielle. […] C’est la juste harmonie du jugement avec l’imagination, qui constitue l’homme d’esprit ; joignez-y la conception nette et facile, c’est l’homme de beaucoup d’esprit ; avec le courage de plus, c’est l’homme de génie : mais, avec le feu seul de l’imagination, on extravague… « Il est de ces familles de Cour, tirées de l’obscurité par le bonheur et par l’intrigue, sans avoir jamais rendu d’éclatants services, sans avoir produit d’hommes d’un mérite élevé71.

257. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Idées et sensations : par MM. Edmond et Jules de Goncourt. »

Le monde de l’art, au contraire, contient les nobles âmes, les aines mélancoliques, les âmes désespérées, les âmes fières et gouailleuses, — comme Watteau, qui échappe aux amitiés des grands et parle de l’hôpital ainsi que d’un refuge ; comme Lemoyne, qui se suicide ; comme Gabriel de Saint-Aubin, qui boude l’officiel, les Académies, et suit son génie dans la rue… Aujourd’hui nous avons changé cela : ce sont les lettres qui ont pris cette libre misanthropie de l’art. » Je le répète, cette page n’est pas juste. […] C’est pour Diderot, presque seul entre les gens de lettres de son temps, que MM. de Goncourt sont justes et qu’ils se montrent pénétrés d’un enthousiasme auquel je m’unis de grand cœur et j’applaudis : « Diderot, Beaumarchais, Bernardin de Saint-Pierre, c’est le grand legs du xviiie  siècle au xixe . » — «  Voltaire est immortel : Diderot n’est que célèbre. […] Tout est bon au peintre écrivain pour arriver, non au fac-similé direct des choses (toujours impossible par un coin et toujours infidèle), mais à l’impression pleine et juste qu’il veut en laisser. […] Ainsi, dans Virgile, dans la ixe Églogue, quand les deux bergers chantent en marchant, l’un d’eux propose à l’autre de s’arrêter à mi-chemin en vue du tombeau de Bianor, ou bien, s’ils craignent que la pluie n’arrive au tomber de la nuit, de poursuivre leur route vers la ville en chantant toujours : Aut, si nox pluviam ne colligat ante, Veremur… « Si nous craignons que la nuit ne rassemble la pluie… » Quel mot plus juste !

258. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La comédie de J. de La Bruyère : par M. Édouard Fournier. »

Le mieux serait assurément de tout concilier, de garder du passé les vues justes, les pensées ingénieuses et sensées, nées d’un premier et d’un second coup d’œil, impressions de goût qu’on ne remplacera pas, et d’y joindre les aperçus que suggèrent les faits nouveaux, d’accroître ainsi le trésor des jugements, sans en détruire une partie à mesure qu’on en construit une autre ; mais cette sagesse est rare ; la mesure n’est la qualité et le don que de quelques-uns. […] Il devra surtout, dans la Notice qu’on attend de son savoir et de sa fermeté d’esprit, tenir compte de tous les travaux antérieurs, profiter des vues justes, faire justice des fausses, accueillir et rejeter avec choix dans ce qu’on propose, être un rapporteur enfin et même un juge en dernier ressort. […] « Mais je reconnais bien volontiers que vous avez trouvé quantité de remarques ou de petits faits justes, utiles. […] Fournier, à mon sens, est de ne pas peser ses autorités dans une juste balance.

259. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre IV. Ordre d’idées au sein duquel se développa Jésus. »

Les uns, se rattachant au principe de l’immortalité philosophique, se représentèrent les justes vivant dans la mémoire de Dieu, glorieux à jamais dans le souvenir des hommes, jugeant l’impie qui les a persécutés 159. « Ils vivent aux yeux de Dieu ; … ils sont connus de Dieu 160 », voilà leur récompense. […] Les justes revivront pour participer au règne messianique. […] Tantôt le juste devait attendre la résurrection 163 ; tantôt il était reçu dès le moment de sa mort dans le sein d’Abraham 164. […] À chaque ligne des simples écrits de l’Ancien Testament, on voyait l’assurance et en quelque sorte le programme du règne futur qui devait apporter la paix aux justes et sceller à jamais l’œuvre de Dieu.

260. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. » pp. 432-452

On est assez généralement convenu de placer la perfection de sa manière littéraire à l’époque des Martyrs et de l’Itinéraire (1809-1811), et la perfection de sa manière politique à l’époque de sa polémique contre M. de Villèle au Journal des débats (1824-1827) ; mais, tout en adhérant à cette vue juste, n’oublions point par combien de jugements confidentiels, de révisions et d’épurations successives durent passer Les Martyrs pour atteindre à cette pureté de forme que nous leur voyons. […] Les hommes de lettres, en général, n’y sont pas mieux traités que les hommes politiques ne le sont dans la seconde partie, mais au moins ceux-là sont morts, et il ne resterait qu’à examiner si la sentence est juste. […] Grâce à Dieu, m’estimant à ma juste valeur, je n’ai jamais prétendu à l’empire… Ce talent supérieur, c’est Mme de Staël qui se trouve traduite ici comme coupable (le croirait-on ?) […] La vraie critique à Paris se fait en causant : c’est en allant au scrutin de toutes les opinions, et en dépouillant ce scrutin avec intelligence, que le critique composerait son résultat le plus complet et le plus juste.

261. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits de Fénelon. (1850.) » pp. 1-21

malgré toutes les justes remarques qui peuvent s’opposer à cette fausse vue philosophique qu’on a voulu donner de Fénelon, il y avait un instinct qui ne trompait pas entièrement ceux qui le traitaient avec cette faveur toute particulière ; car si ce n’est pas la doctrine de Fénelon qu’on peut dire tolérante, c’est sa personne et son caractère qui l’était, et il savait mettre en chaque chose un ton, un tour de grâce, une onction qui faisait tout passer, même les prescriptions rigoureuses. […] Dans l’explication de lui que nous lisons dans ce volume, et par laquelle il s’attache à réduire ces expressions mystiques et légèrement étranges à leur juste valeur, je suis frappé d’un tour habituel qui a déjà été remarqué, et qui est un trait du caractère de Fénelon. […] On y saisit, comme si l’on y était, les habitudes de penser et de sentir, et l’accent juste de cette fine nature. […] On doit être fort en peine de ceux qui la regrettent avec une si juste douleur.

262. (1897) Préface sur le vers libre (Premiers poèmes) pp. 3-38

Que Banville a raison dans son texte contre Malherbe et Boileau : les règles draconiennes édictées par le seul Boileau ne se fondent sur rien de sérieux, c’est du pur arbitraire, c’est la volonté d’un critique gâté, s’imposant sans raison ; et Banville dit encore mille fois plus juste quand il déclare, que seule la lâcheté humaine fit qu’on déféra à cette loi, que c’est de par cette lâcheté et cet amour de la servitude qu’après Lamartine, Hugo, Gautier, Leconte de l’Isle, on en discutait encore. […] En ce temps de centralisation, quand les derniers rameaux de pouvoir féodal qui gênaient les belles allées du pouvoir royal furent ébranchés, en ce temps de Le Nôtre, il fallut, pour toutes choses, un jardinier aux plans rectilignes ; on ne s’occupa nullement, pour donner l’apparat et la noblesse au vers français (cette noblesse, chape de plomb, manteau lourd et sans forme aux épaules de la Muse) que la règle fût juste ; on la rechercha suffisante mais surtout uniforme et majestueuse ; il y eut une flexion sur un jarret pendant un pas majestueux : l’hémistiche ; et cette règle de Boileau est antipoétique, parce qu’elle ne naît pas des besoins du poème, qu’elle découle, fausse, d’une visée sociale. […] Mockel les éloges qu’il m’adresse à cause de ses atténuations sans doute justes. […] Mais Molière et La Fontaine ne voyaient dans ce qu’il serait plus juste de dénommer chez eux le vers familier, qu’un choix de mètres, joliets, souples, à cadence soigneusement distincte de celle du vers héroïque, de l’alexandrin en longues traînes de périodes ; c’est par convenance, respects des opinions, et même des fantômes de préjugés de leurs délicats qu’ils furent amenés à varier leur jeu toujours sans dissonances.

263. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Poésies complètes de Théodore de Banville » pp. 69-85

Mme de Staël et son école, tous ces esprits distingués qui concoururent à introduire en France de justes notions des théâtres étrangers ; qui, les premiers, nous expliquèrent ou nous traduisirent Shakespeare, Goethe, Schiller, ce sont relativement des romantiques ; en ce sens M. de Barante, M. de Sainte-Aulaire même, M. de Rémusat en seraient, et je ne crois pas que ces fins esprits eussent jamais désavoué le titre entendu de la sorte. […] Jay, a dit dans son discours de réception (juin 1855) une parole qui m’est toujours restée sur le cœur, et que je lui demande la permission de relever, parce qu’elle n’est pas exacte, parce qu’elle n’est pas juste : Les classiques, disait-il, n’ont pas eu de champion plus décidé que M.  […] Ils sont juste le contre-pied de la vérité ; mais on est disposé à tout entendre ce jour-là.

264. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. Louis de Viel-Castel » pp. 355-368

M. de Viel-Castel a ici des pages fort justes, et où il tient compte de toutes les nécessités, de toutes les conditions de ce régime qu’il s’agissait de fonder : Le rétablissement d’un pouvoir renversé, dit-il, d’une dynastie déchue, ce qu’on appelle une restauration, n’est pas un accident rare ; l’histoire en offre de nombreux exemples. […] La raison en est simple : un hasard, une surprise, une catastrophe imprévue suffit pour reporter sur le trône des princes dont le nom parle encore à bien des imaginations qui se tournent naturellement vers eux dans un jour de crise ; mais, pour s’y maintenir, pour faire une juste part entre les intérêts et les principes dont ils sont les représentants et ceux qui se sont créés sans eux ou contre eux, pour se concilier, pour rassurer la masse de la population qui, s’étant momentanément attachée à un autre drapeau, ne peut les voir revenir qu’avec crainte et défiance, il faut un mélange d’intelligence, de sagacité, de fermeté et d’adresse que bien peu d’hommes ont possédé, comme Henri IV, au degré suffisant69. […] Malgré le budget déjà équilibré et les justes combinaisons financières du baron Louis, malgré les succès diplomatiques de M. de Talleyrand à Vienne, les deux côtés honorables de 1814, et qu’il nous fait si bien connaître ; malgré ces compensations qui n’étaient pas sensibles aux yeux du public, l’historien nous montre la situation intérieure comme s’étant peu à peu délabrée d’elle-même et comme étant devenue par degrés désespérée.

265. (1858) Cours familier de littérature. V « Préambule de l’année 1858. À mes lecteurs » pp. 5-29

Est-ce que, pendant le peu de jours où la nécessité, et non l’ambition, nous donna un rôle politique, nous avons abusé des circonstances, de la popularité et de la force, par quelques-uns de ces sévices, contre les partis ou contre les personnes, qui laissent dans les cœurs de justes et implacables ressentiments ? […] c’est différent ; plût à Dieu que nous en eussions recueilli juste assez pour pouvoir retirer, sans remords, cette partie de nous-même qu’on appelle notre nom de cette dure, quoique honorable servitude, qui nous expose tous les jours à ces fastidieux retentissements et à ces odieuses interprétations de la publicité ! […] Quand l’homme se resserre à sa juste mesure, Un coin d’ombre pour lui, c’est toute la nature ; L’orateur du Forum, le poète badin, Horace et Cicéron, qu’aimaient-ils ?

266. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VII. Maurice Barrès et Paul Adam » pp. 72-89

Leurs âmes de trafic éperdues déserteraient peut-être la lutte… La force du peuple est là, dans l’alliance avec Dieu. » Un anarchisme catholique, voilà au juste la tendance et le goût de Paul Adam. […] Ainsi, dans les Cœurs nouveaux, où un critique subjectif aurait le choix entre des thèmes si divers, un esprit susceptible de s’impersonnaliser, ou plutôt de se personnaliser en autrui, discernerait avec netteté : 1º Une peinture réaliste de famille aisée et moderne, avec château et mail-coach, peinture en mouvement juste et de ton nouveau ; 2º Une fiction idéaliste traduisant la position d’un esprit indépendant et d’un cœur de bonne volonté parmi la chose sociale en douleur. […] Or un pareil personnage ne sait pas au juste lui-même si des passions altruistes l’animent ou si sa tentative n’est qu’un passe-temps décoratif et émouvant.

267. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. John Stuart Mill — Chapitre I : De la méthode en psychologie »

Car, on peut établir des lois générales pour les marées, et fonder sur ces lois des prévisions qui seront à peu près justes. […] Pour voir combien l’accusation est juste, il suffit de se rappeler que l’idéalisme de Berkeley est l’un des développements de cette théorie. […] Il est juste de reconnaître que les positivistes contemporains ne semblent pas adopter la doctrine d’Aug.

268. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « M. de Montalembert orateur. » pp. 79-91

Il a conservé dans sa vivacité première le sentiment du juste et de l’injuste. […] Le 22 juin 1848, il débuta devant l’Assemblée nationale en venant parler sur la propriété (à propos d’un projet de décret sur la reprise de possession des chemins de fer par l’État) ; il exprima des considérations justes, élevées, opportunes, dans un loyal et courageux langage. […] Observation large et juste, et qui ressemble à une loi !

269. (1901) La poésie et l’empirisme (L’Ermitage) pp. 245-260

— rétablir de l’art littéraire une notion plus universelle et plus juste ! […] Pour eux sans doute ils chercheront à la rendre plus juste et plus convaincante et plus vraie. […] Les jeunes combattants ne pouvaient se tromper sur la valeur des forces ennemies… Car il est temps de rendre à la poussée lyrique dont la clameur emplit ces quinze ou vingt dernières années, son sens réel et sa juste physionomie.

270. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte Gaston de Raousset-Boulbon »

Dans les tripots on est plus juste. […] … Si le coup d’œil, le courage, le dévouement, le bon droit, le droit de l’intelligence et du juste (car l’aventurier n’avait rien du flibustier en lui, quoiqu’on l’ait tué comme un pirate), oui ! […] Les brigands mexicains qui, de son vivant, osaient l’appeler « le Pirate » (et il faut dire que le gouvernement qui l’a tué a eu la pudeur, dans sa sentence de mort, de ne pas l’appeler de ce nom), les brigands mexicains savaient bien que, pour cacher leur perfidie, il était nécessaire de lui donner juste le nom qui calomniait sa loyauté.

271. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Charles Monselet »

Certainement, je ne sais pas au juste et je n’affirmerais pas à quel point Charles Monselet appartient au groupe des inventeurs qui ont la sainte horreur de la Critique ; mais, sans déterminer nettement leurs affinités respectives, il est impossible de ne pas reconnaître, quand on le lit, cette tendance de toute une école à repousser et à insulter la Critique en vertu des plus considérables, des plus exorbitantes prétentions. […] La seule pièce de ce recueil qui s’appelle Les Vignes du Seigneur, et qu’on pourrait appeler Les Reflets à plus juste titre, la seule pièce où l’auteur est enfin un peu lui-même, est un petit poème à la manière de quelques poètes anglais du siècle dernier, intitulé Le Musicien. […] Nous serons plus juste que lui envers lui-même.

272. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Bilan des dernières divulgations littéraires. » pp. 191-199

Et cela était juste, et d’une justice gracieuse. […] De quoi fut-il coupable au juste ?

273. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre II. « Faire de la littérature » » pp. 19-26

Mme de Staël risque celle-ci : « Tout ce qui concerne l’exercice de la pensée dans les écrits, les sciences physiques exceptées » ; et Schlegel : « Tous les arts et toutes les sciences, ainsi que toutes les créations et toutes les productions qui ont pour objet la vie et l’homme lui-même, mais qui, sans avoir aucun acte extérieur pour but, n’agissent que par la pensée et le langage et ne se manifestent qu’à l’aide de la parole et de l’écriture. » Cette définition encyclopédique est peut-être juste, mais, si elle définit quelque chose, elle exprime que la littérature embrasse tout ce qui s’écrit, car où serait la démarcation ? L’étymologie du mot, littérature, confirme qu’il signifie, au juste, un moyen tout extérieur d’expression ou plutôt de publicité.

274. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Démosthéne, et Eschine. » pp. 42-52

Celle des conquérans lui paroissoit moins juste & moins flatteuse que celle de règner sur ses concitoyens par le talent de la parole. […] Rien ne parut plus juste aux Athéniens que la proposition de Ctésiphon ; & la couronne d’or fut décernée.

275. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Avertissement » pp. -

Je dis : mathématiquement, parce que nos goûts personnels, en pareille affaire, n’ont rien encore à voir ; et on n’écrit point une Histoire de la Littérature française pour y exprimer des opinions à soi, mais, et à peu près comme on dresse la carte d’un grand pays, pour y donner une juste idée du relief, des relations, et des proportions des parties Et, — toujours afin que le livre fut plus utile, d’un secours plus efficace et plus constant, — j’ai donné à la Bibliographie une attention toute particulière. Qui scit ubi scientia sit, ille est proximus habenti  : c’est un vieux proverbe qui n’a nulle part de plus juste application qu’en matière d’histoire littéraire.

276. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXII. Des éloges des hommes illustres du dix-septième siècle, par Charles Perrault. »

Dans tous les cas on veut avoir ou de l’éloquence ou de l’esprit, car il est juste que dans le public on parle du mort ; mais il est un peu plus juste (comme tout le monde le sent) qu’on parle de l’orateur.

277. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Notes et pensées » pp. 441-535

Sa conversation n’est qu’un admirable monologue, où il veut tout juste la réplique, aux courts intervalles de repos. […] » — Juste au même moment pour le même article, Magnin est dans une admiration qui ne se contient pas : Jouffroy de même. […] en politique Guizot est bête. » Cela veut dire que comme homme d’État, comme ministre, Guizot manque d’idées, et c’est juste. […] Cousin est plein de ces mots qui sont justes à la volée. […] Sur quoi quelqu’un a eu ce mot assez juste : « Turquety, c’est le Géruzez de la poésie. » Je vous dis tout.

278. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre (2e partie) » pp. 5-80

S’il en était ainsi réellement, je serais un peu fâché que la Providence eût réservé entièrement pour un autre monde la punition des méchants et la récompense des justes ; il me semble qu’un petit à-compte de part et d’autre, dès cette vie même, n’aurait rien gâté. […] Il tend à prouver dans ce dialogue cette contre-vérité, trop évidente, que le juste est récompensé par les biens d’ici-bas, et que le méchant est puni par des maux temporels, expiation immédiate de ses fautes. […] Dans la suite du dialogue le philosophe s’appuie sur ce sophisme de la rétribution temporelle du juste et du méchant par la Providence pour exalter avec raison le droit de la justice humaine contre les coupables envers l’humanité, qui violent les lois institutrices de la société. […] Prie ta mère de t’acheter une jolie quenouille et un joli fuseau. » Il s’acharne à cette pensée juste des différentes fonctions d’esprit des sexes différents, et, comme toutes les vérités, il finit par l’exagérer. […] Il pense seul, il voit loin, il sent juste, il exprime puissamment : c’est un radical monarchique.

279. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

Quand les trois Nornes, assises sur les racines du frêne Yggrasill, symbole du monde, élèvent leurs voix tour à tour, la première chante le passé, car elle est la vieille Urda, « l’éternel souvenir », la seconde chante le présent solennel, le jour heureux et fécond où le juste est né : Ce fruit sacré, désir des siècles, vient d’éclore. […] Le juste est né, le juste mourra. […] Du fond de cette argile animée, livrée en proie à tous les instincts de la brute et, comme la brute, souillée de sang, une force surgira, pourtant, capable d’opposer à l’immorale Nature l’idée du juste et du vrai : la science. […] Nous sommes dans ces environs de Paris où, pendant les beaux jours, on transporte les scènes et la vie factice de l’opéra-comique ; le convenu social, sous toutes ses formes, tient une large place dans l’existence parisienne.Il est juste, d’ailleurs, d’ajouter que Coppée ne s’est pas contenté, dans la vie sociale comme au théâtre, de regarder le devant de la scène, les dehors uniquement. […] Il est donc juste de dire que M. 

280. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Gustave Flaubert. Étude analytique » pp. 2-68

Le style de Gustave Flaubert excelle par des mots justes, beaux et larges, assemblés en phrases cohérentes, autonomes et rhythmées. […] Le plus ordinaire, qui est déterminé par la concision même du style, l’unicité des mots et la consertion de la phrase, est une période à un seul membre, dans laquelle la proposition présentant d’un coup une vision, un état d’âme, une pensée ou un fait, les pose d’une façon complète et juste, de sorte qu’elle n’a nul besoin d’être liée à d’autres et subsiste détachée du contexte. […] Quand je découvre une mauvaise assonance ou une répétition dans une de mes phrases, je suis sûr que je patauge dans le faux ; à force de chercher, je trouve l’expression juste qui était la seule et qui est, en même temps, l’harmonieuse. » (Ib. […] Ainsi pourquoi y a-t-il un rapport nécessaire entre le mot juste et le mot musical ? […] Quand Flaubert dit à la première phrase de Madame Bovary : « Nous étions à l’étude quand le proviseur entra suivi d’un nouveau, habillé en bourgeois, et d’un garçon de classe qui portait un grand pupitre, … » il dit simplement, en le moins de mots nécessaires, et en des mots simplement justes, un fait dont son imagination contenait l’image.

281. (1868) Curiosités esthétiques « I. Salon de 1845 » pp. 1-76

Delacroix restera toujours un peu contesté, juste autant qu’il faut pour ajouter quelques éclairs à son auréole. […] Gautier, quand les œuvres vont bien à son tempérament et à son éducation littéraires, commente bien ce qu’il sent juste — à savoir qu’il y a deux genres de dessins, le dessin des coloristes et le dessin des dessinateurs ? […] Leiendecker En passant devant le portrait de mademoiselle Brohan, nous avons regretté de ne pas voir au Salon un autre portrait, — qui aurait donné au public une idée plus juste de cette charmante actrice, — par M.  […] Flers. — Qu’on ne prenne pas ceci pour une moquerie. — C’est qu’en effet tous ces paysages étaient poétiques, et donnaient l’envie de connaître ces éternelles et grasses verdures qu’ils exprimaient si bien — mais cette année l’application ne serait pas juste, car nous ne croyons pas que M.  […] Les réclamations sont peut-être justes, mais elles sont criailleries, parce qu’elles sont devenues systématiques.

282. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Appendice. »

Fou est le mot juste. […] Si je mets bleues après pierres, c’est que bleues est le mot juste, croyez-moi, et soyez également persuadé que l’on distingue très-bien la couleur des pierres à la clarté des étoiles. […] Lebrun (de l’Académie), un homme juste, me disait l’autre jour à propos de vous : « Après tout, il sort de là un plus gros monsieur qu’auparavant. » Ce sera l’impression générale et définitive… » (Voir page 428. — Article sur le Père Lacordaire.) […] Cousin, vous auriez singulièrement modifié l’idée qu’on doit se former, pour être juste, d’un critique aussi éloquent qui a su et entrevu tant de choses, qui nous a ouvert ou entr’ouvert tant d’horizons. […] « Laissez-moi maintenant vous féliciter de tant d’observations fines et justes que je rencontre dans vos pages et vous remercier du flatteur témoignage de confiance que vous sollicitez de moi.

283. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la loi sur la presse »

Je ne parle pas des spirituelles épigrammes qu’elle a values à qui de droit et qui ne laissent pas cependant de porter, quand elles sont justes et bien méritées. […] Et permettez-moi de le dire, je suis toujours étonné que les hommes de mon âge ne paraissent point se souvenir mieux de ce qui s’est passé sous la Restauration et des sentiments, selon moi, fort justes, qui nous animaient alors. […] Sous la Restauration, le 7 août 1827, sous une juridiction pareille à celle qu’on maintient aujourd’hui, on a vu comparaître devant le tribunal de police correctionnelle un homme vénérable, un homme de bien, un philosophe éminent, M. de Sénancour, auteur d’un Résumé de l’histoire des traditions morales et religieuses ; on l’a vu, pour quelques phrases qui ne semblaient pas assez respectueuses envers les religions positives, accusé avec véhémence par un avocat du roi qui ne croyait que remplir son devoir ; on l’a vu, comme de juste, condamné par le tribunal : car, d’ordinaire et provisoirement, en pareil cas, la police correctionnelle commence par condamner. […] déchargeons autant que possible la magistrature, — cette magistrature si respectable, si méritante, si indispensable et si vigilante à chaque heure du jour et de la nuit, si digne de reconnaissance dans le cercle étendu de ses justes attributions, — déchargeons-la le plus possible d’une responsabilité de cette nature, sujette à tant d’écarts et dont les actes, à distance, font un étrange effet en présence de l’histoire et de la postérité. […] Mais, quand on écrit un livre et qu’on vit de sa plume, on n’a guère qu’une ressource pour en tirer un juste tribut : c’est de le faire passer auparavant et de l’essayer dans quelque journal, dans quelque recueil périodique.

284. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Du docteur Pusey et de son influence en Angleterre »

À part quelques martyrs, quelques nobles têtes comme Morus et Fisher, que le Tibère théologique jeta au bourreau, les hautes classes qui alors menaient la nation reçurent, dans le silence de la conscience anéantie, une religion toute faite des mains de ce cuistre sanglant qui osait inventer contre Dieu… Jamais, dans les annales du genre humain, si magnifiques en lâchetés, on n’avait eu le spectacle d’une chose si lâche… Et cependant, disons-le pour être juste, de toutes les hérésies dont le Protestantisme de Luther fut la semence, celle de Henri VIII, de ce révolté de la débauche, est la moins funeste dans ses conséquences définitives. […] Toute une littérature théologique d’un sens profond et d’une controverse supérieure1 donne une juste idée de la force et de l’étendue de ces prétentions. […] Le Dr Pusey, qui un instant a partagé cette coupe de l’injure pour la lancer à la face de l’Église, épouse de Jésus-Christ, le Dr Pusey a renoncé à ces attaques violentes, inspirées beaucoup plus par ses préjugés d’éducation que par sa belle âme, juste comme la science et pure comme la lumière. […] C’est la seule gloire et la seule idée juste qui soit restée au protestantisme anglican que de poser une autorité et une règle, et de vouloir que cette autorité soit obéie, que cette règle soit respectée. […] Quand on le lit, on prend une idée assez juste de la solidité et de la résistance que doit opposer pour un temps à la réaction catholique, cette religion anglicane, ruinée dans la conscience publique, mais debout encore dans le gouvernement du pays.

285. (1902) Propos littéraires. Première série

C’est exagéré, mais c’est fondé sur une observation juste. […] Il existe quelque chose. « Quelque chose » même n’est pas juste. […] Ici les distinctions fines et justes abondent dans le livré de M.  […] Ce que nous appelons le « ton général » de l’œuvre est donc très juste. […] Il avait le coup d’œil juste et prompt.

286. (1887) Études littéraires : dix-neuvième siècle

Elles sont profondes, elles sont nouvelles, et en leur ensemble elles sont justes. […] Le mot de Barthélémy : « tes Gloria Patri délayés en deux tomes », est l’expression basse et méchante d’une critique juste. […] C’est juste le contraire chez de Vigny. […] Il est juste d’ajouter qu’elle ne s’endormait jamais. […] On sent, et c’en est la marque, qu’il a retenu juste !

287. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — I. » pp. 325-345

Heureusement pour lui, ces sentiments se rencontrèrent juste avec l’heure mémorable où la vieille société, minée d’abus et incapable de se réparer elle-même, allait demander des remèdes absolus et une simplification dans toutes les branches ; l’occasion était prochaine où il pourrait les appliquer. […] La méprise de l’Assemblée constituante fut de suivre et de favoriser de toutes ses forces ce courant, comme s’il n’y avait rien eu à craindre au lendemain, comme si l’on n’avait eu qu’à appliquer en temps paisible les conséquences rigoureuses de la raison politique, et de ne pas voir le flot de la démocratie qui montait, qui s’élevait de toutes parts, et qui allait l’emporter elle-même avec sa Constitution et ses lois : tellement que pour que la partie salutaire et juste de ces lois pût s’appliquer en réalité et être sentie de tous, il fallut qu’auparavant on repassât par l’autorité d’un seul, c’est-à-dire par ce que la Constituante avait le plus méconnu. […] Et si vous trouvez cette explication aussi loyale et aussi sensible que je désire qu’elle le soit en effet, dites-moi bien vite que vous ne pensez plus à la fin de votre lettre échappée à un juste moment d’humeur, et que vous serez plus fidèle à mon assignation ordinaire demain qu’à nos assignats. […] Dans la discussion au sujet du marc d’argent qu’on imposait pour condition aux éligibles, et que Roederer eût trouvé plus juste d’imposer aux électeurs, M. de Talleyrand lui écrivait : « Vos réflexions, monsieur, sont excellentes ; elles appartiennent à un homme qui médite avec l’esprit le plus et le mieux philosophique. » Après l’Assemblée constituante, Roederer nommé par le collège électoral de la Seine procureur général syndic de ce département se trouva, comme administrateur, à même de sentir la faiblesse de l’instrument que l’autorité avait en main contre l’anarchie ou plutôt contre la démocratie organisée.

288. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — I. » pp. 473-493

Il est un point sur lequel il faut passer condamnation une fois pour toutes, afin d’être juste ensuite envers Mme Dacier : elle n’entend pas la raillerie, elle n’est à aucun degré femme du monde, et elle manque d’un certain goût, d’un certain tact rapide qui est souvent la principale qualité de son sexe. […] Ce n’est point pour nous, ne l’oublions pas, que Mme Dacier a traduit Anacréon, c’est pour le monde de son temps, et particulièrement pour les dames, qui ne pouvaient s’en faire une juste idée jusque-là. […] Par malheur, en touchant si juste dans son attaque contre cette fausse veine, Mme Dacier, préoccupée des idées d’école, donnait à l’instant dans une erreur d’un autre genre ; elle croyait pouvoir offrir dans Homère la perfection et jusqu’à la symétrie du poème épique, tel que le système en avait été autrefois trouvé par Aristote et surtout tel que l’avait récemment présenté dans un traité ad hoc un savant chanoine, le père Le Bossu ; et, par là, elle allait prêter le flanc aux gens d’esprit qui, battus ou repoussés sur une des ailes de leur corps de bataille, prendront leur revanche sur l’autre aile. […] Je sais bien que je ne dois pas exiger qu’on ait pour moi la même complaisance qu’on a eue pour de grands hommes, anciens et modernes, qui, dans la même situation où je me trouve, se sont plaints de leur malheur ; mais j’espère que l’humanité seule portera le public à ne pas refuser à ma faiblesse ce qu’on a accordé à leur mérite : jamais on ne s’est plaint dans une plus juste occasion.

289. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Vie de Maupertuis, par La Beaumelle. Ouvrage posthume » pp. 86-106

Il fallait faire passer tous les peuples du monde sous les yeux de votre lecteur… Il fallait, si vous le pouviez, imiter Tacite qui n’annonce pas fastueusement le tableau des nations, mais qui, sous le titre modeste d’Annales, peint l’univers… Cela veut dire qu’il ne fallait pas être Voltaire ; mais Voltaire, qui était lui et pas un autre, a peint à sa manière ce grand siècle dont un souffle avait passé sur son berceau, et il en a donné à tout lecteur impartial un sentiment vif, juste et charmant. […] Monsieur de Maupertuis, vous ne sauriez me prévenir, et il est juste que le besoin aille au-devant de ce qui peut le satisfaire. […] A l’instant de la grande querelle de 1753, on y voit Frédéric entre Maupertuis et Voltaire, les jugeant tous deux, mais, dans sa juste balance, n’hésitant pas et se prononçant du côté où il peut y avoir quelques travers et même des ridicules, mais où il reconnaissait de la probité. […] [NdA] On trouve quelques mois sur Maupertuis dans la correspondance, récemment publiée (1860), de Buffon ; c’est peu, mais c’est dans le ton juste : « J’écrirai au premier jour à Maupertuis, et je tâcherai de lui proposer d’une manière efficace les choses que vous souhaitez.

290. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid(suite et fin.)  »

Elle engage Chimène à se désister de sa poursuite, et lui dit des paroles fort sensées ; ce qui était juste hier ne l’est plus aujourd’hui ; Rodrigue est devenu nécessaire à l’État. […] On n’a juste que le temps de se battre, pour que la pièce finisse avant que l’horloge ait sonné la même heure que la veille au moment où l’action commençait. […] » C’est trop juste. […] Il y a de ces lendemains cruels par lesquels on fait expier à un beau talent son premier succès. — Béranger a fait un bien mauvais vers, mais qui dit une chose juste : « De tout laurier un poison est l’essence. » Les auteurs piqués, les rivaux éclipsés, les Scudéry, les Mairet, — le grand Cardinal (ô douleur !)

291. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette »

non ; cette histoire des dernières années de la monarchie est sue depuis longtemps, et bien sue : il suffisait, pour l’embrasser et la saisir dans sa vraie suite et sa teneur, d’avoir l’esprit juste, appliqué, le cœur droit, de savoir choisir et démêler entre les divers témoignages et de ne se laisser entraîner à rien d’extrême, même en fait de pitié. […] Le roi m’a parlé aussi de ma chère maman, disant : « Vous étiez déjà de la famille, car votre mère a l’âme de Louis le Grand. » Quelle belle parole dans la bouche d’un petit-fils de Louis XIV, et quel dommage, quand on sent et qu’on dit si juste, qu’on agisse si peu dignement et si à côté ! […] Ces premières impressions d’une âme jeune sont restées justes. […] Un des peintres les plus favorables à Marie-Antoinette, Senac de Meilhan, a dit d’elle que son esprit n’avait rien de brillant et qu’elle n’annonçait à cet égard aucune prétention ; « Mais il y avait en elle, observe-t-il, quelque chose qui tenait à l’inspiration et qui lui faisait trouver au moment ce qu’il y avait de plus convenable aux circonstances ainsi que les expressions les plus justes : c’était plutôt de l’âme que de l’esprit que partaient alors ses discours et ses réponses. » Ici, elle n’en est pas encore à la représentation ; elle n’est que Dauphine et n’a pas à faire de ces réponses qu’on remarque.

292. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.). Guerre des Barbets. — Horreurs. — Iniquités. — Impuissance. »

Aussi toutes les lettres que nous trouvons sur eux ne sont-elles remplies que d’exhortations dont le texte est pris sur les Machabées. » M. de Chaulnay, qui était venu en mission à l’armée de Piémont, écrivait au roi le 4 mars 1692 : « Il faudra que M. de Catinat fasse encore donner une bonne touche aux Barbets, rompre les eaux et détruire les vignes et les arbres fruitiers, afin de tâcher d’extirper entièrement cette canaille… » Sachons, pour être juste, ce que les Barbets aussi étaient devenus. […] Cette vérité qu’il a aimée et pratiquée lui tourne à bien et à honneur dans presque tous les cas : là où elle lui est, par exception, défavorable et dure, il est juste qu’il la subisse tout entière. […] Un professeur d’art militaire, tel par exemple que M. de La Barre Duparcq qui a tracé un si juste portrait de Catinat, pourrait faire, j’imagine, du thème de ces deux batailles un sujet d’exercice pour les jeunes théoriciens. […] Je ne suis pas très-content de Bayle sur l’article des Vaudois ; il a parlé d’eux en plus d’un endroit, et dans son Avis aux Réfugiés, et dans sa Réponse aux questions d’un Provincial ; au milieu des raisonnements qu’il fait et des choses justes qu’il ne peut manquer de dire, on y désirerait un mouvement d’humanité et un cri d’indignation qui n’y est pas.

293. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite.) »

Quoi qu’il en soit, l’appréciation de Malouet et la définition qu’il donne de l’état des choses sont parfaitement justes. […] Les portraits que trace Malouet dans un de ses premiers chapitres, et qui forment comme sa galerie des États généraux, n’approchent certes pas, même de bien loin, de ceux qu’un Retz a tracés dans sa galerie de la Fronde, et un Saint-Simon dans ses tableaux de la Régence ; mais les principaux traits sont fort justes, fort ressemblants, et le mot propre du caractère de chacun est souvent donné. […] L’abbé, après m’avoir embrassé, vit là un auditoire intéressant : il attaqua l’amiral sur l’ouverture de l’Escaut, qui était la grande querelle du moment entre l’Autriche et la Hollande ; il nous fit un résumé des droits, des prétentions respectives, des traités et contre-traités, et conclut juste, à son ordinaire, que la France avait intérêt à soutenir la Hollande dans cette contestation. […] Depuis que les preuves du contraire ont abondé et qu’on a eu les papiers du comte de La Marck, ce passage de l’Histoire de la Révolution n’a pas été modifié : l’illustre historien revoit peu ses ouvrages, il aime à les laisser dans leur première improvisation ; il est douteux qu’il ait jamais relu son Histoire de la Révolution, pleine d’inexactitudes pour les détails (c’était inévitable au moment où il l’écrivit), mais qui reste vraie dans les ensembles et par la touche juste et large qu’il a su donner des principaux moments de ce grand drame.

294. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — M. de Sénancour, en 1832 »

Sa science consiste désormais à discerner ce qui est proche et permanent, ce qui est facile et inévitable, à s’y ranger, à s’y retrancher comme à un centre vrai, juste, essentiel, et à l’indiquer au monde. […] L’auteur d’Oberman s’est de bonne heure fermé et fixé ; immobile devant l’ensemble des choses, les embrassant dans leur étendue sans jamais les entamer par leurs détails, incapable de s’ingénier, de s’orienter dans la cohue, exigeant avant tout, et pour user de ses moyens, qu’on l’isole et qu’on le pose, nature essentiellement méditative, il a surtout visé au juste et au vrai ; renonçant au point de vue habituel, il a dépouillé l’astre, pour le mieux observer, de ses rayons et de sa splendeur ; il s’est consacré avec une rigueur presque ascétique à la recherche du solide et du permanent. […] L’activité d’une passion profonde est pour lui l’ardeur du bien, le feu du génie : il trouve dans l’amour l’énergie voluptueuse, la mâle jouissance du cœur juste, sensible et grand ; il atteint le bonheur, et sait s’en nourrir… Je ne condamnerai point celui qui n’a pas aimé, mais celui qui ne peut pas aimer. […] L’amitié l’apprivoise ; le désir d’une estime honorable parmi les hommes le trouve accessible à ses justes douceurs.

295. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Boileau »

C’est le poète-auteur, sachant converser et vivre5, mais véridique, irascible à l’idée du faux, prenant feu pour le juste, et arrivant quelquefois par sentiment d’équité littéraire à une sorte d’attendrissement moral et de rayonnement lumineux, comme dans son Épître à Racine6. […] La littérature et la poétique de Boileau sont merveilleusement d’accord avec la religion, la philosophie, l’économie politique, la stratégie et tous les arts du temps : c’est le même mélange de sens droit et d’insuffisance, de vues provisoirement justes, mais peu décisives. […] Mais ces agréments sont des mystères qu’Apollon n’enseigne qu’à ceux qui sont véritablement initiés dans son art. » La remarque est juste, mais l’expression est bien forte. […] Afin d’êtnre juste, il ne faut pourtant pas oublier que quelques années auparavant (1677), dans l’Épître à M. de Lamoignon, le poëte avait fait une description charmante de la campagne d’Hautile près La Roche-Guyon, où il était allé passer l’été chez son neveu Dongois.

296. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de La Tour-Franqueville et Jean-Jacques Rousseau. » pp. 63-84

Avec quelque exactitude que je veuille vous détailler mes traits, lui écrivait-elle, il me sera impossible de vous donner une juste idée de leur ensemble ; je n’y saurais que faire, et j’en suis fâchée. […] Mme de La Tour écrit un jour à Rousseau : « Si mon cœur n’était pas hors de la classe commune, je n’oserais m’avouer jusqu’à quel point je m’occupe de vous. » Ce témoignage qu’elle se rend est juste, et certes elle avait le cœur hautement placé. […] Soyons juste : il y a des moments aussi où l’on conçoit l’impatience de Rousseau, où on la partage presque ; car Mme de La Tour est bien exigeante sans paraître s’en douter. […] Soyons plus justes que lui.

297. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Saint-Évremond et Ninon. » pp. 170-191

Elle ne citait jamais pour citer, mais ce qu’il fallait lui revenait juste à propos et s’appliquait avec nouveauté à la circonstance : il y avait de l’imagination jusque dans sa mémoire. […] C’était juste le moment où Ninon, cessant d’être la Ninon de la Fronde, de la régence et de sa première légèreté, devenait Mlle de Lenclos et passait au personnage qu’elle a de plus en plus perfectionné et soutenu jusqu’à la fin de sa vie. […] Vous avez été aimée des plus honnêtes gens du monde, et avez aimé autant de temps qu’il fallait pour ne rien laisser à goûter dans les plaisirs, et aussi juste qu’il était besoin pour prévenir les dégoûts d’une passion lassante. […] L’abbé Fraguier l’a également peinte en une page fort juste ; et l’abbé d’Olivet (bon Dieu !

298. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — I. » pp. 41-62

Il me semble que jusqu’à ce qu’un homme ait lu tous les livres anciens, il n’a aucune raison de leur préférer les nouveaux. » C’est Usbek ou plutôt c’est Montesquieu qui dit cela dans les Lettres persanes, et il est juste de le lui appliquer. […] Montesquieu (car c’est lui ici qui parle, ainsi qu’il parlera en son nom jusqu’à la fin de sa vie), tâche d’y établir en quoi cette idée de justice ne dépend point des conventions humaines : « Et quand elle en dépendrait, ajoute-t-il, ce serait une vérité terrible qu’il faudrait se dérober à soi-même. » Montesquieu va plus loin : il tâche même de rendre cette idée et ce culte de justice indépendants de toute existence supérieure à l’homme ; il va jusqu’à dire, par la bouche d’Usbek : Quand il n’y aurait pas de Dieu, nous devrions toujours aimer la justice, c’est-à-dire faire nos efforts pour ressembler à cet Être dont nous avons une si belle idée, et qui, s’il existait, serait nécessairement juste. […] Le Casuiste veut montrer qu’un homme de son état est nécessaire à certaines gens, qui, sans viser à la perfection, tiennent à faire leur salut : « Comme ils n’ont point d’ambition, dit-il, ils ne se soucient pas des premières places ; aussi entrent-ils en paradis le plus juste qu’ils peuvent. […] Au milieu des hardiesses et des irrévérences des Lettres persanes, un esprit de prudence se laisse entrevoir par la plume d’Usbek ; en agitant si bien les questions et en les perçant quelquefois à jour, Usbek (et c’est une contradiction peut-être à laquelle n’a pas échappé Montesquieu) veut continuer de rester fidèle aux lois de son pays, de sa religion : « Il est vrai, dit-il, que, par une bizarrerie qui vient plutôt de la nature que de l’esprit des hommes, il est quelquefois nécessaire de changer certaines lois : mais le cas est rare ; et, lorsqu’il arrive, il n’y faut toucher que d’une main tremblante. » Rica lui-même, l’homme badin et léger, remarquant que dans les tribunaux de justice, pour rendre la sentence, on prend les voix à la majeure (à la majorité), ajoute par manière d’épigramme : « Mais on dit qu’on a reconnu par expérience qu’il vaudrait mieux les recueillir à la mineure : et cela est assez naturel, car il y a très peu d’esprits justes, et tout le monde convient qu’il y en a une infinité de faux. » C’est assez pour montrer que cet esprit qui a dicté les Lettres persanes ne poussera jamais les choses à l’extrémité du côté des réformes et des révolutions populaires.

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