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31. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIe Entretien. Marie Stuart, (Reine d’Écosse). (Suite et fin.) »

Bothwell, indépendamment du sang qui tachait ses mains, avait trois autres femmes vivantes. […] Ils furent défaits ; Bothwell, couvert de sang, rapprocha son cheval de celui de la reine, au moment où tout espoir de fuite était déjà perdu pour eux […] Cette destinée était sublime, car elle était tout à la fois une expiation acceptée et une réhabilitation dans le sang. […] Plains ceux qui ont été altérés de mon sang et qui le répandent injustement. […] La reine s’en aperçut, et, regardant le comte puritain, elle s’écria d’une voix profonde : « Versez le sang de Henri VII, mais ne le méconnaissez pas.

32. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bataille, Henry (1872-1922) »

. — Ton sang, tragédie contemporaine précédée de la Lépreuse, tragédie légendaire (1898) […] Jean Viollis Henry Bataille a réuni la Lépreuse et Ton sang. […] On n’a pas assez dit que Ton sang est un admirable chef-d’œuvre. […] Maurice Beaubourg Cette pièce (L’Enchantement), d’Henry Bataille, l’auteur de la Belle au bois dormant , de Ton sang et de la Lépreuse, est, à mon avis, la plus belle et la plus forte qu’il ait écrite.

33. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Première partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère des idées religieuses » pp. 315-325

Ce pain est de la chair, ce vin est du sang, la chair et le sang de la victime auguste. […] Il annonce qu’il ne vient que pour renverser les idoles, puis sceller son témoignage de son propre sang. […] Nommez-moi le siècle où le sang n’ait pas arrosé des champs de bataille ! […] Il faut bien savoir admirer tout ce qui peut développer dans l’homme des sentiments élevés, tout ce qui peut lui fournir l’occasion de beaux sacrifices ; mais il faut être juste aussi : et il n’est pas moins vrai que cette gloire, acquise en dernier lieu, au prix de tant de sang, n’a servi qu’aux vastes triomphes d’un aventurier.

34. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Clermont et sa cour, par M. Jules Cousin. »

On le voit, en décembre 1731, aller au cimetière de Saint-Médard pour y être témoin des convulsions qui attiraient la foule : « M. le comte de Clermont, prince du sang, y alla l’autre jour avec des grisons (laquais en habit gris), sans fracas », nous dit le Journal de Barbier. […] Ses galanteries ; mises en relief par sa qualité de prince du sang et par le contraste avec son état d’abbé, ne l’avaient que trop signalé de bonne heure. […] Il ne perdait pas au change : il afferma l’abbaye de Saint-Germain pour 180,000 livres, « sans compter les prés réservés, et tout ce que les fermiers lui fournissaient de paille et avoine pour ses chevaux. » Avec cela, le Journal de Lhuynes nous apprend que certain jour il prétendit, ainsi que les princes du sang, ne pas devoir payer ses ports de lettres ; mais Louis XV, qui était assez ferme avec les personnes de sa famille, lui dit qu’il avait tort et qu’il devait les payer comme les autres. […] Cependant le prince était du sang de Condé ; il se sentait brave, et, en dépit de la crosse, il avait hâte de reprendre l’épée. […] Msr le comte de Clermont, au château de Saint-Paul, un détachement d’un capitaine et de 50 maîtres, pour lui servir de garde et d’escorte ; ce prince est hors d’état d’être transporté, et je lui dois tous les respects dus à un prince du sang du roi mon maître.

35. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Histoire de la Révolution »

ce fataliste a du sang dans les veines. […] — l’auteur des Soixante ans est un homme que la politique et le fait et le fatum n’ont pas desséché, et s’il faut bien le reconnaître pour un matérialiste en histoire, il faut du moins convenir que c’est un matérialiste dont le sang est chaud et bat parfois pour la justice. […] Il a dit à son sang qui ne se taira pas, de se taire. […] Le sang a résisté et le cœur n’obéira pas. Le sang et le cœur, voilà la vraie valeur d’Hippolyte Castille, qui se badigeonne en fer dans son histoire, quoiqu’il ne soit pas un roseau.

36. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, le 8 décembre 1885. »

. — « Prenez mon corps, prenez mon sang, pour la grâce de notre amour !  […] « Prenez mon sang, prenez mon corps, en mémoire de moi !  […] Alors, encore une fois, du tressaillement de la solitude palpite la plainte de l’aimante Compassion : la crainte, la sacrée sueur d’angoisse du Mont-des-Oliviers, la divine souffrance douloureuse du Golgotha, — le corps pâlit, le sang coule et s’échappe et brille avec un céleste brillement de bénédiction, répandant sur tout ce qui vit et souffre la joie de grâce de la Rédemption par l’Amour. […] — voici le corps de nourriture, voici le sang de breuvage ; le mystique vase brillera, voici l’aliment ; sang de Dieu, voici le vin ; prenez, prenez, prenez ; pécheurs, voici le vin et le pain ; approchez, très mélancoliquement ; car le vin coulera en vos sangs, le pain se fera vos chairs, et le sacré sang coulera par votre cœur… Le sang sacré coule, ô Malade, par son cœur ; le sang du Souffrant en ses veines coule ; et c’est son propre sang, qui s’embouillonne, et qui coule, effroyablement ! […] Wagner sait ici reconnaître à l’influence féminine et populaire le pouvoir de transfuser un sang nouveau et vivace aux vieilles formes, comme avaient fait le Dante et le Buddha à propos de langage.

37. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Montmorency » pp. 199-214

Richelieu a fait couler deux fois sur l’échafaud ce sang splendide et chargé de passé des Montmorency, et, à notre avis, les Montmorency lui en doivent obligation et non rancune… Terni, presque souillé par la désobéissance et la révolte, les plus grands crimes sociaux et les plus grands crimes militaires, ce sang reprit son lustre sur l’acier de la hache, tant il était fait pour l’acier ! […] Seulement, si l’ardente sympathie qu’il éprouve pour madame de Montmorency lui donne le courage de regarder, les yeux bien ouverts, cette robe rouge qui les fait ordinairement baisser, tant elle est rouge, trempée du sang des Montmorency ! […] D’ailleurs, ce grand faucheur, qui avait pris au sérieux la méthode de Tarquin, n’abattit point de fleurs innocentes ; toutes, plus ou moins, étaient empoisonnées, et si « les successeurs de Richelieu — nous dit Renée dans un dernier trait — n’eurent pas besoin de cette politique de sang pour réussir », c’est que la besogne avait été bien faite. Ils n’eurent à recueillir que l’héritage du sang, sans le sang par lequel il avait fructifié, et que Richelieu, lui, n’a pas craint de prendre à sa charge, devant les hommes et devant Dieu !

38. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre I. Les Saxons. » pp. 3-71

» Sur ce cri d’aigle triomphant, Régin, le frère de Fafnir, arrive, lui arrache le cœur, boit le sang de la blessure et s’endort. […] Sigurd coupe la tête de Régin, mange le cœur de Fafnir, boit son sang et celui de son frère. […] Chaque parenté, dans sa marche, forme une ligue dont tous les membres, « frères de l’épée », se défendent l’un l’autre, et réclament l’un pour l’autre, aux dépens de leur sang, le prix du sang. […] C’est la bête humaine alors qui est maîtresse ; l’esprit ne peut trouver sa place parmi les révoltes et les appétits du sang, de l’estomac et des muscles. […] Au bout de trois cents ans, ce sont les conquérants qui sont conquis ; c’est l’anglais qu’ils parlent ; c’est le sang anglais qui, par les mariages, a fini par maîtriser le sang normand dans leurs veines.

39. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Mémoires de Mme Elliot sur la Révolution française, traduits de l’anglais par M. le comte de Baillon » pp. 190-206

Que va faire le duc d’Orléans, placé ainsi entre l’insurrection de Paris, dont on le croit complice, et les périls de la Cour, où l’appellerait sa qualité de premier prince du sang ? […] Quant à Mme Elliott, la maîtresse passée (quoique n’ayant que vingt-quatre ans et si belle), elle apparaît par éclairs, et représente le rappel aux devoirs du sang, la fidélité monarchique : « La politique de Mme de Buffon, nous dit-elle, était différente de la mienne. » Je le crois bien, la rivalité s’en mêlait ; mais il y avait pis auprès du duc d’Orléans que Mme de Buffon. […] À ses yeux d’Écossaise de pur sang et de jacobite irritée, tous ceux qui donnèrent dans le mouvement de 89 sont des coquins et des misérables : il n’y a de différence que du plus au moins. […] Le duc répondit : « Elles sont en effet terribles, mais dans toutes les révolutions on a toujours versé beaucoup de sang, et une fois commencées, on ne peut les arrêter quand on veut. » Il me parla, continue madame Elliott, de l’abominable meurtre de Mme de Lamballe, de sa tête qu’on lui avait apportée au Palais-Royal pendant son dîner. […] Il y a de ces choses qui lui font bouillir le sang et dont elle ne supporte pas l’idée.

40. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « L’Abbé Prévost et Alexandre Dumas fils » pp. 287-303

Manon Lescaut est tout simplement l’expression du matérialisme du xviiie  siècle rejoignant et embrassant au bout d’un quart de siècle, le matérialisme du xixe , qui avale le livre et le trouve bon… Trop près de la Révolution française et venant d’un homme trop médiocre pour qu’on fît beaucoup d’attention à son roman, il fut publié quand le sang allait tout à l’heure passer par flots sur cette société, fondue en boue, et qui avait été les chiffons du xviiie  siècle. Il en coula de deux espèces : d’abord le sang des échafauds, et puis le sang des champs de bataille, et tout le temps que ces deux mares de pourpre, qui cachaient l’affreux fond de fange, s’étendirent sur la France, la coquine qu’on appelle Manon Lescaut ne fit pas grand tapage. […] Il fallut le dévergondage de l’imagination romantique pour voir dans ce livre — que je ne crains point d’appeler une pauvreté littéraire — des beautés qui n’y étaient pas… Assurément moins corrompus qu’au temps peint par l’abbé Prévost dans son livre et le redoutable Laclos dans le sien, par la raison que nous avions traversé le sang de deux époques sanglantes et que le sang, n’importe comme il soit versé, purifie toujours, nous n’en avions pas moins, péché originel ineffaçable ! […] continue, fais ton œuvre, paye-toi des muscles de cet homme, de sa fortune, de sa raison, de son sang, de son honneur, de son âme.

41. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Fontainas, André (1865-1948) »

Fontainas, André (1865-1948) [Bibliographie] Le Sang des fleurs (1889). — Les Vergers illusoires (1892). — Nuits d’Épiphanie (1894). — Les Estuaires d’ombre (1896). — Crépuscules (1897). — L’Ornement de la solitude, roman (1899). — Le Jardin des îles claires (1901). […] Henri de Régnier On imagine volontiers son profil bossué au bronze de quelque médaille du temps des Flandres bourguignonnes, et, au revers, pour allégoriser d’emblèmes décoratifs le poète du Sang des fleurs et des Vergers illusoires, on figurerait, dans une guirlande en entrelacs, un miroir, une épée et une grappe, car ses vers, à des vigueurs héroïques, allient des nuances opalines d’eaux calmes et mêlent les saveurs telluriques d’un noble cru. […] Pour avoir suivi (après la publication de son premier recueil : Le Sang des fleurs, 1889) les subtils contours de Mallarmé, ce poète, dont nous retiendrons les consolants mirages, n’en a pas moins su transformer sa manière au point de rendre personnel, selon M. 

42. (1857) Cours familier de littérature. IV « XIXe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset (suite) » pp. 1-80

Musset fait aussi son rêve : seulement au lieu de le composer d’amour et de larmes, il le compose de libertinage, de rire et de sang. […] Elle se sent fléchir ; ses narines qui saignent S’enfoncent dans le sable, et le sable altéré Vient boire avidement son sang décoloré. […] Leurs déclamations sont comme des épées ; Elles tracent dans l’air un cercle éblouissant ; Mais il y pend toujours quelque goutte de sang. […] bon ou mauvais, inflexible ou fragile, Humble ou fier, triste ou gai, mais toujours gémissant, Cet homme, tel qu’il est, cet être fait d’argile, Tu l’as vu, Lamartine, et son sang est ton sang. […] Et, distillant ton sang de sa pointe rougie, Mêlé la pourpre humaine au nectar de l’orgie ?

43. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (3e partie) » pp. 369-430

« Cette histoire pleine de sang et de larmes est pleine aussi d’enseignements pour les peuples. […] La pensée la plus sainte, la plus juste et la plus pieuse, quand elle passe par l’imparfaite humanité, n’en sort qu’en lambeaux et en sang. […] Il a quelques faux principes ; il n’a pas une excuse pour une goutte de sang, aucun démagogue n’y est flatté. […] Il est resté et il restera comme une Satyre Ménippée trempée de sang. […] est-ce que le sang est un apostolat ?

44. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le Roman de Renart. Histoire littéraire de la France, t. XXII. (Fin.) » pp. 308-324

Les coups que les combattants s’entredonnent vont retentissant à un quart de lieue à l’entour ; la chaleur est grande ; chacun est trempé ; la sueur et le sang pleuvent comme rosée : De sueur et de sang la terre rosoya. […] Messire Geoffroi de Boves, l’un de ses compagnons, lui répondit : Bois ton sang, Beaumanoir, la soif te passera. […] Pourtant un des blessés mourants parmi les Lacédémoniens, le nommé Othryades, se soulevant sur le champ de bataille ensanglanté et se voyant seul, eut assez de force et de souffle encore pour dépouiller un vaincu, pour dresser un trophée, chose sacrée et qu’avaient oubliée les autres, et sur le bouclier il écrivit de son sang : « La victoire est aux Lacédémoniens. » Puis il expira. […] Mais ce trophée tout couvert du sang généreux d’Othryades, proclame : « Thyrée, ô Jupiter, est aux Lacédémoniens. » Que si quelqu’un des Argiens a échappé à son destin, c’est qu’il tenait du fuyard Adraste. […] Le vieux trouvère, dans sa simple rudesse, a peut-être même mieux réussi que Simonide, et le sang d’Othryades parle moins haut chez l’un, que chez l’autre le sang de Beaumanoir.

45. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XII, les sept chefs devant Thèbes. »

. — Quel tableau que celui des Sept Chefs trempant leurs mains dans un bouclier noir où bouillonne le sang d’un bœuf égorgé, et jurant de détruire Thèbes, par toutes les Divinités du carnage ! […] Et Cypris jeune aïeule de Thèbes : « Souviens-toi que nous sommes issus de ton sang ! […] Il taille en pleine hyperbole leurs corps gigantesques en qui bouillonnent le sang et les humeurs d’êtres surhumains. […] C’est assez que les Thébains luttent contre les Argiens ; ce sang-là, il peut s’expier. […] Il descendit ainsi vivant aux Enfers, parmi les Mânes effrayés, couvert du sang et de la sueur du combat.

46. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Mademoiselle de Condé »

Nous ne voulons mettre à feu ni à sang personne. […] II Quand Ballanche les publia, ces lettres, pour la première fois, non seulement il donnait à ce qui restait de cœurs purs en France, après les impuretés du xviiie  siècle, une sensation divine bien au-dessus de toutes les sensations que le Génie lui-même peut donner, mais en plus il préservait Mademoiselle de Condé des derniers outrages de ce xviiie  siècle expirant… L’amour de Mademoiselle Louise de Condé pour La Gervaisais, d’une princesse du sang de France pour un petit officier des carabiniers de Monsieur, cet admirable et chaste amour, discret, englouti dans deux âmes d’élite qui eurent également leur renoncement dans l’amour, cette chose rare qui achève l’amour dans ce qu’il a de plus sublime, avait transpiré comme un parfum qu’on percevrait mieux dans une atmosphère empestée, et cette transpiration d’un sentiment ineffablement pur au milieu d’une société corrompue, cette société avait dû en faire ce qu’elle faisait de tout. […] Mais on savait qu’elle était princesse, — de sang royal, — et virginale… à n’y pas croire ! […] La Révolution qui commençait allait, avec le sang qu’elle devait verser, faire un cadre rouge à cette vie douloureuse qui fut une Odyssée digne d’être racontée par un Homère comme Bossuet. […] elle était sainte déjà avant d’être une Sainte, cette femme qui a du sang altier des Condé dans les veines, de ces terribles sangliers sauvages des Condé, et qui aime « son ami », comme elle dit simplement, avec la crainte, l’humilité, l’abandon et tous les caractères de l’amour de Dieu, transportés dans l’amour d’un homme !

47. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET. » pp. 177-201

Le durus Amor, l’Amour, fléau du monde, exécrable folie 68, n’avait jamais été étreint plus au vif, et, pour ainsi dire, plus au sang. […] Sous le masque de son Mardoche, irrécusable bâtard de Cunégonde et de Don Juan dans leur vieillesse, il ricanait quelque part, à voix intelligible, de ce bon peuple hellène, Dont les fois ont rougi la mer Hellespontienne Et taché de leur sang tes marbres, ô Paros ! […] De quel sang es-tu fait, pour marcher dans la vie Comme un homme de bronze, et pour que l’amitié, L’amour, la confiance et la douce pitié, Viennent toujours glisser sur ton être insensible, Comme des gouttes d’eau sur un marbre poli ? […] A travers tout le premier drame qui se passe au Tyrol, un air vif des montagnes circule ; on entend l’hallali des chasseurs qui fait bondir ; on croit boire à pleine main la saveur glacée des neiges dont la franche âcreté répare un sang affadi. […] Est-ce que tout l’Océan du grand Neptune pourra laver ce sang de ma main ?

48. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 2, de l’attrait des spectacles propres à exciter en nous une grande émotion. Des gladiateurs » pp. 12-24

On les nourrissoit même avec des pâtes et des alimens propres à les tenir dans l’embonpoint, afin que le sang s’écoulât plus lentement par les blessures qu’ils recevroient, et que le spectateur pût jouir ainsi plus long-tems des horreurs de leur agonie. […] Afin d’apprivoiser peu à peu les peuples avec son nouveau spectacle, il y fit combattre les champions seulement jusqu’au premier sang. […] Le peuple dont je parle contemple encore avec tant de plaisir des hommes, païez pour cela, se battre jusqu’à se faire des blessures dangereuses, qu’on peut croire qu’il auroit de veritables gladiateurs à la romaine, si la bible défendoit un peu moins positivement de verser le sang des hommes hors les cas d’une absoluë necessité. On peut dire la même chose d’autres nations très-polies et qui font profession de la religion ennemie de l’effusion du sang humain.

49. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXV » pp. 259-278

et se peut-on croire obligé d’éloigner, comme jugement téméraire, la pensée que le prodige de cet édit qui les appelle à la couronne après le dernier prince du sang, et qui leur en donne le nom, le titre, et tout ce dont les princes du sang jouissent et pourront jouir, n’ait pas été, dans leurs projets, un dernier échelon, comme tous les précédents n’avaient été que la préparation à celui-ci ; un dernier échelon, dis-je, pour les porter à la couronne, à l’exclusion de tous autres que le dauphin et sa postérité ? Sans doute il y a plus loin de tirer du non-être par état, et de porter après ces ténébreux enfants au degré de puissance qu’on voit ici par leurs établissements et a l’état et rang entier des princes du sang, avec la même habileté de succéder à la couronne ; sans doute il y plus loin du néant à cette grandeur, que de cette grandeur à la couronne. Le total est à la vérité un tissu exact et continuel d’abus de puissance, de violence, d’injustice ; mais une fois prince du sang en tout et partout, il n’y a plus qu’un pas à faire ; et il est moins difficile donner la préférence à un prince du sang sur les autres, pour une succession dont on se prétend maître de disposer, puisqu’on se le croit de faire des princes du sang par édit, qu’il ne l’est de fabriquer de ces princes avec de l’encre et de la cire, et de les cendre ainsi tels sans la plus légère contradiction73. » Madame de Maintenon ne fut ni créole, ni créole publique, ce qui signifie femme publique, ni à l’aumône.

50. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « José-Maria de Heredia »

José-Maria de Heredia58 I Cette Histoire d’une conquête 59 en est une sur l’imagination… Cette antique chronique d’un vieux chroniqueur oublié et à peu près inconnu en France, traduite par la fantaisie éprise d’un écrivain qui a du sang espagnol et conquérant dans les veines et la plus profonde culture de la langue française, ce récit, si différent, par les sentiments et par le ton, du ton et des sentiments de l’histoire moderne, a fait son chemin en deux temps, comme les Dieux d’Homère. […] Les ruffians de Séville, dit Ambrosio de Salazar, dans son Miroir général de la Grammaire, ont toujours été réputés vaillants mâles, plus lestes qu’aucun moine à expédier un chrétien avec le viatique d’un blasphème et du sang frais en guise d’huiles saintes. » Voilà la manière de José-Maria de Heredia, — de ce peintre qui ne porte pas pour rien, comme vous voyez, un nom espagnol. […] — répandue ici partout, rougit tout, et flambe et fume dans chacune de ses phrases comme du sang de taureau versé, et cette couleur, il ne se contente pas de la répandre, il la boit ; et comme Cambyse, qui, lui ! mourut d’avoir bu du sang de taureau, il ne meurt pas du sien ; il ne meurt pas de sa couleur ; mais recommence de la répandre et de la boire ! […] Quand, parmi les touches vivantes et palpitantes de son style, une réflexion ou une ironie lui échappe, comme, par exemple, « ces couteaux qui cherchent des gaines neuves », ou encore « ce viatique du blasphème et ces saintes huiles d’un sang frais », ce sont bien là des ironies ou des manières de dire de ces gens du peuple de 1514 en Espagne.

51. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Théodore de Banville »

Il y a une Muse qui ne descend pas du ciel, celle-là, mais qui sort du sang de la France et vient mettre sa pâle, main divine et blessée sur l’épaule rose divine d’une autre Muse invulnérable. […] Tel l’honneur de ce livre, et telle la meilleure gloire du poète qui l’a écrit et dont le lyrisme, autrefois éclatant et gai, et la plaisanterie couronnée d’étoiles, avaient reçu ce coup de foudre qui leur avait courbé la tête comme à des saules pleureurs, sur les rivières du sang de la France qui coulait. […] La vue du sang versé lui a tourné le sien. […] Après les fêtes sans pareilles De son féroce carnaval, Il a du sang jusqu’aux oreilles. […] En ces Idylles qui cachent des élégies, mais des élégies qui pleurent du sang, comme Le Jour des Morts, Les Femmes violées, Les Allemands, Le Jeune Prussien (je ne puis pas tout citer) ; dans ces Idylles où se rencontrent quelques notes simplement touchantes et tendres, ce qui vibre avec le plus de profondeur, c’est la haine, — la haine du Prussien, — et même encore plus (du moins dans ma sensation, à moi !)

52. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIe entretien. Ossian fils de Fingal, (suite) »

Le sang de mille guerriers en rougit l’acier. […] Je me réjouis en voyant couler son sang, et je prévis l’accroissement de ma gloire. […] Chassons le sanglier, et teignons de son sang la robe de Dargo. […] Elle voit couler le sang de son amant, son cher Connal expire ! […] ils sont morts ; leurs épées sont rougies de sang.

53. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 40, si le pouvoir de la peinture sur les hommes est plus grand que le pouvoir de la poësie » pp. 393-405

Par exemple, les cris d’un homme blessé que nous ne voïons point, ne nous affectent pas, bien que nous aïons connoissance du sujet qui lui fait jetter les cris que nous entendons, comme nous affecteroit la vûë de son sang et de sa blessure. […] Quand nous lisons dans Horace la description de l’amour qui aiguise ses traits enflammez sur une pierre arrosée de sang ; les mots dont le poëte se sert pour faire sa peinture réveillent en nous les idées, et ces idées forment ensuite dans notre imagination le tableau où nous voïons l’amour dépêcher ce travail. […] Le peintre s’est servi de cette image pour faire le fond d’un tableau dont la principale figure est le portrait d’une princesse sortie du sang de France ; mais qui est plus illustre aujourd’hui dans la societé des nations, et qui doit être encore plus célebre dans l’avenir par sa beauté que par son rang et par sa naissance. […] Un autre amour qui s’est piqué le bras, darde son sang sur cette pierre, où Cupidon affile des traits dont le fer étincelle.

54. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre (2e partie) » pp. 5-80

N’entendez-vous pas la terre qui crie et demande du sang ? Le sang des animaux ne lui suffit pas, ni même celui des coupables versé par le glaive des lois. […] M. de Maistre semble n’avoir lu que la Bible : c’était un prophète de la loi de sang. […] Il ne faut pas badiner avec le sang. […] M. de Maistre est presque partout un terroriste d’idée, qui verse des flots d’encre au lieu de sang, mais qui ne dissimule pas ses regrets et son admiration pour les siècles où l’on mêlait l’encre des disputes théologiques avec le sang.

55. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vii »

Le meilleur sang est celui qui compte le plus aux yeux de Dieu comme holocauste. […] Il tombait sur le terrain qu’il avait déjà mouillé de son sang et qu’il avait lui-même reconquis à la patrie17. […] Les voici, ces lignes, ce couplet à panache où palpite la même illusion qui, dans ces journées fiévreuses d’août 1914 masquait aux jeunes saint-cyriens le vrai caractère et l’horreur de la guerre commençante :‌ Fussiez-vous du sang des héros, s’écrie le prince de Ligne, fussiez-vous du sang des dieux, si la gloire ne vous délire pas continuellement, ne vous rangez pas sous les étendards.‌ […] J’ai porté des morts, pansé des blessés dont le sang giclait ; je me suis même assis sur des corps ; mais ça, avec tout l’imprévu de la rencontre, m’a fait une sale impression, et je dois le dire à ma honte, j’ai eu peur ! […] Tes lettres sont la parole du chef, qui ranime le courage des hommes, qui fouette le sang.

56. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Paroles d'un croyant »

Mais d’assez récentes tracasseries ecclésiastiques l’ayant ramené à Paris, il y vit de près cette tiédeur et ce relâchement publics qui enhardissent un pouvoir sans morale à tous les envahissements rusés ou grossiers ; il y vit, sous cette couche corrompue d’une société en décadence, une masse jeune et populaire, impétueuse, frémissante, au sang chaud et vierge, mais mal éclairée, mal dirigée, obéissant à des intérêts aussi et à des passions qui, certes, courraient risque de bientôt corrompre la victoire, si un souffle religieux et un esprit fraternel n’y pénétraient d’avance à quelque degré. […] Je l’en admire et l’en révère ; mais il y a manière pourtant d’être chrétien, en l’étant un peu différemment et en gardant dans sa veine un reste du sang des Machabées.  […] « Et il y aura des hommes qui seront saisis de la soif du sang et qui adoreront la mort, et qui voudront la faire adorer.  […] « Si d’abord la victoire paraît s’éloigner de vous, ce n’est qu’une épreuve, elle reviendra ; car votre sang sera comme le sang d’Abel égorgé par Caïn, et votre mort comme celle des martyrs. » Au chapitre vii, je recommande la parabole de l’homme qui trouve moyen d’augmenter successivement le travail du peuple tout en diminuant progressivement les salaires.

57. (1899) Esthétique de la langue française « Le vers populaire  »

D’avoir tué mon canard blanc, Après la plume vint le sang. Après la plume vint le sang. Après le sang l’or et l’argent. Après le sang l’or et l’argent, C’est le vent qui va frivolant. Après le sang, l’or et l’argent, C’est le vent qui vole, qui frivole, C’est le vent qui va frivolant.

58. (1856) Cours familier de littérature. II « XIe entretien. Job lu dans le désert » pp. 329-408

Cris du sang, voix des morts, plaintes inextinguibles. […]             La gloire au prix du sang ! […] que serait-ce si on la peignait en sang ? […] et bientôt (car tel est le progrès de barbarie dont les pourvoyeurs de sang nous menacent depuis quelques mois) le cheval, son compagnon de guerre, qui piaffe à sa voix, qui pleure sur son corps, qui combat pour lui, qui meurt pour son salut ou pour sa gloire ! […] Il n’y aura pas de sang volontaire sur notre pain quotidien.

59. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIe entretien. Cicéron » pp. 81-159

Ses proscriptions et ses assassinats avaient décimé Rome et inondé de sang l’Italie. […] C’est dans le sang de son premier citoyen que les scélérats doivent éteindre les lois antiques de Rome. […] Et ces traîtres, le consul les voit et prend leur avis sur les grands intérêts de l’État ; quand leur sang devrait déjà couler, il ne les blesse pas même d’une parole offensante. […] Il se détourna prudemment de cette trace de sang qui semblait le devancer et le poursuivre, et se réfugia à Thessalonique, colonie romaine au fond de la Méditerranée, au pied des montagnes de la Macédoine. […] Pressé d’effacer la mémoire de l’ingratitude dans le sang du bienfaiteur, il somma les serviteurs et les affranchis restés dans la maison de lui dénoncer la retraite de leur maître.

60. (1857) Cours familier de littérature. III « XIVe entretien. Racine. — Athalie (suite) » pp. 81-159

Il y faudra du sang ; mais n’importe, il faut qu’on nous en délivre à tout prix, même au prix du sang !  […] Tout ce qui coûte du sang coûte trop cher. […] Ai-je besoin du sang des boucs et des génisses ? Le sang de vos rois crie, et n’est point écouté. […] Paraissez, cher enfant, digne sang de nos rois !

61. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Taine » pp. 305-350

Pour ces aïeux des révolutionnaires d’aujourd’hui, qui se sont retrouvés, aux jours derniers de la Commune, du sang de leurs pères dans la veine, la Révolution, c’est le brigandage ! […] Taine, qui s’était donné pour tâche de connaître les origines de la France moderne, plongea dans cette boue et ce sang et dit sans sourciller ce qu’il y avait vu. […] Il aurait pu cependant, rien qu’en secouant sa peau, ce lion, se débarrasser de ces ignominieux insectes qui suçaient le meilleur de son sang. […] On mettait dans le lointain le sang et la boue qui, de près, horripilent et dégoûtent, et en les voyant moins, on en éprouvait moins le dégoût et l’horreur. […] Ils sont emportés et noyés dans ce Jacobinisme hideux, et l’historien n’a plus devant lui à peindre qu’une tourbe anonyme, enivrée et soulée de ce mot de patriotisme, qu’elle ne comprend pas, et qui veut, gorgée du sang qu’elle boit, plus de sang encore !

62. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXII. »

« Sur le redoutable rivage d’Avon, ils gisent souillés de sang et pâles à faire peur. […] De longues années de désastres précipitent leur cours fatal, et s’ouvrent passage entre des escadrons de guerriers du même sang. […] Le sanglier hérissé se vautre dans le sang de l’enfance, sous l’abri d’un buisson d’épines. […] Homme follement impie, crois-tu que ce nuage de sang qui, là-bas, se forme de ton haleine, a couvert l’orbe du jour ? […] La race des dominateurs normands a pu s’éteindre et faire place au retour du sang anglais sur le trône ; mais la race des bardes patriotes, anéantie par la cruelle précaution d’Édouard, ne s’est pas ranimée.

63. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 15, le pouvoir de l’air sur le corps humain prouvé par le caractere des nations » pp. 252-276

Ainsi deux hommes qui auront le sang d’une qualité assez differente pour être dissemblables à l’extérieur, seront encore plus dissemblables par l’esprit. […] Comme les germains, ils raisonnent bien entr’eux sur leurs affaires dans la chaleur du repas, mais il ne les concluent que de sang froid. […] C’est de tout temps qu’on a remarqué que le climat étoit plus puissant que le sang et l’origine. […] Cependant ces crioles sont les habitans qui sont nez d’une mere et d’un pere espagnols, sans aucun mélange de sang americain ou afriquain. […] Véritablement on a peine à concevoir à quel point le sang espagnol, si brave et si courageux en Europe, a dégeneré dans plusieurs contrées de l’Amerique.

64. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte Gaston de Raousset-Boulbon »

L’homme est tellement fait pour le deuil, la tristesse, le désastre ; sa destinée est si bien l’inachèvement en toutes choses, que les grands efforts, les grands caractères, le génie, répandus en pure perte sur cette terre qui boit tout indifféremment, le sang et les larmes, nous prennent le cœur bien plus que le succès, les résultats éclatants, les fortunes ! […] Mais c’est le bénéfice de quelques familles d’avoir concentré dans le feu de leur sang l’ardeur gauloise qui nous anime tous ! Tel était le sang de Raousset. […] Mais c’est un chrétien et non pas un giaour, un chrétien profond, resté tel dans les abîmes de son être, — dans le cours de son sang, — par-delà et par-dessous tous les doutes, toutes les mauvaises pensées, toutes les tentations du xixe  siècle ; c’est un chrétien naïf de foi, qui écrit à son frère, avant de mourir comme il convient, disait-il, à un gentilhomme ; « Le curé de Guaymas sort d’ici : c’est un homme intelligent et doux, un homme comme il en faut pour adoucir ce qu’il y a de trop léonin et d’indompté en moi. […] … On ne cite de tels vers que parce qu’ils s’appellent La Sorcière, — parce que cet homme qui a manqué un empire se promettait une royauté, — parce qu’il n’a pas revu son château et que nous savons à présent où ses os blanchissent… Macbeth pur, tué avant la couronne, et qui n’a sur les mains que son propre sang !

65. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Louis Nicolardot » pp. 217-228

On saura que penser de cet homme, dont le sang répandu fait pourpre sur sa vie entière et empêche de la voir et de la juger telle qu’elle fut, à travers l’auréole pourprée de ce sang. […] Le sang de Louis XVI est plus rouge que le sang de ceux qui l’ont tué… L’héroïsme de la maison de Bourbon y roulait ses plus nobles, ses plus intrépides gouttes.

66. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XI. Suite des machines poétiques. — Songe d’Énée. Songe d’Athalie. »

C’étoit l’heure où, du jour adoucissant les peines, Le sommeil, grâce aux dieux, se glisse dans nos veines ; Tout à coup, le front pâle et chargé de douleurs, Hector, près de mon lit, a paru tout en pleurs, Et tel qu’après son char la victoire inhumaine, Noir de poudre et de sang, le traîna sur l’arène. […] le sang de toutes parts Souilloit sa barbe épaisse et ses cheveux épars, Et son sein étaloit à ma vue attendrie Tous les coups qu’il reçut autour de sa patrie. […] » En achevant ces mots épouvantables, Son ombre vers mon lit a paru se baisser, Et moi, je lui tendois les mains pour l’embrasser ; Mais je n’ai plus trouvé qu’un horrible mélange D’os et de chairs, meurtris et traînés dans la fange, Des lambeaux pleins de sang, et des membres affreux Que des chiens dévorants se disputoient entre eux.

67. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIe entretien. Épopée. Homère. — L’Iliade » pp. 65-160

Le sang, le feu, la fumée qui monte de la graisse des victimes, sont décrits avec une puissance de vérité qui, sans tomber dans le dégoût et dans l’horreur, font respirer aux sens l’odeur de l’holocauste. […] « Reste ici, dit-il à Machaon blessé, reste ici et continue à boire ce vin coloré, en attendant que la blonde Hécamède ait chauffé le bain pour que tu y laves le sang de tes blessures. […] Le sang coule comme l’eau du Simoïs et du Scamandre. […] Ces chiens, gardiens fidèles que je nourrissais dans nos cours, autour de nos tables, lécheront mon sang, et, rassasiés de carnage, ils s’étendront pour dormir sous les portiques. […] N’est-ce pas en vingt-quatre chants l’univers sous tous ses aspects, reproduit tantôt en larmes, tantôt en sang, mais toujours dans une musique de paroles ravissantes à l’imagination des hommes ?

68. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre quatrième. Les émotions proprement dites. L’appétit comme origine des émotions et de leurs signes expressifs. »

Darwin, on le sait, l’explique par l’attention qu’on porte sur son visage lorsqu’on a l’idée qu’un autre vous regarde : c’est cette attention qui appellerait le sang sur le visage même. […] C’est surtout le système musculaire et la circulation du sang que Mosso a étudiés. Il a montré que la moindre excitation cérébrale fait affluer le sang au cerveau, et que, pendant le travail intellectuel, cet afflux du sang est assez grand pour diminuer le volume du bras plongé dans l’eau. […] Sous l’influence de la peur, le sang reflue aux extrémités, à ce point qu’une bague ne puisse plus alors sortir du doigt. […] La peau d’où le sang se retire devient pale, froide, puis humide de sueur ; le cœur, après avoir palpité fortement et irrégulièrement, se ralentit, la respiration est pénible et la poitrine est serrée.

69. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Chastel, Doisy, Mézières »

Pleine d’admiration pour les premiers siècles de l’Église qui furent si grands, pour cette période de l’histoire, la Genèse d’un nouvel univers moral dressée devant les yeux humiliés de l’Économie politique, comme ce bouclier de diamants qu’Ubald, dans le Tasse, présente à Renaud pour qu’il y mire son impuissance et sa honte, l’Académie n’a pas su conclure nettement dans le sens de cette admiration franche et souveraine, et ce n’est pas le livre véritablement chrétien, imbibé de ce catholicisme qui est le sang pur de la vérité chrétienne qu’elle a couronné, mais des livres infectés plus ou moins de ce protestantisme qui est le commencement de la philosophie, comme, dans un autre ordre, la crainte de Dieu est le commencement de la sagesse. […] Il a prouvé, enfin, que cette charité enseignante, née dans le sang du Crucifié, arrosée du sang des martyrs, cette fleur du sang de Dieu et des hommes, n’a grandi, parfumé et guéri les plaies du monde, que parce qu’elle s’est épanouie dans la double Thébaïde du désert et du célibat.

70. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid (suite.) »

La scène où don Diègue remet à Rodrigue son épée et sa vengeance a d’ailleurs toute la vigueur et même la crudité de ton que comportent nos mœurs : « Ce n’est que dans le sang qu’on lave un tel affront ; Meurs ou tue………. » Le mot est d’une assez belle rudesse, la seule qu’une oreille française pût supporter. […] Le comte ne laisse pas de confesser qu’il a eu tort, mais sans vouloir pour cela le réparer : « Je l’avoue entre nous, quand je lui fis l’affront, J’eus le sang un peu chaud et le bras un peu prompt. […] Vieux et inutile, mais vengé désormais et content, il s’offre lui-même en victime pour apaiser le sang qui crie par la bouche de Chimène ; que son fils vive pour continuer l’honneur de sa race, pour servir son roi et son pays, il n’aura plus de regret. […] Dans la pièce espagnole, scène correspondante, Diègue raconte que, voyant son ennemi étendu sans vie, il a porté la main à sa blessure et a lavé (à la lettre) avec le sang la place du soufflet sur sa joue ; et il arrive la joue encore teinte de ce sang. […] Ose-t-on remarquer quelque trace de jeux de mots et de cliquetis de pensées, à propos de cette épée et du sang dont elle est teinte et qu’une autre teinture peut faire oublier ?

71. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Éphémérides poétiques, 1870-1890 » pp. 181-188

Jean Lorrain : Le Sang des Dieux. […] René Ghil : Légendes d’âmes et de sangs. […] Fontainas : Le Sang des fleurs.

72. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (2e partie) » pp. 365-432

Ce remords national, cette horreur irréfléchie quoique générale, tout cela n’est au fond que le jugement non raisonné, mais infaillible, du genre humain, le dégoût instinctif qui se voile la face à l’aspect d’une mare de sang. […] Or le cœur humain est sympathique, mais il n’est jamais radical, parce qu’il pèse d’un juste poids, et non au poids seul de la chair et du sang, les innombrables différences du passé et du présent dont le même malheur se compose, pour le frère de Cartouche ou pour le fils de Louis XVI. […] En quoi le sang de l’une lave-t-il le sang de l’autre ? […] L’évêque est en gros, comme on le voit après son entretien avec le terroriste, très large sur le sang répandu à flots par droit de colère du peuple. Cela est peu conforme au christianisme, qui est économe en gros comme en détail du sang des hommes, et qui dit : Rendez à César ce qui est de César !

73. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « « L’amour » selon Michelet » pp. 47-66

Son sang n’a pas le cours du nôtre… Elle ne respire pas comme nous. […] Et l’une de ses grandes joies a été d’apprendre, par des expériences de Bouchardat, que, contrairement au préjugé de l’Église et du moyen âge, le sang féminin dont les mouvements composent ce rythme harmonieux est un sang parfaitement pur. Il s’excite là-dessus ; il explique toute la femme par ce sang et par la blessure d’où il sort. […] Elle subit incessamment l’éternelle blessure d’amour. » Il se la représente donc, avec exaltation, comme une perpétuelle fontaine de sang.

74. (1882) Hommes et dieux. Études d’histoire et de littérature

A peine versé, le sang maternel dégrise un moment Néron. […] Le philosophe qui abhorrait le sang était forcé de détruire et d’exterminer. […] Chaste plutôt, d’un sang lent et lourd, caractère engourdi dans un corps agile. […] La Mort devint la déité de ce monde de sang et de larmes. […] — je baise vos fontaines de sang !

75. (1860) Cours familier de littérature. X « LIXe entretien. La littérature diplomatique. Le prince de Talleyrand. — État actuel de l’Europe » pp. 289-399

Juste récompense du sang et de l’or français, bravement mais déshonnêtement prodigués à une guerre illicite. […] On lavait partout le sang des échafauds ; on cherchait, en tâtonnant parmi les débris, l’ordre à l’intérieur, la réconciliation avec l’étranger. […] Où était la férocité de caractère d’un homme doux, et à qui on a pu reprocher des vices, des intrigues, mais du sang, jamais ? […] Il ne trahissait personne ; il conservait à l’Espagne sa dynastie et ses droits de nation ; il épargnait des torrents de sang ; il assurait à Napoléon l’alliance de la famille de Louis XIV. […] J’ai été le Napoléon de la paix ; il n’y a pas une existence en Europe qui ne me doive une indulgence ou une bénédiction : j’ai été l’instrument de la Providence pour épargner le sang d’une génération ! 

76. (1773) Essai sur les éloges « Morceaux retranchés à la censure dans l’Essai sur les éloges. »

Il y avait des princes du sang ; le cardinal les traite à peu près comme le frère du roi ; il les emprisonne ou les fait fuir, les avilit ou les écrase. […] Laubardemont, conseiller d’état, et l’un de ces hommes lâches et cruels faits pour servir d’instrument au plus cruel despotisme, pour égorger l’innocence aux pieds de la fortune, pour calculer toutes les infamies par l’intérêt, et avilir le crime même aux yeux de celui qui le commande et qui le paie, Laubardemont, enivré de sang et affamé d’or, présidait à la plupart de ces tribunaux, allait prendre d’avance les ordres de la haine, les recevait avec le respect de la bassesse, se pressait d’obéir pour ne pas faire attendre la vengeance, et, après avoir immolé sa victime, venait, pour le salaire d’un meurtre, recevoir le sourire d’un ministre. […] On peut donc lui reprocher d’avoir prodigieusement augmenté cette maladie épidémique des emprunts, qui devient de jour en jour plus mortelle ; d’avoir donné l’exemple de la multiplication énorme des impôts ; d’avoir aggravé tour à tour et la misère par le despotisme, et le despotisme par la misère ; de n’avoir jamais vu que je ne sais quelle grandeur imaginaire de l’État, qui n’est que pour le ministre, et dont le peuple ne jouit point ; et d’avoir sacrifié à ce fantôme les biens, les trésors, le sang, la paix et la liberté des citoyens. […] Les lois qu’il a violées, les corps de l’État qu’il a opprimés, les parlements qu’il a avilis, la famille royale qu’il a persécutée, les peuples qu’il a écrasés, le sang innocent qu’il a versé, la nation entière qu’il a livrée tout enchaînée au pouvoir arbitraire, auraient dû s’élever contre ce coupable abus des éloges, et venger la vérité outragée par le mensonge.

77. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Chirurgie. » pp. 215-222

Le meilleur moyen de ne pas perdre de sang est d’opérer vite et de ne pincer ou lier que les artères et les veines de gros calibre. […] D’abord, tout cet appareil compliqué, précis, luisant et froid ; ces multiples et fins instruments faits pour couper, percer, pincer, brûler, scier, limer, tordre, et qui éveillent en nous l’idée de sensations atrocement aiguës et lancinantes ; puis cette pauvre nudité exposée sur le lit opératoire, et qui (nous y pensons fraternellement) pourrait être la nôtre ; ce mystère violé de nos plus secrets organes ; cet aspect de corps éventré sur un champ de bataille ; la vue du sang, et des entrailles ouvertes, et des plaies béantes et rouges, vue qui serait insoutenable si le malade sentait, mais qui n’est que suprêmement émouvante puisqu’on a la certitude qu’il ne souffre pas et l’espoir que, en se réveillant, il aura la joie infinie de se savoir affranchi de la torture ou de la honte de son mal ou de son infirmité… Et ce spectacle est aussi très bon pour l’intelligence. […] On songe qu’il doit éprouver, dans sa besogne libératrice, une sorte d’exaltation austère ; qu’il doit, à sa façon, « aimer le sang »… On se dit que le plus grand bienfait qu’un homme puisse attendre d’un autre homme, c’est le chirurgien qui le dispense.

78. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — L’abbé Boileau, et Jean-Baptiste Thiers. » pp. 297-306

Ils disoient que le sang qui couloit de leurs plaies se mêloit avec le sang de Jésus-Christ. […] Des amans vont se fouetter & se mettre tout en sang sous les fenêtres de leurs maîtresses.

79. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Braisne, Henry de (1855-19..) »

. — Parmi le fer, parmi le sang (1899). […] V Enclos en une forme parfois impeccable, parfois, je dois le dire, vacillante, de hautaines et mélancoliques pensées, de fumeuses visions de pillages, de massacres arméniens — Parmi le fer, parmi le sang — ordonnées par la Bête Rouge chère à Quillard, et aussi de clairs et polychromes paysages d’Algérie ensoleillée, des danses d’almées lascives, telle est, succinctement, la matière des poèmes de M. 

80. (1878) Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux. Tome I (2e éd.)

La fibrine du sang se trouve dans les mêmes conditions. […] Glénard, de Lyon, relative à la dessiccation du sang du cheval dans ses vaisseaux. Le sang de cheval se coagule lentement ; on fait dessécher à une température inférieure à 45 degrés le sang contenu dans une veine jugulaire, par exemple. […] J’ai montré que le sang veineux qui sort des glandes est à peu près aussi riche en oxygène que le sang artériel, de sorte que l’exagération de la fonction n’entraînerait pas la disparition de l’oxygène. […] Schmidt croyait à un dédoublement des matières grasses donnant naissance à du sucre dans le sang.

81. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 29, si les poëtes tragiques sont obligez de se conformer à ce que la geographie, l’histoire et la chronologie nous apprennent positivement » pp. 243-254

Notre poëte peche encore contre la verité, quand il fait dire à Paulin que Titus charge, comme son confident, de lui parler sur le mariage de Berenice : qu’on a vû des fers de Claudius Felix encore fletri de deux reines, seigneur, devenir le mari, et s’il faut jusqu’au bout que je vous obéisse, ces deux reines étoient du sang de Berenice. Ce Felix, si connu par Tacite et par Joseph, n’épousa jamais qu’une reine ou fille d’un sang roïal, qui fut Drusille. Il est vrai qu’elle étoit du sang de Berenice.

82. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Charles d’Héricault » pp. 291-304

Il a passé au microscope, comme deux insectes, ces deux monstres énormes, pour qu’on les vît mieux, — pour qu’on les discernât jusque dans leurs animalcules et leurs derniers atomes… Il n’a oublié ni une goutte de sang, ni une goutté de boue, analyseur patient, minutieux, implacable, d’un dégoût si haut qu’il en est impassible. […] Et M. d’Héricault, avec son regard aigu, a regardé dans le fond de ces mains-là… Elles n’étaient pas toutes tachées de sang, mais toutes, sans exception de fange ; car c’est une fange que la lâcheté… En ce vil temps, on était plus bas que sous Marat. […] Il ne dit pas à sa mer de sang, qui lui eût désobéi, du reste : « Tu n’iras pas plus loin !  […] Les plus belles, les plus nobles imaginations de ce siècle furent ébranlées et éblouies par le sang, — cette pourpre qui éblouit quand il s’agit de juger celui qui le verse, — et qui fut versé par ce lâche et ce sot.

83. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Jules Soury. Jésus et les Évangiles » pp. 251-264

Sur la croix que son sang inonde, Un fou qui meurt nous lègue un Dieu ! […] c’est les vaisseaux turgides et gonflés de sang laissant transsuder des globules ! […] Soury, lorsqu’il nous fit l’histoire de Madame Louise de France, la fille de Louis XV, — cette rachitique qui ne l’était pas, — et dont il expliquait, quoiqu’elle fût une adorable femme d’esprit, la sainteté et la bêtise — deux faits, selon lui, congénères, — par le charriage d’un sang immonde et vicié à travers les plus pures veines qui aient jamais étendu leur réseau autour d’un corps virginal… Il procédait par les pustules chimériques de la religieuse Louise de France, pour arriver à la chimérique folie de son divin Maître. […] Soury, cet animal à sang blanc dans le talent (pour parler comme lui), n’a pas à son service une particule de colère.

84. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIV. Des panégyriques depuis la fin du règne de Louis XIV jusqu’en 1748 ; d’un éloge funèbre des officiers morts dans la guerre de 1741. »

L’orateur peint cette multitude féroce dont on se sert pour changer la destinée des empires ; il fait voir le soldat arraché de ses campagnes, les quittant par un esprit de débauche et de rapine, changeant de maîtres, s’exposant à un supplice infâme pour un léger intérêt, combattant quelquefois contre sa patrie, répandant sans remords le sang de ses concitoyens, et sur le champ de carnage attendant avec avidité le moment où il pourra de ses mains sanglantes arracher aux mourants quelques malheureuses dépouilles qui lui sont bientôt enlevées par d’autres mains. À ce tableau il oppose celui de l’officier français : « Idolâtre de son honneur et de celui de son souverain ; bravant de sang-froid la mort, avec toutes les raisons d’aimer la vie ; quittant gaiement les délices de la société pour des fatigues qui font frémir la nature ; humain, généreux, compatissant, tandis que la barbarie étincelle de rage autour de lui ; né pour les douceurs de la société comme pour les dangers de la guerre ; aussi poli que fier ; orné souvent par la culture des lettres, et plus encore par les grâces de l’esprit. » Il parcourt ensuite rapidement nos victoires, nos exploits et nos pertes ; il célèbre cette brave noblesse qui partout a versé son sang pour l’État76. […] Et pourquoi le souverain lui-même, le souverain qui représente la patrie, et qui partage avec elle la reconnaissance du sang qu’on a versé pour elle, n’assisterait-il pas à cette cérémonie auguste ? […] C’est là qu’on trouve le mot d’un jeune Brienne qui, ayant le bras fracassé au combat d’Exilles, monte encore à l’escalade en disant : Il m’en reste encore un autre pour mon roi et ma patrie  ; celui de M. de Luttaux qui, blessé de deux coups, affaibli et perdant son sang, s’écria : Il ne s’agit pas de conserver sa vie, il faut en rendre les restes utiles  ; celui du marquis de Beauveau, qui, percé d’un coup mortel, et entouré de soldats qui se disputaient l’honneur de le porter, leur disait d’une voix expirante : Mes amis, allez où vous êtes nécessaires ; allez combattre, et laissez-moi mourir.

85. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXIV. Arrestation et procès de Jésus. »

Peut-être le revit-elle en songe, et le sang de ce beau jeune homme, qui allait être versé, lui donna-t-il le cauchemar. […] Pilate se crut obligé de faire quelque concession ; mais hésitant encore à répandre le sang pour satisfaire des gens qu’il détestait, il voulut tourner la chose en comédie. […] Ceux-ci, au dire des chrétiens, l’auraient pleinement acceptée, en s’écriant : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants 1151 !  […] Nul n’est admis à dire qu’il a horreur du sang, quand il le fait verser par ses valets. […] il faudra plus de dix-huit cents ans pour que le sang qu’il va verser porte ses fruits.

86. (1759) Salon de 1759 « Salon de 1759 — Carle Van Loo » pp. 92-93

Il fallait lever au ciel des bras désespérés, avoir la tête renversée en arrière ; les cheveux hérissés ; une bouche ouverte qui poussât de longs cris ; des yeux égarés ; et puis une petite Medée, courte, roide, engoncée, surchargée d’étoffes ; une Medée de coulisse ; pas une goutte de sang qui tombe de la pointe de son poignard ou qui coule sur ses bras ; point de désordre ; point de terreur. […] Il y a sur le devant un très bel enfant renversé sur les degrés arrosés de son sang ; mais il est sans effet.

87. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIVe entretien. Littérature politique. Machiavel (3e partie) » pp. 415-477

L’Allemagne et la France, sans cesse provoquées à des luttes incessantes par une puissance si forte et si active que le Piémont, n’auraient plus une heure de paix ; la guerre entre la France et l’Allemagne aurait deux champs de bataille au lieu d’un, et le Rhin ne roulerait pas moins de sang que le Pô et l’Adige. […] Le Piémont a forcé la main à la nature ; Turin et Londres retournent aujourd’hui, contre la pensée de la France, le sang de la France versé en Italie. […] Le Piémont aura sa grande et honorable place qu’il a achetée de son sang dans l’Italie subalpine, mais il ne prendra pas la place de l’Italie tout entière. […] Ce fut la première pensée qui jaillit du sang encore chaud de la France après la victoire de Solferino et la paix de Villafranca. […] La confédération italique aurait jeté du moins ses racines dans ce sang.

88. (1856) Cours familier de littérature. II « IXe entretien. Suite de l’aperçu préliminaire sur la prétendue décadence de la littérature française » pp. 161-216

Ce n’est pas le génie qui a créé l’Académie française, c’est Richelieu, c’est-à-dire une des plus grandes médiocrités littéraires qui aient jamais été associées dans un grand favori du sort à un caractère tyrannique ; un Cottin dans un Machiavel qui voulait illuminer d’un reflet de belles-lettres sa pourpre teinte de sang. […] Où la justice a-t-elle été plus faite de la moindre lâcheté de conscience, ou de la moindre goutte de sang livré par cette assemblée ? […] L’influence du cinquième acte d’une tragédie à flots de sang sur un auditoire sans haleine, la pitié, l’horreur, les vociférations du chœur sanguinaire, les rugissements des bourreaux, le cri prolongé et renaissant des victimes ; elle eut tout cela, mais ce n’était plus de la langue : c’était des hoquets et des sanglotements d’agonie, Vox faucibus hæret ! […] Il en fut ainsi de la France sous la Convention ; elle donna quinze mois le frisson de l’horreur à l’Europe, et défia l’imagination de l’Europe de se détacher du spectacle de sang qu’elle donnait aux nations. […] C’était une corde nouvelle, corde trempée de sang et de larmes, que la mort avait ajoutée à la lyre moderne : cela ressemblait aux voix des pleureuses qu’on entend de loin en Orient suivre en chantant les cercueils au bord de la mer derrière les oliviers ou les cyprès des champs des morts.

89. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — III »

Ainsi ce n’est pas moi qui digère en moi ; ce n’est pas moi qui sécrète ma bile ; ce n’est pas moi qui fais pousser mes cheveux, qui fais circuler mon sang, qui contracte mes muscles, etc., etc., etc. […] « Le principe intelligent (le moi, l’homme), disent-ils, ne peut avoir conscience de la contraction musculaire, de la digestion, de la circulation du sang, parce que c’est le muscle qui se contracte, l’estomac qui digère, le sang qui circule et non pas lui. […] Nous, nous disons : Il n’y a qu’une cause que nous connaissons directement, c’est celle que nous sentons penser et agir, comprendre et pouvoir en nous, sentir, aimer, vivre en un mot ; vivre de la vie complète, profonde et intime, non-seulement de la vie nette et claire de la conscience réfléchie et de l’acte voulu, mais de la vie multiple et convergente qui nous afflue de tous les points de notre être ; que nous sentons parfois de la sensation la plus irrécusable, couler dans notre sang, frissonner dans notre moelle, frémir dans notre chair, se dresser dans nos cheveux, gémir en nos entrailles, sourdre et murmurer au sein des tissus ; de la vie une, insécable, qui dans sa réalité physiologique embrasse en nous depuis le mouvement le plus obscur jusqu’à la volonté la mieux déclarée, qui tient tout l’homme et l’étreint, fonctions et organes, dans le réseau d’une irradiation sympathique ; qui, dans les organes les plus élémentaires et les plus simples, ne peut se concevoir sans esprit, pas plus que, dans les fonctions les plus hautes et les plus perfectionnées, elle ne peut se concevoir sans matière ; de la vie qui ne conçoit et ne connaît qu’elle, mais qui ne se contient pas en elle et qui aspire sans cesse, et par la connaissance et par l’action, par l’amour en un mot ou le désir, à se lier à la vie du non-moi, à la vie de l’humanité et de la nature, et en définitive, à la vie universelle, à Dieu, dont elle se sent faire partie ; car à ce point de vue elle ne conçoit Dieu que comme elle-même élevée aux proportions de l’infini ; elle ne se sent elle-même que comme Dieu fini et localisé en l’homme, et elle tend perpétuellement sous le triple aspect de l’intelligence, de l’activité et de l’amour, à s’éclairer, à produire, à grandir en Dieu par un côté ou par un autre, et à monter du fini à l’infini dans un progrès infatigable et éternel.

90. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre III »

Voici sans observations une liste de mots français avec leur nom correspondant en patois médical ; on jugera de quel côté sont la raison et la beauté : Adéphagie Fringale Adénoïde Glanduleux Agrypnie Insomnie Advnamie Faiblesse Omoplate Palette, Paleron (restés comme termes de boucherie) Ombilic Nombril Pharynx Avaloir (vieux français) Zygoma Pommette Thalasie Mal de mer Epilepsie Haut-mal Asthme Court-vent Ephélides Son (taches) Ictère Jaunisse Naevi Envies Phlyctène Ampoule Ecchymose Bleu, Meurtrissure, Sang-meurtri (vieux français) Myodopsie Berlue (latin : bislacere) Diplopique Bigle Apoplexie Coup de sang On pourrait continuer, car le vocabulaire gréco-français est fort abondant. […] Ainsi l’adonis aestivalis ou autumnalis est appelé : goutte de sang, sang de Vénus, sang de Jésus ; l’anémone nemorosa est la pâquerette, la demoiselle, la Jeannette, la fleur des dames ; la pulsatilla vulgaris est la coquelourde, la coquerelle, le coqueret, la coquerette, la clochette, le passe-velours, la fleur du vent.

91. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — VII »

Chevrillon on voit bien que la puissance philosophique demeure dans ce noble sang. […] Taine a très bien senti l’insuffisance, le verbalisme où aboutissent tant d’efforts, tant d’enthousiasmes dépensés et tant de sang versé ; mais si le but qu’on déclarait viser n’a pas été atteint, si, dans l’entreprise révolutionnaire, il y a des puérilités, de l’agitation et du vide, une grandeur pourtant y apparaît : certaines dépenses d’énergie, fussent-elles infécondes, contribuent à manifester les hommes ; elles accroissent sinon le bien-être, du moins la beauté et puis aussi la dignité de notre espèce. […] Les milieux de grande culture variée où il allait se développer ne firent que fournir une riche abondance d’arguments aux opinions qu’il avait dans le sang.‌

92. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lorrain, Jean (1855-1906) »

Lorrain, Jean (1855-1906) [Bibliographie] Le Sang des Dieux (1882). — La Forêt bleue (1883). — Les Lepillier (1885). — Viviane (1885). — Modernités (1885). — Très Russe (1886). — Griseries (1887). — Dans l’Oratoire (1888). — Songeuse (1891). — Buveurs d’âmes (1893). — Sensations et souvenirs (1894). — Yanthis (1894). — La Petite Classe (1895). — Le Conte du Bohémien (1896). — Une femme par jour (1896) […] Marcel Fouquier Dans le Sang des Dieux, de M. 

93. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « H. Forneron » pp. 149-199

Ils aimaient, dans leur orgueil, quoiqu’ils n’en fussent pas, à se dire du sang de Charlemagne. […] Quelques gouttes d’un sang héroïquement versé lavèrent toutes les infamies du xvie  siècle. […] Lui aussi a mis les pieds dans le torrent de sang répandu. […] ce cannibalisme dont elle est marquée ne fut pas l’ivresse du sang bu, à force d’en boire. […] L’orgie du sang commença dès le potage.

94. (1856) Mémoires du duc de Saint-Simon pp. 5-63

Le roi confère gravement, longuement, comme d’une affaire d’État, du rang des bâtards ; et pour établir ce rang, voici ce qu’on imagine : « Il faut donner à M. le duc du Maine « le bonnet comme aux princes du sang qui depuis longtemps ne l’est plus aux pairs, mais lui faire prêter le même serment des pairs, sans aucune différence de la forme ni du cérémonial, pour en laisser une entière à l’avantage des princes du sang qui n’en prêtent point ; et pareillement le faire entrer et sortir de séance tout comme les pairs, au lieu que les princes du sang traversent le parquet ; l’appeler par son nom comme les autres pairs, en lui demandant son avis, mais avec le bonnet à la main un peu moins baissé que pour les princes du sang qui ne sont que regardés sans être nommés ; enfin le faire recevoir et conduire en carrosse par un seul huissier à chaque fois qu’il viendra au Parlement, à la différence des princes du sang qui le sont par deux, et des pairs dont aucun n’est reçu par un huissier au carrosse que le jour de sa réception, et qui, sortant de la séance deux à deux, sont conduits par un huissier jusqu’à la sortie de la grande salle seulement. » N’allons pas plus loin : de 1689, on aperçoit 1789. […] On le voit les yeux fixes et le corps frissonnant, lorsque, dans le suprême épuisement de la France, Desmarets établit l’impôt du dixième : « La capitation doublée et triplée à la volonté arbitraire des intendants des provinces, les marchandises, et les denrées de toute-espèce imposées en droit au quadruple de leur valeur, taxes d’aides et autres de toute nature et sur toutes sortes de choses : tout cela écrasait, nobles et roturiers, seigneurs et gens d’église, sans que ce qu’il en revenait au roi pût suffire, qui tirait le sang de ses sujets sans distinction, qui en exprimait jusqu’au pus. […] Nulle part on n’a vu une telle force, une telle abondance de raisons si hardies, si frappantes, si bien accompagnées de détails précis et de preuves ; tous les intérêts, toutes les passions appelées au secours, l’ambition, l’honneur, le respect de l’opinion publique, le soin de ses amis, l’intérêt de l’État, la crainte ; toutes les objections renversées, tous les expédients trouvés, appliqués, ajustés ; une inondation d’évidence et d’éloquence qui terrasse la résistance, qui noie les doutes, qui verse à flots dans le cœur la lumière et la croyance ; par-dessus tout une impétuosité généreuse, un emportement d’amitié qui fait tout « mollir et ployer sous le faix de la véhémence » ; une licence d’expressions qui, en face d’un prince du sang, se déchaîne jusqu’aux insultes, « personne ne pouvant plus souffrir dans un petit-fils de France de trente-cinq ans ce que le magistrat et la police eussent châtié il y a longtemps dans tout autre » ; étant certain « que le dénûment et la saleté de sa vie le feraient tomber plus bas que ces seigneurs péris sous les ruines de leur obscurité débordée ; que c’était à lui, dont les deux mains touchaient à ces deux si différents états, d’en choisir un pour toute sa vie, puisque après avoir perdu tant d’années et nouvellement depuis l’affaire d’Espagne, meule nouvelle qui l’avait nouvellement suraccablé, un dernier affaissement aurait scellé la pierre du sépulcre où il se serait enfermé tout vivant, duquel après nul secours humain, ni sien ni de personne, ne le pourrait tirer. » Le duc d’Orléans fut emporté par ce torrent et céda. […] Il passait sa vie dans les sapes. » Ne voyez-vous pas la bête souterraine, furet furieux, échauffé par le sang qu’il suce, sifflant et jurant au fond des terriers qu’il sonde ? « La fougue lui faisait faire quelquefois le tour entier et redoublé d’une chambre courant sur les tables et les chaises sans toucher du pied la terre. » Il vécut et mourut dans les rages et les blasphèmes, « grinçant des dents », écumant, « les yeux hors de la tête », avec une telle tempête et si continue d’ordures et d’injures qu’on ne comprenait pas comment des nerfs d’homme y pouvaient résister ; le sang fiévreux de l’animal de proie s’allumait pour ne plus s’éteindre, et par des redoublements exaspérés s’acharnait après le butin.

95. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIe entretien. Sur le caractère et les œuvres de Béranger » pp. 253-364

On croit y voir ressusciter Collé, un siècle après sa mort, pour fustiger légèrement l’Empire et la gloire avec une barbe de plume qui chatouille, mais qui ne fouette pas jusqu’au sang. […] « Près de la borne où chaque État commence « Aucun épi n’est pur de sang humain. […] Il y a des heures où le sang a besoin de se répandre généreusement en France : le peuple a plus de sang que d’idées ; enfin il y avait les vaniteux, parti inconséquent, immense à Paris, dans l’industrie, le commerce, la banque. […] « Ce ruisseau était de sang, ne l’oubliez pas ! […] Une telle contradiction entre le nom d’un prince du sang et son rôle de roi révolutionnaire faisait du duc d’Orléans un instrument de parti, votre complice, mais n’en faisait pas un vrai roi.

96. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VI. Les romanciers. » pp. 83-171

C’est bien véritablement une enfant, naïve et bonne comme la Marguerite de Goethe, et du même sang. […] Ses idées ne sont que des frémissements ou des élans de la chair et du sang. […] La vertu est dans le tempérament et dans le sang ; l’éducation bavarde et le rigorisme monacal n’y ajoutent rien. […] Mais il souffrira qu’on le batte jusqu’au sang plutôt que d’exposer un pauvre garde-chasse. […] Vous ne connaissez que l’élan des sens, le bouillonnement du sang, l’effusion de la tendresse, mais non l’exaltation nerveuse et le ravissement poétique.

97. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 453-456

Mais en nos Siecles où les charmes Ne font pas de pareilles armes ; Qu’on voit que le plus noble sang. […] Du moment que la fiere Parque Nous a fait entrer dans la barque Où l’on ne reçoit point les corps, Et la Gloire & la Renommée Ne sont que songe & que fumée, Et ne vont point jusques aux Morts ; Au delà des bords du Cocyte, Il n’est plus parlé de mérite, Ni de vaillance, ni de sang ; L’ombre d’Achille ou de Thersite, La plus grande & la plus petite Vont toutes en un même rang.

98. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre III. La Phèdre de Racine. »

Mes homicides mains, promptes à me venger, Dans le sang innocent brûlent de se plonger. […] Je crois voir de ta main tomber l’urne terrible ; Je crois te voir cherchant un supplice nouveau, Toi-même de ton sang devenir le bourreau !

99. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Biographie de Camille Desmoulins, par M. Éd. Fleury. (1850.) » pp. 98-122

L’homme qui a procuré à ses semblables opprimés et innocents une telle lueur d’espérance, et qui a payé lui-même ce bon mouvement, de sa tête et de son sang, mérite qu’on lui pardonne beaucoup ; mais ajoutons vite qu’il en a grand besoin. […] Il lui faut repasser à travers le sang ; non seulement célébrer les Marat, les Billaud-Varenne, mais saluer à plusieurs reprises la guillotine du 21 janvier, et s’écrier d’un ton de héros : « J’ai été révolutionnaire avant vous tous ; j’ai été plus : j’étais un brigand, et je m’en fais gloire. » Pour que toutes ces choses aient été un jour raisonnables et bonnes à dire, pour qu’elles aient paru marquer un signal de retour, combien il faut que l’égarement et le délire aient été grands ! […] La Liberté, c’est le bonheur, c’est la raison… Voulez-vous que je la reconnaisse, que je tombe à ses pieds, que je verse tout mon sang pour elle ? […] Cette place est réservée aux œuvres saines, à celles qui sont pures de ces amalgames étranges et de ces indignités de pensée comme de langage, à celles où le patriotisme et l’humanité ne souffrent aucune composition avec les hommes de sang, et ne se permettent point, comme passeport et comme jeu, de ces goguettes de Régence et de Directoire ; aux œuvres dans lesquelles la conscience morale plus encore que le goût littéraire n’a pas à s’offenser et à rougir de voir Loustalot et Marat, par exemple, grotesquement, impudemment cités entre Tacite et Machiavel d’une part, et Thrasybule et Brutus de l’autre. […] comme, après la lecture de ces pages bigarrées, toutes tachées encore de boue et de sang, et convulsives, image vivante (jusque dans les meilleurs endroits) du dérèglement des mœurs et des âmes, comme on sent le besoin de revenir à quelque lecture judicieuse où le bon sens domine, et où le bon langage ne soit que l’expression d’un fonds honnête, délicat, et d’une habitude vertueuse !

100. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IX. De l’esprit général de la littérature chez les modernes » pp. 215-227

Le sang tressaille à la vue du sang ; et le guerrier qui brave ses propres périls avec la plus parfaite impassibilité, s’honore de frémir en donnant la mort. […] La terreur causée par un supplice non mérité se prolonge d’une génération à l’autre : on entretient l’enfance du récit d’un tel malheur ; et quand l’éloquent Lally, vingt ans après la mort de son père, demandait en France la réhabilitation de ses mânes, tous les jeunes gens qui n’avaient jamais pu voir, jamais pu connaître la victime pour laquelle il réclamait, versaient des pleurs, se sentaient émus, comme si le jour horrible où le sang avait été versé injustement ne pouvait jamais cesser d’être présent à tous les cœurs.

101. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Comte de Gramont »

Benvenuto Cellini du langage, il taille chaque vers de ses petits poèmes comme les facettes d’une pierre précieuse ; mais dans cette glyptique nouvelle, ce qui fait le prix de la pierre ce n’est pas l’iris éblouissant qui, grâce à son art, en jaillit, mais la tache d’une larme ou d’une goutte de sang qu’il y a laissée et qu’on ne voudrait pas effacer. […] Et partout, sur le Rhin, en Vendée, à Lyon, Il nourrit de son sang sa loyale espérance, Fidèle jusqu’au bout et sans transaction. […] Car son regard, ainsi qu’un voile de lumière Sur ses yeux, fait ployer et frémir ma paupière ; Car l’auréole flambe à son front innocent ; Car elle m’apparaît, toujours transfigurée ; Car elle est moins aimée encore qu’adorée, Et je voudrais pouvoir l’empourprer de mon sang !

102. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre V. Le Bovarysme des collectivités : sa forme idéologique »

Cette dilution s’ajoute chez nous à celle que nous avons naguère préparée à notre usage et qui déjà a pénétré dans notre sang. […] Comment eût-elle hérité de son père selon le sang puisqu’il n’y avait plus entre elle et lui de lien familial ? […] Leur agnation n’était autre chose que la parenté primitive telle que la fixait le culte au lieu du sang. […] Et ce n’est également que d’une façon détournée que la parenté établie par le sang parvint à se faire reconnaître et à se faire accorder en droit les mêmes effets que la parenté par le culte. […] La croyance nouvelle tendait à fonder le droit successoral sur la parenté par le sang dont elle reconnaissait déjà l’importance jusque-là sacrifiée.

103. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XX » pp. 84-86

D'un côté pas plus que de l’autre, il n’y a eu (pour ainsi dire) de sang de répandu21. […] de l’élément même qui la fit la première fois, du cœur et du sang de l’homme, des libres mouvements de l’âme qui ont remué ces pierres, et sous ces masses où l’autorité pèse impérieusement sur nous, je montrai quelque chose de plus ancien, de plus vivant, qui nia l’autorité même, je veux dire la liberté… » J'ai suivi la même marche, porté la même préoccupation des causes morales, du libre génie humain dans la littérature, dans le droit, dans toutes les formes de l’activité.

104. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre V. Beau côté de l’Histoire moderne. »

Mélange du sang allemand et du sang français, le peuple anglais décèle de toutes parts sa double origine.

105. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Il y échoua en voulant sauver, à tout prix, le catholicisme, qui ne périssait pas, qui ne se noyait pas dans le sang qu’il avait versé. […] Il est utile de montrer comment de ce sang répandu, dont il a méconnu la source, il ne retira rien, parce qu’on ne retire pas des flots les ombres qu’on y fait tomber ! […] De même que le sang de la Saint-Barthélemy fait voir tout rouge aux regards affermis de l’historien, de même une crainte singulière, — la peur d’être dur pour les protestants, — agite sa plume et l’égare. […] En Saxe, l’anarchie brouilla tout, dans des torrents de fange et de sang qui ont séché où ils coulèrent ; mais, en Suisse, de ce sang et de cette fange, le despotisme fit un mortier singulièrement tenace, et en bâtit un édifice qui dure encore sur les débris du protestantisme allemand, pulvérisé par son propre principe, cette roue d’Ixion qui tourne toujours, même dans le vide, depuis que Luther lui a imprimé le mouvement ! […] Depuis quelques années, il portait le germe de cette maladie des hommes vaillants qui meurent par l’organe dont ils ont le plus vécu, et chez qui l’intelligence émue a envoyé tant de sang au cœur que le cœur périt sous cette masse de forces généreuses.

106. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Jean Richepin »

Leur sang bout dans mes veines, Leur sang qui m’a donné cet esprit mécréant, Cet amour du grand air et des courses lointaines, L’horreur de l’Idéal et la soif du Néant. […] Je les aime, non à cause de cela, mais parce que j’ai arrêté mes regards sur leur misère, fourré mes doigts dans leurs plaies, essuyé leurs pleurs sur leurs barbes sales, mangé de leur pain amer, bu de leur vin qui soûle, et que j’ai, sinon excusé, du moins expliqué leur manière étrange de résoudre le problème du combat de la vie, leur existence de raccroc sur les marges de la société et aussi leur besoin d’oubli, d’ivresse, de joie, et ces oublis de tout, ces ivresses épouvantables, cette joie que nous trouvons grossière, crapuleuse, et qui est la joie pourtant, la belle joie au rire épanoui, aux yeux trempés, au cœur ouvert, la joie jeune et humaine, comme le soleil est toujours le soleil, même sur les flaques de boue, même sur les caillots de sang. […] Et la Chanson du sang, cette « légende des siècles » en raccourci, où chaque globule de son sang, légué au poète par ses ancêtres, chante sa chanson dans ses veines, est bien près d’être un chef-d’œuvre.

107. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins » pp. 185-304

Tu verras tomber ce gouvernement, en rendant par sa chute la vie à la jeunesse de son peuple ; et, prodige de démence, tu verras après trente ans les peuples déifier ce consommateur de peuples et lui faire un titre de règne du plus grand abus de sang humain qui ait jamais été fait, depuis César, en Occident ! […] Tu auras vu que la gloire n’est qu’une fumée de sang humain qui monte au ciel, il est vrai, en fascinant les yeux myopes des peuples, mais qui y monte pour défier sa justice et pour provoquer sa vengeance. […] La mère de ma mère était sous-gouvernante de ces enfants, des princes du sang et de la fille du vénérable duc de Penthièvre. […] XXI Il faut le dire, les opinions politiques sont dans le sang : tel père, tel fils. […] Mais, tout en se livrant avec une apparente confiance à des épanchements téméraires dans la bouche d’un premier prince du sang, il comblait de toutes ses faveurs, de toutes ses caresses d’intimité les généraux, les pamphlétaires et les orateurs de la faction bonapartiste ou de la faction démagogique survivants du 20 mars 1815 ou de 1791.

108. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre deuxième. Troubles et désagrégations de la conscience. L’hypnotisme et les idées-forces »

Le sang se meut donc plus lentement, et le cerveau tout entier reçoit, en conséquence, moins de nourriture. […] Selon Lehmann, l’hypnose dépend de la distribution du sang dans les diverses parties du cerveau. […] A cette représentation répond un afflux de sang d’autant plus grand qu’elle est plus intéressante. […] Dans tous les cas, la distribution du sang est modifiée. […] C’est, répond Lehmann, que la nutrition du cerveau dépend de la rapidité du cours du sang, si bien qu’une diminution de rapidité signifie une nutrition plus imparfaite.

109. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VIII. Du crime. »

Il y a beaucoup d’exemples de braver la première en respectant la seconde ; alors le caractère prend une sorte d’amertume et de misanthropie, qui exclut beaucoup des bonnes actions que l’on fait pour être regardé, sans anéantir toutefois les sentiments honnêtes qui décident de l’accomplissement des principaux devoirs : mais dès qu’on a rompu tout ce qui mettait de la conséquence dans sa conduite, dès qu’on ne peut plus rattacher sa vie à aucun principe, quelque facile qu’il soit, la réflexion, le raisonnement étant alors impossible à supporter, il passe dans le sang une sorte de fièvre qui donne le besoin du crime. […] On ne peut guères comparer cet état qu’à l’effet du goût du sang sur les bêtes féroces, alors même qu’elles n’éprouvent ni la faim, ni la soif. […] Cet acte irréparable, cet acte qui seul donne à l’homme un pouvoir sur l’éternité, et lui fait exercer une faculté qui n’est sans bornes que dans l’empire du malheur ; cet acte, quand on a pu, dans la réflexion, le concevoir et l’ordonner, jette l’homme dans un monde nouveau, le sang est traversé ; de ce jour, il sent que le repentir est impossible, comme le mal est ineffaçable ; il ne se croit plus de la même espèce que tout ce qui traite du passé avec l’avenir.

110. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre cinquième. La Bible et Homère. — Chapitre II. Qu’il y a trois styles principaux dans l’Écriture. »

Mais lorsque, sous les rapports chrétiens, on vient à penser que l’histoire des Israélites est non seulement l’histoire réelle des anciens jours, mais encore la figure des temps modernes ; que chaque fait est double, et contient en lui-même une vérité historique et un mystère ; que le peuple juif est un abrégé symbolique de la race humaine, représentant, dans ses aventures, tout ce qui est arrivé et tout ce qui doit arriver dans l’univers ; que Jérusalem doit être toujours prise pour une autre cité, Sion pour une autre montagne, la Terre Promise pour une autre terre, et la vocation d’Abraham pour une autre vocation ; lorsqu’on fait réflexion que l’homme moral est aussi caché sous l’homme physique dans cette histoire ; que la chute d’Adam, le sang d’Abel, la nudité violée de Noé, et la malédiction de ce père sur un fils, se manifestent encore aujourd’hui dans l’enfantement douloureux de la femme, dans la misère et l’orgueil de l’homme, dans les flots de sang qui inondent le globe depuis le fratricide de Caïn, dans les races maudites descendues de Cham, qui habitent une des plus belles parties de la terre91 ; enfin, quand on voit le Fils promis à David venir à point nommé rétablir la vraie morale et la vraie religion, réunir les peuples, substituer le sacrifice de l’homme intérieur aux holocaustes sanglants, alors on manque de paroles, ou l’on est prêt à s’écrier avec le prophète : « Dieu est notre roi avant tous les temps. » Deus autem rex noster ante sæcula. […] « Au temps d’Hérode, roi de Judée, il y avait un prêtre nommé Zacharie, du sang d’Abia : sa femme était aussi de la race d’Aaron ; elle s’appelait Élisabeth.

111. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Louis Wihl »

Cette affreuse gaîté, qui est le sang qu’on jette contre le ciel, était retombée sur son cœur. […] Les vers se font partout, car le sang et les larmes coulent partout, et les vers, quand ils sont beaux, ne sont que cela, — sang et larmes !

112. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pierre Dupont. Poésies et Chansons, — Études littéraires. »

Du sang verse dans les combats On ne fait pas la cochenille, ce qui est une vérité plate et une idée de teinturier. […] L’histoire, qui conserve ce sang, trempe là-dedans les courages et les baptise pour l’héroïsme. Or, même au point de vue économique, qui ne devrait pas être celui du poète, la teinture de ce sang, d’où peuvent sortir des héros, rapporte plus à une nation que la plus précieuse et la plus rare des pourpres, faites par l’industrie.

113. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre II. Lord Byron. » pp. 334-423

Cet instinct-là est dans le sang : on naît ainsi, comme on naît lion ou bouledogue1246. […] Quoique généreux comme Macbeth, il a tout osé, comme Macbeth, contre la loi et contre la conscience, même contre la pitié et le plus vulgaire honneur ; les crimes commis l’ont acculé à d’autres crimes, et le sang versé l’a fait glisser dans une mare de sang. […] À chaque convulsion, le flot jaillit plus noir, puis s’arrête ; le sang ne tombe plus que goutte à goutte, et déjà son front est humide, son œil terne. […] Selon Byron, c’est un animal ; sauf quelques minutes singulières, ses nerfs, son sang, ses instincts le mènent. […] Il y a du sang assez pour rassasier un tigre, et ce sang coule parmi les calembours ; c’est pour railler la guerre et les boucheries décorées du nom d’exploits.

114. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Conduite de l’action dramatique. » pp. 110-232

Que le forcené Ladislas, emporté par sa passion, teint du sang de son rival, se jette aux pieds de sa maîtresse, on est ému d’horreur et de pitié. […] Ne rougissez point : le sang des Ottomans Ne doit point en esclave obéir aux sermens. […] Ce souhait, qui rappelle au spectateur que Joas sera un jour souillé du sang de Zacharie, affaiblit l’intérêt que l’on a pris à ce jeune prince. […] Quels lauriers me plairont, de son sang arrosés ?.. […] Non ; je ne puis : cédons au sang, à l’amitié, Et ne rougissons plus d’une juste pitié.

115. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Édouard Fleury »

On dirait des sceptiques de ce temps aux mœurs douces, qui ont l’horreur du sang et le dégoût de la fange, comme il sied à des naturels honnêtes et à des esprits cultivés, mais qui, ce sang montré dans sa vermeille couleur et cette fange dans son infamie, ont tout dit, à l’honneur de l’art et du style, et ne savent pas tirer de cette effroyable peinture, faite avec de véritables pourlècheries de pinceau, un enseignement ou une conclusion.

116. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Guérin, Charles (1873-1907) »

. — Le Sang des crépuscules (1896). — Sonnets et un poème (1897). — Le Cœur solitaire (1898). — L’Éros funèbre (1900). — Le Semeur de cendres (1901). […] Edmond Pilon Dernièrement les allitérations nuancées préludèrent à la réforme finale : Verlaine d’abord, puis, proche miroir de ce Sang des crépuscules, Le Jardin de l’Infante.

117. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Épilogue »

Du moins les Barbares apportaient un sang neuf et pur au sang corrompu du vieux monde ; mais les pédantes qui, dans la décrépitude de ce monde, ont remplacé les Barbares, ne sont pas capables, ces bréhaignes !

118. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVIe Entretien. Marie Stuart (reine d’Écosse) »

Les rois n’avaient que le choix du sang, mais les fanatiques des deux communions leur demandaient de le répandre. […] Marie Stuart, déjà d’un sang fanatique par sa mère, prit dans ces supplices infligés par ses oncles aux hérétiques l’âpre superstition des presbytériens. […] X Tout indique que Marie Stuart et Rizzio voulurent faire une tragique diversion à cette animadversion publique en sacrifiant à la rage presbytérienne du peuple un autre amant que l’amant véritable, et en donnant pour satisfaction au clergé protestant le sang d’un pauvre insensé ! […] Tremblant pour son trône, pour sa liberté, pour sa vie et pour celle de l’enfant qu’elle portait dans son sein, elle entreprit de séduire à son tour l’époux outragé dont la colère semblait s’être tout à coup éteinte dans le sang de son rival. […] Dès le 12 mars, c’est-à-dire lorsque le sang de Rizzio fumait encore sur le parquet de sa chambre et sur la main de Darnley, dès le 12 mars, écrit l’envoyé français à sa cour, la reine reprit tout son empire sur les sens et sur le cœur de Darnley.

119. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre II, grandeur et décadence de Bacchus. »

Mais la colère bouillonne bientôt sur la fête ; elle est l’écume de ses coupes, le vin appelle le sang dont il a la teinte. […] Son thyrse, moitié javelot, moitié pampre, guérit, comme la lance de Diomède, les plaies qu’il fait aux peuples conquis, il répand le vin sur le sang versé. […] Il l’initie, par le sang de la vigne, à la grande communion humaine ; il lui donne des lois et lui révèle des dieux plus cléments. […] Il mourait, mais ressuscitait sous le ciel doux de l’automne, lorsque son sang grossissant les fleuves avait fertilisé le sol desséché. […] Transplanté chez une race plus dure, qui versait à îlots le sang dans ses jeux, le dieu reprit ses instincts féroces, son mauvais génie se réveilla brusquement.

120. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre II. La poésie lyrique » pp. 81-134

Paul Fort dans les revues Les Écrits pour l’Art et Vers et Prose, tentent d’infuser un sang nouveau au vers libre dont M.  […] Les enfants pour fêter ton culte renaissant Répandaient des parfums, se couronnaient de branches Et la tête des rois tomba, sans que leur sang                  Tâcha ta robe blanche. […] Et surtout à certains jours, sa voix est si pure et son cœur si profond qu’on reconnaît en elle, le sang des grands poètes, la voix des meneurs d’hommes. […] L’art parfait, la noblesse idéologique des Bijoux de Marguerite et du Sang de la Sirène sont dignes des plus nobles poètes de France : Mais le sang a voilé mes yeux, et rien ne luit Dans ces antres de pourpre, où l’éternelle nuit          Du Sort à jamais se prolonge. […] Dans l’éclaboussement du sang crépusculaire.

121. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série «  Leconte de Lisle  »

Tout le sang de tes veines, Ô préféré d’Héva, faible enfant que j’aimais, Ce sang que je t’ai pris, je le saigne à jamais ! […] Le sang de la jeunesse sera toujours prompt à, la duperie de Mâya. […] La Légende des Nornes déploie leur théogonie bizarre et grandiose : la naissance d’Ymer et des géants, qui sont les puissances mauvaises ; la naissance des dieux bienfaisants, des Ases, qui domptent Ymer et de son corps forment l’univers ; le rouge déluge que fait son sang ; l’apparition du premier couple humain ; Loki, le dernier-né d’Ymer, et le Serpent, et le Loup Fenris et tous les dieux du Mal vaincus par les Ases bienheureux ; la venue du jeune dieu Balder ; puis la suprême révolte de Loki, du Serpent, de Fenris et des Nains, et la fin misérable du monde  La pensée de l’au-delà hantait ces hommes du Nord dans l’intervalle des tueries : ils étaient tout prêts pour le christianisme et devaient le prendre terriblement au sérieux. […] je crois, seigneur, en y réfléchissant, Que l’homme a toujours eu soif de son propre sang, Comme moi le désir de sa chair vive ou morte. […] Il y a beaucoup de sang.

122. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’expression de l’amour chez les poètes symbolistes » pp. 57-90

Verlaine la montre conduisant son troupeau de dupes et le sentimental Coppée lui-même l’assimile aux soldats bourreaux qu’elle aime parce qu’ils font aussi couler le sang des cœurs. […] ……………………………………………… Vous n’êtes qu’un adolescent ; C’est à la nuit que je dévoile Mon cœur qui fond l’or de mon sang, Et mon corps triste jusqu’aux moelles. […] » Nous sommes arrivés à un point de civilisation où l’élite sélectionnée, l’aristocratie des esprits, même purgée de tout souci dévot, rougit des sollicitations de la chair et s’irrite de l’impôt du sang comme d’une déshonorante servitude. […] Tes yeux que le péché de l’univers scella Me brûlent de leurs pleurs de sang… Ah ! […] Écris avec ton sang et tu apprendras que le sang est esprit. » Il ajoute : « Le génie créateur est l’homme tragique, le poète hermétique qui délivre au monde le livre vivant, le message qui lui a été confié à sa naissance et qui a été imprimé dans tout son être. » Les chefs de file du mouvement symboliste, Baudelaire, Verlaine, Laforgue, Samain, comme d’ailleurs tous les poètes dignes de ce nom, n’ont jamais fait autre chose.

123. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre IX. Eugénie de Guérin »

C’était l’expression d’un sentiment naturel qui, à force de profondeur et de beauté vraie, a rencontré, sans la chercher, la forme littéraire la plus exquise — Maurice de Guérin avait une sœur, non pas seulement de sang, mais de génie. […] Ils étaient jumeaux, en effet, et bien plus que par le sang et l’heure de la naissance. […] Par le sang de sa mère, la religion coulait dans son cœur, comme la poésie y affluait par le sang de son père, le sang des troubadours et des Guarini d’Italie. […] Dans cette famille, ceux qui n’ont pas le génie, peuvent s’en passer à force d’âme… Que ce soient des gouttes de rosée, des gouttes de larmes, des gouttes du sang du cœur qui tombent de ces calices, c’est toujours la même pureté d’éther qu’on aspire dans ce qu’ils ont versé.

124. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Ici deux points de vue, deux façons de sentir, qui avaient l’une et l’autre leur raison d’être et leur légitimité, sont en présence, et l’histoire ne peut que les constater sans trancher le différend : il y avait la manière héroïque et patriotiquement guerrière d’entendre la défense du sol, la résistance nationale ; de faire un appel aux armes comme aux premiers jours de la Révolution, et, ainsi que Napoléon l’écrivait à Augereau, de « reprendre ses bottes et sa résolution de 93 » ; mais il y avait aussi chez la plupart, et chez les hommes de guerre tout les premiers, fatigue, épuisement, rassasiement comme après excès ; il y avait partout découragement et dégoût, besoin de repos, et, dans le pays tout entier, un immense désir de paix, de travail régulier, de retour à la vie de famille, aux transactions libres, et, après tant de sang versé, une soif de réparation salutaire et bienfaisante. […] Napoléon, dans ce tête-à-tête avec Rœderer, se promenant de long en large, s’animait par degrés, et parlant du contenu de ces lettres : « Il y dit qu’il veut aller à Morfontaine, plutôt que de rester dans un pays acheté par du sang injustement répandu… Et qu’est-ce donc que Morfontaine ? C’est le prix du sang que j’ai versé en Italie. […] Oui, j’ai versé du sang, mais c’est le sang de mes ennemis, des ennemis de la France.

125. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVI. Des oraisons funèbres et des éloges dans les premiers temps de la littérature française, depuis François Ier jusqu’à la fin du règne de Henri IV. »

L’orateur veut que tous les citoyens en passant dans cette rue malheureuse, s’arrêtent pour y verser des larmes ; il veut que la dernière postérité des Français vienne s’attendrir sur le lieu qui a été teint du sang du meilleur des rois. […] En effet, qu’on suppose un orateur doué par la nature de cette magie puissante de la parole, qui a tant d’empire sur les âmes et les remue à son gré ; qu’il paraisse aux yeux de la nation assemblée pour rendre les derniers devoirs à Henri IV ; qu’il ait sous ses yeux le corps de ce malheureux prince ; que peut-être, le poignard, instrument du parricide, soit sur le cercueil et exposé à tous les regards ; que l’orateur alors élève sa voix, pour rappeler aux Français tous les malheurs que depuis cent ans leur ont causés leurs divisions et tous les crimes du fanatisme et de la politique mêlés ensemble ; qu’en commençant par la proscription des Vaudois et les arrêts qui firent consumer dans les flammes vingt-deux villages, et égorger ou brûler des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, il leur rappelle ensuite la conspiration d’Amboise, les batailles de Dreux, de Saint-Denis, de Jarnac, de Montcontour, de Coutras ; la nuit de la Saint-Barthélemi, l’assassinat du prince de Condé, l’assassinat de François de Guise, l’assassinat de Henri de Guise et de son frère, l’assassinat de Henri III ; plus de mille combats ou sièges, où toujours le sang français avait coulé par la main des Français ; le fanatisme et la vengeance faisant périr sur les échafauds ou dans les flammes, ceux qui avaient eu le malheur d’échapper à la guerre ; les meurtres, les empoisonnements, les incendies, les massacres de sang-froid, regardés comme des actions permises ou vertueuses ; les enfants qui n’avaient pas encore vu le jour, arrachés des entrailles palpitantes des mères, pour être écrasés ; qu’il termine enfin cet horrible tableau par l’assassinat de Henri IV, dont le corps sanglant est dans ce moment sous leurs yeux ; qu’alors attestant la religion et l’humanité, il conjure les Français de se réunir, de se regarder comme des concitoyens et des frères ; qu’à la vue de tant de malheurs et de crimes, à la vue de tant de sang versé, il les invite à renoncer à cet esprit de rage, à cette horrible démence qui, pendant un siècle, les a dénaturés, et a fait du peuple le plus doux un peuple de tigres ; que lui-même prononçant un serment à haute voix, il appelle tous les Français pour jurer avec lui sur le corps de Henri IV, sur ses blessures et le reste de son sang, que désormais ils seront unis et oublieront les affreuses querelles qui les divisent ; qu’ensuite, s’adressant à Henri IV même, il fasse, pour ainsi dire, amende honorable à son ombre, au nom de toute la France et de son siècle, et même au nom des siècles suivants, pour cet assassinat, prix si différent de celui que méritaient ses vertus ; qu’il lui annonce les hommages de tous les Français qui naîtront un jour ; qu’en finissant il se prosterne sur sa tombe et la baigne de ses larmes : quelle impression croit-on qu’un pareil discours aurait pu faire sur des milliers d’hommes assemblés, et dans un moment où le spectacle seul du corps de ce prince, sans être aidé de l’éloquence de l’orateur, suffisait pour émouvoir et attendrir ? […] Des princes du sang, une foule de gens de la cour, et tous les hommes les plus célèbres par leur esprit et leurs talents y assistèrent.

126. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIII. »

J’ai vu cette déesse altière, Avec égalité répandant tous les biens, Descendre de Morat en habit de guerrière, Les mains teintes du sang des fiers Autrichiens Et de Charles-le-Téméraire. […] Et lorsque, pour calmer mon âme qui espérait et qui tremblait, la discorde cessait, et que tout semblait paisible et brillant, lorsque la France couvrait son front cicatrisé et sanglant sous des palmes de gloire, et qu’avançant irrésistible, son bras se jouait des guerriers en ligne, à l’heure où, jetant de timides regards de haine, la trahison domestique effaçait, en l’écrasant, sa trace fatale, et, comme un dragon blessé, se repliait dans son sang, alors j’accusais mes craintes qui ne voulaient pas se dissiper. […] pardonne ces rêves : j’entends ta voix, j’entends ta forte plainte sortir des cavernes glacées de la blanche Helvétie ; j’entends tes soupirs versés sur les fleuves teints de sang. […] « Bien que leurs jours aient été courts et faibles, baptisés dans le sang et la souffrance, il les connaît, ce Dieu qu’ils n’ont jamais connu ; et ils sont assurés de revivre. […] Sa bannière rouge de sang flotte au loin dans les airs.

127. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

Je te consacre ici mon sang et mes alarmes, Une libation de mes plus tristes larmes ! […] le sang coule aux flancs du Calvaire ! […] — Le sang fume sur l’hécatombe, L’impie et le tyran frappent sans se lasser, Détourne tes regards et laisse-les passer ! […] A sa vivante artère ils ont saigné mon cœur, Ne viens pas voir couler mon sang… pardonne-leur !

128. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXI. Dernier voyage de Jésus à Jérusalem. »

La Sagesse de Dieu a eu bien raison de dire 987 : « Je vous enverrai des prophètes, des sages, des savants ; vous tuerez et crucifierez les uns, vous ferez fouetter les autres dans vos synagogues, vous les poursuivrez de ville en ville ; afin qu’un jour retombe sur vous tout le sang innocent qui a été répandu sur la terre, depuis le sang d’Abel le juste jusqu’au sang de Zacharie, fils de Barachie 988, que vous avez tué entre le temple et l’autel. » Je vous le dis, c’est à la génération présente que tout ce sang sera redemandé 989. » Son dogme terrible de la substitution des gentils, cette idée que le royaume de Dieu allait être transféré à d’autres, ceux à qui il était destiné n’en ayant pas voulu 990, revenait comme une menace sanglante contre l’aristocratie, et son titre de Fils de Dieu qu’il avouait ouvertement dans de vives paraboles 991, où ses ennemis jouaient le rôle de meurtriers des envoyés célestes, était un défi au judaïsme légal.

129. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le Christianisme en Chine, en Tartarie et au Thibet »

En un clin d’œil ces chrétientés, pour parler comme les missionnaires, établies à Macao, à Canton, et même à Péking, ces espèces d’édifices élevés dans le sang des martyrs et dans l’effort d’un prosélytisme divin, se sont écroulées comme des châteaux de cartes, au contact du plus misérable événement. […] Blessée dans la fibre de l’intérêt matériel, la seule fibre qui soit sensible et puisse jeter du sang chez les peuples quand ils sont gangrenés jusqu’au cœur, d’indifférente elle passe ennemie, et sa haine contre nous est aussi grande que la peur que nous lui faisons. […] Le sang versé n’est jamais perdu.

130. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Camille Desmoulins » pp. 31-44

Il y a là une fièvre de sang dont on s’étonne, jusqu’à l’horreur, de voir frissonner cette nature sensible, comme disent les badauds ou les Tartuffes de sentiment (qu’ils choisissent !) […] Quand, enfant affolé de l’insurrection, il se nomma lui-même procureur général de la hideuse lanterne, puis tout à coup se cabra de peur devant l’incendie qu’il avait allumé avec son falot, comme le petit polisson du coin d’un bois qui l’incendie avec une allumette et qui se sauve ; quand, toujours gamin, mais gamin tremblant pour le coup, — car le génie de Camille Desmoulins est voué autant à la peur qu’aux larmes, — il se laisse corriger ses épreuves du Vieux Cordelier, comme un devoir, par le terrible Robespierre ; quand tout à coup il fait volte-face contre son ancien ami Brissot, qu’il avait tant vanté, et, girouette lasse de tourner dans du sang, ne veut pas en avoir tant au pied, c’est éternellement et partout sa sensibilité que MΜ.  […] L’homme, avec sa conscience droite et ferme, n’a jamais habité en cette pâle forme agitée qui, en répandant de l’encre éloquente, s’est trouvée répandre du sang.

131. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Vte Maurice De Bonald »

Il a dans les veines du sang, et dans l’esprit de la pensée de son illustre et glorieux aïeul. […] Et il l’a écrite stoïquement, sans se soucier que ce qui tomberait de sa plume ce seraient les gouttes du sang de son cœur. […] Ce n’était pas un vil champignon poussé dans le sang des batailles.

132. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Maurice Bouchor »

On ne connaissait pas l’athéisme qui souffre d’être l’athéisme, — l’athéisme qui saigne, et on pouvait même douter que le monstre eût du sang dans les veines. […] Il y a dans le sang de sa poésie, malgré sa générosité et son exubérance, des gouttes du sang des poètes dont il s’est nourri.

133. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers. »

Si la vie humaine n’était destinée qu’à être plaisir et fête, féerie continuelle dans un cercle magique et dans une île enchantée, je ne saurais pas de destinée plus enviable dans l’ancienne société et sur le déclin de l’antique monarchie que celle de ces princes de Conti, nés proche du trône, à distance suffisante pour n’en pas être trop gênés et offusqués, jouissant des prérogatives du sang sans avoir les ennuis de la charge ni même ceux du trop de représentation ; pas d’obligation étroite, nulle responsabilité, popularité facile et à peu de frais. Une fois la dette de l’honneur et du sang payée par quelque affaire de guerre valeureuse et heureuse qu’on vantait sans cesse, on ne leur demandait plus rien que d’être aimables. […] Un jour que le comte de La Marche, fils du prince de Conti, demandait à M. de Choiseul, alors ministre de la guerre, la croix de Saint-Louis pour un officier, comme M. de Choiseul refusait de la donner en disant que le sujet ne la méritait pas encore, le comte de La Marche insista ; M. de Choiseul tint bon, quoiqu’il ne fût pas d’usage de refuser là-dessus un prince du sang. Le comte, blessé du procédé, ayant consulté son père sur ce qu’il devait faire à cet égard : « Mon fils, lui répondit le prince, il faut savoir si le refus de M. de Choiseul est dans les règles, en ce cas vous n’avez rien à dire ; sinon, il est bon gentilhomme, et vous pouvez lui faire l’honneur de vous battre avec lui. » Tel était, sur ces dernières pentes de l’ancienne monarchie, un prince du sang, philosophe faute de mieux et comme pis-aller, le plus poli des gentilshommes, sans autre ambition définitive que celle de plaire, bien plus de Paris que de Versailles, les délices du Parlement, celui enfin que Mme de Boufflers sut retenir, captiver jusqu’au bout par les liens au moins de l’esprit et de l’affection, et qu’elle avait même espéré, à un moment, épouser. […] Un jour, oubliant qu’elle était la maîtresse du prince de Conti, il lui échappa de dire qu’elle méprisait une femme qui avait (c’était le mot d’alors) un prince du sang.

134. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.). Guerre des Barbets. — Horreurs. — Iniquités. — Impuissance. »

Trente ans auparavant, d’atroces exécutions, des massacres connus sous le nom de Pâques piémontaises (1655) n’avaient amené d’autre résultat qu’une vaste effusion de sang, un cri d’horreur dans toute l’Europe protestante, des réclamations énergiques, et la haute intervention de Cromwell, dont le bras protecteur s’étendit jusqu’à ceux qu’on immolait. […] Réfléchissez… Une issue vous reste… Ne vaut-il pas mieux transporter ailleurs le flambeau de l’Évangile dont vous êtes dépositaires, que de le laisser ici s’éteindre dans le sang ?  […] Les ambassadeurs suisses firent alors un dernier et suprême effort de médiation ; dans une lettre des plus pressantes qui fut lue en chaire par toutes les paroisses vaudoises, ils disaient81 : « Nous avons vu que vous avez beaucoup de peine à vous résoudre de quitter votre patrie, qui vous est d’autant plus chère que vos ancêtres l’ont possédée par plusieurs siècles et défendue valeureusement avec la perte de leur sang ; que vous vous confiez que Dieu, qui les a soutenus plusieurs fois, vous assistera aussi et que vous appréhendez même qu’une déclaration pour la sortie ne soit qu’un piège pour vous surprendre et accabler : nous vous dirons pour réponse que nous convenons avec vous que la loi qui oblige à quitter une chère patrie est fort dure ; vous avouerez que celle qui oblige à quitter l’Éternel et son culte est encore plus rude, et que de pouvoir faire le choix de l’un avec l’autre est un bonheur qui, en France, est refusé à des personnes de haute naissance et d’un éminent mérite, et qui s’estimeraient heureuses si elles pouvaient préférer une retraite à l’idolâtrie. » Quelle tache et quelle honte pour la France de Louis le Grand qu’une atroce injustice comme celle-ci trouve presque à se glorifier et à s’absoudre par l’exemple d’une injustice plus abominable encore, dont elle offrait alors au monde l’odieux et parfait modèle ! […] Le sang versé donne la soif du sang.

135. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque » pp. 2-79

Ma mère avait du sang de Laure dans les veines comme elle en avait le charme et la piété. […] « Trois fois, au milieu de la nuit, la porte de ma chambre fermée, je l’ai vue devant mon lit avec une contenance assurée réclamant son serviteur : la peur glaçait mes membres ; mon sang abandonnait mes veines pour se retirer dans le cœur. […] Faut-il s’étonner qu’ils aient en horreur la gloire et la liberté de Rome, qu’ils aiment à voir couler le sang romain, quand ils se rappellent leur patrie, leur servitude et leur sang, si souvent répandu par vos mains ? […] Rienzi, en effet, jetait cette capitale dans sa propre démence ; quelques jours après l’assaut où les Colonne avaient péri, il conduisit son fils vers le bourbier rempli d’eau et de sang où le corps du plus jeune de ces princes gisait encore. […] Elle eut la fièvre avec crachement de sang.

136. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Questions d’art et de morale, par M. Victor de Laprade » pp. 3-21

Aussi je m’explique qu’un poète qui n’habitait pas volontiers les sommets humides et blanchâtres, un poète des choses du sang et de la vie, Alfred de Musset, un jour que l’on discutait à l’Académie sur les mérites d’un des recueils de M. de Laprade, se soit penché à mon oreille, et m’ait dit avec impatience : « Est-ce que vous trouvez que c’est un poète, ça ?  […] il est poète, quoiqu’il n’ait pas la sainte fureur, ni cet aiguillon de désir et d’ennui, qui a été notre fureur à nous, le besoin inassouvi de sentir ; bienqu’il n’ait pas eu la rage de courir tout d’abord à toutesles fleurs et de mordre à tous les fruits ; — il l’est, bien qu’il ne fouille pas avec acharnement dans son propre cœur pour y aiguiser la vie, et qu’il ne s’ouvre pas les flancs (comme on l’a dit du pélican), pour y nourrir de son sang ses petits, les enfants de ses rêves ; — il l’est, bien qu’il n’ait jamais été emporté à corps perdu sur le cheval de Mazeppa, et qu’il n’ait jamais crié, au moment où le coursier sans frein changeait de route : « J’irai peut-être trop loin dans ce sens-là comme dans l’autre, mais n’importe, j’irai toujours. » — Il l’est, poète, bien qu’il n’ait jamais su passer comme vous, en un instant, ô Chantre aimable de Rolla et de Namouna, de la passion délirante à l’ironie moqueuse et légère ; il est, dis-je, poète à sa manière, parce qu’il est élevé, recueilli, ami de la solitude et de la nature, parce qu’il écoute l’écho des bois, la voix des monts agitateurs de feuilles, et qu’il l’interprète avec dignité, avec largeur et harmonie, bien qu’à la façon des oracles. […] Ô vous tous, amis de l’idéal, je ne me ferai pas de querelle avec vous ; j’accorde qu’il y a un idéal ; mais, admettez aussi qu’il y en a un vrai et un faux ; et si jamais vous rencontrez un idéal, ou soi-disant tel, froid, monotone, triste, incolore sous air de noblesse, vaporeux, compassé, insipide, non pas brillant et varié comme le marbre, mais blanc comme le plâtre, non pas puissant et chaud comme aux jours de la florissante Grèce, quand le sang à flots de pourpre enflait les veines des demi-dieux et des héros, quand les gouttes d’un sang ambrosien coulaient dans les veines même des déesses, mais pâle, exsangue, mortifié comme en carême, s’interdisant les sources fécondes, vivant d’abstractions pures, rhumatisant de la tête aux pieds, imprégné, imbibé d’ennui, oh !

137. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Pensées de Pascal. Édition nouvelle avec notes et commentaires, par M. E. Havet. » pp. 523-539

Mais, en admettant ce doute universel des philosophes, il ne s’effraie pas de cet état ; il le décrit avec lenteur, presque avec complaisance ; il n’est ni pressé, ni impatient, ni souffrant comme Pascal ; il n’est pas ce que Pascal dans sa recherche nous paraît tout d’abord, ce voyageur égaré qui aspire au gîte, qui, perdu sans guide dans une forêt obscure, fait mainte fois fausse route, va, revient sur ses pas, se décourage, s’assied au carrefour de la forêt, pousse des cris sans que nul lui réponde, se remet en marche avec frénésie et douleur, s’égare encore, se jette à terre et veut mourir, et n’arrive enfin qu’après avoir passé par toutes les transes et avoir poussé sa sueur de sang. […] Là où l’un étend et déploie l’auguste démarche de son enseignement, lui, il étale ses plaies et son sang, et, dans ce qu’il a de plus outré, il est plus semblable à nous, il nous touche encore. […] Je pensais à toi dans mon agonie ; j’ai versé telles gouttes de sang pour toi. Veux-tu qu’il me coûte toujours du sang de mon humanité, sans que tu donnes des larmes ?

138. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre IV. De l’analogie. — Comparaisons et contrastes. — Allégories »

C’était une cavale indomptable et rebelle,            Sans frein d’acier ni rênes d’or ; Une jument sauvage à la croupe rustique,            Fumante encor du sang des rois ; Mais fière, et d’un pied fort heurtant le sol antique,            Libre pour la première fois ; Jamais aucune main n’avait passé sur elle            Pour la flétrir et l’outrager ; Jamais ses larges flancs n’avaient porté la selle            Et le harnais de l’étranger ; Tout son poil était vierge ; et, belle vagabonde,            L’œil haut, la croupe en mouvement, Sur ses jarrets dressée, elle effrayait le monde            Du bruit de son hennissement. […] Alors, comme elle aimait les rumeurs de la guerre,            La poudre, les tambours battants, Pour champ de course, alors, tu lui donnas la terre,            Et des combats pour passe-temps : Alors, plus de repos, plus de nuits, plus de sommes ;            Toujours l’air, toujours le travail, Toujours comme du sable écraser des corps d’hommes,            Toujours du sang jusqu’au poitrail.

139. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 20, de la difference des moeurs et des inclinations du même peuple en des siecles differens » pp. 313-319

En effet, vit-on verser des fleuves de sang au sujet de l’héresie d’Arius, qui causa tant de disputes et tant de troubles dans la chrétienté. Avant le protestantisme il s’étoit élevé en France plusieurs contestations en matiere de religion, mais si l’on excepte les guerres contre les albigeois, il n’étoit pas arrivé que ces disputes eussent fait verser aux françois le sang de leurs freres, parce que la même acreté ne s’étoit pas encore trouvée dans les humeurs, ni la même irritation dans les esprits.

140. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — V »

Ce philosophe a très bien senti l’insuffisance, le verbalisme où aboutissent certains efforts sociaux, tant d’enthousiasmes dépensés et tant de sang versé ; mais si le but qu’on déclarait viser, — à savoir la justice sociale — n’a pas été atteint (et cette sévérité pour l’œuvre de la Révolution, fort explicable dans la bouche d’un socialiste, ne vous étonne-t-elle pas un peu chez un admirateur des libertés anglo-saxonnes ?) […] Taine avait de la timidité dans le sang.‌

141. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « M. Deschanel et le romantisme de Racine »

A ce compte, la tragédie toute pure n’admettrait guère l’amour qu’au moment où il verse le sang, parce qu’alors seulement il devrait être réputé tragique. […] Il arrive parfois (et la tragédie n’exprime que des passions exceptionnelles au moins par leur degré) que sous l’homme civilisé surgisse un sauvage poussé par la force aveugle des nerfs et du sang. […] Elle a dans les veines le sang de Pasiphaé : écrasée de honte et de remords, malade, n’ayant mangé ni dormi depuis trois jours, pudique même au plus fort de ses emportements, elle fait songer, dans ses longs voiles blancs, à quelque religieuse dévorée au fond de son cloître par une mystérieuse passion et se desséchant dans une pénitence désespérée et stérile… Oh ! […] Et il n’est pas non plus dans les coups de poignard. « Ce n’est pas une nécessité qu’il y ait du sang et des morts dans une tragédie73. » Titus et Bérénice, qui ne meurent ni ne sont tués, souffrent autant que les autres héros tragiques. La lutte est horrible, quoique le sang ne coule pas.

142. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VIII, les Perses d’Eschyle. »

Le poète avait combattu les combats qu’il chante, il y avait brandi la lance et versé son sang. […] Il arrive enfin, le Messager si anxieusement attendu, et c’est comme si le spectre meurtri de l’armée rentrait dans l’Empire, et l’inondait du sang de ses vastes plaies. […] L’air de la vie la ranime, il circule dans son être vide comme un sang subtil ; il y réveille non point seulement la mémoire, mais le don prophétique qui couve chez les Mânes. […] Des flots de sang s’épaissiront sous la lance dorienne, dans les champs de Platée ; les monceaux de cadavres, jusqu’à la troisième génération, parleront, muets, aux yeux des hommes. […] Ce n’est pas un roi revenant d’une guerre malheureuse, fier envers la fortune adverse, et tenant haute son épée rompue ; c’est un fuyard éploré qui rend en larmes tout le sang qu’il a fait répandre.

143. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

— Au Trésor, toucher le prix du sang. […] Les hommes… les voilà dans le sang jusqu’aux yeux. […] Parlez, demandez grâce. — Vous ne savez pas ce que ce sang-là coûterait. […] Ce vers me rappelle celui de d’Aubigné exprimant les massacres de la Saint-Barthélemy et cette buée de sang qui s’exhale des carnages, À l’heure que le ciel fume de sang et d'âmes. […] Des pères de famille égorgés au milieu de leurs enfants, parce que des malfaiteurs avaient tiré à leur insu de dessus leur toit ; des rues entières saccagées ; du sang et des morts, voilà tout ce qui reste : du deuil, des larmes, et la ruine d’un grand nombre de familles… « Mon cher enfant, jette-toi avec ardeur dans les arts ou dans les sciences : avec eux, jamais de remords… » (L’honnête homme qui parlait ainsi n’est autre que M. 

144. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre III. Éducation de Jésus. »

Mais Nicolas n’avait de juif que le sang ; Josèphe déclare avoir été parmi ses contemporains une exception 130, et toute l’école schismatique d’Égypte s’était détachée de Jérusalem à tel point qu’on n’en trouve pas le moindre souvenir dans le Talmud ni dans la tradition juive. […] Jésus, comme tous les hommes exclusivement préoccupés d’une idée, arrivait à tenir peu de compte des liens du sang. […] » Bientôt, dans sa hardie révolte contre la nature, il devait aller plus loin encore, et nous le verrons foulant aux pieds tout ce qui est de l’homme, le sang, l’amour, la patrie, ne garder d’âme et de cœur que pour l’idée qui se présentait à lui comme la forme absolue du bien et du vrai.

145. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Abailard et Héloïse »

Il ne lui suffît plus de nous vanter comme l’un des plus puissants cerveaux qui aient élargi un crâne d’homme le sophiste brillanté du concile de Sens, le philosophe qui incuba son conceptualisme équivoque dans le grossier nominalisme de Roscelin, elle veut nous prouver, par-dessus le marché, que l’amant vaniteux d’Héloïse fut le plus grand cœur qui ait jamais filtré un sang de feu dans une poitrine. […] Mais, quoique M. et Madame Guizot appartiennent par plus d’un endroit aux doctrines qui sont sorties de l’insurrection spirituelle qu’Abailard commençait au Moyen Âge, si réellement la Philosophie ne s’était pas glissée dans cette publication et n’avait pas projeté d’imprimer la marque de son ergot dans ce livre de moralité sensible, si vraiment on n’avait pensé qu’à peindre et à juger une passion qui a jeté des cris et laissé son sang dans l’Histoire, on n’eût pas troublé l’unité de la compilation qu’on édite par l’insertion de documents étrangers au but d’étude morale qu’on voulait atteindre. […] Parce qu’il y avait eu, mêlé à cette fétide séduction d’une élève par l’homme chargé de l’instruire, d’une jeune fille par presque un prêtre, un crime terrible en expiation et en vengeance d’un crime odieux, nous avons cru longtemps qu’une passion immense, une rareté effrayante, mais belle peut-être à force d’impétuosité, de profondeur et de flammes, devait reposer, comme le Léviathan dans l’abîme qu’il a troublé, au fond de toute cette vase de sang et de larmes qui semble n’avoir pas séché encore.

146. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XIX. Abailard »

Aujourd’hui, il ne lui suffit plus de nous vanter comme l’un des plus puissants cerveaux qui aient élargi un crâne d’homme le sophiste brillanté du concile de Sens, le philosophe qui incuba son conceptualisme équivoque dans le grossier nominalisme de Roscelin, elle veut nous prouver, par-dessus le marché, que l’amant vaniteux d’Héloïse fut le plus grand cœur qui ait jamais filtré un sang de feu dans une poitrine. […] Mais quoique M. et Mme Guizot appartiennent par plus d’un endroit aux doctrines qui sont sorties de l’insurrection spirituelle qu’Abailard commençait au Moyen Âge, si réellement la Philosophie ne s’était pas glissée dans la publication présente et n’avait pas projeté d’imprimer la marque de son ergot dans ce livre de moralité sensible, si vraiment on n’avait pensé qu’à peindre et à juger une passion qui a jeté des cris et laissé son sang dans l’histoire, on n’eût pas troublé l’unité de la compilation qu’on édite par l’insertion de documents, étrangers au but d’étude morale qu’on voulait atteindre. […] Parce qu’il y avait eu, mêlé à cette fétide séduction d’une élève par l’homme chargé de l’instruire, d’une jeune fille par presque un prêtre, un crime terrible en expiation et en vengeance d’un crime odieux, nous avons cru longtemps qu’une passion immense, une rareté effrayante, mais belle peut-être à force d’impétuosité, de profondeur et de flammes, devait reposer comme le Léviathan dans l’abîme qu’il a troublé, au fond de toute cette vase de sang et de larmes qui semble n’avoir pas séché encore.

147. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Gustave D’Alaux »

Est-ce à cause de cette ressemblance avec les blancs dans l’insensé et dans l’atroce, que le nègre, cet enfançon vagissant et informe de la barbarie, et dont, grâce à Papa Soulouque, la tétrelle de sang est toujours pleine, pourra passer un jour de pied en cap à l’état d’homme ? […] Mais, quelles que soient la force de la raison de l’historien et la justice de sa raillerie quand il s’agit d’un pays où les pantalonnades se jouent dans le sang et où le Congo de la barbarie se mêle au Congo de la civilisation, — car on y vénère également des fétiches, des serpents, des journaux et des constitutions démocratiques, — Gustave d’Alaux nous fait toujours l’effet, en peignant le chef de ce monde noir qui le résume si bien dans tous les détails de sa personne, d’un artiste croquant un bourgeois. […] Si nous en croyons les dépositions curieuses et terribles de l’histoire d’Alaux, Soulouque, ce vieil enfant, car il avait plus de soixante ans quand il fut élevé à la présidence de la République d’Haïti ; Soulouque, « ce formidable poltron qui voit dans toute ombre un fantôme et dans tout silence un guet-apens », cet être absurde, fanatique, dévoré par des superstitions de sauvage, méfiant, fanfaron, cruel, mais apathique après que le sang, dont il a des soifs vraiment physiques, est versé ; Soulouque, ou, pour l’appeler du nom d’empereur qu’il s’est donné dans une farce officielle qu’aucun gouvernement n’a eu d’intérêt à empêcher, Faustin, est très au niveau, si ce n’est très au-dessous, du premier Cafre venu qui va s’éteindre sur la Côte d’Ivoire.

148. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « La jeunesse du grand Condé d’après M. le duc d’Aumale »

Les hommes tout à fait médiocres de cœur et d’esprit y sont, je crois, l’exception ; et les moins doués ont encore un orgueil du sang, un sentiment de la tradition, qui leur permettent de garder quelque tenue. […] Ces respects qu’on leur rend, ils ne savent point s’ils s’adressent à leur sang ou à leur personne. […] Mais (et c’est là mon second regret) on sent trop, à certaines timidités, à certaines habiletés aussi, que l’histoire de ces princes a été écrite par leur cousin et leur héritier, qu’il leur est attaché par les liens du sang et de la reconnaissance. […] Dès la première rencontre, il se bat éperdument. « Après avoir tiré à bout portant ses deux pistolets, il désarme de sa main et fait prisonnier un capitaine de cuirassiers de l’empereur. » Nous savons par les témoignages des contemporains qu’il donnait toujours de sa personne dans la mêlée, que le combat l’enivrait et le transfigurait, et qu’il apparaissait alors, les yeux flamboyants, tout rouge de sang, « pareil au dieu Mars ». […] Ce qu’il taille dans de la chair, ce qu’il pétrit dans du sang, c’est la destinée d’un peuple.

149. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IX. La littérature et le droit » pp. 231-249

Il semble que, Dieu ayant donné la raison aux hommes, cette raison doive les avertir de ne pas s’avilir à imiter les animaux, surtout quand la nature ne leur a donné ni armes pour tuer leurs semblables ni instinct qui les porte à sucer leur sang. » Ces mêmes obstinés, trouvant étrange qu’on offrît pour modèles à l’humanité les loups et les ours, ont dit encore : Quand même l’histoire prouverait que de grands empires d’autrefois se sont formés par ce vol à main armée qu’on appelle la conquête, quand même de grands empires d’aujourd’hui ne seraient qu’une agglomération de provinces ou de colonies soudées de force ensemble, s’ensuit-il que le passé puisse servir de règle à l’avenir et qu’il soit permis de confondre ce qui a été ou ce qui est avec ce qui doit être ? […] Elle inspire à l’implacable apôtre de la rédemption par le sang, à ce catholique si peu chrétien que fut Joseph de Maistre, des pages rouges et sombres comme le manteau de ce bourreau dont il fait un être providentiel et l’une des pierres angulaires de la société. […] Peintures tragiques de soldats qu’on fusille ou torture, souvent pour une peccadille ; puis, par contre-coup, éveil d’un sentiment d’horreur contre les férocités de ce livre de sang ; enfin dessein avoué d’y faire pénétrer un souffle d’humanité79 ; voilà ce qu’on rencontre dans une quantité de drames et de romans qui, depuis un siècle, ont exploité ce filon. […] Que de larmes, de colères, de déchirements, de sang ! […] Rabelais incarne les porteurs de toques et d’hermine, tantôt dans le bonhomme Bridoye décidant à coups de dés les procès qu’il a laissés mûrir au fond d’une armoire, tantôt dans les Chats fourrés, bêtes horribles et puantes, nourries de sang et de corruption, armées de griffes acérées et d’énigmes horrifiques.

150. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « La duchesse du Maine. » pp. 206-228

On ne les appelait pas les princesses du sang, mais les poupées du sang. […] Cependant, la dernière guerre de Louis XIV, la guerre de la succession d’Espagne, s’était allumée et embrasait l’Europe ; la fortune commençait à devenir contraire ; les peuples s’épuisaient d’impôts et de sang ; le duc du Maine ne s’illustrait point à l’armée par sa valeur ; mais, à Sceaux, la duchesse, radieuse d’espérance et d’orgueil, s’amusait et jouait toujours. […] On sait que la faiblesse de Louis XIV, obsédée par celle de Mme de Maintenon, cette nourrice plus que mère du duc du Maine, alla vers la fin jusqu’à égaler en tout les bâtards aux princes du sang légitimes, à les déclarer en définitive habiles à succéder au trône, et sa dernière volonté, si elle avait été suivie, ménageait au duc du Maine le rôle le plus influent dans la future Régence. […] Si vous voulez étudier dans un parfait modèle, et comme à la loupe, l’égoïsme mignon, le despotisme fantasque et coquet d’une princesse du sang d’autrefois, l’impossibilité naïve où elle est de concevoir au monde autre chose qu’elle-même, allez à Sceaux : vous y verrez tous ces gros défauts en abrégé et en miniature, comme on voit de gros poissons rouges s’agitant au soleil dans un bocal transparent.

151. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre III : La science — Chapitre II : De la méthode expérimentale en physiologie »

La fibre musculaire a la propriété de se contracter ; toutefois, pour que cette fibre se contracte, il faut qu’elle y soit provoquée par quelque excitation qui lui vienne soit du sang, soit d’un nerf ; et, si rien ne change dans les conditions environnantes ou intérieures, elle restera en repos. […] Ce milieu intérieur est le sang. C’est le sang qui permet à l’être vivant de supporter les plus grands changements dans le milieu externe, parce qu’il se maintient lui-même dans une sorte d’équilibre moyen, dont les perturbations accidentelles sont les principales causes des maladies. […] A l’aide de l’expérimentation analytique, j’ai pu transformer des animaux à sang chaud en animaux à sang froid pour mieux étudier les propriétés de leurs éléments histologiques. » Toutefois, après avoir ainsi fait l’analyse, il faut faire la synthèse et ne pas perdre de vue l’unité de l’organisme.

152. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Révolution française »

Des spectacles inondés de sang, des catastrophes, des succès momentanés et terribles, des retentissements inattendus, sortis tout à coup de la trompette de la Renommée, — cette sourde sonneuse de fanfares qui ne s’entend pas elle-même quand elle sonne, car souvent elle s’interromprait, — tous les fracas d’un monde solide pour quelques siècles encore, et qui ne se fût point écroulé si on ne l’avait frappé à coups redoublés au faîte, aux flancs et à la base, n’était-ce pas là plus qu’il n’en fallait pour enivrer et faire chanceler la pensée ? […] » Elle aussi, elle est gigantesque, et, comme le duc de Guise, nous l’avons balafrée… Mais elle est debout, malgré ses blessures ; mais elle combat toujours ; mais elle lutte pour l’empire ; et l’Europe, qui la croyait vaincue et qui la sent maintenant agiter son sol à tous les points de sa surface, s’aperçoit qu’il faut de nouveau compter avec elle, comme aux jours où elle poussa sa furieuse croissance à travers le sang, la boue et les larmes. […] Les grandes sources sont donc fermées maintenant d’où l’on voulait que s’en vînt sur nous ce fleuve de sang et de fange, dans l’effronterie de sa hideuse majesté ! […] Ainsi, par exemple, on savait la rage de Marat, sa lâcheté, sa bassesse, la soif de sang de cet impur succube qui couva l’œuvre infernale sous un esprit plus fangeux qu’un ventre de harpie, mais c’était une opinion accréditée et commune que le fanatisme républicain faisait bouillonner ce cloaque et en volcanisait les immondices. […] Avocat de métier, avocat de conviction, avocat d’âme, mettant sa main corrompue dans l’or et le sang, de quelque trésor ou de quelque veine qu’ils coulassent, cet ambitieux manqué qui croulait par la ceinture, comme tous les ambitieux esclaves des plaisirs matériels, n’a jamais eu au cœur ou à la tête le bronze qu’on lui croit.

153. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — La rentrée dans l’ordre »

De même lorsqu’un de nos membres blessé se cicatrise, les organes froissés se reforment lentement, les tissus se fortifient, le sang reprend son cours, le membre redevient souple et fort. […] Il s’écoulait, il se vidait lui-même sur le sable aride où le soleil de Vérité buvait sa moelle et son sang. […] Il n’avait été qu’un être de sang et de nerfs, un frémissant et têtu viveur de rêves… » Et la Nature printanière se fait complice de la raison, pour submerger la foi moribonde de Paul Allain : « Le souffle de la Nature passait sur ce printemps et caressait le front du curé de Grues. […] Toutes les religions, toutes les morales, tous les systèmes basés sur le non-être, sont destinés à faire banqueroute, car la vie emporte chaque jour ce qui s’élève contre elle ; et quand bien même la terre se couvrirait de séminaires et de faux apôtres en robes de deuil, cette lèpre formidable n’empêcherait pas le globe d’accomplir sa révolution, ni le sang de parcourir les veines. […] Tu as du sang, des muscles, des énergies, des sensations, un cerveau.

154. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Note III. Sur l’accélération du jeu des cellules corticales » pp. 400-404

Les chevaux traînaient leurs peaux dans le ruisseau, qui débordait de sang jusqu’aux maisons. […] Elle défila pendant plus de cinq heures ; enfin la file se termina et fut suivie par une immense quantité de voitures d’artillerie chargées de cadavres déchirés, mais encore palpitants ; une odeur infecte de sang et de bitume m’étouffait… quand tout à coup la grille se referma avec violence et je me réveillai.

155. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIIe entretien. Fior d’Aliza » pp. 177-256

On éprouve alors comme une convalescence de l’âme, qui n’est ni le trouble de l’adolescence, ni la paix de l’âge mur, ni la pleine santé, ni la maladie ; état mixte, et, pour ainsi dire, neutre et passif, pendant lequel les blessures de l’âme se cicatrisent pour nous laisser vivre de nouveau, malgré tout le sang que nous avons perdu. […] J’ai toujours soupçonné Voltaire d’avoir dans les veines du sang napolitain, et, en remontant un peu loin, j’ai reconnu que je n’avais pas tout à fait tort. […] Les nerfs en souffrent, mais le cœur en saigne, et les gouttes de sang qui en découlent sont les délices des cœurs sensibles. […] Tout fut effacé par un peu de sang entre l’Italie et moi. […] Mais je ne voulus plaider de la plume qu’après le jugement de l’épée, et je ne consentis à publier cette défense que lorsque je pus la signer de la goutte de sang de ce duel d’honneur non personnel, mais national.

156. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIIe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset » pp. 409-488

Élevé dans les lettres pour le parlement, emporté par l’ardeur du sang et de la jeunesse vers la guerre, il entra dans les camps et dans les cours à une de ces époques toujours fertiles en talents neufs, où les esprits secoués par de longues guerres civiles se détendent et se reposent dans le loisir de la paix. […] En remontant avec attention le cours des générations dans les plus humbles familles, on retrouve presque toujours dans la première goutte du sang la source de la dernière. […] De 1815 à 1830 la liberté de tribune, la liberté de penser et la liberté d’écrire avaient relevé la nation de ces champs de bataille où elle avait trébuché à son tour et où elle gisait toute mutilée dans sa gloire et dans son sang. […] Il t’a chanté ce que tu demandais qu’on te chantât, les seules choses que tu voulais entendre : la beauté de chair et de sang, le plaisir sans choix, le vin sans mesure, Qu’importe le flacon, pourvu qu’il ait l’ivresse ! […] En littérature tu n’as pas cessé de railler depuis dix ans toutes ces vieilleries de religiosités, de philosophie, de spiritualisme, d’éloquence, de lyrisme, de philanthropie, de politique, bulles de savon colorées, selon toi, tantôt des rayons de nos vaines imaginations, tantôt du sang de nos veines !

157. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. (Tome XII) » pp. 157-172

L’amour des peuples n’est que de l’estime… Le roi m’écrit qu’il veut revenir à Morfontaine : il croit me mettre dans l’embarras ; il profite d’un moment où j’ai, en effet, assez d’autres occupations… Il me menace, quand je lui laisse mes meilleures troupes, et que je m’en vais à Vienne seul avec mes petits conscrits, mon nom et mes grandes bottes… Il dit qu’il veut aller à Morfontaine plutôt que de rester dans un pays acheté par du sang injustement répandu. […] C’est le prix du sang que j’ai versé en Italie… Oui, j’ai versé du sang, mais c’est le sang de mes ennemis, des ennemis de la France.

158. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Th. Dostoïewski »

Par les portes lentement ouvertes, les inconnus qui pénètrent avec des airs de spectres se résolvent en hommes charnels, vicieux et riants ; les maisons sont hantées et profanées par devrais assassins aux mains humides d’un sang qui glue ; la justice reçoit la victime qu’elle exige, d’un magistrat court, bouffi, jaune, fumeur de cigarettes, et sa cruauté dialectique, aux prises avec la rude énergie du meurtrier, dans un duel dont l’âpre et croissante horreur n’a pas d’exemple, s’exerce entre des murs blanchis, dans un bureau où des fonctionnaires entrent. […] Le lent et sourd accroissement de l’angoisse morale de Raskolnikoff, le vertige et l’oppression de son projet, qu’il apercevait vague et cependant fatal dans le délabrement de ses forces, son sourd malaise une fois le sang versé, et l’étrange sensation de retranchement qui le prend, le lâche et le tient quand il revoit sa mère et sa sœur, la cruauté de se sentir interdit à leurs caresses et de ne pouvoir leur parler que les yeux détournés vers l’ombre ; puis la terreur croissante et une sorte d’ironique rudesse s’installant dans son âme, qui l’introduisent à revisiter le lieu du crime, et à machiner de singulières mystifications qui le terrifient tout à coup lui-même — ces choses lacèrent son âme et rompent sa volonté ; ainsi abattu et ulcéré, il est amené d’instinct à visiter Sonia, et à s’entretenir avec elle en phrases dures, qu’arrête tout à coup le sanglot de sa pitié pour elle, pour lui et pour tous, en une crise où il sent à la fois l’effondrement de son orgueil et la douceur de n’être plus hostile ; des retours de dureté, la sombre rage de ses premières années de bague, l’angoisse amère d’un cœur vide et murmurant, conduisent à la fin de ce sombre livre, jusqu’à ce qu’en une matinée de printemps, au bord des eaux passantes d’un fleuve, que continue au loin la fuite indécise de la steppe, il sente, avec la force d’eaux jaillissantes, l’amour sourdre en lui, et l’abattre aux pieds de celle qui l’avait soulagé du faix de sa haine. […] Ces êtres qui, au-delà du normal, figurent l’exception psychologique, particularisée et intensifiée en une demi-folie, exhibent tout l’illogisme, les sursauts, les angoisses sans cause et les grosses béatitudes, les soudains serrements de dents, les coups et les retraits de sang, les folles loquacités et les silences hagards, tout le saccadé, le souffrant, le variable et le complexe d’un être à la chair mortelle. […] Elle aperçoit et rend la vie à la façon d’une vision lointaine, vaguement inexplicable et confuse sur l’horreur de laquelle elle se penche et s’apitoie ; elle médite en des hallucinations extériorisées l’infini labyrinthe du raisonnement humain, et perçoit en elle la sourde agitation des instincts, des douleurs, des passions et des rages, de tout ce qui est des nerfs et du sang ; elle est imbue de pitié, débordante d’amour pour tous ces êtres faits de péché et de souffrance, et prise alors entre son épouvante et son amour, il fallait que par un effort et une sorte de folie, pareil au coup de poing d’un exaspéré joueur d’échecs près de perdre, elle brouillât et tranchât tout dans une étrange aberration qui la fait s’incliner devant l’être même que cet acte de foi constitue l’auteur des maux dont il devient le recours.

159. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la révolution française — I. La Convention après le 9 thermidor. »

L’infâme Carrier, dans le cours de son procès, lâcha un mot effrayant de vérité : «  Tout le monde est coupable ici, dit-il à la Convention, jusqu’à la sonnette du président. »Mais ce mot-là ne le sauva pas, ni les autres, et l’accusation de Billaud, de Collot et de Barrère n’en fut pas moins soutenue avec acharnement par Lecointre de Versailles, Tallien, Bourdon de l’Oise, tous impitoyables comme d’anciens complices, hommes de boue qui déclamaient avec emphase contre les hommes de sang, Sur ces entrefaites, les soixante-treize rentrèrent au sein de la Convention, et, quoiqu’ils promissent de déposer au seuil leurs ressentiments passés, ils ne purent tous se tenir en garde contre d’odieux souvenirs. […] Rien n’était plus juste : des victimes aussi illustres, quoiqu’elles eussent compromis leur pays, méritaient des hommages ; mais il suffisait de jeter des fleurs sur leur tombe ; il n’y fallait pas du sang. […] Soubrany, noyé dans son sang, gardait, malgré sa douleur, le calme et l’attitude fière, qu’on avait toujours remarqués en lui.

160. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre II. Filles à soldats »

Il demandera plus tard au nationalisme de sang et de boue la chère « petite secousse ». […] Privée de son cœur, ce Paris de qui elle était accoutumée à recevoir le sang vivace, l’impulsion des idées… » Diable, diable ! si c’est l’or qui circule dans le « réseau artériel et veineux », comment se fait-il que les idées soient le « sang vivace » lancé par le « cœur » ?

161. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Louis XVI et sa cour »

Il n’essaya pas de transfuser dans ses propres veines le sang d’un homme qui était mort, et qui, du reste, n’avait jamais beaucoup vécu. […] Quand on aime les rois et qu’on a mieux pour eux que des larmes, quand on croit que les plus belles choses qu’il y ait encore sur la terre ce sont les pouvoirs qui conduisent les sociétés ou qui les défendent, on doit avoir réellement peur de toucher au cadavre décapité de Louis XVI à travers la pourpre de son sang répandu, plus inviolable à la postérité que ne le fut à ses contemporains sa pourpre royale. […] Il a mis la main de l’Histoire à l’homme sanctifié par le sang, et il ne l’a pas profané en nous le montrant tel qu’il fut, car la lumière qui tombe sur un objet ne le profane pas !

162. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Xavier Eyma » pp. 351-366

Insolente pour l’Europe, l’Amérique est dans sa tradition, Cette anglaise, qui a renié, du même coup, dans ses veines, le sang des Stuarts et le sang de Cromwell, et qui a refusé le tribut d’honneur et de devoir à la mère-patrie, doit être toujours vis-à-vis de l’Europe, qui l’alimente par année de plus d’un demi-million d’hommes, en lui envoyant ses fugitifs, dans l’état d’ingratitude qui est son état d’origine. […] En d’autres termes et sans métaphore, cette nation d’émigrés et d’émigrants qui lui transfusent éternellement de ce sang qu’elle se donne les airs de mépriser, est-elle par elle-même si solide qu’elle puisse se permettre, dans l’ivresse de sa force, cette inconséquence de mépris ?

163. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Balzac »

C’est la chair et le sang, le cerveau et le cœur, l’âme et la vie d’un homme qui, dans l’art littéraire le plus éclatant et le plus profond, fut à la fois un Raphaël et un Michel-Ange. […] Le premier a vécu du sang de l’Europe ; il s’est inoculé des armées. […] Il paya de ses veilles et de son sang, qu’il brûla dans une inspiration dont il entretint l’incendie, le petit pavillon d’or qu’il voulait étendre sur la tête adorée… Mais c’est toujours l’histoire de Chanaan !

164. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Byron »

Taine n’aperçoit que le mouvement du sang saxon, coupé de sang normand dont Lord Byron, par parenthèse, était plus fier que de l’autre, et il ne pénètre pas dans ce que Lord Byron a de plus intime, de moins connu, et je vais dire un mot étrange en parlant de Byron : de plus virginal. […] Mirabeau se vantait un jour à Sophie d’avoir eu, dans sa vie, quelques milliers d’amours, et on pouvait le croire, ce fier monstre, en le regardant… Mais Byron n’était pas cette tonne de sang de Mirabeau où la corruption finissait par allumer le phosphore.

165. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Alfred de Vigny »

À une époque, en effet, où la poésie est devenue tellement extérieure que toute son âme a passé par dehors et que les plasticités de Rubens sont la visée commune de tous les poètes, rien de plus curieux et de plus inattendu que ces quelques vers, qui n’ont pas jailli, mais qui sont tombés lentement d’une tête réfléchie comme le sang tombe lentement d’une blessure quand elle est trop profonde pour dégorger… Et ce n’est pas tout. […] … et on se dit que leur beauté n’est que l’éclat du sang du cœur blessé, durci par la fierté du poète ! […] et qu’il peut écrire leur histoire : C’est en vain que d’eux tous le sang m’a fait descendre ; Si j’écris leur histoire, ils descendront de moi.

166. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Armand Pommier » pp. 267-279

Amédée Pommier, l’auteur des Crâneries, des Assassins, des Océanides, du Livre de sang, des Fantaisies, et qui n’a pas eu peur (il n’a peur de rien, et il a raison !) […] C’est un esprit positif, qui a même la raillerie des esprits positifs, et qui, ne pouvant la mettre dans cette effroyable histoire de La Dame au manteau rouge, qu’il faudrait appeler La Buveuse de sang, l’embusque dans le titre des chapitres de cette histoire, et très-maladroitement, selon moi. […] alors la Critique, qui a commencé par poser un cas littéraire, s’interrompt, ne voulant pas être plus dupe que le simple lecteur, et dit à l’oripeau couleur de sang : — Passe donc !

167. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Ch. Bataille et M. E. Rasetti » pp. 281-294

J’en connais deux parmi ces quatre, et je vous jure que le pouls y bat trop vite, que le sang les infiltre trop, que la passion y met des tremblements trop convulsifs pour avoir cette domination et cette sûreté des mains pures qu’ont les grands artistes, quand ils touchent à des sujets ardents et fangeux. […] corrompue peut-être, mais intelligentielle ; c’est de la combinaison, détestable, il est vrai, mais spirituelle et volontaire, et ce forcené de chair et de sang qui s’appelle Bataille et qui ne conçoit que comme une bataille la volupté, ne se donne pas la peine d’en chercher si long… Premier bond de dégoût pour le cœur et l’esprit, quand on lit ce livre ; premier bond suivi de bien d’autres, quand on s’obstine à cette lecture, et on s’y obstine ; la violence du talent vous tient… Pas de séduction ! […] On peut dire qu’ils ont comme un coup de sang dans les yeux.

168. (1874) Premiers lundis. Tome II « Li Romans de Berte aus Grans piés »

Aliste, qui a un poignard tout prêt, le tire aussitôt, s’en pique légèrement à la cuisse, le passe aux mains de Berte, qui le prend sans savoir pourquoi ; puis Aliste se met à crier, à réveiller le roi qui continuait de dormir, à montrer son sang, bien qu’il fasse nuit, et à accuser Berte, que la vieille Margiste vient saisir aussitôt comme sa fille, et la disant folle, sujette à ces frénésies. […] Elle trouve un ermitage ; mais le vieil ermite ne la peut recevoir à cause d’un vœu, et d’ailleurs il ne sait trop si ce n’est pas une tentation ; car, malgré sa robe déchirée, la pâleur de son front et ses pieds en sang, Berte est bien belle.

169. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Nicole, Bourdaloue, Fénelon »

Ce style, où il ne manque que des nerfs, du sang, du mouvement et de la lumière, ce style dur, mais épousseté et propre, lisse comme un parchemin qui joue la vie… pour des myopes, ne peut être admiré ou aimé sincèrement de personne. […] Le sang de Pascal coulait à flots sous son cilice, mais Nicole vivait dans sa chemise de crin avec une peau qui ne s’écorchait pas, et là est surtout la différence de ces deux moralistes chrétiens.

170. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VI. Des éloges des athlètes, et de quelques autres genres d’éloges chez les Grecs. »

Quoique le sang des hommes n’ait pas toujours été fort respecté, nous concevons pourtant qu’il y ait eu des pays où on l’a honoré de quelques larmes ; on conçoit un peu moins les éloges prodigués aux athlètes ; nous savons cependant que les vainqueurs des jeux étaient célébrés par des chants publics. […] c’était là que les Grecs apprenaient à vaincre les Perses ; là ils apprenaient à mesurer le danger, à le prévoir, à user tour à tour de force ou d’adresse, à terrasser, à se relever, à lancer des poids énormes, à franchir des barrières, à parcourir rapidement de vastes espaces, à supporter les impressions de l’air, l’ardeur du soleil, les longs travaux, à voir couler leur sueur avec leur sang ; enfin à préférer la fatigue à la mollesse, et l’honneur à la vie.

171. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre IV. Shakspeare. » pp. 164-280

Les personnages de Shakspeare ont le sang bouillant et la main prompte. […] … Monseigneur, il vous reste un œil — pour voir le sang que je lui ai tiré. […] Ô Jupiter, point de sang !  […] Il a horreur de ses mains pleines de sang, de ses mains de bourreau. […] S’il hésite à tuer son oncle, ce n’est point par horreur du sang et par scrupules modernes.

172. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XIV. Parallèle de l’Enfer et du Tartare. — Entrée de l’Averne. Porte de l’Enfer du Dante. Didon. Françoise de Rimini. Tourments des coupables. »

Mais voulez-vous être remué ; voulez-vous savoir jusqu’où l’imagination de la douleur peut s’étendre ; voulez-vous connaître la poésie des tortures et les hymnes de la chair et du sang, descendez dans l’Enfer du Dante. […] Les tyrans sont plongés dans un fleuve de sang tiède ; les suicides, qui ont dédaigné la noble nature de l’homme, ont rétrogradé vers la plante : ils sont transformés en arbres rachitiques, qui croissent dans un sable brûlant, et dont les harpies arrachent sans cesse des rameaux.

173. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (1re partie) » pp. 305-364

« Les justes ont versé tout leur sang précieux ; « Et les peuples, troupeau qui dormait sous le glaive, « Ont vu, comme Jacob, dans un étrange rêve,         « Des anges remonter aux cieux. […] Les Thénardier sont des vampires humains suçant le sang des morts et des blessés sur le champ de bataille, volant un enfant à la pauvre mère Fantine, volant leurs propres hôtes, volant ou cherchant à voler les trésors qu’ils n’ont pas enterrés, cherchant à voler Marius par le chantage de la dénonciation, et s’en allant avec le prix de leurs crimes voler en Amérique, parce que le terrain du vol leur manque en Europe. […] Les mêmes étudiants, ivrognes précoces ou libertins blasés, devenus émeutiers par désœuvrement, puis républicains par fantaisie, volent la vie et le sang de leurs concitoyens dans une barricade servie par des gamins de Paris et par des filles des rues, et se font tuer eux-mêmes avec autant d’héroïsme que d’indifférence. […] Prendre les ordres de Valjean contre le vol, de Thénardier contre le maraudage, des étudiants contre la débauche, des gamins héroïques de Paris et des jeunes émeutiers de la barricade sur l’organisation savante du travail et de la société parfaite, contre le luxe des riches et contre la misère du chômage du peuple, est une homéopathie par le vice, l’ignorance et le sang, qui nous laisse quelque doute sur la guérison du corps social. […] Elle se sauve et se réfugie tout en sang dans la maison.

174. (1857) Cours familier de littérature. III « XVe entretien. Épisode » pp. 161-239

Écoute le cri des vendanges Qui monte du pressoir voisin, Vois les sentiers rocheux des granges Rougis par le sang du raisin. […] Où l’amour dilaté dans toute créature Se resserre en foyer pour couver des berceaux, Goutte de sang puisée à l’artère du monde Qui court de cœur en cœur toujours chaude et féconde, Et qui se ramifie en éternels ruisseaux ! […] J’ouvrais ma veste et ma chemise sur ma poitrine, pour qu’il pénétrât jusqu’à mon sang. […] et que lui, qui n’aurait pas fait de mal à une bête quand il était petit, il ait fait couler le sang des hommes dans Paris, par malice ? […] Je viens ici pour tout oublier pendant quelques jours à ce beau soleil, que le sang et les larmes des peuples ne ternissent pas.

175. (1910) Victor-Marie, comte Hugo pp. 4-265

Chaque héritier du sang. Chaque prince du sang. […] Du sang temporel, du sang charnel et du sang éternel. […] Un oracle cruel Veut qu’ici votre sang coule sur un autel. […] Quand Polyeucte parle de son sang, Ce que de tout mon sang je voudrois acheter.

176. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « José-Maria de Heredia.. »

On verra, quand il nous donnera enfin ses Trophées, que ses vers sont aussi beaux que son nom, et l’on reconnaîtra dans ses sonnets le suprême épanouissement, sous la forme littéraire, d’un sang héroïque et aventureux. […] Il tient apparemment de ses origines espagnoles et créoles la grandiloquence de ses vers, la « grandesse » de ses sentiments et l’opulence de sa vision ; mais il a aussi du sang normand dans les veines, et il est permis de croire que c’est par là que lui sont venues ses bonnes habitudes classiques, son goût de l’ordre et de la clarté. […] Car derrière eux, vers l’ouest, où sans fin se déroule Sur des sables lointains la Pacifique houle, Dans une brume d’or et de pourpre, linceul Rougi du sang d’un dieu, sombrait l’antique Aïeul De celui qui régnait sur ces tentes sans nombre.

177. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre I. Place de Jésus dans l’histoire du monde. »

Des accents inconnus se font déjà entendre pour exalter le martyre et célébrer la puissance de « l’homme de douleur. » A propos de quelqu’un de ces sublimes patients qui, comme Jérémie, teignaient de leur sang les rues de Jérusalem, un inspiré fit un cantique sur les souffrances et le triomphe du « Serviteur de Dieu », où toute la force prophétique du génie d’Israël sembla concentrée 86. « Il s’élevait comme un faible arbuste, comme un rejeton qui monte d’un sol aride ; il n’avait ni grâce ni beauté. […] Des croyants forcenés provoquent sans cesse des violences contre tout ce qui s’écarte du culte de Jéhovah ; un code de sang, édictant la peine de mort pour des délits religieux, réussit à s’établir. […] Mais l’idée d’une religion exclusive, l’idée qu’il y a quelque chose au monde de supérieur à la patrie, au sang, aux lois, l’idée qui fera les apôtres et les martyrs, était fondée.

178. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le Sahara algérien et le Grand Désert »

Cette veine ouverte d’un peuple vaincu, par laquelle s’écoulait un sang si vermeil encore de jeunesse, ces mœurs patriarcales et hospitalières, cette fierté grandiose qui fait dire perpétuellement à l’Arabe : « Élargis ton âme », précisément le contraire du mot chinois et civilisé : « Rapetisse ton cœur », que l’abbé Huc nous apprend, les dernières tentes, qui vont se lever et se ployer au soleil couchant de la poésie devant la civilisation, cette mer de pierres qui s’avance, tout ce vaste ensemble nous frappa de deux sensations et d’une double mélancolie, — la sensation de ce qui est éternellement beau, et de ce qui va s’évanouir. […] Nous, chrétien, nous oserions prendre sur notre conscience la responsabilité du mot audacieux, échappé à un des plus éloquents penseurs que le Catholicisme contemporain ait produits : « L’armée est à la France ce que Notre-Seigneur Jésus-Christ est à la sainte Trinité, car, de même que le sang de Jésus-Christ est dans le pain de l’Eucharistie, dans le pain que mange la France il y a du sang de l’armée ! 

179. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Les civilisations »

Et non seulement, après l’avoir soulevé, il n’est pas capable de l’appliquer aux faits qu’il raconte, mais il est bientôt inconséquent à ce principe, qu’il a posé : de l’influence du sang et de la race. […] Puisqu’il s’agissait de civilisations, le libre penseur se serait bien gardé de toucher à la seule qu’il y ait dans le monde, — la civilisation chrétienne, — car toutes les autres ne sont que des barbaries, policées peut-être à la peau, mais, pour peu qu’on gratte, atroces, abominables et immondes jusqu’au fond du sang de leurs veines ! […] Et cela malgré la plus sauvage barbarie, cachée sous ces enchantements de la richesse et de la politesse d’un peuple si avancé dans les sciences et dans les arts ; car ils furent, entre eux, les plus grands égorgeurs, et leurs tueries, les plus grandes tueries que le soleil, accoutumé au sang comme à la mer dans laquelle tous les soirs il tombe, ait jamais éclairées de ses rayons épouvantés !

180. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « L’Angleterre depuis l’avènement de Jacques II »

Les luttes de ce pays qui a offert à lui seul presque autant de combats entre ses barons et ses rois que le Moyen Âge tout entier, ses guerres civiles des Roses, l’implication effroyable de ses droits de succession, l’entrechoquement des partis et les brouillards de tant de sang versé qui s’étendent sur toute son histoire comme les autres brouillards sur son sol, la législation anglaise, avec ces mille coutumes qui peuvent dormir des siècles, mais qu’on n’abolit pas, et l’esprit public enfin, l’esprit public qu’on n’entendait, certes ! […] On lui a fait un crime de stupidité de n’avoir pas accepté le droit nouveau, ce droit qui, pour lui, était né dans le sang de la tête coupée de son père, et c’était comme si on lui eût reproché d’être Stuart, catholique, lui-même ! […] Quant aux cruautés qu’on lui reproche, quant à ces terribles et vivants témoignages qu’on invoque : Jeffreys et le colonel Kirke, il faut se rappeler les idées d’un temps qui croyait que la première des vertus était la fidélité au prince, et ces mœurs publiques qui avaient été pétries dans le sang des guerres civiles, mais surtout, quand on est, comme Macaulay, l’auteur de la belle théorie des décimés de l’Histoire, il fallait savoir l’appliquer, pour l’honneur de la vérité et de la justice, fût-ce à ses ennemis !

181. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. le vicomte de Meaux » pp. 117-133

Après trente ans de luttes affreuses et de sang versé par torrents, le Catholicisme est miraculeusement resté debout par une miséricorde de Dieu, qui a considéré, sans doute, que la France avait cru en lui et agi pour lui pendant quatorze siècles. […] Entre les Maures et les Espagnols, ce ne fut point une guerre religieuse, mais de race ; une guerre de sang, dans toutes les acceptions du mot. […] Seulement, il n’en resta pas moins deux vestiges de l’ancienne discipline, dit avec raison M. de Meaux : « L’Église revendiquait le condamné pour le soustraire à la mort s’il se rétractait, sinon elle le livrait au juge séculier, le ministère ecclésiastique étant incompatible avec l’effusion du sang. » L’immense Mère des âmes ne se démentait pas !

182. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Lacordaire. Conférences de Notre-Dame de Paris » pp. 313-328

C’est l’homme qui a mis la main sur les artères de l’humanité, et qui a compté goutte par goutte ce qu’il y passe de sang orageux ou de sang corrompu. […] Quand ce moine blanc à la face exsangue, aux lèvres pâles, mettait, en nous parlant des passions, sa main sous le froc qui couvrait sa poitrine domptée et calme et qu’il l’en retirait tout à coup, on croyait voir le sang de sa jeunesse découler de cette main appuyée un instant sur son cœur, et il semblait nous dire : « Je vous connais, mes frères !

183. (1896) Le livre des masques

Georges Eekhoud est un dramaturge, un passionné, un buveur de vie et de sang. […] Poictevin est entré dans le « jardin de toutes les floraisons » que chanta saint Bonaventure, (Crux deliciarum hortus In quo florent omnia…) et à genoux il a baisé le cœur des roses dont la roseur est faite de sang, — le sang du grand Supplice. […] Voici, dans le ton moyen, un lied qui est vraiment sans défaut : L’heure du nuage blanc s’est fondue sur la plaine En reflets de sang, en flocons de laine, Ô bruyères roses, ô ciel couleur de sang. […] L’heure du nuage d’or a crevé sur la plaine, Les roseaux chantaient doux sous le vent de haine, Ô bruyères rouges — ô ciel couleur de sang. […] Ô bruyère d’or — ô ciel couleur de sang.

184. (1894) Textes critiques

Le livre a déjà ses disciples, et l’on reverra ses Danseuses‌ (Je danse le Pas des Glaives, Je danse le Pas du sang ! […] Du réel (au sens vulgaire) assez pour insuffler l’humanité aux fantoches et que le sang jaillisse couleur de lèvres de nos coups d’ongle au fœtus de terre glaise pétri par le génie des paumes du dramaturge magnétiseur.‌ […] Les Laveuses d’Amiet prosternées au sexe des arbres dont les feuilles se cachent du ciel, et lavent le sang de leur ombre en l’eau violette ; là-bas vers la ferme, une jalonne la fuite du sentier. […] Tels les anges d’Albert Dürer expriment au cristal coulé le sang du botrus crucifié, et l’Imagerie l’heureuse bénédiction de l’arc-en-ciel foré par la lance aux toits des maisons.     […] Et il commença, et au lieu de la prose de son tambour germèrent les violons des anges et des fauves et les pleurs du sang et des fleurs rabattus par ses poings rythmiques : Ô pourpiers de mon frère !

185. (1885) La légende de Victor Hugo pp. 1-58

Le 21 juillet 1842, il eut le courage de jeter à la face de Louis-Philippe des phrases de ce calibre : « Sire, vous êtes le gardien auguste et infatigable de la nationalité et de la civilisation… Votre sang est le sang du pays, votre famille et la France ont le même cœur… Sire, vous vivrez longtemps encore, car Dieu et la France ont besoin de vous. » Victor Hugo a toujours été cosmopolite : il unissait tous les rois d’Europe dans son adulation. […] Victor Hugo, qui était incapable de débrouiller une situation politique, partagea leur aveuglement ; il injuria en prose et en vers le peuple parce qu’il ne renversait pas à l’instant l’Empire que lui et ses amis avaient fondé et consolidé dans le sang populaire. […] Lorsque l’Événement, l’organe de la Fraternité hugoïste, publia son apologie du luxe, deux mois à peine s’étaient écoulés depuis l’insurrection de juin, ce « protêt de la misère » et le sang de la guerre civile rougissait encore le pavé des rues. […] Les bravaches du romantisme, les Janin, les Gautier, reculèrent épouvantés ; mais Hugo ne cligna pas de l’œil, il empoigna les substantifs et les adjectifs horrifiants, qui envahissaient la langue écrite dans les journaux et parlée à la tribune des assemblées populaires ; et prestidigitateur merveilleux il jongla à étourdir les badauds, avec les immortels principes de 1789 et les mots teints encore du sang des nobles et des prêtres. […] Et encore il pouvait se dire qu’il n’avait fait que suivre l’exemple de tous les apôtres de l’humanitairie, depuis Guizot jusqu’à Louis-Philippe ; et que tout d’abord il n’avait envisagé la peine de mort qu’à un point de vue littéraire et fantaisiste, comme un excellent thème à déclamation verbeuse, à ajouter aux « croix de ma mère » — « la voix du sang » et autres trucs du romantisme qui commençaient à s’user et à perdre leur action sur le gros public.

186. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Agrippa d’Aubigné. — I. » pp. 312-329

Nous sommes ici couchés en délices, et les corps de nos frères, chair de notre chair et os de nos os, sont les uns dans les cachots, les autres par les champs à la merci des chiens et des corbeaux : ce lit m’est un tombeau puisqu’ils n’ont point de tombeaux ; ces linceuls me reprochent qu’ils ne sont pas ensevelis… Elle finit par le presser de ne plus tarder et de se mettre en avant au nom du sang versé : « L’épée de chevalier que vous portez est-elle pour opprimer les affligés ou pour les arracher des ongles des tyrans ? […] Je vous somme, au nom de Dieu, de ne nous frauder plus, ou je serai témoin contre vous en son Jugement. » Religion égarée, fanatisme opiniâtre sans doute, et sourd aux raisons de prudence et d’humaine sagesse ; appel, sous le nom du Christ, à la vengeance du sang par le sang ; générosité pourtant et grandeur d’âme, comme il en est en tout sacrifice absolu de soi : c’est ce qui respire en cette scène nocturne, digne des plus grands peintres, et d’Aubigné, qui en a senti toute l’émotion, nous l’a conservée et, on peut dire, nous l’a faite de manière à n’être point surpassé. […] On en voit le thème : il s’indigne pour les siens, pour les hommes de sa cause, à cette seule idée de se faufiler dans l’armée royale ; ce serait abjurer le passé : Ce serait, dit-il en commençant, fouler aux pieds les cendres de nos martyrs et le sang de nos vaillants hommes, ce serait planter des potences sur les tombeaux de nos princes et grands capitaines morts, et condamner à pareille ignominie ceux qui, encore debout, ont voué leurs vies à Dieu, que de mettre ici en doute et sur le bureau avec quelle justice ils ont exercé leurs magnanimités ; ce serait craindre que Dieu même ne fût coupable ayant béni leurs armes, par lesquelles ils ont traité avec les rois selon le droit des gens, arrêté les injustes brûlements qui s’exerçaient de tous côtés, et acquis la paix à l’Église et à la France… Je dis donc que nous ne devons point être seuls désarmés quand toute la France est en armes, ni permettre à nos soldats de prêter serment aux capitaines qui l’ont prêté de nous exterminer, leur faire avoir en révérence les visages sur lesquels ils doivent faire trancher leurs coutelas, et de plus les faire marcher sous les drapeaux de la Croix blanche qui leur ont servi et doivent servir encore de quintaine (point de mire) et de blanc.

187. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Stéphane Mallarmé » pp. 146-168

Il se sent raillé, bafoué, au point qu’il n’ose plus même confier sa pensée à ceux qui l’entourent, ni à sa femme qui l’adore ni à la fille de son sang. […] Il avait d’ailleurs puisé aux mêmes sources de l’idéalisme anglais et il offre avec Baudelaire deux traits communs : la précocité et le sentiment de son impuissance : Et dans mon être à qui le sang morne préside L’impuissance s’étire en un long bâillement. […] C’est un rêveur qui, dans son rêve unique, met le sang de ses veines et son souvenir vivant de la terre. […] René Ghil, Légendes d’âmes et de sangs.

188. (1761) Salon de 1761 « Peinture — M. Pierre » pp. 122-126

Il n’en tombe pas une goutte de sang. […] Cet homme n’a pas senti l’effet du sang qui eût descendu le long du bras de l’exécuteur, et arrosé le cadavre même.

189. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XV »

Il y a des monceaux de ruines et des flaques de sang dans sa vie. […] Il l’a fait sortir, comme une créature légendaire, d’une sorte de chaudière magique, où il y a du sang de courtisane et du sang de roi, de la corruption et de la fierté, des sentiments nobles et des instincts dépravés. […] Elle lui déclare qu’il ne l’aura jamais, non par vertu, mais par orgueil ; parce qu’elle a du sang royal dans les veines et qu’il est indigne d’une fille de roi de se vendre. […] En vérité, il faudrait que le comte Jean fut en bois pourri, qu’il n’eût ni sang, ni nerfs, ni cœur ni honneur, pour faire autrement.

190. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Études sur Saint-Just, par M. Édouard Fleury. (2 vol. — Didier, 1851.) » pp. 334-358

Je ne sache pas qu’on ait vu jamais, sinon chez des esclaves, le peuple porter la tête des plus odieux personnages au bout des lances, boire leur sang, leur arracher le cœur et le manger ; la mort de quelques tyrans à Rome fut une espèce de religion. […] Il cite l’exemple de César, immolé en plein sénat sans autre formalité que vingt-deux coups de poignard : Et aujourd’hui, s’écrie-t-il, l’on fait avec respect le procès d’un homme assassin d’un peuple, pris en flagrant délit, la main dans le sang, la main dans le crime. […] Saint-Just n’en désespère pas ; l’échafaud de Louis XVI est le premier moyen : La République, dit-il, ne se concilie point avec des faiblesses : faisons tout pour que la haine des rois passe dans le sang du peuple ; tous les yeux se tourneront alors vers la patrie. […] Je félicite ceux qui admettent cette arrière-pensée de clémence qu’il faut aller chercher par-delà des mares de sang. […] C’est avec des moyens aussi infâmes qu’ils obtinrent enfin quelques victimes dont le sang ne pouvait assouvir la soif de ces cannibales.

191. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

Ce sont elles qui imprimèrent une teinte mâle et sombre à la tragédie des Sept Chefs devant Thèbes, dont Boileau nous transmit si bien la forte couleur dans ces vers : « Sur un bouclier noir sept chefs impitoyables « Épouvantent les dieux de serments effroyables : « Près d’un taureau mourant qu’ils viennent d’égorger « Tous, la main dans le sang, jurent de se venger : « Ils en jurent la Peur, le dieu Mars, et Bellone. […] Alcide, brûlé des poisons de la robe trempée au sang du Centaure, et soupçonnant Déjanire de trahison, charge son fils de traîner sa mère à ses pieds, et de la déchirer en sa présence : cet ordre de commettre un parricide nous ferait horreur : mais c’est Hercule qui cède aux souffrances : ce commandement imprime l’idée de l’excès d’une douleur proportionnée à sa vigueur plus qu’humaine. […] « Tel bouillonnait encor son vieux sang dans ses veines. […] Croyez-vous qu’un peuple, éclairé par le sage esprit d’Addison, soit tout à fait dénué de goût et de sens, lorsqu’il se plaît à suivre la longue carrière ambitieuse de Macbeth, depuis le jour où ce chef superstitieux, frappé par les horoscopes des prophétesses, sent palpiter son cœur au premier désir d’un crime qui peut le couronner, et se débat contre cette fatale idée, jusqu’au jour où, devenu l’instrument du féroce orgueil de sa femme, les mains trempées dans le sang, et si épouvanté de son forfait, qu’il n’entend même plus sans peur bourdonner les insectes de son foyer, il entasse meurtre sur meurtre pour couvrir son usurpation ? […] Cette obligation est encore à la gloire de l’espèce humaine, puisque un penchant général au bien la rend si incrédule aux excès du mal, qu’il est besoin de motiver fortement les causes qui le font commettre ; puisque, sans le tableau des frénésies de nos passions, tous les actes sanguinaires nous sembleraient impossibles et faussement imaginés ; et puisque enfin, pour instruction universelle, toutes les spécieuses raisons dont les meurtres sont colorés, réduisent le public à ne plus douter de sa haine pour ceux qui versent ou qui font verser le sang humain.

192. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Conclusion. Le passé et le présent. » pp. 424-475

Une nation entière, Angles et Saxons, a détruit, chassé ou asservi les anciens habitants, effacé la culture romaine, s’est établie seule et pure, et n’a trouvé parmi les derniers ravageurs danois qu’une recrue nouvelle et du même sang. […] L’univers aboutit à ce centre ; comme un cœur où afflue le sang et d’où jaillit le sang, l’argent, les marchandises, le négoce, arrivent ici des quatre coins de la planète et coulent d’ici vers tous les bouts du globe. […] La colère, le sang ne leur montent pas aux yeux d’abord comme chez les nations méridionales ; un long intervalle sépare toujours l’idée de l’action, et les raisonnements sages, le calcul répété viennent remplir cet intervalle. […] Vous verrez des paysages passés au sang de bœuf, des arbres qui crèvent la toile, des gazons qui semblent un pot de vert-perroquet répandu à terre, des Christs qui ont l’air d’être cuits et conservés dans l’huile, des cerfs expressifs, des chiens sentimentaux, des femmes nues auxquelles on souhaite aussitôt d’offrir une robe. […] Par cette infusion de l’esprit moderne, il a reçu un nouveau sang, et le protestantisme aujourd’hui forme avec la science les deux organes moteurs et comme le double cœur de la vie européenne.

193. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les Zutistes » pp. 19-27

Marsolleau, levé, quittait sa pipe, et récitait d’une voix dolente des vers charmants : MOI J’ai dans mon sang le sang des époques hautaines, Je suis le petit-fils des marquises lointaines Et des trouvères blonds, de grâce revêtus, Qui passaient — de châteaux en châteaux attendus Par le rêve espérant des vierges amoureuses — Et puis disparaissaient par les routes ombreuses, Comme un chant qui s’éteint que l’on n’entendra plus.

194. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Éphémérides poétiques, 1891-1900 » pp. 179-187

Henry Bataille : Ton sang. […] René Ghil : Dire des Sangs.

195. (1898) Impressions de théâtre. Dixième série

Je n’ai plus pour elle et pour celui qu’elle a dans le sang, — dans ce sang qui l’étouffe et qui tout à l’heure se décomposera, — qu’une pitié sans affection, celle pitié générale qu’on éprouve devant toute douleur humaine, quelles qu’en soient les causes. […] Elles venaient à moi… Toutes deux de merveilleuse beauté, elles étaient sœurs, de même sang. […] Mon sang me condamne à faire des bêtises ? […] Mais Daniel est de plus en plus faible et ne peut être sauvé que par cette opération qu’on appelle la transfusion du sang. […] Alors, pour rejeter le sang qu’il tient d’elle, il arrache son pansement, se taillade le bras à coups de couteau, et meurt.

196. (1883) Essais sur la littérature anglaise pp. 1-364

L’abondante effusion du sang, en épuisant la vigueur virile, avait aussi épuisé les haines. […] La grande beauté des Anglais doit tout au sang et à la race, et rien à la civilisation. […] Le patriotisme anglais consiste dans le fanatisme du sang. […] Cette patrie qui coule dans le sang est la seule qu’elles possèdent. […] sang du diable !

197. (1898) Émile Zola devant les jeunes (articles de La Plume) pp. 106-203

Pourtant, si un homme pousse un cri d’éternité, elles ne l’entendent point ; pétrit de sa chair et de son sang une fresque vivante, elles ne le distinguent point, elles ne soupçonnent point son héroïsme. […] Soumise aux lois organiques, elle est perpétuellement fertilisée, rajeunie par l’abondance des sensations physiques, et nous la nourrissons du rouge sang de nos artères, de la chaux vive et substantielle de notre ossature corporelle. […] Il a su, lui aussi, incarner le vice en des héros qu’il a sculptés dans de la brique et peints de sang. […] N’est-il pas permis aux personnages de comédie d’être sensibles aux ardeurs de la chair, aux profondes impulsions du sang, d’avoir soif et d’avoir faim, comme tous les hommes de la ville ou de la campagne. […] Puis dans la Curée, en un décor de sang et d’or, Zola nous a dit la fièvre du luxe, la furie de la luxure, la soif du gain, le déchaînement des appétits.

198. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (5e partie) » pp. 65-128

Les Girondins avaient trempé dans le sang de Louis XVI, Danton dans les turbulences de la démagogie. […] Je me souvins trop de ses influences féminines sur son mari, au moment où il ne fallait se souvenir que de ses larmes et de son sang. […] Ses joues passaient continuellement du pourpre à la pâleur, et révélaient les bouillonnements et le reflux de son sang. […] Ce sang de femme retombait sur sa gloire sans cimenter sa liberté. […] ou l’arrière-pensée du père ambitieux pour ses fils, qui prévoit qu’une nation inconstante lui rendra un trône pour quelques gouttes de sang ?

199. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIe entretien. Vie du Tasse (1re partie) » pp. 5-63

Nos pleurs et notre sang sont l’huile de la lampe Que Dieu nous fait porter devant le genre humain ! […] » On voit par ces lettres que la mère du Tasse était une de ces femmes rares qui forment de leur sang les hommes supérieurs, poètes, philosophes, héros. […] Un sang héroïque coulait dans ses veines, il rougissait de polir des vers au lieu de tenir l’épée de ses pères ; célébrer des exploits guerriers lui semblait associer son nom aux héros qui les avaient accomplis sur les champs de bataille ; la religion, la chevalerie et la poésie, la gloire du ciel, celle de la terre, celle de la postérité, se réunissaient pour lui conseiller cette œuvre. Les poètes, en ce temps, étaient les héros de l’esprit au niveau des héros de l’épée ; le chevalier ne dérogeait pas en célébrant dans ces chants les hauts faits dont il avait la source dans son sang, l’idéal dans son âme. […] La nature, en effet, semblait s’être complu à personnifier la poésie dans le poète ; son portrait par le marquis Manso, son ami, qui l’avait décrit dans son adolescence, à Sorrente et à Rome, rappelle le gracieux portrait de Raphaël d’Urbin, le génie enfant, avec un trait de plus dans le regard, la fierté martiale du chevalier qui sent l’héroïsme dans son sang.

200. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Crétineau-Joly »

Les circonstances étant donc ce qu’elles sont, un livre de l’abolition de la Compagnie de Jésus, où tout serait raconté sans fausse honte et sans condescendance sur cet Ordre et sur ses ennemis, ne pousserait-il pas à la solution que l’avenir saura dévoiler et à laquelle tant de préjugés sucés avec le lait, grandis dans le sang, s’opposent encore ? […] Parvenu dont la fortune et l’imbécillité du roi qu’il gouvernait furent tout le génie, plébéien qui se baigna dans le sang de la plus grande famille de la monarchie portugaise, comme si ce sang dans lequel il se plongea avait pu se mêler au sien et lui communiquer un peu de sa noblesse, Pombal, à qui les philosophes ont fait une renommée que la postérité ne ratifiera pas, fut de tous les hommes de gouvernement qui s’employèrent contre les Jésuites celui qui montra le plus de rage homicide et sacrilège. […] La poussière soulevée par elles, le sang qu’elles jettent contre le ciel, retomberaient seulement pour les souiller, si les gouvernements restaient dans leurs devoirs de gouvernement. […] Semblables aux bêtes féroces qui ont goûté au sang, quand les hommes ont goûté au succès ils deviennent insatiables. […] Du reste, ce grand égarement d’une époque spirituelle, éclairée, polie, parce que ses passions lui remontèrent à la tête comme une congestion de sang impur, est un de ces faits qu’on ne saurait plus discuter.

201. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — II. (Suite.) » pp. 155-174

Cette armée victorieuse, à la suite d’une action si décisive, se démembra aussitôt par la rivalité des chefs, des princes du sang d’abord, du prince de Condé, du comte de Soissons, et lui-même, Henri de Navarre, aida à cette désunion des parties en s’en allant en Béarn présenter de sa main à la comtesse de Guiche, qu’il aimait alors, les enseignes, cornettes, et autres dépouilles des ennemis, dont il avait fait un galant trophée : c’est ainsi « qu’au bout de huit jours tous les fruits espérés d’une si grande et signalée victoire s’en allèrent en vent et en fumée, et, au lieu de conquérir, l’on vit toutes choses dépérir ». […] Le compliment du maréchal de Biron qui le visite en passant est un autre trait qui montre bien les restes de chevalerie et de féodalité à la Froissart dans cette bataille déjà moderne ; voyant les prisonniers dans la chambre du blessé, et l’étendard conquis près de son chevet : Adieu, monsieur mon compagnon, lui dit le maréchal ; vous ne devez point plaindre vos plaies ni votre sang répandu, puisque vous remportez une des plus signalées marques d’honneur que saurait désirer un cavalier le jour d’une bataille, et que vous avez là des prisonniers qui vous fourniront de quoi payer vos chevaux tués, faire panser vos blessures, et boire du bon vin pour faire de nouveau sang. […] Irrité du refus, il avait de grosses paroles avec le roi, « jusqu’à lui reprocher la longueur de ses services, tant de dépenses faites, de plaies reçues, et de sang épandu ».

202. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette (suite et fin.) »

Je leur ai dit de la part du roi, qui était à côté de moi, qu’il dépendait d’eux que nous restions ; que nous ne demandions pas mieux ; que toute haine devait cesser ; que le moindre sang répandu nous ferait fuir avec horreur. […] Elle sent et pense comme une personne de son sang et de son éducation doit sentir ; religieuse avant tout, elle a tous les préjugés d’une princesse de la race et presque du siècle de saint Louis : le jour où l’Assemblée accordera aux Juifs la possibilité d’être admis à tous les emplois lui paraîtra le plus horrible des jours et marqué d’une note sacrilège ; elle attribue tout ce qui se passe à la colère du Ciel, à sa vengeance ; puis elle espère qu’il se laissera toucher aux prières des bonnes âmes. […] Elle a des élans généreux qui ne se soutiennent pas ; elle se laisse enflammer comme un enfant et mener, et, une fois égarée, on lui ferait commettre tous les crimes, sauf à se repentir avec des larmes de sang. […] Je serais indigne du nom de notre mère, qui vous est aussi cher qu’à moi, si le danger me faisait fuir loin du roi et de mes enfants. » Et un autre jour, aux discours qu’on lui rapporte de Vienne, et qui feraient supposer que son frère la considère comme menée par La Fayette ou tel autre personnage du dedans, elle s’indigne, elle se révolte (20 janvier 1791) : « Nous sortons tous d’un sang trop noble, écrit-elle à M. de Mercy, pour qu’aucun de nous puisse soupçonner l’autre d’une telle bassesse ; mais il y a des moments où il faut savoir dissimuler, et ma position est telle et si unique que, pour le bien même, il faut que je change mon caractère franc et indépendant. » Elle chargeait le comte de Mercy de réfuter en bon lieu ces bruits malveillants que semaient les émigrés exaltés et la cabale du comte d’Artois, afin de donner prétexte et carrière à leurs plans aventureux.

203. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIIe entretien. Tacite (1re partie) » pp. 57-103

Les peuples mûrs et touchant à la décadence veulent des portraits peints en traits de sang, des retours vers la vertu antique, des larmes amères sur la corruption présente, des sentences brèves, mais succulentes, jaillissant de l’événement comme le cri des choses, enfin une philosophie à la fois plaintive et amère, qui consterne et qui relève l’âme par l’honnête et douloureux contraste entre l’image de la vertu antique et le désespoir de la liberté perdue ! […] et de tous les temps, contracté dans la main puissante d’un homme, et rendant, sous la pression de cette main, son suc, son sens, sa gloire, ses vices, sa honte, ses larmes, son sang, par tous les pores. […] Néron, le dernier des empereurs du sang de César, a péri, exécré des uns, regretté par les autres ; car les vices et les crimes eux-mêmes ont leur parti dans les populaces et dans les casernes. […] ces Germains, que Vitellius pousse contre Rome, ne l’auront pas osé eux-mêmes ; et vous, enfants privilégiés de l’Italie, vous, jeunesse vraiment romaine, vous demanderiez le sang et le massacre d’un corps dont la splendeur et la gloire font toute notre supériorité sur la bassesse et l’obscurité des Vitelliens.

204. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le Livre des rois, par le poète persan Firdousi, publié et traduit par M. Jules Mohl. (3 vol. in-folio.) » pp. 332-350

Puisque notre lit sera la terre et que notre couche sera une brique, pourquoi planter aujourd’hui un arbre dont la racine se nourrirait de sang, dont le fruit serait la vengeance ? […] Ne me tue pas, car, à la fin, Dieu te livrera à la torture pour prix de mon sang. […] Il voit son fils assis à un festin : il l’admire, il le compare, pour la force et la beauté, à sa propre race ; on dirait, à un moment, que le sang au-dedans va parler et lui crier : C’est lui ! […] Sohrab insiste et trouve étonnant qu’entre tant de chefs, le vaillant Roustem, le premier de tous, ait manqué cette fois à l’appel ; il presse de questions le prisonnier, qui lutte de ruse, et qui s’obstine, sur ce point, à lui cacher la vérité : « Sans doute, réplique celui-ci, le héros sera allé dans le Zaboulistan, car c’est le temps des fêtes dans les jardins de roses. » À quoi Sohrab, sentant bouillonner son sang, répond : « Ne parle pas ainsi, car le front de Roustem se tourne toujours vers le combat. » Mais Sohrab a beau vouloir forcer le secret, la fatalité l’emporte : « Comment veux-tu gouverner ce monde que gouverne Dieu ?

205. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre V. Séductions pour la compréhension de la psychologie indigène. — Conclusion »

La voix du sang — cette voix du sang dont le mélodrame a tant abusé — parle éloquemment au cœur des jeunes noirs, si l’on en croit le conte intitulé « L’épreuve de la paternité », où les fils adultérins, bien qu’ignorant leur origine réelle, font franchir délibérément à leurs chevaux le corps du mari de leur mère, alors que les véritables fils se refusent à cette épreuve, malgré tous leurs efforts pour obéir à l’ordre formel de leur père. […] On pourrait dire que cette parenté d’élection qu’est l’amitié crée souvent des liens beaucoup plus solides que la parenté de sang. — Le titre de frère, donné à un camarade, caractérise l’amitié à son plus haut degré. […] Les deux intimes), du lionceau tuant sa mère pour venger celle de son ami, de Bassirou oubliant qu’Ismaïla a tué le fils d’un ami par rage de voir la mère de celui-ci résister à sa convoitise (Bassirou et Ismaïla), de ce peuhl qui, pour sauver son ami mourant de désir, lui cède sa propre femme120, tout cela montre que la fraternité d’élection inspire des sentiments aussi forts pour le moins que la fraternité du sang.

206. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre iii »

Il voit ses soldats comme des victimes innocentes et volontaires qui rachètent de leur sang les fautes de l’humanité. […] Pendant cette relève, je songerai à la Cène et à cette nuit affreuse du Jardin des Oliviers… Si vous voulez mon sang, ô mon Dieu, je vous l’offre en union au sang de mon divin Sauveur. […] Le Père de Gironde, sous-lieutenant de réserve au 81e d’infanterie, tué le 7 décembre 1914 dans la bataille d’Ypres, s’écrie : « Mourir jeune, mourir prêtre, en soldat, dans une attaque, en marchant à l’assaut, en plein ministère sacerdotal, en donnant peut-être une absolution ; verser mon sang pour l’Église, pour la France, pour mes amis, pour tous ceux qui portent au cœur le même idéal que moi, et pour les autres aussi afin qu’ils connaissent la joie de croire… Ah !

207. (1858) Cours familier de littérature. V « Préambule de l’année 1858. À mes lecteurs » pp. 5-29

Est-ce que nous avons allumé une de ces guerres révolutionnaires qui flattent un moment les passions militaires d’un peuple, mais qui font crier le sang des nations contre leurs auteurs longtemps après que ce sang est tari ? […] Le jardin qu’il aimait but le sang de son maître… De son bouquet sanglant ardente à se repaître, Fulvie, en recevant la tête dans son sein, Passa sa bague au doigt du tribun assassin ; Puis, dans l’organe mort pour punir la harangue, De son épingle d’or elle perça la langue, Et sur les Rostres sourds fit clouer les deux mains Qui répandaient le geste et le verbe aux Romains !

208. (1861) Cours familier de littérature. XI « Atlas Dufour, publié par Armand Le Chevalier. » pp. 489-512

Comptez enfin les Arabes de Damas, reste du peuple des kalifes, race active, chevaleresque, fanatique, séditieuse d’habitude, torride de sang, toujours prête à prendre la torche, le poignard ou le fusil, et dont la capitale est en frémissement continuel contre les garnisons turques, qui ne la contiennent qu’en lui sacrifiant tous les dix ans la tête de leur pacha. […] Qu’est-ce que cette Italie, enfin, que vous avez héroïquement purgée de ses envahisseurs étrangers, par deux victoires, mais que vous laissez conquérir aujourd’hui par des envahisseurs d’un autre sang qui l’incorporent à une monarchie ambitieuse et précaire, au lieu de l’affranchir dans la liberté, et de la fortifier par une confédération, république de puissances, où chaque nationalité garde son nom et prête sa main à la ligue universelle des races diverses et des droits égaux ? […] Géographie sacrée des Hébreux, géographie maritime des Phéniciens, géographie d’Alexandre qui efface les limites sous les pas de ses Grecs et de ses phalanges, de ses Ptolémée ; géographie des Romains, qui font l’Europe et qui refont une Afrique et une Asie Mineure avec Strabon ; géographie de Charlemagne, qui refait la moitié du globe chrétien avec les décombres du paganisme ; géographie de l’Angleterre, qui fait une monarchie navale et commerciale avec les pavillons de ses vaisseaux ; géographie de Napoléon, qui promène ses bataillons de Memphis à Madrid et à Moscou, conquérant tout sans rien retenir, et qui, de cette géographie napoléonienne de la conquête sans but, ne conserve pas même une île (Sainte-Hélène) pour mourir chez lui, après tant d’empires parcourus, en ne laissant partout que des traces de sang français versé pour la gloire ; géographie actuelle, qui se limite par l’équilibre des droits et des intérêts, qui élève contre l’ambition d’un seul la résistance pacifique de tous, et qui ne se dérange un moment par une ou deux batailles que pour se rétablir bien vite par la réaction naturelle de la liberté et de la paix.

209. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Banville, Théodore de (1823-1891) »

. — Le Sang de la coupe ; Trente-six ballades joyeuses ; Le Baiser (1890) […] Poète, votre sang nous luit par chaque pore ; Est-ce que par hasard la robe du Centaure, Qui changeait toute veine en funèbre ruisseau, Était teinte trois fois dans les baves subtiles De ces vindicatifs et monstrueux reptiles Que le petit Hercule étranglait au berceau ? […] Jean Prouvaire Déidamia : Le poète du Sang de la coupe et des Exilés n’a jamais été plus brillant ni plus hautain.

210. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIII. Premières tentatives sur Jérusalem. »

On croyait (non sans raison) que le sang juif était chez eux très mélangé, et il passait pour constant que la Galilée ne pouvait produire un prophète 592. […] L’orgueil du sang lui paraît l’ennemi capital qu’il faut combattre. […] La religion de l’humanité, établie non sur le sang, mais sur le cœur, est fondée.

211. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IV. La littérature et le milieu psycho-physiologique » pp. 126-137

Essayez un peu de démêler l’écheveau embrouillé que forment les croisements de sang dans un pays composite où se sont mêlés, dès les premiers temps, des Celtes, des Romains, des Germains, des Basques, des Israélites ! […] Et ne prendrait-on pas pour des Allemands pur sang tels descendants des réformés que Louis XIV chassa de son royaume et qui se réfugièrent à Berlin ou à Francfort ? […] Au temps de Louis XIV, la France, à ne considérer que les hautes classes, est de sang riche ; la saignée est le grand remède des médecins ; il y a foison, à commencer par le roi, de grands mangeurs, de corps solides, de tempéraments robustes.

212. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Goethe »

nous ne faisons pas un crime à Goethe d’avoir écrit Werther sur ses impressions personnelles ; car c’est une loi pour ces esprits puissants de boire leur sang, comme le Beaumanoir du combat des Trente, et non pas pour désaltérer, mais pour féconder leur génie. […] Mes cheveux me donnent de l’ombre et mon sang est ma fontaine. » Et, au mois de novembre 1774, jour pour jour, Goethe, la victime, est guéri, radicalement guéri de la passion qui avait inspiré à son génie de telles hyperboles. […] La couleur du sang de Goethe, quelle est-elle ?

213. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Le père Augustin Theiner »

Et de fait, la garde de Napoléon avait été créée par lui ; elle ne datait que de son Empire ; et quand elle avait une fois donné son sang héroïquement et jusqu’à la dernière goutte, elle n’avait plus rien à donner. […] Leur sang, ils le donnaient aussi, dans des martyres qui furent leurs batailles ; mais avec leur sang ils versaient des torrents d’intelligence et de vertus.

214. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Vie de la Révérende Mère Térèse de St-Augustin, Madame Louise de France »

et jouit-il enfin de voir, dans les filles de Louis XV, tout ce noble et généreux sang de la maison de Bourbon si mortellement empoisonné ? Comme cela le venge bien de tous ces siècles pendant lesquels ce sang a coulé pour la France, et glorieusement régné sur elle ! Comme on sent, sous la plume qui se promène avec tant de bonheur en ces purulences, l’envie triomphante du démocrate moderne suivant avec une joie féroce la décomposition de ce sang royal et héroïque, qui a trop duré, mais qui ne s’est pas décomposé si vite que, pour hâter son épuisement et en voir la fin, on n’ait pas employé la guillotine, cette saignée du médecin Marat !

215. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXI. De Thémiste, orateur de Constantinople, et des panégyriques qu’il composa en l’honneur de six empereurs. »

Il est près du trône, et ta main y puise sans cesse : mais nous ne voyons point celui des gémissements, des larmes et du sang : il n’y en a point d’où se verse la terreur ; ou si ce tonneau fatal existe, il est fermé de toutes parts. […] Il fit couler le sang des ennemis, avec cette fureur que les caractères atroces nomment justice : l’orateur, en le louant d’une humanité qu’il n’avait pas, tâche au moins de lui inspirer les sentiments qu’il devait avoir. […] Quand on a remporté la victoire sur des lions, des léopards et des tigres, on compte tous ceux dont on a fait couler le sang dans les forêts : quand on a vaincu des hommes, il faut compter tous ceux qu’on a sauvés ; encore n’extermine-t-on pas entièrement les bêtes féroces, on en laisse subsister la race dans les déserts ; et une nation d’hommes, (qu’on les appelle barbares, ils n’en sont pas moins des hommes) une nation tout entière, soumise et tremblante à ses pieds ; il eût donc fallu l’exterminer et la détruire ?

216. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paria Korigan » pp. 341-349

Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre, et les Récits de la Luçotte, qui exprime, elle, des sentiments vrais comme le sang des veines et l’eau des sources, dans un patois d’une couleur ravissante, plein de fautes de grammaire française, mais exquis ! […] ce sont des contes, — mais des contes de vérité humaine, et d’une réalité toujours touchante, et quelquefois saignante ; car une gouttelette de sang y rose parfois l’eau des larmes… IV Je ne sache rien de plus humain, et de plus humain dans la noblesse de la nature humaine, que ces histoires, qui sont pourtant de la réalité, mais de la réalité choisie, et, sous leur forme fruste, — contraste délicieux ! 

217. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre II. Le théâtre. » pp. 2-96

Regardez chez les hommes incultes, chez les gens du peuple, comme tout d’un coup le sang s’échauffe et monte au visage ; les poings se ferment, les lèvres se serrent, et ces vigoureux corps se précipitent tout d’un bloc vers l’action. […] Le sang, la souffrance ne les émeut pas. […] Que mon sang sorte à la place de mes larmes ; oui, ma vie et mon âme ! […] —  Regardez, regardez là-haut, où le sang du Christ coule à flots sur le firmament ! […] La mort est partout ; à la fin de chaque drame, tous les grands personnages trébuchent ensemble dans le sang ; tueries et boucheries, la scène devient un champ de bataille ou un cimetière61.

218. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (2e partie) » pp. 177-248

Les complaisances envers les attentats de cette nature sont des torts envers la sainteté de l’histoire ; excuser n’est pas absoudre, mais c’est atténuer l’indignation, la seule justice du cœur humain qui reste pour compensation de leur sang aux victimes. […] C’est bien peu me connaître : ce n’est pas de l’eau qui coule dans mes veines, c’est du sang ! […] « Mais qu’importent quelques erreurs passagères, à côté des vérités immortelles qu’au prix de son sang elle a léguées au genre humain ! […] En devenant monarque héréditaire, il allait être mis en comparaison avec les rois, petits ou grands, et constitué leur inférieur en un point, celui du sang. […] Tous ces tyrannicides de la Convention luttaient d’empressement et de complaisance à offrir à un soldat absolu la couronne teinte du sang de Louis XVI.

219. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (1re partie) » pp. 81-159

Qui pourrait dire ce que la Fayette et ses amis rapportèrent en France, et combien il y eut de sophismes américains dans l’Assemblée constituante et dans le sang de Louis XVI ? […] Pas une goutte de sang, pas un crime contre la propriété, pas une ruine dans nos colonies n’attrista cette belle action de la patrie. […] Il n’y avait pas huit jours que des Peaux-rouges s’étaient répandus dans la campagne, avaient détruit les habitations des colons, massacré les enfants et les femmes, et couvert de sang leurs défrichements commencés. […] Est-ce qu’une solitude innocente peuplée des œuvres neuves de Dieu n’était pas supérieure en réalité à ces carnages d’hommes altérés du sang de leurs frères et se disputant la prééminence du dollar du Nord sur le dollar du Sud ? […] Il leva la tête, me montra du doigt un de ses yeux sorti de son orbite, et le sang ruisselant sur son visage ; puis, de l’œil qui lui restait, il lança sur moi un regard singulièrement significatif.

220. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIIe entretien » pp. 87-159

Ce livre raconte en versets, dont chacun est un vers qui trouve son écho dans un autre vers, les pensées de Dieu, la création du monde en six grandes journées de l’ouvrier divin, qui sont peut-être des semaines de siècles ; la naissance du premier homme, son ennui solitaire dans l’isolement de son être, qui n’est qu’un morne ennui sans l’amour ; l’éclosion nocturne de la femme, qui sort, comme le plus beau des rêves, du cœur de l’homme ; les amours de ces deux créatures complétées l’une par l’autre dans ce premier couple dont le fils et les filles seront le genre humain ; leurs délices dans un jardin à demi céleste ; leur pastorale enchantée sous les bocages de l’Éden ; leur fraternité avec tous les animaux aimants qui parlaient alors ; leur liberté encore exempte de chute ; leur tentation allégorique de trop savoir le secret de la science divine, secret réservé seul au Créateur, inhérent à sa divinité ; leur faute, de curiosité légère chez la femme, de complaisance amoureuse chez l’époux ; leur tristesse après le péché, premier réveil de la conscience, cette révélation par sentiment du bien et du mal ; leur citation au tribunal divin ; les excuses de l’homme pour rejeter lâchement le crime sur sa complice, le silence de la femme, qui s’avoue coupable par les premières larmes versées dans le monde ; leur expulsion ; leur pèlerinage sur la terre devenue rebelle ; la naissance de leurs enfants dans la douleur ; le travail sous toutes les formes, premier supplice de l’humanité ; le premier meurtre faisant boire à la terre le sang de l’homme par la main d’un frère ; puis la multiplication de la race pervertie dans sa source ; puis le déluge couvrant les sommets des montagnes ; une arche sauvant un juste, sa famille, tous les animaux innocents ; puis la vie patriarcale, en familiarité avec des esprits intermédiaires appelés des anges, esprits tellement familiers qu’ils se confondent à chaque instant sur la terre avec les hommes, auxquels ils apportent les messages de Dieu ; puis un peuple choisi de la semence d’Abraham ; des épisodes naïfs et pathétiques, comme ceux de Joseph, de Tobie, de Ruth ; une captivité amère chez les Égyptiens ; un libérateur, un législateur, un révélateur, un prophète, un poète, un historien inspiré dans Moïse ; puis des annales pleines de guerres, de conquêtes, de politique, de liberté, de servitude, de larmes et de sang ; puis des prophètes moitié tribuns, moitié lyriques, gouvernant, agitant, subjuguant le peuple par l’autorité des inspirations, la majesté des images, la foudre de la langue, la divinité de la parole ; puis des grandeurs et des décadences qui montent et descendent de Salomon à Hérode ; puis l’assujettissement aux Romains ; puis un Calvaire, où un prophète plus surnaturel monte sur un autre arbre de science pour proclamer l’abolition de l’ancienne loi, et promulguer pour l’homme, sans acception de tribus, Juifs et païens, une loi plus douce scellée de son sang ; Puis une autre terre et un autre ciel pour l’univers romain devenu l’Europe. […] Après avoir été longtemps la Gaule semi-barbare sous ses druides, caste sanguinaire dont un système historique faux veut faire aujourd’hui une académie de platoniciens ; après avoir succombé sous les Romains, le flot des races orientales et des émigrations du Nord l’envahit, et la mélange d’un sang plus pur et plus raffiné que le sang gaulois. […] La Gaule a disparu sous la France ; et la France elle-même n’est plus qu’une grande mêlée de races, de sang, de langues, de mœurs, de législations, de cultes, qui fond tout ce qu’elle a de divers dans une lente et laborieuse unité. […] « Servez donc ce roi immortel et si plein de miséricorde, qui vous comptera un soupir et un verre d’eau donné en son nom, plus que tous les autres ne feront jamais tout votre sang répandu ; et commencez à compter le temps de vos utiles services du jour que vous vous serez donnés à un maître si bienfaisant.

221. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre II. Les Normands. » pp. 72-164

D’ailleurs, si la troupe errante s’était trouvée mélangée, la troupe établie l’avait été davantage ; et la paix, par ses infiltrations, autant que la guerre par ses recrues, était venue altérer l’intégrité du sang primitif. […] Les grosses masses finissent toujours par faire le sang, et le plus souvent l’esprit et la langue. […] Les poëtes saxons la peignaient comme une fureur meurtrière, comme une folie aveugle qui ébranlait la chair et le sang et réveillait les instincts de la bête de proie ; les poëtes normands la décrivent comme un tournoi. […] La courtoisie chevaleresque, qui recouvrait la férocité native, disparaît comme une draperie subitement consumée par l’irruption d’un incendie ; en ce temps-là, en Angleterre, on tue les nobles de préférence, et aussi les prisonniers, même des enfants, avec insulte, et de sang rassis. […] Selon Ailred (Temps de Henri II), « un roi, beaucoup d’évêques et d’abbés, beaucoup de grands comtes et de nobles chevaliers, descendus à la fois du sang anglais et du sang normand, étaient un soutien pour l’un et un honneur pour l’autre. »  — « À présent, dit un autre auteur du même temps, comme les Anglais et les Normands habitent ensemble et se sont mariés constamment les uns avec les autres, les deux nations sont si complétement mêlées l’une à l’autre, que, du moins pour ce qui regarde les hommes libres, on peut à peine distinguer qui est de race normande et qui est de race anglaise… Les vilains attachés au sol, dit-il encore, sont seuls de pur sang saxon. » 136.

222. (1902) La formation du style par l’assimilation des auteurs

Il gisait comme un ver sur la terre, et son sang noir coulait, baignant la terre. […] Il nous dit : « Un jet de sang sortit de sa narine ». On rend le sang par le nez : voilà qui est circonstancié. […] Quand elle ne fait pas saillie, elle est toujours mêlée au sang et à la chair de ce style. […] C’est une des nourritures littéraires qui passent le mieux dans notre sang.

223. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1858 » pp. 225-262

Et c’est Janina prise, et ce ruisseau de sang tout barboteux de chiens, coulant entre les jambes du jeune Guys… Et c’est Dembinski, en chemise bleue, sa dernière chemise, jetant un louis, son dernier louis, sur un tapis vert, et sans pâlir le poussant à 40 000 francs. […] Puis se livrant à nous, ses copains politiques et artistiques, selon son expression, il se met à nous parler de son ambition de décrire les métopes du Parthénon, furieux d’enthousiasme, et désespérant, désespérant de pouvoir dire cela avec des mots, et se lamentant qu’il n’y ait pas dans la langue française de vocables assez religieux pour rendre ces torses « où la divinité circule comme le sang ». — « Le Parthénon, le Parthénon, répète-t-il deux ou trois fois, ça me remplit de l’horreur sacrée du lucus. » Et le voilà, prenant feu sur le beau antique, comme un dévot à propos de sa foi, et il nous conte en riant, mais avec une sorte de peur au fond de lui, la peur d’un païen contemporain des Éginètes, il nous conte l’histoire de ce savant allemand Ottfried Muller, qui avait nié la divinité solaire d’Apollon, et qui fut tué d’un coup de soleil. […] * * * — Tous ces temps-ci, détente complète de l’activité physique et morale ; une somnolence qui irait à des nuits de dix-huit heures ; — dans l’éveil les yeux paresseux à voir, à observer ; — notre regard, sans notre pensée, feuilletant les livres et se traînant de l’un à l’autre ; — un grand effroi de faire moins que rien ; — la tête vide et pourtant lourde ; — le sang comme envahi par la lymphe ; — un lâche ennui ; — le remuement de la cervelle et du corps aussi durs pour nous que pour l’aï, qui passe une journée à se dérouler de son arbre ; — un état de l’âme sur lequel tout passe sans la secouer : les distractions, l’orgie, les grattements de vanité. — C’est la maladie qui vient aux activités retraitées, aux têtes qui restent trop longtemps à se reposer, à nous qui, depuis cinq mois, ne vivons pas dans une œuvre et pour une idée. […] — Mais c’est entre M*** et M***, même que nous avons vu par terre des gouttes de sang. — De sang, Messieurs, c’est trop curieux.

224. (1899) Esthétique de la langue française « La métaphore  »

La fleur d’Adonis n’est plus rougie par le sang du jeune dieu oublié, mais tantôt par celui de Vénus, tantôt par celui de Jésus : sang de Jésus, sang deVénus, les deux grandes religions unies une fois de plus dans le geste de cueillir la même fleur. L’idée de sang semble inséparable de cette renonculacée186 et son nom populaire français, goutte de sang, lui est donné en beaucoup de pays.

225. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIe Entretien. Le 16 juillet 1857, ou œuvres et caractère de Béranger » pp. 161-252

On y lit dans l’immobile physionomie de l’autre monde la confiance dans le jugement irréfléchi des multitudes et l’inquiétude sur les jugements de Dieu, qui pèse le sang répandu contre l’ambition satisfaite. […] Mais, 1814 et 1815 passés, et passés dans des flots de sang dont les soldats ne voulaient pas voir la source, tout changea dans les opinions populaires. […] Le sang coula pendant quinze ans entre nous et les nations du continent. […] C’est ce qui arriva à la France après les désastres de 1814 et de 1815 : elle pleurait des larmes de sang. […] Il cherche d’un regard malin le défaut de cuirasse de ses ennemis, les rois, les Bourbons, les nobles, les prêtres, pour lancer sa flèche au point vulnérable et pour rire de la goutte de sang que le dard rapporte à l’arc avec lui.

226. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Émile Zola » pp. 70-104

Les larges flux de sang des filles bien pubères ne sont point dissimulés. […] La Fortune des Rougon, la Faute, Une page, Germinal, sont souillés du sang des justes. […] Zola veut dire qu’il ne faut jamais oublier dans une œuvre d’imagination que les personnages, sont des êtres physiques en chair et en os et qu’en une certaine mesure et sauf de nombreuses exceptions (Louis Lambert, Spinoza) le fonctionnement de leurs cerveaux s’influe du cours du sang et de l’activité des viscères, personne n’y contredira. […] Avec le Flaubert de l’Éducation sentimentale, avec le Tolstoï de la Guerre et la Paix, avec tout Balzac, avec les psychologues comme Stendhal et les individualistes comme les de Goncourt, les Rougon-Macquart, seront les ancêtres du roman démotique futur, où il y aura des cerveaux et des corps, le peuple et les chefs, les dégradés et les génies, de la chair et des nerfs, le sang et la pensée.

227. (1874) Premiers lundis. Tome I « Deux révolutions — I. De la France en 1789 et de la France en 1830 »

Des passions semblables, quoique en sens inverse, des ressouvenus terrifiants de 93, des réactions religieuses et monarchiques, un regret superstitieux de l’ancienne forme en haine du sang qui avait souillé la nouvelle, un sublime égarement de guerre et de conquête : voilà encore ce qu’il fallut pour renverser la Constitution de l’an III, moins brillante, moins hardie que celle de 91, mais aussi sincère, aussi consciencieuse, et d’une modération profonde, d’une graduation expérimentée dans toutes ses parties. […] Au 14 juillet, l’orage populaire commençait ; toutes les haines amassées par l’ancien régime et descendues jusque des hauteurs du moyen âge débordaient à la fois, prêtes à entraîner dans leur cours, bastilles, palais, églises et châteaux : avant que ces haines, nourries durant des siècles, fussent taries, que ces passions implacables fussent étanchées, il fallait des monceaux de ruines, des torrents de sang ; il fallait de longs intervalles d’oubli, des révulsions puissantes ; il fallait surtout que rien ne restât debout du passé pour irriter les souvenirs.

228. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Prosper Mérimée. »

Il est impossible ni d’entasser plus d’horreurs, ni de les raconter avec plus de froideur et de précision que ne l’a fait Mérimée dans cette étonnante histoire de bestialité, de tortures et de sang. […] «… IL faut avoir de l’humanité, et laisser à un nègre au moins cinq pieds en longueur et deux en largeur pour s’ébattre, pendant une traversée de six semaines et plus, car enfin, disait Ledoux à son armateur pour justifier cette mesure libérale, les nègres, après tout, sont des hommes comme les blancs. » — « Cependant le pauvre Tamango perdait tout son sang.

229. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « George Sand. »

Seulement, c’était une généreuse nature, capable de beaucoup agir et de beaucoup sentir ; son sang coulait abondant et chaud comme celui d’une antique déesse, d’une faunesse habitante des bois sacrés. […] Leur manie d’analyse, leur peur d’être dupes, et peut-être un appauvrissement du sang les ont rendus incapables d’aimer et réduits à la recherche maladive des sensations rares.

230. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 1, du génie en general » pp. 1-13

C’est un homme doüé d’un jugement sain, d’une imagination prompte, et qui conserve le libre usage de ces deux facultez dans ce boüillonnement de sang qui vient à la suite du froid que la premiere vûë des grands dangers jette dans le coeur humain, comme la chaleur vient à la suite du froid dans les accès de fiévre. […] Quelqu’esprit qu’ait un homme, quand il est de sang froid, il ne sçauroit être un bon general, si l’aspect de l’ennemi le rend, ou fougueux ou timide.

231. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre III. Des éloges chez tous les premiers peuples. »

En voici un qui s’entrelace autour de mon cœur ; j’espère que l’épée de mes enfants sera teinte du sang de mon ennemi. […] J’ai cinquante et une fois élevé l’étendard des batailles ; j’ai appris dans ma jeunesse à teindre une épée de sang ; mon espérance était alors qu’aucun roi, parmi les hommes, ne serait plus vaillant que moi.

232. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE LONGUEVILLE » pp. 322-357

C’est ainsi (j’ai omis de le dire) qu’elle était née au château de Vincennes, durant la prison du prince de Condé son père (1619), à ce Vincennes où son frère le grand Condé, captif, cultivera des œillets un jour, à ce Vincennes de saint Louis, destiné à porter au front, dans l’avenir, l’éclaboussure du sang du dernier Condé. […] Le duc de Longueville pouvait passer pour le plus grand seigneur de France, mais il ne venait qu’après les princes du sang ; c’était un peu descendre pour Mlle de Bourbon. […] Elle se réconcilia en ces années avec le prince de Conti, et se lia étroitement avec la princesse de Conti sa belle-sœur, qui, nièce du Mazarin, rachetait ce sang suspect par de hautes vertus : ces trois personnes devinrent bientôt à l’envi des émules dans les voies de la conversion. […] Et cette parole, qui fut une flèche qui perça leur cœur, a tellement blessé le mien, que le sang coule encore de cette profonde plaie, et coulera longtemps, si Jésus-Christ par sa grâce n’arrête ce flux de sang… » Cette découverte qu’elle doit pour la première fois dans toute son étendue à M. […] Elle était proprement de ces esprits fins que Pascal oppose aux esprits géométriques, de ces « esprits fins qui ne sont que fins, qui, étant accoutumés à juger les choses d’une seule et prompte vue, se rebutent vite d’un détail de définition en apparence stérile, et ne peuvent avoir la patience de descendre jusqu’aux premiers principes des choses spéculatives et d’imagination, qu’ils n’ont jamais vues dans le monde et dans l’usage. » Mais, géométrie à part, l’usage même, le monde et son coup d’œil, sa finesse et ses élégances, le sang de princesse dans toutes les veines, une âme féminine dans tous ses replis, cette vocation, ce point d’honneur de plaire qui est déjà une victoire, de belles passions, de grands malheurs, une auréole de sainte en mourant, l’entrelacement suprême autour d’elle de tous ces noms accomplis, de Condé, de La Rochefoucauld et de Port-Royal, cela suffit à composer à Mme de Longueville une distinction durable, et lui assure dans la mémoire française une part bien flatteuse, que nul renom d’héroïne ne surpasse, que nulle gloire, même de femme supérieure, n’effacera.

233. (1864) Physiologie des écrivains et des artistes ou Essai de critique naturelle

comme s’il disait : Sang du Christ ! […] C’était dans le sang, disait-on. […] « Croit-on, dit Babrius, qu’un sang mêlé à une bouteille de vin généreux agira sur les nerfs de la même manière qu’un sang affadi par une bouteille d’eau de guimauve ? […] Chaque boisson imprime au sang une modification particulière. […] Il est né le peintre des femmes, surtout des femmes d’Angleterre, au sang vermeil.

234. (1908) Jean Racine pp. 1-325

Triste et fatal effet d’un sang incestueux ! […] Aussi vous voyez combattre pour vous et répandre leur sang pour votre empire ces mêmes hommes qui, traités avec hauteur, se fussent révoltés. […] Il y a un fleuve de sang entre eux deux : et vous voulez qu’elle « flirte » avec le bourreau de sa famille ? […] Les Grecs de la lointaine légende croyaient que le sang d’une jeune fille peut apaiser les dieux ; mais quoi ! […] Victime d’une fatalité qu’elle porte dans son corps ardent et dans le sang de ses veines, pas un instant sa volonté ne consent au crime.

235. (1889) La bataille littéraire. Première série (1875-1878) pp. -312

À quel arbuste malade devait-elle offrir son jeune sang ? […] J’accuse Cyrille d’avoir versé son sang, et le sang appelle le sang. […] Que le sang de Larion retombe sur lui ! […] Le sang demande du sang. […] jouis de ton reste… T’as beau faire… enfoncée… au panier… Elle n’a pas de sang !

236. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre III »

Antécédents héréditaires : Issu d’une famille primitivement robuste composée « d’athlétiques soudards, de rébarbatifs reîtres »… « Par un singulier phénomène d’atavisme », il ressemble à l’antique aïeul qui, au xvie  siècle, introduit dans la race des éléments de dégénérescence et chez lequel se marque « la prédominance de la lymphe dans le sang ». […] Il sortait de ces rêveries anéanti, brisé, presque moribond. » Cauchemars, insomnie : « Il craignit de s’endormir… il resta étendu sur son lit des heures entières, tantôt dans de persistantes insomnies et de fiévreuses agitations, tantôt dans d’abominables rêves que rompaient des sursauts d’homme perdant pied, dégringolant du haut en bas d’un escalier, dévalant sans pouvoir se retenir au fond d’un gouffre. » « Les couvertures le gênaient, il étouffait sous les draps et il avait des fourmillements par tout le corps, des cuissons de sang, des piqûres de puces le long des jambes. » Troubles de la sensibilité. — Hallucinations de l’odorat : « Sa chambre embauma la frangipane ; il vérifia si un flacon ne traînait pas débouché, il n’y avait pas de flacon dans la pièce ; il passa dans son cabinet de travail, dans sa salle à manger, l’odeur persista. » Puis, à la suite de la symphonie olfactive, « à nouveau la frangipane dont son odorat avait perçu les éléments… assaillit ses narines excédées, ébranlant encore ses nerfs rompus… » Perversions du goût : Il a le désir d’une « immonde tartine » mâchée par un « sordide gamin ». […] Pendant cette singulière maladie qui ravage les races à bout de sang, de soudaines accalmies succèdent aux crises. » La liste est longue, des traitements suivis : hydrothérapie, suppression des alcools, du café et du thé, régime lacté, promenades et exercice, assa fœtida, valériane et quinine, sans compter l’emploi d’une thérapeutique morale où « il essaya des lectures émollientes, tenta, en vue de se réfrigérer le cerveau, des solanées de l’art, lut ces livres si charmants pour les convalescents et les mal à l’aise… les romans de Dickens ».

237. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIIe entretien. Littérature politique. Machiavel (2e partie) » pp. 321-414

Le prince eut le tort d’hésiter : il fallait ou trahir son sang ou trahir son trône ; l’abdication franche et entière était nettement indiquée. […] Ils avaient deux religions dans leur cœur, leurs princes et leurs prêtres ; superstitieux chez eux, héroïques dehors, bons et honnêtes partout, aussi propres à subir le joug de la conquête sans le secouer qu’à imposer ce joug à leurs voisins, quand l’inquiétude de la maison de Savoie les mettait à la solde des grands alliés auxquels on inféodait leur sang pour des causes toutes personnelles à ces princes. […] La protestation, éteinte par le canon des forts occupés par les Piémontais, fut étouffée dans le sang des Génois. […] Mais en 1815, après le fatal retour de Napoléon de l’île d’Elbe, retour qui coûta tant de sang, tant d’or et tant de liberté à la France, la maison de Savoie envoya promptement des députés à Paris pour solliciter aussi sa part de dépouilles. […] Le Piémont insatiable a tenu peu de compte de cette Lombardie achetée au prix de ce sang français ; il a convoité à l’instant, malgré les vues contraires de la France, les États neutres de l’Italie.

238. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Le Comte Léon Tolstoï »

Il faudrait énumérer le combat de Schœngraben, suivi de la sinistre chevauchée du prince André au milieu de la débâcle des caissons et des voitures chargées de blessés, la bataille d’Austerlitz, l’entrevue de Tilsitt, le passage du Niémen, la description mémorable de la bataille de Borodino, où tandis que pleuvent les boulets, dans le va-et-vient des servants, sur le crépitement de la fusillade et le choc horrible des corps à corps, rayonne paisiblement le beau soleil d’une journée d’automne illuminant l’herbe mouillée de givre et de gouttelettes de sang, quand, tout auprès, au milieu des rangs pressés d’un régiment misérablement décimé à distance par les obus, succombe le prince André déchiré au ventre par un biscaïen et emporté à l’affreux et fade charnier qui est devenu l’ambulance ; d’autres tableaux apparaissent et le récit de cette grandiose rencontre de deux peuples se déroule en aspects tracés avec une si évidente véracité qu’on s’imagine posséder enfin l’exacte représentation de la guerre. […] Selon le temps et le lieu, selon le heurt varié des circonstances, d’un mot, d’un fait, selon de plus obscures influences internes encore, d’équilibre instable, de silencieuses poussées de sang et de pensées, les personnages de Tolstoï varient, évoluent, passent et s’écoulent, comme les vagues que déforment et le choc du vent, et leur rencontre même, et la montée de la rive où elles déferlent. […] Nul comme cet auteur ne suscite sans cesse la sensation de la simple chaire humaine blanche, rose, rouge et molle, imbibée de sang, traversée d’os et de nerfs, arrondie en forme de membres gros ou menus, produisant cette notion presque animale de communauté, de tiède contact qui naît du milieu des foules, sur les champs de bataille, dans les hôpitaux, partout où les hommes sont prostrés ou amalgamés dans la perte de tout ce qui les érige en individualités distinctes. […] Les lieux de massacre à la terre gluante et noire de sang, les lazarets pleins de râles, de cris, de membres amputés, d’exhalaisons putrides, sont des lieux d’humanité, comme les multitudes grouillantes, odorantes et bavardes des jours de fête, comme les troupes de laboureurs, tendant des muscles suants sous les lourds soleils, comme ces bals où hommes et femmes échangent, de leurs yeux vagues, d’inarticulés et frissonnants appels aux consommations de la volupté. […] Le prince André Bolkonsky, cet homme sec, clair, acerbe, qui tient à la vie par des liens si étroits, s’inquiète, s’aigrit, vit au hasard et se déçoit de vains semblants d’envie, jusqu’au jour où une balle le jette à terre et le force à plonger ses yeux vacillants dans la paix d’un ciel que ne souillent pas la fumée, le sang et les cris des batailles.

239. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Madame Roland, ses lettres à Buzot. Ses Mémoires. »

mais avez-vous donc oublié qu’à cette heure où Louis XVI avait péri, il n’y avait plus que deux ou trois habitants de ces ci-devant palais, des femmes comme vous, prisonnières comme vous, enfermées au Temple comme vous à Sainte-Pélagie, destinées à plus d’insultes, à plus d’outrages que vous n’en subîtes jamais ; — l’une surtout, une reine redevenue auguste par le courage et le malheur, une victime comme vous allez l’être, et que vous suivrez à trois semaines de distance sur le fatal échafaud ; celle même dont les pages secrètes retrouvées aujourd’hui viennent faire concurrence aux vôtres et avertir les cœurs généreux de ne rien maudire, de ne rien commettre d’inexpiable, et de réunir dans un même culte de justice et d’humanité tout ce qui a régné par la noblesse du sang, le charme de la bonté, par l’esprit, par le caractère, tout ce qui a lutté, combattu, souffert et grandi dans la souffrance, tout ce que le malheur a sacré ! […] Dans son amour de la grandeur historique et de la gloire, elle se disait qu’une belle mort, un noble flot de son sang généreux allait laver tout cela. […] est-ce que, pour confesser sa foi à la vertu, elle n’avait pas assez d’encre dans son sang, dans ce sang qu’elle allait verser ?

240. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre IV. Le patriarche de Ferney »

Il arriva le 10 février 1778, et logea chez le marquis de Villette : les députations de l’Académie, de la Comédie-Française, nombre de grands seigneurs, des princes du sang vinrent lui rendre hommage. […] Amour du bruit, réclame de journaliste, je le veux bien : horreur physique du sang et de la souffrance, je le veux bien encore : mais il a aussi un vif sentiment de la justice, un réel instinct d’humanité, de bienfaisance, de générosité. […] Conversation de l’intendant des menus avec l’abbé ***(1761) ; Olympie (1763) ; Traité sur la tolérance (1763) ; Questions de Zapata (1767) ; les Trois Empereurs en Sorbonne (1768) ; les Guèbres, ou la Tolérance (1769) ; le Cri du sang innocent (1775). […] Relation de la mort du chevalier de la Barre (1768) ; le Cri du sang innocent (1775).

241. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre I. La critique » pp. 45-80

L’intérêt de l’homme qui pense peut être d’avoir beaucoup d’or, mais l’intérêt de la pensée est de se rattacher à une patrie libre, telle que la peut seule maintenir l’héréditaire vertu du sang. Dans cette patrie libre, la pensée réclame pareillement de l’ordre, celui que le sang peut fonder et maintenir. […] Maurras s’écrie : « Le patriciat dans l’ordre des faits, mais une barbarie vraiment démocratique dans la pensée, voilà le partage des temps prochains : le rêveur, le spéculatif pourront s’y maintenir au prix de leur dignité ou de leur bien-être ; les places, le succès ou la gloire récompenseront la souplesse de l’histrion : plus que jamais, dans une mesure inconnue aux âges de fer, la pauvreté, la solitude, expieront la fierté du héros et du saint, jeûner, les bras croisés au-dessus du banquet, ou, pour ronger les os, se rouler au niveau des chiens. » Et pour sauver l’intelligence, il faut d’abord que l’intelligence veuille briser ses chaînes, qu’elle revienne à appuyer le triomphe de l’Épée, l’âme du sang et la race. […] Maurice Le Blond. — « Le romantisme avec tout ce qu’il contient de faux et d’outré sévit encore dans nos intelligences… il corrompt et brûle le sang de notre race… L’art de demain se distinguera sur tout par l’absence presque totale de ces techniques prétentieuses et subtiles… Les prochaines réformes littéraires aboutirent à un effort simpliste 24. » Et comme les autres, M. 

242. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « V. M. Amédée Thierry » pp. 111-139

Ôtez Dieu et l’action directe et personnelle de sa providence sur le monde, Attila n’est plus que l’indigéré de sang humain qui creva de celui qu’il avait versé, — a dit Chateaubriand. […] On a beaucoup trop parlé (et nous-même) de la pureté, de la santé et de la vigueur du sang barbare, de la généreuse transfusion qu’il venait opérer dans les sources mêmes de la vie des vieux peuples. […] ce frère, deux fois frère par le sang et par l’intelligence, et qui redoublait sa ressemblance avec son glorieux aîné en le reconnaissant pour son maître et en imitant sa manière ! […] Augustin Thierry en ses Récits mérovingiens, ces Récits très distribués, très entendus, très bien faits, dans le sens d’un art bien plus consommé qu’inspiré, n’ont point, la coloration énergique qu’on est en droit d’attendre d’un homme qui a traversé ce fleuve rouge des Chroniques et qui doit plaquer du feu et du sang sur tout ce qu’il touche !

243. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « X. M. Nettement » pp. 239-265

Ce burin de l’histoire qui coupe dans le bronze, et qui quand on écrit sur les choses contemporaines, trouve sous ce bronze le sang des amours-propres qui se met subitement à couler, ce burin tranchant, il ne s’en sert pas, et ce sang des amours-propres l’épouvante. […] Nettement en quelques paroles : Plus de lymphe que de sang, plus de sang que de muscles et plus de muscles encore que de nerfs !

244. (1896) Le IIe livre des masques. Portraits symbolistes, gloses et documents sur les écrivains d’hier et d’aujourd’hui, les masques…

ô sang, sang, ô Porte ! […] Ô Bacchus, couronné d’un pampre épais, Poitrine contre poitrine, tu te mêles à mon sang terrestre ! […] Je n’aime guère cette histoire, trop médicale, de transfusion du sang, mais le thème accepté, on est en présence d’un vrai drame d’aujourd’hui, hardi et vrai. […] Cependant le style de Ton sang n’est pas toujours assez pur, et trop parfois de vraie conversation, sous prétexte de « théâtre ». […] Les deux tragédies se rejoignent par cette idée que le sang de la femme, pur ou impur, haine ou amour, est une malédiction pour l’homme.

245. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Mignet : Histoire de la Révolution française, depuis 1789 jusqu’en 1814. 3e édition. »

Pendant que ces causes et ces passions avaient leurs effets et leur cours, les forces naturelles, physiques, physiologiques, n’étaient pas suspendues ; la pierre continuait de peser, et le sang de circuler. Que la fièvre inflammatoire, je le suppose, n’eût pas saisi Mirabeau, qu’une tuile un coup de sang eût tué Robespierre, qu’une balle eût atteint Bonaparte, la face des choses n’aurait-elle pas changé ?

246. (1874) Premiers lundis. Tome II « La Revue encyclopédique. Publiée par MM. H. Carnot et P. Leroux »

C’est ce que, depuis juillet, malgré la clameur universelle, il a exécuté avec une sévère et imperturbable logique ; c’est ce qui a fait sacrifier la République à la quasi-Restauration ; c’est ce qui a fait sacrifier l’honneur du nom français, le sang de la Pologne, la liberté de l’Espagne et de l’Italie, à l’exigence et au despotisme des rois ; c’est ce qui a fait sacrifier toute amélioration du sort de la classe ouvrière à l’étroit égoïsme de la classe bourgeoise, sacrifier aux menues fantaisies d’un fils de roi la somme destinée à l’éducation des fils de cent mille prolétaires ; c’est ce qui a maintenu l’impôt sur les boissons et sur le sel, et rejeté les blés étrangers par-delà nos frontières ; c’est ce qui a ouvert nos provinces aux insolentes violences des carlistes, troublé nos villes aux éclats de la voix des prolétaires se frayant une issue sur les places publiques, souillé nos régiments du sang des citoyens, et répandu de toutes parts sur le sol ces étincelles qui allument la guerre civile au sein des nations.

247. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La défection de Marmont »

Il n’a invoqué à la décharge de Marmont ni la collision des devoirs, ni le coup d’œil de l’homme politique éclairant l’homme de guerre, ni le salut du pays, ni l’économie des quelques gouttes d’un sang précieux, versé inutilement sur une terre qui en avait déjà tant bu. […] et je donne à ce mot toute sa profondeur, car Rapetti est un chrétien, l’inaltérable sévérité du moraliste y est davantage, et, teinte du sang de cette pitié secrète, elle y atteint parfois à quelques places la sublimité.

248. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Hebel »

Ce fut son talent qui fit sa vie ; et cette vie toujours calme, aisée, honorée, et qui monta sans luttes et sans obstacles jusqu’à cette dignité de rang qui est la dernière caresse de la fortune à ceux qui pourraient s’en passer, puisqu’ils ne vivent que pour les jouissances de l’esprit, a plus d’un rapport avec l’existence d’un homme heureux aussi parmi les poètes, mais qui, à son déclin, sentit dans le fond de son cœur le souci cruel de la confiance trahie et sur son front la sueur de sang du travail forcé. […] Buchon, et puisque selon nous il n’y a pas plus moyen de transfuser la poésie dans une langue étrangère que le sang d’un être vivant dans les veines taries d’un homme mort, nous aurions mieux aimé le mot à mot français plaqué tout uniment sur le texte allemand que tous les à peu près du traducteur-poète, de ce lutteur contre un Protée, qui veut saisir et reproduire le rhythme par le rhythme, le tour parle tour.

249. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Belmontet »

D’un bout à l’autre de l’Histoire, il n’y a que leurs deux empires qui s’élèvent, partagés par des siècles, sur le même plan d’unité souveraine, et, d’un bout de l’Histoire à l’autre, il n’y a non plus que les trompettes de Waterloo, étouffées aussi dans le sang de ceux qui les sonnent, qui puissent faire écho aux affres du cor de Roncevaux ! […] L’Empire, qui, plus qu’aucune époque de l’Histoire, eut cette gloire du sang généreusement versé, qui est la grande gloire, est mieux cependant qu’un fumant panorama de batailles : c’est tout un monde émergeant du chaos et prenant possession de la lumière !

250. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Erckmann-Chatrian » pp. 95-105

car, sous son fouet, son fouet fécondant comme la verge de Moïse, coula, avec le sang de l’amour-propre irrité, un flot de poésie qui ne s’arrêta plus, la plus belle poésie du monde moderne ! […] Malheureusement l’histoire, commencée sur ce grand pied mystérieux, tourne de la lycanthropie, que l’auteur a peur d’aborder et qui n’eût pas fait trembler Edgar Poe ou tout autre génie fantastique, au somnambulisme shakespearien, mais sans la goutte de sang sur la main coupable, et, au point de vue du fantastique, c’est là le plus triste fiasco.

251. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre premier. De la louange et de l’amour de la gloire. »

On peut dire que par elle le génie s’étend, l’âme s’élève, l’homme tout entier multiplie ses forces ; et de là les travaux, les méditations sublimes, les idées du législateur, les veilles du grand écrivain ; de là le sang versé pour la patrie, et l’éloquence de l’orateur qui défend la liberté de sa nation. […] Sparte fait graver quelques lettres sur les rochers teints de leur sang, voilà leur récompense.

252. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIIe entretien. Trois heureuses journées littéraires » pp. 161-221

Paye ta rançon avec la sève de tes arbres et avec le sang de tes veines. […] Jamais je ne pardonnerai à mon pays de m’avoir forcé, par sa dureté de cœur, à vendre, en pleurant sur sa crinière, mon dernier cheval de selle, nourri, élevé, dressé par ma main, pour payer de quelques pièces d’or, or à mes yeux sacrilége, une dette que j’aurais préféré payer de quelques onces de mon sang ! […] Mon aile s’est ouverte au vent que tu déchaînes ; Enivré de ton souffle, à l’odeur des prés verts, J’ai senti circuler, de mon sang à mes vers, L’esprit qui fait mugir les taureaux et les chênes. […] Nous gémissons sur ces éblouissements stupides des peuples qui déifient ceux qui jouent le mieux avec le sang, et qui semblent mesurer leur adoration au mal qu’on leur a fait. […] prenez de l’aïeul notre âme héréditaire, Enfants, gardez-la bien sans que rien ne l’altère ; Au sang qu’il me donna je n’ai rien ajouté, Mais je vous ai transmis sa ferme loyauté.

253. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Clermont et sa cour, par M. Jules Cousin. (Suite.) »

Voilà la façon de penser du plus sincère ami que vous ayez et qui s’appelle Louis de Bourbon. » Nous aurions dès ce moment, si c’était le lieu, à faire quelques remarques sur le style particulier de ce prince du sang, style médiocre, délayé, imagé pourtant, mais d’images volontiers basses et communes, comme de quelqu’un qui use avec un parfait sans gêne des plaisanteries courantes dans le populaire et jusque sur le théâtre de la Foire. […] C’était une sorte de triomphe pour les lettres que cet hommage que leur rendait un prince du sang, honoré jusqu’alors pour ses succès militaires, et qui, en voulant bien devenir un académicien, aspirait à être un égal. […] Du Clos ayant été fait évangéliste (vérificateur du scrutin), M. le comte de Clermont, prince du sang, a eu la pluralité des suffrages, tant par le scrutin des billets que par celui des boules.

254. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens III) Henri Rochefort »

Et tout mouvement de la rue, toute grève en province, même tachée de sang, est sûre de l’avoir pour elle, sans examen. […] Rochefort la plus cruelle injure que de prendre son œuvre de journaliste pour une série d’exercices littéraires, car ces exercices ont fait et feront peut-être encore couler du sang. […] Et c’est pour y suffire qu’il encourage les grèves et les émeutes et que, sur son journal lu dans les faubourgs, sa plume de fin lettré fait parfois, comme sur un tablier de boucher, des éclaboussures de sang.

255. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 13, qu’il est des sujets propres specialement pour la poësie, et d’autres specialement propres pour la peinture. Moïens de les reconnoître » pp. 81-107

L’un meurt vuide de sang, l’autre plein de sené. […] Ce n’est pas la quantité du sang répandu, c’est la maniere dont il est versé qui fait le caractere de la tragedie. D’ailleurs le tragique outré devient froid, et l’on est plus porté à rire d’un poëte, qui croit devenir pathetique à force de verser du sang, qu’à pleurer à sa piece.

256. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre premier. Considérations préliminaires » pp. 17-40

Les dynasties sont renversées, des générations entières sont noyées dans le sang ; mais les institutions restent. […] Le Bédouin a fui devant nos phalanges ; les palmes de l’Idumée ont cru voir une seconde fois les soldats du Christ revendiquer des royaumes acquis au prix du sang ; les habitants de la Seine, du Rhône et de la Loire, sont allés chercher de glorieux tombeaux sur les bords du Rhin, sur les rives du Pô, parmi les campagnes du Guadalquivir. […] réunissons-nous du moins dans la noble et touchante confraternité du malheur ; car elles nous ont été aussi enlevées à leur tour, ces dépouilles opimes du monde, ces brillants trophées de la gloire que nous avions achetés par tant de travaux, par tant de sang et tant de larmes.

257. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIII. Des éloges ou panégyriques adressés à Louis XIV. Jugement sur ce prince. »

La paix tarit le sang, et ne diminua point les charges publiques. […] Il faut, pour le bonheur d’un peuple, que l’industrie soit exercée et ne soit pas fatiguée ; il faut qu’il soit encouragé au travail par le travail même ; que chaque année ajoute à l’aisance de l’année qui la précède ; qu’il soit permis d’espérer quand il n’est pas encore permis de jouir ; que le laboureur, en guidant sa charrue, puisse voir au bout de ses sillons la douce image du repos et de la félicité de ses enfants ; que chaque portion qu’il cède à l’État, lui fasse naître l’idée de l’utilité publique ; que chaque portion qu’il garde, lui assure l’idée de son propre bonheur, que les trésors, par des canaux faciles, retournent à celui qui les donne ; que les dépenses et les victoires, tout, jusqu’au sang versé, porte intérêt à la nation qui paie et qui combat ; et que la justice même, en pesant les fardeaux et les devoirs des peuples, n’use pas de ses droits avec rigueur, et se laisse souvent attendrir par l’humanité, qui n’est elle-même qu’une justice. […] Louis XIV, armé de la souveraineté, commandait à des hommes qui lui devaient en tribut leur sang et leur génie.

258. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XIV. »

Mais tu ne croiras pas, avant d’avoir inondé ces plaines de ton sang, et jusqu’à ce que ce fleuve apporte des milliers de tes morts dans la vaste mer, à l’extrémité de la terre fertile, et que ta chair serve de pâture aux poissons, aux oiseaux, et aux bêtes féroces qui habitent ces terres. » Puis, de cette réminiscence homérique appliquée si tragiquement aux blessures récentes de Rome, la même prédiction, le même texte mystérieux, passait à d’autres révélations plus consolantes : « Romains, disait-il, si vous voulez chasser l’ennemi et ce chancre dévorant qui vous est venu de loin, il faut, c’est mon avis, consacrer des jeux qui, chaque année, se renouvellent pieusement pour Apollon, le peuple en acquittant une partie et les citoyens le reste, chacun pour soi. […] je t’ai vu, dans l’abondance de tes richesses d’Orient, sous des lambris d’or et d’ivoire, royalement paré ; et tout cela, je l’ai vu ravagé par la flamme, la vie arrachée à Priam, l’autel de Jupiter souillé du sang de Priam et les restes du roi à demi consumés, ses ossements à nu déchirés en lambeaux sur la fange sanglante. […] La meilleure postérité de Priam, à tes yeux, c’est une autre que moi : ma douleur, c’est que je sois importune et eux utiles, que je gêne et qu’ils plaisent. » Bientôt, d’une douleur en apparence résignée, la jeune fille, emportée par sa terreur prophétique, s’élève à ce langage : « La voici, la voici la torche enveloppée de flamme er et de sang : elle resta cachée, longues années.

259. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIIe entretien. Balzac et ses œuvres (3e partie) » pp. 433-527

N’est-ce pas mon sang ! […] que vous sentirez ces petites créatures tenir à chaque goutte de votre sang, dont elles ont été la fine fleur, car c’est ça ! […] Un regard d’elles, quand il est triste, me fige le sang. […] La noblesse du sang lutte en lui contre l’influence de Vautrin. […] Ses cheveux fins et cendrés la faisaient souvent souffrir, et ces souffrances étaient sans doute causées par de subites réactions du sang vers la tête.

260. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Casanove » pp. 192-197

Chantez de nous ce que vous en aurez vu, que notre mémoire dure éternellement dans notre patrie, et que ce soit la récompense du sang que nous aurons versé pour elle. " ces hommes sacrés étaient également respectés des deux partis. […] Tu aurais dit d’un de tes combattans qu’il avait reçu à la tête ou au cou une énorme blessure ; mais le poëte dit : la flèche l’atteignit au-dessus de l’oreille, entra, traversa les os du palais, brisa les dents de la mâchoire inférieure, sortit par la bouche, et le sang qui coulait le long de son fer tombait à terre en distillant par la pointe… ces épithètes générales sont d’autant plus misérables dans le style français, que l’exagération nationale les appliquant usuellement à de petites choses les a presque toutes décriées.

261. (1868) Curiosités esthétiques « III. Le musée classique du bazar Bonne-Nouvelle » pp. 199-209

Sur le pupitre vert placé devant lui sa main tient encore la lettre perfide : « Citoyen, il suffit que je sois bien malheureuse pour avoir droit à votre bienveillance. » L’eau de la baignoire est rougie de sang, le papier est sanglant ; à terre gît un grand couteau de cuisine trempé de sang ; sur un misérable support de planches qui composait le mobilier de travail de l’infatigable journaliste, on lit : « A Marat, David. » Tous ces détails sont historiques et réels, comme un roman de Balzac ; le drame est là, vivant dans toute sa lamentable horreur, et par un tour de force étrange qui fait de cette peinture le chef-d’œuvre de David et une des grandes curiosités de l’art moderne, elle n’a rien de trivial ni d’ignoble.

262. (1912) Réflexions sur quelques poètes pp. 6-302

On fait venir un chirurgien qui trouve le blessé baignant dans son sang. […] voici le poignard qui du sang de son maître S’est souillé lâchement. […] de vouloir que la rougeur du sang dont est teint le poignard d’un homme qui vient de s’en tuer lui-même soit un effet de la honte qu’a ce poignard de l’avoir tué !  […] Tenez, voilà le sang que vous m’avez donné. […] Nous apprenons bientôt que l’ombre implacable de Laïus demande une victime de son sang.

263. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre premier. Les fonctions des centres nerveux » pp. 239-315

On introduit de la digitale dans le sang, et ce sang altéré provoqué par lui des sensations de flamboiement. — Pareillement, le nerf acoustique107 ne nous donne jamais que des sensations de son, quel que soit l’événement extérieur qui le mette en branle, ondulation aérienne, électricité, irritation du sang, narcotiques introduits dans le sang. — Il en est de même pour les autres sens, notamment pour celui du toucher. Les nerfs tactiles, mieux que tous les autres, peuvent être mis en expérience ; car ils sont excités par une quantité d’événements extérieurs différents, contact et pression mécaniques, actions chimiques des caustiques, de l’air et du sang, changement de température, ondulations éthérées ou aériennes, section du bistouri ; toujours leur action aboutit à une sensation de contact, de pression, de température ou de pure douleur. […] Le même narcotique, introduit dans le sang, éveille des flamboiements en agissant sur le nerf optique, des tintements en agissant sur le nerf acoustique, des fourmillements en agissant sur les nerfs tactiles. — Ainsi chaque nerf d’espèce distincte a son mode d’action personnel et distinct. […] Une pression exercée sur le cerveau proprement dit amène toujours le délire ou la stupeur, suivant qu’elle a lieu avec ou sans irritation, et le résultat est le même, qu’elle soit déterminée par une pièce d’os enfoncée, ou par un corps étranger, ou par de la sérosité, du sang, du pus. […] Cette plaie, qui comprenait non seulement les membranes du cerveau, mais le sinus longitudinal et le cerveau lui-même, fut suivie de syncope à cause de la perte du sang, mais138 ne donna lieu à aucun accident grave et fut guérie en deux mois et demi.

264. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre I. Principe des mœurs sous l’Ancien Régime. »

Les princes et princesses du sang, ayant le droit « d’envoyer prendre du poisson à la recette les jours maigres, quand ils ne font pas à la cour de résidence suivie », ce seul article revient, en 1778, à 175 116 livres. […] Je vois d’abord, autour de la cour, une douzaine de cours princières chaque prince ou princesse du sang a, comme le roi, sa maison montée, payée en tout ou en partie sur le Trésor, distribuée en services distincts, avec gentilshommes, pages, dames pour accompagner, bref cinquante, cent, deux cents et jusqu’à cinq cents charges. […] Les ministres, les princes du sang eux-mêmes lui en rendaient. […] « À mon arrivée à Versailles (1786) on y comptait 150 pages, sans compter ceux des princes du sang qui résidaient à Paris. […] Les grandes entrées faisaient leur cour à l’heure de la toilette. « Cette entrée comprenait les princes du sang, les capitaines des gardes, et la plupart des grandes charges. » — En tout trois entrées le matin chez la reine. — Même cérémonial que pour le roi au sujet de la chemise.

265. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (3e partie) » pp. 249-336

Lisez cette déroute, écrite avec la fougue, la poudre et le sang de la bataille elle-même. […] Il lui restait pour l’absoudre le bien à faire à l’Espagne et par l’Espagne à la France. » (Comme si on pouvait jamais s’absoudre du sang innocent et du larcin d’un peuple par les avantages résultant d’un attentat et d’une perfidie !) […] Napoléon songeait déjà à lui demander la plus personnelle de ses concessions : une épouse impériale du sang des Césars d’Allemagne pour s’apparenter au passé, ce prestige des monarchies. […] Le cœur humain ne perd jamais ses droits dans l’histoire : quand l’intérêt descend de la tête dans le cœur, l’historien mêle heureusement quelques larmes de femmes à tout ce sang qui n’excite qu’une pitié abstraite dans l’âme des lecteurs. […] Arrêtons-nous ici, et voyons si l’écrivain aura la constance de conduire son héros jusqu’à Waterloo, où il tombe enfin dans le sang de ses derniers compagnons d’armes pour ne plus se relever que dans l’imagination sans mémoire des peuples.

266. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Granier de Cassagnac » pp. 277-345

Comme mademoiselle de Sombreuil, elle doit boire, jusqu’au fond, son calice de sang et de fange. […] Dans son Histoire des causes de la Révolution, Cassagnac avait eu pour but principal de montrer la petitesse de cœur et d’esprit des prétendus grands hommes révolutionnaires sans nulle exception, de faire toucher du doigt le manque de solidité] réelle de tous ces épouvantails de coton (ainsi que le disait le vieux Mirabeau de son fils), qui s’imbibèrent du sang de la France comme des éponges, et jamais dessein ne fut mieux rempli. […] On y verra que cet homme n’a pas mal de sang sur les mains. […] Camille Desmoulins en fut un très grand, lui, mais c’est encore son échafaud qui a donné aux pages qu’il a écrites l’éclat du sang et leur vermillon immortel Loustalot, comme journaliste aussi grand qu’eux, mais qui, comme eux, n’eut pas le point de rappel, splendide et terrible, de l’échafaud, Loustalot est oublié, et Carrel, plus près de nous et dont on a voulu éditer les œuvres il y a quelques années, fut trouvé si désespérant de manque d’intérêt et de talent mort que l’édition fut abandonnée. […] Les deux autres avaient plus de flamme, plus d’ardeur de sang, plus de bile, de venin et presque de vitriol à leur service.

267. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIe entretien. L’Arioste (2e partie) » pp. 81-160

La guerre n’inspira jamais mieux aucun barde ; le sang coule de la plume d’Arioste avec autant de verve que l’amour et la plaisanterie. […] Zerbin le couche sur l’herbe, en attendant qu’il revienne étancher généreusement le sang de sa blessure ; il s’éloigne un moment pour punir le féroce soldat qui a frappé cet enfant. […] « Angélique descend de son coursier et fait descendre comme elle le pasteur ; elle pile à l’aide d’une pierre les simples, en fait découler le suc entre ses blanches mains ; elle le distille et l’étend sur le sein, sur les flancs et sur les hanches du blessé ; la salutaire liqueur arrête le sang et rend la vie à Médor. […] Isabelle, tremblante, assiste au combat ; Zerbin a sa cuirasse fendue de la tête au cœur par l’épée de Mandricaud ; mais ce premier coup, dit le poète, ne pénètre qu’à peine au-dessous de la peau de Zerbin ; son sang tiède dessine en coulant une longue ligne de pourpre sur sa cuirasse éclatante. […] » Zerbin succombe sous un coup plus mortel ; couché sur l’herbe dans son sang, ses derniers adieux à Isabelle, et ses derniers soupirs recueillis par les lèvres de cette amante sont des sanglots écrits pour l’éternelle consonance des cœurs aimants séparés par la mort.

268. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

» alors, du Gange à l’Ilissus, Le fer luit, le sang coule. « Aimez-vous !  […] Du fond de cette argile animée, livrée en proie à tous les instincts de la brute et, comme la brute, souillée de sang, une force surgira, pourtant, capable d’opposer à l’immorale Nature l’idée du juste et du vrai : la science. […] Tandis que le jaguar rêve de sang, l’homme, parfois, rêve d’idéal ; tous les deux sont les enfants de la même Nature. […] Avec quelle vérité d’expression et quelle sympathie il a su peindre cette femme seule, dont il nous fait deviner la tristesse : Elle était pâle et brune ; elle avait vint-cinq ans ; Le sang veinait de bleu ses mains longues et fières ; Et, nerveux, les longs cils de ses chastes paupières Voilaient ses regards bruns de battements fréquents. […] Et à l’en croire, il ne blasphème pas attirer l’attention de la foule ; non, il blasphème parce qu’il est « touranien », parce qu’il a dans ses veines le vieux « sang » barbare et « blasphématoire », parce qu’il a sa « la peau jaune », des « os fins », des « yeux de cuivre » et que ses aïeux « massacraient gaiement leurs enfants mal venus et leurs parents trop vieux. » Il ne croit point qu’il y ait un Dieu, n’importe, il lui montre le poing, il le défie en sent.

269. (1856) Cours familier de littérature. I « IIIe entretien. Philosophie et littérature de l’Inde primitive » pp. 161-239

Mais jamais l’ambition, la gloire ou la conquête n’ont versé plus de sang sur les champs de bataille qu’on n’en a versé depuis soixante ans. Le nom de Napoléon, qu’on appelle le Grand, a coûté la vie à des millions d’hommes en moins de vingt ans ; et tant de sang humain répandu n’a déplacé ni une borne ni une idée en Europe. […] La pensée d’un seul est le levain d’une multitude, la vertu d’un seul sanctifie une foule, le sang d’un seul rachète une race ; le plus glorieux ou le plus humble dévouement sauve ou grandit tout un siècle. […] Le chevreuil tomba, l’épaule cassée par la balle, bondissant en vain dans sa douleur sur l’herbe rougie de son sang. […] Mon chien lui-même parut attendri ; il ne flaira pas le sang, il ne remua pas du museau le cadavre, il se coucha triste à côté de moi.

270. (1857) Cours familier de littérature. III « XIIIe entretien. Racine. — Athalie » pp. 5-80

Ce n’est qu’alors aussi que se forment ces grands acteurs aussi rares que les grands poètes, qui, comme Roscius, Garrick, Talma, Rachel, Ristori, personnifient, dans un corps et dans une diction modelés sur la nature par l’art, les grandes ou touchantes figures que l’histoire ou l’imagination groupent sur la scène dans des poèmes dialogués pétris de sang et de pleurs. […] Les caractères s’étaient vigoureusement retrempés dans ce sang et dans ce feu des guerres sacrées. […] Enfin la troisième de ces causes, c’est que le poète dramatique ou tragique ne peut, par la concentration forcée de son drame, saisir ses héros ou ses personnages que dans un accès de passion extrême de leur vie et de leur destinée, au point culminant de leurs sentiments, au moment où leur âme éclate ou se déchire en larmes, en cris ou en sang, sous la main de la pitié ou de la terreur. […] Il encourage Esther à tout oser pour renverser ce ministre et sauver le sang de son peuple. […] N’est-elle pas au sang dont vous êtes issue ?

271. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre I : Variations des espèces à l’état domestique »

Mais je puis déclarer ici qu’à l’égard du Chien, après un laborieux examen de tous les faits connus, je suis arrivé à conclure que plusieurs espèces sauvages de Canides ont été domptées et que leur sang, plus ou moins mêlé, coule dans les veines de nos nombreuses races domestiques. […] Il n’est à supposer pour personne que le propriétaire de l’un ou de l’autre troupeau ait jamais mélangé le pur sang de la race Bakewell ; et cependant la différence entre les Moutons de M.  […] Pour expliquer l’apparition fréquente de ces caractères chez les diverses races du Pigeon domestique, il faudrait admettre ou que le Pigeon Biset, bien que ne les présentant jamais, descend d’un prototype qui les possédait, et qu’à chaque génération il a une tendance, si faible que ce soit, à les produire ; ou bien que le sang d’une autre espèce de Colombins huppés et pattus est mêlé dans toutes nos races à celui du Pigeon Biset. […] Or, sous ce rapport, la grande variabilité des Pigeons domestiques semblerait appuyer l’opinion qu’ils ne descendent pas d’une souche unique, lors même qu’on ne supposerait que de légères différences entre les diverses souches originaires dont le sang mêlé en elles n’aurait eu d’autre effet que de causer une plus grande variabilité en tous sens. […] Le second, chez lequel s’est mêlé le sang du Fox Hound (C. gallicus), et du Harrier, deux races de chiens courants, a l’inctinct moins sûr, mais l’emporte encore à cet égard sur le Setter, produit croisé du Chien d’arrêt anglais (English Pointer) et de l’Épagneul.

272. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre II. Les bêtes »

Il décrit avec complaisance cette âme charmante que Gassendi appelait « la fleur la plus vive et la plus pure du sang. » Il « subtilise un morceau de matière, un extrait de la lumière, une quintessence d’atome, je ne sais quoi de plus vif et de plus mobile encore que le feu. » Il met cette âme en l’enfant comme en l’animal, et nous fait ainsi parents de ses bêtes. […] Nous avons le même plaisir que devant un beau tableau ou un beau livre ; au plus fort des passions qu’il nous présente, nous savons que les personnages sont des fantômes, et que ce n’est point un sang véritable que nous voyons couler. […] Il dit que du labeur des champs Pour nous seuls il portait les soins les plus pesants, Parcourant sans cesser ce long cercle de peines Qui, revenant sur soi, ramène dans nos plaines Ce que Cérès nous donne et vend aux animaux ; Que cette suite de travaux Pour récompense avait, de tous tant que nous sommes, Force coups, peu de gré ; puis, quand il était vieux, On croyait l’honorer chaque fois que les hommes Achetaient de son sang l’indulgence des dieux. […] « Comme des loups nourris de chair crue, qui ont dans le coeur une force invincible, ils ont dépecé dans les montagnes un grand cerf aux longues cornes ; ils le dévorent ; leurs joues sont rougies de sang. Ils vont en troupe à une source profonde pour laper avec leurs langues étroites la surface de l’eau noire, vomissant le sang du meurtre ; leur coeur ne tremble point dans leurs poitrine, et leur ventre chargé de viande gémit. — (Chant XVI, 15.)

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