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1051. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Octave Feuillet »

Leonora, belle, éblouissante, avide de sensations, ardente dans ses fantaisies, froide de cœur, n’a pas de peine à enlever le jeune et fragile artiste : ce n’est rien de lui avoir jeté son bouquet sur la scène, et son mouchoir par mé-garde avec le bouquet, comme dans un vrai délire d’enthousiasme, il faut voir comme ensuite, dans la visite qu’il lui fait, elle le pique au jeu, lui bat froid, le mortifie, lui tient la dragée haute, le tourne et le retourne à plaisir, comme elle fait tout, en un mot, pour le chauffer, l’enflammer ; elle lui met au cœur un de ces amours furieux, dévorants, à la Musset, qui vous tuent sur place, ou qui vous laissent, pour le restant de vos jours, n’en valant guère mieux. […] En un mot, j’admets tous les genres en fait de roman, et je ne m’inquiète que de la manière dont ils sont traités. […] Ils ont échangé à peine quelques mots et ne se revoient plus. […] C’est insensé : car d’abord Raoul n’a point là-dessus de parti pris absolu et irrévocable ; car, de plus, Sibylle, qui exerce un grand ascendant sur lui, doit espérer, Dieu aidant, de modifier son opinion et de l’amener à la sienne ; car, même chrétiennement parlant, il n’y a pas lieu, en pareil cas, de jeter le manche après la cognée, puisque saint Paul a écrit que « la femme fidèle justifierait le mari infidèle. » Aussi, à partir de ce moment, tout intérêt selon moi, cesse raisonnablement de s’attacher à Sibylle, qui se conduit en personne peu éclairée, en fille volontaire et opiniâtre, en fanatique fidèle à la lettre plus qu’à l’esprit, et, pour trancher le mot, comme une petite sotte. […] Le dernier mot de l’énigme, la solution, est encore, comme dit le poète, dans les genoux de Jupiter.

1052. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre onzième. »

Il courait d’autres bons mots sur le malheur de sa complicité dans les intrigues du parti de Condé. […] Lui aussi a loué les mots en combattant les choses, et a fourni une autorité à cette vaine dispute de la forme et du fond. […] Le rapport des mots aux choses y est exact, le tour en est conforme au génie de notre langue ; et pourtant cette pensée nous laisse des doutes. […] Peut-être ne manque-t-il qu’un mot, un amendement, relatif soit au temps, soit aux personnes, pour faire de cette pensée une vérité incontestable. […] Ce sont des mots à remettre au vocabulaire, pour l’écrivain qui saura leur donner la vie en les employant au service de la vérité.

1053. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Mme de Graffigny, ou Voltaire à Cirey. » pp. 208-225

Croyez-en ma parole, le monde entier se renverserait plutôt, que la constance de mon étoile à me persécuter. » Ce sentiment habituel du malheur s’exprime quelquefois chez elle par des mots touchants, qui se font remarquer au milieu d’un langage dont le ton ordinaire n’était pas toujours très distingué. […] Mais le grand événement du séjour de Mme de Graffigny à Cirey est la scène qui lui fut faite un soir pour un simple soupçon au sujet de la fameuse Jeanne, de La Pucelle en un mot, dont elle avait entendu et trop bien goûté certains chants. […] Devaux adressée à Mme de Graffigny, elle y lut ces mots : « Le chant de Jeanne est charmant. […] Mme de Graffigny finit par juger Voltaire « le plus malheureux homme du monde » : Il sait tout ce qu’il vaut, dit-elle, et l’approbation lui est presque indifférente ; mais, par la même raison, un mot de ses adversaires le met ce qui s’appelle au désespoir : c’est la seule chose qui l’occupe et qui le noie dans l’amertume. […] Je n’aurai qu’un mot à dire de Mme de Graffigny, du moment qu’elle a quitté Cirey pour Paris et qu’on n’a plus affaire qu’à elle seule.

1054. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame la duchesse d’Angoulême. » pp. 85-102

Il est un point de vue pourtant, si un tel mot est permis en présence d’une figure si simple et si vraie, et la plus étrangère à toute attitude solennelle, il est un point de vue qui sera particulièrement le nôtre. […] Elle a raconté l’histoire de sa captivité et des événements arrivés au Temple depuis le jour où elle y entra jusqu’au jour où y mourut son frère, et elle l’a fait d’un style simple, correct, précis, sans un mot de trop, sans une phrase, comme il sied à un cœur profond et à un esprit juste parlant en toute sincérité des douleurs vraies, de ces douleurs véritablement ineffables et qui surpassent tout ce qu’on en peut dire. […] On fit venir mon médecin… Heureusement, ce mot échappé par mégarde dans cette image de douleur fait un effet étrange et qu’une parole à la Bossuet n’égalerait pas. […] » s’écrièrent les généraux en levant la main. — « Je ne vous demande pas de serments, répliqua-t-elle avec un geste de pitié dédaigneuse ; on m’en a fait assez, je n’en veux plus 12. » Ce mot altier, elle avait droit de le dire, et certes peu de personnes ont vu de leurs yeux plus qu’elle jusqu’où peuvent aller, selon les temps, ou la méchanceté ou la versatilité des hommes. […] On cite peu de mots d’elle.

1055. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — II. (Fin.) » pp. 206-223

En un mot, dans Anacharsis le courant n’est jamais rapide, mais il suffit pour porter le lecteur qui n’est pas trop impatient, et à qui une élégante douceur, munie d’exactitude, fait pardonner le manque de nerf et d’originalité. […] En entendant ces nombres heureux et cette musique nouvelle unie à la couleur, on se rappelle le mot de Chênedollé, que « Chateaubriand est le seul écrivain en prose qui donne la sensation du vers ; d’autres ont eu un sentiment exquis de l’harmonie, mais c’est de l’harmonie oratoire : lui seul a une harmonie de poésie ». […] … » Ici Barthélemy a beau mettre une note pour citer son auteur, ce mot de singe, prononcé tout d’abord et dès l’exorde, en un tel lieu et dans un tel ordre d’idées, détonne et jure. […] Le vieux Ducis disait de Chateaubriand, qui lui avait accordé un éloge : « Ce qu’il a dit de moi n’est point une chose vulgaire, ni dite vulgairement : il a le secret des mots puissants. » C’est ce secret que cherche Barthélemy et qu’il n’atteint pas. Il n’a pas non plus, comme Bernardin de Saint-Pierre, cette magie plus douce des mots virgiliens.

1056. (1903) Zola pp. 3-31

Il est évident que, non seulement il n’a jamais su un mot d’histoire, mais qu’il n’a jamais ouvert un historien, ni un auteur de mémoires. Pas un mot, non plus, de philosophie, à quoi, je crois, du reste, qu’il n’eût rien compris. […] Il se croyait observateur, documentaire et, en un mot, réaliste ; il était, il restait et il devenait de plus en plus un romantique en retard, mais un romantique effréné. Comme les romantiques, il n’avait aucun instrument psychologique ni le moindre souci d’en avoir un, et il disait lui-même ce mot ébouriffant de la part d’un romancier : « Je n’ai pas besoin de psychologie. » Comme les romantiques, il voyait gros, il voyait énorme ; la moindre taupinée était mont à ses yeux ; et il y avait entre les objets et lui comme un mirage qui les enflait, les renflait, les grossissait, les élargissait et les déformait. […] Enfin ce goût de quelques romantiques, au nom de la liberté de l’art, pour le mot cru, la peinture brutale, était devenu chez Zola une véritable passion pour l’indécence et pour l’indécence froide et, si je puis dire, de sens rassis.

1057. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « J. K. Huysmans » pp. 186-212

Huysmans l’expédie en quelques phrases et consacre ses chapitres non plus au récit d’une série d’événements, mais à la description d’une situation, d’une scène, procède non par narrations successives avec de courtes haltes, mais par de larges tableaux reliés de brèves indications d’action ; et, comme tous les écrivains de cette école  avec de profondes différences personnelles  il possède un vocabulaire étendu et un style riche en tournures, apte, par des procédés divers, à rendre l’aspect extérieur des choses, à reproduire les spectacles, les parfums, les sens, toutes les causes diverses et compliquées de nos sensations, de façon à les renouveler dans l’esprit du lecteur par la voie détournée des mots. […] Attentif aux conversations qu’il a entendu bruire autour de lui, renseigné par ses observations sur les termes techniques des métiers, il a retenu et su employer tout un vocabulaire populacier, populaire, bourgeois et artiste, amasser et déverser un trésor de mots d’argot et d’atelier qui lui permet de noter des sensations et des émotions dans la langue même des personnes qui la ressentent, lui fournit le mot exact ou pittoresque qui illumine toute une phrase du charme de la bonne trouvaille. […] Il a d’admirables trouvailles de mots ; par l’appariement des paroles, il sait rendre la nature du choc nerveux brusque ou lent, dont l’affectent ses sensations. […] Huysmans est parvenu à reproduire intégralement par l’artifice des mots. […] Par la lecture de certains livres de théologie, de certains volumes de poésie savante, par de justes inventions, il enrichit et pare son langage, de vocables assoupis, longuement harmonieux et doux ; il les sertit et les associe en de lentes phrases, qui joignent le poli soyeux des mots, à la suavité de l’idée : « Sous cette robe tout abbatiale signée d’une croix et des initiales ecclésiastiques : P.

1058. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Gustave Droz » pp. 189-211

le mot est bien gros. […] — ayant toujours sous sa diable de plume, qu’on ne peut s’empêcher d’aimer, le mot impertinent, très réussi, quand il s’agit des choses religieuses, Droz, qui a même trouvé dans la monotonie de son procédé contre la dévotion du xixe  siècle la punition de s’en être moqué, Droz, qui prononce le nom de Dieu vers la fin de son livre, quand il est ému, aussi bêtement qu’un bourgeois, lui, le spirituel artiste ! […] Risquons le mot : il n’en a pas fait une canaille ! […] Les livres bien faits, on les explique en quelques mots. […] Ce qui domine, pour moi, dans ce livre, c’est l’esprit ; l’esprit étincelant, brillant, damasquiné ; l’esprit du dialogue, et du mot, et de la réplique ; l’esprit français dans toute sa gloire, qui ferait merveille à la scène, si on l’y parlait, — si Droz, par exemple, s’avisait un jour de faire du théâtre.

1059. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  premier article .  » pp. 326-341

Ils commentaient Corneille, ils analysaient Racine ; mais, dès qu’il s’agissait des Anciens, le temps manquait évidemment ; on courait, on tranchait d’un mot. […] Dugas-Montbel me paraît sous l’empire de sa préoccupation quand il veut interpréter en sa faveur le mot de M. […] Ce mot, au contraire, exprime à merveille la résistance invincible que la conscience littéraire oppose à un système ingénieux, mais subversif. […] Mais je ne saurais croire que ce soit là le cas d’appliquer le mot tant cité : « Il y a quelqu’un qui a plus d’esprit que Voltaire, c’est tout le monde. » Je conçois que dans le genre d’esprit de Voltaire, c’est-à-dire pour un certain bon sens critique et railleur, tout le monde, c’est-à-dire encore l’élite de Paris, puisse fournir l’équivalent. […] Un homme d’esprit a traduit le système d’un mot piquant : Au lieu du plus grand des poëtes, on aura dorénavant Homère par une Société de Gens de Lettres.

1060. (1861) Cours familier de littérature. XI « Atlas Dufour, publié par Armand Le Chevalier. » pp. 489-512

Voilà la Syrie ; à moins de la dépeupler, d’y détruire une race par l’autre et d’y appliquer le mot de Tacite : solitudinem faciunt , que voulez-vous faire ? […] Unifiez l’Italie sous des baïonnettes piémontaises, soulevez la Hongrie et la Bohême, agitez la Styrie et la Croatie, livrez la Saxe à la Prusse, faites de la Bavière et du Wurtemberg des vassalités forcées de Berlin, et vous aurez achevé, vous, Français, engoués par des mots qui sonnent le tocsin de vos périls futurs, la circonvallation de la France par ses ennemis ! […] Avec du cœur on fait de nobles imprudences ; avec des mots on soulève des peuples, c’est vrai ; mais avec des mots on ne refait pas des frontières ! […] En un mot, la main d’un enfant, grâce à cet atlas mnémonique du monde, nous décrirait le cours du temps, et sa voix nous raconterait jusqu’à nos jours les destinées universelles de la terre ; vous auriez cherché à faire un simple géographe, et vous auriez fait un historien, un moraliste, un philosophe, un politique, un théologien universel, un homme enfin embrassant d’un coup d’œil toutes les faces de l’humanité.

1061. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Leconte de Lisle, Charles-Marie (1818-1894) »

Leconte de Lisle, c’est toujours cette vieille histoire de la race d’Agamemnon « qui ne finit jamais », suivant le mot du poète. […] Si vous faites tant que de prendre les mots grecs, prenez-les en leur vraie forme et dites : Azis, qui est, à peu de chose près, la vraie prononciation ! […] Alexandre Dumas fils Si vous prenez Le Lac de Lamartine, la Tristesse d’Olympio de Victor Hugo, le Souvenir ou une des Nuits, celle que vous voudrez de Musset, vous aurez avec les chœurs d’Athalie, d’Esther et de Polyeucte, avec l’admirable traduction en vers de l’Imitation par Corneille, vous aurez à peu près le dernier mot de notre poésie d’amour terrestre et divin. […] Il ne se demande pas alors si un beau vers est une illusion dans l’éternelle illusion et si les images qu’il forme au moyen des mots et de leurs sons rentrent dans le sein de l’éternelle Maïa avant même d’en être sortis. […] Ce poète impersonnel, qui s’est appliqué avec un héroïque entêtement à rester absent de son œuvre, comme Dieu de la création, qui n’a jamais soufflé mot de lui-même et de ce qui l’entoure, qui a voulu taire son âme et qui, cachant son propre secret, rêva d’exprimer celui du monde, qui a fait parler les dieux, les vierges et les héros de tous les âges et de tous les temps, en s’efforçant de les maintenir dans leur passé profond, qui montre tour à tour, joyeux et fier de l’étrangeté de leur forme et de leur âme, Bhagavat, Cunacepa, Hy-pathie, Niobé, Tiphaine et Komor, Naboth, Quai’n, Néféroura, le barde de Temrah, Angantyr, Hialmar, Sigurd, Gudrune, Velléda, Nurmahal, Djihan-Ara, dom Guy, Mouça-el-Kébyr, Kenwarc’h, Mohâmed-ben-Amar-al-Mançour, l’abbé Hieronymus, la Xiraéna, les pirates malais et le condor des Cordillères, et le jaguar des pampas, et le colibri des collines, et les chiens du Cap, et les requins de l’Atlantique, ce poète, finalement, ne peint que lui, ne montre que sa propre pensée, et, seul présent dans son œuvre, ne révèle sous toutes ces formes qu’une chose : l’âme de Leconte de Lisle.

1062. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXII. La comtesse Guiccioli »

C’était Celle qui avait été sa vie dans le sens le plus intime et le plus poétique du mot. […] Je me disais que quand il s’agit de Byron et qu’on eut l’honneur d’en être aimée, il fallait quelque chose de plus… Je m’étais persuadé qu’une femme, au moins d’esprit, qui s’aviserait d’avoir du courage, après avoir si longtemps pensé au danger d’en avoir et qui prenait, au dernier moment de sa vie, le parti de dire le mot de la fin sur Byron, ne voudrait pas, uniquement, nous précipiter dans d’anciennes lectures déjà faites, et nous faire reprendre un bain déjà pris dans la même baignoire et dans la même eau. […] On a dit, je le sais bien que, tous les poëtes étaient, plus ou moins, des enfants sublimes ; mais pour être déjà ancien, le mot n’est pas plus vrai. […] Il est vain dans les deux sens du mot, et quoique plein, il est très vide… Le mot de la fin sur Byron ne sera jamais dit.

1063. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Gaston Boissier » pp. 33-50

John Lemoinne n’est pas un écrivain dans le sens compact, imposant, livresque du mot. […] — Et c’est le mot, ici, puisque le Christianisme va faire son entrée (veut-il nous faire croire) dans le monde, par la porte du paganisme. […] Une impulsion, mot bien commode ! […] Dès les premiers mots de ce livre, qui semble avoir l’indifférence de l’impartialité : La Religion romaine d’Auguste aux Antonins, l’auteur vise le Christianisme. […] Le stoïcisme et la philosophie platonicienne, dit joliment notre dandy, s’étaient donné le mot pour sauver « l’état social des dieux », et pour couvrir les bêtises de ces dieux, qui en faisaient beaucoup, on avait inventé les démons.

1064. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « IX. L’abbé Mitraud »

Assurément, il devait y avoir un mot caché à cette énigme. […] Il est évident, en effet, qu’au-dessous de toute cette battologie philosophique, l’auteur de la Nature des sociétés humaines ne sait pas ce qu’on doit entendre par ce mot de société dont il se sert, et qu’il en confond la notion métaphysique avec la notion historique des différents peuples qui se sont agités sur la terre et se sont efforcés de réaliser cet idéal de société qui, pour l’incrédule, n’est qu’une ironie et pour le chrétien qu’une aspiration ? […] Mais cet état des multitudes dans l’univers donne-t-il le droit d’affirmer à un penseur rigoureux que l’idéal social existe réellement sur la terre, en dehors de cette société, qu’on nous passe le mot : crépusculaire, créée par le christianisme entre les ténèbres de l’ancien monde et la lumière du Jour Divin ? […] Pourquoi les premiers mots qui vous frappent dans un écrit, ayant la prétention d’être une solution chrétienne à la grande question du temps présent, sont-ils une définition orde et païenne de la notion de Droit : « Le Droit est la résultante des besoins de la nature » ? […] Mitraud, qui parle de société et d’analyse comme il parle de tout, sans rigueur, sans serrer la voile d’une expression qui l’emporte à la dérive de toute pensée et le noie à la fin dans une écume de mots brillants, a-t-il analysé les éléments constitutifs de toute société ?

1065. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « L’Abbé Prévost et Alexandre Dumas fils » pp. 287-303

I C’est un vieux mot : « Les livres ont une destinée », et qui dit destinée dit mystère. Quand l’homme ne comprend plus rien à la vie, il invente et il applique, à tort et à travers, le mot de destin… Et il en est de même pour la Gloire, bien souvent aussi incompréhensible que la vie. […] Et ce fut justement ce mot-là que les critiques employèrent. […] Nous avons eu cette fameuse préface qui semble, aux trembleurs devant le talent de Dumas, le dernier mot de toute critique possible sur ce livre, irrévocablement immortalisé, et qui semble dire aux trembleurs : Si on s’y frotte, on s’y piquera ! […] Mais on est si heureux de se régaler de l’amour indécent de cette fille et de son… mettez le mot, si vous l’osez !

1066. (1896) La vie et les livres. Troisième série pp. 1-336

On jargonne quelques mots empruntés au vocabulaire des ateliers. […] Voilà le grand mot lâché. […] Jamais ce mot, depuis ce temps, ne m’est sorti du cœur. […] Ce mot me conforte en tous mes ennuis. […] Ces mots, dont le sens n’est point fixe, laissent au lecteur toute liberté.

1067. (1874) Premiers lundis. Tome II « Loève-Veimars. Le Népenthès, contes, nouvelles et critiques »

Le soin qu’il prend en sa préface de vouloir identifier le népenthès avec l’opium est peine perdue ; je m’en tiens, en le lisant, au népenthès d’Homère ; et ce titre, assez dans le goût allemand, et qui fait appel à l’érudition grecque, résume à merveille pour moi la variété multiple, curieuse, amusante, l’instruction étendue, agréablement bigarrée, légèrement moqueuse, le bon sens raffiné et salutaire, la saveur en un mot d’un livre écrit par l’un des plus distingués littérateurs en une époque comme celle de Lucien, où l’on se rappelle encore de bien loin son Homère, et où l’on extrait avec recherche le suc de toutes choses. […] Quoi qu’il advienne de ce jugement vénérable et suprême, pour ce que nous savons et voyons directement, nous avons bien le droit de dire que le caractère de notre littérature actuelle est avant tout la diversité, la contradiction, le pour et le contre coexistants, accouplés, mélangés, l’anarchie la plus inorganique, chaque œuvre démentant celle du voisin, un choc, un conflit, et, comme c’est le mot, un gâchis immense. […] En un mot, à chaque fait un peu général que vous cherchez à établir touchant cette pauvre littérature, l’exception se lève aussitôt et le ruine. […] Il emploie les mots selon leurs acceptions précises et distinctes, il sait être piquant, sans les violenter, sans pincer jusqu’au sang cette pauvre langue, sans la chatouiller à la plante des pieds, comme le héros d’un roman nouveau14 fait à sa maîtresse ; la pauvre langue et la maîtresse expirent de la sorte en des rires et des ébats convulsifs.

1068. (1874) Premiers lundis. Tome II « E. Lerminier. De l’influence de la philosophie du xviiie  siècle sur la législation et la sociabilité du xixe . »

Tel est ce mot méprisant sur les lettres qui revient assez fréquemment chez M. Lerminier et qui est excessif pour exprimer la simple préférence accordée aux applications historiques et philosophiques ; ce mot-là outre-passe à coup sûr sa pensée, et nous voyons avec reconnaissance et comme en expiation le nom d’André Chénier cité en dix endroits du même ouvrage. […] Lerminier ces mots rapides échappés aux hasards d’une plume ardente, c’est qu’ils sont assez rares pour pouvoir aisément disparaître ; et c’est qu’au degré d’autorité croissant qu’acquiert l’écrivain, ils tombent de plus haut et sont remarqués davantage. […] Roland a fini, comme Valazé, comme Condorcet : est-ce donc de ce seul mot rapetissant qu’il convenait de payer sa digne mémoire ?

1069. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre VI. Du raisonnement. — Nécessité de remonter aux questions générales. — Raisonnement par analogie. — Exemple. — Argument personnel »

Tantôt on dégagera l’idée générale du fait particulier : quand Bossuet, écoutant les vaines et banales condoléances des hommes dans les funérailles, les résume en ces mots : « On s’étonne de ce que ce mortel est mort », cette seule formule de la question le dispense de toute argumentation : et nous voyons tous que véritablement « c’est une étrange faiblesse de l’esprit humain, que jamais la mort ne lui soit présente ». […] Mais au cours d’une phrase surgit un mot qui tire le narrateur hors de sa voie : autre écart, autre retour brusque, pour s’égarer encore bientôt. […] Le pauvre enfant n’aurait qu’un mot à dire : il a reçu cent francs de sa mère. […] Une des sources les plus fécondes de la bouffonnerie grotesque, dont le théâtre contemporain a donné de si éclatants modèles, c’est précisément la comparaison des idées particulières, des circonstances purement locales et individuelles, en un mot la comparaison des incomparables.

1070. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre I. Un retardataire : Saint-Simon »

Il écrit avec ses nerfs : il cherche les mots qui équivalent à son sentiment, mots à la mode, ou du vieux temps, mots de boutique ou de village, et mots de cour, vertes locutions, ou tours délicats.

1071. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VI. Le charmeur Anatole France » pp. 60-71

On a tôt dit ce mot en parlant de M.  […] Il est arrivé dans le choix des mots et des tours discrets à une telle subtilité qu’avec moins de trois mille mots, j’en suis sûr, il n’est pas de nuance d’émotion et d’ironie qu’il ne rende sensible aux initiés. Il semble qu’en son style les mots du Petit Larousse prennent une valeur pantominale d’évocation.

1072. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les petites revues » pp. 48-62

Des bêtises et des mots bêtes. […] Huysmans. »   « … Pour moi, la poésie est l’interprétation du monde confiée à la seule sympathie (prise au sens philosophique du mot). […] « La versification est l’art de choisir et d’adonner les mots de manière à en tirer une expression musicale qui en complète l’expression littérale. […] Charles Vignier comparait le poète à un magicien qui préside aux incantations en marmottant des mots de cabale et qui échoue si « le vers ou la phrase maléfique ne sont figés dans leur impermutable expression ».

1073. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIV. Rapports de Jésus avec les païens et les samaritains. »

Ce qui est certain, c’est qu’il compta parmi ses disciples plusieurs des gens que les Juifs appelaient « Hellènes 657. » Ce mot avait, en Palestine, des sens fort divers. […] Il dit pour la première fois le mot sur lequel reposera l’édifice de la religion éternelle. […] Le mot de Jésus a été un éclair dans une nuit obscure ; il a fallu dix-huit cents ans pour que les yeux de l’humanité (que dis-je ! […] Mais l’éclair deviendra le plein jour, et, après avoir parcouru tous les cercles d’erreurs, l’humanité reviendra à ce mot-là, comme à l’expression immortelle de sa foi et de ses espérances.

1074. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Première partie. Plan général de l’histoire d’une littérature — Chapitre IV. Moyens de déterminer les limites d’une période littéraire » pp. 19-25

La seconde période, qui va de la Renaissance jusqu’à la Restauration, au début de notre siècle, est l’époque classique, en rendant à ce mot le sens exact qu’il devrait toujours avoir ; j’entends par là que la littérature ? […] Puis, cette désignation laisse encore à désirer au point de vue de la précision ; le mot de siècle est trop vaste ; le mot d’époque vaudrait mieux, à condition d’être précisé par les deux dates qui enferment le gouvernement personnel du Roi-Soleil (1661-1715). […] Mais le romantisme, qui n’admet plus le style noble, les règles de Boileau, la séparation des mots et des genres en castes nettement tranchées, bref, qui abolit l’ancien régime en matière littéraire, ne triomphe que dans les trente premières années de notre siècle.

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