Poésie, tome IV, Paris, Imprimerie nationale, Librairie Ollendorff, 1910, p. 3-4.
La plus belle moitié de la poésie, la moitié dramatique, ne recevait aucun secours du polythéisme ; la morale était séparée de la mythologie8.
Mais l’honneur de Daru en ces années est d’avoir traduit tout Horace (les Satires qui terminaient la traduction parurent en 1801), et d’avoir remis ce poète charmant et sensé en pleine circulation, de l’avoir rendu plus accessible à cette quantité d’hommes instruits ou désirant l’être, qui, après la Révolution, revenaient au goût des choses littéraires et de la poésie comme dans une sorte de Renaissance. […] Sans doute, si l’on prend chaque pièce en particulier, si l’on oppose l’original à la traduction, on trouvera aisément à triompher et à se donner l’air d’un connaisseur très expert et très supérieur en poésie. […] Nulle part, et dans les Satires ou les Épîtres pas plus que dans les Odes, il ne serre d’assez près les images, et ne fait saillir en un vers tout à fait exact ce détail particulier qui seul égaye à la fois et réalise la poésie.
En réalité, il y a autant de manières d’entendre la critique que le roman, le théâtre ou la poésie : la personnalité de l’écrivain peut donc s’y marquer aussi fortement, quand il en a une. […] Il a d’étranges faiblesses pour la poésie ténébreuse et mystique des derniers petits cénacles (et c’est ce qui lui a valu leur vénération). […] C’était lui, déjà, qui communiquait tant de douceur à ses poésies de jeunesse (la Vie inquiète, les Aveux).
Pour peu qu’on suive le développement de la poésie lyrique depuis le temps de Ronsard jusqu’à nos jours, on verra clairement qu’un genre, autant et plus que le génie d’un individu, passe par des phases d’éclat, de déclin, de renaissance, etc. […] Il perdrait son temps à vouloir décider si la poésie épique est supérieure à la poésie lyrique.
Foi, poésie, héroïsme, ne sont-ce pas là, en effet, les attributs de la jeunesse ? […] La poésie de M. […] Ce n’est plus cette prose endimanchée qui ne semblait n’emprunter les rythmes de la poésie que pour railler ses idées ; c’est une langue souple et ferme qui marche avec allure, et parfois prend de l’essor et s’envole.
Le dévouement d’un chevalier d’Assas, la passion d’un chevalier Des Grieux, la poésie de Parisina ou d’Ariel, tout cela se tient dans la pensée, et il nous semble, au moins dans la jeunesse, que c’est manquer d’ailes et d’essor que de ne point passer à volonté d’un de ces mondes à l’autre. […] « J’approuve, pour ma part, qu’on s’amuse de temps en temps à la poésie, dit-il, autant qu’il faut pour se perfectionner le style, mais pas au-delà. » Il a pourtant lui-même, sans y songer, des formes d’imagination et des manières de dire qui font de lui non seulement le philosophe, mais quelquefois le poète du sens commun. […] Si jamais la doctrine de l’économie est arrivée, à force de contentement et d’allégresse, à une sorte de poésie familière d’expression, c’est dans Franklin qu’il la faut chercher.
La poésie emploie ce mot sans fin. […] Je crois avoir déjà remarqué dans quelques-uns de mes papiers, où je m’étais proposé de montrer qu’une nation ne pouvait avoir qu’un beau siècle, et que dans ce beau siècle un grand homme n’avait qu’un moment pour naître, que toute belle composition, tout véritable talent en peinture, en sculpture, en architecture, en éloquence, en poésie, supposait un certain tempérament de raison et d’enthousiasme, de jugement et de verve, tempérament rare et momentané, équilibre sans lequel les compositions sont extravagantes ou froides. Il y a un écueil à craindre pour Doyen, c’est qu’échauffé par son morceau du miracle des ardens, dont la poésie a plutôt fait le succès que le technique (car à trancher le mot, en peinture ce n’est qu’une très-magnifique ébauche), il ne passe la vraie mesure, que sa tête ne s’exalte trop, et qu’il ne se jette dans l’outré, il est sur la ligne, un pas de travers de plus et le voilà dans le fracas, dans le désordre.
Écoutez-le parler de la tristesse de la poésie légère. […] Je ne chicane pas sur le mot : belles de tout point, — de substance, d’émotion, de poésie, de vérité, d’éclair. […] Mais nulle part de foi féconde et de grande poésie, quand enfin, sur le tard, deux religieux, le Père Pitra et le Père Lacordaire, retrouvèrent l’accent qu’il faut avoir quand on se mêle de parler des Saints.
Il y avait (je ne parle que des morts) une petite revue littéraire66 très honnête, très honorablement dirigée, qui rendait des services aux jeunes auteurs dont elle accueillait les essais, et aux lecteurs qu’elle entretenait encore de poésie. […] Laissez-vous faire, ne craignez pas tant de sentir comme les autres, n’ayez jamais peur d’être trop commun ; vous aurez toujours assez dans votre finesse d’expression de quoi vous distinguer. » Mais je n’aurais pas affecté non plus de paraître plus prude que je ne le suis et qu’il ne convient de l’être à ceux qui ont commis, eux aussi, leurs poésies de jeunesse et qui ont lu les poètes de tous les temps ; j’aurais ajouté de grand cœur : « J’aime plus d’une pièce de votre volume ; les Tristesses de la lune, par exemple, joli sonnet qui semble de quelque poète anglais, contemporain de la jeunesse de Shakespeare.
Il choisit pour cela une manière d’hymne et de poésie, comme étant la plus harmonieuse et la plus consolante ; il écrivit dans une prose rhythmique, dans des versets semblables à ceux de la Bible, et sous des formes tantôt directes et tantôt de paraboles, les inspirations de sa prophétie. […] » Ce sont en tout endroit des conseils d’union et d’association qui offrent le sens juste du Bonhomme Richard dans un ton élevé de pathétique et de poésie.
Il avait un don qui aide fort au bonheur de qui le possède, et qui simplifie extrêmement ce monde d’ici-bas, la faculté de répandre et d’exhaler la poésie comme à volonté. […] Saint François de Sales ne se hasardait jamais à dire d’une femme qu’elle était belle, il se contentait de dire qu’elle était spécieuse : mot charmant et prudent qui se pourrait détourner sans effort pour qualifier le genre de beauté propre à cette poésie séduisante.
Cet intervalle de près de deux ans est marqué, dans l’œuvre du critique : 1° par la publication en 1828 de son premier livre, en prose, Tableau historique et critique de la Poésie française et du Théâtre français au xvie siècle ; 2° en 1829, par l’apparition de son premier volume de vers, Vie, Poésies et Pensées de Joseph Delorme.
N’allez pas, à cette occasion, relire les Méditations ou les Harmonies ; car, ou vous n’y trouveriez aucun plaisir et vous me paraîtriez par là fort à plaindre, ou vous seriez à ce point repris par cette poésie toute divine, que presque rien ne vous intéresserait plus au monde, pas même les choses de Paris ni les chroniqueurs parisiens. Je prends un étrange chemin pour vous parler d’eux ; mais croyez que j’y arriverai d’autant plus vite que j’en suis plus loin… Lamartine est la poésie même.
L’auteur, qui entend toute chose, mais qui d’instinct sent l’éloquence mieux encore que la poésie, a su cette fois pénétrer dans cette poésie un peu sombre et déjà voilée, qui, chez quelques-uns de ces pères, chez Grégoire de Nazianze surtout, se montre si bien en accord avec les souffrances de l’âme et du monde.
Ainsi, la réalité qui éveille l’intérêt, la grandeur qui donne la poésie, la nouveauté qui passionne la foule, voilà sous quel triple aspect la lutte des burgraves et de l’empereur pouvait s’offrir à l’imagination d’un poète. […] Il se dit, sans se dissimuler le peu qu’il est et le peu qu’il vaut, que de ce voyage il fallait tirer une œuvre, que de cette poésie il fallait extraire un poème.
La poésie ouvrière de civilisation, quoi de plus admirable ! […] Une idée est un baume, une parole est un pansement ; la poésie est un médecin.
l’artiste, qui, mêlant son âme à l’âme des bois et des fleuves, peut seul — ce mystérieux hymen accompli — évoquer sur la toile leurs poésies intimes. […] Par l’arbre dont j’ai déjà parlé, par ce chêne où le dessinateur a jeté tout un monde de poésie religieuse.
Elles parlent, ces honnêtes personnes, comme les déshonnêtes personnes de Lélia, des mystères de l’âme, de la vie et de la destinée, dans des paysages, un palais et des clairs de lune trop sandesquement décrits, et quoiqu’elles ne disent pas les mêmes choses, elles les disent avec les mêmes attitudes emphatiques, le même bombast que dans Lélia et le même amphigouri de poésie fausse et de solennité. […] pour cette forte tête, virilisée encore par l’étude et par la réflexion, le peignoir a peut-être une poésie cachée, et pense-t-elle qu’il lui donne l’air plus prêtresse, plus prophétesse et plus Muse ?
L’utilité, chez Mme André Léo, étrangle perpétuellement la poésie, quoiqu’elle parle beaucoup d’idéal, cette femme pratique. […] Dans un temps où la poésie du siècle était l’adultère, il fallut les adultères de toute sa vie et son existence de bohème (délicieusement affolante au regard des esprits d’alors) pour qu’on pardonnât à Mme Sand ne n’être pas, en réalité, aussi voyou qu’elle se vantait d’être.
L’auteur des Études sur le Combat excepte, il est vrai, un très petit nombre d’âmes, nées impassibles comme le bronze, et rares comme des aérolithes, car elles semblent venir directement du ciel ; mais cet homme de batailles, qui a pratiqué les batailles et qui n’est dupe d’aucune poésie faite après coup, ne croit guère aux héros que sous bénéfice d’inventaire, et sous l’action déterminée et décisive d’une discipline qui crée l’énergie et fait d’un homme cette force qu’on appelle un soldat… Observateur aiguisé par toutes les expériences de sa vie, le colonel Ardant du Picq sait que la puissance des armées est toujours en raison, non seulement directe, mais unique, de la puissance de leur discipline, et il le prouve, par tous les témoignages de l’histoire, chez les peuples que la guerre a le plus illustrés. […] Mais je n’ai voulu que signaler la sublimité de la tendance dans un livre didactique qui, pour moi, a des ailes comme une poésie céleste, et m’a ravi au-dessus et bien loin des abjections matérialistes de mon temps !
voyez, examinez si mon muguet, cette fleur d’albâtre, n’est pas une bouture de Platon ; si ce Joubert, au nom bourgeois, n’est pas Platon, mais dans ce milieu plat et non platonique du monde moderne que nous touchons avec la main, car l’éloignement, cette perspective qui crée la poésie, rapetisse les objets comme il les grandit. […] Et il a écrit sur bien des choses, sur lui-même, sur la création, sur l’homme, sur la religion, les beaux-arts, la poésie, l’antiquité, et toujours il n’a été préoccupé que de cette combinaison : la clarté de la pensée dans l’expression transparente.
Il a publié des Poésies, des essais de critique et d’histoire, des traductions de l’allemand, et toujours dans la Revue des Deux-Mondes, cette crypte obscure où l’on a froid… L’Allemagne et la Revue des Deux-Mondes, quelle combinaison ! […] Quoiqu’il ait écrit des Poésies, ce n’est pas un poète cependant, dans le sens absolu de ce grand nom qui suffit à la gloire d’un homme quand il le mérite ; il n’est point un poète dans sa plus haute signifiance, mais il a de l’imagination poétique, et le livre que voici en est la preuve la plus incontestable.
Dans ce nouveau livre, en effet (un roman au lieu d’être un poëme), il s’agit du même terroir et du même ciel que dans Miréio, c’est-à-dire du Midi et de ses mœurs ardentes, saisies et reproduites avec une observation passionnée dans ce qu’elles ont de vivant encore, et jusqu’à ce jour d’inaliénable… Amour et souvenance de la patrie dont les premières impressions teignent à jamais le talent et teignent bien plus fort le génie, sentiment profond des poésies du sol, recherche de la vie où elle est, c’est-à-dire dans les classes populaires, plus près que nous de la nature, préoccupation des choses primitives que tous les jours, hélas ! […] IV Et il n’y avait d’ailleurs qu’un artiste enfant à son aurore, et charmant comme tous les enfants et comme toutes les aurores, qui pût naïvement s’encharmer, — et à ce point, — d’une tragédie de Voltaire ; et un initiateur de vocation, qui pût s’atteler à ce projet de la faire jouer, cette tragédie, dans son village, malgré l’indifférence, les railleries, les routines, l’inintelligence, les obstinations des circonstances et des hommes, toujours plus bêtes qu’elles… Pour que la donnée du livre de M. de La Madelène fût admissible, il fallait Espérit ; il fallait cette perle de poésie éveillée, d’enthousiasme, de candeur, de finesse, de douceur infatigable ; il fallait ce lunatique irrésistible qui finit par les emporter dans sa nuée, les plus récalcitrants, les plus lourds à soulever, les plus attachés à la terre, et qui fait jouer un jour, et qui qu’en grogne, sa tragédie devant dix villages rassemblés !