La traduction ressemble alors à un portrait qui rendrait grossièrement les traits sans rendre la physionomie, ou en la rendant autre qu’elle n’est, ce qui est encore pis : par exemple, une traduction de Tacite dont le style ne serait point vif et serré, quoique bien écrite d’ailleurs, serait en quelque manière un contresens perpétuel ; et ainsi des autres. […] Enfin un autre abus dans l’usage des accents, c’est que nous désignons souvent, par des accents différents, des sons qui se ressemblent ; souvent nous employons l’accent grave et l’accent circonflexe pour désigner des e dont la prononciation est sensiblement la même, comme dans bête, procès, etc. […] Ce style ressemble au bel esprit, qui n’est autre chose que l’art puéril et méprisable de faire paraître les choses plus ingénieuses qu’elles ne le sont. […] Ce style académique ou prétendu tel est encore celui de la plupart de nos prédicateurs, du moins de plusieurs de ceux qui ont quelque réputation ; n’ayant pas assez de génie pour présenter d’une manière frappante, et cependant naturelle, les vérités connues qu’ils doivent annoncer, ils croient les orner par un style affecté et ridicule, qui fait ressembler leurs sermons, non à l’épanchement d’un cœur pénétré de ce qu’il doit inspirer aux autres, mais à une espèce de représentation ennuyeuse et monotone, où l’acteur s’applaudit sans être écouté. […] Les difficultés en sont d’autant plus grandes, que le genre d’écrire de cet auteur célèbre est absolument à lui, et ne peut passer à un autre sans s’altérer ; c’est une liqueur qui ne doit point changer de vase : il a eu, comme tous les grands écrivains, le style de sa pensée ; ce style original et simple ne peut représenter agréablement et au naturel un autre esprit que le sien : en cherchant à l’imiter, j’en appelle à l’expérience, on ne lui ressemblera que par les petits défauts qu’on lui a reprochés, sans atteindre aux beautés réelles qui font oublier ces taches légères.
Ils n’admettent que ce qui leur ressemble et„ naturellement, se préfèrent eux-mêmes. […] Deux pièces de Meilhac sur des sujets différents se ressembleront plus entre elles qu’une pièce de Meilhac ne ressemblera à une pièce d’Ibsen développant la même donnée. […] Elle ne ressemble pas à la Madame Arnoux de la seconde Éducation. […] Il ressemble à ces grognards dont le dévouement fanatique ne supprimait point le franc-parler. […] Le paysage grec ressemble étonnamment au paysage provençal.
Il achevait un âge, il jouissait de ce qui avait agité les autres ; sa poésie ressemblait aux beaux soirs d’été ; les lignes du paysage y sont les mêmes que pendant le jour ; mais l’éclat de la coupole éblouissante s’est émoussé ; les plantes rafraîchies se relèvent, et le soleil calme au bord du ciel enveloppe harmonieusement dans un réseau de rayons roses les bois et les prairies que tout à l’heure il brûlait de sa clarté. […] Voici l’enfant folâtre, la petite fée voltigeante qui bat des mains, et « de ses yeux noirs malicieusement vous regarde en face, et se sauve pendant que ses rires éclatants creusent des fossettes dans les roses enfantines de ses joues. » Voici la blonde pensive qui songe, ses grands yeux bleus tout ouverts, fleur aérienne et vaporeuse « comme un lis penché sur un buisson de roses et que le soleil mourant traverse de sa lumière », faiblement souriante, « pareille à une naïade qui au fond d’une source regarde le déclin du jour. » Voici la changeante Madeline, soudain rieuse, puis soudain boudeuse, puis encore gaie, puis encore fâchée, puis incertaine entre les deux, étranges sourires, « délicieuses colères qui ressemblent à de petits nuages frangés par le soleil1519. » Le poëte revenait avec complaisance sur toutes les choses fines et exquises. […] Sa poésie ressemble à quelqu’une de ces jardinières dorées et peintes où les fleurs nationales et les plantes exotiques emmêlent dans une harmonie savante leurs torsades et leurs chevelures, leurs grappes et leurs calices, leurs parfums et leurs couleurs. […] Elles ressemblent à la cuisine de leurs restaurants, à l’éclat de leurs cafés, à la gaieté de leurs théâtres.
« Ma maison ressemble à celle de Fabricius ou de Caton ; tout mon intérieur domestique consiste en un chien et en un serviteur ; ce serviteur a sa maison attenante à la mienne ; quand j’ai besoin de lui je l’appelle, quand je n’en ai plus besoin il retourne dans sa chaumière. […] Je ne crois pas que dans le monde il y ait rien qui leur ressemble. […] Je crois que cette grotte ressemble à cette petite salle souterraine au bord de la mer de Gaëte, où Cicéron allait quelquefois déclamer ses discours pour apprendre à lutter avec les bruits de la multitude. […] Cette incertitude m’agite nuit et jour, je ne suis plus ce que j’étais ; je ressemble à un homme qui marche sur un sol miné… » Puis un songe lui offre l’image courroucée de Laure qui le défie de l’oublier.
Quant à son mari, le prince Napoléon, l’attrait empressé qu’il témoignait pour moi établit entre nous des rapports gênés par la politique, mais bizarres, qui ressemblaient à ces inclinations furtives qu’on s’avoue du regard et qu’on se dissimule des lèvres. […] Il avait donc été convenu entre nous, par l’intermédiaire d’un ami commun, que nos conversations seraient à double entente ; que nous ne nous regarderions jamais face à face en causant ensemble, mais que nous aurions l’air de nous adresser à un troisième interlocuteur dans la confidence des deux ; que chacun de nous paraîtrait adresser à ce tiers complaisant ce que nous avions à nous dire ; que nous nous entretiendrions obliquement, par ricochet, et que nos paroles, insaisissables ainsi à la foule, ressembleraient à ces projectiles qu’on dirige d’un côté pour frapper ailleurs. […] Après avoir passé là quelques-uns de ces jours qui ressemblent à des haltes du temps où la vie cesse de fuir, dans les vastes cellules, dans les longs corridors frais, au bord des bassins glacés et sous les sapins aux murmures lyriques de Vallombrose, nous redescendîmes dans la profonde vallée qui sépare de la Toscane habitée cette oasis de paix, et nous reprîmes à cheval la route d’une autre oasis encore plus enfoncée dans le ciel au-delà des nuages : les Camaldules. […] Son tombeau était dans son horizon, sa tristesse était dans les physionomies de ses figures ; le navire sur lequel cette famille va s’embarquer ressemble à un catafalque, au sommet duquel la vergue et le mât figurent une croix funèbre sur la sépulture des vagues !
V « Nausicaé aux bras blancs lui répondit ainsi : « “Étranger, certes tu ne ressembles ni à un méchant ni à un homme sans intelligence. […] Elle est facile à reconnaître, un enfant en bas âge y conduirait, car les maisons des Phéaciens ne ressemblent nullement à l’habitation d’Alcinoüs le héros. […] Cela ressemble à s’y méprendre à une rue des quartiers déserts de Rome qui montent du Vatican aux fontaines monumentales de la villa Albani ; tout y est silence, solitude, petits métiers, revendeurs, encadreurs, marchands de légumes avariés ou de pommes ridées pour les petits ménages, étalées sur des devantures aux vitres cassées. […] Le malheur se ressemble, et le malheur s’assemble, Ensemble nous chantions, ou nous pleurions ensemble Tous les jours et toutes les nuits.
Il n’entend pourtant pas rivaliser avec les peintres ; il critique même les images qu’ils hasardent de la Vierge, « lesquelles ressemblent, dit-il, à leurs idées, et non à elle. » Il n’eût pas dit cela des vierges de Raphaël ; car c’est d’après le même modèle, gravé au fond de leur cœur par la foi et le génie, que le prédicateur par la beauté de ses paroles, l’artiste par les grâces de son pinceau, ont su représenter l’idéal de la plus touchante des croyances catholiques. […] Par cette facilité aimable, par certains ressouvenirs de la poésie antique, Massillon ressemble à l’archevêque de Cambrai76. […] Beaucoup d’esprit sans justesse, la recherche de ces choses qui flottent entre le vrai et le faux, et qu’on appelle complaisamment le neuf, nul besoin de penser pour croire, la fureur de se distinguer des autres par laquelle on arrive si vite à ressembler à tout le monde : tels sont les traits de beaucoup de ceux qui font du bruit dans les lettres au temps de Vauvenargues. […] Suffisait-il que Vauvenargues vécût quelques années de plus, pour que le dix-huitième siècle, ce temps des liaisons intéressées, et fragiles, où les amis ressemblent à des partisans enrôlés sous un chef, vît un exemple nouveau de ces amitiés littéraires dont la gloire aimable s’ajoute à toutes celles qui ont valu au dix-septième siècle son nom de grand ?
Justice, qui a collé, en tête de ses vers de mirliton, une photographie, où il ressemble à un jeune coiffeur de chef-lieu d’arrondissement. […] C’est d’abord une espèce de patelinage, et des mots qui ressemblent à la caresse d’une patte de chat qui va sortir ses griffes, et les égratignures ne tardent pas. […] Un moment le montreur de cette magie a fait tenir, sur le rond de mon chapeau gris, toute une chaîne de montagnes qui ressemblait à une impression japonaise sur une feuille de crêpe. […] Et elle dit : « Il était joli… il avait la barbe faite… et avec sa tête renversée, il ressemblait à Napoléon Ier… Oui, à Napoléon Ier, c’était étonnant !
Dans ce moment reprend Burty : « Il est assommé, il se tient coi, il est presque modeste, il ressemble à un chien qui vient de recevoir une affreuse raclée. » Samedi 16 mars Une sœur de Théo parlait de l’effet hallucinatoire produit chez elle par les senteurs d’un champ de fèves, et des rêves troubles que ce champ lui faisait monter au cerveau, toute éveillée qu’elle était. […] Et comme je lui dis : — « Mais, Théo, vous ressemblez à Homère, là-dedans ? […] » Mardi 11 juin Ce soir, l’ancien dîner de Magny, réduit par le dîner, que donne au-dessous de nous, Hugo, pour la centième représentation de Ruy-Blas, se relève et ressemble presque à un de nos bons dîners, du temps de Sainte-Beuve. […] Il avait, sur la poitrine, un chapelet, dont les grains blancs, autour d’une rose en train de se faner, ressemblaient à l’égrènement d’une branchette de symphorine.
» voulant que le lendemain ressemblât à ses autres jours de femme à la mode. […] Un ménage qui ressemble à celui que je faisais avec mon frère. […] Cluny : une salle de spectacle qui, en plein Paris, trouve le moyen de ressembler à une salle de province, comme peut-être, par exemple, la salle de Sarreguemines. […] Un grand tapis de Perse, tout gai, tout riant, et où dans la pourpre de petits morceaux de blanc ressemblent à des morceaux de papier semés sur la laine, couvre le parquet et tout ce côté de l’atelier.
Trouvez-vous dans ce rhythme glacé de l’infini, du fini, de leur rapport, quelque chose qui ressemble à ces forces nombreuses, complexes et vivantes, instincts, désirs, passions, sentimens, idées encore confuses et enveloppées de sensibilité qui, par leur expansion dans les directions les plus diverses, par leur indéfectible énergie, portent sans cesse l’humanité en avant vers le mieux ? […] Mais son génie synthétique ne l’empêche pas d’apercevoir les dissemblances ; le premier peut-être, il a déterminé la différence qui existe anatomiquement entre l’homme et le singe, en observant que, chez celui-ci, la conformation des os du crâne et de la face n’est pas la même que chez nous ; que, de plus, ses pieds ressemblent à des mains, ce qui l’oblige de se tenir bien plus souvent à quatre pattes que tout droit. […] Et Claude Bernard expliquant l’organisme par une idée directrice qui ressemble pas mal à la forme ou à la ψυχή d’Aristote, n’est-il pas pris, lui aussi, en flagrant délit de métaphysique ? […] « Les hémiones, dit-il, constituent une espèce distincte (dans le genre des lophures), puisqu’ils s’accouplent entre eux et que leur accouplement est fécond. » Et il ne considère comme appartenant à une même espèce que les individus descendus d’ancêtres communs, car il appelle aussi homophyles (de même souche) les individus qui se ressemblent par la forme.
Au début d’une vie qu’on connaît à peine, tant elle fut modeste, on s’imagine que l’esprit d’Audin, gracieux, svelte et pur, devait ressembler à l’esprit et à l’âme d’une femme ; mais la religion et l’étude ouvrirent la poitrine à cet enfant bien fait et le développèrent. […] Mais tout ce li tient à nos intérêts et à nos relations avec les hommes se ressemble. […] Elle ressemble à son cœur, qu’il ne portait pas dans la tête, où les hommes d’État, a dit l’un d’eux, doivent mettre leur cœur. […] Ces premiers traits, jetés sur un papier que le vent du désert a tourné, et qui furent écrits sur le pommeau de la selle ou sur la pierre de quelque chemin écarté, ressemblent à ces quadri d’André Chénier, base de prose d’où sa poésie s’envolait, trépieds préparés afin que le feu du ciel pût y descendre.
L’étendue matérielle n’est plus, ne peut plus être cette étendue multiple dont parle le géomètre ; elle ressemble bien plutôt à l’extension indivisée de notre représentation. […] En ce sens, la tâche du philosophe, telle que nous l’entendons, ressemble beaucoup à celle du mathématicien qui détermine une fonction en partant de la différentielle. […] Il est bien vrai que ma main ne va pas de A en B sans traverser les positions intermédiaires, et que ces points intermédiaires ressemblent à des étapes, en nombre aussi grand qu’on voudra, disposées tout le long de la route ; mais il y a entre les divisions ainsi marquées et des étapes proprement dites cette différence capitale qu’à une étape on s’arrête, au lieu qu’ici le mobile passe. […] Si les impressions de deux sens différents ne se ressemblent pas plus que les mots de deux langues, c’est en vain qu’on chercherait à déduire les données de l’un des données de l’autre ; elles n’ont pas d’élément commun.
Je vous écris, mes chères amours, des pieds de votre peinture (de votre portrait), que j’adore seulement pour ce qu’elle est faite pour vous, non qu’elle vous ressemble. […] Mes chères amours, il faut dire vrai, nous nous aimons bien : certes, pour femme, il n’en est point de pareille à vous ; pour homme, nul ne m’égale à savoir bien aimer… Il est dommage qu’on puisse écrire de ces charmantes choses à plus d’une personne en si peu de temps : car les lettres à la marquise de Verneuil suivirent de près celles que j’indique, et leur ressemblent.
Créatures fragiles, êtres d’un jour, malgré les hautains progrès dont ils se vantent, malgré les ressources croissantes dont ils disposent, la mort est là qui les déjoue aujourd’hui comme au lendemain d’Adam, et qui les saisit dans leurs plans d’ambition, d’accomplissement ou d’attente, dans leurs rivalités, dans leurs espoirs de revanche et de représailles sur la fortune : « Nous nous hâtons de profiter du débris les uns des autres : nous ressemblons à ces soldats insensés qui, au fort de la mêlée, et dans le temps que leurs compagnons tombent de toutes parts à leurs côtés sous le fer et le feu des ennemis, se chargent avidement de leurs habits… » Mais ceci ne vient qu’après un grand et inépuisable mouvement d’éloquence sur la fuite et le renouvellement perpétuel des choses, un des plus beaux exemples de la parole humaine. […] Je rencontre ici une difficulté et presque un écueil que je n’essaierai pas de recouvrir ni d’éluder : Massillon est digne qu’on n’use point avec lui de ces ménagements qui ressembleraient à une timidité et à une crainte honteuse.
Il y a des moments où l’expérience de Fénelon est ainsi toute voisine de l’amertume ; mais chez lui cette amertume s’arrête et s’adoucit aussitôt, elle ne ressemble pas à la misanthropie des autres. Je trouve dans une lettre de lui à Mme de Montberon, alors qu’il approchait de la cinquantaine (1700), une peinture bien fine et bien circonstanciée de cet état insipide, aride, désabusé, où il se trouve : « Pour moi, je suis dans une paix sèche, obscure et languissante, sans ennui, sans plaisir, sans pensée d’en avoir jamais aucun ; sans aucune vue d’avenir en ce monde ; avec un présent insipide et souvent épineux… » Ces instants d’aridité et de dégoût, chez Fénelon, se peignent avec des traits qui font encore que son ennui ne ressemble pas à un ennui vulgaire.
j’en fais faire une copie, la copie est presque achevée : elle ressemble fort à l’original, qui ressemblait fort à la belle.
Mérimée, prépare une édition du Baron de Fœneste, ce pamphlet spirituel et souvent énigmatique de d’Aubigné, un de ces écrits qui ressemblent à l’os de Rabelais et qu’il faut briser pour en pouvoir goûter la moelle. […] L’auteur n’y perd jamais de vue un plan de composition et même une symétrie extérieure qu’il s’est imposée : c’est ainsi qu’il termine tous ses livres (et il y en a cinq dans chaque tome) par un traité de paix, ou, quand la paix fait faute, par quelque édit ou trêve qui y ressemble : il tient à couronner régulièrement chaque fin de livre par ce chapiteau.
Mais cela n’empêche pas (et cette contradiction même ajoute à son mérite) qu’il n’y ait en lui une veine patriarcale ou pastorale bien prononcée, qui revient sans cesse au milieu de ses sentiments publics, et qui lui faisait dire un jour, avant sa gloire, parlant à un ami : Au lieu de bruire avec fracas comme un torrent éphémère, je voudrais, si jamais je parviens à être connu, que ma réputation ressemblât au ruisseau paisible, toujours clair, toujours pur, ombragé de rameaux qu’il féconde : souvent utile, toujours riant, il est le charme et les délices des campagnes qu’il arrose… Ensuite il se perd… Voilà le coin d’idylle chez Bailly. […] Hullin me soutenant l’autre bras, marchant entre quatre fusiliers, je trouvai qu’au milieu de ce triomphe je ressemblais assez à un homme que l’on conduisait en prison.
Une journée de Santeul, vue dans son cadre, et sauf le hasard du détail, dut ressembler à presque toutes les autres. […] Santeul n’était pas pauvre ; il ne ressemblait pas, quand il allait par la ville, au chétif poète de Régnier, qui va prenant ses vers à la pipée.
En cela il ressemblait à tous les hommes, seulement il leur ressemblait avec plus de promptitude, d’impatience et des mouvements plus marqués.
À l’âge de dix-sept ans, après sept ou huit années de courses, de dissipations, il se dit qu’il fallait être homme, compter dans son temps par un genre d’ambition et de succès qui ne ressemblât point à un autre, et cueillir la seule palme qui ne se flétrit pas. […] Voici une de ces pièces satiriques que je traduis ; ce sont des distiques latins : Tant que tu as bu aux sources d’Aonie ; tant que sur le sommet du Pinde, ô Ronsard, tu as touché avec art la lyre aux onze cordes, ta muse a fait retentir les champs du Vendômois de ses graves accents que Phéhus eût avoués pour siens ; mais dès que tu n’as plus eu souci que de t’engraisser la panse à la manière d’une soyeuse truie, tu as grossi le nombre de ceux qui font les enterrements, qui ressemblent aux frelons, et sont impropres à l’ouvrage.
Pourtant on ne peut s’empêcher de remarquer que si Boileau avait ajouté à ses talents de poète et à sa finesse de critique les grâces et le monde de Voiture, son art de vivre sur un pied de familiarité avec les plus grands et de jouer sans cesse avec eux sans s’oublier, il eût mieux ressemblé à Horace. […] Qu’aurait été Voiture venu au xviiie siècle, et à qui eût-il ressemblé ?
De l’autre côté, sur la montagne la moins élevée, on voit une autre ville qui s’appelle Imitation, et qui paraîtrait aussi fort belle si elle n’était effacée par sa voisine que l’on reconnaît pour l’original, et à laquelle cette dernière ressemble beaucoup. […] Il est extrêmement rapide… Et voilà les ingéniosités quintessenciées et glaciales que Sénecé met dans la bouche de Virgile, en prétendant que rien ne ressemble plus au siècle d’Auguste que celui de Louis XIV ; c’est du Scudéry tout pur, c’est la carte du royaume de Tendre transportée dans la description du goût. — Et puis, quand on est embarqué sur le fleuve d’Imagination, l’arrivée à l’endroit nommé le Péage des critiques, la garde qu’y font les capitaines Scaliger, Vossius et autres, les « petits bateaux couverts qu’on appelle métaphores », et dont quelques-uns échappent à grand-peine à ces terribles douaniers ; et plus loin, quand on a pénétré dans le cabinet du Bon Goût, l’attitude et l’accoutrement baroque de ce bon seigneur qui m’a tout l’air d’être fort goutteux, appuyé d’un côté sur la Vérité et de l’autre sur la Raison, qui, tenant chacune un éventail, lui chassent de grosses mouches de devant les yeux (ces mouches sont les Préjugés) : les deux jeunes enfants qui sont à ses pieds, aux pieds du seigneur Bon Goût, et qui le tirent chacun tant qu’ils peuvent par un pan de son habit, l’un, un petit garçon toujours inquiet et remuant, nommé l’Usage : l’autre, une petite fille toujours fixe et assise, une vraie poupée nommée l’Habitude, que vous dirai-je de plus ?