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1755. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre II. Des poëtes étrangers. » pp. 94-141

Cet ouvrage renferme non-seulement la vie littéraire & la vie politique de Pétrarque ; on y a fait entrer une version en vers de la plupart de ses ouvrages, imitation qui tient plus de l’exactitude de la traduction que de l’élévation de la poésie. […] Des images riches, agréables & toujours variées ; des peintures naturelles de la vie champêtre, font l’ornement de sa prose. […] On y sent un homme dont la vie a essuyé beaucoup de traverses, & qui a formé son jugement dans l’amertume des adversités. […] Cette version dans laquelle le génie du Poëte italien reprenoit une nouvelle vie, fut le titre de sa réception à l’Académie Françoise. […] Les charmes de la vie champêtre y sont peints avec les couleurs les plus vives & les plus naturelles.

1756. (1913) La Fontaine « III. Éducation de son esprit. Sa philosophie  Sa morale. »

Je parlerai aujourd’hui de l’éducation d’esprit qu’il s’est donnée à lui-même pendant toute sa vie. […] L’amour de La Fontaine pour l’Astrée a, du reste, continué toute sa vie. […] Je dois de plus vous indiquer que fort avant dans sa vie littéraire et dans sa vie proprement dite, La Fontaine dit encore : Des bergères d’Urfé chacun est idolâtre. […] Nous arrivons à ce qu’il nous a donné comme règle de vie et d’existence. […] Le loup, qui préfère sa vie indépendante et pauvre à la servitude que le chien accepte.

1757. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « L’abbé de Bernis. » pp. 1-22

Ce goût littéraire prononcé, qui était comme une affiche de vie insouciante et mondaine, nuisait beaucoup à Bernis pour sa carrière. […] Celui-ci entre avec lui dans tous les détails de sa vie d’ambassade : « Ma maison est décente, bien meublée ; on n’y voit rien qui sente le cadet de Gascogne. Je tâche, en même temps, qu’elle soit rangée. » Comme tous les absents de Paris, il en ressent aussitôt le vide, se plaint de sa vie languissante, et regrette la société : « Au reste, si l’on est heureux quand on n’a rien à faire, quand on vit avec des gens à qui on n’a rien à dire, je le suis. […] Il est presque toujours dangereux de vouloir les forcer ; on n’y gagne que des tourments qui s’accroissent à mesure que nos espérances semblent s’éloigner, et c’est ainsi que l’on passe sa vie, sans y trouver un moment de satisfaction. […] Duclos, l’ami et le confident de Bernis, nous a très bien rendu l’emploi de sa vie durant ces années qui vont être si occupées.

1758. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — I. » pp. 134-154

Il avait de tout temps écrit ou fait rédiger les journaux et mémoires des actions principales et des événements importants de sa vie ; il chargea en définitive quatre secrétaires d’en faire un extrait considérable et un recueil à l’usage du public : Monseigneur, est-il dit dans la dédicace, Votre Grandeur ayant commandé à nous quatre, que vous connaissez assez, de revoir et considérer bien exactement certains mémoires que deux de vos anciens serviteurs et moi avons autrefois ramassés et depuis fort amplifiés, etc., etc., de toutes lesquelles choses nous nous sommes acquittés le mieux qu’il nous a été possible, etc. […] L’hôte chez lequel il était logé et qui était huguenot, voulait, pour sauver sa vie, aller à la messe et y emmener le jeune Rosny. […] Le chapitre vie des Mémoires a cela de remarquable qu’il est copié sur un ancien recueil écrit tout entier, disent les secrétaires, de la main de Sully et qui doit être de sa composition même. […] Sully eut, dans sa vie, deux femmes ; on a mal parlé de la seconde ; mais cette première est toute pure, gentille d’esprit, et telle qu’on peut se la figurer à souhait auprès de ce mari sérieux et sévère. […] En cette saison gracieuse, reposée et unique peut-être dans sa vie, Rosny, âgé de près de vingt-sept ans, dans sa maturité première et, si l’on ose dire, dans sa fleur d’austérité, n’avait pas encore cette mine rébarbative qu’il eut depuis, et que nous lui verrons prendre successivement à travers les fatigues, les périls, les contentions et les applications de toutes sortes, où sa capacité opiniâtre, son ambition légitime et jalouse, son amour du bien public et de l’honneur de son maître l’engagèrent de plus en plus.

1759. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres, publiées par M. de Falloux. »

Sa vie et ses œuvres, publiées par M. de Falloux26. […] Elle n’avait pas de beauté : petite, les yeux légèrement discordants, la pointe du nez kalmouke, mais avec cela une physionomie qui exprimait la force de la vie et là pénétration de l’intelligence. […] Si je ne m’étais hâtée de jeter un voile noir sur ma vie, pourrais-je supporter l’idée de la mort ? […] c’est cinq minutes d’exaltation religieuse qui suffirent pour obtenir tous les sacrifices et pour donner au reste de ma vie la direction qu’elle a prise. […] De tels sentiments sont de l’ordre le plus respectable et des plus faits pour honorer la nature humaine : sans eux qu’est la vie, même la plus aimable ?

1760. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin »

C’est ainsi encore qu’en plein désert, durant une nuit caniculaire, il dira : « L’heure était si belle, la nuit si tranquille, un si calmant éclat descendait des étoiles, il y avait tant de bien-être à se sentir vivre et penser dans un tel accord de sensations et de rêves, que je ne me rappelle pas avoir été plus satisfait de ma vie… » Un si calmant éclat, voilà encore un effet moral qui devient une nuance pittoresque, et la beauté du son, sa largeur, s’y joint pour compléter l’impression. […] Pénétrer plus avant qu’il n’est permis dans la vie arabe, me semble d’une curiosité mal entendue. […] C’est ici que je voudrais voir le Sphinx égyptien. » Enfin ce long et lent midi s’écoule ; peu à peu les couleurs, les demi-rougeurs reparaissent avec les ombres ; les oiseaux se remettent à chanter ; le bruit de la vie renaît insensiblement ; l’éclat recommence avec l’inclinaison de la lumière : il est une heure de ce déclin où « le désert ressemble à une plaque d’or ». […] Il en a, pour sa vie durant, de sa provision de soleil. […] Même dans ce pays de désolante ardeur où il n’y a plus lieu de dire avec Bernardin de Saint-Pierre « qu’un paysage est le fond du tableau de la vie humaine », même au sein de cette accablante nature, avec lui, l’homme ne fait jamais défaut ; la pensée et la vie du témoin, sa sympathie, ne sont jamais absentes.

1761. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET. » pp. 177-201

Le poëte de dix-neuf ans remuait l’âme dans ses abîmes, il en arrachait la vase impure à une étrange profondeur ; il culbutait du pied le couvercle de la tombe : à lui les femmes en cette vie, et le néant après ! […] Lui aussi, le plus intrépide et le plus adroit des chasseurs tyroliens, l’orgueil l’égare ; l’envie de toute supériorité l’ulcère ; il repousse ses joyeux compagnons et la vie simple ; il incendie en un jour de frénésie sa chaumière natale, rencontre un palatin avec sa maîtresse en croupe, dans une gorge étroite, se prend de querelle, tue l’un et emmène l’autre, délaissant sa douce fiancée d’enfance, la pure Déidamia. […] Las de toutes choses, l’image de sa fraîche Déidamia le poursuit cependant ; un bouquet d’églantine, qu’elle lui a jeté au départ, ne l’a jamais quitté ; il la revoit, il veut redevenir bon, simple, frapper sur l’épaule à tous voisins, et reprendre la vie de gai chasseur. […] De quel sang es-tu fait, pour marcher dans la vie Comme un homme de bronze, et pour que l’amitié, L’amour, la confiance et la douce pitié, Viennent toujours glisser sur ton être insensible, Comme des gouttes d’eau sur un marbre poli ? […] chacun a le cri à son tour. » Tieck, dans une Vie de Poëte, a bien fidèlement décrit ce mouvement de tristesse jalouse, quand Marlov se voit d’abord en présence du drame levant de Shakspeare.

1762. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Adrienne Le Couvreur. » pp. 199-220

Mais la grande passion de Mlle Le Couvreur, celle qui mit fin aux hasards de sa première vie, ce fut son amour pour le comte de Saxe, lequel vint pour la première fois en France en 1720, et s’y fixa en 1722, sauf les fréquentes excursions et les aventures. […] C’est le plus respectueux enfant et le plus honnête homme que j’aie jamais vu de ma vie. […] Je lui écrirai ce qu’il vous plaira ; je ne le verrai de ma vie, si vous le voulez ; j’irai même à la campagne, si vous le jugez nécessaire ; mais ne le menacez plus de l’envoyer au bout du monde. […] L’usage du monde, le temps et un peu de raison m’ont convaincue qu’il faut beaucoup d’indulgence dans la vie ; mais ceux qui en ont le moins de besoin ne perdent rien avec moi : je leur donne, à la place, tout autant d’estime et d’admiration qu’il me paraît qu’ils en méritent. […] La dernière année de la vie de Mlle Le Couvreur fut troublée par une étrange aventure qui a autorisé le bruit d’empoisonnement.

1763. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire des travaux et des idées de Buffon, par M. Flourens. (Hachette. — 1850.) » pp. 347-368

Durant ces cinquante années de travaux, la vie de Buffon est uniforme. […] Au milieu de cette vie tumultueuse, de cette vie dissipée et morcelée du xviiie  siècle, Buffon s’isole ; il trouve dans la force de son caractère, dans son amour élevé de la gloire et dans le puissant intérêt de l’étude immense à laquelle il s’est voué, de quoi résister à toutes les irritations, à toutes les chétives tentations d’alentour. […] Cette haute dignité personnelle préside à toute la vie de Buffon. […] Dans un Discours sur la théorie de la terre, il cherchait à déterminer au préalable la structure et le mode de formation de ce globe terrestre, théâtre de la vie des animaux et de la végétation des plantes ; il cherchait, d’après les grands faits géologiques alors connus, à en fixer les révolutions successives dès l’origine jusqu’à son état de consistance et de composition actuelle. […] Dans l’habitude de la vie, Buffon affectait de respecter tout ce qui est respectable, et quand il était à Montbard, il observait même régulièrement les pratiques du culte : il était homme à y prendre part avec une sorte d’émotion sincère, par l’imagination et la sensibilité 50.

1764. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Rivarol » pp. 245-272

Rivarol Œuvres de Rivarol, études sur sa vie et sur son esprit, par MM.  […] Il fut cette flamme qui s‘éteint lorsque la vie a quitté nos lèvres. […] Et qu’est-ce enfin que la préface de ce Dictionnaire impossible, qui fut la chimère caressée de toute sa vie, sinon encore, comme toute préface, un discours préliminaire, — un discours ! […] C’était là, il me semble, ce qu’il fallait dire, puisqu’on risquait ce nom de de Maistre auprès du nom de Rivarol, il fallait tirer de la vie de Rivarol, jetée à tous les vents du monde et des ouvrages plutôt parlés qu’écrits de cet écrivain, un enseignement sévère et un avertissement utile. […] Je l’ai dit plus haut, mais avec désespoir : pour avoir ce Rivarol-là qui ne peut pas sortir des livres qu’on exhume aujourd’hui, pour avoir une idée de ce génie de la conversation évaporé avec la vie, nous n’avons plus que la biographie de M. de Lescure, qui ne l’a pas entendu… Insuffisante et impatientante biographie, très bien faite pourtant.

1765. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres de François Arago. Tome I, 1854. » pp. 1-18

Quand on vieillit, sur quel âge de la vie peut-on se reporter avec plaisir, sinon sur sa jeunesse ? […] Arago, à l’âge de vingt ans, eut la joie de se sentir chargé d’une de ces missions qui honorent toute une vie de savant. […] Ainsi dans la biographie de James Watt, l’immortel perfectionneur et l’applicateur véritable de la machine à vapeur, celui qui, le premier, lui a donné l’organisation et la vie, on aurait besoin de figures pour tout comprendre. […] Ceux qui l’ont connu et cultivé dans les dernières années de sa vie, les Walter Scott, les Jeffrey, le trouvaient encore plus étonnant et plus admirable de près dans sa personne que dans ses œuvres : « Jeffrey, dans une éloquente notice, a dit M.  […] Arago a introduites dans ses jugements des savants, qui n’y donnent une certaine vie, tant qu’elles n’excèdent pas la mesure.

1766. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — II. (Fin.) » pp. 427-443

Ce moment me fournirait des épisodes, et l’idée m’en paraît philosophique ; car c’est dans l’automne de la vie qu’on peut espérer de jouir du repos. […] Peut-être est-ce le défaut des peintres : ils aiment trop à être bien, à avoir une vie qui ressemble à celle des bons propriétaires… À Venise, il se laisse peu à peu gagner à la couleur : il voudrait donner au costume de ses pêcheurs et de ses femmes quelque chose qui rappellerait les étoffes vénitiennes des siècles précédents : Les femmes en hiver ont des robes en laine avec d’immenses dessins de toutes les couleurs les plus vives. […] Quand, au contraire, je suis content, je suis autant occupé, mais d’une autre manière. » Ainsi se passa, tant qu’il fut maître de lui et que sa volonté tint les rênes, cette vie laborieuse et exemplaire. […] Léopold Robert avait des besoins de cœur de plus en plus timides et de plus en plus profonds avec l’âge : « Je ne peux m’expliquer, pensait-il, comment on peut trouver dans ce monde des êtres qui paraissent n’éprouver aucun besoin de nourrir le cœur. » Il craignait avec les années le refroidissement graduel de ce qui fait la vie morale : « En vieillissant, on devient d’un froid de cœur ! il semble qu’on n’a plus rien à y mettre, et qu’il est fermé aux sentiments qui donnent tant de jouissances à la jeunesse. » Il résistait à l’égoïsme et à ce goût de jouissances positives qui prend certaines natures, même distinguées, dans la seconde partie de la vie : « Une vie matérielle qui peut convenir à beaucoup n’a jamais pu m’accommoder ; et, à présent que pour nous elle pourrait remplacer celle des illusions, il est impossible qu’elle me satisfasse assez pour me donner du plaisir d’être habitant de la terre. » C’est ainsi qu’il parlait à ses amis Schnetz ou Navez ; mais avec M. 

1767. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les cinq derniers mois de la vie de Racine. (suite et fin.) »

Les cinq derniers mois de la vie de Racine. […] Hamon dans le cimetière, quoiqu’il se soit rendu indigne, dit-il dans un acte olographe fait exprès pour cet article, qu’on lui accordât cette grâce après sa vie scandaleuse et le peu de profit qu’il avait fait de l’excellente éducation qu’il avait reçue dans la maison de Port-Royal. […] Elle est ici, Monsieur, d’une très-bonne odeur comme les vingt dernières années de sa vie : car c’est depuis tout ce temps-là qu’il avait renoncé si absolument à ce qu’il avait fait pour le théâtre dans sa jeunesse, que nulle puissance de la terre n’avait été capable de l’y faire retourner, quelque pressantes sollicitations qu’on lui en ait faites. […] Pardonnez tout ce détail, monsieur, à un ami qui s’étend volontiers sur tout ce qui regarde un tel ami, dont ces restes vivants lui sont précieux. » Tel est notre tribut particulier d’informations, notre complément scrupuleux, minutieux, mais qui n’est certes pas sans prix sur les cinq derniers mois de la vie de Racine. […] Racine ; car, comme il avait le cœur fort pénitent depuis longtemps, il y a sujet de le croire, par la miséricorde du Seigneur, en possession de ce bienheureux repos où l’on prie efficacement pour ceux qui sont dans le trouble des passions de la vie. » Touchante et sainte confiance !

1768. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre II »

. — « Avril : Absorption complète, refus de parler, toute l’après-midi, son chapeau de paille lui barrant la vue, il reste assis en face d’un arbre, dans une immobilité tristement farouche. » 8 avril : « Peu à peu il se dépouille de l’affectuosité, il se déshumanise ; les autres commencent à ne plus compter pour lui et recommence en lui le féroce égoïsme de l’enfant. » 16 avril : « Ce qu’il y a d’affreux dans ces abominables maladies de l’intelligence, c’est qu’elles détruisent souterrainement et à la longue, chez l’être aimant qu’elles frappent, la sensibilité, la tendresse, l’attachement, c’est qu’elles suppriment le cœur… cette douce amitié qui était le gros lot de notre vie, de notre bonheur, je ne la trouve plus, je ne la rencontre plus… Non je ne me sens plus aimé par lui, et c’est le plus grand supplice que je puisse éprouver, et que tout ce que je puisse me dire n’adoucit en rien… ! […] Son exactitude est minutieuse, ses tableaux cliniques ne seraient pas déplacés au concours d’internat… on doit lui savoir gré de la surabondance même de ses données techniques, en pensant que leur recherche faillit un jour lui coûter la vie. […] « La semaine prochaine, écrit-il à Madame Roger des Genettes (1er mai 1874) j’irai à Clamart ouvrir des cadavres… Oui, Madame, voilà jusqu’où m’entraîne l’amour de la littérature. » 27 Durant toute sa vie, sa vie puissante et angoissée d’ailleurs, il resta l’anatomiste du verbe et, « tenant la plume comme un Scalpel » 28, disséqua jusqu’à la souffrance ses phrases et ses périodes. Il atteignait leur squelette, s’assurait de sa solidité, puis par un travail inverse, replaçait les tendons dans leurs gaines, les muscles dans leurs aponévroses et rendait vie à ses créations ainsi martyrisées. […] Cette ignorance est pour elle brevet de vie, surcroît d’authenticité.

1769. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre X. De la littérature italienne et espagnole » pp. 228-255

Ajoutez à ces réflexions générales, que les longues et patientes recherches qu’exigeaient le dépouillement et l’examen des anciens manuscrits, convenaient particulièrement à la vie monastique ; et ce sont les moines, en effet, qui se sont le plus activement occupés des études littéraires. […] En Italie tout semble se réunir pour livrer la vie de l’homme aux sensations agréables que peuvent donner les beaux-arts et le soleil. […] Les Italiens n’ont pensé qu’à faire rire en composant leurs pièces ; tout but sérieux, même déguisé sous les formes les plus légères, ne peut y être aperçu ; et leurs comédies sont la caricature de la vie, et non son portrait. […] Il est dans leur caractère de se réveiller tout à coup par ce sentiment au milieu de la mollesse habituelle de leur vie ; ils expriment le ressentiment avec ses couleurs naturelles, parce qu’ils l’éprouvent réellement. […] La mélancolie des peuples du Nord est celle qu’inspirent les souffrances de l’âme, le vide que la sensibilité fait trouver dans l’exigence, et la rêverie qui promène sans cesse la pensée, de la fatigue de la vie à l’inconnu de la mort.

1770. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « La comtesse Diane »

Rien ne peut lui plaire », — et, sans prendre seulement la peine de feuilleter le petit volume, il me tint à peu près ce discours : « Jamais on n’a écrit autant de Pensées que dans ces derniers temps : Petit bréviaire du Parisien, Roses de Noël, Maximes de la vie74, Sagesse de poche, sans compter les nouvelles maximes de La Brochefoucauld dans la Vie parisienne. […] Or les faits peuvent bien changer et, en partie, l’extérieur de la vie humaine, mais non point les instincts et les sentiments primordiaux à la constatation desquels se ramène tout l’effort du faiseur de maximes. […] Un genre futile ; car, pourvu qu’on ait un peu lu, qu’on ait une teinture de philosophie et une expérience telle quelle de la vie et des passions humaines, toutes les pensées qui nous viennent sont nécessairement vraies. […] Le fait est que l’on parcourt avec un plaisir très vif les Maximes de la vie de la comtesse Diane. […] Maximes de la vie.

1771. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Alphonse Daudet  »

Je me méfie un peu de ces adolescents comme il s’en rencontre aujourd’hui, qui, à l’âge où de plus forts qu’eux chantaient naïvement les roses, vous font tout de suite des romans ultra-naturalistes avec des descriptions d’éviers ou de paniers aux ordures, et de froides insistances sur les malpropretés de la vie physique. […] II Le poète des Amoureuses, jeté en arrivant à Paris dans un milieu de bohèmes pittoresques, bientôt aiguisé par la vie parisienne, s’aperçoit un jour que ce qu’on voit (quand on sait regarder) est presque toujours plus intéressant, plus inattendu, même plus amusant et plus fou que ce qu’on imagine. […] Une fillette sortant de Saint-Lazare aperçoit son amant assis, menottes au poing, à l’autre bout du couloir, et fait avec lui un bout de conversation par l’intermédiaire d’un brave homme de garde de Paris : « Dites-y bien que j’ai jamais aimé que lui, que j’en aimerai jamais un autre dans ma vie. » Et quand le garde a fait sa commission : « Qu’est-ce qu’il a dit   Il a dit qu’il était bien malheureux  T’ennuie pas, m’ami… ; les beaux jours reviendront  Va donc ! […] On est ravi de voir, en parcourant ces historiettes, de combien d’excellentes et d’invraisemblables plaisanteries la vie est pleine. […] Elle est étonnante, elle est merveilleuse, ânonnée dans ce moment et dans ce milieu, cette phrase de la Vie des Saints, cette farouche évocation de la grande histoire du christianisme primitif entre Mamette et ses canaris… Et cette phrase, je suis sûr que ce n’est pas le petit Chose qui l’a inventée ; M. 

1772. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Oscar Wilde à Paris » pp. 125-145

J’aime la vie. […] J’adore cette vie exaltée, ce coudoiement humain, cet échange furtif des regards, ce voisinage de la fièvre et des passions. […] Je veux faire de ma vie elle-même une œuvre d’art. […] Sa vie est une bravade. […] Quel illogisme d’invoquer la protection des lois qu’on a voulu démolir et de faire appel à l’opinion quand on a passé sa vie à la répudier !

1773. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — III. (Suite et fin.) » pp. 47-63

À dater de 1843, ce fut plus habituellement à Venise qu’il établit sa vie, sauf encore les absences qu’il aimait à faire à certaines saisons, et une retraite de plusieurs mois à Hambourg pendant les événements de 1848 ; mais c’est à Venise qu’il est revenu vivre dès 1849, et qu’il est mort. […] M. de Montbel, dans le livre qu’il a consacré à la vie du duc de Reichstadt, en a déjà dit quelque chose. […] Il me semblait qu’en touchant cette terre sacrée, berceau de notre croyance, je commençais une nouvelle vie. — Oh ! […] L’Armée a été mon berceau, j’ai passé ma vie dans ses rangs, j’ai constamment partagé ses travaux, et plus d’une fois j’ai versé mon sang dans ces temps héroïques dont la mémoire ne se perdra jamais. Parvenu à cet âge où tout l’intérêt et les consolations de la vie sont dans les méditations sur le passé, je lui adresse un dernier souvenir.

1774. (1903) Zola pp. 3-31

Il semble ne les avoir pas complétées par cette éducation que l’on se donne à soi-même et qui est la seule qui vaille, ayant, dès la vingtième année, été forcé de gagner sa vie d’abord comme employé de librairie, ensuite comme écrivain. […] Tout homme qui écrit avant trente ans et qui ne consacre pas l’âge d’or de la vie, de la vingtième année à la trentième, à lire, à observer et à réfléchir, sans écrire une ligne, risque de n’avoir pas de cerveau et de n’être qu’un ouvrier littéraire. […] À cette époque, il eut une idée, la seule qu’il ait eue de sa vie. […] Jules Lemaître, « il se dégage de ces vastes ensembles une impression de vie presque uniquement matérielle et bestiale, mais grouillante, profonde, vaste, illimitée ». […] III Vers la fin de sa vie, il perdit tout talent et peut-être sa fin prématurée, encore qu’elle nous ait douloureusement chagrinés, lui rendit-elle service.

1775. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 24, des actions allegoriques et des personnages allegoriques par rapport à la peinture » pp. 183-212

Venus et Vulcain sont des personnages historiques dans la vie d’énée. […] Il fit donc dessiner la muse de l’histoire, personnage allegorique mais très-connu, qui tenoit un livre, sur le dos duquel étoit écrit, vie du prince De Condé . […] Tout le monde est informé des principales actions de la vie du feu roi qui fait le sujet de tous les tableaux, et l’intelligence des curieux est encore aidée par des inscriptions placées sous les sujets principaux. […] Les personnes les mieux informées des particularitez de la vie de Marie De Medicis, comme les plus sçavantes dans la mythologie et dans la science des emblêmes, ne conçoivent pas la moitié des pensées de Rubens. […] Je réponds que l’enthousiasme qui fait les peintres et les poëtes ne consiste pas dans l’invention des mysteres allegoriques, mais bien dans le talent d’enrichir ses compositions par tous les ornemens que la vrai-semblance du sujet peut permettre, ainsi qu’à donner de la vie à tous ses personnages par l’expression des passions.

1776. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IV : M. Cousin écrivain »

Qui enfin leur a inspiré cette touchante et solide espérance que, cette vie terminée, l’âme immatérielle, intelligente et libre, sera recueillie par son auteur ? Qui leur a dit qu’au-dessus de toutes les incertitudes, il est une certitude suprême, une vérité égale à toutes les vérités de la géométrie, c’est à savoir que, dans la mort comme dans la vie, un Dieu tout-puissant, tout juste et tout bon, préside à la destinée de sa créature, et que derrière les ombres du trépas, quoi qu’il arrive, tout sera bien, parce que tout sera l’ouvrage d’une justice et d’une bonté infinies ? […] Qu’on le nie devant les monuments irréfragables de l’histoire, ou que l’on confesse que la lumière naturelle n’est pas si faible pour nous avoir révélé tout ce qui donne du prix à la vie, les vérités certaines et nécessaires sur lesquelles reposent la vie et la société, toutes les vertus privées et publiques, et cela par le pur ministère de ces sages encore ignorés de l’antique Orient, et de ces sages mieux connus de notre vieille Europe, hommes admirables, simples et grands, qui, n’étant revêtus d’aucun sacerdoce, n’ont eu d’autre mission que le zèle de la vérité et l’amour de leurs semblables, et, pour être appelés seulement philosophes, c’est-à-dire amis de la sagesse, ont souffert la persécution, l’exil, quelquefois sur un trône et le plus souvent dans les fers : un Anaxagore, un Socrate, un Platon, un Aristote, un Épictète, un Marc-Aurèle ! […] C’est alors qu’il s’écrie, sauf à s’en repentir plus tard : « Le Dieu de la conscience n’est pas un Dieu abstrait, un roi solitaire, relégué par-delà la création sur le trône désert d’une éternité silencieuse et d’une existence absolue qui ressemble au néant même de l’existence ; c’est un Dieu à la fois vrai et réel, un et plusieurs, éternité et temps, espace et nombre, essence et vie, indivisibilité et totalité, principe, fin et milieu, au sommet de l’être et à son plus humble degré, infini et fini tout ensemble, triple enfin, c’est-à-dire à la fois Dieu, nature et humanité. » Et combien le style vague et allemand convient à ces effusions lyriques ! […] « Depuis, il n’a plus connu que l’enivrement passager des sens, surtout celui de la guerre, pour laquelle il était né, et qui était sa vraie passion, sa vraie maîtresse, son parti, son pays, son roi, le grand objet de sa vie, et tour à tour sa honte et sa gloire. » Voilà ce que le style de M. 

1777. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Appendice. »

Tel il fut au lycée, dans les concours ; tel, à l’École normale dans cette première génération qui datait de la fondation même : partout le plus en vue, le plus désigné, l’âme et la vie, le prince de la jeunesse pensante, le grand promoteur et agitateur dans l’ordre des idées. […] Cousin eut ce bonheur et cet honneur dans sa vie, d’avoir dès le principe de grands disciples et presque illustres, comme Jouffroy, et tout à la fin d’en avoir encore de fidèles, d’ingénieux et infiniment distingués, comme MM.  […] Cousin en était venu à s’occuper d’histoire au sens le plus sévère du mot ; il s’était attaché à Mazarin ; il tenait à éclaircir et à expliquer jusqu’à la dernière précision, jusqu’à la minutie même, certaines circonstances de la vie du grand négociateur. […] Dans la vie si au hasard que je mène depuis des années et où j’obéis aux nécessités de chaque jour, j’ai gardé du moins et réservé un coin de ma vie antérieure : c’est une appréciation profonde et encore plus juste que reconnaissante des personnes si distinguées, si à part, que j’ai eu le bonheur de connaître et qui m’ont honoré de leur bonté en même temps qu’élevé par leur commerce.

1778. (1874) Premiers lundis. Tome II « Mémoires de Casanova de Seingalt. Écrits par lui-même. »

Quant aux personnages spirituels, aventureux, pleins de ressources et de souplesse, que ces derniers penchants tout extérieurs emportent sans contre-poids à travers la vie, rien n’est plus rare que de les voir unir la moralité et la véracité rigoureuse à une curiosité si courante et si dissipée. […] dans la réalité pratique de la vie, ce rôle est en grande partie dévolu à l’homme de bien. […] Ce Vénitien, issu de sang espagnol, qui compte dans sa généalogie force bâtards, religieuses enlevées, poètes latins satiriques, compagnons de Christophe Colomb, secrétaires de cardinaux, et une mère comédienne ; ce jeune abbé, qui débute fraîchement comme Faublas et Chérubin, mais qui bientôt sent l’humeur croisée de Lazarille et de Pantalon bouillonner dans sa veine, qui tente tous les métiers et parle toutes les langues comme Panurge ; dont la vie ressemble à une comédie mi-partie burlesque et mi-partie amoureuse, à un carnaval de son pays qu’interrompt une atroce captivité ; qui va un jour visiter M. de Bonneval à Constantinople, et vient à Paris connaître en passant Voisenon, Fontenelle, Carlin, et être l’écolier du vieux Crébillon ; ce coureur, échappé des Plombs, mort bibliothécaire en un vieux château de Bohême, y a écrit, vers 1797, à l’âge de soixante et douze ans, ses Mémoires en français, et dans le meilleur et le plus facile, dans un français qu’on dirait naturellement contemporain de celui de Bussy. […] Aussi le bon Casanova, quand il rencontre sur le chemin de son récit toutes ces tendres aventures, s’y repose comme au premier jour, les développe avec un nouveau bonheur, et sur un ton de Boccace ou d’Arioste, en style de Pétrone et d’Apulée, sans ironie ni amertume de vieillard ; et, bien qu’il prétende en un endroit, épicurien qu’il est, que l’homme vieux a pour ennemi la nature entière, il n’a pas l’air de trop maudire sa vie ni d’en rien rejeter depuis le jour où son père, comme il dit, l’engendra dans une Vénitienne. […] Je n’aurai plus d’amants de ma vie ; mais je souhaite que tu ne penses pas m’imiter.

1779. (1874) Premiers lundis. Tome II « Hippolyte Fortoul. Grandeur de la vie privée. »

Dans une Introduction, l’auteur raconte somment, en un château assez voisin de Paris, chez le duc de…, qui, par ambition, s’est fait partisan très avancé des idées nouvelles, une société nombreuse, composée de militaires, de députés, d’artistes, de journalistes, se met à discuter un soir le grand sujet à la mode, à savoir si la source du progrès est dans la vie publique et sociale, ou s’il la faut chercher au foyer domestique. […] La Grandeur de la Vie privée ! […] Il n’est donné qu’à un petit nombre de peintres d’écrire sur ces pages blanches de la vie. […] Il avait vu beaucoup, et peu lu ; il avait eu déjà de grandes sensations, mais il était complètement étranger à l’art de les exprimer, il avait erré comme un pauvre enfant aux pieds de ces Alpes où il avait reçu le jour ; et l’abondance de sentiments qu’il avait éprouvés au milieu des misères d’une vie incertaine n’avait trouvé d’autre forme pour se répandre que la musique, cette langue de l’air, du vent et de l’orage, que le génie a ravie à Dieu, et que ce jeune homme avait apprise tout seul en écoutant les échos de ses montagnes. […] Qu’il veuille s’inquiéter moins de la démonstration et plutôt de la vie, du naturel, du pathétique de son sujet, comme il en est si capable.

1780. (1892) Boileau « Chapitre III. La critique de Boileau. La polémique des « Satires » » pp. 73-88

Mais de plus, la littérature était le terme de toutes les pensées de Boileau, sa passion et sa vie. […] Faire profession de littérateur, c’était pour lui faire profession d’honnêteté, de vie sérieuse et digne : et autant que la poésie de ruelle et de taverne, il détestait les poètes parasites et débraillés, les mendiants et les ivrognes. Bourgeois encore en ceci, il rejetait également la domesticité et la vie de bohème, et c’était pour rappeler les écrivains au sentiment de leur dignité, qu’après certains traits des Satires il écrivait, sans nécessité apparente, le quatrième chant de son Art poétique. […] Nous voyons dans ses Lettres ce qu’il a de bon ; mais il passait sa vie à démentir, par complaisance ou par intérêt, ses sentiments intimes. […] Ce qu’est le Chapelain qu’on voit, le Chapelain officiel et public, jugez-en aux trois actes éclatants de sa vie littéraire.

1781. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « II  L’esprit scientifique et la méthode de l’histoire littéraire »

Notre manière de participer à la vie scientifique, la seule qui ne trompe pas, c’est de développer en nous l’esprit scientifique. […] Nous aussi, quand nous cherchons à retrouver la vie sentimentale du XVIIIe siècle, ou les manières de penser de la Renaissance, nous poursuivons l’image d’un passé qui n’est plus. […] Il y a sans doute bien des œuvres mortes ; mais les chefs-d’œuvre sont devant nous, non point comme les documents d’archives, à l’état fossile, morts et froids, sans rapport à la vie d’aujourd’hui ; mais comme les tableaux de Rubens ou de Rembrandt, toujours actifs et vivants, capables encore d’impressionner les âmes de notre temps autant qu’ils firent celles de leur temps, et d’y déterminer des modifications profondes. […] C’est un lettré fétichiste qui ne peut se résigner à ce que tout ne soit pas beau, et grand, et pur, dans la vie et dans l’œuvre des écrivains de génie à qui il a donné son amour. […] Nous avons trop postulé la conformité des faits à nos déductions, trop réduit la beauté de la nature et de la vie, la puissance du génie humain, à la mesure de nos partis-pris.

1782. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. John Stuart Mill — Chapitre I : De la méthode en psychologie »

Elle aurait atteint la perfection scientifique, idéale, si elle nous mettait en état de prédire avec certitude comment un individu pensera, sentira ou agira dans le cours de sa vie. […] « De sorte que, lors même que notre science de la nature humaine serait parfaite théoriquement, c’est-à-dire que nous pourrions calculer un caractère, comme nous pouvons calculer l’orbite d’une planète, d’après des data ; cependant, comme on n’a jamais tous les data, ni des data exactement semblables dans les différents cas, nous ne pourrions ni faire sûrement des prédictions, ni établir des propositions universelles. » Mais les généralisations approximatives ont une exactitude suffisante pour la vie pratique : ce qui n’est que probable, quand on l’affirme d’individus pris au hasard, est certain, quand on l’affirme du caractère et de la conduite des masses ; et là est l’utilité de la psychologie68. […] Il ne faut pas oublier que les lois de l’esprit peuvent être des lois dérivées des lois de la vie animale, et que par conséquent elles peuvent dépendre en dernière analyse des conditions physiques... […] Nous ne saurons probablement jamais si l’organisation seule peut produire la pensée et la vie ; mais nous savons, à n’en pas douter, que l’esprit emploie un organe matériel. […] III Après avoir déterminé l’objet et la méthode de la psychologie, il nous reste à chercher s’il n’y a pas un art auquel cette science puisse servir de base ; s’il n’y a pas quelque science dérivée, applicable à la vie pratique, qui suppose, comme science première, la connaissance générale des phénomènes de l’esprit.

1783. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre V. Les esprits et les masses »

La vie des peuples, comme la vie des individus, a ses minutes d’abaissement ; ces minutes passent, certes, mais il ne faut point que la trace en reste. […] Il ajouterait ici, si cela valait la peine d’être dit, que, la part faite à l’erreur possible, ce mot, sorti de sa conscience, a été la règle de sa vie. […] Les principes combinés avec la science, toute la quantité possible d’absolu introduite par degrés dans le fait, l’utopie traitée successivement par tous les modes de réalisation, par l’économie politique, par la philosophie, par la physique, par la chimie, par la dynamique, par la logique, par l’art ; l’union remplaçant peu à peu l’antagonisme et l’unité remplaçant l’union, pour religion Dieu, pour prêtre le père, pour prière la vertu, pour champ la terre, pour langue le verbe, pour loi le droit, pour moteur le devoir, pour hygiène le travail, pour économie la paix, pour canevas la vie, pour but le progrès, pour autorité la liberté, pour peuple l’homme, telle est la simplification. […] La profonde prise de vie, c’est en toi qu’il faut la chercher.

1784. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le capitaine d’Arpentigny »

L’auteur, homme du monde et d’action, cela se devinait dans son livre, écrit d’une plume fringante comme une cravache, — la cravache qu’il portait aux Gardes du corps dont il eut l’honneur de faire partie, — l’auteur vit son malheur avec le sang-froid d’un homme de talent qui n’ignore pas que le succès ne prouve rien de plus que le succès, — un hasard dans la vie ! […] L’élégance dans la force, qui est le caractère distinctif de sa tournure intellectuelle, il l’a, sans nul doute, acquise et développée dans sa vie aux gardes ou à l’armée, car la vie active pénètre la pensée et la trempe, et c’est un fier bonheur pour elle ! […] — une humanité pensante sur le bout du doigt, nous trouvons des pages d’une grande vie qu’il faut citer pour donner une idée de ce que la préoccupation de d’Arpentigny nous fait perdre. […] Il y a, en d’Arpentigny, les impatientants contrastes que nous ayons déjà signalés dans un esprit, parent du sien du reste, qui croyait comme lui à la physiologie, qui a voulu expliquer l’amour par elle comme lui a voulu expliquer l’intelligence, et qui, comme lui, avait vécu de cette vie militaire dont l’influence est un bénéfice pour tous les ordres d’esprits.

1785. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. de Lacretelle » pp. 341-357

Henri de Lacretelle, en nous parlant beaucoup trop des amis de Lamartine, cette pâle constellation de médiocrités comme les hommes supérieurs en voient toujours rouler autour d’eux dans la vie, et l’esprit moderne n’oublie pas sa réclame, qui est le genre d’esprit de ce gros utilitaire ! […] La France monarchique et catholique à la vie dure vivait toujours, malgré tout ce qu’on avait fait pour la tuer… Les causes du succès du Génie du Christianisme, qui fut un triomphe et qu’on pouvait appeler : le 18 brumaire de la pensée, car ce jour-là Chateaubriand avait jeté les idées de la Révolution par la fenêtre, comme Bonaparte y avait jeté les représentants, — les causes de ce beau succès n’étaient pas toutes dans le talent, nouveau comme le Nouveau Monde, d’où il venait, et qui se révélait tout à coup avec tant d’éclat… Mais le succès de Lamartine, beaucoup plus personnel, venait, lui, uniquement de son genre de génie. […] Il n’en eut pas plus dans sa vie que dans la conception de sa vie. […] Du moins il se révolta contre cette pauvreté, fille de la générosité de toute sa vie et qui peut-être le fît mourir.

1786. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Conclusion »

Les simultanéités de phénomènes physiques absolument distinctes en ce sens que l’une a cessé d’être quand l’autre se produit, découpent en parcelles, distinctes aussi, extérieures les unes aux autres, une vie interne où succession impliquerait pénétration mutuelle : tel, le balancier de l’horloge morcelle en fragments distincts et déploie pour ainsi dire en longueur la tension dynamique et indivisée du ressort. […] Elles nous permettent de les objectiver, de les faire entrer, en quelque sorte, dans le courant de la vie sociale. […] Cette intuition d’un milieu homogène, intuition propre à l’homme, nous permet d’extérioriser nos concepts les uns par rapport aux autres, nous révèle l’objectivité des choses, et ainsi, par sa double opération, d’un côté en favorisant le langage, et d’autre part en nous présentant un monde extérieur bien distinct de nous dans la perception duquel toutes les intelligences communient, annonce et prépare la vie sociale. […] Au lieu d’une vie intérieure dont les phases successives, chacune unique en son genre, sont incommensurables avec le langage, nous obtiendrons un moi recomposable artificiellement, et des états psychiques simples qui s’agrègent et se désagrègent comme font, pour former des mots, les lettres de l’alphabet. […] Comme ils n’envisagent de notre vie consciente que son aspect le plus commun, ils aperçoivent des états bien tranchés, capables de se reproduire dans le temps à la manière des phénomènes physiques, et auxquels la loi de détermination causale s’applique, si l’on veut, dans le même sens qu’aux phénomènes de la nature.

1787. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — Oberman, édition nouvelle, 1833 »

La lecture d’Oberman, quand ce livre leur tomba par hasard dans les mains, fit sur eux l’impression qu’on peut croire ; cette mélancolie austère et désabusée devint un moment comme la base de leur vie ; la philosophie platonicienne eut tort ; Jules Bastide fut celui peut-être qui se pénétra le plus profondément de cette âpre et stoïque nourriture. […] J’aime à écouter, dans le silence de la vie d’habitude, le mouvement sourd de l’existence intérieure. […] Sautelet aussi vivait alors dans ces idées : inquiet, mélancolique et fervent, il hésitait entre l’action et la contemplation ; je lis dans une lettre de lui que j’ai sous les yeux : « On ne peut guère faire une vie double, agir et contempler ; je sens, comme je te le disais cet été, que l’homme est placé sur la terre pour l’action, et je ne puis cependant laisser l’autre. […] Si, dans une année ou deux, la vie ne me paraît pas claire, j’y mettrai fin.

1788. (1874) Premiers lundis. Tome II « Thomas Jefferson. Mélanges politiques et philosophiques, extraits de ses Mémoires et de sa correspondance, avec une introduction par M. Conseil — II »

Comme il résulte des tables de mortalité d’alors, que la majorité des adultes qui existent à un moment donné, doit avoir quitté la vie au bout de dix-neuf ans environ, de telle sorte qu’à la fin de cette période une majorité nouvelle remplace la première, Jefferson conclut que toute dette publique dont le remboursement ne se fait pas avant la dix-neuvième année, à partir du jour de l’emprunt, tombe sur des générations qui ne l’ont pas contractée, et qui réellement ont le droit de ne pas se croire obligées en bonne morale. […] Condorcet, dans son bel éloge de Franklin, où perce toutefois une velléité de réticence, n’a pu s’empêcher de dire de ce dernier : « Il croyait à une morale fondée sur la nature de l’homme, indépendante de toutes les opinions spéculatives, antérieure à toutes les conventions ; il pensait que nos âmes reçoivent dans une autre vie la récompense de leurs vertus et de leurs fautes ; il croyait à l’existence d’un Dieu bienfaisant et juste, à qui il rendait dans le secret de sa conscience un hommage libre et pur. » Tel fut aussi Jefferson, tel Washington ; tels ont dû être, en effet, sur cette terre d’Amérique, en présence de cette vaste nature à demi défrichée, au sein d’une société récente, probe, industrieuse, où les sectes contraires se neutralisaient, tels ont dû être ces grands et stables personnages, nourris à l’aise, au large, sous un ciel aéré, loin du bagage des traditions, hors des encombrements de l’histoire, et dont pour quelques-uns, comme pour Washington, par exemple, l’éducation première s’était bornée à la lecture, l’écriture et l’arithmétique élémentaire, à laquelle plus tard il avait ajouté l’arpentage. […] Jefferson, au reste, doué d’un esprit exact et sagace, avait pénétré assez avant, sur la fin de la vie, dans les matières métaphysiques ; on voit dans une lettre à John Adams qu’à l’exemple de Locke, Stewart, Bonnet, il inclinait à être déiste matérialiste, c’est-à-dire à considérer la pensée comme liée nécessairement à quelque atome de matière subtile : ce qui ne l’empêchait nullement de croire à l’immortalité. […] Les conseils que Jefferson adressa en toute occasion aux jeunes gens qui le consultaient sur leurs études et sur leur vie, respirent l’indulgence, le respect d’autrui, la saine pratique, « Il préférait, comme Condorcet l’a dit encore de Franklin, il préférait le bien qu’on obtient de la raison à celui qu’on attend de l’enthousiasme, parce qu’il se fait mieux, arrive plus sûrement et dure plus longtemps. » Jefferson ne proscrivait pas néanmoins les élans de l’âme ; il voulait que l’homme embrassât les délices des affections, même au risque des douleurs.

1789. (1874) Premiers lundis. Tome II « Loève-Veimars. Le Népenthès, contes, nouvelles et critiques »

Dites que l’art de nos jours est sans but, sans foi en lui-même, sans suite et sans longue haleine en ses entreprises ; et l’on vous objectera, parmi nos poëtes, le plus célèbre et le plus opiniâtre exemple, toute une vie donnée à la restauration de l’art. […] Un certain article intitulé la Vie de Molière pourrait être un des petits papiers délicieux échappés à un bon quart d’heure de Diderot. […] J’ai relu les Mémoires de la vie de Racine par son fils ; on me dira que Racine fils n’avait pas connu son père, qu’il n’en parlait que par ouï-dire, par tradition, d’après M. de Valincour ou tel autre : c’est trop vrai, et je regrette qu’il n’y ait pas de Mémoires plus directs sur cette vie illustre ; mais nous en savons encore moins là-dessus, ce me semble, que Racine fils ou que ceux d’alors dont aucun n’a tenu un tel langage, Oh !

1790. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les poètes maudits » pp. 101-114

S’il ouvre cette fenêtre d’hôpital par où les yeux s’évadent des murs tristes, des linges fades, écœurants, c’est pour traduire le Rêve par quoi l’Homme s’évade de la platitude ambiante, des horreurs de la vie. […] Cette femme qui, malgré la flamme qu’elle portait au côté, ne se mit ni en dehors, ni au-dessus de la vie, qui accepta simplement sa destinée et fit simplement ses devoirs de jeune fille, d’épouse, de mère et de grand-mère, cette femme réalisait bien la vie que concevait Paul Verlaine. « Toujours le pardon, toujours le sacrifice. » Tel il s’était conçu, lui, surtout « né pour plaire à toute âme un peu fière », « tout prière et tout sourire, sorte d’homme en rêve et capable du mieux », comme il dit de lui-même quelque part. Mais ce rôle doux et miséricordieux qu’il aurait voulu que le sort lui assignât, il l’a vu confié à de moins dignes, et ce n’est pas là une des moindres amertumes de sa vie.

1791. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Première partie. Plan général de l’histoire d’une littérature — Chapitre IV. Moyens de déterminer les limites d’une période littéraire » pp. 19-25

Malgré la confusion créée par ces lents crépuscules, il est relativement facile de distinguer les grandes périodes de notre vie intellectuelle. […] Assurément des faits de cette espèce ont plus de portée dans la vie d’un peuple que la mort d’un prince, voire même qu’une bataille gagnée ou perdue ; mais ils sont cachés, et l’historien n’a pas trop de toute sa perspicacité pour les découvrir ni de tout son talent pour les mettre en lumière. […] On pourrait dire encore que ces périodes, considérables pour la courte durée d’une vie humaine, se divisent en deux moitiés et que, tous les quinze ou vingt ans, comme le prouvent les révolutions du xixe  siècle, il est possible de constater une orientation nouvelle des esprits. […] Puis, dans la vie même d’un seul peuple, comme dans celle d’un individu, il y a des moments de croissance rapide et des moments de stabilité relative.

1792. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre III. Soubrettes et bonnes à tout faire »

Il imagine un peintre qui cessa de peindre pour une raison noble et subtile : la couleur, pense ce pauvre homme, est dans l’univers en quantité limitée ; celle qu’on perd à fabriquer de l’artificiel, on la vole à la nature que nos larcins condamnent à créer une vie plus pâle. […] Le Sceptre, c’est, en un dialogue peut-être spirituel, l’histoire d’un archiduc qui, sur le point d’hériter un empire, recule devant la vie exceptionnelle, se fait passer pour mort et s’efforce de s’organiser une bonne petite existence bourgeoise. […] Il pleure, le pauvre affamé : « Le Post-Scriptum de ma vie forme MALHEUREUSEMENT le dernier volume de prose à publier. » Ailleurs, Claretie cite quelques « livres immortels » et le premier titre qu’il proclame, c’est Bug-Jargal ! […] Où Jules devient particulièrement intéressant c’est lorsque, quittant les livres, il parle de la vie de son héros.

1793. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Bruyère » pp. 111-122

Il y jouissait du loisir et de la dignité qui doublent les forces de la vie et de la pensée. […] Nous avons certainement beaucoup d’estime pour l’homme qui passe neuf ans de sa vie — une année de moins que pour prendre Troie — à purifier le texte imprimé d’un grand écrivain, à lui ôter, avec une loupe pour les voir mieux, ses plus imperceptibles grains de poussière, et à le rétablir dans toute la force et dans toute la beauté de ses points et de ses virgules ; mais il nous reste dans l’âme encore beaucoup d’estime que nous lui aurions offerte, et avec quel élan ! […] Une lettre de la Bruyère, retrouvée par Destailleur, ajoute son intérêt à cette réimpression et montre à quel point le fidèle annotateur a poussé l’investigation ; car de tous les hommes peut-être qui tiennent une grande place dans les chroniques de l’Esprit humain, La Bruyère est celui qui a le moins laissé transpirer sa vie. […] Voltaire, ce singe de Satan, qui a brisé le miroir de la Vérité en mille miettes, a dit avec son ineffable superficialité que la vie des hommes de génie n’est jamais que dans leurs écrits, et de bons esprits ont accepté cela comme un axiome.

1794. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame Sand »

Cette inspirée, comme elle se donne, cette spontanée, cette inconsciente, fit spontanément ou inconsciemment le calcul que la littérature, entendue comme elle projetait de l’entendre, pourrait lui rapporter un argent que la préoccupation littérale ne lui a jamais fait oublier, et son calcul inconscient d’argent était juste, car toute sa vie elle en a abondamment gagné. […] Cette publication, après nous avoir découvert dans le grand Écrivain, comme ses amis l’appellent encore, le prosaïsme fondamental sous la poésie de la surface le sans esprit absolu, la nullité ou la médiocrité des aperçus, le commun insupportable de ces lettres qui tuent le poète plus ou moins artificiel qui est dans ses ouvrages, mais qui ne sort jamais ni du fond de l’âme ni du fond de la vie, cette publication met à bas, tout à coup et du même coup, le masque poétique et grandiose que Madame Sand s’était composé et sous lequel on la voyait, fantaisie errante et féconde, imagination désintéressée ! […] Elle parle bien, sans peser sur les motifs de son désespoir, à un de ses amis, d’un projet de suicide qui, dans cette âme mobile, se change bientôt en projet d’aller vivre d’une vie cachée, avec sa fille, à la Martinique ou à la Louisiane, mais rien ne reste en peu de temps de ces deux projets. […] Vers la fin du volume, l’Écrivain, qui n’avait touché qu’un mot de ces deux succès : Indiana et Valentine, l’Écrivain envahit la femme qui se dérobe et le bas-bleu s’étend sur sa vie.

1795. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Dante »

Mais justement parce que c’était vrai, Ozanam n’avait pas besoin d’ajouter à ses preuves de la vie poétique du Moyen Âge cette grande individualité du Dante, solitaire et tombé du ciel comme tous les grands poètes, et qui sont, prenez-y garde ! […] Il n’a été que cela, en effet, cet homme qu’on a voulu bâtir de plusieurs hommes, dans lequel on s’est acharné à supposer toutes les facultés humaines réunies dans je ne sais quel chimérique et éblouissant faisceau ; il n’a été qu’un poète : mais c’est suffisant pour la gloire, un poète, cette prodigieuse anomalie entre la vie et la pensée, mené par ses passions comme tous les poètes, et dont l’existence fut d’une tristesse et d’une misère à faire pitié. […] Magnier a raconté en quelques traits cette vie du Dante, dont on sait si peu de chose et dont pourtant on sait trop encore ; — car cet homme fut un égoïste énorme dont le génie peut-être était toutes les vertus. […] Il avait la sensibilité terrible qui dans la vie ordinaire fait souvent de ces êtres sublimes des fléaux.

1796. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Lefèvre-Deumier »

Il avait senti, sans nul doute, qu’elles étaient l’expression définitive, ardemment cherchée, de sa maturité poétique, que passé ce niveau il ne s’élèverait plus, et qu’au contraire, image de la vie, son expression baisserait sous sa plume au lieu d’y monter. […] C’est un grand poète d’action dans la vie, avant de l’être de contemplation dans ses écrits. […] Ce livre, intense et individuel comme la passion qui l’a dicté, n’est point le plus beau que Lefèvre ait écrit (car Lefèvre n’a fait qu’une seule fois cette chose complète qu’on appelle un beau livre, et ce n’a pas été en vers) ; mais, à coup sûr, c’est celui où, malgré d’atroces bizarreries, des viols de langue dans des alliances de mots forcenées, il y a le plus de ces beautés humaines que le comble de l’art est d’imiter, et qui jaillissent parfois du fond de la vie. […] Lefèvre-Deumier, par le fait du temps, de l’étude, de tous les apaisements de la vie, est devenu plus artiste, plus correct, plus savant de langage, que quand il vomissait son cœur dans les vers de ses Confidences.

1797. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Gères. Le Roitelet, verselets. »

Il moralise à travers les larmes et le sang du cœur ; c’est un âpre jugeur de la vie. […] Il est bien moins le poète d’un sentiment trompé ou blessé que le poète résigné à la vie et à tout ce qu’elle renferme d’irréparable. […] Elle prend le tiers de la vie ! […] Nous ne savons absolument rien de M. de Gères, si ce n’est le talent qu’il a, et ce talent a l’accent assez profond pour nous faire croire qu’il n’est pas tout à fait un jeune homme et qu’il a mordu dans cette pomme empoisonnée de la vie.

1798. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Ranc » pp. 243-254

s’il n’y avait là qu’une histoire comme l’histoire de la conspiration de Catilina ou des Pazzi, l’auteur, avec son style nerveux, rapide, poignant par places, et qui ne s’amuserait pas aux archaïsmes enfantins du vieux Salluste, nous la raconterait à merveille, je n’en doute pas, et y verserait cette vie de l’action qui est la vraie vie de l’Histoire. […] L’auteur du Roman d’une conspiration n’a pas tiré de la foule de tous les conspirateurs qui mettent leur vie au jeu, et bravement l’y laissent, ce Goujet, et surtout ce Rochereuil, qu’il fallait marquer d’un signe à part, — comme ce Redgauntlet, par exemple, qui est aussi un conspirateur, et que le génie de Walter Scott a marqué, pour que l’imagination le revoie toujours dans ses rêves, de ce fer à cheval sur le front, signe du malheur de toute une race, qui perd toutes les causes pour lesquelles elle combat, sans que jamais son courage faiblisse sous le poids de cette sombre et désespérante fatalité ! […] Comment ne pas se rappeler tout cet univers qui tourne dans Walter Scott autour de cette conspiration entreprise dans l’intérêt du prince Édouard, et les centaines de personnages s’agitant dans les magnifiques épisodes de cette conspiration manquée, tous sublimes dans leur incroyable variété, les uns ressortant de l’Histoire, les autres ressortant de la vie !

1799. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « J.-J. Ampère ; A. Regnault ; Édouard Salvador »

Le moindre livre de voyage écrit… même par un grimaud, peut être instructif et piquant pour les sociétés sédentaires ; mais pour celles qui passent leur vie à se déverser les unes dans les autres, il faut, sous peine de ne rien apprendre et de ne pas intéresser, que les livres de voyage soient écrits par des esprits d’un ordre élevé et d’une vue perçante, qui voient ce qu’il est difficile de voir en tout état de cause, soit qu’on reste au logis, soit qu’on s’en aille au bout du monde, — je veux dire : l’âme et l’esprit des choses. Malgré les progrès de chaque jour, la vie actuelle n’a donc pas, en ce point, beaucoup favorisé le grand nombre. […] À ses yeux, c’est un de ces points où toute la vie d’une nation reflue, quand l’activité nationale, fatiguée de chercher en vain la sève qui lui manque, s’efforce de se répandre au dehors et d’atteindre des puissances nouvelles. […] Pour notre compte, nous ne savions pas que la France eût besoin de chercher, en ce moment, une sève qui lui manque, et que toute notre vie d’État dût refluer dans le port de Marseille, parce qu’il est un des plus brillants entrepôts de commerce que nous ayons sur la Méditerranée.

1800. (1874) Premiers lundis. Tome I « Œuvres de Rabaut-Saint-Étienne. précédées d’une notice sur sa vie, par M. Collin de Plancy. »

Œuvres de Rabaut-Saint-Étienne précédées d’une notice sur sa vie, par M.  […] Cette horreur de la persécution, liée en lui aux ineffaçables images de l’enfance, demeure l’idée fixe, la pensée dominante de toute sa vie ; elle lui dicta ses premiers écrits, comme ses dernières paroles. […] Il publia vers le même temps le Vieux Cévenol ou la Vie d’Ambroise Borély, personnage fictif, sur la tête duquel sont accumulées toutes les persécutions exercées contre les protestants depuis la révocation de l’édit de Nantes.

1801. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre premier. Préliminaires » pp. 1-8

Quand les matériaux sont rassemblés de toutes parts, préparés, dégrossis, et qu’il n’y a plus qu’à les mettre en place, l’homme de génie vient à l’heure favorable, il leur imprime le mouvement et la vie ; et les éléments épars se disposent et s’élèvent en édifices. […] Pendant sa vie, c’était l’esprit de dénigrement qui appelait l’attention sur les sources où il puisait. […] Sa philosophie, c’est-à-dire sa manière de concevoir la vie et d’expliquer ce monde, ne doit rien non plus aux étrangers.

1802. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Une petite revue ésotérique » pp. 111-116

« Psyché sera spiritualiste et surtout synthétique, c’est-à-dire éprise de la combinaison harmonieuse de tous les éléments qui constituent la vie. Et la vie d’une œuvre d’art comprend les mêmes éléments que la vie d’un homme.

1803. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXVII. Sort des ennemis de Jésus. »

Le vrai coupable de la mort de Jésus finit sa vie au comble des honneurs et de la considération, sans avoir douté un instant qu’il eût rendu un grand service à la nation. […] Desservi par Hérode Agrippa auprès de l’empereur, Antipas fut destitué, et traîna le reste de sa vie d’exil en exil, à Lyon, en Espagne. […] Peut-être, retiré dans son champ de Hakeldama, Judas mena-t-il une vie douce et obscure, pendant que ses anciens amis conquéraient le monde et y semaient le bruit de son infamie.

1804. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Appendice. Note concernant M. Laurent-Pichat, et Hégésippe Moreau. (Se rapporte à la page 395.) » pp. 541-544

) On a, de nos jours, comme sans doute on a eu de tout temps, la manie de grossir la vie et les mérites des hommes qui sont morts appartenant à une école, à un parti ou à une communion. […] Laurent-Pichat, ayant à faire des lectures, des Causeries littéraires, dans un cercle rue de la Paix, a pris récemment (1861) pour l’un des sujets de sa déclamation encore plus que de son étude, Hégésippe Moreau, dont la vie prête au vague et lui a paru un canevas commode à ses propres pensées. Il a donc voulu dresser une statue à Hégésippe Moreau, montrer que, dans la lutte de la vie, Moreau n’a pas été un vaincu, mais un vainqueur.

1805. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — II »

Au contraire le poète, qui meurt d’amour ou de jalousie, revient à la vie dès que sa passion, reflétée dans le miroir de sa conscience, s’est objectivée en ses strophes. […] Au lieu de ces brèves périodes d’activité automatique et qui n’intéressent qu’un nombre de mouvements coordonnés relativement minime, on peut imaginer dans une vie sociale mieux réglée, de laquelle on serait parvenu à éliminer l’accident et l’imprévu, des suites beaucoup plus longues d’actes automatiques. En idéalisant l’hypothèse on irait jusqu’à imaginer une vie humaine devenue entièrement automatique où la conscience n’apparaîtrait jamais et que l’on ne conçoit, à vrai dire, soustraite au néant, que par l’acte de perception consciente que l’on fait en l’imaginant.

1806. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Nicole, Bourdaloue, Fénelon »

Ce style, où il ne manque que des nerfs, du sang, du mouvement et de la lumière, ce style dur, mais épousseté et propre, lisse comme un parchemin qui joue la vie… pour des myopes, ne peut être admiré ou aimé sincèrement de personne. […] Ce qu’on appelle traditionnellement la pénétration de Nicole comme moraliste se réduit à peu de chose en réalité ; car il n’avait pas la passion qui fait éclair sur les profondeurs de la vie. […] Fénelon, qu’on a trop grandi de toutes manières, bel esprit bien plus que grand esprit, continuant la Renaissance sous Louis XIV, Fénelon, ce grec en français, mais dont la forme antique pâlit devant celle d’André Chénier comme un poncif pâlit devant la vie, Fénelon n’a vraiment de talent personnel et incontestable que dans son Existence de Dieu, le plus éloquent fragment de métaphysique qu’on ait écrit, et ses Lettres spirituelles, ses œuvres de conseil et de direction.

1807. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Gabriel Ferry »

Cette mort fut poétique, en effet, dans un temps où la vie ne l’est plus, et elle parle plus haut à l’imagination que les œuvres de celui-là qui s’appellera Gabriel Ferry dans l’histoire littéraire du xixe  siècle. […] Il a péri, non entre les quatre rideaux que Jean-Paul appelait les coulisses de la vie, mais en pleine tempête, au pied du grand mât du vaisseau sur lequel, il était embarqué, après avoir refusé de descendre dans la chaloupe de sauvetage, intrépide comme le plus intrépide des boucaniers de ses écrits. […] Pour échapper au mortel ennui de cette civilisation hypocrite, vaniteuse, âpre au gain, qui est la civilisation américaine, Cooper s’est rejeté à la vie sauvage, et il a été le peintre de ces vieux patriarches des prairies, aussi poétiques que ceux de la Bible ou des Burgraves du désert, dont les forteresses terribles et menaçantes sont un bout de buisson immobile, un carré de hautes herbes qui frissonnent, un lac étincelant dont la surface ne fait pas un pli aux tranquilles rayons du soir.

1808. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre ix »

Chapitre ix Une nuit déjà légendaire (noël 1914)‌ Le plus haut moment de cette vie spirituelle de nos armées fut sans doute la Noël de 1914. […] Il leur remettait un petit paquet, et surtout sa visite rappelait les jours heureux, les scènes de la vie de famille. […] Enfin les misères de la guerre produisent une vie en commun, un collectivisme de la tranchée.

1809. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Joseph de Maistre »

Il ne se déplaçait jamais sans but, il ne sortait jamais sans motif : de toute sa vie, nous dit M.  […] combien différent de tant d’esprits de nos jours qui n’ont jamais fait autre chose dans leur vie qu’aller à la promenade soir et matin !   […] Sa vie et sa doctrine n’eurent-elles qu’une seule et même teneur entière et rigide en toute leur durée ? […] Raymond, physicien et ingénieur distingué de Savoie : c’est la plus exacte notice qu’on ait écrite sur la vie qui nous occupe. […] Dans le VIe.

1810. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Fleuriot-Kerinou, Francis (1858-192.?) »

. — Flammes de vie (1895). […] Ainsi, au commencement des Flammes de vie, la Prière des sillons est magistrale.

1811. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de madame de Genlis sur le dix-huitième siècle et la Révolution française, depuis 1756 jusqu’à nos jours — III »

Elle a raison d’insister sur cette époque de sa vie et sur les travaux qui la remplirent : on ne peut méconnaître qu’elle eut sur ce sujet des idées justes et vraies sortant des règles de la routine et dont l’application demandait une constance qui ne l’a point effrayée. […] Lui aussi s’est cru obligé en conscience de dénigrer et de flétrir, dans la dernière moitié de sa vie tous ceux qu’il avait connus et cultivés dans la première ; il a méconnu son siècle et n’y a rien loué que lui. […] L’une épouse, l’autre fille d’un ministre, elles furent portées dans la vie publique, plutôt qu’elles ne s’y jetèrent ; élevées, l’une dans le recueillement des mœurs bourgeoises, et l’autre au bruit des discussions philosophiques, elles avaient contracté dès l’enfance de fortes et sérieuses habitudes d’esprit, qu’elles déployèrent dans l’occasion avec toute l’énergie de la jeunesse et de la vertu.

1812. (1874) Premiers lundis. Tome II « Dupin Aîné. Réception à l’Académie française »

Ce suffrage libre des égaux auquel il attache, et avec raison, tant de prix, lui a fait dire que les trois honneurs qu’il se glorifiait le plus d’avoir reçus dans sa vie étaient : 1° sa charge de bâtonnier de l’ordre des avocats, après trente ans de profession ; 2° sa mission de député du département qui l’avait vu naître ; 3° sa qualité enfin de membre de l’Académie française. […] Abordant la vie et les travaux de M.  […] Et puis ce paysan du Danube qui, devenu bourgeois et avocat, sait encore si bien régenter l’illustre sénat assis pour l’écouter, a des moments singuliers où il lui prend une fluxion ou un mal de gorge, comme à Démosthènes, duquel on disait alors qu’il philippisait, et il garde ces jours-là un silence aussi prudent que celui que garda toute sa vie l’académicien Conrart.

1813. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Les brimades. » pp. 208-214

Entre le don littéraire, le don de sentir et d’exprimer le beau, et notre vie morale, un lien existe, assez facile à percevoir. Mais, entre notre vie morale et intellectuelle et le don mathématique, il n’y a le plus souvent nul rapport. […] Il les remplit d’illusions sur leur propre mérite ; il les emprisonne ; il risque de leur enlever à jamais le sens et l’intelligence de la réalité et de faire d’eux, pour toute la vie, des écoliers, — tout flambants du prestige emprunté de l’École, mais des écoliers.

1814. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXVIIe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 5-64

Qui est-ce qui n’a pas affaire, une fois ou l’autre dans sa vie, avec la justice ou la police d’un pays ? […] À chaque air nouveau qui sortait, avec des variations improvisées, sous mes doigts, cela m’excitait, monsieur, et je crois bien qu’après l’air au pied de la Madone, je n’ai jamais joué si juste et si fort de ma vie. […] — Ma vie ! dit avec fureur le pauvre père, ma vie ! oui, je puis la gagner, mais c’est la vie de mon enfant que je veux sauver de la guerre, et vous allez voir si vous pourrez le refuser à sa mère et à moi.

1815. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série «  M. Taine.  »

Il y a apparence qu’il n’était pas, à tous les instants de sa vie, et dans les proportions énormes qu’on a vues, l’effrayant condottiere échappé de l’Italie du quinzième siècle. […] Le malheur, c’est que ce philosophe a l’imagination d’un poète ; c’est qu’il a, à un degré surprenant, le don de la vie, et alors voici ce qui se passe. […] Ils vivent, mais d’une vie qui ne paraît plus humaine. […] Vous ne pouvez imaginer d’autres conditions de vie que celles qui vous ont été faites ici-bas par une puissance inconnue. […] Au reste, elle n’exclut pas le mouvement ni la vie.

1816. (1841) Matinées littéraires pp. 3-32

Ayons donc soin d’étudier ce caractère dans les phases diverses de sa vie. […] Lors même que la vie d’un poète n’aurait aucun rapport avec ses œuvres, il me semble qu’une vive curiosité s’attache à tout ce qui porte un caractère de grandeur, une empreinte de gloire. […] La vie des hommes de génie est la leçon la plus utile : on y voit ce que peuvent la persévérance et le travail pour le développement des facultés de l’intelligence. […] Quand il les refuse à une nation, c’est qu’il veut qu’elle meure, car les grands écrivains ne sont pas seulement la gloire d’un peuple, ils en sont l’âme et la vie ; ils en sont même l’immortalité ! […] La faculté de produire et de moduler des sons par les organes de la voix nous a été donnée avec l’intelligence, avec la vie : la parole est un don de Dieu.

1817. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre quatrième »

Et qui d’amour se sentira saisir, Connoistra bien que je voulus choisir Vie pour moi, et non pour mes écrits. […] Il avait eu pour admirateurs pendant sa vie tous les bons esprits du xvie  siècle, Scaliger, Turnèbe, Muret de Thou, et d’autres. […] On dit pourtant qu’il eut, vers la fin de sa vie, quelques doutes sur la solidité de sa gloire. […] Mais montrez-moi quelqu’un qui ait changé de vie Après avoir suivi vostre belle folie. […] Vie de Pierre de Ronsard.

1818. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 septembre 1886. »

Deux ans plus tard, juste, le « Mélologue » ou « Monodrame lyrique » Lelio ou le retour à la vie, fut exécuté comme suite et conclusion de la Fantastique. […] Ils tentèrent recréer des émotions non réelles dans la vie coutumière, impuissantes donc à produire une supérieure vie. […] Celui-là, du moins, a créé une vie d’émotions spéciale. […] Mais l’ensemble de son œuvre apparaît comme la curieuse traduction de ce que jouissaient et souffraient, communément, dans l’extérieure vie do Paris, les hommes de la génération précédente. […] Elle n’a produit nulle œuvre d’une vie supérieure, jusque le jour où un maître enfin intelligent, Wagner, voulut restituer, par les moyens d’elle comme de toute musique, les émotions très subtiles de son âme.

1819. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1883 » pp. 236-282

Et encore les derniers mois de sa vie, étaient empoisonnés par de noirs soucis de famille, et de terribles affaires d’argent à arranger. […] Je serais cependant bien heureux de finir mon roman commencé… Après que la mort me prenne, quand elle voudra, j’en ai assez de la vie. […] Non jamais on n’a dépensé un art aussi grand pour un petit ressouvenir de la vie intime et familière. […] « Et voyez la providence des apparents malheurs de la vie, ajoutait Lavoix, si je n’avais pas échoué à l’École normale, M.  […] Je leur lis quelques notes de mes Mémoires : ils ont l’air sincèrement étonnés de la vie de ces pages parlant du passé mort.

1820. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — La déformation  »

La biologie ne déforme pas moins la vie pour expliquer la vie que la sculpture ne déforme Moïse pour expliquer Moïse. […] Cela est inévitable et cela est bien, puisque c’est conforme aux lois du mouvement et de la vie. […] Mais en même temps que les enfants apprennent dans les prisons scolaires ce que la vie seule leur enseignait autrefois et mieux, ils perdent sous la peur de la grammaire cette liberté d’esprit qui faisait une part si agréable à la fantaisie dans l’évolution verbale. […] Il est très certain que les lois qui ont présidé à la naissance du français continuent de guider sa vie et que l’Almanach Hachette lui-même est impuissant à modifier le gosier d’une race124. […] Une langue ressemble à un jardin où il y a des fleurs et des fruits, des feuilles vertes et des feuilles tombées, où, à côté du définitif, il y a la vie, la croissance, le devenir.

1821. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Victor Hugo »

… Je n’ai point l’admiration à clos yeux de ceux-là qui avaient découvert dans Hugo la qualité qui fait le dieu : la vie immobile, féconde, éternelle ; le brisement de la faux du Temps. […] Prenez-le dans ses livres comme dans sa vie, et vous trouverez toujours, au bout de tout, cette notion, qui se lève, de l’Énormité ! […] Et l’énormité est encore plus que sa vie, c’est sa volonté, c’est son idéal. […] le détournaient de ce qui aurait dû être le but resplendissant de ses derniers jours et le couronnement immortel de sa vie. […] Voilà les vers qui soudent le Victor Hugo des derniers jours au Victor Hugo de toute la vie.

1822. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre III. De la logique poétique » pp. 125-167

Cette variété de natures leur a fait voir sous différents aspects les choses utiles ou nécessaires à la vie humaine, et a produit la diversité des usages, dont celle des langues est résultée. […] Ce sont des maximes pour l’usage de la vie, dont le sens est le même, mais dont l’expression varie sous autant de rapports divers qu’il y a eu et qu’il y a encore de nations58. […] Or, dans les premiers temps, les hommes avaient à trouver, à inventer toutes les choses nécessaires à la vie. En effet, quiconque y réfléchira, trouvera que les choses utiles ou nécessaires à la vie, et même celles qui ne sont que de commodité, d’agrément ou de luxe, avaient déjà été trouvées par les Grecs, avant qu’il y eût parmi eux des philosophes. […] Une loi anglaise accorde la vie au coupable digne de mort qui pourra prouver qu’il sait lire.

1823. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Chavanne, Alexis (1822-1911 ; médecin) »

Charles Fuster Dans ces sonnets précis, parfois haletants et retenant leur souffle, c’est toute une vie de pensée et d’action, de doute et de recherche ardente, c’est toute une belle et courageuse vie qui se livre à nous.

1824. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Montlaur, Joseph-Eugène de Villardi (1815-1895 ; marquis de) »

Montlaur, Joseph-Eugène de Villardi (1815-1895 ; marquis de) [Bibliographie] La Vie et le Rêve (1864). […] E. de Montlaur, esprit élégant, cultivé, nourri du suc des poètes et qui, sous ce titre, La Vie et le Rêve (1864), a recueilli des impressions légères ou touchantes, des esquisses de voyage, des lettres en vers, tout un album, image des goûts et des sentiments les plus délicats.

1825. (1868) Curiosités esthétiques « V. Salon de 1859 » pp. 245-358

Le décor, c’est le caveau lui-même, emblème de la vie souterraine que doit mener longtemps la religion nouvelle ! […] La plupart du temps, il ne s’agit dès lors que de transporter la vie commune et vulgaire dans un cadre grec ou romain. […] Par sa manie d’habiller à l’antique la vie triviale moderne, elle commet sans cesse ce que j’appellerais volontiers une caricature à l’inverse. […] Reste à expliquer l’utilité du cheval qui, dans le langage apocalyptique, peut fort bien symboliser l’intelligence, la volonté, la vie. […] Oliva, vigoureusement modelés, où la vie respire, où le regard même étincelle.

1826. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Lélia (1833) »

S’il en est de plus fortes, de plus puissantes d’essor, de plus orgueilleusement douées, sentant ainsi cette vie d’amour éteinte, elles doivent frémir de colère, se frapper, souvent la poitrine, redemander la flamme perdue à tous les êtres, et, dans leurs moments égarés, en vouloir aux hommes et à Dieu, à la société, à la création elle-même. […] Mais cette idée, qui, si elle avait été réalisée selon des conditions naturelles d’existence, dans un lieu, dans un encadrement déterminé, et à l’aide de personnages vivant de la vie commune, aurait été admise des lecteurs superficiels et probablement amnistiée, cette même idée venant à se transfigurer en peinture idéale, à se déployer en des régions purement poétiques, et à s’agiter au loin sur le trépied, a dû être l’objet de mille méprises sottes ou méchantes : on n’a jamais tant déraisonné ni calomnié qu’à ce sujet.  […] Le regard se promène avec dédain ou sérénité sur le monde, l’intelligence des choses n’a jamais été si limpide ; mais où est la vie, où est l’amour ? […] L’auteur, nous l’espérons, reviendra au roman de la vie réelle, comme Indiana et Valentinel’ont posé ; mais il y reviendra avec toute la force acquise dans une excursion supérieure.

1827. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Réponse à M. Dubout. » pp. 305-316

Dubout ne pouvait pas me reprocher d’avoir même effleuré sa personne et sa vie privées. […] Et vous appelez ça, bravement, « la vérité comme dans la vie » ! […] Mais vous répondrez de nouveau : « La vérité comme dans la vie !  […] … Et maintenant, monsieur, je puis bien vous l’avouer : je me suis appliqué à vous dire des choses justes sous une forme qui fût un peu désagréable, parce qu’il faut bien se défendre dans la vie ; mais je ne suis point si fâché que cela.

1828. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Régnier, Henri de (1864-1936) »

Ils contemplent avec lui les ruines du passé ; ils savent qu’en se retrouvant là, le Maître oubliera la vie d’apparence et d’action qu’avec eux il a menée, qu’il ne lui en restera que des regrets. […] [La Vie et les Livres (1896).] […] Francis Vielé-Griffin, son compagnon de route et qu’il faut compter également parmi eux, fut aussi de « ces jeunes hommes qui, guidés par leur seule foi dans l’Art, s’en furent chercher Verlaine au fond de la cour Saint-François, blottie sous le chemin de fer de Vincennes, pour l’escorter de leurs acclamations vers la gloire haute que donne l’élite ; qui montèrent, chaque semaine, la rue de Rome, porter l’hommage de leur respect et de leur dévouement à Stéphane Mallarmé, hautainement isolé dans son rêve ; qui entourèrent Léon Dierx d’une déférence sans défaillance et firent à Villiers de l’Isle-Adam, courbe par la vie, une couronne de leurs enthousiasmes ». […] Anatole France, quand parut Tel qu’en songe et qu’il rédigeait au Temps sa Vie littéraire, garda un silence qui surprit, M. 

1829. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XII. Mme la Princesse de Belgiojoso »

Mais, tel qu’il est, ce livre a un accent à lui, et n’en a pas deux, qui vous attache et vous pénètre, et que vous retrouvez sous tous les spectacles qu’il étend devant la pensée, et cet accent unique, c’est l’âme de l’auteur, une âme plutôt lasse qu’apaisée et qui vide simplement son calice de vie, comme on boit tranquillement un verre d’eau à la fin du jour. […] Dante a dit, avec sa science de la vie et de sa misère, que le souvenir du bonheur passé était plus triste que celui du malheur lui-même, et il en est quelquefois ainsi du soleil Qui n’a pas éprouvé qu’il est des jours où il nous tombe d’autant plus lourdement sur le cœur, qu’il est plus pur et plus splendide ? […] Le parfum qu’elle a versé en gouttes sur ces pages envoyées d’Orient, n’est pas l’essence de ces roses enivrantes qui se renferme dans des cristaux, fleuretés d’or, pour le corsage des sultanes : c’est un parfum connu aussi en Occident et bien plus adhérent encore, car c’est l’odeur de toutes les roses de la vie qu’elle a coupées ou qui sont mortes et que, sous toutes les latitudes, elle emportera ou rapportera avec elle, les respirant toujours, mais ne pouvant plus s’en enivrer ! […] En lui prenant, la jeunesse et tous les rêves de la vie, il lui a rendu la simplicité.

1830. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Jacques Demogeot » pp. 273-285

Mais, quand un homme a eu le bonheur de parler sa pensée au lieu de l’écrire, pourquoi, du moins, ne pas la conserver comme il l’a parlée, et lui ôter, en faisant un livre, de sa vie première et de son bouillonnement de source ? L’art ne doit jamais diminuer la vie, car il n’est après tout, lui-même, malgré ses prétentions, qu’une imitation de la vie. […] Ainsi, il dit sérieusement, page 205, à propos de la mort d’Henri IV : « Malheureuses les nations dont la prospérité dépend de la vie d’un seul homme ! 

1831. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Le cardinal Ximénès »

Les prêtres, auxquels on peut appliquer le mot superbe de saint Bernard : « Ils n’ont soif que du sang des âmes », sont plus près du caractère qu’il faut pour gouverner ces masses d’âmes qui font les peuples que ceux-là qui ont toutes les autres soifs de la vie. […] Cependant, jusqu’ici, c’est beaucoup plus un nom retentissant qu’une vie creusée, que le cardinal Ximénès. […] L’historien qui a essayé de reproduire cette forte et sévère image peut avoir le sentiment de la vie historique, mais, à coup sûr, il n’en a pas la puissance. […] Il y fut l’homme de toute sa vie, l’homme qu’il était au confessionnal, à la tête de son diocèse ou de l’État, dans son opposition respectueuse aux mesures politiques de la cour de Rome, enfin partout, même sur les champs de bataille, c’est-à-dire le champion du droit strict et de la justice armée.

1832. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Crétineau-Joly » pp. 367-380

Mais, plus qu’eux deux peut-être, Louis-Philippe eut aussi, à son tour, cette ambition obstinée et peureuse jusqu’à l’hypocrisie, et même il n’y a qu’elle qui puisse nous expliquer sa vie, et comment, arrivé, à travers toutes ces circonstances, au moment de s’emparer du trône, au lieu de le prendre résolument, comme Guillaume d’Orange prit le sien, il l’a timidement escobardé ! […] Le plus souvent, un seul sentiment, une seule idée moule leur vie, et ce qu’un homme est au fond de son âme, il se retrouve l’être identiquement dans toutes les circonstances de sa destinée. […] Or, les hommes ne permettent pas sans mépris à l’ambition d’être une trembleuse, et les plus faux d’entre eux ont un tel besoin de franchise et de fermeté dans les relations de la vie, qu’il vaudrait mieux pour Louis-Philippe et sa renommée dans l’Histoire y avoir été ouvertement ou même horriblement coupable, que d’y être l’espèce de demi-criminel ou de demi-couard qu’il y sera. IV Seulement, je l’ai dit, mais sur ce point je me permettrai d’insister, j’aurais voulu que cette culpabilité sans hardiesse et cette ambition sans grandeur qui n’a su jamais ni se renoncer ni se satisfaire, l’historien l’eût plus vivement montrée et dégagée davantage des faits d’une vie et d’un règne qui furent, en définitive, aussi agités qu’impuissants.

1833. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Camille Desmoulins » pp. 31-44

Mais, léger comme l’esprit même, si dangereux quand il est seul dans la tête d’un homme, nerveux comme une femme encore plus que comme un artiste, proie sans résistance du milieu embrasé dans lequel allait flamber et pétiller sa jeunesse, Camille était de tous les hommes à la fois le plus armé et le moins armé pour cette guerre civile de la presse, à laquelle il dévoua sa vie et pour laquelle il la perdit. Armé, il l’était comme personne ne le fut peut-être par la nature de son esprit étincelant, acéré et rapide ; mais il ne l’était pas par le caractère, les principes, la conviction réfléchie et la dernière ressource de la vie, — une profonde moralité. […] Cela ne lui apprit ni à se diriger dans une vie orageuse et déshonorée, ni à mourir quand en vint l’heure et qu’il s’en allait à reculons à la guillotine, les yeux tournés vers un berceau. […] Il se moqua impitoyablement toute sa vie des orateurs et il avait peut-être raison, mais il était bègue.

1834. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Silvio Pellico »

Talent insincère et même nul, c’est du moins un esprit auquel le Christianisme, qui fait marcher droit les boiteux et voir les aveugles, comme son divin Maître, est venu en aide, comme il y vient toujours, par la douleur et l’épreuve de la vie, tandis que Foscolo, inaccessible au Christianisme, ne se redressa jamais, bronze mal venu, tordu à faux, et qui grimace une énergie convulsive au lieu de pleinement l’exprimer. […] C’est un chrétien que Pellico, sans rien plus que le bon sens, le sens apaisé du chrétien en face de la vie, Sans le Christianisme, il serait presque acéphale, cet homme sans esprit, sans talent, sans volonté, sans passion, sans amour, du moins comme le sentent les hommes. […] Nous y avons trouvé le Silvio de la contrition et de la confession sans faste, — de la confession faite non orgueilleusement au public des livres, mais aux amis, à ces témoins de la vie qui nous jugent, tout en nous aimant, et devant lesquels nous sommes tenus de nous expliquer. […] Par le ton, par la vie morale qui y circule, par le dédain de tout ce qui n’est pas la vérité de Dieu, ce recueil de lettres est au-dessus de toute critique.

1835. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Sismondi, Bonstetten, Mme de Staël et Mme de Souza »

Voilà Sismondi en ses ouvrages, et dans sa vie ce fut à peu près la même chose. […] C’était un érudit, et personne n’ignore combien la vie d’un érudit est simple. […] Sismondi ne fut point, lui, amoureux de Madame de Staël, mais, quand il mettait la tête hors de ses livres comme une carpe met la sienne hors de l’eau, il l’admirait naïvement et passait sa vie à l’entendre. […] Enfin, vers le tard de sa vie si peu agitée, Sismondi épousa une Anglaise, pour avoir une intimité et du thé, le soir.

1836. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXVII. Silvio Pellico »

Talent insincère, et même nul, c’est du moins un esprit auquel le christianisme, qui fait marcher droit les boiteux et voir les aveugles comme son divin Maître, est venu en aide, comme il y vient toujours, par la douleur et l’épreuve de la vie, tandis que Foscolo, inaccessible au christianisme, ne se redressa jamais, bronze mal venu, tordu à faux, et qui grimace une énergie convulsive, au lieu de pleinement l’exprimer. […] C’est un Chrétien que Pellico, sans rien plus que le bon sens, le sens apaisé du chrétien en face de la vie. […] Nous y avons trouvé le Silvio de la contrition et de la confession sans faste, — de la confession faite non orgueilleusement au public des livres, mais aux amis, à ces témoins de la vie qui nous jugent, tout en nous aimant et devant lesquels nous sommes ténus de nous expliquer. […] Par le ton, par la vie morale qui y circule, par le dédain de tout ce qui n’est pas la vérité de Dieu, ce recueil de lettres est au-dessus de toute critique.

1837. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Émile Augier, Louis Bouilhet, Reboul »

Il faut bien le dire : cette langue n’a ni invention, ni vie, ni formes nouvelles. […] D’ailleurs, nous défierions bien Augier d’être autre chose que ce qu’il est, c’est-à-dire, en deux mots, invariablement et irrémissiblement, un poète de carton-pâte modelant en petit des sujets connus, je ne sais quel faux bellâtre sans physionomie sincère et profonde, — qui n’est pas plus la beauté d’un poète que la cire du cabinet de Curtius qui veut jouer la vie n’est un homme ! […] Son accent est donc plus animé et plus chaud, mais, après tout, c’est le clair de lune d’un homme qui a été lui-même un clair de lune, et nous demandons ce que, de clair de lune en clair de lune, doit devenir, dans un temps donné, la vie de la littérature… On a beaucoup parlé de l’originalité de Musset, et ce n’est pas là son plus grand mérite. […] Indépendamment du génie très particulier, très vigoureux et très profond, qu’il fallait pour cela, il fallait de plus une aire d’observation proportionnée à ce genre de génie, c’est-à-dire une de ces vies naïves, primitives et fortes, que dans les villes on ne connaît plus.

1838. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Maurice Bouchor »

Il y a poète dans ce livre… Du fond de ces impressions qui déteignent sur toute vie et sur toute pensée à leur aurore, du fond de toutes ces remembrances dont nous sommes les échos dans notre jeunesse, du fond de toutes les éducations poétiques, mortelles parfois à la poésie, comme bien souvent les femmes sont mortelles à notre faculté d’aimer, nous voyons briller la divine étincelle, qui dague le regard comme une pointe de diamant ou d’étoile. […] Mettons qu’il soit athée dans sa vie, — mettons ! […] Le Faust moderne a la supériorité de la vie palpitante sur le Faust archéologique de Gœthe, pris par ces rêveurs d’Allemands pour le Dieu de la vie !

1839. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Auguste de Chatillon. À la Grand’Pinte ! »

Ce n’est pas plus l’ivrogne du bon vieux temps que l’ivrogne, pâle et convulsif, de ce temps-ci, le froid buveur de feu moderne, comme Edgar Poe, qui sombre dans l’ivresse pour fuir la vie, et comme Hégésippe Moreau, qui y trouve la mort. […] soit dans la tristesse, voilà, par ce temps d’orgueil qui crie, l’accent profond et surmonté de cette poésie qui n’est pas ivre, même de douleur, quoique la douleur ait été véritablement sa grand’pinte ; tel est le fond de cette poésie qui a parfois peint, à la flamande, les murs du cabaret où la pauvre fille s’est assise et a bu un coup, pour se réconforter un peu et pour oublier cette misère de la vie. […] Il porte la croix de la vie moderne sans la rejeter et sans la maudire, et il est plus calme, ce fils des preux, qui a tout perdu, fors l’honneur, et qui, par la poésie ou l’art, rentrera peut-être quelque jour dans l’héritage de gloire des ancêtres, il est plus calme que ce va-nu-pieds d’Hégésippe, qui n’a jamais rien eu que ses beaux pieds nus de pasteur grec. […] Pour lui, les rayons du soleil couchant, quand il va à Mortefontaine, lui refont son blason perdu, son blason de gueules à trois pals de vair, au chef d’or, et j’aime jusqu’à cette Mortefontaine, harmonie de plus dans cette mort de toute splendeur, qui est maintenant la vie du poète !

1840. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre V. Des Grecs, et de leurs éloges funèbres en l’honneur des guerriers morts dans les combats. »

En donnant leur vie pour l’État, ils ont mérité la plus honorable des sépultures : je ne parle pas de celle où reposent leurs ossements, la gloire des grands hommes n’est pas renfermée sous le marbre qui les couvre : la terre entière est leur mausolée ; leur nom vit dans toutes les âmes : c’est là que leur mémoire habite éternellement, au lieu que les tombeaux élevés de la main des hommes sont détruits par le temps. […] Ne préférez-vous point, comme eux, un trépas honorable à une vie qui serait ou obscure ou honteuse ?  […] Tel était le pouvoir de l’éloquence sur ces âmes sensibles, et la vigueur du caractère qui, chez les femmes même, faisait préférer la gloire à la vie. […] Les guerriers de la Grèce, après avoir lu ou entendu de pareils discours, devaient être plus enflammés que dans les pays où le soldat mercenaire, méprisé et payé, combat sans vertu, meurt sans gloire, essuie le dédain pendant sa vie, et l’oubli après sa mort.

1841. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

Il doit recevoir la vie d’un centre, et non essayer de constituer sa vie par le concours de cent mille volontés particulières. […] La vie universelle a pour condition même le meurtre incessant. […] Elle vit son temps, d’une vie plus forte, et supérieure. […] Le bonheur est pour elle un but, non un accident dans la vie. […] C’est l’image de sa vie.

1842. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Caze, Robert (1853-1886) »

. — Hymnes à la vie (1875). — Ritournelles (1879). — Poèmes rustiques (1880). — Les Parfums (1885). — Les Mots (1886). […] Sa vie ?

1843. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — II. Duclos historien » pp. 224-245

L’abbé Le Grand, oratorien dans sa jeunesse, homme des plus laborieux, mort en 1733, avait passé trente ans de sa vie à former un recueil de toutes les pièces qui se rapportent à ce règne, et il avait composé sur ces matériaux des annales plutôt encore qu’une histoire. […] En indiquant ce qui s’est vérifié, l’abbé Le Grand donne, dès les premières lignes, un aperçu et comme un tracé général de la vie et du règne qu’il va raconter. […] » Le portrait de la première Dauphine, de Marguerite d’Écosse, celle qui donna le baiser de sapience à Alain Chartier endormi, et qui mourut à la fleur de l’âge, victime de la calomnie et abreuvée de dégoûts, en disant pour dernière parole : « F. de la vie ! […] Louis XIV, tout à la fin de sa vie, s’était pris de goût et d’amitié pour une demoiselle de Chausseraye (ou de La Chausseraye), qui avait de l’esprit qu’elle cachait sous un air d’ingénuité. […] Les dernières paroles de la Dauphine furent : « F. de la vie de ce monde, ne m’en parles plus ! 

1844. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire du règne de Henri IV, par M. Poirson » pp. 210-230

J’ai vu tel lui venir communiquer d’un fait d’importance, duquel il n’avait en sa vie ouï parler, qui s’en retournait avec une opinion que quelque autre déjà en avait fait ouverture. […] Ces caresses se faisaient souvent à de petits mestres de camp de guerres civiles, qui n’eussent jamais en leur vie osé parler au roi s’ils n’eussent été ses ennemis, et en cette qualité-là ils en recevaient un bon visage. […] Celle-ci avait dissipé les derniers fuyards de la Ligue et contribué à remettre le bon ordre dans les esprits et dans les cités ; l’autre allait former à la vie rurale le père de famille gentilhomme, de retour au manoir des ancêtres, et quand il avait pendu au clou son armure. […] Que tout cela disparaisse, c’en est fait de tout le prix de la vie pour les vivants. […] Telle était la fin du règne du bon Henri IV, qui fut la fin de beaucoup de biens et le commencement d’une infinité de maux, quand une Furie enragée ôta la vie à ce grand prince.

1845. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier. »

Songes riants, projets de bonheur et d’amour, Fraîches illusions du matin de la vie, Pourquoi ne pas durer jusqu’à la fin du jour ? […] — la vie est une chose étrange ; En ce temps-là j’aimais, et maintenant j’arrange   Mes beaux amours en méchants vers. […] Devenue libre et maîtresse d’elle-même par la mort d’un vieux parent, elle veut en avoir le cœur net ; elle tente l’aventure, prend un déguisement viril et se lance tête baissée à travers la vie. […] C’est une suite d’évocations lugubres, après une promenade au cimetière le jour des Morts ; tour à tour Raphaël, Faust, Don Juan, Napoléon lui-même, apparaissent aux yeux du poète qui demande à la vie et à la tombe son secret ; nul de ces grands revenants ne le sait, chacun renvoie à l’autre. […] Son premier voyage en Espagne, qui est de 1840, et qui fut dans sa vie d’artiste un événement, lui avait fourni des notes nouvelles d’un ton riche et âpre, bien d’accord avec tout un côté de son talent ; il y avait saisi l’occasion de retremper, de refrapper à neuf ses images et ses symboles ; il n’était plus en peine désormais de savoir à quoi appliquer toutes les couleurs de sa palette.

1846. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Madame Roland, ses lettres à Buzot. Ses Mémoires. »

Je ne puis croire que le Ciel ne réserve que des épreuves à des sentiments si purs et si dignes de sa faveur Cette sorte de confiance me fait soutenir la vie et envisager la mort avec calme. […] Pour le moment, elle se plaît à lui faire de la vie qu’elle mène en ce triste lieu une description reposée et presque attrayante : on l’y voit à merveille, dans cette cellule assez large à peine pour souffrir une chaise à côté du lit, devant la petite table où elle lit, écrit ou dessine, avec le portrait de son ami sous ses yeux ou sur son sein, pour tout ornement de son réduit ayant un bouquet de fleurs que Bosc lui fait envoyer chaque matin du Jardin des Plantes : c’est un joli coin de tableau, que j’appellerais flamand s’il n’était si net et si clair de tout point ; le clair-obscur n’est point le fait de Mme Roland. Après cette peinture un peu embellie de sa vie, elle ajoute, revenant à son cher objet, à cette autre existence qui l’occupe : « Mais, sais-tu que tu me parles bien légèrement du sacrifice de la tienne, et que tu sembles l’avoir résolu fort indépendamment de moi ? […] Retirée du monde et presque de la vie de famille, cette personne respectable n’aspirait qu’à mener la vie spirituelle selon un régime de plus en plus exact, de moins en moins séculier. […] Stendhal ou Beyle est à la mode aujourd’hui, et on est bien venu de le citer : ce n’est pas qu’il n’ait dit en sa vie beaucoup d’impertinences ; mais il y mêle du bons sens et un sel qui pique et qui relève.

1847. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LE COMTE XAVIER DE MAISTRE. » pp. 33-63

L’extrême félicité à peine séparée par une feuille tremblante de l’extrême désespoir, n’est-ce pas la vie ? […] Je n’aurais pas tant insisté sur ce singulier petit essai, s’il n’y avait une leçon directe de goût à en tirer, si l’on n’y trouvait surtout les traces avouées d’un conseil supérieur et des traits partout ailleurs remarquables, comme celui-ci : « Quant à la vie, pour ainsi dire déserte, à laquelle je suis condamné, elle s’écoule bien plus rapidement qu’on ne l’imaginerait ; et cela c’est beaucoup, continua le Lépreux avec un léger soupir, car je suis de ceux qui ne voyagent que pour arriver. […] Léger enfant de la prairie, Sors de ma lugubre prison ; Tu n’existes qu’une saison, Hâte-toi d’employer la vie. […] Ce qu’il paraissait le plus désirer, le plus regretter chez nos grands littérateurs, c’est l’unité dans la vie. […] Cette maladie provient là, en effet, bien moins d’un vice que de la pauvreté et des misères de la vie, de la nourriture corrompue, de l’humidité prolongée, des travaux de pêche auxquels on est assujetti durant l’hiver : elle afflige souvent ceux qui le méritent le moins ; elle n’est pas contagieuse, elle n’est même pas décidément héréditaire.

1848. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIe Entretien. Chateaubriand »

Nous nous étions rencontrés non par hasard, mais par attraction, il y avait un an et demi, dans les montagnes de la Savoie, divines solitudes pour commencer ou finir la vie ! […] Ainsi coulait ma vie et je ne la sentais pas couler. […] Les romans sont les livres des malheureux : ils nous nourrissent d’illusions, il est vrai ; mais en sont-ils plus remplis que la vie ?  […] Son père a succombé dans le combat, et lui, resté sans protecteur à la ville de Saint-Augustin, il courait risque d’être enlevé pour les mines de Mexico, lorsqu’un vieil Espagnol, Lopez, s’intéresse à lui, l’adopte et essaye de l’apprivoiser à la vie civilisée. […] Elles me questionnaient sur ma mère, sur les premiers jours de ma vie ; elles voulaient savoir si l’on suspendait mon berceau de mousse aux branches fleuries des érables, si les brises m’y balançaient auprès du nid des petits oiseaux.

1849. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « La jeunesse du grand Condé d’après M. le duc d’Aumale »

L’inutilité de la vie nous apparaît plus aisément, à nous qui, si nous représentons quelque chose, le représentons avec des millions d’autres êtres. […] On voit ainsi la vie à nu et l’on se fait un cœur compatissant. […] Ici se placent deux de ces anecdotes que recherchaient Bouvard et Pécuchet méditant une Vie du duc dAngoulême. […] il allait donc pouvoir dépenser librement l’extraordinaire somme de vie et d’énergie qui était en lui et que tout avait comprimé jusque-là. […] L’Histoire des princes de Condé s’arrête à la bataille de Nordlingen : la partie la plus intéressante de la vie du duc d’Anguien reste donc à raconter.

1850. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires de Marmontel. » pp. 515-538

Enfin Marmontel, avec ses faiblesses et un caractère qui n’avait ni une forte trempe, ni beaucoup d’élévation, était un honnête homme, ce qu’on appelle un bon naturel, et la vie du siècle, les mœurs faciles et les coteries littéraires où il s’était laissé aller plus que personne, ne l’avaient pas gâté. […] Ce livre heureux, qui contient l’histoire de l’enfance, de la famille, des premières études et même des premières amours, se termine par la brusque nouvelle de la mort du père, c’est-à-dire par la première grande douleur qui initie au sérieux de la vie. […] Il eut, à ce premier début, un bonheur dont toute sa vie se ressentira. […] Il épousa une jeune et jolie nièce de l’abbé Morellet : il avait cinquante-quatre ans, ce qui ne l’effraya point ; il était très amoureux de sa femme, et il se livra avec délices à cette vie de famille pour laquelle il était fait72. […] Vie de Grosley écrite par lui-même, continuée et publiée par l’abbé Maydieu (1787) ; on y trouve, p. 95-99, quelques détails à ajouter à ceux que donne Marmontel sur Mlle Navarre.

1851. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Rivarol. » pp. 62-84

Rivarol semblait ne mener qu’une vie frivole, et il était au fond sérieux et appliqué. […] Cependant il vivait trop de la vie brillante, dissipée, mondaine, de la vie de plaisirs, et, à peine âgé de vingt-huit ans8, il se disait lassé et vieilli : Quant à la vie que je mène, écrivait-il à un ami (janvier 1785), c’est un drame si ennuyeux, que je prétends toujours que c’est Mercier qui l’a fait. […] Cette définition si bien sentie, il a passé sa vie à la pratiquer, et presque toutes les inimitiés qu’il a soulevées viennent de là. […] À Paris, on n’en était pas dupe : « En vain les trompettes de la Renommée ont proclamé telle prose ou tels vers ; il y a toujours dans cette capitale, disait Rivarol, trente ou quarante têtes incorruptibles qui se taisent ; ce silence des gens de goût sert de conscience aux mauvais écrivains et les tourmente le reste de leur vie. » Mais, en province, on était dupe : « Il serait temps enfin, conseillait-il, que plus d’un journal changeât de maxime : il faudrait mettre dans la louange la sobriété que la nature observe dans la production des grands talents, et cesser de tendre des pièges à l’innocence des provinces. » C’est cette pensée de haute police qui fit que Rivarol, un matin, s’avisa de publier son Petit almanach de nos grands hommes pour l’année 1788, où tous les auteurs éphémères et imperceptibles sont rangés par ordre alphabétique, avec accompagnement d’un éloge ironique. […] Marié, mais séparé de sa femme, qui n’était pas exempte de quelque extravagance, il avait emmené avec lui une petite personne appelée Manette, qui joue un certain rôle dans sa vie intime : c’est cette personne à qui il conseillait, comme elle ne savait pas lire, de ne jamais l’apprendre ; la pièce de vers très connue qu’il lui adressa se terminait ainsi : Ayez toujours pour moi du goût comme un bon fruit,        Et de l’esprit comme une rose.

1852. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — II. (Suite.) » pp. 220-241

C’est alors que Le Barbier, tel que nous l’avons, se releva et se mit à vivre de sa légère et joyeuse vie, pour ne plus mourir. […] Il combina ces qualités diverses et les réalisa dans des personnages vivants, dans un seul surtout qu’il anima et doua d’une vie puissante et d’une fertilité de ressources inépuisable. […] Il a créé des personnages qui ont vécu leur vie de nature et de société : « Mais qui sait combien cela durera ? […] Ce n’est plus un Gil Blas tout simple et naturel, se laissant aller au cours des événements et au fil de la vie pour en tirer ensuite une expérience non amère. […] Chérubin, à lui seul, est une création exquise et enchanteresse de Beaumarchais ; il y a personnifié un âge, un premier moment de la vie de chacun, dans toute cette fraîcheur et cette émotion naissante, fugitive, irréparable : il n’a jamais été plus poète que ce jour-là.

1853. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Révolution française »

… Semblable à toutes les grandes corruptions qu’il est facile d’étouffer dans leur première molécule empoisonnée, la Révolution a semé la vie telle qu’elle l’a créée, et cette vie malade, souillée, folle, a levé de toutes parts ! […] Or, cet aveuglement de l’esprit et ce vice de la volonté n’étant point, quand la Révolution éclata, dans la masse du peuple, mais, comme l’a prouvé Cassagnac, uniquement dans ceux qui la menèrent et l’égarèrent, nous parler à fond de ces meneurs coupables, nous ouvrir leur âme, passer de l’homme public, exagéré par la perspective du théâtre, à l’homme privé, saisi dans la stricte rigueur de ses habitudes et de ses passions, dans ce terrible tous les jours de la vie qui nous en dit tant sur les hommes ! […] S’il avait pu y croire une minute, avec ses tendances positives de penseur chez qui la pensée a toujours touché à l’action, et d’écrivain catholique chez qui le catholicisme a redoublé le bon sens, il ne fût point descendu des hauteurs de son histoire dans le détail de la vie des hommes de la Révolution, les isolant les uns des autres pour mieux étudier chacun d’eux. […] Pourquoi, en effet, après leur vie publique, la vie privée de Sieyès, de Mirabeau, de Lafayette, de Robespierre, de Marat, de Danton et de tous les autres, si on peut, sans mutiler l’histoire, distraire la personnalité de ces hommes du cadre d’événements surhumains dans lequel ils se sont mus et qu’ils ont rempli, si on veut abaisser sur leurs visages nus, avec une monstrueuse indulgence, le voile noir que la république de Venise étendait sur l’image de son doge décapité ? […] Le républicanisme de ce misérable, qui aurait été le publiciste de l’incendie à Constantinople, ne résiste pas à l’étude faite par Cassagnac de ses écrits et de sa vie.

1854. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « V. M. Amédée Thierry » pp. 111-139

On a beaucoup trop parlé (et nous-même) de la pureté, de la santé et de la vigueur du sang barbare, de la généreuse transfusion qu’il venait opérer dans les sources mêmes de la vie des vieux peuples. […] C’est la différence, en effet, qu’il y a entre les deux frères, — une différence de vie dans le talent dont ils sont doués, jointe à une ressemblance de nature. […] Mais, quoique en se fermant, l’œil de son esprit ait vu probablement l’aurore du jour qui lui avait, toute sa vie, manqué, ses œuvres et son talent portèrent la peine de cette indigence. […] Égal à son frère en tant de parties que je viens d’énumérer, c’est par le style, c’est-à-dire par la vie de l’histoire (non par son intelligence), que M.  […] Tout se compare dans la vie, et l’esprit est souvent pipé par les comparaisons.

1855. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pommier. L’Enfer, — Colifichets. Jeux de rimes. »

Toute cette partie de son poëme est d’une vie telle qu’il est impossible d’en rien détacher, car la strophe vous prend et vous jette à la strophe suivante, et vous faites ainsi le tour de ce morceau d’une impétuosité lyrique irrésistible ! […] Vous le voyez, pécheurs infâmes, Si l’autre vie était un jeu ! […] Amédée Pommier, et qui lui donne la chaleur, le mouvement et la vie. […] Il avait toute sa vie assez montré ce qu’il pouvait faire dans l’ordre de la pensée poétique, et il y reviendra bientôt encore. […] Faire donner à l’expression réduite, autant qu’elle peut l’être, à elle-même, car elle ne vit pas absolument d’une vie qui lui appartienne, mais lui faire donner tout ce qu’elle peut donner, quand elle est réduite à sa propre puissance et à son propre charme, voilà le beau problème poétique qui vient d’être résolu dans une expérimentation de génie.

1856. (1868) Curiosités esthétiques « VII. Quelques caricaturistes français » pp. 389-419

Son œuvre est un monde, une petite Comédie humaine ; car les images triviales, les croquis de la foule et de la rue, les caricatures, sont souvent le miroir le plus fidèle de la vie. […] Nul comme celui-là n’a connu et aimé (à la manière des artistes) le bourgeois, ce dernier vestige du moyen âge, cette ruine gothique qui a la vie si dure, ce type à la fois si banal et si excentrique. […] C’est la logique du savant transportée dans un art léger, fugace, qui a contre lui la mobilité même de la vie. […] Il a passé sa vie à chercher des idées, les trouvant quelquefois. […] Cet homme, avec un courage surhumain, a passé sa vie à refaire la création.

1857. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIV. »

ce qui était imposé de souffrance et d’énergie à la vie active rendit une force nouvelle à la pensée. […] Des talents qui s’ignoraient dans l’oisiveté d’une vie stagnante furent saisis d’une ardeur inattendue. […] Jusque-là le poëte n’avait redit dans ses chants que les souffrances et les privations de sa vie sans amour, sans liberté, sans gloire. […] Quand viendront, au souffle de la nuit, les frémissements des palmiers et des platanes apaiser et enchanter ma vie ?  […] Quelques détails de sa vie diront comment se forma cette âme poétique.

1858. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Drouais et Voiriot »

Il leur met dans les yeux de la vie, de la transparence, et l’humide et le gras et le nageant qui y est. […] La Petite fille qui joue avec son chat qu’elle a enveloppé dans un des coins de son mantelet, mérite l’attention par sa vie, sa mignardise et l’élégance de son ajustement.

1859. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Valandré, Marie de (1861-19..) »

[Bibliographie] Au bord de la vie (1885). […] Paul Mariéton Une âme charmante, ingénieuse aussi, palpite dans les vers pleins de franchise et de simplicité qui composent ce livre (Au bord de la vie) portant un titre donné à l’auteur par Joséphin Soulary, dont le nom est inscrit au premier feuillet comme une invocation tutélaire au fronton d’un petit temple grec.

1860. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIVe entretien. Littérature, philosophie, et politique de la Chine » pp. 221-315

Nous citerons nous-même dans la suite de cette étude son admirable histoire de la vie et des œuvres littéraires de Confucius. […] Les admirables travaux du père Amyot sur la vie, les lois, les œuvres de cet homme unique entre tous les hommes, sont contenus à peine dans un volume. […] C’est à cette époque de sa vie active que se rapportent ses plus belles maximes et ses plus belles institutions. […] « Voilà », continue-t-il, « ce qui a rendu les premiers instituteurs de notre société civile et politique respectables pendant leur vie, immortels après leur mort. […] Les enfants l’aimaient et le respectaient instinctivement, par reconnaissance pour le bienfait de la vie qu’ils lui devaient, et par l’habitude de se soumettre à sa volonté présumée sage.

1861. (1922) Enquête : Le XIXe siècle est-il un grand siècle ? (Les Marges)

Nous avons eu beaucoup de grands hommes, promis au plus hautes destinées, qui ont été devant nous jetés sur le tapis du monde, disputés entre la vie et la mort, et plus d’une fois la vie a perdu la partie. […] L’étude ou la méditation ne trouvent plus leur place dans la vie contemporaine. […] Leurs tendances sont contradictoires selon les périodes de leur vie, et chaque lecteur peut trouver à admirer dans le sens de ses préjugés. […] Le progrès — si ce mot a un sens — l’évolution, la vie même impliquent une part bienfaisante d’ingratitude, d’injustice et d’oubli. […] Elle n’est rien, si l’on n’y ajoute la sensibilité et l’instinct, l’imagination créatrice, le don de la vie.

1862. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XV. La littérature et les arts » pp. 364-405

Et en effet le jour où la société polie naît en France, le jour où la vie mondaine s’organise, il faut un nouveau genre d’habitation qui réponde aux besoins nouveaux. […] Elle avait cette surabondance de vie que les hommes de sa génération dépensaient sur les champs de bataille. […] La France respire et s’égaie, et, comme il arrive après une longue oppression, c’est d’abord un débordement de joie et de vie animale, une fureur de plaisir. […] Plus près de nous encore, la perruque, la poudre, l’habitude de se raser disparaissent avec le style noble et les œuvres littéraires presque exclusivement consacrées à la vie mondaine. […] George Sand (Sa vie et ses œuvres).

1863. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIIe entretien. I. — Une page de mémoires. Comment je suis devenu poète » pp. 365-444

Il aurait fallu pour cela que la destinée m’eût fermé plus hermétiquement et plus obstinément toutes les carrières de la vie active. […] Le mysticisme est le crépuscule de cette communion future de toute créature avec son Créateur ; on n’y voit que des ombres à demi lumineuses, mais ce sont des ombres d’une autre vie. […] Cette prodigieuse contention d’une pensée unique, dans un homme qui n’a certainement pas eu une heure de détente ou de délassement dans sa vie, ne devait cependant pas abréger ses jours, car il y a très peu de temps que j’ai reçu une lettre d’un de ses neveux qui me recommandait quelque chose ou quelqu’un en son nom. […] Il était entré tard, et après une vie répandue, dans l’ordre ; il avait voulu recueillir la maturité de sa vie et utiliser à l’instruction littéraire de la jeunesse ses talents et ses goûts, goûts et talents d’un lettré accompli. […] Cet Homère des oiseaux gagne sa vie à chanter, et compose ses plus beaux airs après avoir perdu la vue.

1864. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1888 » pp. 231-328

Elle ne sait rien de la vie vécue. […] Mais, soudain au milieu du déchiffrement de la microscopique écriture de mon frère, pendant les dernières années de sa vie, je me sens un trouble dans les yeux, qui se remplissent de sang. […] Cela est dit d’un ton froidement désespéré, avec une mélancolie, un découragement de la vie tout à fait extraordinaire. […] … » C’était ma dernière cartouche à tirer, et je tenais à la tirer… Mais cette malechance qui m’a poursuivi toute ma vie ! […] La vie de théâtre a cela, qu’elle donne la fièvre à votre cervelle, qu’elle la tient, tout le temps, dans une excitation capiteuse, et qui vous fait craindre, quand vous en serez sorti, que la vie tout tranquillement littéraire du faiseur de livres, paraisse bien vide, bien fade, bien peu remuante.

1865. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Froissart. — I. » pp. 80-97

Sa vie, son caractère sont pleins de naturel et d’originalité, et merveilleusement assortis à son œuvre. […] Jamais il ne se vit de curiosité plus vive, plus éveillée, plus enjouée, plus universelle ; jamais la vie extérieure avec tous ses accidents ne se peignit dans une imagination plus ouverte, plus avide, plus franchement amusée que la sienne : En ma jeunesse, dit-il en des vers que je traduis le plus légèrement que je peux, j’étois tel que je m’ébattois volontiers, et tel que j’étois, encore le suis-je aujourd’hui. […] Froissart a de bonne heure son idéal : les grands romans de chevalerie, les grands exploits des siècles précédents, qui se renouvellent dans ce siècle, ont mis en circulation une certaine idée d’honneur et de courtoisie ; il en est épris ; elle a relui sur son berceau, et toute sa vie sera consacrée à en retracer et à en perpétuer par écrit l’image. […] Le charmant poète Gray qui, dans sa solitude mélancolique de Cambridge, étudiait tant de choses avec originalité et avec goût, écrivait à un ami en 1760 : Froissart (quoique je n’y aie plongé que çà et là par endroits) est un de mes livres favoris : il me semble étrange que des gens qui achèteraient au poids de l’or une douzaine de portraits originaux de cette époque pour orner une galerie, ne jettent jamais les yeux sur tant de tableaux mouvants de la vie, des actions, des mœurs et des pensées de leurs ancêtres, peints sur place avec de simples mais fortes couleurs. […] Frappé de son courage, de son urbanité, de ses manières généreuses et chevaleresques, il ne sait comment concilier tant de hautes et d’aimables qualités avec son mépris de la vie des hommes, surtout de ceux d’une classe inférieure, et il ne peut s’empêcher tout bas de le comparer au fanatique Burley.

1866. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Sénecé ou un poète agréable. » pp. 280-297

Sénecé, à peine âgé de quarante ans, redevint donc, à sa grande douleur, provincial et Mâconnais ; le reste de sa vie (et il vécut longtemps), il se considéra comme exilé, un exilé de cet Olympe dont il avait été l’un des Mercures secondaires et où il ne pouvait remonter. […] Quoi qu’il en soit, ce poète de Toulouse, qui végéta toute sa vie dans les fonctions de président au présidial d’Aurillac, est un digne représentant des poètes disgraciés par la fortune, et dont le mérite n’a pu triompher d’une mauvaise étoile ; il a droit de se citer lui-même en exemple au malheureux Acanthe, et, pour mieux le consoler encore, il lui retrace les malheurs de leur père commun et de leur maître, Apollon. […] Et quant à l’objection qu’on ne peut chanter dignement et prendre tout son essor quand on est occupé des soins vulgaires et des besoins de la vie, il n’a qu’une réponse à faire au triste Acanthe, il n’a, dit-il, à lui donner qu’un avis pour que les bienfaits du maître l’aillent chercher ; Le voici, cher Acanthe, en un seul mot : Excelle. […] Dans une lettre à Mme de Bellocq, veuve de son ami, il a tracé un tableau assez riant de la vie tranquille, à la fois philosophique et chrétienne, qu’il menait durant les dernières années (1726-1737) : Ayant fait réflexion, disait-il, que j’étais dans un âge trop avancé pour me donner le soin d’économer (de régir) des biens de campagne, j’ai pris le parti de mettre ma terre en ferme et de me retirer entièrement à la ville. […] En reconnaissant dans ses œuvres de l’esprit, de la facilité, de l’élégance et quelque agrément, mais en ne trouvant pas dans ses vers, pour le critiquer avec ses propres paroles, Certain je ne sais quoi qui manque à leur beauté, on se fait toutefois une question, on se demande à quoi tient la vie dans les productions de l’esprit et de l’imaginalion, d’où vient ce don et ce souffle qui fait les beaux vers sans vieillesse.

1867. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Lettres inédites de Jean Racine et de Louis Racine, (précédées de Notices) » pp. 56-75

Les Mémoires sur sa Vie que nous a laissés son fils sont fort agréables, très justes en général par l’esprit de tradition et de piété qui les anime, mais inexacts en bien des points, surtout pour les commencements et le début de la carrière. […] L’enfant est de grande vie et tette beaucoup. […] C’est dans ces données exclusivement flatteuses et laudatives que l’abbé de La Roque a tout naturellement écrit la Vie de son aïeul16. […] C’est autre part qu’est la vie, c’est autre part qu’est l’encouragement et l’espérance. […] Indépendamment de tout ce qu’on trouve sur Louis Racine dans le présent volume, M. l’abbé de La Roque avait publié, il y a quelques années, une Vie de Louis Racine plus développée (Firmin Didot, 1852).

1868. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Legkzinska »

C’est un doux et pur sujet d’étude que la figure et la vie de Marie Leckzinska, et l’on comprend qu’une jeune femme de mérite s’y soit arrêtée. […] Voltaire, que l’auteur de la nouvelle Vie de Marie Leckzinska appelle léger, et qui est moins grave en effet que l’abbé Proyart, était à Fontainebleau à l’arrivée de la reine (5 septembre 1725), et il nous a peint à ravir ces premiers instants. […] Il n’avait pas reçu encore l’affront sanglant qu’il essuya l’année suivante, et qui changea la direction de sa vie. […] Quand elle vit la cassette où tout cela était arrangé : « Voilà, dit-elle, la première fois de ma vie que j’ai pu faire des présents. » Elle avait un peu de rouge le jour du mariage, autant qu’il en faut pour ne pas paraître pâle. […] Elle pratiqua saintement cette vertu royale tous les jours de sa vie.

1869. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet »

La véritable éducation, celle du monde et des affaires, commença alors pour ce droit et judicieux esprit : « C’était, nous dit-il, un bienfait inappréciable pour moi que cette vie intérieure (l’intimité du comte de Merle), toute différente de celle que j’avais menée auparavant. […] Il y a, dans la vie, de ces années primordiales et fécondes, de ces assises fondamentales : on n’a plus ensuite qu’à bâtir dessus. […] Les connaisseurs en matière de xviiie  siècle font cas d’un petit écrit posthume de l’académicien Chabanon, qui a titre : Tableau de quelques circonstances de ma vie ; précis de ma liaison avec mon frère Maugris (1795). […] La pitié, le respect, imposaient à ma curiosité ; je n’étais affecté que de cette prolongation des misères de la vie humaine, dans l’abandon, la solitude et la privation de tous les secours de la société. […] Après une mission à Marseille pour la vente de l’arsenal, Malouet fut nommé intendant à Toulon et y passa les huit années qui précédèrent la Révolution (1781-1789), et qui furent, dit-il, les plus heureuses de sa vie.

1870. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Affaires de Rome »

J’ai désormais des devoirs plus simples et plus clairs ; le reste de ma vie sera, je l’espère, consacré à les remplir, selon la mesure de mes forces… Qu’on ne s’y trompe pas, le monde a changé : il est las des querelles dogmatiques. » Telle est la déclaration formelle que M. de La Mennais exprime aux dernières pages de ce livre ; les termes seuls dans lesquels elle est conçue montrent assez que, si le nouvel écrit est destiné à clore la série de ceux que l’auteur a publiés à partir des Réflexions sur l’État de l’Église, datant de 1808, il ne leur ressemble ni par les principes ni par le ton, et que, sinon pour le sujet et la matière, du moins dans les pensées et les conclusions, il se rattache déjà à cette série d’écrits futurs que nous promet l’illustre auteur. Singulière énergie, révolution indiviiluelle à jamais étonnante, que celle qui raye d’un trait de plume et renvoie comme à néant tout le passé d’une telle vie, et qui fait qu’à plus de cinquante-trois ans on en recommence une nouvelle, — à beaucoup d’égards une contraire, — avec toute la ferveur de la jeunesse, avec tout le dégagé et tout l’absolu d’une première entreprise ! […] Dans cette volonté de fer, dans cette chaîne logique d’airain, dans cette vie constamment austère et intègre, il y a eu un moment où tout s’est brisé… oui, tout ! […] Ce qu’on représentait comme la mort des peuples, on assure à présent que c’est leur santé, leur vie. » Les hommes dont nous parlons pourront donc sourire en relisant ce passage de M. de La Mennais ; mais lui-même aussi ne peut-il pas le leur redire en face à la plupart, le leur rétorquer à bout portant ? […] Et quelle douce vie pour Pasquale !

1871. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Recueillements poétiques (1839) »

À mesure que chacun des grands esprits qu’on a vus débuter avec éclat s’avance dans la vie, il rompt ses unités, multiplie ses bigarrures et ses aventures : cela, chez quelques-uns, peut s’appeler progrès ; car toute chose a deux noms. […] Mais, du moment qu’on n’avait plus affaire au simple amant d’Elvire, et qu’on était décidément en face d’un poëte, force était d’aller au delà, de recommencer avec lui la vie et les chants : on eut peine à s’y résigner d’abord, et même, pour bien des cœurs épris de l’amant et qui bientôt se crurent dupés par le poëte, l’idéal, dès ce moment, fut rompu. […] «… Ma vie de poëte, écrit-il, recommence pour quelques jours. Vous savez, mieux que personne, qu’elle n’a jamais été qu’un douzième tout au plus de ma vie réelle. […] … Et ici, en beaux et grands vers que chacun a pu lire, revient l’utopie immense, trop immense, mais enfin bornée (il était temps) par une vive peinture de vie heureuse dans une bastide du Midi.

1872. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre V. La littérature et le milieu terrestre et cosmique » pp. 139-154

Port-Royal des Champs, qui est en ce temps-là un foyer si actif de vie religieuse et morale, est situé dans la banlieue, et la famille Arnauld est parisienne. […] Elle est pour Victor Hugo, tantôt une grande oublieuse au front serein52 qui efface l’homme éphémère sous la continuité de sa vie exubérante, tantôt une auxiliaire du progrès53, qui révèle à l’humanité ses mystères, lui soumet ses forces, l’émancipé, la rend plus puissante, la mène par la science à la liberté, l’aide à briser les vieux moules du passé, à faire germer le bien et la joie pour les générations futures. […] Il est visible ainsi que les invectives passionnées de Goncourt, la conception mélancolique de Sully Prudhomme et les théories de Darwin sur la lutte pour la vie sont des choses du même temps, trois formes d’une seule et même idée qui flottait dans l’air ambiant. […] Le premier se demanda avec tristesse ce que faisait la Providence pendant ces bouleversements qui engloutissaient tant de vies innocentes, et il posa une fois de plus cet angoissant problème de l’existence du mal physique sur la terre. […] Le romantisme avait excité dans une quantité d’âmes une fièvre intense de voir du nouveau, de changer de vie en changeant de lieu, de se mettre en quête par le monde de sensations artistiques et imprévues.

1873. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XIII »

Lebonnard l’arrête en ce beau chemin, et lui apprend qu’il a été dupe d’une scène bien jouée : madame de Morancé n’a, dans sa vie, que la triste faute de l’avoir aimé. […] Son rôle n’est-il point d’embellir la vie, de la voiler et de l’attendrir, plutôt que de tordre ses fibres intimes, pour en extraire la lie et le fiel ? […] Et cet amour qui est sa vie, son bien, son trésor, on veut le lui prendre en brisant son être ! […] Rien de chaste et rien de touchant comme cet élan d’une jeune âme blessée, ressaisissant la vie, se rattachant au bonheur qu’elle croyait perdu. […] Quelle vie vont mener ce mari et cette femme remis à la chaîne, mais non réunis ?

1874. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires de Philippe de Commynes, nouvelle édition publiée par Mlle Dupont. (3 vol. in-8º.) » pp. 241-259

« J’ai peu vu de gens en ma vie, dit Commynes, qui sachent bien fuir à temps. » Commynes était de ce petit nombre qui savent saisir l’heure et le moment. […] Il a raison de remarquer quelque part que presque tous ceux qui ont fait de grandes choses ont commencé fort jeunes ; mais ce qui est bien rare, c’est de conseiller si sagement et de voir si juste, de tenir la balance si exacte, dès cette première moitié de la vie. […] Leurs vies en seroient plus longues ; les maladies en viendroient plus tard ; et leur mort en seroit plus regrettée et de plus de gens, et moins désirée… L’équivalent de Tacite ne se trouve-t-il point dans ces passages, et dans tels autres où Commynes a des accents qui parfois rappellent ceux de Bossuet ? […] Un seul fait important est ici à noter : comme Bacon, Commynes, sur un point délicat, fut coupable et faible ; tous deux ont eu dans leur vie des taches du même genre, pour avoir trop aimé les biens. […] Au reste, ç’a été un bonheur pour lui et pour nous qu’il ait eu, sur la fin de sa vie, des années de disgrâce : nous y avons gagné un grand historien, et lui un nom immortel.

1875. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Mme de Genlis. (Collection Didier.) » pp. 19-37

Que nous importe après tout telle ou telle circonstance de sa vie, si les traits du caractère se dénoncent ? […] Grâce à Dieu, nous n’écrivons point sa vie ; ce serait une tâche trop délicate, trop périlleuse. […] Ce fut un grand moment dans la vie de Mme de Genlis : « Je vis, dit-elle, la possibilité d’une chose extraordinaire et glorieuse, et je désirai qu’elle pût avoir lieu. […] M. de Valois (comme on l’appelait alors) n’annonçait en rien la fleur des anciens Valois, cette distinction suprême dans le goût, qui n’est pas toujours en accord avec le bon sens et avec la science pratique de la vie. […] Elle l’a nourri et formé à la lettre ; elle l’a bien jugé de bonne heure, et on retrouve dans ce premier jugement, on y devine toutes les qualités et les limites que la vie de ce prince a manifestées depuis.

1876. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Droz. » pp. 165-184

Il était né et il resta toute sa vie de la race des bons et des justes. […] Demandez donc au poète, qui a dit que la vie coule à flots de pourpre dans ses veines, de se plaire à la ralentir et à la modérer, comme on ferait des flots de lait ou de miel. […] Grâce à lui, ce qu’il appelle les trois phases de la vie politique de Mirabeau depuis 89 jusqu’à sa mort, les circonstances particulières et les vicissitudes de ses relations avec la Cour, sont aussi éclaircies désormais qu’il est permis de l’espérer22, et, quelque jugement qu’on porte sur le caractère de l’homme, le génie de Mirabeau en ressort plus grand, il est piquant de voir cet esprit juste, droit et pur de M.  […] L’affaiblissement et le ralentissement graduel de la vie n’avaient rien ôté à la vivacité de ses affections et de son âme. Il s’éteignit un jour sans douleur dans les bras des siens, et sembla justifier en tout cette belle pensée de Marc Aurèle : « Il faut passer cet instant de vie conformément à notre nature, et nous soumettre à notre dissolution avec douceur, comme une olive mûre qui, en tombant, semble bénir la terre qui l’a portée, et rendre grâces au bois qui l’a produite. » En ces temps de mélange et de turbulence, cette vie et cette nature de M. 

1877. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — N — Nau, John-Antoine (1873-1918) »

Un poète qui a aimé une femme belle et intelligente, un poète que les hasards de la vie ont fait marin, se rappelle et évoque, autour de sa première maîtresse, les errantes amours de sa vie d’escales, et les confronte, et cherche tout ce qu’il y eut eu tous ces caprices et ces amourettes de traces de son plus profond sentiment.

1878. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1871 » pp. 180-366

Je crois que, de ma vie, je n’ai encore autant souffert. […] Et il en a été toujours ainsi, toute ma vie. […] Je ne puis, sans entrer en rage, la voir continuer, sa vie badaudante. […] Ai-je touché à la vie libre et occupée de ce que j’aime ? […] Le vide de ma vie se fait aujourd’hui cruellement sentir.

1879. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Rêves et réalités, par Mme M. B. (Blanchecotte), ouvrière et poète. » pp. 327-332

d’ici à demain peut-être, ce cours un peu vague peut se resserrer, se creuser avec profondeur, entrer dans quelque vallée verdoyante et sonore, réfléchir des bords plus hardis, des scènes plus animées, donner enfin le mouvement et la vie à un paysage que chacun voudra connaître et visiter. […] Chacun garde une larme au fond de son regard, Ou jeune fille ou femme, ou jeune homme ou vieillard ; Heureux quand cette larme est divine et sacrée Comme le pur regret de ta vie ignorée ! […] L’auteur, pour peu qu’il s’apaise un jour et qu’il rencontre les conditions d’existence et de développement dont il est digne, me paraît des plus capables de cultiver avec succès la poésie domestique et de peindre avec une douce émotion les scènes de la vie intime : car si Mme Blanchecotte (ce qui est, je crois, son nom) a de la Sapho par quelques-uns de ses cris, elle aurait encore plus volontiers dans sa richesse d’affections quelque chose de mistriss Felicia Hemans, et tout annonce chez elle l’abondance des sentiments naturels qui ne demandent qu’à s’épancher avec suite et mélodie.

1880. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires du marquis d’Argenson, ministre sous Louis XV »

L’auteur s’est fort attaché à retracer la vie et le caractère du comte d’Argenson le moins âgé des deux frères, et celui-ci sans doute ne mérite l’oubli non plus que l’autre. […] Le caractère du style aussi bien que de la vie du marquis d’Argenson est le bon sens, comme on le croira sans peine ; ennemi du clinquant et de ce qu’il appelle les épigrammes politiques, il ne l’est pas moins des pointes et des épigrammes du langage ; avide avant tout de vérités proverbiales, de dictons populaires, et heureux d’en confirmer sa pensée, la trivialité même ne l’effraye pas, il ne l’évite jamais ; mais par malheur la raison n’est pas toujours triviale ; il arrive donc souvent aux saillies à force de sens, et beaucoup de ses comparaisons sont piquantes parce, qu’elles sont justes, Qu’Albéroni, par exemple, vivant à Rome après sa disgrâce, entreprenne, au nom du pape, souverain temporel, la conquête de la petite république de Saint-Marin ; M. d’Argenson, qui vient de nous exposer avec précision et peut-être sécheresse les travaux et les talents du cardinal, saura bien ici nommer cette entreprise une parodie des comédies héroïques qu’Albéroni a données à l’Espagne vingt ans auparavant, et, lui-même, le montrer joueur ruiné quoique habile qui se conduit en jouant aux douze sous la fiche, comme il faisait autrefois en jouant au louis le point. […] Il pensait fermement que plus on lit plus on a d’esprit ; il lisait tout, même le Cyrus ; il y apprenait sinon les mœurs des Perses, du moins celles de l’hôtel de Rambouillet ; il faisait beaucoup de cas de Balzac et fort peu de Voiture ; il croyait qu’une science dont on connaît l’histoire est une science à peu près connue ; il se vantait d’avoir lu Don Quichotte plus de vingt fois en sa vie.

1881. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Discours prononcé à la distribution des prix du lycée d’orléans. » pp. 223-229

On peut tirer de la vie de la Pucelle, comme d’une vie de sainte, toutes sortes de leçons. […] Soyez fidèles au premier, aimez le second, vénérez la troisième ; et, puisque les sentiments sincères ne manquent jamais de se traduire par des actes, ce sera là, pour vous, un sérieux commencement de vie morale.

1882. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Éphémérides poétiques, 1870-1890 » pp. 181-188

Paul Bourget : La Vie inquiète. […] Charles de Pomairols : La Vie meilleure. […] REVUES. — La Nouvelle Rive Gauche. — La vie artistique (Émile Delarue). — Le Chat Noir (R. 

1883. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre IV »

Le système métrique pouvait très bien se concilier avec le vocabulaire traditionnel ; c’est ce qui est advenu dans la pratique de la vie, et encore que les lois (singulières tracasseries !) […] Je ne suis pas éloigné de songer qu’il serait plus utile de faire apprendre aux enfants les termes de métier que les racines grecques48 ; leur esprit s’exercerait mieux sur une matière plus assimilable, et si l’on joignait à cela des exercices sur les mots composés et les suffixes, peut-être prendraient-ils plus de goût et quelque respect pour une langue dont ils sentiraient la chaleur, les mouvements, les palpitations, la vie. […] Peut-être, aussi bien, n’avait-il que cela à dire dans sa vie, car si c’est le même Fabre d’Églantine qui imagina les primidi, duodi, tridi, il faut avouer que là il ne fut pas très heureux.

1884. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Dédicace, préface et poème liminaire de « La Légende des siècles » (1859) — Préface (1859) »

Il appartient à la vie isolée, par la racine, et à la vie en commun, par la sève. […] L’épanouissement du genre humain de siècle en siècle, l’homme montant des ténèbres à l’idéal, la transfiguration paradisiaque de l’enfer terrestre, l’éclosion lente et suprême de la liberté, droit pour cette vie, responsabilité pour l’autre ; une espèce d’hymne religieux à mille strophes, ayant dans ses entrailles une foi profonde et sur son sommet une haute prière ; le drame de la création éclairé par le visage du créateur, voilà ce que sera, terminé, ce poëme dans son ensemble ; si Dieu, maître des existences humaines, y consent.

1885. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 4, objection contre la proposition précedente, et réponse à l’objection » pp. 35-43

Vous ignorez, ajoûtera-t-on, que les besoins de la vie asservissent, pour ainsi dire, la plûpart des hommes à la condition dans laquelle ils ont été élevez dès l’enfance. […] On me dira en stile poëtique, que ce cocher couvert de haillons en lambeaux, qui gagne pauvrement sa vie, en assommant de coups de fouet deux chevaux étiques, liez à un carosse prêt à s’écrouler, seroit peut être devenu un Raphaël ou bien un Virgile, si né dans une famille honnête, il avoit reçû une éducation proportionnée à ses talens naturels. […] Les génies qui demeurent ensevelis toute leur vie, je l’ai déja dit, sont des génies foibles ; ce sont de ces hommes qui n’auroient jamais songé à peindre ni à composer, si l’on ne leur avoit pas dit de travailler ; de ces hommes qui ne chercheroient jamais l’art d’eux-mêmes, mais ausquels il faut l’indiquer.

1886. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Buffenoir, Hippolyte (1847-1928) »

. — La Vie ardente (1883). — Cris d’amour et d’orgueil (1887). — Pour la gloire (1892). […] Maxime Gaucher Le poète de Cris d’amour admire les grands lutteurs qui ne se sont pas laissés terrasser dans le combat de la vie.

1887. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Hugo, Victor (1802-1885) »

. — Le Post-Scriptum de ma vie (1901). […] Cependant les critiques devraient considérer que, puisque eux-mêmes ils n’ont pas trouvé dans les histoires générales les détails de la vie des familles du moyen âge, c’est qu’il faut sans doute les aller chercher ailleurs. […] Une sève de vie nouvelle coulait impétueusement. […] Un souffle vraiment poétique le remplit ; chez lui, tout est germe et sève de vie. […] À mesure qu’il avançait dans la vie, le grand idéalisme qui l’avait toujours rempli s’élargissait, s’épurait.

1888. (1856) La critique et les critiques en France au XIXe siècle pp. 1-54

Il reconnaît « qu’une œuvre d’art n’est belle qu’à condition d’être vivante » ; mais la vie ne lui suffit pas. […] Il voit, à travers toutes les formes matérielles, la vie, la pensée qui s’y cache et s’y révèle à la fois. […] Les deux premières passent doucement leur vie dans la sphère sereine des idées ou dans la compagnie des ombres bienheureuses. […] Et cependant la vie s’écoule, l’espérance fuit, laissant après elle le doute de soi-même et l’abandon de tout audacieux projet. […] Pour Hegel, le beau n’est pas seulement l’âme humaine ; c’est la vie dans toute son étendue et sa riche variété.

1889. (1856) Mémoires du duc de Saint-Simon pp. 5-63

Les choses basses et excessives avaient disparu de la vie humaine. […] Rien de plus vide que cette vie. […] Leur nombre aussi bien que leur force lui défendaient la vie pratique et lui imposaient la vie littéraire. […] Il passait sa vie dans les sapes. » Ne voyez-vous pas la bête souterraine, furet furieux, échauffé par le sang qu’il suce, sifflant et jurant au fond des terriers qu’il sonde ? […] Le génie suffit à tout et fournit à tout ; la vision de l’artiste est si complète que son œuvre offre des matériaux aux gens de tout métier, de toute vie et de toute science.

1890. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Parny poète élégiaque. » pp. 285-300

Je laisserai donc ce poème tout à fait en dehors de mon appréciation présente, et il ne sera question ici que du Parny élégiaque, de celui dont Chateaubriand disait : « Je n’ai point connu d’écrivain qui fût plus semblable à ses ouvrages : poète et créole, il ne lui fallait que le ciel de l’Inde, une fontaine, un palmier et une femme. » Né à l’île Bourbon, le 6 février 1753, envoyé à neuf ans en France, et placé au collège de Rennes, où il fit ses études, Évariste-Désiré de Forges (et non pas Desforges) de Parny entra à dix-huit ans dans un régiment, vint à Versailles, à Paris, s’y lia avec son compatriote Bertin, militaire et poète comme lui, Ils étaient là, de 1770 à 1773, une petite coterie d’aimables jeunes gens, dont le plus âgé n’avait pas vingt-cinq ans, qui soupaient, aimaient, faisaient des vers, et ne prenaient la vie à son début que comme une légère et riante orgie. […] Au Ciel elle a rendu sa vie, Et doucement s’est endormie Sans murmurer contre ses lois. […] à un certain moment, si vous la lisez avec attention, un étrange sentiment se laisse apercevoir : Elle me confondait avec sa propre vie, Voyait tout dans mon âme ; et je faisais partie De ce monde enchanté qui flottait sous ses yeux… Avant moi cette vie était sans souvenir… Et la comparaison développée du beau cygne qui trouble une onde pure dans un bassin, ne voyez-vous pas comme il la caresse ? […] Que devenir en effet, que faire, en avançant dans la vie, quand on a mis toute son âme dans la fleur de la jeunesse et dans le parfum de l’amour ?

1891. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « La Réforme sociale en France déduite de l’observation comparée des peuples européens, par M. Le Play, Conseiller d’État. »

Le Play remarquait surtout le contentement de cette population d’ouvriers condamnés à une vie dure et sévère, et même malsaine en définitive, mais garantie d’ailleurs par des institutions efficaces, et protégée par des principes subsistants de hiérarchie industrielle et de patronage. Propriétaire viager ou, si l’on veut, locataire à vie de la maison qu’il occupe, ayant ainsi le sentiment du chez-soi, l’ouvrier du Hartz, en sa qualité de membre de la corporation des mines, « possède sur les richesses minérales et forestières de ce district une sorte d’hypothèque légale qui le garantit, ainsi que sa famille, contre toutes les éventualités fâcheuses qui peuvent se présenter. » Il a non seulement l’habitation et le jardin qui y tient, il a le droit de récolter à titre gratuit dans les forêts domaniales le bois de chauffage ; le blé lui est assuré à un prix invariable et toujours au-dessous de celui du marché. […] Quoi qu’il en soit, en fait l’ouvrier littéraire, dans son imprévoyance, se multiplie et pullule chaque jour ; son existence est devenue une nécessité, un produit naturel et croissant de cette vie échauffée qui se porte à la tête et qui constitue la civilisation parisienne. […] Les Ouvriers européens, Études sur les travaux, la vie domestique et la condition morale des populations ouvrières de l’Europe, précédées d'un exposé de la méthode d’observation , par VI. […] Les Ouvriers des Deux Mondes, Études sur les travaux, la vie domestique et la condition morale des populations ouvrières des diverses contrées et sur les rapports qui les unissent aux autres classes , publiées par la Société internationale des Études pratiques d’économie sociale.

1892. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VIII. De l’éloquence » pp. 563-585

Ménager les convenances morales, c’est respecter les talents, les services et les vertus ; c’est honorer dans chaque homme les droits que sa vie lui donne à l’estime publique. […] Mais, de nos jours, tant d’hommes craignaient de se livrer à la morale, de peur de la trouver accusatrice de leur propre vie ! […] Dites à ces tranquilles possesseurs des jouissances de la vie que leurs intérêts sont menacés, et vous inquiéterez leur âme impassible ; mais que leur apprendrait l’éloquence ? […] N’ont-ils pas à rougir de leur déplorable vie ? […] Un très petit nombre d’hommes se vouait, chez les anciens, à cette morale stoïcienne qui réprimait tous les mouvements du cœur : la philosophie des modernes, quoiqu’elle agisse plus sur l’esprit que sur le caractère, n’est qu’une manière de considérer tous les objets de la vie.

1893. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre I. Origine des privilèges. »

Au pain du corps ajoutez celui de l’âme, non moins nécessaire ; car, avec les aliments, il fallait encore donner à l’homme la volonté de vivre, ou tout au moins la résignation qui lui fait tolérer la vie, et le rêve touchant ou poétique qui lui tient lieu du bonheur absent. […] Légende divine, d’un prix inestimable sous le règne universel de la force brutale, quand, pour supporter la vie, il fallait en imaginer une autre et rendre la seconde aussi visible aux yeux de l’âme que la première l’était aux yeux du corps. […] Spinæ et vepres, ce mot revient sans cesse dans les Vies des saints. […] Du sixième au dixième siècle, il y a vingt-cinq mille Vies de saints rassemblées par les Bollandistes. — Les dernières vraiment inspirées sont celles de saint François d’Assise et de ses compagnons au commencement du quatorzième siècle. […] Suger, Vie de Louis VI.

1894. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre V. De la lecture. — Son importance pour le développement général des facultés intellectuelles. — Comment il faut lire »

Ils y saisiront surtout avec plus de facilité le rapport du livre et de la vie, l’étroite liaison de l’idée et de la réalité : ils sentiront que ce ne sont point des fantaisies en l’air dont on les entretient ; ils apercevront dans ces mots, ces éternels mots, dont tant de siècles ont fatigué leurs oreilles, toute la vie de l’humanité et leur propre vie. […] Eh bien, dans ce cadre que vous fournit votre lecture, faites rentrer la réalité que vous connaissez, votre vie intime, le monde qui vous entoure : déformez-le, s’il le faut ; agrandissez, resserrez ; en un mot adaptez-le à votre usage, et moulez le contenant sur le contenu. […] Si l’on appelait ses lectures à l’aide de ses sentiments, si l’on se provoquait ainsi à la réflexion, si l’on essayait de dégager ses émotions de l’inconscience, de les accrocher pour ainsi dire à ses idées, les unes et les autres, enseignements du livre et leçons de la vie, subsisteraient longuement en nous et ne s’écouleraient pas sans cesse comme un monceau de sable ou comme l’eau d’un vase fendu.

1895. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXI. Dernier voyage de Jésus à Jérusalem. »

C’était là pourtant le centre de la vie juive, le point où il fallait vaincre ou mourir. […] Au sein de cette vie troublée, le cœur sensible et bon de Jésus réussit à se créer un asile où il jouit de beaucoup de douceur. […] Souvent, assise aux pieds de Jésus, elle oubliait à l’écouter les devoirs de la vie réelle. […] C’est là qu’au sein d’une pieuse amitié Jésus oubliait les dégoûts de la vie publique. […] Mais moi, je suis le bon berger ; je connais mes brebis ; mes brebis me connaissent ; et je donne ma vie pour elles 977. » L’idée d’une prochaine solution à la crise de l’humanité lui revenait fréquemment : « Quand le figuier, disait-il, se couvre de jeunes pousses et de feuilles tendres, vous savez que l’été approche.

1896. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « De la tragédie chez les Anciens. » pp. 2-20

Comme nous sommes plus sensibles au mal qu’au bien, nous haïssons beaucoup plus l’un que nous n’aimons l’autre ; et nous souhaitons moins vivement d’être heureux, que nous n’appréhendons d’être misérables ; d’où il arrive que la crainte nous est plus naturelle et nous donne des secousses plus fréquentes que toute autre passion, par le sentiment intime et expérimental qui nous avertit toujours que les maux assiègent de toutes parts la vie humaine. […] C’est ce qui fait dire à Virgile, en parlant du bonheur inestimable d’un heureux loisir que goûte un philosophe solitaire : « Il n’est point dans la nécessité de compatir à la misère d’un vertueux indigent, ou de porter envie au riche coupable. » La crainte et la pitié sont les passions les plus dangereuses, comme elles sont les plus communes : car, si l’une, et par conséquent l’autre, à cause de leur liaison, glace éternellement les hommes, il n’y a plus lieu à la fermeté d’âme nécessaire pour supporter les malheurs inévitables de la vie, et pour survivre à leur impression trop souvent réitérée. […] À la vérité, la vie humaine est un grand théâtre où l’on est spectateur de bien des malheurs de toute espèce. […] On a beau dire, la vue des misérables ne nous console point de l’être : sans compter que l’homme se porte avec soin à éviter, autant qu’il le peut, une si triste vue, pour jouir plus tranquillement des douceurs de la vie ; ou qu’il se rend dur et insensible sur les misères de ses pareils, oubliant qu’il est homme comme eux, et qu’il paiera chèrement de courtes joies par de longues douleurs. […] Le nœud est cependant la partie la plus considérable de la tragédie ; c’est ce qui lui donne cette espèce de vie qui l’anime, aussi bien que le poème épique.

1897. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Ce que tout le monde sait sur l’expression, et quelque chose que tout le monde ne sait pas » pp. 39-53

À force de s’irriter, de s’injurier, de se battre, de crier, de se décoiffer pour un liard, ils avaient contracté pour toute leur vie l’air de l’intérêt sordide, de l’impudence et de la colère. […] Chaque état de la vie a son caractère propre et son expression. […] Il faut joindre encore à cette connaissance une profonde expérience des scènes de la vie. […] C’est que la vie est un voyage, et le tombeau le séjour du repos. […] Si le tombeau comporte autour de lui quelques êtres qui se meuvent, ce sont ou des oiseaux qui planent au-dessus à une grande hauteur, ou d’autres qui passent à tire-d’aile, ou des travailleurs à qui le labeur dérobe le terme de la vie, et qui chantent au loin.

1898. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre VI : Règles relatives à l’administration de la preuve »

Les changements qui ont lieu dans un organisme au cours d’une existence individuelle sont peu nombreux et très restreints ; ceux qu’on peut provoquer artificiellement sans détruire la vie sont eux-mêmes compris dans d’étroites limites. […] Au contraire, la vie sociale est une suite ininterrompue de transformations, parallèles à d’autres transformations dans les conditions de l’existence collective ; et nous n’avons pas seulement à notre disposition celles qui se rapportent à une époque récente, mais un grand nombre de celles par lesquelles ont passé les peuples disparus sont parvenues jusqu’à nous. […] Elle ne s’applique, en effet, qu’aux phénomènes qui ont pris naissance pendant la vie des peuples comparés. […] En procédant ainsi, on a cru pouvoir dire, par exemple, que l’affaiblissement des croyances religieuses et de tout traditionalisme ne pouvait jamais être qu’un phénomène passager de la vie des peuples, parce qu’il n’apparaît que pendant la dernière période de leur existence pour cesser dès qu’une évolution nouvelle recommence. […] C’est ainsi que l’enfant reçoit de ses parents des facultés et des prédispositions qui n’entrent en jeu que tardivement dans sa vie.

1899. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVII. Des éloges en Italie, en Espagne, en Angleterre, en Allemagne, en Russie. »

Les époques les plus intéressantes de sa vie y étaient représentées. […] Ce philosophe, né avec plus d’imagination que de profondeur, et qui peut-être avait plus d’esprit que de lumières ; qui s’agita toute sa vie pour être en spectacle, mais à qui il fut plus facile d’être singulier que d’être grand ; qui courut après la renommée avec l’inquiétude d’un homme qui n’est pas sûr de la trouver ; qui quitta sa patrie, parce qu’il n’était pas le premier dans sa patrie, qui s’ennuya loin d’elle, parce qu’il n’avait trouvé que le repos, et qu’il avait perdu le mouvement et des spectateurs ; qui, trop jaloux peut-être des succès des sociétés, perdit la gloire en cherchant la considération ; frappé de bonne heure de la grande célébrité de Fontenelle, avait cru devenir aussi célèbre que lui en l’imitant. […] ta cendre ranimée reprendra une seconde vie, lorsque le temps ne sera plus. […] Mille ans de vie suffiraient à peine à tant d’autres ; et sa vie a été si courte ! 

1900. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rouger, Henri (1865-1912) »

Il a cru entendre distinctement la voix indifférente de la nature… Mais voici que le cœur irrité du poète s’apaise, et qu’une vision soudaine de la vie universelle où s’entrecroise éternellement l’échange des souffles, des formes et des âmes, vient calmer son esprit, prêt désormais à accepter, à bénir presque l’inévitable loi qui enchaîne les effets et les causes… — Ce premier essai paraît annoncer un poète visionnaire et philosophe. […] [La Vie et les Livres, 2e série (1895).]

1901. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » p. 485

M. d’Auvigni avoit entrepris d’écrire les Vies des Hommes illustres de France. […] Les onze volumes qui font de lui, contiennent quatorze Vies ; &, sans qu’on puisse les comparer à des Ouvrages du premier mérite, ils ne laissent pas d’annoncer des talens.

1902. (1864) Cours familier de littérature. XVII « Ce entretien. Benvenuto Cellini (2e partie) » pp. 233-311

J’en bénis Dieu ; et, quelque temps après, je bénis aussi la pauvreté qui m’avait sauvé la vie, tandis qu’elle tue tant de malheureux. […] « C’était ainsi que se passait ma vie, lorsque le cardinal de Ferrare parut à Rome. […] Celui-ci, voyant ma contenance assurée, se crut heureux de sortir la vie sauve. […] Il revint à Florence achever son Persée, œuvre désormais de sa vie. […] Son bouillant caractère faillit encore lui coûter la vie.

1903. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIIIe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (1re partie) » pp. 5-96

Cette traduction était l’âme de sa vie. […] L’éducation de ce plus grand des hommes avait été l’heureux chef-d’œuvre de sa vie. […] Il laissa exécuter les conspirateurs contre sa vie ; il épargna Callisthène, dont la complicité n’était que morale. […] Elle leur laissa un témoignage de sa vie, qui leur assurait leur propre existence. […] À cette condition, bien des gens ne demanderont pas mieux que de soutenir le gouvernement ; car les hommes en général préfèrent une vie sans discipline à une vie sage et régulière. » Il passe enfin à la théorie des révolutions, son chef-d’œuvre !

1904. (1893) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Cinquième série

Une troisième preuve se déduit de « la vie des courtisanes ». […] Pareillement, si la vie, si la réflexion nous apprennent tous les jours quelque chose de nouveau, comment nos idées n’en seraient-elles pas modifiées ? […] Si l’on place l’objet de la vie en elle-même, c’est-à-dire si l’on le borne à ce que peut enfermer de plaisir ou de bonheur le court espace d’une vie humaine, quelque définition que l’on donne après cela du bonheur ou du plaisir, il est bien évident que la morale qu’on en tire implique une opinion plus ou moins raisonnée sur la nature de l’homme, sur la vie future ; — et par suite sur l’existence en même temps que sur les attributs de Dieu. […] Ce n’est point d’en haut que nous l’avons reçue, mais de la pratique même de la vie, mais de l’expérience de l’histoire. […] Garat, Dominique-Joseph Garat, pauvre ministre, mais rhéteur élégant, a bien caractérisé, dans ses Mémoires sur la vie de M. 

1905. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [III] »

Cette vie qui s’use en simagrées, en cérémonies, en visites, en faux semblants, trouve en Du Bellay son dessinateur à la plume. […] La santé de Du Bellay, ne l’oublions pas, était totalement ruinée dans les dernières années de sa vie. […] Œuvres de Clément Marot, annotées, revues sur les éditions originales, et précédées de la vie de Clément Marot, par M.  […] La vie de Clément Marot est fort approfondie, et l’époque y est étudiée par tous ses aspects. […] Il a, de plus, extrait des poésies latines de Du Bellay ce qui intéresse plus particulièrement sa vie.

1906. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre II : Examen critique des méditations chrétiennes de M. Guizot »

Je suis entré dans la vie de la pensée par l’histoire et la philosophie de l’histoire. […] Je ne songe plus qu’à recueillir les souvenirs de ma vie politique et les raisons de ma foi. […] Cependant, non-seulement cela eût été conséquent, mais c’était même nécessaire pour justifier la thèse générale de l’impuissance scientifique et démonstrative de la philosophie ; car s’il y a quelque part de bonnes preuves de Dieu, de la Providence et de la vie future, pourquoi dire qu’il n’y a pas de science de l’infini ? […] Qui donc en effet aurait le courage, au nom d’un intérêt abstrait de la raison, d’arracher sciemment à l’un de ses semblables sa consolation dans ses misères, son arme dans les combats de la vie ? […] Guizot porte un défi aux philosophes, c’est d’expliquer l’inégalité et la distribution en apparence capricieuse des maux dans cette vie.

1907. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Chansons des rues et des bois » (1865) »

À un certain moment de la vie, si occupé qu’on soit de l’avenir, la pente à regarder en arrière est irrésistible. […] C’est d’ailleurs une sérieuse et mélancolique leçon que la mise en présence de deux âges dans le même homme, de l’âge qui commence et de l’âge qui s’achève ; l’un espère dans la vie, l’autre dans la mort.

1908. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « BRIZEUX et AUGUSTE BARBIER, Marie. — Iambes. » pp. 222-234

Mais n’allez pas toutefois accorder à cette nature si fraîche éclose trop d’ignorance et de simplicité ; elle sait le monde et la vie, elle a souffert bien des peines et s’est étudiée à bien des grâces. […] Marie, la gentille brune aux dents blanches, aux yeux bleus et clairs, l’habitante du Moustoir, qui tous les dimanches arrivait à l’église du bourg, qui passait des jours entiers au pont Kerlo, avec son amoureux de douze ans, à regarder l’eau qui coule, et les poissons variés, et dans l’air ces nombreuses phalènes dont Nodier sait les mystères ; Marie, qui sauvait la vie à l’alerte demoiselle abattue sur sa main ; qui l’hiver suivant avait les fièvres et grandissait si fort, et mûrissait si vite, qu’après ces six longs mois elle avait oublié les jeux d’enfant et les alertes demoiselles, et les poissons du pont Kerlo, et les distractions à l’office pour son amoureux de douze ans, et qu’elle se mariait avec quelque honnête métayer de l’endroit : cette Marie que le sensible poëte n’a jamais oubliée depuis ; qu’il a revue deux ou trois fois au plus peut-être ; à qui, en dernier lieu, il a acheté à la foire du bourg une bague de cuivre qu’elle porte sans mystère aux yeux de l’époux sans soupçons ; dont l’image, comme une bénédiction secrète, l’a suivi au sein de Paris et du monde ; dont le souvenir et la célébration silencieuse l’ont rafraîchi dans l’amertume ; dont il demandait naguère au conscrit Daniel, dans une élégie qui fait pleurer, une parole, un reflet, un débris, quelque chose qu’elle eût dit ou qu’elle eût touché, une feuille de sa porte, fût-elle sèche déjà : cette Marie belle encore, l’honneur modeste de la vallée inconnue qu’arrosent l’Été et le Laita, ne lira jamais ce livre qu’elle a dicté, et ne saura même jamais qu’il existe, car elle ne connaît que la langue du pays, et d’ailleurs elle ne le croirait pas. […] Sans projets, sans envie, Ne cherchons désormais que l’oubli de la vie : Que chaque objet qui passe, ou noble ou gracieux, Nous attire, et sur lui laissons aller nos yeux ; Vivons hors de nous-même ; il est dans la nature, Dans tout ce qui se meut, et respire, et murmure, Dans les riches trésors de la création, Il est des baumes sûrs à toute affliction : C’est de s’abandonner à ces beautés naives, D’en observer les lois douces, inoffensives, L’arbre qui pousse et meurt où nos mains l’ont planté, Et l’oiseau qu’on écoute après qu’il a chanté. […] Tout homme de notre âge, dont la vie n’a pas été celle d’une jeune fille de province, tout homme que ses passions ou les circonstances ont mêlé aux diverses classes de notre civilisation si vantée, et qui ne les a pas envisagées, comme trop souvent, avec des yeux cupides et un cœur endurci, celui-là sait fort bien ce qu’il y a de trop misérablement vrai au fond de cette lie où M.

1909. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre II. La tragédie »

La vie de société ne laisse pas aux émotions profondes de l’individu le droit de s’exprimer, et élimine de plus en plus rigoureusement par la tyrannie des formes les réalités de sentiment et d’action qui pourraient servir de modèle à la tragédie. […] La forme du genre subsiste, mais la vie s’en est retirée. […] Voltaire a subi, lui aussi, dès sa jeunesse, sous la Régence, la fascination de l’Opéra, qui flattait ses secrets appétits de vie heureuse et sensuelle. […] Voltaire n’eut pas tort de vouloir exprimer sa conception de la vie, du bien, de la société, par son théâtre : mais il n’eut pas le génie qu’il fallait pour traduire dramatiquement cette conception.

1910. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La Société française pendant la Révolution »

La vie n’est pas si simple, nos instincts ne sont pas si justes ! […] c’est-à-dire l’histoire de ce qu’il y a de plus profond, de plus fin, de plus ondoyant et de plus nuancé dans la vie et le passé d’un peuple ! […] De leur main dépouillée de ce gant jaune qui leur sied, ils ont, dandys de l’anecdote amusante, voulu toucher à tout ce qui entre comme un élément de sa vie dans ce tissu d’âme et de chair qui constitue l’être d’un peuple. […] Il vous reste juste leur livre : des miettes historiques tombées de quelques corbeilles, de quelques pamphlets, de quelques journaux, — des miettes historiques, des atomes, de la poussière de documents qui en eux-mêmes ne sauraient changer le caractère jugé de la Révolution, mais que de grands artistes broieraient seulement dans les couleurs de leur palette pour donner plus d’éclat et plus de vie à cette grande fresque d’une histoire qu’on ne fera jamais au pointillé.

1911. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Vauvenargues » pp. 185-198

Mais il mourut jeune, à temps, avec la beauté d’une espérance que la mort a trompée, mais que la vie n’a pas trahie. […] Sa vie militaire le sauva. […] Gilbert a insisté sur la haine du rire qu’avait Vauvenargues, et qui venait beaucoup plus de son naturel que des embarras et des misères de sa vie ; car les gens gais de tempérament le sont partout, même dans le malheur, quand la grosse bourrasque est passée. […] La philosophie n’en avait pas fait le beau buste de marbre blanc que disait Voltaire, mais il croyait aux hommes et il était ambitieux ; tandis que Chateaubriand, au milieu de tous ses bonheurs, n’avait jamais cru qu’au profond néant de la vie !

1912. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Mademoiselle de Condé »

En fait de productions littéraires, nous n’en sommes ni aux « irrémédiables douleurs, ni aux désolantes préoccupations, ni au funeste délire… », car tout cela avait sa vie et sa poésie encore, et nous ne sommes plus, nous, ni poétiques, ni même vivants ! […] Mademoiselle de Condé ne donna que Dieu pour rival à l’homme qu’elle aimait, mais elle emporta son amour pour cet homme jusque dans le sein de Dieu même… Sa vie, quand elle prit le parti héroïque de ne plus voir l’homme trop aimé qu’elle ne pouvait pas épouser, devint aussi héroïque que le parti qu’elle avait pris. […] La Révolution qui commençait allait, avec le sang qu’elle devait verser, faire un cadre rouge à cette vie douloureuse qui fut une Odyssée digne d’être racontée par un Homère comme Bossuet. […] Il y a là un dénoué d’existence qui permit à ces deux êtres, si éloignés l’un de l’autre dans la vie, de se trouver un instant âme à âme, et ces deux âmes se fondirent.

1913. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XV. Vauvenargues »

Mais il mourût jeune, à temps, avec la beauté d’une espérance que la mort a trompée, mais que la vie n’a pas trahie. […] Sa vie militaire le sauva. […] Gilbert a insisté sur la haine du rire qu’avait Vauvenargues, et qui venait beaucoup plus de son naturel que dès embarras et des misères de sa vie, car les gens gais de tempérament le sont partout, même dans le malheur, quand la grosse bourrasque est passée. […] La philosophie n’en avait pas fait le beau buste de marbre blanc que disait Voltaire, mais il croyait aux hommes et il était ambitieux, tandis que Chateaubriand, au milieu de tous ses bonheurs, n’avait jamais cru qu’au profond néant de la vie !

1914. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Charles De Rémusat »

C’est peut-être la première fois de sa vie que Charles de Rémusat, ce modèle d’esprit effacé, aura donné à quelqu’un quelque chose d’aussi précis qu’une sensation. […] L’Histoire, cette grande chose, existe par elle-même d’une vie si profonde qu’elle existe encore sous la main de ceux qui la gâtent, et qu’elle ne dépend ni du talent qui peut l’orner, ni de l’opinion qui l’interprète, ni de la passion qui s’en sert. […] Ces pauvres idées, déjà si éreintées par l’usage qu’on en a fait, ce n’est pas Rémusat, cet édulcoré aigri, qui leur communiquera de la vie, et on regrette d’avoir à les traverser encore une fois avant d’arriver au meilleur de son livre, c’est-à-dire à cette partie résistante de l’Histoire qui n’a rien à faire avec le pamphlet aux navets ! […] Avec ces figures-là il faut aller dru, verser de la couleur à flots pour en faire jaillir de la vie !

1915. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « L’Abbé *** »

Je ne crois pas cependant que, malgré la réclame involontaire de Mgr l’archevêque de Bordeaux, l’abbé Trois-Étoiles ait l’heureuse étoile de l’auteur de la Vie de Jésus. […] Ce vieux cardinal, qui a menti soixante ans avec une tenue et une sérénité infinies, a flairé le prêtre du progrès dans Julio, et il lui remet en mourant le soin d’un testament religieux, qui n’est rien moins que la rétractation des doctrines religieuses sur lesquelles il a vécu toute sa vie et volé l’estime des honnêtes gens de son diocèse. […] Une remarque à faire en passant, c’est que tous ces drôles qui sont, comme le Julio, issus du Vicaire Savoyard, ont le goût pour la botanique de Rousseau, leur père ; seulement, Julio y joint le goût de la géologie, et, comme madame Sand, qui fait présentement des voyages dans le cristal, il fait des voyages dans la pierre et passe sa vie, au lieu de dire son bréviaire comme tout curé y est tenu, à casser de petits cailloux pour leur regarder dans le ventre. […] Eugène Sue, l’écrivain des Mystères du Peuple, plus bas de ton que les Mystères de Paris, Eugène Sue, qui, au début de sa vie littéraire, se vantait d’être anti-canaille, et qui a fini par effacer l’anti dans ce mot, a travaillé, en badigeon grossier, pour cette littérature.

1916. (1898) La cité antique

L’homme n’avait d’ailleurs aucun compte à rendre de sa vie antérieure. […] Elle fait que la famille forme un corps dans cette vie et dans l’autre. […] On croit à une seconde vie dans le tombeau, vie heureuse et calme, si les repas funèbres sont régulièrement offerts. […] Tout ce dont l’homme a rigoureusement besoin pour sa vie matérielle ou pour sa vie morale, la famille le possède en soi. […] Partout ailleurs que dans sa patrie il est en dehors de la vie régulière et du droit ; partout ailleurs il est sans dieu et en dehors de la vie morale.

1917. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Hollande, Eugène (1866-1931) »

Hollande imprime : J’ai connu que la vie est un rêve et fait peur, À moins d’y découvrir le Dieu qui la pénètre ; J’ai connu que ce Dieu c’est la Beauté, dont l’être Se dérobe aux cœurs froids indignes du bonheur. […] C’était, en un verbe de cristal aux armatures d’airain, la perpétuelle glorification de la Beauté qui pénètre toute vie et qu’on ne connaît bien que par l’amour et la pitié.

1918. (1874) Premiers lundis. Tome II « Étienne Jay. Réception à l’Académie française. »

Pendant que les destinées du pays, sa stabilité comme sa gloire, se trouvent plus que jamais remises en question par l’aveuglement d’une coterie triomphante ; pendant que les violences succèdent aux fautes, que les leçons de quarante années de révolution se perdent en un jour, et que les constitutions naissantes auxquelles on croyait quelque vie reçoivent, de la main de leurs auteurs, d’irréparables ébranlements ; pendant, en un mot, que la capitale de la France est en état de siège, et que les conseils de guerre prononcent peut-être quelque nouvelle condamnation à mort, aujourd’hui mardi, l’Académie française tenait sa séance solennelle, et M.  […] Jay n’a nullement reculé devant la tâche obligatoire : il a pris M. de Montesquiou depuis son entrée sur la scène politique jusqu’à sa mort ; il a encadré, entre l’apparition et le décès de M. de Montesquiou, toute notre révolution, se rejetant, quand la vie du héros faisait faute, sur Castor et Pollux, sur la Convention et sur l’Empire, lançant son petit trait au passage contre les passions sinistres et contre la manie des conquêtes, manie qui n’est guère contagieuse apparemment. […] Viennet, placé à droite, malgré la foudre qu’il tâchait de mettre dans ses regards et la pose toute martiale qu’il affectait, n’a pu communiquer à ce discours la moindre apparence de vie, le moindre éclair.

1919. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Desbordes-Valmore, Marceline (1786-1859) »

. — Vous êtes un talent charmant, le talent de femme le plus pénétrant que je connaisse… [Cité par Sainte-Beuve, Mme Desbordes-Valmore, sa vie et sa correspondance (1870).] […] [Cité par Sainte-Beuve, Mme Desbordes-Valmore, sa vie et sa correspondance (1870).] […] Goût de l’amour dès l’enfance, avant même de se douter de ce qu’est l’amour ; sentiment un peu sanglotant de la nature ; aspiration à se dévouer sans relâche, avec un secret contentement de souffrir pour son dévouement ; félicité de la meurtrissure sentimentale, optimisme extraordinairement vivace, abrité du scepticisme comme par une ouate de mélancolie douce… Ajoutez à ces dons naturels la vie la plus romanesque, romanesque jusqu’à l’invraisemblable, une gageure du destin tenue et gagnée contre les caprices de l’imagination : l’héritage sacrifié à la foi religieuse, les voyages tragiques, la guerre, la tempête, la séduction, l’abandon, le théâtre avec le succès d’abord, et bientôt la perte de la voix, la misère, la mort de l’enfant adoré, de quoi défrayer vingt romans conçus avec quelque économie.

1920. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Malherbe, avec différens auteurs. » pp. 148-156

Il s’en falloit bien qu’il eût, dans le commerce de la vie, ce flègme qu’il apportoit dans la composition : c’étoit la violence même. […] Il plaida toute sa vie avec eux. […] On ajoute que, son confesseur lui représentant le bonheur de l’autre vie avec des expressions basses & peu correctes, Malherbe l’interrompit, en lui disant : Ne m’en parlez plus, votre mauvais stile m’en dégoûteroit.

1921. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre VI. Harmonies morales. — Dévotions populaires. »

Il faudrait nous plaindre si, voulant tout soumettre aux règles de la raison, nous condamnions avec rigueur ces croyances qui aident au peuple à supporter les chagrins de la vie, et qui lui enseignent une morale que les meilleures lois ne lui apprendront jamais. […] C’est dans les grands événements de la vie que les coutumes religieuses offrent aux malheureux leurs consolations. […] Le peuple était persuadé que nul ne commet une méchante action, sans se condamner à avoir, le reste de sa vie, d’effroyables apparitions à ses côtés.

1922. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — S’il est plus aisé, de faire une belle action, qu’une belle page. » pp. 539-539

Il a vu Rome en cinq jours, il aura vu Paris en quinze, et il en parlera comme s’il y avait passé toute sa vie. […] La fermeté, la constance, le mépris des honneurs, de la richesse, de la vie sont les mêmes dans toutes les âmes fermes. […] Je conçois mille circonstances où la vie et la fortune ne me seraient pas d’un fétu, et j’ai assez vécu pour savoir que je ne m’en impose pas… » Tous les hommes et toutes les femmes vous en diront autant, et si vous y réfléchissez, vous trouverez qu’un sauvage, un paysan, un homme, une femme du peuple, une bête est plus voisine d’une action héroïque qu’un D’Alembert, un Buffon ou quelque autre membre illustre d’une académie.

1923. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « I. Historiographes et historiens » pp. 1-8

Elle commettait bien à cette charge, selon nous, immense, d’écrire l’histoire, des hommes éprouvés et capables, qui semblaient avoir conquis une telle position, de haute lice, par l’élévation du talent et du caractère et cette conséquence de l’esprit qu’on ne connaît plus et qui est autant l’honneur de la vie que de la pensée. […] De toutes les propriétés de la vie, la plus chère et la plus sacrée, c’est cet éternel patrimoine de la gloire ou de l’infamie, pour lequel il n’y a ni prescription ni exhérédation possible, et que nous léguons à nos enfants, sans qu’ils puissent jamais le répudier ! […] et quel inconvénient y a-t-il pour la vie morale des générations qu’il se trompe ?

1924. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre VI. Autres preuves tirées de la manière dont chaque forme de la société se combine avec la précédente. — Réfutation de Bodin » pp. 334-341

. — Réfutation de Bodin § I Nous avons montré dans ce Livre jusqu’à l’évidence que dans toute leur vie politique les nations passent par trois sortes d’états civils (aristocratie, démocratie, monarchie), dont l’origine commune est le gouvernement divin. […] Les pères de familles desquels devaient sortir les nations païennes, ayant passé de la vie bestiale à la vie humaine, gardèrent dans l’état de nature, où il n’existait encore d’autre gouvernement que celui des dieux, leur caractère originaire de férocité et de barbarie ; et conservèrent à la formation des premières aristocraties le souverain empire qu’ils avaient eu sur leurs femmes et leurs enfants dans l’état de nature.

1925. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XI : Distribution géographique »

Il n’est guère de climat ou de conditions physiques, dans l’Ancien Monde, qui ne trouvent leurs semblables dans le Nouveau, du moins jusqu’à cette identité de conditions de vie que la même espèce exige en général ; car c’est un cas des plus rares que de trouver un groupe d’organismes exclusivement confiné en quelque étroite station présentant des conditions de vie toutes particulières. […] Les conditions de vie sont cependant les mêmes, si bien qu’une multitude d’animaux ou de plantes d’Europe se sont naturalisés en Amérique et en Australie ; et quelques-unes des plantes aborigènes sont absolument identiques en ces divers points si distants des deux hémisphères du Nord et du Sud. […] Il me semble donc beaucoup plus probable, ainsi du reste qu’à beaucoup d’autres naturalistes, que chaque espèce se soit produite d’abord dans une seule contrée, et que de là elle ait successivement émigré aussi loin que ses moyens d’émigration et d’existence le lui ont permis, tant sous les conditions de vie présentes que sous les conditions de vie passées. […] On peut dire que les eaux de la vie ont coulé pendant une courte période à la fois du nord et du sud vers l’équateur où elles se sont croisées ; mais elles ont coulé avec plus de force du nord, de manière à inonder le sud. […] Alph. de Candolle, l’altitude peut avoir en certains cas compensé la latitude pour rétablir l’identité des conditions de vie et des causes de variations par sélection naturelle.

1926. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre III. Variétés vives de la parole intérieure »

Pour l’ordinaire, la divinité des faits de sa vie intérieure n’était qu’une théorie née dialectiquement des principes de sa philosophie ; c’était une conclusion, ce n’était pas une évidence. […] Enfin la satisfaction morale répandue sur toute sa vie n’a jamais pris la forme d’un sentiment distinct ; on la trouve seulement parmi les raisons qui expliquent à ses yeux le privilège singulier dont il est l’objet : apparemment, il est aimé des dieux, puisqu’ils prennent soin de le garantir de toute erreur. […] Les divers moments de ce processus ont été fréquemment décrits ou imités dans les œuvres littéraires ; c’est que l’observation dans la vie de chaque jour en est facile et presque toujours amusante. […] Xénophon, Mémorables, I, 3, et Apologie, 12 ; Platon, Apologie, p. 31 et passim ; Chaignet, Vie de Socrate, p. 149. […] Voir Chainet, Vie de Socrate, p. 113 à 157 ; Fouillée, p. 314 à 316. — Tout récemment encore (Revue philosophique, mars 1880), M. 

1927. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre II. De la reconnaissance des images. La mémoire et le cerveau »

C’est comme un événement de ma vie ; il a pour essence de porter une date, et de ne pouvoir par conséquent se répéter. […] Ainsi se produit la réaction appropriée, l’équilibre avec le milieu, l’adaptation, en un mot, qui est la fin générale de la vie. […] Notre vie journalière se déroule parmi des objets dont la seule présence nous invite à jouer un rôle : en cela consiste leur aspect de familiarité. […] Les sensations musculaires réellement et complètement éprouvées lui donnent la couleur et la vie. […] Impuissant, il emprunte sa vie et sa force à la sensation présente où il se matérialise.

1928. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » p. 305

Bleterie, [Jean-Philippe-René de la] Abbé, Professeur d’Eloquence au Collége Royal, de l’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres, né à Rennes, mort à Paris en 1772, connu par une Vie de Julien, très-bien écrite, quoi qu’en disent MM. de Voltaire & Condorcet, qui n’ont pu sans doute lui pardonner de n’avoir pas fait grace aux bizarreries de cet Empereur apostat, en rendant d’ailleurs justice aux bonnes qualités qu’il avoit. […] La Vie de Jovien, & sa Traduction de Tacite, justifient encore ces éloges, avec quelques restrictions.

1929. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 270-271

Son meilleur Ouvrage est celui qui a pour titre : Entretiens sur les Vies & les Ouvrages des Peintres anciens & modernes, dont la meilleure édition est celle de Trévoux, six vol. […] Jean-François Felibien, son fils, Historiographe des Bâtimens du Roi, Membre de l’Académie des Inscriptions, mort en 1733, est Auteur d’un Recueil historique de la Vie & des Ouvrages des plus célebres Architectes, qui est estimé des Artistes.

1930. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Notes et pensées » pp. 441-535

Mais peste soit, dans la vie, de ces colosses manqués qui ne sont ni du premier ordre de génies, ni du second ! […] Si l’on nomme Bacon, il vous dit qu’il n’a jamais lu dans sa vie que cela ; qu’il y a dix ans, vingt ans, qu’il ne fait qu’y penser, et il va à travers incontinent. […] On ne s’en douterait pas en lisant sa Vie par M. de Falloux ; ces gens-là masquent et suppriment la nature. […] Bientôt la femme nuisit en elle à l’artiste ; je veux dire que son genre de vie, au lieu d’aider à son talent, y nuisit. […] Horace Walpole a dit : « La sottise est comme la petite vérole ; il faut que chacun l’ait une fois dans sa vie. » Bien, une fois ; mais qu’on ne l’ait pas toujours et à l’état fixe.

1931. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre sixième »

Il achetait la bibliothèque de Patru, et lui en laissait la jouissance sa vie durant. […] Voilà l’idéal au complet : car si la vertu n’est que la raison dans la conduite de la vie, quel poète pourra donner une image plus sensible de la raison, que celui qui, sous le nom de vertu, la prendra pour guide de sa propre vie ? […] L’humeur satirique reprit le dessus dans les dernières années de sa vie. […] Ils portent la marque des trois dispositions d’esprit qui forment comme autant d’époques dans sa vie. […] C’est le vrai dans la conduite de la vie.

1932. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Botrel, Théodore (1868-1925) »

Les épisodes de la vie paysanne et de la vie rustique se déroulent à travers son œuvre comme en une fresque naïve qui, pour ne point viser aux grands effets, n’en a pas moins son charme et, à tout prendre, sa beauté.

1933. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Pomairols, Charles de (1843-1916) »

Pomairols, Charles de (1843-1916) [Bibliographie] La Vie meilleure (1879). — Rêves et pensées (1881). — La Nature et l’Âme (1887). — Lamartine (1889). — Regards intimes (1895). […] Elles disposent de tout le plan de sa vie.

1934. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXIe entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff » pp. 237-315

On les aime, on s’y passionne, on vit de leur vie, on pleure de leurs larmes. […] Quelle vie que celle du célibataire ! […] C’est qu’il craint d’asservir sa vie. […] Souvent du tronc des arbres, que l’on a coupés, on voit s’élever de nouveaux rejetons ; souvent les plaies les plus profondes se cicatrisent ; la vie triomphe de la mort qui, à son tour, triomphera de la vie. […] Dès son enfance, il avait été habitué à la vie et aux travaux de la campagne.

1935. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « L’abbé Fléchier » pp. 383-416

Il n’y a pas de vie plus unie que la sienne, ni qui se tienne mieux. […] Je n’ai pas à suivre la vie et la carrière de Fléchier. […] Notre vie s’écoule insensiblement, et il ne nous reste, de ce temps qui passe, que les moments qui nous seront comptés pour l’éternité. Nous ne devons désirer de vivre que pour accomplir ce que Dieu demande de nous, et la tranquillité de la vie doit être regardée comme une grâce et une bénédiction de douceur qu’il répand sur nous, et qui nous engage à le servir avec plus de fidélité. […] Cela lui en avait donné le goût et le ton, et, de l’un à l’autre, il passa sa vie avec tout ce qu’il y avait de meilleur en ce genre, il était lui-même d’excellente compagnie….

1936. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre I. Succès de cette philosophie en France. — Insuccès de la même philosophie en Angleterre. »

On s’adresse à des gens qui savent très bien la vie et qui, le plus souvent, ne savent pas l’orthographe, qui sont curieux de tout et ne sont préparés sur rien ; il s’agit de faire descendre la vérité jusqu’à eux. […] Dans une société tout artificielle, où les gens sont des pantins de salon et où la vie consiste à parader avec grâce d’après un modèle convenu, il prêche le retour à la nature, l’indépendance, le sérieux, la passion, les effusions, la vie mâle, active, ardente, heureuse et libre en plein soleil et au grand air. […] « Je rencontrais à Paris les d’Alembert, les Marmontel, les Bailly chez les duchesses ; c’était un immense avantage pour eux et pour elles… Quand un homme chez nous se met à faire des livres, on le considère comme renonçant également à la société des gens qui gouvernent et des gens qui rient… À la vanité littéraire près, la vie de vos d’Alembert et de vos Bailly était aussi gaie que celle de vos seigneurs. » (Stendhal, Rome, Naples et Florence, 377, récit du colonel Forsyth.) […] Je ne reviens pas du culte que je lui ai rendu (car c’en était un) ; je ne me consolerai pas qu’il en ait coûté la vie à l’illustre David Hume qui, pour me complaire, se chargea de conduire en Angleterre cet animal immonde. » 482. […] Sand, Histoire de ma vie, I, 73.

1937. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « M. Deschanel et le romantisme de Racine »

Et, si l’on aime tant son théâtre, je comprends peu qu’on étudie sa vie et son caractère dans un esprit de malveillance et de chicane. […] Ce qui fait tort à Racine, c’est que son nom et son œuvre sont intimement liés au nom et au règne de Louis XIV et que beaucoup détestent aujourd’hui le Roi-Soleil, encore que ç’ait été un homme fort original, un roi sérieux et convaincu, et qui porta une sorte d’héroïsme dans l’exercice de ses fonctions et surtout dans la dure parade qui prit une bonne moitié de sa vie. […] Si Racine n’a pas trop cruellement souffert dans sa vie si tourmentée, tant mieux pour lui ! […] et serions-nous plus enchantés de heurter l’un que l’autre dans la vie réelle ? […] Ce qui contribue encore à la vérité de ce théâtre, c’est que, si l’on fait abstraction des noms royaux ou mythologiques et des dénouements (meurtre, folie, suicide), les situations, au contraire de celles de Corneille, y sont assez communes et prises dans le train habituel de la vie : c’est une remarque qu’on à souvent faite.

1938. (1913) La Fontaine « VIII. Ses fables — conclusions. »

La différence, entre sa vie et la fable qu’il faisait, c’est que la fortune n’est jamais venue le chercher. […] Encore une fois, comme toujours il y a entrelacement de la fable à proprement parler et du récit naturiste qui est une semaine de la vie des champs. […] C’est absolument un petit poème épique de la vie rustique. Mais ceci, ce n’est qu’une semaine de la vie rurale. […] Voilà le type même de la fable de La Fontaine peintre de la vie des champs.

1939. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Première partie. De la parole et de la société » pp. 194-242

Si la longue enfance de l’homme prouve la nécessité pour lui de naître dans la famille, et, par conséquent, dans la société, la brièveté de sa vie prouve avec non moins de force la nécessité où il est de consacrer à l’état social le peu de jours qu’il passe sur la terre. Les livres saints disent que la vie de l’homme fut, au berceau du monde, plus longue, et que depuis elle a été accourcie : je ne cite ici les livres saints que comme dépositaires des traditions antiques. Il semble bien, en effet, que la vie de l’homme n’est point en proportion, pour la durée, avec tout l’ensemble de son existence et de ses facultés. […] Tous ses projets, même ceux qu’il peut le plus raisonnablement former, sont trop vastes pour sa courte vie. […] Cette vie, je le sais, n’accomplit pas toutes les destinées de l’homme ; et la société, qui lui est si nécessaire, ne lui suffit point encore : il lui faut la certitude d’un avenir au-delà de ce monde.

1940. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — I. » pp. 204-223

L’un des premiers, il fut de ces hommes de lettres, intrépides et hardis causeurs, qui passaient leur vie dans la société, y marquaient d’abord leur place, l’y maintenaient de pied ferme tant qu’ils étaient présents, mais s’y dissipaient et ne devaient point laisser d’ouvrage égal à leur renommée ni peut-être à leur valeur. […] Duclos nous a laissé des commencements de Mémoires de sa vie, qui sont pleins d’intérêt. […] Ces pages de Mémoires n’ont été écrites par Duclos que dans les dernières années de sa vie ; il ne s’y refuse pas les réflexions sur le temps soit passé, soit présent. […] La société, quoiqu’il y eût passé sa vie, ne l’avait pas usé. […] Si j’osais faire cette comparaison, je dirais qu’il y avait dans Duclos, tant pour les inconséquences honorables que pour la verdeur et le coup de dent, quelque chose de Gui Patin : un Gui Patin moins honnête, éclairé et corrompu par la vie de la société, tenant bon toutefois sur certains points et ne se laissant pas entamer.

1941. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Béranger, recueillie par M. Paul Boiteau. »

Une des pensées les plus fausses de M. de Bonald, qui en a eu quelquefois de plus vraies, c’est « qu’un déiste est un homme qui, dans sa courte vie, n'a pas eu le temps de devenir athée. » Il y a, au contraire, chez le déiste sincère et convaincu, une impossibilité, une incapacité profonde d’entrer dans la manière de voir de l’athée, ou, pour mieux dire, du pur naturiste. […] S’attacher à son œuvre, l’achever, la parfaire, c’est aussi un moyen de s’attacher à la vie. […] En marchant dans cette vie, dont le sentier semble si étroit, on s’éparpille, l’un à droite, l’autre à gauche, et il y a encore assez d’espace pour que beaucoup se perdent tout à fait, sans compter ceux qui succombent en route. […] Il y voyait beaucoup des dames anglaises, dont l’une, jeune, se mit à l’aimer ; et un jour il s’aperçut avec effroi que lui-même était pris, mais pris comme jamais il ne l’avait été, et comme on ne l’est qu’une fois dans la vie. […] Mais je n’ose me fier à mon jugement, car je trouve des longueurs : à tout, — même à la vie, je crois. » Ainsi encore, à Latouche, auquel il reprochait sa paresse à publier : « Mon cher ami, il ne vous a manqué que de mourir de faim : cela a manqué à plus de gens qu’on ne pense. » Mais toutes ces jolies façons cachaient quelque incertitude ; et aussi l’amitié, la politesse le retenaient.

1942. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet »

Thiers, à cette époque de sa vie (et je ne sais s’il a persévéré dans cette théorie qui me paraît bien près d’être la vraie), pensait qu’on raisonne beaucoup trop sur l’idéal et qu’on se creuse terriblement la tête pour en demander l’expression aux œuvres des anciens maîtres. […] Parmi ses tableaux non populaires de ce temps-là, les connaisseurs m’ont paru mettre au premier rang un portrait équestre du duc d’Angoulême (1824), où le cheval est d’une vie et d’une nuance de robe admirable ; l’Anglais Lawrence arrivait vers ce moment à Paris, et son succès piquait d’honneur Horace : il fut coloriste ce jour-là. […] Horace Vernet. » Mais est-il vrai d’ajouter, comme il put s’en vanter peut-être en riant, que c’est ainsi que se passaient dans son atelier « les heures de sa vie les plus laborieuses ?  […] Enfin, l’aimable et brillant Horace saura suffire à tous les âges de la vie comme à toutes les phases de son talent, et fournir jusqu’au terme, sans broncher, toutes les étapes d’une noble carrière. […] Horace Vernet, qui garda plus longtemps qu’aucun le sentiment vif et actif de la jeunesse, put n’avoir pas de ces regrets qui supposent un peu de rêverie ; mais comment, nous qui faisions en 1822 le pèlerinage à son atelier de la rue de la Tour-des-Dames, comment, nous dont la vie, en présence de ces batailles de l’Art, s’est passée à regarder, à espérer, à faire des vœux ou à regretter, comment ne dirions-nous pas pour lui et presque en son nom ce que ce retour sur le passé nous inspire ?

1943. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Œuvres complètes de Molière »

Sa première vie étant peu connue, on fouille en tous sens, on s’attache aux moindres vestiges, on voudrait lui reconstituer sa jeunesse : on s’inquiète de tout ce qui l’a connu, approché, jalousé même ou rivalisé. […] Victor Fournel publie en ce moment le premier volume66 ; — les Œuvres de Molière, de la maison Furne, magnifiquement exécutées, et où se trouve en tête la cinquième édition de l’Histoire de sa vie et de ses ouvrages, par M.  […] Bazin, esprit ironique et critique, homme d’humeur, fit en 1847, sous le simple titre de Notes historiques sur la Vie de Molière, un premier examen très sévère de tout ce qu’on avait précédemment écrit à ce sujet ; il trancha et retrancha fort librement, tantôt se fondant sur des faits, tantôt se confiant à des raisonnements ou à des conjectures ; et, s’il fut quelquefois injuste pour le travail de ses devanciers, il a du moins obligé tous ceux qui, depuis, sont venus ou revenus à la charge, à plus d’exactitude et de prenez-y garde qu’on n’en mettait auparavant. […] L’année suivante, Molière part pour la province, à la tête de sa troupe qui a quitté son titre magnifique et renouvelé en partie son personnel ; il commence sa vie aventureuse de comédien de campagne, qui ne se terminera qu’en 1658. […] Il nous montre, dans la vie des comédiens de campagne décrite par Scarron en son fameux Roman, la peinture fidèle de ce que devait être la destinée et la fortune de cette troupe ambulante de Molière ; il se demande s’il n’y a même pas de rapport, de reflet plus direct de l’un de ces groupes comiques à l’autre, et si Scarron, du temps qu’il était au Mans, n’a pas eu l’occasion d’y voir cette troupe de passage des Béjart avec son illustre capitaine.

1944. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite et fin.) »

« Il faut bien, dit-il, se donner quelques dédommagements et des consolations ; il faut aussi montrer son petit talent, essayer dans son art quelque chose de ce que l’artiste dont on parle a fait dans le sien. » Et c’est ainsi que, terminant le premier article sur Eugène Delacroix lors de l’Exposition universelle de 1855, il disait : « … Outre leur mérite intrinsèque, les Femmes d’Alger marquent un événement d’importance dans la vie de M.  […] Il l’a dit, une fois entre autres, en termes excellents, à propos de Meissonier : « … Tout prend une valeur sous son pinceau et s’anime de cette mystérieuse vie de l’art, qui ressort d’une contre-basse, d’une bouteille, d’une chaise, aussi bien que d’un visage humain. […] » Il le redit, non moins excellemment, dans un article sur Ary Scheffer, en faisant remarquer que cet esprit si distingué et si élevé n’a pas assez compris que la pensée pittoresque n’avait rien de commun avec la pensée poétique : « Un effet d’ombre ou de clair, une ligne d’un tour rare, une attitude nouvelle, un type frappant par sa beauté ou sa bizarrerie, un contraste heureux de couleur, voilà des pensées comme en trouvent dans le spectacle des choses les peintres de tempérament, les peintres nés. » Aussi, tout en rendant justice aux sentiments et aux intentions épurées de ce « poète de la peinture » comme il l’appelle, il ne l’a loué en toute sincérité et franchise que pour certains portraits où le sens moral n’a fait qu’aiguiser l’observation et donner plus de vie à la vérité. […] Par un effet de ce grand goût qu’il a pour l’art et un certain art de convention, il a mieux aimé étudier la vie dans la comédie que de retrouver la comédie dans la vie. […] L’auteur n’a pas craint, puisqu’il avait affaire à des comédiens, de leur appliquer dans la vie les aventures mêmes des tragi-comédies qu’ils représentent ; il n’a pas manqué d’employer la reconnaissance finale et subite, ordinaire à ces fabuleux dénoûments, en faisant d’Isabelle la fille d’un prince.

1945. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Exploration du Sahara. Les Touareg du Nord, par M. Henri Duveyrier. »

Duveyrier, en se consacrant à une vie de voyage et d’exploration africaine, a procédé graduellement et s’y est pris avec méthode. […] Bien que les vents régnants déplacent continuellement les sables, les proportions de ces changements sur les dunes ne sont point notables et appréciables à l’œil : il y faut la vie d’un homme pour constater quelque différence sensible. […] Duveyrier, la vie des nobles est loin d’être inactive ; car, pour remplir les devoirs qui leur incombent, ils sont toujours par voies et par chemins, par monts et par vaux. […] L’immensité du désert dévore la vie des nobles. » Figurez-vous une population de 50,000 âmes, plus ou moins, éparse sur une étendue deux fois grande environ comme la France. […] Duveyrier a tracé de lui une vie abrégée et un beau portrait en ces termes : « … Héritier de la réputation de ses ancêtres, Othman, dès son enfance, s’est fait remarquer par sa perspicacité.

1946. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DISCOURS DE RÉCEPTION A L’ACADÉMIE FRANÇAISE, Prononcé le 27 février 1845, en venant prendre séance à la place de M. Casimir Delavigne. » pp. 169-192

Et que le public surtout, le grand juge permanent, n’ait à s’en apercevoir dans la suite qu’au redoublement de mes efforts, à leur application de plus en plus marquée vers les sujets élevés et sérieux, qui sont faits pour remplir la seconde moitié de la vie. […] Une qualité générale frappe au premier coup d’œil, en parcourant l’ensemble de cette vie bien courte et pourtant si remplie : quand je dis que cette qualité frappe, j’ai tort, il serait plus juste de dire qu’elle repose et satisfait : sa destinée a tout à fait l’harmonie ; et je n’en veux pour preuve que le sentiment universel qu’elle inspire, cette sorte d’admiration affectueuse et douce dont il est l’objet. […] C’est ainsi qu’en un temps où d’autres talents élevés poursuivaient et atteignaient, ou manquaient la gloire, en d’autres régions plus orageuses de la sphère et sur d’autres confins, lui, il suivait sa belle et large voie, populaire d’une popularité légitime, heureux d’un bonheur possible : en un mot il réalisait dans toute sa vie une sorte d’idéal tempéré et continu, sans aucune tache. […] Je ne puis qu’effleurer (et j’en ai regret) les circonstances intéressantes de sa vie à ses débuts. […] Les vers d’adieu à cette campagne, qu’il eut le regret de vendre, étaient d’un plus lointain et plus intime pressentiment : c’était la vie même avec tout ce qu’elle a de cher et d’embelli qu’il saluait une dernière fois. « Il faudra quitter cette terre, cette maison,… ces ombrages que tu cultives », a dit Horace.

1947. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre II. Les privilèges. »

Ce sont presque des rois délégués et à vie ; car ils touchent, non seulement tout ce que le roi toucherait comme seigneur, mais encore une portion de ce qu’il toucherait comme monarque38. […] Institué pour la guerre quand la vie était militante, il peut servir dans la paix quand le régime est pacifique, et l’avantage est grand pour la nation en qui cette transformation s’accomplit ; car, gardant ses chefs, elle est dispensée de l’opération incertaine et redoutable qui consiste à s’en créer d’autres. […] Ils sont là, dans chaque canton, visibles, acceptés d’avance ; on les reconnaît à leur nom, à leur titre, à leur fortune, à leur genre de vie, et la déférence est toute prête pour leur autorité. […] Suger, Vie de Louis VI, chap.  […] Aujourd’hui il leur en faudrait 20 000 ou 25 000. — En province surtout, par l’effet des chemins de fer, la vie est devenue beaucoup plus chère

1948. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre X. Les sociales »

pour toi non plus, la vie ne fut pas éducatrice. […] Tu n’as même pas l’air de te douter que, s’il fallait rester à genoux une seconde pour chacun de ceux que des juges firent souffrir injustement, on ne se relèverait pas de toute la vie ; et, à l’heure de la mort, on aurait à peine commencé l’œuvre de réparation. […] Pour la vie matérielle, il suffirait de se rappeler « la loi de fraternité que, seule, pourra réaliser la mise en commun » des indifférentes richesses d’en bas. […] Dans le cadavre lui répète, la pensée devient une morte et on n’enseigne point le rythme libre de la vie. […] Aujourd’hui ne peut rien sur hier et la mort de Zola n’a rien changé à la vie de Zola, n’a enlaidi ou embelli aucun de ses gestes.

1949. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. » pp. 103-122

La vie de ce premier lieutenant de Voltaire, qui appelait Voltaire papa, que Voltaire appelait mon fils, et qui, en mourant converti, saluait le Génie du christianisme de Chateaubriand et en bénissait presque l’auteur, est des plus diverses et des plus compliquées. […] Doué d’une grande facilité à produire et d’une grande aptitude à juger, d’une ardeur d’amour-propre qui paraît inhérente au tempérament littéraire, et d’une excessive irritabilité dans les matières de goût, La Harpe, en entrant dans le monde, se fit des ennemis dont il accrut le nombre durant le cours de ses variations si peu ménagées, et leur animosité a tout fait pour empoisonner sa vie et pour en noircir ou en travestir bien des circonstances. […] Ses ennemis lui ont reproché d’avoir gardé toute sa vie quelque chose de l’outrecuidance d’un empereur de rhétorique. […] Les mésaventures et les déchirures qui lui survenaient parfois en chemin (et il en eut beaucoup dans sa vie) faisaient la joie et le régal des médisants, surtout de ses confrères les gens de lettres moins bien traités. […] L’année 1778 fut la plus pénible de sa vie d’écrivain, et il faut dire quelque chose des épreuves et tribulations qu’il eut à y supporter.

1950. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VI. Daniel Stern »

Ce sont des pensées, des réflexions et des maximes sur la condition humaine, l’homme, la femme, la vie morale, le cœur, l’esprit, l’éducation, le temps présent, les arts et les lettres, l’aristocratie, la bourgeoisie, le peuple et la religion des contemporains. […] Comme les autres philosophes de son sexe qui renoncent à leur sexe, elle jabote contre le catholicisme, parce qu’elle est sortie de la catholicité, qui traduit ces relations dans la vie réelle et pratique. […] Cette amazone intellectuelle, qui n’a pas qu’un sein coupé, comme la guerrière, mais qui a les deux, n’est jamais, après tout, que l’ambidextre éternel qui, dans la pensée comme dans la vie, toujours poltronne et toujours coquette, avance quand on recule et recule lorsqu’on avance. […] Quelle femme d’esprit (n’eût-elle que cela) accepterait sans crainte la responsabilité d’une thèse qui n’est le plus souvent qu’une révélation des misères et des déchéances de la vie ? […] Voilà quel a été certainement pendant toute sa vie l’effort de Mme Stem, ce bas-bleu acharné, renégat de son sexe !

1951. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Xavier Aubryet » pp. 117-145

Aubryet ne tremble pas non plus devant ces supériorités littéraires qui ne sont pas même des Washington dans leur ordre de mérite et de célébrité, mais il les voit peut-être avec ce trouble de la jeunesse qui n’est gracieux que pour ceux qui le causent, et dont l’aplomb de la vie, gagné à vivre, le débarrassera. […] que la vie finisse de lui apprendre ce métier de critique auquel, de facultés, je le crois destiné d’après ce livre. […] Dieu a déjà commencé à lui mettre sur sa tête brune, à l’aspect toujours jeune, la pincée de cendre des quarante ans qui sont le Mercredi des Cendres de la vie, la fin de ce Carnaval qu’il faut traduire : Adieu à la chair ! […] Il ne sait pas entasser la vie et l’action, comme la lumière du diamant, dans le petit espace d’une facette. […] C’est Henri de Latouche, l’auteur de Fragoletta, qui nous a raconté dans ses œuvres l’histoire de ces yeux étonnants, et cette histoire est belle comme un poème, — un poème au fond duquel il y a des larmes… Latouche dit qu’elle était très triste, cette jeune fille qui répondait : Napoléon Empereur à tous les sentiments de la vie !

1952. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Charles Baudelaire  »

La Puissance qui punit la vie est encore plus impassible que lui ! […] Il appartient à une époque troublée, sceptique, railleuse, nerveuse, qui se tortille dans les ridicules espérances des transformations et des métempsycoses il n’a pas la foi du grand poète catholique, qui lui donnait le calme auguste de la sécurité dans toutes les douleurs de la vie. […] Il est le misanthrope de la vie coupable, et souvent on s’imagine, en le lisant, que si Timon d’Athènes avait eu le génie d’Archiloque, il aurait pu écrire ainsi sur la nature humaine et l’insulter en la racontant ! […] Les Solitaires ont auprès d’eux des têtes de mort, quand ils dorment, Voici un Rancé, sans la foi, qui a coupé la tête à l’idole matérielle de sa vie ; qui, comme Caligula, a cherché dedans ce qu’il aimait, et qui crie du néant de tout, en la regardant ! […] parce qu’il a exprimé et tordu le cœur de l’homme lorsqu’il n’est plus qu’une éponge pourrie, ou qu’il l’ait, au contraire, survidée d’une première écume, il est tenu de se taire maintenant, — car il a des mots suprêmes sur le mal de la vie, — ou de parler un autre langage.

1953. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Plessis, Frédéric (1851-1942) »

Ils y embrasseront la plus heureuse partie d’une vie, la fleur de quinze années d’études, de rêves et d’amour. [La Vie littéraire (1891).]

1954. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « SUR ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 497-504

Mais la destinée d’André Chénier fut autre ; la hache intercepta cette seconde moitié de sa vie. […] Il est toutefois, dans la vie des nations, des moments d’ardeur et d’orage où l’on ne conçoit guère ces rôles à part ; la masse alors absorbe toutes les nuances ; le foyer commun appelle à lui toutes les étincelles ; la mêlée convoque tous les poëtes. […] La poésie, en se faisant simple auxiliaire à la suite des idées philosophiques, avait perdu ses qualités éminentes les plus énergiques et les plus châtiées ; Voltaire, son dernier représentant illustre, avait été son plus grand corrupteur L’entreprise de Chénier fut une œuvre d’étude et de long silence, pleine de secrets labeurs au sein d’une vie de plaisirs, et animée d’un profond amour de cette France, qu’il voulait doter de palmes plus rares.

1955. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIX. De la littérature pendant le siècle de Louis XIV » pp. 379-388

On voyait des écrivains saisir quelquefois, comme Achille, l’arme guerrière au milieu des ornements frivoles ; mais, en général, les livres ne traitaient point les questions vraiment importantes ; les hommes de lettres étaient relégués loin des intérêts actifs de la vie. […] Ce point d’honneur si susceptible, qu’il ne tolérait pas dans les relations de la vie la plus légère expression qui pût blesser la fierté la plus exaltée, ce point d’honneur donnait aussi ses lois à l’imitation théâtrale, aux jeux de l’imagination ; et la diversité des caractères qu’on pouvait peindre devait rester dans les bornes prescrites. […] Tous les intérêts de la vie étaient soumis au monarque ; mais, au nom de la mort, on pouvait encore lui parler d’égalité.

1956. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Le termite »

Rosny : « Aussi, en Servaise, comme un clou formidable, perpétuelle, obsessionnelle, grandit l’idée de la note, la vie prise telle quelle, la vérité de la vision, de l’ouïe et de l’événement respecté en idole ; le tourment de se supprimer la réflexion et la transformation ; la recherche d’un absolu documentaire », etc… (page 35). […] Et quelle horrible vanité, de sacrifier la vie même et tout ce qui lui donne son prix véritable à d’inutiles et inintelligibles transcriptions de la vie !

1957. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Les derniers rois »

Il me plaisait davantage de faire de longs séjours à Paris, dans cette capitale des sciences et des arts, où la vie est si douce et si noblement occupée, et où j’ai des amis excellents. […] On dirait que cela les gêne d’être à part, qu’ils ont un désir inavoué de revenir à la vie normale, que la solitude de leur majesté leur pèse, qu’ils en ressentent plus d’ennui que d’orgueil. […] On voit déjà des princes qui volontairement se retirent et à qui la rentrée dans la vie commune, dans la grande multitude humaine, semble une délivrance.

1958. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Retté, Adolphe (1863-1930) »

Il a l’air toujours de regarder la vie à travers du souvenir. […] Singulière esthétique, car, enfin, la reproduction directe de la vie ou, comme ici, du possible est œuvre de science et non d’art, — à moins qu’on ne tolère cette enseigne ; photographie artistique. […] Car ce qu’il ne dit pas, ce que nous devinons, ce sont les inflexibles règles de vie consciencieuse que ce libre esprit a su se découvrir, qui l’ont pacifié, qui l’ont amplifié, et l’ont naturellement amené jusqu’au cœur de la race.

1959. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre V. La Henriade »

Ce grand homme eut le malheur de passer sa vie au milieu d’un cercle de littérateurs médiocres, qui, toujours prêts à l’applaudir, ne pouvaient l’avertir de ses écarts. […] Il charme et fatigue par sa mobilité ; il vous enchante et vous dégoûte ; on ne sait quelle est la forme qui lui est propre : il serait insensé s’il n’était si sage, et méchant si sa vie n’était remplie de traits de bienfaisance. […] Son amour-propre lui fit jouer toute sa vie un rôle pour lequel il n’était point fait, et auquel il était fort supérieur.

1960. (1915) La philosophie française « II »

Pendant tout le XVIIe et le XVIIIe siècles, la pensée française, s’exerçant sur la vie intérieure, a préparé la psychologie purement scientifique qui devait être l’œuvre du XIXe siècle. […] Pratiquée par des hommes qui furent des psychologues, des biologistes, des physiciens, des mathématiciens, elle s’est continuellement maintenue en contact avec la science aussi bien qu’avec la vie. Ce contact permanent avec la vie, avec la science, avec le sens commun, l’a sans cesse fécondée en même temps qu’il l’empêchait de s’amuser avec elle-même, de recomposer artificiellement les choses avec des abstractions.

1961. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lafargue, Marc (1876-1927) »

Lafargue, Marc (1876-1927) [Bibliographie] Le Jardin d’où l’on voit la vie (1897). […] Charles Guérin Ô charme unique de ce Jardin d’où l’on voit la vie !

1962. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Note »

Tu veux que je lui sacrifie  Ce dernier souffle de ma vie ! […] « J’avais cessé presque entièrement de le visiter dès 1839, le traitant un peu comme une ancienne maîtresse qu’on craint de revoir pour ne pas retomber sous le charme. » « — Lamartine est l’homme qui a su dire le plus de fois dans sa vie : Ce qui n’est plus pour l’homme a-t-il jamais été ?  […] Même dans le discours de réception de Lamartine à l’Académie, en 1830, on trouve un grand parallèle établi entre la poésie et l’action, entre la vie du littérateur en temps régulier et cette même existence dans les siècles d’orage, en « ces époques funestes au monde, glorieuses pour l’individu. » Dans les temps calmes, chacun est classé, chacun suit sa voie ; avec plus ou moins de distinction, selon nos forces ou nos faiblesses, « nous arrivons au terme. Si nous en valons la peine, on nous nomme, on nous caractérise en deux mots, et voilà la page de notre vie dans un siècle. » Dans les temps d’orage, au contraire, « dans ces drames désordonnés et sanglants qui se remuent à la chute ou à la régénération des empires, quand l’ordre ancien s’est écroulé et que l’ordre nouveau n’est pas encore enfanté, dans ces sublimes et affreux interrègnes de la raison et du droit,… tout change ; la scène est envahie, les hommes ne sont plus des acteurs, ils sont des hommes… Tout a son règne, son influence, son jour ; l’un tombe, parce qu’il porte l’autre ; nul n’est à sa place, ou du moins nul n’y demeure ; le même homme, soulevé par l’instabilité du flot populaire, aborde tour à tour les situations les plus diverses, les emplois les plus opposés ; la fortune se joue des talents comme des caractères ; il faut des harangues pour la place publique, des plans pour le Conseil, des hymnes pour les triomphes… On cherche un homme !

1963. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Richepin, Jean (1849-1926) »

Il a l’âme ouverte à tous les sentiments de la vie, et il les mêle — et fougueusement — à ses peintures. […] Un homme qui va sur la grand route et qui n’a rien, rien que le mystérieux trésor de l’aventure, c’est toute l’indépendance, toute la Chimère, la Vie libre et la Joie, en un mot la Poésie totale. […] la voilà donc, cette charmante, cette idéale langue du vers appliquée de nouveau aux détails de la vie rustique, et appliquée avec un art merveilleux par un incomparable virtuose. […] Ce ne sont que des tableaux de la vie champêtre, un peu arrangés par un Florian romantique, mais délicieux, une fois qu’on est entré dans une convention qui n’est même pas plus de la convention que celles du théâtre « rosse ».

1964. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Tallemant des Réaux »

À ne le prendre que pour ce qu’il est, un anecdotier, moitié perroquet et moitié pie, un caquet-bonbec historique qui fit toute sa vie métier et marchandise de propos libertins et de sales nouvelles, il n’y a trace ni d’imagination ni de goût dans sa façon de raconter l’anecdote. […] La vie de cet homme est mal connue. […] Impuissant qu’on n’aurait pas même le courage de détester, si on ne pensait à l’avenir, au mal affreux que des esprits comme lui ont commis pourtant dans leur impuissance, Tallemant des Réaux est déjà — dans la première moitié du xviie  siècle — une expression très vive et très nette de cet individualisme que Descartes représente dans la philosophie, Robinson Crusoé dans la vie romanesque, l’idéal de la vie réelle, Jean-Jacques Rousseau plus tard, et même Béranger.

1965. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Édouard Fournier »

Il n’a nul égard à l’accord parfait du caractère, de l’esprit, de la vie tout entière de celui à qui il est imputé, avec le mot même. […] ; mais elle l’avait été à la première aurore de cette vie où tout fut prématuré, miraculeux et idéal ! […] la critique ordinaire de Fournier, qui ne change qu’un grain de sable, — un infiniment petit, — une date obscure, — l’obole d’un détail, — dans une vie éclatante ou dans une immense destinée, et qui souffle et halète de ce prodigieux changement introduit par lui dans l’histoire, comme un Hercule éreinté ! […] Or, n’eût-on rencontré que quatre imbéciles dans sa vie, — et qui peut se vanter de n’avoir jamais connu que quatre imbéciles ? 

1966. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Louis XIV. Quinze ans de règne »

Nous avons bien des histoires de France, dues à des plumes de notre temps plus ou moins habiles, et dans lesquelles le xviiie  siècle est traversé et jugé, en passant, comme les autres siècles qui forment la longue vie de la monarchie et de la société françaises. […] Il faut être juste : la philosophie, qui se moque des hypocrites religieux et qui a les siens, les révolutions, qui ont détruit les grandes fortunes et rendu la vie si exiguë, ne devaient-elles pas arriver à ce résultat de nous pousser l’imagination, de toute la force de l’ennui enragé qu’elles ont créé pour les peuples modernes, vers le temps passé des grandes existences et des plaisirs largement conçus et splendidement réalisés ? […] Il dit quelque part, il est vrai, que son projet, si Dieu lui prête vie, est d’aller un jour jusqu’au règne de Louis XV. […] Il lui a dévoué sa vie.

1967. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Si j’avais une fille à marier ! » pp. 215-228

Il a cru que dans le mystère, le mystère profond de la vie, une question d’éducation pouvait toujours résoudre une question de destinée : ce qui rendrait la vie aussi plane en réalité qu’elle est hérissée de complications formidables ; et alors, moraliste appliqué exclusivement à la femme, il est devenu le Chesterfield de mademoiselle sa fille, et il l’a formée pour un mari dans une suite de chapitres où il parle à la seconde personne, et qui ressemblent à des lettres, absolument comme le lord anglais, plus superficiel, formait pour le monde et la politique son gentilhomme de fils qui, je crois, aurait été un assez pauvre diplomate, et, à ce qu’il paraît, a eu toute sa vie assez mauvais ton ! […] Weill est un écrivain qui a de la vie, dans ce monde livré aux pâteux !

1968. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVII. Mémoires du duc de Luynes, publiés par MM. Dussieux et Soulier » pp. 355-368

Il creva toute sa vie de ce désir contrarié. […] il passe toute sa vie à nous raconter gravement… quoi ? […] Seulement, et quoi qu’il en puisse être, en présence de faits pareils, ramassés avec une telle loyauté, on se demande le compte des pensées qui passèrent, durant toute sa vie, par l’esprit de l’homme qui ramassait ces faits et tellement s’en préoccupait ? Et si nous disons, nous, chrétiens, qu’un jour nous aurons à répondre devant Dieu de nos actions et paroles oiseuses, nous demandons ce que ceux-là qui étaient nés et faits pour gouverner les hommes et qui passèrent ainsi toute leur vie dans des méditations ou des souvenirs de maîtres à danser, répondront, en attendant le jugement de Dieu, devant l’histoire… ?

1969. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Xavier Eyma » pp. 351-366

D’ailleurs, pour pénétrer impunément dans les institutions tapageuses, les mœurs brutales, les travaux fiévreux et les entreprises gigantesques de ce peuple d’Effrénés, qui a commencé par la révolte contre la mère patrie et qui est toujours à la veille de la guerre fratricide entre ses enfants, il faudrait une force et une froideur de tête inaccessibles au vertige, et ce n’était pas le cas de ce pauvre Tocqueville, qui, entré là-dedans, en ressortit sceptique pour toute sa vie, en en pensant tout et n’en pensant rien, Montesquieu Brid’oison ! […] L’Histoire y est aussi esquissée en traits rapides, mais il y a peu de passé encore dans cette vie d’un peuple, et l’expérience qu’il fait est si nouvelle, que l’avenir, bien plus que le passé, y prend le regard de l’historien. […] Mais l’honneur de la pensée n’est-il pas de traverser le milieu épais et physique pour saisir ce qu’il y a de vie, de force réelle et de vraie beauté morale, dont les nations, voyez-vous ! […] Je l’aurais montrée aventurière par essence, homicide et suicide, toujours le revolver en main, méprisante dans le choix des voies et moyens, des vérités et de la vie !

1970. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Jules de Gères »

c’est bien long dans la vie, a dit tristement un autre poète, qui ne le fut, lui, qu’un jour. Pendant ces dix ans et plus, quelle a été la vie de Gères ? […] Je ne crois point, pour ma part, — moi, l’adversaire de toute académie quand il s’agit d’art ou de littérature, et qui me moque de ces sociétés, affectations organisées, coteries bonnes pour tous les Vadius et les Trissotins de la terre, — je ne crois point que Jules de Gères eût besoin d’un si pauvre stimulant pour revenir à la poésie, pour réveiller la Muse qui dormait au fond de son âme comme la Nuit de Michel-Ange… Quand toutes les sociétés de sonnettistes (s’il y en a plusieurs) auraient manqué à la France, qui ne s’en doute pas, il fût retourné à la poésie, qui est son destin, de par cette imagination que la vie peut blesser, comme les dieux sont blessés dans les batailles d’Homère, mais ne meurent pas de la perte de leur sang immortel… Jules de Gères est, de nature, très au-dessus des petites sociétés littéraires dont il peut avoir la condescendance, mais il n’a aucunement besoin d’elles pour se retrouver un poète, — c’est-à-dire un solitaire, un isolé, une tour seule (il me comprendra, le poète de la Tour seule !). […] IV Je voudrais pouvoir citer ces deux pièces pour donner une idée de la poésie de Gères quand elle atteint son point culminant, — son zénith ; je voudrais citer aussi l’Incerta et occulta, non moins belle, mais je suis arrêté par un des mérites de ces pièces la longueur, la puissance du souffle… L’Arbre devenu vieux n’a pas moins de cent dix-neuf strophes… Or, ces longues poésies sont venues et sont faites comme les roses, pour lesquelles Dieu ne s’est pas repris… Les feuilles d’une rose ne sont plus la rose ; des vers pris à des poésies bien venues n’en donnent ni le mouvement, ni l’unité, ni la vie !

1971. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Auguste Barbier »

Après ce seul morceau de La Curée, qui fit au poète complet une gloire complète, Auguste Barbier aurait pu mourir, il n’était pas moins immortel qu’après toute une vie de chefs-d’œuvre… Il ne mourut pas, et nous y gagnâmes. […] ………………………………………………………… Car en ce brillant monde à quoi bon (sic) est la vie, Si l’amour n’y peut point contenter son envie ? […] À toi l’art d’embellir la vie Et de ne montrer que l’objet Qui vous reluit et qui vous plaît ! Et ailleurs, poursuivant sur le même turlututu la même fantaisie : Sans les jeux de la fantaisie, Chers amis, que serait la vie ?

1972. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Théodore de Banville »

Arrivé à cet âge de la vie qui n’est, certes ! […] Ces Idylles prussiennes, sur lesquelles je veux particulièrement insister, ne sont pas seulement les plus belles poésies du volume, mais elles portent avec elles un caractère de nouveauté si peu attendu et si étonnant, qu’en vérité on peut tout croire de la puissance d’un poète qui, après trente ans de vie poétique de la plus stricte unité, apparaît poète tout à coup dans un tout autre ordre de sentiments et d’idées, — et poète, certainement, comme, jusque-là, il ne l’avait jamais été ! […] C’est une seconde vie… Nul épuisement n’était dans la première. […] est un spiritualiste chrétien dans ses principes et dans sa vie.

1973. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XIX. Panégyriques ou éloges composés par l’empereur Julien. »

Jusqu’au moment où ce prince monta sur le trône, il fut presque toujours en danger ; et peut-être ne conserva-t-il sa vie, qu’en flattant son tyran. […] Après les dieux, il honore les parents dont il tient la vie ; et quand ils ne sont plus, sa reconnaissance et son respect honorent encore leurs cendres. […] Il regarde comme un crime d’ôter la vie à qui ne résiste plus. […] C’est en bravant la mollesse, en s’abstenant des plaisirs, en dédaignant les trésors, en se livrant peu au sommeil, en fuyant l’inaction, qu’il prétend commander ; en effet, à quoi sert un prince dont la vie n’est qu’un sommeil ?

1974. (1903) Propos de théâtre. Première série

Au fond il en est exactement de même dans la vie réelle. […] Ce sont les lilas de la vie. […] Quel mal nous fait sa vie ! […] De l’amour profond, jamais de la vie ! […] Jamais de la vie !

1975. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon » pp. 423-461

Mon mouvement avoit excité une rumeur. » Or, quand on est sujet à ces mouvements-là, non seulement à l’audience et dans une occasion extraordinaire, mais encore dans l’habitude de la vie et même en écrivant, il y a chance non pour qu’on se trompe peut-être sur l’intention mauvaise de l’adversaire, mais au moins pour qu’on outrepasse quelquefois le ton et qu’on sorte de la mesure. […] On vit dans une époque, à la Cour, si c’est à une époque de cour ; on y passe sa vie à regarder, à écouter, et, quand on est Saint-Simon, à écouter et à regarder avec une curiosité, une avidité sans pareille, à tout boire et dévorer des oreilles et des yeux. […] Telle étoit à l’armée la vie de ce grand général, et telle encore à Paris, où la Cour et le grand monde occupaient ses journées, et les soirs ses plaisirs. […] La vie de Saint-Simon n’existe guère pour nous en dehors de ses Mémoires ; il y a raconté et sans trop les amplifier (excepté pour les disputes et procès nobiliaires), les événements qui le concernent. […] Cette manière un peu machinale et brusque de considérer le remède religieux, sans en introduire la vertu et l’efficace dans la suite même de sa conduite et de sa vie, annonce une nature qui avait reçu par une foi robuste la tradition des croyances plutôt qu’elle ne s’en était pénétrée et imbue par des réflexions lumineuses.

1976. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre cinquième. De l’influence de certaines institutions sur le perfectionnement de l’esprit français et sur la langue. »

Il passa sa vie non pas à imiter, mais à s’approprier, à se conformer à autrui. […] La profonde piété, l’esprit de détachement qui faisait le fond de la vie des solitaires, leur rendait ce sacrifice de la personne plus facile qu’aux esprits mondains dont se composait l’Académie française. […] Depuis l’Introduction à la vie dévote, de saint François de Sales, aucun livre de dévotion n’avait été si populaire. […] Il avait vu l’amour-propre, ce tyran de la vie humaine, tour à tour si habile contre les autres, et si dupe de soi-même. […] Mais c’est peu de nous apprendre à diriger nos pensées par la raison, afin d’en former de bons jugements et de bien raisonner par le bien juger ; il faut savoir appliquer nos pensées, nos jugements et nos raisonnements à la conduite de la vie.

1977. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — III. (Fin.) » pp. 246-261

Je n’entrerai pas ici dans la discussion du genre de torts intimes que Mme d’Épinay a reprochés à Duclos, et qui sont trop voisins de l’alcôve : en réduisant ces torts à ce qui en rejaillit sur le caractère général de l’homme, il paraît certain que Duclos dans son habitude journalière, sorti de chez lui dès le matin et passant sa vie dans le monde, aimait à s’installer chez les gens, et qu’une fois implanté dans une maison, il y prenait racine, y dominait bientôt, s’y comportait comme chez lui, donnant du coude à qui le gênait, et y portait enfin, avec les saillies et les éclats de son esprit, tous les inconvénients de son impétuosité et de son humeur. […] Sans se dissimuler aucun des abus de l’administration, il est arrivé à sentir les avantages et les douceurs de la vie romaine : « Le séjour que j’y ai fait, dit-il, et les habitudes que j’y ai eues m’ont confirmé ce que le président de Montesquieu m’en avait dit, que Rome est une des villes où il se serait retiré le plus volontiers. » À Naples où il reste près de deux mois et où toutes les facilités lui sont données, Duclos visite les antiquités, alors toutes neuves, de Pompéi et d’Herculanum, et s’y applique également à bien connaître les rouages et les principes de l’administration. […] Sachons-le : Duclos a été maire de Dinan pendant plusieurs années ; il a trouvé moyen de concilier cette vie bretonne avec son existence parisienne ; il a été membre des états de sa province ; c’est un homme de lettres qui a de la pratique administrative, et qui a connu un coin de vie parlementaire et politique. […] Il ne lui a manqué peut-être que de venir un peu plus tard pour trouver tout son emploi ; et cet excès même de parole et de chaleur physique, qui détonnait dans la société et dans les salons, eût trouvé son milieu assez naturel et tout son espace dans la vie des assemblées.

1978. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — II. (Suite.) » pp. 463-478

On ne peut s’empêcher de regretter ici que Ramond n’ait pas écrit ses mémoires ; qu’il n’ait pas, un jour ou l’autre, raconté, et s’il le fallait, confessé toute la vérité sur cet épisode intéressant et mystérieux de sa vie, Toute part faite à la déférence, à l’obéissance qu’il devait aux ordres du cardinal, on se demande quelle était en ceci cette autre part, fort peu aisée à déterminer, mais assez active, ce semble, qui lui était personnelle et propre. […] Et il insiste sur ce que ce n’est point là le spectacle et la décoration des montagnes centrales, de ces hauteurs désolées et de ces déserts, où l’œil ne rencontre plus rien qui le rassure ; où l’oreille ne saisit pas un son qui appartienne à la vie ; où la pensée ne trouve plus un objet de méditation qui ne l’accable ; où l’imagination s’épouvante à l’approche des idées d’immensité et d’éternité qui s’emparent d’elle ; où les souvenirs de la terre habitée expirent ; où un sombre sentiment fait craindre qu’elle-même ne soit rien… Ici l’on n’est pas hors du monde ; on le domine, on l’observe : la demeure des hommes est encore sous les yeux, leurs agitations sont encore dans la mémoire ; et le cœur fatigué, s’épanouissant à peine, frémit encore des restes de l’ébranlement. […] quels âges de la vie pastorale et quels lieux aimés des troupeaux ne me rappellerait-elle pas ? […] Daru très jeune, lui ayant écrit en 1788 pour le consulter sur l’opportunité de publier à celle date un poème épique dont la guerre d’Amérique serait le sujet, et ayant paru attribuer la préséance dans la famille des Muses à celle qui présidait aux sciences, Ramond, en répondant, lui rappelait que c’est la poésie au contraire à laquelle il appartient de donner à tout la vie et l’immortalité ; et convenant d’ailleurs que les circonstances étaient peu propices à l’épopée, il ajoutait : Mais c’est la destinée ordinaire des grands ouvrages de ce genre de n’être jamais des ouvrages de circonstance ; et si, par cette raison, leur succès est plus lent et plus difficile, leur gloire est plus pure et moins mortelle. […] Droz, au tome Ier (p. 423) de son Histoire du règne de Louis XVI, a dit de Cagliostro : Certainement il était fort adroit dans ses jongleries, car, un homme de sens et d’honneur, le naturaliste Ramond, qui avait été secrétaire du cardinal de Rohan, ne fut jamais complètement désabusé ; et, vers la fin de sa vie, quand on plaisantait devant lui sur Cagliostro, il détournait la conversation.

1979. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — III » pp. 90-104

Messieurs mes compagnons, quand vous vous trouverez en telles noces, prenez vos beaux accoutrements, parez-vous, lavez-vous la face de vin grec, et la faites devenir rouge ; et marchez ainsi bravement parmi la ville et parmi les soldats, la care levée (la face levée), ne tenant jamais autre propos sinon que bientôt, avec l’aide de Dieu et la force de vos bras et de vos armes, vous aurez en dépit d’eux la vie de vos ennemis, et non eux la vôtre… Mais si vous allez avec un visage pâle, ne parlant à personne, triste, mélancolique et pensif, quand toute la ville et tous les soldats auraient cœur de lions, vous le leur ferez venir de moutons. […] M. de Termes, qui m’en a souvent fait le conte (car je n’étais encore arrivé), m’a assuré n’avoir jamais vu de sa vie chose si belle que celle-là ; je vis leurs enseignes depuis. […] Or, sachez que ce meilleur cheval de Montluc, qu’il eût donné de tout son cœur pour avoir l’hymne des dames siennoises en l’honneur de la France, était un cheval turc dont il a dit « qu’il l’aimait, après ses enfants, plus que chose du monde, car il lui avait sauvé la vie ou la prison trois fois. » Je n’ai pas à entrer dans le détail du siège ; il me suffit d’en avoir signalé le caractère et de donner envie aux curieux de rechercher les pages qui y sont consacrées14. […] Pour rester dans les règles toutefois, il était convenable que le gouverneur stipulât directement, et en son nom, sa capitulation avec le marquis de Marignan ; mais au premier mot qui lui en fut dit de la part de ce dernier, il s’enflamma et parut se révolter, déclarant qu’il aimerait mieux perdre mille vies, et que le nom de Montluc ne se trouverait jamais en capitulation. […] C’est alors que le désir d’une plus absolue retraite le venait prendre quelquefois et le tentait de se vouer à une entière solitude : Il me ressouvenait toujours d’un prieuré assis dans les montagnes, que j’avais vu autrefois, partie en Espagne, partie en France, nommé Sarracoli : j’avais fantaisie de me retirer là en repos ; j’eusse vu la France et l’Espagne en même temps ; et si Dieu me prête vie, encore je ne sais que je ferai.

1980. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 44-63

Il a raconté ce moment décisif de sa vie d’une manière touchante, et que nul n’a droit de ne pas croire sincère. […] Il commence ce pèlerinage, qui asurtout pour objet la Suisse catholique, par une diatribe violente contre Genève, où l’on célébrait, quand il ypassa, l’inauguration de la statue de Jean-Jacques, un sujet tout trouvé d’anathème : « Tristes fêtes dont nous n’osons plus rire, s’écrie l’auteur, quand nous songeons qu’il est une autre vie et que probablement ce malheureux Rousseau, mort dans l’hérésie, sans sacrements et, selon toute apparence, sans repentir, a plus affaire à la justice de Dieu qu’à sa clémence… » Je laisserais ce passage et le mettrais sur le compte de la jeunesse, si les mêmes sentiments d’exécration ne revenaient sans cesse sous la plume de l’auteur ; si, dans ces volumes de Çà et Là où il y a de charmants paysages et de beaux vers pleins de sensibilité, je ne voyais, lors d’une nouvelle visite à Genève (chapitre Du Mariage et de Chamounix), la même répétition d’injures contre la statue et les mêmes invectives contre les Genevois en masse. […] — Cet autre homme, lui, est chrétien ; il admet la divinité, une émanation plus ou moins directe de la divinité, une inspiration d’en haut dans la vie, dans les actes et les paroles du Christ : mais il se permet de rechercher quels ont été au vrai ces actes et ces paroles ; il étudie les témoignages écrits, les textes ; il les compare, il les critique, et il arrive par là à une foi chrétienne, mais non catholique comme la vôtre : homme pur d’ailleurs, de mœurs sévères, de paroles exemplaires : et cet homme-là, parce qu’il ne peut en conscience arriver à penser comme vous sur un certain arrangement, une certaine ordonnance, magnifique d’ailleurs et grandiose, qui s’est dessinée surtout depuis le ve siècle, vous l’insulterez, vous l’appellerez à première vue blafard en redingote marron ! […] Pauvre Gil Blas, miroir et tableau fidèle de la vie humaine, il est bien innocent d’une intention si scélérate. […] Est-il possible d’allier la charité, qui passe, aux yeux même des indifférents, pour faire le fond du Christianisme et pour être la plus excellente des vertus chrétienne, avec la censure énergique non-seulement des vices criants, mais des inconséquences de tout genre qu’un catholique rigide rencontre à chaque pas dans la vie du siècle ?

1981. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Lettres de Madame de Sévigné »

Elle reste bien la même, la spirituelle et l’éblouissante railleuse, celle qui porte partout la vie, celle qui a en elle la joie et le charme, celle que de tout temps nous connaissons, mais plus abandonnée, plus vive de parole et de plume, plus à bride abattue, plus drue et gaillarde, plus sœur de Molière, plus elle-même, pour tout dire, que jamais. […] Mais il vaut mieux que je vous donne la vie, et que nous vivions en paix. […] ma bonne, je suis persuadée que vous n’êtes que trop vive et trop sensible sur ma vie et sur ma santé ; vous l’avez toujours été, et je vous conjure aussi, comme j’ai toujours fait, de n’en être point en peine. J’ai une santé au-dessus de toutes les craintes ordinaires ; je vivrai pour vous aimer, et j’abandonne ma vie à cette occupation, et à toute la joie, et à toute la douceur, à tous les égarements, et à toutes les mortelles inquiétudes, et enfin à tous les sentiments que cette passion me pourra donner. » Ne sentez-vous pas la passion vraie qui déborde et qui ne trouve jamais ; à son gré, assez de mots ? […] Mais on est heureux, avec une personne aussi pure, aussi morale et d’une vie au-dessus de tout soupçon, de trouver la belle et bonne qualité française de nos mères, la franchise du ton, la rondeur des termes, le contraire de tout raffinement et de toute hypocrisie. et, avec tant de délicatesse et de fleur, l’éclat du rire, la fraîcheur au teint, la santé florissante de l’esprit.

1982. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803, (suite et fin) » pp. 16-34

Je suppose donc quelqu’un qui ait ce genre de talent et de facilité pour entendre les groupes, les familles littéraires (puisqu’il s’agit dans ce moment de littérature) ; qui les distingue presque à première vue ; qui en saisisse l’esprit et la vie ; dont ce soit véritablement la vocation ; quelqu’un de propre à être un bon naturaliste dans ce champ si vaste des esprits. […] Le professeur, dans sa chaire, ne distribue guère que la science morte ; l’esprit vivant, celui qui va constituer la vie intellectuelle d’un peuple et d’une époque, il est plutôt dans ces jeunes enthousiastes qui se réunissent pour échanger leurs découvertes, leurs pressentiments, leurs espérances7. » Je laisse les applications à faire en ce qui est de notre temps. […] Il y a de ces rivalités, de ces défis et de ces piques, entre égaux ou presque égaux, qui durent toute la vie. […] De même qu’on peut changer d’opinion bien des fois dans sa vie, mais qu’on garde son caractère, de même on peut changer de genre sans modifier essentiellement sa manière. […] Cela même, dans le détail, devient piquant à observer ; on se déteste quelquefois toute sa vie dans les Lettres sans s’être jamais vus.

1983. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

Le voilà dans sa sphère, dans celle du moins dont il ne sortit plus, et à laquelle appartient toute la partie ; la plus active et diversement mémorable de sa vie. […] Il raconte que, dans une de ses tournées de début, un consul de Nogaro, qui était à la fois médecin, lui dit dans sa harangue « que le roi l’avait envoyé dans la province pour la purger de tous les fainéants et gens de mauvaise vie, et qu’au sentiment d’Hippocrate ce qui formait les humeurs peccantes était l’oisiveté. » L’idée, en un sens, n’était pas aussi fausse que l’expression était ridicule. — « Je gardai mon sérieux, ajoute Foucault, mai les assistants ne se crurent pas obligés à la-même gravité. » Foucault, comme autrefois Fléchier aux Grands Jours d’Auvergne, se moque des harangueurs surannés de la province ; il est un homme, de goût par rapport à ce consul. […] « Heureux, est-on tenté de s’écrier quand on lit ces choses, heureux qui réussit à passer sa vie sans être dans ces alternatives de faveur et de disgrâce ; que les nécessités d’une carrière, l’aiguillon d’un continuel avancement ne commandent pas ; qui n’a pas soif de pouvoirs et d’honneurs ; qui n’est pas ballotté entre Colbert et Louvois, au risque d’oublier entre les deux sa conscience, d’étouffer ses scrupules et d’y perdre même le sentiment d’humanité ; qui n’est ni persécuteur ni victime, ni hypocrite, ni dupe, ni écrasant ni écrasé ; qui, après avoir connu sans doute quelques traverses de la vie et avoir essuyé quelques amertumes inévitables (sans quoi il ne serait pas homme), s’échappe le plus tôt qu’il peut, retire son âme de la foule et de la presse (comme dit Montaigne), passe le restant de ses jours « entre cour et jardin », ne voyant qu’autant qu’il faut et n’étant pas vu ; aussi loin de l’ovation que de l’insulte ; qui se soustrait en soi-même aux appels et aux tentations de la fortune non moins qu’aux irritations sourdes de l’envie et des comparaisons inégales qu’elle suggère, aux ennuis de toutes sortes, aux iniquités souvent qui s’en engendrent ; qui aime de tout temps quelques-unes de ces choses innocentes et paisibles qu’aimait et cultivait Foucault dans la dernière moitié de sa vie, mais sans en avoir taché comme lui le milieu, sans y avoir imprimé une note brûlante, et en pouvant, d’un bout à l’autre, reparcourir doucement, à son gré, et supporter du moins tous ses souvenirs ! 

1984. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Lettres d’Eugénie de Guérin, publiées par M. Trébutien. »

Ce sentiment ne prit point corps ni figure : Maurice, pauvre et n’ayant rien à offrir, alla à Paris suivre ses études, s’attacha à M. de Lamennais, le quitta, donna des leçons, essaya de la vie littéraire ; distrait et guéri, une jeune fille riche, une de ses élèves créole, se rencontra qui se prit de goût pour lui ; il se maria pour mourir presque aussitôt. […] Je vous place avec ma famille… « Savez-vous que vous me faites tristement commencer l’année par votre silence ; pas un mot, pas un signe de vie. […] Celle-ci, la fille de Genève, n’a rien hérité de Versailles, ni des élégances convenues, ni des élégances innées ni de Fonction, de la dévotion à la française et selon le cœur de Marie ; elle n’a jamais beaucoup lu, j’imagine, ni le Petit Carême de Massillon, ni Fénelon dans ses Lettres spirituelles, ni l’Introduction à la vie dévote ; elle n’a pas fait de l’Imitation son livre de chevet. […] Son idéal au fond, son rêve de bonheur, si elle était libre, si elle n’avait pas son père qu’elle ne peut quitter, ce serait la vie religieuse, celle du cloître ; son vœu secret d’âme recluse lui échappe toutes les fois qu’elle a occasion d’assister à quelque cérémonie de couvent : « Je n’aime rien tant que ces figures voilées, ces âmes toutes mystiques, toutes pétries de dévotion et d’amour de Dieu… Ces robes noires ont quelque chose d’aimanté qui vous attire. » Les plaisirs célestes, les joies mystiques la ravissent quand elle peut en goûter sa part, surtout à Noël, « la plus douce fête de l’année. » Les idées de vocation reviennent la tenter toutes les fois qu’elle va à Albi, au couvent du Bon-Sauveur, ou qu’elle assiste aux offices dans cette belle cathédrale : « Quel bonheur si cela devait durer toujours, si, une fois entrée dans une église, on pouvait n’en plus sortir ! […] C’est bonheur vraiment que de prier dans ces grandes maisons de Dieu, où il semble que la dévotion s’agrandit. » Elle a hérité je ne sais quoi du Moyen-Age et de ses saintes avec leur passion pour la prière, pour la bienheureuse solitude, pour la fuite du monde et la vie cachée.

1985. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. BRIZEUX (Les Ternaires, livre lyrique.) » pp. 256-275

1841 Tout le monde est plus ou moins poëte à un certain âge de la vie ; mais, indépendamment de cette poésie de jeunesse et de quinze ans, de cette poésie du diable, comme l’appelle M. […] On ferait une Anthologie charmante de tout ce qui échappe d’excellent à l’un ou à l’autre en tel jour de sa vie, et dont le public, non plus que l’auteur en son pêle-mêle, ne se doute pas. […] Brizeux, une sorte d’aspiration philosophique que le commerce récent de Dante n’a pu que fortifier127, lui a fait considérer ces chants de sa maturité comme un troisième temps dans sa vie. […] Cette idée des trois pas essentiels dans la vie revient très-ingénieusement de distance en distance, trop ingénieusement même. […] Les Ternaires appartiennent assez véritablement par leur caractère à une troisième époque de la vie intérieure du poëte.

1986. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Poésies nouvelles de M. Alfred de Musset. (Bibliothèque Charpentier, 1850.) » pp. 294-310

Le voilà, regardez, devinez-lui sa vie. […] » Cet amour fut le grand événement de la vie de M. de Musset, je ne parle que de sa vie poétique. […] Béranger a eu l’esprit (lui ou sa fée) de laisser passer la poésie de l’Empire avant d’éclore ; il aurait calculé sa vie, qu’il n’aurait pas mieux réussi. […] Que sont-ils devenus, les chagrins de ma vie ?

1987. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Essai, sur, les études en Russie » pp. 419-428

On n’y apprend que les règles de l’arithmétique ; mais suffisamment pour qu’un enfant, au sortir de ces écoles, sache tous les calculs nécessaires dans le courant de la vie, et soit même en état d’apprendre les calculs plus compliqués des marchands et négociants. […] Il serait à désirer qu’on eût aussi des catéchismes de morale et de politique, c’est-à-dire des livrets où les premières notions des lois du pays, des devoirs des citoyens, fussent consignées pour l’instruction et l’usage du peuple ; et une espèce de catéchisme usuel, qui donnât une idée courte et claire des choses les plus communes de la vie civile, comme des poids et mesures, des différents états et professions, des usages que le dernier d’entre le peuple a intérêt de connaître, etc. […] L’université de Leipsick ne ressort que du souverain, exerce sur les siens le droit de vie et de mort. […] On sent aussi que la vie des membres d’une telle faculté doit être laborieuse, puisqu’indépendamment des soins qu’ils donnent à l’instructin de la jeunesse, ils sont encore les oracles des tribunaux intérieurs et étrangers, et que toutes leurs décisions, devant être motivées, demandent un travail raisonné. […] J’ose recommander très-particulièrement M. le docteur Ernesti, à Leipsick, homme d’un mérite éminent, qui, ayant été toute sa vie occupé de l’éducation de la jeunesse dans toutes les espèces d’écoles, est plus capable que qui que ce soit de dresser un plan excellent.

1988. (1759) Observations sur l’art de traduire en général, et sur cet essai de traduction en particulier

Détestant la lumière, ils ont, dit le poète, jeté la vie loin d’eux. Le génie timide de notre langue ne permettait pas d’employer cette image, toute animée et toute noble qu’elle est ; un de nos grands poètes y a substitué ces deux beaux vers : Ils n’ont pu supporter, faibles et furieux, Le fardeau de la vie impose par les dieux. […] Pourquoi enfin transplanter dans une langue ce qui n’a de grâces que dans une autre, comme les détails de l’agriculture et de la vie pastorale, si agréables dans Virgile et si insipides dans toutes les traductions en prose qu’on en a faites ? […] Les seuls écrivains qui demanderaient à être traduits en entier, sont ceux dont l’agrément est dans leur négligence même, tels que Plutarque dans ses Vies des Hommes illustres, où, quittant et reprenant à chaque instant son sujet, il converse avec son lecteur sans l’ennuyer jamais. […] Tel est, par exemple, à mon avis, ce passage de la vie d’Agricola, où Tacite oppose la rougeur du visage de Domitien à la pâleur des malheureux qu’il faisait exécuter en sa présence, et où il remarque que cette rougeur étant naturelle, préservait le visage du tyran de l’impression de la honte ; circonstance petite et frivole, qui ne me paraît digne ni du génie de l’historien, ni du tableau odieux et touchant que présente le spectacle de tant d’innocentes victimes, et du tyran qui les voit expirer.

1989. (1899) Psychologie des titres (article de la Revue des Revues) pp. 595-606

Si l’on écrit la vie de Charlemagne ou de Napoléon, ce sont ces mots qu’on écrira en tête du livre. […] Gustave Geffroy en donnant, il y a deux ans, une fort bonne biographie de Blanqui, crut devoir l’intituler l’Enfermé, pour indiquer que son héros avait passé toute sa vie, ou presque, en prison, mais sans réfléchir que ce surnom pourrait aussi bien s’appliquer à d’autres personnages célèbres : Silvio Pellico, si l’on veut. […] Et de même chez les chrétiens on proclama, d’une façon aussi absolue, que les paroles et la vie de Jésus-Christ constituaient les Écritures. […] La boutique de l’apothicaire spirituel. — Encensoirs fumans de pensées mystiques. — Le brise-tête du dragon infernal. — Le faisceau de myrrhe (Angers, 1525). — La chaîne d’or des vrais croyans. — Les sept trompettes pour éveiller les pêcheurs. — La pieuse alouette avec son tire-lire, par le père Antoine la Chaussée (Valenciennes, 1638). — Le roman en rimes des trois pèlerinages ; le premier de l’homme durant qu’est en vie ; le second de l’âme séparée du corps, le tiers de N.  […] Il n’en fut pas de même pour un grand livre que projeta toute sa vie Balzac et où il devait exprimer ses idées politiques, ses préférences pour un « gouvernement fort et hiérarchique », disait-il dans une lettre à Montalembert, sous ce titre bizarre : Histoire de la succession du Marquis de Carrabas.

1990. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XIX. Mme Louise Colet »

Car elle fut toute sa vie l’une et l’autre, et c’est même là son originalité. […] Cette poésie qui roule dans son flot, sans pureté, des paillettes prises à tous les Pactoles, quand ce n’est pas à tous les oripeaux, a cependant une manière de rouler ces bavures et toutes ses impudentes réminiscences, qui ne pouvait pas manquer de faire illusion aux culs-de-jatte de l’Académie, à qui le moindre mouvement défendu, le moindre signe de vie élémentaire, apparaissent comme des phénomènes ! […] Et à commencer par son roman intitulé Lui, ce scandale, imité d’un autre scandale, dont les personnages, aux noms seulement défigurés pour qu’on les reconnaisse tous, ne vivent plus maintenant, à l’exception d’un seul… Ce qui prouve la radicale nullité des femmes, en fait d’invention, c’est qu’elles n’ont dans la tête qu’un roman et c’est le leur, celui de leur vie : Mme Golet n’a pas fait exception à cette loi. Mme George Sand dont, toute sa vie, Mme Colet fut l’envieuse, avait publié le livre d’Elle et Lui dans lequel cette bâtarde de Rousseau se confessionnait et déshonorait le grand poëte qui s’était mésallié, en l’aimant. […] Mme Colet, sur la fin de sa vie, s’accrocha à l’histoire ; et comme on suspend une robe à un clou, suspendit sa médiocrité à des événements contemporains, qui allaient la mettre en vue, puisqu’ils étaient contemporains.

1991. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VI : M. Cousin philosophe »

« Le Dieu de la conscience n’est pas un Dieu abstrait, un roi solitaire, relégué par-delà la création sur le trône désert d’une éternité silencieuse et d’une existence absolue qui ressemble au néant même de l’existence ; c’est un Dieu à la fois vrai et réel, un et plusieurs, éternité et temps, espace et nombre, essence et vie, indivisibilité et totalité, principe, fin et milieu, au sommet de l’Être et à son plus humble degré, infini et fini tout ensemble, triple enfin, c’est-à-dire à la fois Dieu, nature et humanité. » Cours de 1828, p. 123. « L’unité en soi, comme cause absolue, contient la puissance de la variété et de la différence. […] Mais aussitôt qu’elle l’a produite, c’est une unité riche de ses propres fruits, dans laquelle se rencontrent la multiplicité, la variété, la vie », etc., etc. […] Il aime la science pure, et ne s’occupe pas de la vie pratique ; il ne songe pas à réformer le genre humain. […] Il est logicien ou métaphysicien, à toutes les minutes et jusqu’au bout de sa vie, et il n’est pas autre chose. […] Défendez-vous de la maladie de votre siècle, ce goût fatal de la vie commode, incompatible avec toute ambition généreuse.

1992. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVIII et dernier. Du genre actuel des éloges parmi nous ; si l’éloquence leur convient, et quel genre d’éloquence. »

Des hommes estimables pensent que les meilleurs modèles de ces sortes d’ouvrages sont ou les vies des hommes illustres de Plutarque, ou les éloges des savants de Fontenelle ; c’est-à-dire, qu’ils voudraient un simple éloge historique, mêlé de réflexions, sans qu’on se permît jamais ni le ton, ni les mouvements de l’éloquence. […] Sera-ce alors que l’on descendra dans soi-même, que l’on interrogera sa vie, que l’on se demandera ce que l’on a fait de grand ou d’utile, que l’on prendra la résolution de se consacrer enfin à des travaux pour l’État ou pour soi-même, que le fantôme de la postérité qui n’existait point pour l’âme indifférente, se réalisera enfin à ses yeux, et qu’elle consentira à mépriser la fortune, à irriter l’envie ? […] On ne joue pas plus la sensibilité dans les ouvrages que dans le commerce de la vie. […] qu’elle ait un asile dans vos ouvrages ; que chacun de vous fasse le serment de ne jamais flatter, de ne jamais tromper ; avant de louer un homme, interrogez sa vie ; avant de louer la puissance, interrogez votre cœur ; si vous espérez, si vous craignez, vous serez vils. […] Juger de tout, apprécier la vie, peser la crainte et l’espérance, voir et l’intérêt des hommes, et l’intérêt des sociétés, s’instruire par les siècles et instruire le sien, distribuer sur la terre et la gloire et la honte, et faire ce partage comme Dieu et la conscience le feraient, voilà sa fonction.

1993. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XIV. »

» Les deux passions de la vie romaine, le labourage et la guerre, s’exprimaient dans cette rude antienne ; et, soit qu’elle nous arrive dans un texte déjà rajeuni, soit que plusieurs mots de ce texte demeurent inexpliqués pour nous, soit toute autre hypothèse, l’accent général cependant n’est pas douteux ; et cette voix nous rappelle bien la dureté laborieuse et le courage de l’ancienne Rome. […] On vit à côté de la vie. » On croirait entendre une réprimande du vieux Caton à des oisifs, un de ces axiomes martelés pesamment pour être mieux retenus. […] je t’ai vu, dans l’abondance de tes richesses d’Orient, sous des lambris d’or et d’ivoire, royalement paré ; et tout cela, je l’ai vu ravagé par la flamme, la vie arrachée à Priam, l’autel de Jupiter souillé du sang de Priam et les restes du roi à demi consumés, ses ossements à nu déchirés en lambeaux sur la fange sanglante. […] Nous en avons surtout pour témoin un amateur passionné de ces vieux poëtes, Cicéron, qui leur devait bien quelque chose, si nous l’en croyons lui-même, et pour quelques-uns des plus flatteurs souvenirs de sa noble vie. […] disait-il, celui qui d’une âme si ferme étayait la république et l’affermissait, le rempart des Grecs, celui qui, dans les chances douteuses, n’hésita jamais d’offrir sa vie, n’épargna jamais ses jours, ce grand ami dans une si grande crise, cet homme doué d’un si grand génie, ô ingrats Argiens !

1994. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — N. — article » pp. 403-404

Celle du Maréchal de Belle-Isle, quoique le fruit d’un âge avancé, est marquée au coin de ses autres Productions, c’est-à-dire qu’on y retrouve cet esprit vaste qui saisit tous les points de vue d’un sujet, qui les approfondit avec pénétration, qui les énonce avec autant de grace que de force ; cet esprit enchanteur, qui donne une vie à tout, & une vie qui annonce toujours le Génie créateur.

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