/ 2218
823. (1889) Derniers essais de critique et d’histoire

Mais telle est l’humeur de ces gens-ci ; il y en a même plusieurs qui prennent les pieds d’un chapon et les font pendre par-dessous leur manteau, comme s’ils avaient effectivement un chapon et cependant ils en ont que les pieds. » — Au reste, parmi leurs cuirs et leurs tire-pieds, ceux-ci vivent en seigneurs. […] « Quand elles marchent, il semble qu’elles volent ; en cent ans, nous n’apprendrions pas cette manière d’aller ; elles vont sans lever les pieds, comme lorsqu’on glisse… » La flamme intérieure leur sort des yeux. […] — Hier, à la nuit tombée, au pied de la montagne, la campagne entière nageait dans une blancheur laiteuse si sereine et si molle, qu’on se sentait à Taise comme chez un ami. […] « Savez-vous bien, disait La Fontaine, que, pour peu que j’aime, je ne vois les défauts des personnes non plus qu’une taupe qui aurait cent pieds de terre sur elle ? […] Le pied, d’abord trop étalé et trahissant une parenté simienne, s’est arqué et est devenu plus élastique pour le saut ; le talon, d’abord avachi et veule, s’est circonscrit dans un ovale net.

824. (1890) La vie littéraire. Deuxième série pp. -366

Prosternés aux pieds de l’Enfant-Dieu, les trois rois mages présentaient l’or, la myrrhe et l’encens. […] Agamemnon s’y voit assis sur un trône en X, à pieds de chèvre. […] Les philosophes qui recherchent les principes et les causes ressemblent, a-t-on dit, aux éléphants qui, en marchant, ne posent jamais le second pied à terre que le premier n’y soit bien affermi. […] … FRYLEUSE, prenant dans sa main le pied de madame d’Houbly et le regardant avec admiration. — Quel pied ! […] Chevaliers, bourgeois, manants, clercs, trouvères, jongleurs, m’apparaissent comme ces insectes qui peuplent l’herbe à nos pieds.

825. (1907) Propos de théâtre. Quatrième série

Ô fou que tu es, tu as un pied de rouge sur les joues. — Octave : Ô Cœlio, fou que tu es, tu as un pied de blanc sur les joues. — Cœlio : Que tu es heureux d’être fou ! […] On ne peut pas être plus vrai, de la tête aux pieds et de tous les mouvements et de tous les gestes. […] Pieds et poings liés, voilà comment la loi jette la femme aux mains de l’homme. […] La terre a tourné sous ses pieds : « Mme d’Orcieu est la maîtresse de mon mari depuis sept ans. […] Je me sens sur un terrain qui se déroberait tantôt sous mon pied gauche et tantôt sous mon pied droit.

826. (1890) Derniers essais de littérature et d’esthétique

Et de cette superbe explosion de passion  : Tu n’es point né pour la mort, immortel oiseau, Ni pour que des générations affamées te foulent aux pieds. […] Rossetti plus loin, pour le voir barboter dans la vase qu’il a faite lui-même avec ses pieds. […] Charles Bowen est une forme de l’hexamètre anglais, avec le dissyllabe final contracté en un pied d’une seule syllabe. […] Il semble que la rime soit absolument nécessaire à tout mètre anglais qui cherche à obtenir la rapidité du mouvement, et il n’y a pas dans notre langue assez de doubles rimes pour permettre de conserver ce pied final de deux syllabes. […] Elle balaie du rivage le navire, et sur la route accoutumée, le chasseur montagnard va là où son pied ne glissa jamais.

827. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1891 » pp. 197-291

Et, en effet, comme si je l’avais demandé, au moment où je posais le pied sur la dernière marche, un vieux landau s’engageait à reculons devant moi, dans l’allée resserrée entre de hauts murs, et si étroite que je ne pouvais voir l’attelage, — et l’allée, longue, longue, ne finissait pas. […] Je l’ai retiré pour qu’il mourût en paix dans un bain de pied. […] Et c’est un amusant spectacle, par ces temps de chaleur, de voir la petite chatte y chercher le frais, le ventre étalé sur le marbre aux pieds de l’Amour. […] Vendredi 18 septembre Jeanne, la jeune mariée, a eu une crise nerveuse, cette nuit, et Daudet qui a passé une partie de la nuit sur pied, a été poursuivi dans son insomnie par l’idée d’une pièce qu’il me conte, ce matin. […] Lundi 28 décembre Voilà, tout près d’un mois, que je n’ai mis le pied dehors, et je commence à avoir une envie de la marche dans les rues de Paris, du badaudage devant les étalages, de la poussée de certaines portes de marchands.

828. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Saint-Arnaud. Ses lettres publiées par sa famille, et autres lettres inédites » pp. 412-452

c’est la fin de l’automne ; il a des désirs de revoir la France : « Je voudrais voir la neige de France, dût-elle être haute de six pieds dans les rues. » Revenir en France et avoir une grande guerre en Europe, une guerre régulière, y être employé, c’est là son vœu. […] » Puis, à d’autres jours, la patience manque ; un mauvais vent du désert se remet à souffler ; à force de guerroyer et de courir, de mener de razzia en razzia sa colonne infernale, de s’ingénier (périlleux problème) à soumettre les Arabes par les Arabes, de vouloir créer et fonder par tout le pays de petits forts de sûreté où les chefs amis, les agas et les caïds puissent se maintenir et se défendre au besoin, et brider les tribus rebelles ; à force d’être sur pied nuit et jour, et de se ronger au gîte quand on y est retenu, à force de se passionner pour tout, on se consume, on s’use avec une rapidité effrayante : « Je veux trop bien faire et trop de choses, et je prends tout trop à cœur ; c’est le propre des âmes généreuses, mais ces âmes-là ne vivent pas longtemps ; elles s’usent trop vite, et je le sens, mais il n’est plus temps de se changer. » Quelques visites de France apportent des diversions dans cette vie locale si dévorante. […] Le 10 août, mauvais jour, nous nous sommes défendus pendant cinq heures pied à pied contre un saut aérien d’où personne ne serait redescendu par terre à l’état complet.

829. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque (2e partie) » pp. 81-155

» II Quelquefois, rarement, des saisons riantes, des images gracieuses, mais importunes, lui rendent au cœur et aux sens la sève de ses jours heureux ; puis la pensée que Laure n’est plus là change tout cet éblouissement de la vie en ténèbres ; comme dans le sonnet suivant : « Voici le vent tiède et doux de la mer qui ramène les beaux jours, et l’herbe, et les fleurs qu’il fait renaître, et le gazouillement de l’hirondelle, et les mélodies tendres du rossignol, et le printemps tout blanchi et tout empourpré des boutons qu’il colore sous ses pieds. […] Mon âge, mes cheveux blancs, mon embonpoint, qui font de moi un homme sans conséquence, devraient écarter tous les soupçons ; mais je connais le monde : il voit le mal souvent où il n’est pas, et il trouve des traces dans des endroits même où le pied n’a pas porté. […] Mais quand vous verriez à vos pieds un vieillard faible, devenu infirme, qui ne peut aspirer qu’au loisir et au repos, je suis sûr que vous me renverriez bien vite dans ma maison. » XXIII Bien qu’il ne touchât pas encore aux années de la caducité humaine, sa santé était gravement altérée par des accès de fièvre intermittente qui l’assaillaient presque tous les ans pendant les mois de septembre et d’octobre. […] La distance d’Arquà aux grandes villes y défendait Pétrarque de l’importunité des visiteurs trop attirés par sa renommée ; cette retraite était propre à contempler la vie de loin, sous ses pieds, et à attendre en paix la mort.

830. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIIe entretien. Madame de Staël. Suite. »

Joseph se crut obligé de n’y pas mettre les pieds pendant quelques semaines, et son exemple fut le signal que suivirent les trois quarts des personnes que je connaissais. […] Tous ceux qui se conduisaient mal envers moi se gardaient bien de dire qu’ils obéissaient à la crainte de déplaire au premier consul ; mais ils inventaient chaque jour un nouveau prétexte qui pût me nuire, exerçant toute l’énergie de leurs opinions politiques contre une femme persécutée et sans défense, et se prosternant aux pieds des plus vils Jacobins, dès que le premier consul les avait régénérés par le baptême de la faveur. […] Pendant le souper, le premier consul était debout derrière la chaise de madame Bonaparte et se balançait sur un pied et sur l’autre, à la manière des princes de la maison de Bourbon. […] Certes, pour toute autre âme que la sienne, ce n’était pas une bien tragique rigueur du sort qu’une résidence plus ou moins contrainte dans le château de sa famille, auprès d’un père adoré et d’enfants chéris, au sein de la plus pittoresque contrée de l’Europe, au bord du lac qui roule autant de poésies que de vagues, au pied des jardins de Coppet, entre Lausanne et Genève, deux villes habitées et visitées par l’élite des voyageurs lettrés ou illustres de toute l’Europe ; consolée dans sa propre patrie par toutes les délices de l’opulence et par tous les charmes d’une grande hospitalité !

831. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1886 » pp. 101-162

Marvejols m’entretenait de Blaquière, l’auteur de Thérésa, le librettiste de la Femme à barbe, le noctambule par excellence, et qu’il voyait, un matin, surgir dans sa chambre, s’asseoir sur le pied de son lit, et lui dire d’une voix, où il y avait encore l’enrouement de l’ivresse : « Il vient de m’arriver une chose bien étrange, cette nuit… on m’a mené à un poste, que je ne connaissais pas !  […] Mercredi 28 avril Oui, j’ai le dédain de l’humanité, que je côtoie chez les grands, et le laisse un peu trop voir, mais j’en ai le droit, ayant méprisé dans ma vie bien des choses, aux pieds desquelles, je l’ai vu agenouillée, cette humanité-là. […] Il disait encore une certaine déformation du plein de la cuisse, et très souvent des zébrures de varices dans les jambes, et le pied conservant sa blancheur, mais sous une peau sèche, et comme pulvérulente. […] Mardi 9 novembre On reprend aujourd’hui la scène entre le frère et la sœur du second acte, et de une heure et demie à cinq heures Porel fait mettre Cerny, plus de trente fois à genoux, pour la forcer à attraper le mouvement de s’agenouiller aux pieds de son frère, et de le faire virevolter sur lui-même, en le saisissant par les revers de sa redingote.

832. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

               Chante, écouter… Entendre au pied du saule où l’eau murmure                L’eau murmurer ; Ne pas sentir, tant que ce rêve dure,                Le temps durer ; Mais n’apportant de passion profonde                Qu’à s’adorer, Sans nul souci des querelles du monde,                Les ignorer ; Et seuls, heureux devant tout ce qui lasse,                Sans se lasser, Sentir l’amour, devant tout ce qui passe,                Ne point passer240 ! […] Même dans le Zénith, à côté de choses admirables il y a encore trop de choses mises en vers, quoique en très beaux vers : Nous savons que le mur de la prison recule ; Que le pied peut franchir les colonnes d’Hercule, Mais qu’en les franchissant il y revient bientôt ; Que la mer s’arrondit sous la course des voiles ; Qu’en trouant les enfers on revoit les étoiles ; Qu’en l’univers tout tombe, et qu’ainsi rien n’est haut. […] Il y a de l’éloquence dans ces vers où Caïn raconte comment il est né, comment Eve, au sortir de l’Éden, les flancs et les pieds nus, s’enfonçant dans l’âpre solitude, l’enfanta : Mourante échevelée, elle succombe enfin, Et dans un cri d’horreur enfante sur la ronce Ta victime, Jahvèh ! […] Coppée est le paisible habitant de Paris qui, du plus loin qu’il se souvienne, se retrouve suivant ces mêmes boulevards qu’il arpente aujourd’hui d’un pas à peine plus tranquille : Et quand mes petits pieds étaient assez solides.

833. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Gustave Flaubert. Étude analytique » pp. 2-68

C’est ainsi que fréquemment, à défaut d’un vocable nombreux, il modifie par une virgule la prononciation d’un mot indifférent, contraignant à l’articuler tout en longues : « Ça et là un phallus de pierre se dressait, et de grands cerfs erraient tranquillement, poussant de leurs pieds fourchus des pommes de pin, tombées. » Joints enfin par des transitions ou malhabiles ou concises et trouvées, telles que peut les inventer un écrivain embarrassé du lien de ses idées, les paragraphes se suivent en lâches chapitres qu’agrège une composition Ou simple et droite comme dans les récits épiques, ou diffuse, et lâche comme dans les romans. […] Sa voix maintenant prenait des inflexions plus molles, sa taille aussi ; quelque chose de subtil qui vous pénétrait se dégageait même des draperies de sa robe et de la cambrure de son pied. » Et cet art de raccourci qui surprend en chaque être le trait individuel et différentiel, atteint dans la Tentation de saint Antoine une perfection supérieure ; dans ce livre où chaque apparition est décrite en quelque phrases concises, il n’en est pas qui ne fixe dans le souvenir une effigie distincte, dont quelques-unes — la reine de Saba, Hélène-Ennoia, les femmes montanistes  sont inoubliables. […] Sous les platanes, dans un jardin diapré de lis et de roses, les mercenaires célébrant leur festin ; la lente apparition de Salammbô descendue les apaiser, à la fois peureuse et divine, l’expédition nocturne de Mathô et Spendius dans le temple de Tanit, l’horreur de ces voûtes et le charme du passage du chef par la chambre alanguie où Salammbô dort entre la délicatesse des choses ; le retour d’Hamilcar, son recueillement dans la maison du Suffète-de-la-Mer ; Salammbô partant racheter de son corps le voile de la déesse, son accoutrement d’idole et ses râles mesurés, quand le chef des barbares rompt la chaînette de ses pieds ; puis le siège énorme de Carthage, la foule des peuplades accourues, l’écrasement des cadavres, l’horreur des blessures, et sur ce carnage rouge, l’implacable resplendissement de Moloch ; l’agonie de toute une ville, puis par un revers l’agonie de toute une armée, les dernières batailles, et, entre celles-ci, l’entrevue si curieusement mièvre et grave, où Salammbô voilée et parlant à peine reçoit le prince son fiancé en un jardin peu fleuri que passent des biches traînant à leurs sabots pointus, des plumes de paons éparses ; enfin le supplice de Mathô et les joies nuptiales, mêlant des chocs de verres et des odeurs de mets au déchirement d’un homme par un peuple, jusqu’à ce qu’aux yeux de Salammbô défaillante en l’agitation secrète de ses sens, Schahabarim arraché au supplicié son cœur et le tende tout rouge au rouge soleil, final tonnant dans lequel se mêlent le beau, l’horrible, le mystérieux et l’effréné en un suprême éclat. […] Il peinait, il souffrait ; les minuties toujours mieux aperçues de son métier, bornaient de plus en plus son horizon intellectuel ; il souhaita des succès de livres, puis des succès de pages, puis des succès de phrases5 ; il sacrifia graduellement toute sa vie à sa passion ; il vécut dans le sourd malaise des phénomènes, qui logent en leurs corps une âme hétéroclite, jusqu’à ce que cette despotique activité cérébrale, après avoir imposé au corps, sans en être atteinte, une maladie nerveuse  l’épilepsie transitoire6 de sa jeunesse ; et de sa vieillesse  l’anéantit et le foudroyât au pied de sa table de travail par une dernière et délétère victoire d’un organe sur un organisme.

834. (1857) Cours familier de littérature. III « XIVe entretien. Racine. — Athalie (suite) » pp. 81-159

Lasse enfin des horreurs dont j’étais poursuivie, J’allais prier Baal de veiller sur ma vie, Et chercher du repos au pied de ses autels… Que ne peut la frayeur sur l’esprit des mortels ! […] Les rois des nations, devant toi prosternés,         De tes pieds baisent la poussière ; Les peuples à l’envi marchent à ta lumière. […] Abner , se jetant aux pieds de Joas. […] Quand nous ne voudrons qu’être émus, nous irons au pied d’un échafaud, et nous regarderons tomber la tête d’un supplicié sous le couteau qui glisse et qui tue ; mais quand nous voudrons de l’émotion par le beau, nous irons assister à Athalie, écrite par Racine, récitée par Talma ou par Mlle Rachel.

835. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « III. M. Michelet » pp. 47-96

Nous ne suivrons point pied à pied M.  […] Un demi-siècle, qui a brisé sous son pied justement méprisant la philosophie du dix-huitième, n’a pu mûrir cette tête qui (Diderot l’aurait dit !) […] Elle l’a flétrie dans ses plus belles pages, elle l’a foulée sous ce pied que Rivarol, toujours magnifique, même quand il s’abaissait jusqu’au calembour, appelait avec flatterie : un piédestal.

836. (1836) Portraits littéraires. Tome II pp. 1-523

Il a défendu pied à pied contre la déclamation vulgaire et le paradoxe anecdotique le terrain du goût et du bon sens. […] Elle a été Chérubin des pieds à la tête, mais Chérubin lisant Beaumarchais sous les yeux de Marivaux. […] Elle n’entend que la voix des anges, et le bruit qui se fait à ses pieds est pour elle comme s’il n’était pas. […] est-ce l’abandon qu’elle veut consoler, ou la fierté sauvage qu’elle a résolu d’amener à ses pieds ? […] Molière aussi est livré pieds et poings liés à l’impitoyable tradition.

837. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De la dernière séance de l’Académie des sciences morales et politiques, et du discours de M. Mignet. » pp. 291-307

Quelques-uns de vos lecteurs vous prenaient au pied de la lettre dans vos explications fatalistes ; ils disaient : Quel révolutionnaire terrible ! […] Ici, maître de son terrain, manœuvrant de pied ferme, prenant son temps et ses mesures, il étudie les faits, il les ordonne et les combine, il les appuie et les enchaîne dans des compositions savantes qui ont de l’intérêt, du jugement, de la force et des parties d’éclat.

838. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres de François Arago. Tome I, 1854. » pp. 1-18

Biot, esprit plus fin, plus littéraire jusqu’au milieu de la science, raconte en ces termes les impressions qu’il ressentait durant ces mois de veilles, d’observation inquiète et d’attente : Combien de fois, assis au pied de notre cabane, les yeux fixés sur la mer, n’avons-nous pas réfléchi sur notre situation et rassemblé les chances qui pouvaient nous être favorables ou contraires ! […] Un grand portrait de lui, un portrait en pied, serait à faire, et, si on le traitait de la même manière qu’il a traité les autres, Monge par exemple, et pas plus délicatement, il s’y peindrait tant bien que mal tout entier.

839. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal du marquis de Dangeau — I » pp. 1-17

Vers le temps où Monseigneur prend cette résolution, on remarque chez Dangeau une phrase qui revient presque constamment chaque jour, par exemple : « Monseigneur se promena à pied dans les jardins avec Mme la princesse de Conti et les filles. — Mme la Dauphine passa l’après-dînée chez Mlle Bezzola ; elle y va les jours que Mlle Bezzola n’a point eu la fièvre. » Mlle Bezzola était une femme que la Dauphine avait amenée d’Allemagne, son intime confidente, et à laquelle elle était très attachée. […] il devient sensible que Monseigneur, même les jours où il chasse, chasse moins longtemps ; il se promène plus volontiers à pied dans les jardins : « Jeudi 2 (mai 1686), à Versailles. — Monseigneur alla courre le loup dans la forêt de Livry, d’où il vint d’assez bonne heure pour se promener avec les dames. — Mme la Dauphine passa l’après-dînée chez Mlle Bezzola. » Et le samedi 4, deux jours après : « Mme la Dauphine se devait embarquer sur le canal avec Monseigneur, qui lui avait fait préparer une grande collation à la ménagerie ; la pluie rompit cette promenade-là ; Monseigneur ne laissa pas d’y aller avec Mme la princesse de Conti. » Et toujours le refrain de chaque jour : « Mme la Dauphine passa l’après-dînée chez Mlle Bezzola. » Eh bien, tout cela veut dire : Monseigneur, qui n’était jusqu’alors qu’un farouche Hippolyte et un chasseur de bêtes sauvages, s’est apprivoisé ; il y a auprès de la princesse de Conti et dans sa suite quelque beauté qui a opéré le miracle ; la Dauphine, qui est maussade, et qui vit trop seule, enfermée avec sa Mlle Bezzola, a contribué peut-être à cet éloignement, et, comme elle en est triste, elle va en parler plus que jamais avec cette même Mlle Bezzola.

840. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourgogne, par M. Michelet »

On traversa, on renversa la nature, sans pouvoir y prendre pied et s’y arrêter. […] Un Faune malin écoute le jeune Bacchus, que Silène instruisait, pendant qu’assis au pied d’un vieux chêne il récite ou chante des vers, et le demi-dieu folâtre marque à Silène, par un ris moqueur, toutes les fautes du dieu ; les Naïades et les autres Nymphes du bois souriaient aussi.

841. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Octave Feuillet »

Le sujet, c’est le sujet éternel de la force domptée par la faiblesse, du lion amoureux, d’Hercule aux pieds d’Omphale, de Samson énervé par Dalila : d’où le titre même. […] Elle a d’elle-même l’idée de dresser, à un endroit du parc d’où l’on voit l’Océan, une espèce d’autel ; ou, du moins, une table de pierre celtique au pied d’un chêne lui en tient lieu.

842. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Préface »

Dalloz, improvisa au pied levé et sur sa demande un article sur un livre qu’il parcourait depuis deux jours, et où il avait vu l’élément d’un article « d’entrée et de début, disait-il ; il faut être vif et court ; ce sera pour commencer, si Dalloz veut… » Il ne doutait point que M.  […] Sainte-Beuve disait à un ami en face de lui, dans une de ces conversations familières qui le prenaient parfois après une forte journée de travail : « Je ne me serais pas cru libre dans un journal qui porte un emblème en tête (il montrait le Journal officiel) ; il faut trop se ranger, quand on marche sous une bannière ; on a peur de marcher sur le pied de son voisin ; on se gêne ou l’on gêne ; on n’est plus là pour discuter, mais pour suivre ; on est enrôlé ; allez donc discuter les affaires de Rome, par exemple, comme on les sent, dans un journal qui épouse tant là légitimité que cela ; qui semble voué à la reine Marie-Antoinette ; oh il est sans cesse question d’elle !

843. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Conclusion. »

tout ce que vous pouvez pour l’homme infortuné, c’est d’essayer de le convaincre qu’il respirerait un air plus doux dans l’asile où vous l’invitez ; mais si ses pieds sont attachés à la terre de feu qu’il habite, vous paraitra-t-il moins digne d’être plaint ? […] pardonnez, vous êtes vainqueurs, la terreur ou l’enthousiasme prosternent à vos pieds plus de la moitié de l’univers ; mais qu’avez-vous fait encore pour le malheur, et qu’est-ce que l’homme, s’il n’a pas consolé l’homme, s’il n’a pas combattu la puissance du mal sur la terre ?

844. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre III. Théorie de la fable poétique »

»208 C’est le même homme dont « la voix d’airain, semblable au cri d’une trompette », renverse dans la plaine les Troyens et leurs chars, et qui, le pied sur la poitrine d’Hector suppliant, l’insulte et le menace : « Chien, ne me supplie ni par mes genoux ni par mes parents. […] Quand nous voyons un noble chêne, dont les racines s’enfoncent dans le sol comme des pieds d’athlète, étendre ses branches noires chargées de feuilles sonores, et dresser son tronc serré par l’écorce comme par des muscles tendus, nous l’imaginons plus grand et plus fort encore ; nous élargissons sa voûte, nous tordons son écorce, nous raidissons ses bras, nous couvrons sa masse sombre d’une plus riche lumière, et il nous semble alors que la nature n’a pu accomplir son dessein, que ses lois ont entravé son action, que son oeuvre n’est pas égale à son génie.

845. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre I. La lutte philosophique »

Le Parlement n’avait guère plus de force conservatrice que l’épiscopat : le zèle aveugle de ses magistrats le discréditait sans sauver la religion ni la société ; les Gilbert de Voisins, les Omer de Fleury, les Séguier, toujours prêts à requérir contre les Lettres anglaises, l’Encyclopédie, le Bélisaire, l’Emile, comme contre l’inoculation, le jésuitisme et l’ultramontanisme, avilirent leur compagnie par le ridicule qui s’attache aux violences impuissantes ; ils décuplèrent la puissance des œuvres qu’ils faisaient brûler au pied du grand escalier de leur palais. […] Le parti philosophique s’est organisé, discipliné ; il a ses chefs, ses mots d’ordre, il manœuvre d’ensemble, docilement ; opposant intolérance à intolérance, fanatisme à fanatisme, exclusif, étroit, violent, comme les adversaires qu’il combat, il a pris pied à l’Académie française avec Dalembert, qui peu à peu l’y installe, et la lui asservit.

846. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Mme de Graffigny, ou Voltaire à Cirey. » pp. 208-225

Ce paradis terrestre, il le trouva, il se le créa, et c’est à Cirey, auprès de Mme du Châtelet, qu’il en avait choisi le lieu, non sans art, dans un pays de frontières, un pied en Lorraine et l’autre en France. […] Mais, dès qu’il s’est mis à table, il se pique et s’excite jusqu’à ce qu’il ait trouvé quelque conte à faire, bien facétieux, bien drôle, bien bouffon, qui n’est souvent bon à entendre que dans sa bouche, et qui nous le montre encore, comme il s’est peint à nous, Toujours un pied dans le cercueil, De l’autre faisant des gambades.

/ 2218