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996. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Deuxième partie. — L’école critique » pp. 187-250

Mais il n’est pas resté sceptique, comme le Chevalier. […] Mais Le Roi de Cocagne n’en resterait pas moins une platitude, Le Misanthrope une merveille, et William Schlegel un profane, pour n’a voir point dit à genoux291 que ce chef-d’œuvre n’est pas à proprement parler une comédie. […] Son sens moral est resté aussi fin, aussi délicat, aussi susceptible que son sens esthétique, et de même que le beau et le bon se confondent à ses yeux dans les œuvres qu’elle loue, l’amour de la beauté s’est allié dans son âme au respect de ce qui est bien. […] Par une subtilité pleine de candeur, qui était bien dans la nature de son génie, Corneille avait besoin de trouver dans les anciens des exemples et des règles pour faire autrement que les anciens, et il voulait leur rester soumis en leur désobéissant ; voici comment il justifie l’une de ses pièces d’être sans modèle dans l’antiquité : « L’amour de la nouveauté était l’humeur des Grecs dès le temps d’Eschyle, et, si je ne me trompe, c’était aussi celle des Romains, Nec minimum meruere decus, vestigia græca Ausi deserere. […] Uranie va rester jusqu’à la fin de ce chapitre la personnification de la critique telle que l’entend la présente école.

997. (1860) Cours familier de littérature. X « LVe entretien. L’Arioste (1re partie) » pp. 5-80

» Nous y restâmes plusieurs heures accoudé, tantôt à la fenêtre de la rue, tantôt à la fenêtre du jardin, nous faisant à nous-même la charmante illusion qu’Arioste allait rentrer, et que nous allions jouir d’une soirée d’entretien avec ce bon sens exquis, avec cette philosophie souriante et avec cette poésie fantasque qui s’appelèrent autrefois l’Arioste. […] Après ce frugal repas, on restait ou on sortait, à son caprice. […] Il resta ainsi plus d’une heure la tête dans ses mains, Mesdames, ce chevalier mélancolique, etc., etc. […] Leurs longs cheveux, presque pareils et d’une égale souplesse, se confondaient pour les voiler à demi ; elles restèrent ainsi, moitié riantes, moitié attendries, laissant sortir deux visages d’une seule chevelure, comme deux roses sous une seule feuille. […] comment êtes-vous resté vivant et immortel, et comme adhérent à ces vieilles pages jaunies, où je vous retrouve comme une fleur entre deux feuillets ?

998. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIe entretien. Balzac et ses œuvres (1re partie) » pp. 273-352

Avant, pendant, après, j’étais resté son ami quand même, je lui devais bien cette constance d’affection, et celle qu’elle avait pour moi, bien que désintéressée, méritait l’immutabilité d’une reconnaissance surnaturelle. […] « Ainsi jeté dans l’administration de la guerre, mon père y resta, et il était chargé des subsistances de la vingt-deuxième division militaire, lorsqu’il épousa à Paris, en 1797, la fille d’un de ses chefs, en même temps directeur des hôpitaux de Paris. […] Notre frère partit pour les colonies, où il se maria et resta. […] Ce fut son premier chagrin ; il pleura bien fort quand on lui dit qu’il ne verrait plus son aïeul, et son souvenir lui resta tellement à l’esprit que, longtemps après ce jour néfaste, me voyant prise d’un malencontreux fou rire pendant une réprimande de notre mère, il s’approche de moi, et pour arrêter cette gaieté intempestive qui menaçait de tourner à mal, me dit à l’oreille d’un ton tragique : « — Pense à la mort de ton grand-papa ! […] si j’avais ma pâtée, j’aurais bien vite ma niche et j’écrirais des livres qui resteraient peut-être !

999. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre troisième »

Resté seul, il se lamente, il gémit sur le prix dont il a payé les premières faveurs de l’amour. […] Les noms sont restés les mêmes, mais les caractères ont été changés. […] Vénus y met un prix : les barons vont jurer qu’aucune femme vivante ne restera chaste ; ils en font le serment sur leurs carquois et leurs flèches, en guise de reliques dit Jean de Meung. […] Pendant que les esprits médiocres restaient attachés à la poésie nationale, les forts et les inventeurs cherchaient la tradition de l’ancien monde. […] Plusieurs sont morts : quant à ceux qui restent, les uns sont devenus grands seigneurs et maîtres Les autres mendient tout nuds ; Et pain ne voyent qu’aux fenestres.

1000. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre sixième »

Les caractères généraux paraissaient épuisés ; il restait les caractères anecdotiques, un joueur, une coquette de village, des Normands qui se réconcilient, un philosophe sans le savoir ; ou bien les travers du jour, une bourgeoise à la mode de 1692, une femme d’intrigue de la même année, un financier de 1709. […] L’esprit d’égalité les force à ressembler, au moins par l’habit, aux autres hommes ; mais le cœur est resté le même. […] Au lieu de rester, comme l’inventeur, sur les limites du gros rire et des grosses larmes, il se servit du burlesque pour égayer son spectateur et du tragique pour l’attendrir. […] Or, à côté d’un Almaviva, il y a toujours une épouse négligée et languissante qui n’entend pas rester vertueuse pour ménager l’honneur mondain d’un mari infidèle, et qui ne se dérobe pas à la tentation. […] Or, c’est en cela que consiste proprement le caractère ; la condition n’est qu’une occasion pour le caractère de se montrer tel qu’il était avant et tel qu’il doit rester après.

1001. (1890) L’avenir de la science « XV » pp. 296-320

Il se mêle à tous ses récits : le narré simple et objectif du fait lui est impossible ; il ne sait point l’isoler du jugement qu’il en a porté et de l’impression personnelle qui lui en est restée. […] Longtemps encore après que les modernes se furent créé des moyens d’observation plus parfaits, il resta de nombreuses causes d’aberration, qui défaçonnaient et altéraient de couleurs étrangères les contours des objets. […] On admire de confiance et pour ne pas rester en arrière. […] Le critique les laissera triompher seuls, et, sans disputer avec des esprits bornés et décidés à rester tels, il poursuivra sa route, appuyé sur les mille inductions que l’étude universelle des choses fait jaillir de toutes parts, et qui convergent si puissamment au point de vue rationaliste. […] La presqu’île est toujours restée pure d’hellénisme, et n’a jamais compris que le Coran et les vieilles poésies.

1002. (1890) L’avenir de la science « XVII » p. 357

Je ne conçois pas qu’une âme élevée puisse rester indifférente à un tel spectacle et ne souffre pas en voyant la plus grande partie de l’humanité exclue du bien qu’elle possède et qui ne demanderait qu’à se partager. […] Il ne faut pas rester en chemin. […] À qui la faute encore, puisqu’il n’a pas dépendu des premiers incrédules de rester croyants et qu’ils eussent été hypocrites en simulant des croyances qu’ils n’avaient pas, ce qui d’ailleurs eût été peu efficace ; car le mensonge ne peut rien dans l’histoire de l’humanité. […] De quoi punissez-vous ce misérable, qui, resté fermé depuis son enfance aux idées morales, ayant à peine le discernement du bien et du mal, poussé d’ailleurs par de grossiers appétits qui sont toute sa loi, et peut-être aussi par de pressants besoins, a forfait contre la société ? […] Cette indignation restera une des plus vigoureuses de ma jeunesse.

1003. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VIII »

Wagner écrit (VI, 381) : « De tout ceci il me resta un sentiment assez mal défini, mais pour que mon art puisse vivre, il y aurait peut-être lieu de rechercher d’autres conditions de vie que celles auxquelles jusqu’alors j’avais été réduit à l’acclimatiser. » Or, quelles étaient ces conditions auxquelles jusqu’alors il avait été réduit ? […] Et puisque cette figure de Tristan ne tarda pas à être entraînée dans le giron des légendes de la Table Ronde, déjà si imprégnées d’orientalisme, qu’il fut chanté par les Trouvères et par les Minnesinger, et puisque, surtout, les poètes français des 12e et 13e siècles n’avaient point du tout le respect religieux des mythologies celtiques qu’ils ne comprenaient point, et qu’au contraire ils ont profondément altéré ce qui en restait pour le mettre au diapason de leur époque, en faisant de ces vénérables divinités des preux chevaliers et de belles princesses, pour toutes ces raisons, nous n’apercevons plus aujourd’hui ce mythe de Tristan que comme à travers un épais nuage. […] Il est resté insensible à l’invitation des chevaliers de venir à eux, et Gurnemanz le chasse, comme indigne de comprendre. […] Dans le jardin enchanté du magicien Klingsor, la volupté et l’amour se présentent pour la première fois à Parsifal : les Filles-fleurs par leur influence amollissent ce cœur, resté fermé aux sentiments de tendresse ; le baiser de Kundry lui révèle l’amour ; mais, en même temps, la plainte de l’homme souffrant lui revient à la mémoire. […] Il rencontra Wagner à Paris dans les années 1830 et lui resta fidèle durant les vingt années qui suivirent.

1004. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1864 » pp. 173-235

On resterait des heures à l’entendre battre et remuer des idées, souvent paradoxales, mais qui ne sont jamais les idées courantes et prostituées. […] » 15 mars Un souvenir de mon enfance m’est resté très net. […] C’est d’abord dans le lointain, le lointain, le souvenir de l’hôtel de la rue d’Artois, où lors de la guillotinade de son père, il y eut une visite de deux commissaires, pendant laquelle il resta, une demi-journée, emprisonné avec son frère et sa mère, entre les feuilles d’un grand paravent, posé dans l’antichambre. […] Le petit affamé se faufilait sous la table de la cuisine, et les mains lui démangeant, il restait, des quarts d’heure, à regarder les pommes de terre montant à la surface, dans le bouillonnement d’une grande marmite. […] Nous contemplons ce visage fouetté aux pommettes, la lumière fiévreuse du gris de son œil, rayé de filets de sang, cette tête forte, fruste, puissante, pour ainsi dire taillée dans la chair à grands coups d’ébauchoir, s’éclairant, par instants, d’un sourire resté jeune, — d’un sourire qui a, à la fois, de la bonhomie du paysan et de la câlinerie d’une femme.

1005. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIIe entretien. I. — Une page de mémoires. Comment je suis devenu poète » pp. 365-444

Il m’en resta plus tard ce qui reste d’un incendie qu’on a traversé : un éblouissement dans les yeux et une tache de brûlure sur le cœur. […] C’était un prêtre de quarante-cinq ans, d’une taille grêle et un peu courbée par l’habitude de lire en marchant ou de rester courbé longtemps sur l’autel en adoration fervente et tremblante devant l’hostie qu’il venait de consacrer. […] Du froid de ses frissons es-tu resté transi ? […] Il nous dit que la classe était finie par exception pour cette matinée, mais que, pour remplir plus agréablement l’heure qui nous restait encore avant la sortie, il allait nous faire une lecture dans un livre mondain qui venait de paraître, et dont l’auteur, inconnu jusque-là, s’appelait Chateaubriand. […] Ceux d’entre vous qui préfèrent, à cause de leur âge plus tendre, les promenades et les jeux de cette belle matinée à des délassements d’esprit peuvent se retirer ; les autres resteront librement avec moi pour jouir d’autres plaisirs. » La foule s’élança dans les jardins avec des cris de joie qui se confondirent avec les gazouillements des oiseaux libres des charmilles ; huit ou dix adolescents des plus âgés ou des plus lettrés restèrent, retenus par la confiance qu’ils avaient dans le goût délicat du maître et par leur attrait déjà prononcé pour les plaisirs d’esprit.

1006. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — II. (Fin.) » pp. 62-79

Elle eut du regret d’être obligée de renvoyer ses filles d’honneur, dont la jeunesse et la gaieté la divertissaient ; elle se donna un dédommagement selon son cœur en prenant près d’elle et en s’attachant sans titre officiel deux amies, la maréchale de Clérambault et la comtesse de Beuvron, toutes deux veuves, que Monsieur avait éloignées avec aversion de la cour du Palais-Royal, et auxquelles Madame était restée fidèle dans l’absence ; c’étaient ces amies de Paris à qui elle écrivait continuellement. […] Ce fut le seul plaisir (avec celui d’écrire) qui lui resta jusqu’à la fin de sa vie. […] J’ai vu une fois cette princesse s’endormir, et, un instant après, se réveiller en sursaut et continuer d’écrire… Madame confesse quelque part qu’elle dormait à l’église : « Le matin, je n’y dors pas, mais le soir, après dîner, il m’est impossible d’y rester éveillée. — Je ne dors pas à la Comédie, ajoute-t-elle, mais très souvent à l’Opéra. » Ici nous venons de la surprendre dormant même dans ce qu’elle aime le mieux après la comédie, dans sa correspondance.

1007. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — III. (Suite et fin.) » pp. 454-472

Le papier-monnaie ne fait pas sortir le numéraire hors de l’Empire, mais il le fait rester oisif par petites parties dans la poche de chacun, et c’est comme s’il n’y en avait plus. […] En ce dernier acte qui trancha la destinée de la république, Villetard, secrétaire de la légation française, joua un rôle102 ; dans l’absence de son supérieur, le ministre de France Lallement, homme modéré, et tandis que les commissaires du grand conseil s’étaient rendus pour traiter auprès du général en chef avec un dernier espoir, cet agent secondaire prit sur lui de révolutionner Venise, et, en excitant les hommes exaltés, il renversa le fantôme de gouvernement aristocratique qui restait encore debout : Dans ce temps d’effervescence, dit à ce sujet M.  […] Sa capacité de travail, sa facilité prodigieuse à de grands emplois, resteront mémorables et seront toujours citées comme type dans l’espèce, à la faveur du cadre historique lumineux où elles se sont produites et d’où elles provoquent l’étonnement.

1008. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — III. (Fin.) » pp. 479-496

On ne saisit pas bien l’instant précis où il s’arrêta dans sa confiance en la Révolution, car il ne faisait point partie de l’Assemblée constituante : lorsqu’il entra dans la seconde législature et qu’il devint membre de l’Assemblée législative, il était déjà dans la résistance, dans la ligne constitutionnelle, voulant y rester et s’y tenir. […] Ainsi, lors du brusque renvoi de M. de Narbonne, ministre de la Guerre, Ramond, organe du parti constitutionnel, se chargea, dans la séance du 10 mars 1792, d’exprimer le mécontentement de ses amis, et il alla jusqu’à proposer de déclarer que le ministère, tel qu’il restait composé, n’avait plus la confiance de la nation. […] Elle nous le montre aussi au naturel dans sa conversation et dans sa personne : « On aurait dit que l’âge accroissait encore le feu de ses discours et de ses regards ; et jusqu’à ses derniers moments, ses proportions légères, son tempérament sec, la vivacité de ses mouvements, ont rappelé le peintre des montagnes. » En ce qui était des hommes, des personnages en scène, il les jugeait bien et les marquait en les jugeant ; sa conversation était gaie, piquante ; il avait de ces mots qui restent, du caustique, le trait prompt et continuel4.

1009. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal du marquis de Dangeau — II » pp. 18-35

., etc. » ; et que lorsqu’à la date du 22, il ajoute : « Ce jour-là on enregistra dans tout le royaume la cassation de l’Édit de Nantes, et l’on commença à raser tous les temples qui restaient » ; en prenant note de ces actes considérables, il semble ne faire que constater un fait accompli et que rendre compte d’une formalité dernière. […] Ces locutions reviennent continuellement chez Dangeau : « Le roi alla voler l’après-dînée. — Le roi revint l’après-dînée de Marly, et vola en chemin. » Cependant (pour en rester aux choses sérieuses) des hommes considérables d’entre les réformés obtiennent de sortir du royaume. […] Schomberg pourtant ne mourut pas si vite ni sans s’être vengé à sa manière ainsi que la cause à laquelle il restait fidèle.

1010. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — I » pp. 236-253

Ayant quitté Paris après ses premiers succès dans la chaire, il fut attaché successivement par ses fonctions à diverses églises du Midi, et ne resta pas moins de dix-sept ou dix-huit ans sans revenir dans la capitale ; toutefois, après une si longue absence, il avait dessein d’y revenir, mais pour s’y ensevelir dans la retraite : il avait fait vœu de se faire Chartreux, et ce n’était point une ferveur de jeune homme, puisqu’alors Charron n’avait pas moins de quarante-sept à quarante-huit ans. […] Mais en ce cas Charron n’aurait guère profité du commerce de son sage ami, puisqu’il était resté jusqu’en 1589 un prédicateur plein de passion. […] [NdA] Le point faible, c’est qu’avec cette manière de raisonner, le monde serait resté éternellement païen.

1011. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Préface pour les Maximes de La Rochefoucauld, (Édition elzévirienne de P. Jannet) 1853. » pp. 404-421

Masséna, dans son héroïque défense d’Essling, obéissait moins au désir d’être prince qu’au noble orgueil de rester lui-même, l’homme de Gênes, l’opiniâtre et l’invincible, celui qui était fait pour justifier et surpasser encore la confiance que son empereur mettait en lui. […] Avoir été professeur est un des accidents les plus ordinaires-de ce temps-ci, nous l’avons presque tous été ; tâchons seulement que le métier et le tic ne nous en restent pas. […] Cousin, restée un instinct et une ingénuité première chez M. de Lamartine, et ils se jugent encore plus qu’ils ne jugent l’adversaire.

1012. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — I » pp. 298-315

J’eusse bien plus estimé une louange de lui en ce métier, duquel il était le premier maître de son temps, que toutes celles de tous les capitaines qui restent vivants… Je veux donc séparer ma vie en deux, nommer celle que j’ai passée heureuse, puisqu’elle a servi Henri le Grand ; et celle que j’ai à vivre, malheureuse, et l’employer à regretter, pleurer, plaindre et soupirer. […] La méthode du premier, de cet artificieux Bouillon, c’est de se rendre nécessaire de tous côtés, de nouer avec tous, puis de retenir tous les fils dans sa main, et de rester, en fin de compte, le maître et le moyenneur des situations. […] Car, une fois ces guerres religieuses entamées, ce fut l’honneur de M. de Rohan de ne jamais donner les mains à des traités particuliers et de ne pas sacrifier son parti ; c’est en cela autant que par ses talents de capitaine qu’il se distingue des autres seigneurs tôt ou tard défectionnaires, et qu’il a mérité que cette cause protestante française restât identifiée à son nom.

1013. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Les Caractères de La Bruyère. Par M. Adrien Destailleur. »

Et si l’on regarde à la nature des méchants propos qui sont restés attachés au nom de cette dame, on admire la délicatesse du peintre d’avoir ainsi loué une femme qui avait eu les plus odieux démêlés avec son mari et qui avait été chansonnée. […] Reçu dans la même séance que l’abbé Bignon, qui n’avait d’autre titre que son nom et sa naissance, La Bruyère, se levant après lui et prenant la parole, montra qu’il pouvait à la fois rester peintre de caractères et devenir orateur. […] La petite Michallet, ainsi dotée, épousa un homme de finance nommé Jully qui devint fermier général et qui sut rester honnête homme : il eut de sa femme, le jour du mariage, plus de cent mille livres argent comptant.

1014. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier »

Je suppose qu’une ou deux de ces grandes séries aient paru, non pas arrangées, non pas triées et écourtées, mais telles quelles, par une de ces indiscrétions et de ces imprudences heureuses dont tout le monde profite ; que cette âme vive, émue, expansive, passionnée et généreuse, magnanime, pour tout dire, cette intelligence avide, empressée, ouverte de toutes parts, divinatrice et sympathique, touchant au génie, se soit montrée et comme versée devant tous dans une multitude de lettres familières, affectueuses, éloquentes, inachevées chacune, mais s’achevant l’une l’autre : les nouvelles générations auraient fait connaissance avec elle plus directement encore que par les livres ; elle ne serait pas restée une gloire aristocratique, la plus haute renommée de salon, mais s’y renfermant ; elle balancerait Chateaubriand non seulement de mérite et de nom, mais de fait ; elle serait lue et encore présente au milieu de nous ; on la discuterait. […] L’opinion de Schiller sur Mme de Staël est la plus équitable, et les signes éclatants en même temps que les lacunes et les limites de cette nature extraordinaire sont relevés par lui et marqués de main de maître : « Mme de Staël, écrivait-il de Weimar à Goethe, resté d’abord à Iéna (21 décembre 1803), Mme de Staël justifiera pleinement l’idée que vous avez prise d’elle a priori ; elle est tout d’un jet ; point de mélange, rien de faux ni de pénible en elle. […] Croit-on mettre la charité à couvert en ajoutant d’un air contenu : « Le secret de ses convictions intimes est resté entre Dieu et lui. » Non, c’était le cas de citer, si l’on voulait être complet, une autre lettre très explicite de Schlegel, qui ne saurait se séparer de la précédente, une lettre fort belle qu’il adressa plus de vingt-cinq ans après (le 13 août 1838) à la duchesse de Broglie qui ne cessait de le presser sur l’article de la foi, et dans laquelle il expose ses variations de sentiments, ses aspirations, sa crise morale et sa solution philosophique, ou, comme il le dit poétiquement, « ses erreurs d’Ulysse et son Ithaque ».

1015. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

Renan est de cette race des hautes intelligences ; c’est une intelligence aristocratique, royale au sens de Platon, et même qui est restée un peu sacerdotale et sacrée de tour et d’intention jusque dans son entière émancipation philosophique. […] Il va jusqu’à dire que ce n’est pas seulement dans la mémoire et la conscience de l’humanité que subsiste, selon lui, l’œuvre de quiconque est digne de vivre, car il y en a, et des meilleurs, qui sont restés obscurs ; il ajoute que « c’est aux yeux de Dieu seul que l’homme est immortel. » Il peut y avoir dans tout ceci, je le sais, la part à faire à un certain langage poétique, métaphorique, dont l’écrivain distingué se prive malaisément. […] Renan pourrait être contredit par plus d’un passage de ses écrits, sans être réfuté pour cela et sans rester moins vrai.

1016. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français (suite.) »

Ce qui est certain, c’est que ce Jean Michel, quel qu’il fût, n’avait fait qu’étendre et remanier un mystère antérieur auquel on a donné beaucoup d’éloges en ces dernières années et qui, par malheur, est resté jusqu’à présent manuscrit et inédit. […] Judas, resté en arrière, se met à lui en abattre. […] Cela semble fait pour des gens qui ne restent pas jusque la fin, qui n’en auront pas le temps, pour des artisans et des gens de métier.

1017. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vie de Jésus, par M. Ernest Renan »

Restons dans la région calme et réservée, dans le coin des sages. […] La grande masse française restait peu informée et indifférente. […] Il ne s’irritera pas, il né s’emportera pas, il restera calme et patient, même serein ; il gardera son demi-sourire ; il retrouvera toute sa hauteur en ne répondant jamais.

1018. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Méditations sur l’essence de la religion chrétienne, par M. Guizot. »

sa vénérable mère dans cette mise antique et simple, avec cette physionomie forte et profonde, tendrement austère, qui me rappelait celle des mères de Port-Royal, et telle qu’à défaut d’un Philippe de Champagne, un peintre des plus délicats nous l’a rendue ; cette mère du temps des Cévennes, à laquelle il resta jusqu’à la fin le fils le plus déférent et le plus soumis, celle à laquelle, adolescent, il avait adressé une admirable lettre à l’époque de sa première communion dans la Suisse française20 ; je la crois voir encore en ce salon du ministre où elle ne faisait que passer, et où elle représentait la foi, la simplicité, les vertus subsistantes de la persécution et du désert : M.  […] Il tient donc ces réponses pour de simples reflets de désirs, des répercussions et des réflexions du même au même, qui ne prouvent autre chose que le foyer intérieur d’où elles sont parties, et qui peuvent rester stériles comme tant de désirs. […] Guizot, et pour rester membre de son Église, il faut admettre et respecter un certain symbole dont les premiers articles sont révélation, miracles, divinité du Christ.

1019. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « La Réforme sociale en France déduite de l’observation comparée des peuples européens. par M. Le Play, conseiller d’État. (Suite et fin.) »

Il estime que, cette liberté lui étant donnée, le père de famille, dans la plupart des cas, choisira pour son associé, pour son continuateur après lui, le plus capable de ses fils : les autres enfants auraient des dots pour s’établir au dehors, ou on leur constituerait des pécules, s’ils consentaient à rester au foyer et dans la dépendance de la famille-mère, de la famille-souche : c’est de ce nom qu’il la désigne. […] Pour rester impassible en présence d’une contradiction ardente, éloquente parfois, qui s’attaque à vos convictions les plus chères et à ce que vous croyez la vérité, il faut plus de force et de constance encore que pour rester froid devant les injures ; et cette constance ne s’acquiert que moyennant un grand fonds de vigueur et de foi en la vérité même.

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