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588. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre III. De la tendresse filiale, paternelle et conjugale. »

Bientôt les événements dans leur réalité nous présentent nos enfants élevés par nous, pour d’autres que pour nous-mêmes, s’élançant vers la vie, tandis que le temps nous place en arrière d’elle, pensant à nous par le souvenir, aux autres par l’espérance ; quels parents sont alors assez sages, pour considérer les passions de la jeunesse comme les jeux de l’enfance, et pour ne pas vouloir occuper plus de place parmi les unes que parmi les autres ? […] Il est heureux, dans la route de la vie, d’avoir inventé des circonstances qui, sans le secours même du sentiment, confondent deux égoïsmes au lieu de les opposer ; il est heureux d’avoir commencé l’association d’assez bonne heure pour que les souvenirs de la jeunesse aidassent à supporter, l’un avec l’autre, la mort qui commence à la moitié de la vie ; mais indépendamment de ce qu’il est si aisé de concevoir sur la difficulté de se convenir, la multiplicité des rapports de tout genre qui dérivent des intérêts communs, offre mille occasions de se blesser, qui ne naissent pas du sentiment, mais finissent par l’altérer.

589. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Pronostics pour l’année 1887. »

Mais j’ai eu grand soin de ne donner pour infaillibles ni mes souvenirs ni mes jugements. […] Car, si je me trompe, on ne le saura que dans douze mois, et personne ne se souviendra alors de ce que j’aurai prédit.

590. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « L’exposition Bodinier »

Même quand l’artiste qui pourtraicturait les comédiens a prétendu peindre ou crayonner leur tête à eux, leur tête d’homme et de chrétien, il a eu beau faire, il s’est souvenu de tel ou tel de leurs masques publics, et c’est cela qu’il a reproduit, peut-être à son insu. […] La plaque même qui les réfléchit, ne les réfléchit pas tels qu’ils sont, mais se souvient de leurs rôles.

591. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 3, que l’impulsion du génie détermine à être peintre ou poëte, ceux qui l’ont apporté en naissant » pp. 25-34

Parmi les artisans illustres qui font tant d’honneur aux deux derniers siecles, le seul Raphaël, autant qu’il m’en souvient, fut le fils d’un peintre. […] Que le lecteur se souvienne enfin de ce qu’il a lû, comme de ce qu’il a entendu dire à des témoins oculaires, sur le sujet dont il s’agit ici.

592. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 30, objection tirée des bons ouvrages que le public a paru désapprouver, comme des mauvais qu’il a loüez, et réponse à cette objection » pp. 409-421

Aussi dès que le temps de la nouveauté s’est écoulé, dès que la conjoncture qui soutenoit la piece est passée, le public oublie pleinement ces farces, et les comédiens qui les ont joüées ne s’en souviennent plus, ce qui prouve, olim cùm stetit nova, … etc. . […] Quant à la Phedre de Pradon, on se souvient encore qu’une cabale composée de plusieurs autres, dans lesquelles entroient des personnes également considerables par leur esprit et par le rang qu’elles tenoient dans le monde, avoit conspiré pour élever la Phedre de Pradon et pour humilier celle de Racine.

593. (1929) Les livres du Temps. Deuxième série pp. 2-509

Je me souviens d’un remarquable feuilleton où M.  […] Octave Mirbeau se souvenait encore d’avoir été sous-préfet du Seize-Mai. […] Et les souvenirs antiques le hantent. […] Il évoque ses souvenirs paternels avec une simplicité déchirante. […] Chez nous, à part des lettrés, qui se souvient de nos trouvères contemporains de Saadi ; qui se souvient seulement de notre merveilleux Ronsard ?

594. (1834) Des destinées de la poésie pp. 4-75

  Je me souviens qu’à mon entrée dans le monde, il n’y avait qu’une voix sur l’irrémédiable décadence, sur la mort accomplie et déjà froide de cette mystérieuse faculté de l’esprit humain. […]   Cette scène jetée par hasard sous mes yeux, et recueillie dans un de mes mille souvenirs de voyages, me présenta les destinées et les phases presque complètes de toute poésie : les trois esclaves noires berçant les enfants avec les chansons naïves et sans pensée de leur pays, la poésie pastorale et instinctive de l’enfance des nations ; la jeune veuve turque, pleurant son mari en chantant ses sanglots à la terre, la poésie élégiaque et passionnée, la poésie du cœur. […] et peut-être aussi de nos souvenirs et de nos sentiments individuels, Dieu seul le sait, et nos langues n’essayaient pas de le dire ; elles auraient craint de profaner la solennité de cette heure, de cet astre, de ces pensées mêmes ; nous nous taisions. […] La poésie de nos jours a déjà tenté cette forme, et des talents d’un ordre élevé se sont abaissés pour tendre la main au peuple ; la poésie s’est faite chanson, pour courir sur l’aile du refrain dans les camps ou dans les chaumières ; elle y a porté quelques nobles souvenirs, quelques généreuses inspirations, quelques sentiments de morale sociale ; mais cependant il faut le déplorer, elle n’a guère popularisé que des passions, des haines ou des envies. […] Un souvenir à toutes les vies dont j’ai vécu et que j’ai perdues !

595. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Hugo, Victor (1802-1885) »

Alexandre Soumet … On est saisi d’une émotion qui va jusqu’aux larmes, lorsqu’on vient à se souvenir que de pareils vers sont l’ouvrage d’un jeune homme de 22 ans. […] Hugo ne s’en souvient plus. […] Puvis de Chavannes Qui de nous, au souvenir lointain de quelque génie, n’a envié le sort de ceux qui l’avaient vu, approché, entendu ? […] [Souvenirs personnels (1883).] […] [Souvenirs et notes biographiques (1888).]

596. (1913) Les idées et les hommes. Première série pp. -368

Je me souviens d’un petit pays, au nord du Cotentin, où le sol est si caillouteux qu’on ne le cultive pas. […] Autour de la colline, là-bas, le souvenir des hérésiarques dure encore ; mais il diminue. […] Ils racontent des souvenirs de l’ancien temps. […] Je m’en souviens ; les cloches de la cathédrale voisine sonnaient pour la fête de la Sainte-Vierge. […] Je me souviens de cette matinée où commença de se défaire le château de mes certitudes.

597. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Première série

Pour les souvenirs il n’est pas de Léthé. […] Et je me souviens d’un passage de Manette Salomon où la poésie de la Bièvre est ingénieusement analysée. […] On ne sait si son œuvre nous intéresse plus par elle-même ou par les souvenirs qu’elle suscite ; mais le charme est réel. […] Le champ de nos souvenirs et de nos impressions serait infiniment plus pauvre. […] Je me souviens d’un vieil article de M. 

598. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome IV pp. 5-

Que ne s’est-il souvenu des beaux vers de Malherbe, dont la noble lyre s’accorda si bien aux sentiments de nos pères sur Jeanne d’Arc ? […] De telles énumérations acquièrent un avantage de plus lorsque les titres des peuples et des races illustres s’y rapportent, ainsi que chez Homère et Virgile, à des souvenirs nationaux. […] Ces dénombrements ne perpétuent pas même le souvenir des individus, et tiennent la place que réclame l’action et que doit occuper la vue intéressante des héros et des mœurs. […] « Reprenez vos esprits, et souvenez-vous bien « Qu’un dîner rechauffé ne valut jamais rien. […] M. de Souza conserve ce touchant souvenir avec celui des hommes puissants qui furent ingrats ou cruels envers l’illustre poète.

599. (1895) Les mercredis d’un critique, 1894 pp. 3-382

Gustave Geffroy, la Vie artistique, que me sont revenus les souvenirs de ces luttes de l’École nouvelle. […] Il recueille des aveux lamentables, des confidences qui remuent le flot noir, rouge et boueux des souvenirs, amènent aux joues des larmes de honte. […] Elle disait que son mari se portait bien, que l’élevage des moutons prospérait ; invariablement aussi, elle finissait par un souvenir gracieux à mon adresse. […] « Je me souviens du temps où l’Italie, comme le Phénix, renaissait à une nouvelle existence. […] R. le prince de Joinville. — Vieux Souvenirs Vieux Souvenirs, tel est le titre sous lequel S. 

600. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome I

Je me souviens. […] Je me souviens d’avoir entendu ce dernier, à la table de M.  […] Je me souviens. […] Un peu du souvenir de M.  […] où leur souvenir ?

601. (1894) Écrivains d’aujourd’hui

Aux souvenirs de la guerre il doit ses récits de l’invasion. […] Il se répand en confidences, en souvenirs personnels, en songeries. […] En voici un dont je me souviens. […] Le Père termine par un souvenir personnel. […] C’est que sur eux pèse un souvenir trop glorieux.

602. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Appendice aux articles sur Roederer. (Voir page 393.) » pp. 533-543

. — Te souviens-tu de la bonne vie que nous avons menée à Salamanque ? […] Ils voulaient se souvenir que je les avais brûlés il y a six mois ; ils se rassemblaient autour de la maison et se regardaient quand je suis parti. […] (Voir sur le général Lasalle le tome II de la Biographie de la Moselle, par Bégin, 1830. — Rapprocher de cette conversation, mais seulement pour le ton et le cachet de vérité, certain dialogue entre le général Delorges et Stanislas Girardin, à Lerma, en 1808 ; Journal et souvenirs de Stanislas Girardin, t. 

603. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Parny poète élégiaque. » pp. 285-300

Le Souvenir serait une vraie élégie si la fin répondait au commencement ; mais l’expression abstraite gâte l’effet : il y manque l’image. […]     Mourez, importuns souvenirs, etc. […] à un certain moment, si vous la lisez avec attention, un étrange sentiment se laisse apercevoir : Elle me confondait avec sa propre vie, Voyait tout dans mon âme ; et je faisais partie De ce monde enchanté qui flottait sous ses yeux… Avant moi cette vie était sans souvenir… Et la comparaison développée du beau cygne qui trouble une onde pure dans un bassin, ne voyez-vous pas comme il la caresse ?

604. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Quatre moments religieux au XIXe siècle. »

Lacordaire, et, mieux que le bruit, le talent qui s’est déployé en son honneur, ont réveillé mes propres souvenirs. […] À peine eus-je ouvert le livre et laissé mon cœur à sa merci, que les larmes me vinrent aux yeux avec une abondance qui ne m’était pas ordinaire, et, rappelant mes souvenirs sous le charme de cette émotion, je compris que je n’étais plus le même homme et que, loin d’avoir perdu de ma tendresse littéraire, elle avait gagné en profondeur et en vivacité. […] Il se frappait la poitrine au souvenir de l’ancien Jérôme, et ce qui s’en entendait encore n’était plus que le cri du lion, affaibli par l’immensité du désert.

605. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre III »

« Des Esseintes rêvassait… lancé à toutes brides sur une piste de souvenirs effacés. […] Catulle Mendès fut plus indulgent ; il a conservé de ses expériences d’antan d’ingénieux souvenirs, comme celui qu’il a bien voulu lui-même nous détailler et qui indique très nettement le désir d’analyse poursuivant l’artiste : alors que, de concert avec Villiers de l’Isle-Adam, il s’essayait aux « Paradis artificiels », une vision obsédante, identique à elle-même, le hantait tous les soirs : dans une forêt dense et pourtant lumineuse, des arbres sans feuillage dressaient d’un seul jet leurs troncs cylindriques luisant comme de l’or, le long desquels montaient et descendaient, alternativement, de grands singes couleur d’émeraude. […] Pour l’opium, Baudelaire avait un guide plutôt que de personnels souvenirs : Thomas de Quincey, helléniste distingué, écrivain supérieur, homme d’une respectabilité complète56, qui osa jeter à la face pudibonde de l’Angleterre l’aveu de sa passion pour la « Noire idole », « décrire cette passion, en représenter les phases, les intermittences, les rechutes, les combats, les enthousiasmes, les abattements, les extases et les fantasmagories suivies d’inexprimables angoisses. » 57 ⁂ De telles expériences ne valent que par les résultats artistiques qui peuvent en découler.

606. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série «  Les femmes de France : poètes et prosateurs  »

Mais peut-être qu’en parcourant leur prose ou leurs vers nous nous souvenons un peu trop, malgré nous, que ce sont des femmes ; et nous inclinons par là à les trouver exquises. Il est vrai que le souvenir de leur sexe peut également se retourner contre elles… En somme, soit que l’idée d’un autre charme que celui de leur style agisse sur nous, soit qu’au contraire l’effort de leur art et de leur pensée nous semble attenter aux privilèges virils, il est à craindre que nous ne les jugions avec un peu de faveur ou de prévention, qu’elles ne nous plaisent à trop peu de frais dans les genres pour lesquels elles nous semblent nées (lettres, mémoires, ouvrages d’éducation), et qu’elles n’aient, en revanche, trop de peine à nous agréer dans les genres que nous considérons comme notre domaine propre (poésie, histoire, critique, philosophie). […] Je les croyais faites, étant femmes, pour plaire et pour être aimées, et, cette destination étant la plus belle de toutes, je voulais qu’elles s’en souvinssent, même en écrivant.

607. (1842) Essai sur Adolphe

Les applications et les souvenirs abondent. […] Comme elles aperçoivent en dedans un monde supérieur plus grand, plus beau, plus varié ; comme elles ont peuplé leur conscience des souvenirs d’une vie imaginaire ; comme elles comparent incessamment le spectacle de leurs journées au spectacle de leurs rêveries, le dédain et l’impertinence ne sont chez elles qu’une forme particulière de la douleur. […] car ils ont au moins, pour se consoler pendant le reste de la route, le souvenir du bonheur passé ; ils peuvent se rappeler dans une amitié durable un amour évanoui ; ils assistent muets aux funérailles de leur enthousiasme, et en parlent sans amertume comme d’un fils emporté par la guerre.

608. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XV. Commencement de la légende de Jésus  Idée qu’il a lui-même de son rôle surnaturel. »

Le souvenir de David, qui préoccupait la masse des Juifs, n’avait rien de commun avec son règne céleste. […] D’autres fois, on lui créait dès le berceau des relations avec les hommes célèbres, Jean-Baptiste, Hérode le Grand, des astrologues chaldéens qui, dit-on, firent vers ce temps-là un voyage à Jérusalem 688, deux vieillards, Siméon et Anne, qui avaient laissé des souvenirs de haute sainteté 689. […] Les recensements frappaient beaucoup les Juifs, bouleversaient leurs idées étroites, et l’on s’en souvenait longtemps.

609. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Les Confidences, par M. de Lamartine. (1 vol. in-8º.) » pp. 20-34

Je prendrai donc le livre en lui-même ; je l’isolerai tant que je pourrai de la politique ; en oubliant le Lamartine de ces dernières années, je tâcherai de ne me souvenir que de celui d’avant les Girondins. […] S’il veut nous faire regretter Milly, c’est pour les images de tendresse qui ont peuplé, vivifié, enchanté cet enclos ; il s’enveloppe de ce sol, de ces arbres, de ces plantes nées avec lui ; il revient visiter ses souvenirs, ses apparitions, ses regrets. […] L’auteur s’y souvient, mais à peu près ; les portraits de ses amis, il les force et les exagère.

610. (1890) Le massacre des amazones pp. 2-265

si blanches : en rayons d’étoiles, disais-tu ; en verre filé, je m’en souviens. […] Mais les rêves heureux de Max Lyan, comme les pensées poétiques de Mme Daudet, s’appuient sur des souvenirs. […] Mon sourire était triste quand elle me contait ses tournées, sans esprit, remplaçant la verve par des souvenirs livresques et de banales citations. […] » s’est-il souvenu de son vieux métier de secrétaire et a-t-il raboté pour la patronne quelques-unes de ces platitudes. […] Noël Bazan, comme beaucoup de poètes insincères, abonde en souvenirs livresques.

611. (1858) Cours familier de littérature. V « XXXe entretien. La musique de Mozart (2e partie) » pp. 361-440

L’ouverture faisait scintiller comme un prélude ses premières notes : une ouverture, c’est plus qu’une préface en musique, c’est une exposition ; c’est plus qu’une exposition, c’est un résumé ; c’est plus qu’un résumé, c’est comme un écho anticipé de toutes les mélodies éparses dans le poème, et qui en jette çà et là d’avance dans l’oreille les souvenirs ou les pressentiments. En écoutant une de ces ouvertures bien écrites par Mozart, par Rossini, par Meyerbeer ou par leurs émules, on dirait qu’un sylphe de l’air a entendu avant vous l’opéra que vous allez entendre, ou qu’il en a retenu seulement quelques motifs, et qu’il s’amuse comme un enfant en rêve à en balbutier en se jouant des notes éparses aussitôt interrompues par un autre souvenir qui brise son balbutiement sur ses lèvres pour lui en suggérer un autre. […] Je sortis ivre de cette soirée, et je suis resté ivre de souvenir. […] « En vérité, je ne me souviens pas d’avoir vu, ni avant ni après dans toute ma vie, une scène de gaieté et de félicité comparable à cette matinée de Cénéda. […] Nous montâmes les degrés, ma jeune femme et moi ; comme elle portait un voile qui lui couvrait entièrement la figure, mon frère, qui se souvenait du voile noir de Trieste que j’avais soulevé par badinage la première fois que je la vis, fit le même geste que moi ; il avait aimé tout enfant, à Trieste, celle qui était devenue ma femme, d’une tendresse passionnée.

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