Des siècles s’écouleront avant que nous sachions l’art de porter la lumière dans les matières du raisonnement, et qu’à cette clarté du récit nous joignions la clarté toute spirituelle de la raison faisant voir l’enchaînement de pensées pures, comme le chroniqueur fait voir la suite d’événements historiques. […] Froissart s’ennuie de la paix, parce qu’elle ne donne matière ni à raconter ni à peindre. […] Ses chroniques en sont l’image si fidèle, et son art suffit si complètement à sa matière, qu’il a fait de la chronique comme un genre parfait en soi, qui a devancé la venue de la littérature. […] Ce n’est plus le chroniqueur complaisant qui fait payer innocemment à la vérité historique les frais de l’hospitalité des princes qui l’hébergent, ni l’Indiciaire officiel, qui fait du récit un panégyrique c’est un grave personnage qui juge les choses et les hommes, non sans se tromper, mais sans s’amuser de sa matière, comme Froissart, et sans la travestir, comme Christine de Pisan et les chroniqueurs bourguignons.
Pour tous ceux qui considèrent l’œuvre comme un agrégat naturel, dont l’origine et les propriétés, pareilles à celles d’une fleur ou d’un cristal, sont soumises aux conditions de force, de temps et d’espace qui régissent tout mode de la matière, cette sorte de critique est la seule légitime. […] Partant du principe dernier de la science moderne, — l’axiome de la conservation de la force, — il en déduit et en confirme avec une rectitude de raisonnement prodigieuse, toutes les lois partielles abstraites de toutes les manifestations phénoménales de la matière. […] La formule spencérienne de l’évolution, est, dans sa forme merveilleusement concise, la suivante : « L’évolution est une intégration de matière, accompagnée d’une dissipation de mouvement, pendant laquelle la matière passe d’une homogénéité indéfinie, incohérente, à une hétérogénéité définie, cohérente, et pendant laquelle aussi le mouvement retenu subit une transformation analogue ».
L’esprit que je suis pour moi est-il matière pour le spectateur extérieur ? ou, au contraire, ce qui est matière pour moi est-il esprit en soi ? […] Si, au contraire, je regarde un arbre véritable, j’ai devant moi une quantité innombrable de feuilles distinctes, et je me sens dans l’impossibilité réelle de les compter : ici, c’est une matière qui m’est fournie et qui déborde ma pensée. […] On a dit avec raison que la psychologie est la seule science qui, en accomplissant sa tache, finisse par s’occuper (à sa manière propre) de la matière même de toutes les autres sciences.
Comme Duclos, après avoir donné ses Considérations sur les mœurs où il avait oublié de parler des femmes et où il avait à peine prononcé leur nom62, voulut réparer cette omission singulière en publiant l’année suivante (1751), sous le titre de Mémoires pour servir à l’histoire des mœurs du xviiie siècle, une espèce de répétition de ses Confessions du comte de…, Voltaire qui trouvait ce genre de romans détestable, et qui voyait dans ceux de Duclos une preuve de plus de la décadence du goût, écrivait : « Ils sont d’un homme qui est en place (dans la place d’historiographe), et qui par là est supérieur à sa matière. […] Ce serait la matière d’un bon mémoire économique : je suis étonné qu’aucun d’eux ne se soit avisé de le faire ; je m’en occuperai peut-être un jour.
Nos amis (car nous en avons) vous combattront ; car, en matière d’élection, la neutralité est impossible. […] Dans cette matière si éloignée des habitudes de son esprit, Bourdaloue emploie avec une exactitude si rigoureuse, quoique non affectée, les termes justes, et ils s’appliquent si bien à ce qu’il veut dire, qu’il n’y a pas un des hommes de son temps auquel il ne rendît sensible sa pensée… L’adresse avec laquelle il varie les formes du langage pour soutenir et reposer l’attention de l’auditeur est véritablement merveilleuse.
Sur quoi « notre moribond entre en matière et, d’une voix de Stentor, pendant près d’une heure, — et quelquefois pendant trois, — il se livre aux emportements du zèle universitaire le plus fougueux… ». […] Malgaigne), est si plaisamment singé pour le geste et noté pour l’accent : journée unique où, au milieu de ses graves préoccupations, la Chambre entière fut prise d’un fou rire, d’un rire homérique, et où, pour un moment, il n’y eut plus amis ni ennemis sur tous les bancs, « il n’y eut que des gensde bonne humeur. » Mon métier ici n’est pas de mettre les noms propres : comme cependant en pareille matière rien ne vit que par là, et que le recueil des Mélanges est bien gros à feuilleter tout entier, MM.
On débuta par un échec : c’était, avec une armée aussi neuve, en face des troupes solides des Espagnols, l’entrée en matière presque inévitable. […] — Heureux qui rencontre, ne fût-ce que tard, de justes occasions, de dignes et amples matières à déployer son zèle !
On reviendra, si je ne me trompe, à ces femmes du xvie siècle, à ces contemporaines des trois Marguerite, et qui savaient si bien mener de front les affaires, la conversation et les plaisirs : « J’ai souvent entendu des femmes du premier rang parler, disserter avec aisance, avec élégance, des matières les plus graves, de morale, de politique, de physique. » C’est là le témoignage que déjà rendait aux femmes françaises un Allemand tout émerveillé, qui a écrit son itinéraire en latin, et à une date (1616) où l’hôtel Rambouillet ne pouvait avoir encore produit ses résultats253. […] Je trouve les préceptes ridicules sur cette matière, et j’aimerois presque autant qu’on voulût mettre en règle la manière dont les frénétiques doivent extravaguer. » J’ai dit de Mme de Staal qu’elle était comme le premier élève de La Bruyère, mais un élève devenu l’égal du maître ; nul écrivain ne fournirait autant qu’elle de pensées neuves, vraies, irrécusables, à ajouter au chapitre des Femmes, de même qu’elle a passé plus de trente ans de sa vie à pratiquer et à commenter le chapitre des Grands.
Les rencontres, les rendez-vous, les départs, les absences, les abandons, les dangers, les surprises, les craintes et les ruses font la matière des émotions et des chansons. […] Les femmes ont eu aussi une part considérable dans la création de la poésie provençale : bien plus encore que dans le Nord, elle fut leur œuvre, et reçut d’elles sa matière et son objet.
« Les passions de l’âme et les affections du cœur, disait Hegel, ne sont matière de pensée poétique que dans ce qu’elles ont de général, de solide, et d’éternel. » Aussi le grand, le puissant lyrisme n’est-il pas celui par où le poète se distingue de tout le monde, mais celui qui en fait le représentant de l’humanité. […] N’oublions pas la Bible, que Vigny et Lamartine feuillettent, et dans laquelle Hugo cherchera non pas seulement une matière de poésie, mais d’abord et surtout des procédés de style, des coupes, des figures, des épithètes.
La matière était plus assimilable à un poète. […] Il sera matière éternellement à études, dissertations, devoirs, et peut-être, hélas, pensums.
Idéaliste, c’est-à-dire ne distinguant pas l’esprit et la matière, Jésus, la bouche armée de son glaive à deux tranchants, selon l’image de l’Apocalypse, ne rassura jamais complètement les puissances de la terre. […] En matière criminelle, on n’admettait que des témoins oculaires.
Vulpian, en France, en Allemagne, avant eux, Herbart et Müller168, ramener tous nos actes psychologiques à des modes divers d’association entre nos idées, sentiments, sensations, désirs, on ne peut s’empêcher de croire que cette loi d’association est destinée à devenir prépondérante dans la psychologie expérimentale, à rester, pour quelque temps au moins, le dernier mode d’explication des phénomènes psychiques, elle jouerait ainsi, dans le monde des idées, un rôle analogue à celui de l’attraction dans le monde de la matière. […] Matière et esprit, externe et interne sont les synonymes populaires, mais ils sont moins à l’abri de suggestions trompeuses.
II Mais de même que parmi les faits multiples que présentent les choses et qui constituent les sciences, certains sont attirés à l’étude de la matière morte, certains autres à celle du monde organique, et parmi ces derniers certains par la matière vivante en ses éléments, certains par les ensembles que forment ces unités, il intervient chez les hommes de lettres réalistes un biais individuel, une prédisposition de l’œil à voir, une aptitude de la mémoire à retenir, un ordre de faits particulier, un caractère dans les phénomènes, un moment dans les physionomies, les gestes, les émotions, les âmes.
Ce qui nous trompe ici, c’est que les sciences les plus autorisées, les sciences physiques et chimiques (je laisse les mathématiques, qui ont pour objet l’absolu), ne s’occupent que du présent de l’univers ; elles dirigent leurs recherches sur les propriétés que manifeste actuellement la matière, et on est porté à croire, sans y avoir beaucoup réfléchi, que ces propriétés ont toujours existé et sont inhérentes à la substance où nous les découvrons, quoique cela ne soit pas évident, puisqu’il pourrait se faire qu’elles ne fussent que des états acquis à une époque inconnue. […] Un illustre érudit du xviiie siècle, le chef de l’école de Leyde, Tibère Hemsterhuys, se plaignait que de son temps « l’histoire de la philosophie, cette matière si riche des recherches savantes, n’eût pas encore attiré les études de la critique, qu’elle fût livrée à des compilateurs sans génie et sans lettres, qui ne connaissaient les philosophes anciens que par de vicieuses traductions, et qui tiraient d’une lecture superficielle un résumé aride et sans intelligence37. » Il y a un siècle à peine que ces paroles ont été prononcées.
Ce qu’on propose ici, de ne traduire les anciens que par morceaux détachés, conduit à une autre réflexion qui, à la vérité, n’a qu’un rapport indirect à la matière présente, mais qui peut être utile. […] En cette matière, plus qu’en aucune autre, chaque lecteur a, pour ainsi dire, sa mesure particulière, et, si l’on veut, ses préjugés, auxquels il exige qu’un traducteur se conforme.
Le monde primitif n’est qu’une matière au travail de l’homme : c’est le travail qui donne à cette matière sa forme et son prix. […] Par combien de tristes détails ne tient-elle pas encore à la matière ! […] La loi de la matière est la divisibilité à l’infini, c’est-à-dire l’expansion universelle. […] Sur chaque matière, tant qu’on n’est, pas arrivé aux idées élémentaires de cette matière, à ses principes, à sa métaphysique, on n’est arrivé au fond de rien, on ignore le dernier mot de toute chose. […] Et il importe de remarquer que nulle part il n’y a plus matière à la grandeur qu’en philosophie.
Il a publié assez récemment, chez Hetzel, deux petits volumes sur la Rhétorique même et sur la Mythologie, et en rajeunissant par la forme des sujets dont le fond semble épuisé, il s’y montre plus dégagé de ton et plus alerte qu’on ne l’est volontiers dans l’Université, il n’a pas prétendu creuser, il s’est joué sans pédanterie à la surface : on sent un auteur maître de sa matière et qui en dispose à son gré.
Puis, quand l’ancienne littérature est partout ; qu’elle occupe les places, les Commissions, les Académies ; que le gouvernement s’en rapporte à ses décisions en toute matière littéraire où il a besoin de s’éclairer ; quand, il y a quelques mois à peine, une pétition, signée de plusieurs auteurs classiques les plus influents, et tendant à obtenir pour eux le monopole du Théâtre-Français, est venue mourir au pied du trône ; n’y aurait-il pas, de la part du gouvernement du roi, peu de convenance et d’adresse à frapper d’interdiction la première œuvre dramatique composée depuis ce temps par un des hommes de la jeune littérature, une pièce avouée d’elle, réclamée par le public, et sur laquelle on veut bien fonder quelque espoir ?
Il semble qu’on ait affaire à une matière malléable, presque fluide, capable de s’allonger ou de se restreindre à volonté.
En 1667, on publie cette fameuse ordonnance concernant la procédure civile, qui est encore le fond de notre législation actuelle sur la matière.
Les jeunes gens qui aujourd’hui se dressent pour s’affirmer savent qu’égoïsme et altruisme sont également bas, également courbés vers la matière et que ces deux ennemis se battent dans la fange.
En Angleterre déjà, dans nos clubs français, ce livre est compté, parmi tous les écrits contemporains, comme faisant seul autorité, à force d’exactitude, de discernement, de compétence sur la matière.
Incapables d’atteindre encore une telle idée par le raisonnement, ils la conçurent par un sentiment faux dans la matière, mais vrai dans la forme.