Verhaeren chante les petits métiers de Flandre en leur attribuant un sens général, éternel. […] Ils ont, tous les deux, le souffle, la force, le goût de l’énorme, le sens de l’épique. […] Intérieur me paraît, en ce sens, un pur chef-d’œuvre. […] La Vie des Abeilles prend, à cet égard, un sens symbolique lumineux. […] En bon Flamand, Maeterlinck est peintre : des ouvrages tels que La Vie des Abeilles, Le Double Jardin, L’Intelligence des Fleurs, témoignent d’un sens plastique égal au sens mystique ; mais plus que peintre, il est poète.
Il y aurait dans ce sens des lois d’évolution extrêmement utiles à connaître. […] Leur sens descriptif matériel, qui est leur marque propre, est déjà dans Flaubert. […] Or notre littérature s’est développée dans un sens précisément contraire à ses prévisions. […] Il tâche de s’assimiler ce qui est à la portée de ses sens et de son horizon. […] Aicard ne perd jamais pied ; le sens de la vie le domine.
Il faut bien que vous descendiez de vos nuages, et que vous m’accordiez que les mots ont un sens exact qui répond en nous au sens exact des choses. […] Non, sans doute, et dans ce sens Goethe nous a légué un précieux héritage. […] Je sens en moi une puissance qui ne peut tomber sous l’empire de la mort. […] il m’a arraché la dernière de mes larmes… Je sens que ma raison s’égare… Félix, console-nous un peu… ! […] Il nous donnait un thème ; il fallait, séance tenante, brocher un article qui eût du sens et de la couleur.
Par tous nos sens, par toute notre vie de relation, nous recevons des impressions, des images, nous éprouvons des attraits, des répulsions. […] Or l’homme ne crée rien, en prenant le mot de création dans un sens absolu. […] C’est en ce sens que Scott et Cooper font partie de l’art de notre époque ; ils tiennent au mouvement général de l’Humanité comme leurs pays tiennent à l’ensemble de la grande famille Américo-Européenne. […] C’est en ce sens que Lamartine est un grand poète religieux, quoique dévoré de doute et d’incrédulité. […] Et quant au procédé artistique, il est le même pour tous deux, en ce sens que le symbole et le rythme étant les formes essentielles et uniques de l’art, ces deux grands poètes ne diffèrent que dans l’emploi qu’ils en font.
Ce n’est pas par des tirades prétentieuses, lourdes, mal écrites, disant peu de chose au sens moral, que Jésus a fondé son œuvre divine. […] On est parfois tenté de croire que des notes précieuses, venant de l’apôtre, ont été employées par ses disciples dans un sens fort différent de l’esprit évangélique primitif. […] Tout au contraire, j’ose défier qui que ce soit de composer une vie de Jésus qui ait un sens en tenant compte des discours que Jean prête à Jésus. […] Il interprète les documents selon son sens particulier ; il n’a pas l’impassibilité absolue de Matthieu et de Marc. […] En ce sens, de telles histoires populaires vaudraient mieux qu’une histoire solennelle et officielle.
Il se montre en effet partout philosophe dans ses divers traités plus ou moins historiques, en ce sens qu’il fait constamment tourner son récit à l’enseignement moral. […] Polybe montre un tout autre sens historique, quand il cherche l’explication de la supériorité politique et militaire de Rome dans la comparaison de ses institutions avec celles des autres grands peuples de l’antiquité. […] La doctrine de la nécessité a pour effet d’énerver le sens moral et l’initiative personnelle aussi bien dans la vie publique que dans la vie privée. […] Il n’en est pas moins vrai qu’ici encore le divorce apparaît entre la conscience et la science, et que celle-ci, en histoire comme en physiologie, prétend opposer ses révélations positives à ce qu’elle appelle les illusions du sens intime. […] Tout peuple a commencé par être une société naturelle, dans le sens matériel du mot, pour devenir une société politique, dont les membres fussent de plus en plus de vrais citoyens, ayant des idées et des volontés au lieu d’instincts et de passions.
Étudions l’antiquité comme tous les âges antérieurs au nôtre, pénétrons-nous de son esprit pour la comprendre et l’admirer dans le vrai sens ; mais tâchons dans nos œuvres d’exprimer, ne serait-ce que par un coin, l’esprit de notre siècle, de dire à notre heure ce qui n’a pas été dit encore, ou de redire, s’il le faut, les mêmes choses d’une manière et d’un accent qui ne soit qu’à nous. […] Pour la diction poétique, j’aurais plus d’une remarque à faire en ce sens. […] Dans presque tous ces exemples ce sont moins des rimes que des redoublements, des duplicata de sens et de sons. […] Tant que Pensée et Amour sont nos compagnons de route, quoi que puissent nos sens nous offrir ou nous refuser, le ciel intérieur de l’âme répandra les rosées de l’inspiration sur le plus humble chant.
Aucun programme tracé à l’avance n’indiquait le sens dans lequel ces différents sujets devaient être traités. […] Ces questions complexes étaient peut-être contenues dans votre programme : elles resteront longtemps encore proposées ; nous aimons à espérer qu’elles se résoudront peu à peu, et dans un sens qui ne sera pas défavorable, en définitive, à l’honneur des lettres, ni à l’émancipation de l’esprit. […] D’autres enfin n’ont pas eu du tout d’anathème : il ont osé soutenir en moralistes hardis, mais surtout en poètes, qu’il faut dans ce monde nouveau, où la nature domptée par la science devient la première collaboratrice de l’homme, marcher résolûment à la fortune pour en faire un large et magnifique usage, conquérir l’or pour le répandre ensuite d’une main souveraine, pour fertiliser en tous sens et renouveler la face de la terre. […] En un mot, il y a un jugement auquel il est aisé de s’abandonner comme si l’on était chez soi, et par lequel on abonde dans son propre sens.
qu’il se sentait le cœur plus léger alors, j’en réponds, qu’au milieu de ces sourdes intrigues, de ces tiraillements en sens divers, dont son honorable indécision ne triomphait pas. […] Saint-Cyr, qui commandait la droite de l’armée, nous a laissé, dans ses intéressants mémoires où il fait preuve d’un sens critique si distingué mais si sévère, le tableau circonstancié et fidèle de tout ce qui se passa la veille de cette intempestive journée de Novi. […] Cependant, tout en insistant auprès du général en chef en ce sens de la temporisation, les généraux divisionnaires l’assurèrent de leur zélé concours, quel que fût le parti auquel il s’arrêterait ; seulement il y avait hâte et urgence à en prendre unr, — ou celui de la retraite, très possible et le plus opportun —, ou celui d’une bataille à livrer ; mais, dans ce cas, serait-elle défensive ou offensive ? […] Mais en un sens, et si l’on ne cherche que ce qui le distingue des autres, il est mort à temps, au moment où ce simulacre de république dont il était l’une des plus nobles colonnes, allait s’écrouler sous un choc puissant ; il est mort jeune avec ce qui devait mourir alors pour n’avoir pas à se démentir ou à se transformer.
M. de Laprade, avec ses dons de poète noble et qui ne veut rien proférer que de digne de Phébus, n’est jamais parvenu à passionner sa poésie, à l’humaniser suffisamment ; il y a mêlé, je le sais, dans des dédicaces et des épilogues, de purs et touchants sentiments de famille ; mais chez lui le cœur ne fait pas foyer, les sens sont froids, le crime d’amour est trop absent. […] il est poète, quoiqu’il n’ait pas la sainte fureur, ni cet aiguillon de désir et d’ennui, qui a été notre fureur à nous, le besoin inassouvi de sentir ; bienqu’il n’ait pas eu la rage de courir tout d’abord à toutesles fleurs et de mordre à tous les fruits ; — il l’est, bien qu’il ne fouille pas avec acharnement dans son propre cœur pour y aiguiser la vie, et qu’il ne s’ouvre pas les flancs (comme on l’a dit du pélican), pour y nourrir de son sang ses petits, les enfants de ses rêves ; — il l’est, bien qu’il n’ait jamais été emporté à corps perdu sur le cheval de Mazeppa, et qu’il n’ait jamais crié, au moment où le coursier sans frein changeait de route : « J’irai peut-être trop loin dans ce sens-là comme dans l’autre, mais n’importe, j’irai toujours. » — Il l’est, poète, bien qu’il n’ait jamais su passer comme vous, en un instant, ô Chantre aimable de Rolla et de Namouna, de la passion délirante à l’ironie moqueuse et légère ; il est, dis-je, poète à sa manière, parce qu’il est élevé, recueilli, ami de la solitude et de la nature, parce qu’il écoute l’écho des bois, la voix des monts agitateurs de feuilles, et qu’il l’interprète avec dignité, avec largeur et harmonie, bien qu’à la façon des oracles. […] « L’homme de goût par excellence est celui qui n’a jamais rien admiré. » C’est ce qu’il ose dire, il en veut au goût de ce que son nom est emprunté au moins noble de tous les sens ; il estime qu’il est ignoble pour l’homme de manger, et, en mangeant, de savoir goûter. […] Je parle selon mon sens grossier.
Notez que, plus tard, Madeleine pénitente se mortifiera méthodiquement dans chacun des cinq sens par lesquels elle aura présentement goûté la satisfaction raffinée et le plaisir. Après les cinq sens (car tout cela est méthodique et pédantesque, même dans l’élégance), viennent les sept péchés mortels qu’elle avoue et proclame successivement, orgueil, envie, paresse, etc. ; mais il y a toujours une réserve sur certain chapitre ; elle ne professe certain vice que jusqu’à un certain point, et il faut, dit-elle, ne prendre mes discours qu’en bonne part ; « car mon souhait n’est que civil. » L’honneur, comme elle l’entend (et plus d’une femme l’entend comme elle), reste sauf. La Madeleine du Mystère ne recherche l’entière perdition que dans l’ordre de l’esprit ou des sens délicats. […] En ce sens, notre vieux Mystère a quelque chance de ne pas être tout à fait oublié : en faisant bon marché de l’œuvre comme art, comme élévation, comme composition, on pourra toujours le consulter pour ces quelques scènes, quand on voudra donner une idée fidèle et piquante de la vie de salon, des habitudes et du ton de la société galante et déjà polie au xve siècle.
Bignon, en étant envoyé au poste de Varsovie, devenait, comme on le lui dit en partant, « la sentinelle avancée de l’Empire. » Sa mission essentielle était toute en ce sens d’observation, et c’est ainsi qu’il la comprit et qu’il la remplit : « J’étais arrivé, dit-il, avec des instructions écrites qui portaient principalement sur des questions d’ordre civil, comme la liquidation des créances respectives du duché et de la France, et une désignation de domaines pour en composer la valeur que l’Empereur s’était réservée lors des cessions autrichiennes. […] Vous ne retrouverez dans ces Mémoires que les principaux événements de notre vie commune : vous y verrez des erreurs que vous m’avez pardonnées, des mécomptes que vous avez prévus, et si votre nom ne s’y rencontre que rarement, vous savez qu’en écrivant les lignes qui suivent, votre pensée n’a pu me quitter un seul instant. » J’avoue que dans les Mémoires qui nous sont donnés, je ne vois pas trace d’erreurs dans le sens où on le pourrait supposer, dans le sens malin et français ; je n’y vois que des mécomptes. […] Sur ces entrefaites, une révolution de Cabinet ayant eu lieu à Dresde dans le sens français, et le ministre des Affaires étrangères, premier patron et protecteur de M. de Senfft, le comte de Loss, ayant été forcé de donner sa démission, son premier mouvement, à lui, fut de donner aussi la sienne et de se retirer d’un poste où il aurait, dorénavant, à servir un système opposé à celui qu’il avait, jusque-là, professé par conviction.
Quatremère de Quincy, a fait comprendre à merveille que les statues, les objets d’art de la Grèce, rangés et classés dans nos musées, n’avaient ni tout leur prix ni leur vrai sens ; que, voués avant tout à une destination publique et le plus souvent sacrée, c’était dans cet encadrement primitif qu’il fallait les replacer en idée et les concevoir. […] ce sont les voltairiens aujourd’hui (s’il en était encore dans ce sens-là) qui se rangeraient du côté de Geoffroy et que nous aurions peine à en distinguer. Titus donc exprime en lui le caractère tragique, en ce sens qu’il soutient une lutte généreuse, qu’il sort du penchant tout naturel et vulgaire ; qu’il a le haut sentiment de la dignité souveraine et de ce qu’on doit à ce rang de maître des humains. […] La lutte du cœur plutôt que celle des faits, tel est en général le champ de la tragédie française en son beau moment, et voilà pourquoi elle fait surtout l’éloge, à mon sens, du goût de la société qui savait s’y plaire.
Cet homme de Schopenhauer, « qui n’aurait été conduit ni par son expérience personnelle, ni par des réflexions suffisamment profondes, jusqu’à reconnaître que la perpétuité des souffrances est l’essence même de la vie ; qui au contraire se plairait à vivre, qui dans la vie trouverait tout à souhait ; qui de sens rassis consentirait à voir durer sa vie telle qu’il l’a vue se dérouler, sans terme, on à la voir se répéter toujours ; un homme chez qui le goût de la vie serait assez fort pour lui faire trouver le marché bon, d’en payer les jouissances au prix de tant de fatigues et de peines dont elle est inséparable », cet homme-là ne se répandrait guère en chants lyriques ; et cet homme-là, c’est nous. […] Tandis que la poésie antique ne connaissait que la passion physique, et, pour rendre raison de la force de l’amour, regardait le désir allumé par Vénus dans la nature entière à la saison nouvelle, la poésie moderne, par une orientation toute contraire, assimilera l’amour humain à l’amour divin et en fondera la puissance sur l’infinie disproportion du mérite au désir Même quand le terme réel de l’amour appartiendra à l’ordre le plus matériel et terrestre, la pensée et la parole s’en détourneront, et c’est à peine si, comme indice de ses antiques et traditionnelles attaches au monde de la sensation physique, il gardera ces descriptions du printemps, saison du réveil de la vie universelle ; encore ces descriptions seront-elles de moins en moins sincères et vivantes, et ne subsisteront-elles chez la plupart des poètes que comme une forme vide de sens, un organe inutile et atrophié. […] Tontes leurs dames sont pareilles : ou plutôt c’est la même dame qu’ils célèbrent, « la bien faite au vis clair », la définition de la dame parfaite en beauté, sens et vertu. […] Leurs chansons, saluts d’amour, tensons et jeux-partis 72 qui sont les genres qu’ils empruntent aux Provençaux, sont des formes compliquées qu’il faut analyser pour les admirer : leurs rythmes subtils, toujours différents, laborieusement renouvelés dans chaque pièce73, sont parfois expressifs, mais le pins souvent ils sollicitent la réflexion à les décomposer ; plus intelligibles que sensibles, ils appellent le jugement de l’homme de métier, échappant au sens populaire ou le déconcertant.
En ce sens il demeure un modèle proposable même par les pédagogues, en ce sens qu’il ne mentit jamais à lui-même ni à son vouloir. […] Car les sons frappent, divertissent, etc., nos sens, puis suggèrent des phénomènes spirituels. Les mots frappent, divertissent, etc., nos sens, puis imposent des phénomènes spirituels, cela de toute la force de la langue et de lâ lexicographie.
« Que la société par exemple s’oriente dans un sens individualiste et loue les procédés d’éducation qui peuvent avoir pour effet de faire violence à l’individu, de méconnaître sa spontanéité interne, apparaîtront comme intolérables et seront réprouvés. […] C’est pourquoi, le premier soin de toute individualité un peu originale, dès qu’elle reprend possession d’elle-même, est de faire table rase des pédagogies inculquées, de se remettre en présence de la vie, de recouvrer le sens de la réalité oblitéré par une vision conventionnelle des choses, en un mot, de refaire son âme. […] Ensuite le frein volontaire ne fonctionne pas nécessairement dans le sens et au profil de la sociabilité. […] Dans son action, elle est limitée en deux sens : d’une part, par le tempérament (physiologie, hérédité) de l’enfant ; d’autre part par les influences étrangères, extrascolaires et postscolaires qui combattent l’influence de l’école.
Il faut qu’éternellement nous chantions « le chant dont le nom est : Encore une fois, dont le sens est : Dans toute éternité ! […] Mais l’inévitable réaction se fait toujours dans deux sens. […] Linguiste malicieux, il s’est accordé souvent le plaisir de montrer « comment un mot en arrive à ne plus avoir que le sens qu’on a intérêt à lui donner ». […] Je voudrais essayer de le sauver en rendant consciente la différence de sens que les premiers à l’employer sentirent vaguement entre lui et le mot « style ».
Je sens combien j’ai à demander pardon pour ma témérité à plusieurs de nos jeunes lecteurs et surtout de nos lectrices3. […] Les défauts qui y circulent, et qui souvent y débordent, sont précisément les défauts de notre temps, c’est-à-dire ceux auxquels les lecteurs ordinaires sont le moins sensibles, tellement que quelques-uns vont peut-être jusqu’à y être sensibles dans un sens inverse et à y voir des beautés. […] Or, je ne saurais recevoir cette impression-là, quand l’auteur, dans la traduction qu’il nous donne du portrait du peintre, s’épuise à nous décrire ces yeux, « qui sont, dit-il, imbibés de lumière jusqu’au fond, mais un peu humides des rayons délayés dans la rosée ou dans les larmes. » Je sens là une intention voluptueuse qui ne ressort pour moi d’aucune figure peinte par Raphaël, pas même de la sienne. […] Dans cette admirable élégie du Lac, qui vaut mieux, à mon sens, que tout Raphaël, le poète ne prenait encore les objets que pour ce qu’ils étaient un peu indistinctement à ses yeux, pour les témoins confus, pour les confidents et les dépositaires de son bonheur : Ô lac, rochers muets, grottes, forêt obscure, Vous que le temps épargne ou qu’il peut rajeunir, Gardez de cette nuit, gardez, belle Nature, Au moins le souvenir !
Rien de plus poétique, au plus pur sens du terme que la vie de Gérard de Nerval. […] Les amplifications mêmes de Gautier sont toujours conduites avec un sens très sûr des proportions. […] Je préfère naturellement attribuer au mot de Moréas ce second sens. […] Boylesve a le sens du comique, mais ce sens est trop fin en lui pour qu’il en cherche l’exercice dans la caricature ou la satire. […] Il a un sens en même temps qu’une beauté.
dont les boutons viennent de s’entrouvrir. » « Je sens le feu de la fièvre s’étendre et agiter tout mon corps ; une sorte de prostration m’ôte l’usage de mes sens. […] Elles se sont élevées toutes seules, et ont poussé dans le sens de leur nature. […] C’est là son sens même, et ce sans quoi il n’existe pas. […] Les derniers mots du roi étaient à double sens. […] Ce n’est qu’à la lecture que l’on s’avise qu’Abner est un homme de sens moral assez obtus.
Il l’aveugle, il la précipite, il la confond par elle-même : elle s’enveloppe, elle s’embarrasse dans ses propres subtilités, et ses précautions lui sont un piège… C’est lui (Dieu) qui prépare ces effets dans les causes les plus éloignées, et qui frappe ces grands coups dont le contrecoup porte si loin… Mais que les hommes ne s’y trompent pas : Dieu redresse, quand il lui plaît, le sens égaré ; et celui qui insultait à l’aveuglement des autres, tombe lui-même dans des ténèbres plus épaisses, sans qu’il faille souvent autre chose pour lui renverser le sens, que de longues prospérités. » Que l’éloquence de l’antiquité est peu de chose auprès de cette éloquence chrétienne !
C’étaient de pauvres gens qui gagnaient leur vie à chanter par les villes les poèmes homériques, dont ils étaient auteurs, en ce sens qu’ils faisaient partie des peuples qui y avaient consigné leur histoire. — 3. […] Longin n’ose défendre de telles fables qu’en les expliquant par des allégories philosophiques ; c’est dire assez que, prises dans leur premier sens, elles ne peuvent assurer à Homère la gloire d’avoir fondé la civilisation grecque. — Toutes ces imperfections de la poésie homérique que l’on a tant critiquées répondent à autant de caractères des peuples grecs eux-mêmes. — 5.
Il aime les caricatures, il charge les traits des visages, il met en scène des grotesques473, il les promène en tous sens comme des marionnettes, il n’est jamais las de les reprendre et de les faire danser sous de nouveaux costumes ; au plus fort de sa philosophie, de sa propagande et de sa polémique, il installe en plein vent son théâtre de poche, ses fantoches, un bachelier, un moine, un inquisiteur, Maupertuis, Pompignan, Nonotte, Fréron, le roi David, et tant d’autres qui viennent devant nous pirouetter et gesticuler en habit de scaramouche et d’arlequin. — Quand le talent de la farce s’ajoute ainsi au besoin de la vérité, la plaisanterie devient toute-puissante ; car elle donne satisfaction à des instincts universels et profonds de la nature humaine, à la curiosité maligne, à l’esprit de dénigrement, à l’aversion pour la gêne, à ce fonds de mauvaise humeur que laissent en nous la convention, l’étiquette et l’obligation sociale de porter le lourd manteau de la décence et du respect ; il y a des moments dans la vie où le plus sage n’est pas fâché de le rejeter à demi et même tout à fait […] Il a dit tout sur la nature477, sur l’art, la morale et la vie478, en deux opuscules dont vingt lectures successives n’usent pas l’attrait et n’épuisent pas le sens : trouvez ailleurs, si vous pouvez, un pareil tour de force et un plus grand chef-d’œuvre ; « rien de plus fou et de plus profond479 ». […] Chaque fois qu’une veine de talent, si mince qu’elle soit, jaillit de terre, c’est pour propager, porter plus avant la doctrine nouvelle ; on trouverait à peine deux ou trois petits ruisseaux qui coulent en sens contraire, le journal de Fréron, une comédie de Palissot, une satire de Gilbert. […] Le titre est la Folle journée, et en effet c’est une soirée de folie, un après-souper comme il y en avait alors dans le beau monde, une mascarade de Français en habits d’Espagnols, avec un défilé de costumes, des décors changeants, des couplets, un ballet, un village qui danse et qui chante, une bigarrure de personnages, gentilshommes, domestiques, duègnes, juges, greffiers, avocats, maîtres de musique, jardiniers, pâtoureaux, bref un spectacle pour les oreilles, pour les yeux, pour tous les sens, le contraire de la comédie régnante, où trois personnages de carton, assis sur des fauteuils classiques, échangent des raisonnements didactiques dans un salon abstrait. […] Mais voici un bien autre attrait, le plus pénétrant de tous pour un monde qui raffole de Parny ; selon le comte d’Artois dont je n’ose citer le mot, c’est l’appel aux sens, l’éveil des sens qui fait toute la verdeur et toute la saveur de la pièce.
De là ces petites gens qui entourent Philippe le Del, Charles V et, tant qu’il a sens et vouloir, Charles VI : de là ces légistes, ces secrétaires, ces conseillers, ces « marmousets », petites gens aux noms vulgaires, qui travaillent de l’esprit, non du bras, et mettent au service de la royauté, du public, de l’Etat, la droiture du sens populaire ou les ressources de la culture scolastique. […] Eustache Deschamps, qui est pourtant un homme de sens, prend la peine d’écrire en 1392 un « Art de dictier et de faire ballades et chants royaux », qui résume la poétique du siècle. […] Tout ce qui est vie physique et sensation, apparences et mouvement des choses et des hommes, joie des yeux, caresse des sens, trouve en lui un peintre sans rival. […] On étudie les textes pour eux-mêmes, pour leur sens, pour leur beauté, non pour en tirer des autorités et des arguments. […] Biographie : Jean Charlier. de Gerson (près Rethel), né en 1363, mort en 1429, boursier, puis docteur, puis chancelier de Navarre, protégé du duc de Bourgogne, enseigne et prêche jusqu’en 1397, se retire à Bruges pendant trois ans, est nomme curé de Saint-Jean en Grève à son retour vers 1401, va représenter le roi, l’église de Sens et l’Université de Paris au concile de Constance (1414) ; il finit sa vie à Lyon au couvent des Célestins.