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398. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — IV. La Poësie dramatique. » pp. 354-420

Tous ces grands mots, règles, usages, raison, bon goût, on les disoit mal appliqués. […] L’idée de ces deux essais philosophiques mérite d’être applaudie, mais elle est mal exécutée. […] Riccoboni a traité son art plus mal encore que La Mothe n’a traité celui des vers. […] Il étoit quelquefois touché jusqu’aux larmes, en considérant le bien qu’on pourroit retirer du théâtre, & les maux ordinaires qui en résultent. […] Ils sont très-peu reconnoissans du zèle de leur Démosthène : ils se plaignent qu’il les a mal peints, qu’il n’a crayonné que les mœurs de la populace.

399. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre II. La poésie lyrique » pp. 81-134

Fais trêve à ton sommeil engourdi de poison : Celui qui de tes maux porte la guérison, Le blond Néoptolème en ton antre se glisse. […] Ce classique qui se voudrait impeccable et implacable, a été néanmoins touché par la mélancolie de René, par le mal d’Olympia, par l’ennui Baudelairien. […] Son lyrisme se pose sur des bases inébranlables, mais il dévoile aussi un cœur avide, pris d’un forcené besoin de tendresse et qui, s’il ne se désespère pas de savoir la mort victorieuse de la beauté, se plaît au jeu divin des rythmes qui masquent mal son humanité chancelante. […] Paul Briquel dont les Soirs d’Automne avaient quelque mélancolie artificielle, dont les Joies Humaines tressaillent d’une force mal dirigée mais réelle et qui promettent un poète vigoureux. […] « L’âme en démence a mal de se sentir pareille aux farouches marées.

400. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre IV. Services généraux que doivent les privilégiés. »

s’écrie d’Argenson, dans ce mot est tout le mal. […] Sans doute le mal qu’ils font ou qu’on fait en leur nom leur déplaît et les chagrine ; mais au fond leur conscience n’est pas inquiète. […] Certainement, en plusieurs points, son intérêt et son amour-propre sont d’accord avec le bien public ; en somme il n’a pas mal géré, et puisqu’il s’est toujours agrandi, il a mieux géré que beaucoup d’autres. […] Si, dans sa conduite ordinaire, les motifs personnels ne l’emportaient pas sur les motifs publics, il serait un saint comme Louis IX, un stoïcien comme Marc-Aurèle, et il est un seigneur, un homme du monde semblable aux gens de sa cour, encore plus mal élevé, plus mal entouré, plus sollicité, plus tenté et plus aveuglé. […] En l’état où est l’impôt, chaque largesse du monarque est fondée sur le jeûne des paysans, et le souverain, par ses commis, prend aux pauvres leur pain pour donner des carrosses aux riches  Bref le centre du gouvernement est le centre du mal ; toutes les injustices et toutes les misères en partent comme d’un foyer engorgé et douloureux ; c’est ici que l’abcès public a sa pointe, et c’est ici qu’il crèvera.

401. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre II. Principale cause de la misère : l’impôt. »

Quant aux journaliers de campagne et aux colons, le propriétaire, même privilégié, qui les emploie, est obligé de prendre à son compte une partie de leur cote ; sinon, n’ayant pas de quoi manger, ils ne travailleraient plus668 ; même dans l’intérêt du maître, il faut à l’homme sa ration de pain, comme au bœuf sa ration de foin. « En Bretagne669, c’est une vérité notoire que les neuf dixièmes des artisans, quoique mal nourris, mal vêtus, n’ont pas à la fin de l’année un écu libre de dettes » ; la capitation et le reste leur enlèvent cet unique et dernier écu. […] C’est une machine à tondre, grossière et mal agencée, qui fait autant de mal par son jeu que par son objet. […] Tout compte fait, il a calculé que la procédure, même coûteuse, lui coûtera moins qu’une surtaxe, et, de deux maux, il choisit le moindre. Contre le collecteur et le receveur il n’a qu’une ressource, sa pauvreté simulée ou réelle, involontaire ou volontaire. « Tout taillable, dit encore l’assemblée provinciale du Berry, redoute de montrer ses facultés ; il s’en refuse l’usage dans ses meubles, dans ses vêtements, dans sa nourriture et dans tout ce qui est soumis à la vue d’autrui. » — M. de Choiseul-Gouffier683 voulant faire à ses frais couvrir de tuiles les maisons de ses paysans exposées à des incendies, ils le remercièrent de sa bonté et le prièrent de laisser leurs maisons comme elles étaient, disant que, si elles étaient couvertes de tuiles au lieu de chaume, les subdélégués augmenteraient leurs tailles. » — « On travaille, mais c’est pour satisfaire les premiers besoins… La crainte de payer un écu de plus fait négliger au commun des hommes un profit qui serait quadruple684 » — «… De là, de pauvres bestiaux, de misérables outils et des fumiers mal tenus, même chez ceux qui en pourraient avoir d’autres685. » — « Si je gagnais davantage, disait un paysan, ce serait pour le collecteur. » La spoliation annuelle et illimitée « leur ôte jusqu’au désir de l’aisance ». […] Nous vous le demandons, sire, avec tous vos autres sujets, qui sont aussi las que nous… Nous vous demanderions encore bien d’autres choses, mais vous ne pouvez pas tout faire à la fois. » — Les impôts et les privilèges, voilà, dans les cahiers vraiment populaires, les deux ennemis contre lesquels les plaintes ne tarissent pas728. « Nous sommes écrasés par les demandes de subsides…, nos impositions sont au-delà de nos forces… Nous ne nous sentons pas la force d’en supporter davantage…, nous périssons terrassés par les sacrifices qu’on exige de nous… Le travail est assujetti à un taux et la vie oisive en est exempte… Le plus désastreux des abus est la féodalité, et les maux qu’elle cause surpassent de beaucoup la foudre et la grêle… Impossible de subsister, si l’on continue à enlever les trois quarts des moissons par champart, terrage, etc.

402. (1833) De la littérature dramatique. Lettre à M. Victor Hugo pp. 5-47

La mienne, j’en conviens, mal servie par les trompettes de la renommée, s’est toujours bornée à suivre dans la carrière ces hommes de génie que nos pères avaient la faiblesse d’appeler grands. […] Il en est de même de votre vieillard, mal imité de Corneille, que vous placez trois fois dans trois pièces différentes, dans la même situation, disant presque la même chose et dans les mêmes mots. […] Il suffisait pour cela qu’une phrase blessât la coquetterie de l’actrice en faveur, qu’on y parlât mal de l’âge ou de la beauté du personnage qu’elle représentait, que l’acteur son rival fût plus applaudi qu’elle, qu’elle eût un congé pour aller faire ses récoltes départementales, ou enfin qu’il lui plût de ne pas jouer la pièce par un simple caprice, pour une partie de plaisir de quelques jours. […] Passez-moi cette réflexion ; mais je n’ai pu m’empêcher de la faire en songeant qu’un grand orateur, un célèbre jurisconsulte peut très mal raisonner quand il s’agit de théâtre, et qu’il vaut beaucoup mieux une vérité de convention et d’artifice qu’une réalité de nature qui ferait baisser les yeux à la jeune femme de l’avocat, s’il la conduisait aux pièces de son client. […] On assure que Versailles a fort mal reçu le drame nouveau, et que la grande actrice a porté la peine du genre de l’ouvrage.

403. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — II. (Fin.) » pp. 180-203

Elle l’aida donc à effacer les impressions fâcheuses que sa démission ancienne avait pu laisser dans l’esprit de Louis XIV : Je ne demande au roi pour toute grâce, écrivait Lassay, que de me donner des occasions de le servir ; l’extrême envie que j’aurais de lui plaire me donnera de l’habileté ; quand on a une grande envie de bien faire, il est difficile qu’on fasse bien mal, et personne dans le monde n’a tant de bonne volonté que moi. […] Esclave des gens qui sont en faveur, tyran de ceux qui dépendent de lui, il tremble devant les premiers et persécute sans cesse les autres… Souvent il est agité par une espèce de fureur qui tient fort de la folie : ce ne sont quasi jamais les choses qui en valent la peine, mais les plus petites, qui lui causent cette fureur : cela dépend de la situation où se trouve son esprit ; et cela vient aussi de ce qu’il n’est point louché de ce qui est véritablement mal ; si bien qu’il ne regarde jamais les choses, mais simplement les personnes qui les ont faites ; et, si c’est quelqu’un qui lui déplaise, il grossit des bagatelles et en fait une affaire importante : cependant il est si faible et si léger que tout cela s’évanouit, et il ressemble assez aux enfants qui font des huiles de savon. Quand sa fureur l’agite, ceux qui ne le connaissent point et qui l’entendent parler croient qu’il va tout renverser, mais ceux qui le connaissent savent que ses menaces n’ont point de suite, et que l’on n’a à appréhender que les premiers mouvements de cette fureur ; ce n’est pas qu’il ne soit assez méchant pour faire beaucoup de mal de sang-froid, mais c’est qu’il est trop faible et trop timide, et on ne doit craindre que le mal qu’il peut espérer de faire par des voies détournées, et jamais celui qui se fait à force ouverte… Il est avare, injuste, défiant au-dessus de tout ce qu’on peut dire ; sa plus grande dépense a toujours été en espions ; il ne peut pas souffrir que deux personnes parlent bas ensemble, il s’imagine que c’est de lui et contre lui qu’on parle… Dans les affaires qu’il a, il se sert tantôt de discours captieux et tantôt de discours embarrassés pour cacher le but où il veut aller, croyant être bien fin… Jamais il ne va au bien de l’affaire, soit qu’il soit question de l’État, de sa famille ou d’autres gens ; il est toujours conduit par quelque sorte d’intérêt prochain ou éloigné, et, au défaut de l’intérêt, par la haine, par l’envie ou par une basse politique. […] On devrait pleurer la perte d’un goût ; c’est un des grands maux que les années nous apportent. […] [NdA] Voici quelques-unes des maximes de Lassay qui approchent le plus du mot que rapporte Chamfort ; mais encore sont-elles d’un homme du monde désabusé et sans illusion, plutôt que d’une âme ulcérée et d’un cœur aigri : Il n’y a rien de si beau que l’esprit de l’homme, et rien de si effroyable que son cœur. — L’usage du monde corrompt le cœur et perfectionne l’esprit. — La plupart des connaissances qu’on a sont nos véritables ennemis ; car, pour l’ordinaire, ce ne sont pas les hommes avec qui nous ne vivons point qui nous font du mal.

404. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure »

Il travaille à un poëme épique sur Henri IV, où il fait entrer toute l’histoire de la Ligue ; on en parle comme d’une merveille. » Ce n’est pas mal commencer, pour un vieil avocat classique, à l’égard d’un talent nouveau : il n’a pas de parti pris. […] Mon poète crie comme un diable, met l’épée à la main, remonte chez le duc de Sully qui trouva le fait violent et incivil, va à l’Opéra conter sa chance à Mme de Prie qui y était, et de là on court à Versailles où on attend la décision de cette affaire qui ne ressemble pas mal à un assassinat. […] M. de Nocé, un des roués du Régent, ayant été exilé à la suite d’une querelle avec le cardinal Dubois (avril 1722), on comprit dans la disgrâce sa sœur, la marquise du Tort ; elle eut sa lettre de cachet ; Marais s’en réjouit : « On a aussi exilé Mme du Tort, sa sœur, qui est un bel esprit du temps, fort amie de Fontenelle, grande approbatrice du nouveau langage et des sentiments métaphysiques dans le discours ; et il n’y a pas grand mal que ce bel esprit soit hors Paris, car cela ne fait que gâter le goût. » Ah ! […] Je ne suivrai pas Marais dans les petites marques d’humeur dont il console tant bien que mal son mécompte. […] Et puisque j’en suis moi-même à aller ainsi à la picorée dans les auteurs, voici une assez belle pensée de lui sur les Grecs ; elle lui est échappée en parlant du Dialogue sur la Musique des Anciens, de l’abbé de Chateauneuf : « Nous ne sommes pas si vifs ni si chauds que les Grecs ; je m’imagine qu’ils avaient l’âme d’une âme au lieu d’un corps. » Ce n’est pas mal pour un Gaulois.

405. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « UNE RUELLE POÉTIQUE SOUS LOUIS XIV » pp. 358-381

Il eut du Chaulieu dans ses mœurs, dans sa vie de bénéficier assez licencieux ; son tour exquis, railleur, ne rappelle pas mal cet autre abbé poëte, Mellin de Saint-Gelais. […] Je vous viens, de leur part, révéler leur mystère, Je n’en parle pas mal, et je sais bien me taire. […] Sous les grands bois la douleur endormie, En y rêvant, souvent calma ses maux. Aux maux plus doux tu fus hospitalière, Noble Forêt ! […] Ma petite vérole m’a fait différer mon voyage ; mais, malgré mon mal et les menaces des médecins, je ne laisserai pas de partir dans six jours.

406. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’expression de l’amour chez les poètes symbolistes » pp. 57-90

Le monde est une cage où le Mal, au front bas, Est la ménagerie, et la dompteuse forte Est cette Chasteté portant partout ses pas. […] Il lui suffira de se remémorer le vieil adage (car Verlaine espagnolisait en diable) Defienda me dios de my et s’il sort quelque peu mal en point de l’aventure, il se consolera avec le vers d’Ovide, qu’il aimait : Nec vitiant artus ægræ contagia mentis. […] Il passe sa vie à étouffer des bâillements et le voilà pris du mal de poitrine. […] Voici René, Adolphe, Rolla, Antony qui, comme des enfants rageurs, s’amusent à se faire mal. […] Je veux bien que nous pensions Par-delà le Bien et le Mal, mais si c’est pour nous réunir dans la chasteté, à quoi bon nous disputer sur les moyens d’y parvenir ?

407. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. John Stuart Mill — Chapitre II : La Psychologie. »

Il pense que cette question est mal posée, et toute l’école qui nous occupe ici professe la même opinion en termes différents. […] Supposez, dit-il, deux races particulières d’êtres humains, — l’une ainsi constituée dès l’origine, que de quelque façon qu’on l’élève et la traite, elle ne pourra s’empêcher de penser et d’agir de manière à être une bénédiction pour tous ceux qui en approchent ; — l’autre d’une nature originelle si perverse, que ni éducation, ni châtiment n’ont pu lui inspirer quelque sentiment de devoir ni l’empêcher de mal faire. […] On voit donc qu’en poussant la doctrine de la nécessité même à sa plus complète exagération, la distinction entre le bien moral et le mal n’en subsisterait pas moins. […] Notre amour du bien et notre haine du mal, quoique vertueux en eux-mêmes, nous sont inutiles dans la conduite. […] Enfin, la vraie doctrine de la causalité des actions humaines maintient, contrairement aux deux précédentes, que non-seulement notre conduite, mais aussi notre caractère dépend en partie de notre volonté ; que nous pouvons l’améliorer en employant des moyens appropriés, et que s’il est tel que par sa nature il nous contraint à mal faire, il sera juste d’employer des motifs qui nous contraignent à faire effort pour améliorer ce mauvais caractère.

408. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de Pompadour. Mémoires de Mme Du Hausset, sa femme de chambre. (Collection Didot.) » pp. 486-511

. — « Ce royaume, dit Mirabeau, est bien mal ; il n’y a ni sentiments énergiques, ni argent pour les suppléer. » — « Il ne peut être régénéré dit La Rivière, que par une conquête comme à la Chine, ou par quelque grand bouleversement intérieur ; mais malheur à ceux qui s’y trouveront ! […] Elle fit cette fois tout le mal possible à ceux qui lui en voulaient faire. […] Mon impression pourtant, celle qui résulte aujourd’hui d’une simple vue à cette distance, c’est que les choses pouvaient tourner plus mal, et que Mme de Pompadour, aidée de M. de Choiseul, moyennant la conclusion du Pacte de famille, recouvrit encore de quelque prestige ses propres fautes et l’humiliation de la monarchie et de la France. […] Comme maîtresse et amie du prince, comme protectrice des arts, son esprit se trouva tout à fait au niveau de son rôle et de son rang : comme politique, elle fléchit, elle fit mal, mais pas plus mal peut-être que toute autre favorite en sa place n’eût fait à cette époque, où manquait chez nous un véritable homme d’État. […] II, p. 508, 3e édition), décrivant le pastel de La Tour, il m’est arrivé de dire : « La robe de satin à ramages laisse place dans l’échancrure de la poitrine à plusieurs rangs de ces nœuds qu’on appelle, je crois, des parfaits contentements… » Or, on m’assure que j’ai été mal informé et que ce genre de nœuds s’appelle une échelle de rubans ; c’est là le terme qu’il faudrait substituer à celui de parfaits contentements, si en effet les connaisseurs en toilette sont d’accord là-dessus : et je les laisse juges.

409. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le baron de Besenval » pp. 492-510

Ne voulant point faire de mal à son pays, il s’abstint d’user du crédit de M. de Choiseul qu’il avait en main, et ne songea à faire intervenir aucune autorité étrangère. […] Lauzun, qui n’était pas des amis de Besenval, lui fait un reproche assez pareil sur « le mauvais ton et le peu de mesure, qui sont un grand désavantage à la Cour. » Il semble pourtant que Besenval n’y avait pas trop mal réussi. […] Un sang-froid goguenard que m’a donné le ciel et que je n’ai pas mal employé dans l’occasion, déjoua la burlesque importance du procureur, et je le civilisai très passablement. » Ainsi il a trouvé moyen de persifler même Bourdon (de l’Oise) ; il joua du fleuret, même avec ceux qui allaient tenir la hache. […] [NdA] Un biographe qui aurait du loisir ne ferait pas mal de vérifier ce qu’on rapporte des services diplomatiques du père de Besenval, de même que de relever, s’il est possible, ses propres états de service à lui-même dans le militaire. […] Méchant, on fait quelquefois moins de mal qu’indifférent.

410. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — III — Toujours Vauvenargues et Mirabeau — De l’ambition. — De la rigidité » pp. 38-55

Je sais qu’il n’en est guère question à présent, selon le bas ministre (Fleury) qui le gouverne, et que ce sont les mal tôliers qui en sont les colonnes ; mais vous avez une patrie misérable, une province vexée par les esclaves subalternes, que l’on érige en souverains pour le malheur des peuples ; des amis que vous pouvez servir ; des compatriotes à qui vos talents exercés pourraient être utiles ; une famille dont vous devez ou soigner les affaires, ou soutenir le nom ; vous-même, à qui vous devez un plan fixe de bonheur et d’agrément ; que d’objets divers et opposés ! […] Je ne vois point ce pays-là des mêmes yeux ; j’y crois démêler des agréments qui peuvent toucher l’esprit ; je n’y vois point ce qui vous choque : j’y vois, au contraire, le centre du goût, du monde, de la politesse, le cœur, la tête de l’État, où tout aboutit et fermente, d’où le bien et le mal se répandent partout ; j’y vois le séjour des passions, où tout respire, où tout est animé, où tout est dans le mouvement, et, au bout de tout cela, le spectacle le plus orné, le plus varié, le plus vif que l’on trouve sur la terre. […] Je ne sais rien même de si faible et de si vain que de fuir devant les vices, ou de les haïr sans mesure ; car on ne les hait jamais que parce qu’on les craint, par représailles ; ou par vengeance, parce qu’on en est mal traité ; mais un peu de grandeur d’âme, quelque connaissance du cœur, une humeur douce et tacite, empêchent qu’on en soit surpris ou blessé si vivement. […] Il tient surtout dans sa lettre (car nous en sommes toujours à cette même lettre décisive, où il se découvre) à bien montrer à Mirabeau qu’on peut désirer de sortir d’une condition médiocre et d’arriver à une grande situation, par de grands motifs et sans du tout abjurer la hauteur des sentiments : Il y a des hommes, je le sais, qui ne souhaitent les grandeurs que pour vivre et pour vieillir dans le luxe et dans le désordre, pour avoir trente couverts, des valets, des équipages, ou pour jouer gros jeu, pour s’élever au-dessus du mérite et affliger la vertu, et qui n’arrivent à ce point que par mille indignités, faute de vues et de talents : mais, de souhaiter, malgré soi, un peu de domination parce qu’on se sent né pour elle ; de vouloir plier les esprits et les cœurs à son génie ; d’aspirer aux honneurs pour répandre le bien, pour s’attacher le mérite, le talent, les vertus, pour se les approprier, pour remplir toutes ses vues, pour charmer son inquiétude, pour détourner son esprit du sentiment de nos maux, enfin, pour exercer son génie et son talent dans toutes ces choses ; il me semble qu’à cela il peut y avoir quelque grandeur. […] Ce jeune homme, et très jeune homme au temps où il servait avec Vauvenargues, avait le trait caractéristique de sa famille : « Je lui trouve dans l’humeur quelque chose des Riquetti, qui n’est point conciliant. » Vauvenargues, qui jugeait ainsi le petit chevalier, essayait de lui insinuer un peu de douceur, de politesse de ton et de mœurs, de l’assouplir. « Quant au genre de persuasion que vous soufflez au chevalier, lui disait Mirabeau, vous ne réussirez pas, s’il est du même sang que nous ; votre système est d’arriver aux bonnes fins par la souplesse ; le mien est d’arriver au bien, droit devant moi, ou par la violence ; de fondre sur le mal décidé, de l’épouvanter, et enfin de m’éloigner de ce qui n’a la force d’être ni l’un ni l’autre. » Ce système à outrance et que Vauvenargues a décrit dans un de ses caractères intitulé Masis (évidemment d’après Mirabeau), est le contraire de sa science à lui, de sa tactique dans le maniement des esprits, qui va à les gagner par où ils y prêtent, et à en tirer le parti le meilleur : Où Masis a vu de mauvaises qualités, jamais il ne veut en reconnaître d’estimables ; ce mélange de faiblesse et de force, de grandeur et de petitesse, si naturel aux hommes, ne l’arrête pas ; il ne sait rien concilier, et l’humanité, cette belle vertu, qui pardonne tout parce qu’elle voit tout en grand, n’est pas la sienne… Je veux une humeur plus commode et plus traitable, un homme humain, qui ne prétendant point à être meilleur que les autres hommes, s’étonne et s’afflige de les trouver plus fous encore ou plus faibles que lui ; qui connaît leur malice, mais qui la souffre ; qui sait encore aimer un ami ingrat ou une maîtresse infidèle ; à qui, enfin, il en coûte moins de supporter les vices que de craindre ou de haïr ses semblables, et de troubler le repos du monde par d’injustes et inutiles sévérités.

411. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. »

Il n’a pas seulement contre lui, dans l’armée, l’orgueil nobiliaire, la vanité, les prétentions et la routine, il a les honnêtes gens revêches, les esprits étroits et récalcitrants comme le marquis de Bellefonds ; il a Turenne mal disposé, et bien d’autres. […] Vous lui témoignerez qu’il doit mettre en pratique son industrie pour faire faire les ouvrages à bon marché et très-promptement, afin que l’on puisse faire voir au roi que les mauvais offices qu’on lui a rendus sur cela sont mal fondés. » Ces mauvais offices rendus à Vauban par un intendant d’Alsace, cousin de Colbert, faillirent perdre cet illustre ingénieur et guerrier au début de sa grande carrière. […] « Je vous supplie très-humblement, écrivait-il dans sa langue légèrement arriérée et à la gauloise, d’avoir un peu de créance à un homme qui est tout, à vous, et de ne point vous fâcher si, dans celles que j’ai l’honneur de vous écrire, je préfère la vérité, quoique mal polie, à une lâche complaisance qui ne serait bonne qu’à vous tromper, si vous en étiez capable, et à me déshonorer. […] Mais aussi, si mes accusateurs ne peuvent pas prouver ou qu’ils prouvent mal, je prétends que l’on exerce sur eux la même justice que je demande pour moi. […] Camille Rousset est juste et il fait équitablement la part du bien et du mal, pour tous (exception étrange !)

412. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Maurice et Eugénie de Guérin. Frère et sœur »

L’aime Nature ne fait mal à ceux qui lui appartiennent… « Que d’ondées j’ai essuyées ! […] Bon gré, mal gré, qu’on le veuille ou non, Guérin reste bien Ce sera son nom dans l’histoire littéraire de ce temps-ci, s’il y obtient un nom distinct, ce que nous espérons bien. […] J’aime assez cette harmonie qui sortait de tous les carreaux mal joints, des contrevents mal fermés, de tous les trous des murailles, avec des notes diverses et si bizarrement pointues, qu’elles percent les oreilles les plus dures. […] Il faut l’entendre dans ses cris et ses vœux de chrétienne alarmée, lorsqu’elle le voit égaré, dévoyé, selon elle, emporté vers un art d’une application funeste, souffrant de la poitrine avec cela, et, à travers les distractions mondaines, déjà atteint du mal mortel : « Ô frères, frères, nous vous aimons tant !

413. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Oeuvres inédites de la Rochefoucauld publiées d’après les manuscrits et précédées de l’histoire de sa vie, par M. Édouard de Barthélémy. »

Croyez que je ne m’exagère pas le mérite d’une phrase bien faite ou qui, tant bien que mal, tombe d’aplomb sur ses pieds ; un galant homme peut fort bien soléciser ; mais qui diantre l’oblige à imprimer ses solécismes ? […] La question financière, c’est là où le mal nous gratte ! […] En quelque fâcheuse condition où sa destinée le réduise, vous le verrez également éloigné de la faiblesse et de la fausse fermeté, se possédant sans crainte dans l’état le plus dangereux, mais ne s’opiniâtrant pas dans une affaire ruineuse, par l’aigreur d’un ressentiment, ou par quelque fierté mal entendue. […] Mais le jour où l’on rencontre de sympathiques encouragements, on est amplement dédommagé de ces petites misères… » Je puis assurer que je n’ai contre M. de Barthélémy aucune inimitié et que je n’ai pas même de jalousie : j’ai eu, je l’avoue, de l’impatience de le voir, pensant si peu et écrivant si mal, s’imaginer qu’il allait être le biographe définitif d’un moraliste et d’un écrivain tel que La Rochefoucauld. […] -B. explique cette bienveillance de Mesdames et de Messieurs de Port-Royal par l’influence de la marquise et par sa générosité, ce qui donnerait une triste idée de ces saints solitaires… » Toute cette critique est aussi inexacte que mal raisonnée.

414. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Le mariage du duc Pompée : par M. le comte d’Alton-Shée »

Je n’essayerai pas d’approfondir le cas pour les grands fats historiques modernes ; mais, à première vue, je ne vois pas que les Lauzun, les Bonneval, les Richelieu soient si mal tombés en se mariant. […] Pour la première fois, après bien des agaceries, au retour de la chasse où il a accompagné Emma, sa prochaine belle-sœur, il lui arrive de risquer une déclaration qui n’est pas mal reçue d’elle. […] Avec moins d’expérience et un sentiment plus haut du devoir, j’aurais peut-être tenté de le réformer ; mais, dans la pratique, j’ai reconnu que le mal est vivant, que les abus sont des hommes, et se comptent par milliers. […] Ici l’on a une éloquente et passionnée réponse où Pompéa, comme une prêtresse égarée, évoque et rassemblé dans une idéale image toute la poésie et l’âme de sa jeunesse : « Je te dois tout, s’écrie-t-elle, le bien comme le mal ; pour être, j’ai attendu un signe de ta volonté, et tu m’as faite semblable à toi. […] Voilà donc la belle-sœur et Fritz qui partent, réconciliés tant bien que mal entre eux, aigris en revanche et piqués contre tout le monde.

415. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XI. L’antinomie sociologique » pp. 223-252

Nous avons vu, en économie, combien la répartition du travail social se fait au hasard ; combien il y a de vocations faussées, d’activités mal dirigées, d’aptitudes mal employées. — En admettant même que l’anarchie qui préside à la division du travail social s’atténue ou même disparaisse, en supposant qu’on arrive un jour à une correspondance mieux réglée entre les aptitudes des individus et l’emploi social de ces aptitudes, l’impuissance de la différenciation sociale pour assurer la liberté et le bonheur des individus et pour les harmoniser avec la société n’en apparaîtra que mieux. […] Plus d’une fois il y a collusion entre ces sociétés contre l’individu disqualifié pour une raison ou l’autre auprès de l’une d’entre elles ou mal vu de l’une d’elles. […] Ceux qui s’aperçoivent du mensonge n’osent pas y contredire, car les clairvoyants et les sincères sont mal vus. […] Les croyances de groupe s’attachent volontiers à quelque objet vague, mal défini, semblable à ce mythique Putois, héros d’un récit de M. 

416. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « M. de Féletz, et de la critique littéraire sous l’Empire. » pp. 371-391

À ces époques qui suivent un grand danger et où l’on vient d’échapper à de grands malheurs, on sent très distinctement le bien et le mal en toutes choses ; on est disposé à exclure, à interdire ce qui a nui, et c’est le moment où le critique trouve le plus d’appui et de collaboration dans le public. […] Il avait reconnu Dussault sous le masque, mais il répondit mal ; au lieu de se disculper sur les articles essentiels, il s’exalta lui-même, il parla avec emphase de ses ennemis : Jusqu’ici, s’écriait-il, j’avais aisément repoussé les traits lancés du dehors ; mais, pour la première fois, j’ai eu affaire à des ennemis maîtres de la place, ils m’attaquaient dans l’intérieur même du journal, au sein de mes foyers ; ma propre maison était devenue leur arsenal et leur citadelle. Il s’appliquait aussi, à propos de ces attaques qu’on insérait contre lui dans son propre journal, ce que disait Louis XIV d’un courtisan qui critiquait Versailles ou Marly : « Il est étonnant que Villiers ait choisi ma maison pour en dire du mal. » Geoffroy commençait à s’entêter de lui-même et de son importance, ce qui est un signe de faiblesse. […] Il ne dit pas trop de mal de Mme de Staël, mais il dit encore plus de bien de Mme de Genlis. […] Il parlera bien de Rollin ; mais qui est-ce qui parlera mal de Rollin ?

417. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Confessions de J.-J. Rousseau. (Bibliothèque Charpentier.) » pp. 78-97

Le siècle pourtant demandait plus ; il voulait être ému, échauffé, rajeuni par l’expression d’idées et de sentiments qu’il se définissait mal et qu’il cherchait encore. […] Le moment présent n’est pas très favorable à Rousseau, à qui l’on impute d’avoir été l’auteur, le promoteur de bien des maux dont nous souffrons. […] Rousseau n’est pas seulement un ouvrier de la langue, apprenti avant d’être maître, et qui laisse voir par endroits la trace des soudures : c’est au moral un homme qui, jeune, a passé par les conditions les plus mêlées, et à qui certaines choses laides et vilaines ne font pas mal au cœur quand il les nomme. […] Aussi nous tous, en ce siècle, qui avons été plus ou moins malades du mal de rêverie, ne faisons pas comme ces anoblis qui renient leur aïeul, et sachons qu’avant d’être les fils très indignes du noble René, nous sommes plus sûrement les petits-fils du bourgeois Rousseau. […] Son caractère s’aigrira et contractera durant ces années un mal désormais incurable.

418. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Étienne Pasquier. (L’Interprétation des Institutes de Justinien, ouvrage inédit, 1847. — Œuvres choisies, 1849.) » pp. 249-269

Il est comme saisi et transporté de l’ivresse de sa nouvelle condition paternelle ; son style cette fois s’allège et bondit : Puer nobis natus est, s’écrie-t-il, comme dans la messe de Noël, il me plaît de commencer cette lettre par un passage de l’Église, à l’imitation de nos anciens avocats en leurs plaidoiries d’importance… Je suis donc augmenté d’un enfant, et augmenté de la façon que souhaitait un ancien philosophe, c’est-à-dire d’un mâle et non d’une fille ; je dirois Parisien et non Barbare, n’étoit que ce nom sonne mal aux oreilles de tous… Et il raconte comment, par jeu et par un reste de superstition d’érudit, il a voulu chercher l’horoscope de ce fils, en ouvrant au hasard quelque livre de sa bibliothèque. […] Établissant des degrés dans le mal et dans la calamité publique : La paix vaut mieux que la guerre, dit-il ; la guerre qui est faite contre l’ennemi étranger est beaucoup plus tolérable que l’autre qui se fait de citoyen à citoyen : mais, entre les guerres civiles, il n’y en a point de si aiguë, et qui apporte tant de maux, que celle qui est entreprise pour la religion… Il y a deux grands camps par la France… Il revient en maint endroit sur cette idée que, de toutes les guerres, il n’en est de pire que celle qui se fait sous voile de religion. […] » Il parle des principaux chefs et auteurs de ces maux avec mesure pourtant, et en parfaite connaissance de cause : jamais les Guise et Coligny n’ont été mieux jugés et mis en balance, vices et vertus, avec une plus impartiale équité. […] À peine investi par la confiance de Henri III de la charge d’avocat général du roi en la Cour des comptes, il en usa pour s’opposer à certain enregistrement d’édit qu’il croyait inique ; et, comme il arriva qu’une grande princesse qu’il vit peu après lui fit part du mécontentement du roi, si bien disposé pour lui auparavant, Pasquier répondit, en se ressouvenant de son ancienne courtoisie galante et de sa poésie de jeunesse pour corriger la sévérité de son procédé, que ce n’étaient là que brouilleries et querelles d’amant et maîtresse ; que « l’issue de ceci serait telle que d’un amoureux, lequel, ayant été éconduit par sa dame, s’en va infiniment mal content, mais qui, revenant peu après à soi, l’aime, respecte et honore davantage » ; et qu’ainsi le roi l’en regarderait bientôt de meilleur œil que devant. — C’est dans ce haut esprit de dévouement que Pasquier ne craignit pas de s’opposer à Henri IV lui-même pour l’enregistrement d’un édit qui allait à démembrer la Cour des comptes, et cela pendant le séjour du Parlement à Tours, c’est-à-dire pendant que les magistrats loyaux partageaient les fortunes diverses du Béarnais et son exil de Paris.

419. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La princesse des Ursins. Lettres de Mme de Maintenon et de la princesse des Ursins — II. (Suite et fin.) » pp. 421-440

Quoi qu’il en soit, il était bien permis, en ces temps de malheur, d’être d’avis différent sur le remède et sur les moyens de sortir des maux accablants. Mme de Maintenon aspirait à en sortir comme une femme et comme beaucoup trop d’hommes alors, comme une femme de sens qui voit de près le mal, qui en souffre en elle et pour ceux auxquels elle est attachée, qui n’a rien d’une héroïne, qui est toute résignée et chrétienne, qui voit la main de Dieu non seulement dans les revers redoublés et les défaites, mais encore plus directement dans les fléaux naturels, dans les hivers tels que celui de 1709 (dont on n’avait point eu d’exemples depuis plus d’un siècle), et dans la famine qui s’ensuivit. Mme de Maintenon, à la vue de tant de maux, s’incline, s’agenouille, et, pourvu qu’il y ait repos et relâche après cet excès de souffrances, elle ne recule devant aucune extrémité : Nous ne pouvons faire la guerre, dit-elle (24 juin 1709) : il faut bien baisser la tête sous la main de Dieu, quand elle veut renverser les rois et les royaumes ; voilà, madame, ce que j’ai toujours craint… Nous avons éprouvé une suite de malheurs dont la France ne peut se relever que par une longue paix ; et la famine, qui est le dernier et le plus grand de tous, nous met aux abois. […] Le mal est que certaines femmes ont plus d’honneur qu’eux, et que leurs fautes nous rendent martyres de ce monde. […] La princesse Élisabeth de Parme, objet de ce choix, et qu’elle n’avait préférée que parce qu’elle l’avait mal connue, entra donc en Espagne.

420. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Saint-Bonnet » pp. 1-28

Après l’Unité spirituelle, il écrivit le livre de la Douleur, un livre de mysticité tendre comme les Saints en auraient écrit un avant que leur sang fût devenu lumineux et quand il fait mal en coulant encore. […] Dans l’impossibilité où je suis de citer tout ce qui me frappe au milieu de ce fouillis de richesses, j’indiquerai au moins le chapitre où l’auteur montre, avec une audacieuse justesse, que sans l’Église le Christianisme aurait fait le mal et l’erreur du monde et qu’il ne serait plus que l’épouvante de l’Histoire ; et celui-là encore qu’il intitule : « Coexistence des pouvoirs d’ordre, de juridiction et d’infaillibilité », dans lequel il prouve d’une manière si piquante que Jésus-Christ, étant et restant dans sa forme humaine sur la terre, n’en serait pas moins tenu d’instituer son Église telle qu’il l’a instituée et telle qu’elle est à cette heure. […] Mais si l’on entend par ce mot de marguillier, mal choisi pour tout le monde, ce que je ne veux pas comprendre, je dirai, moi, à son critique, qu’il est marguillier comme Platon — lequel, du reste, avait vendu de l’huile — était épicier. […] Cette loi sublime, il la montre et la suit dans tous les phénomènes qu’ils appellent, eux, le mal de la vie : la faim, — tout commence par la faim, dit-il, — le travail, l’esclavage, les infirmités des organes, les maladies, la vieillesse, — dont il donne la raison divine, la raison suprême et rayonnante, — et enfin la mort, qui commence la grande vie. Sans ce mal de la vie ici-bas, qui est toute la vie, l’homme n’agirait pas : « La liberté, ce pouvoir d’être cause, — dit, avec sa profondeur perpétuelle, Saint-Bonnet, — cette faculté du mérite, exige que l’homme se refasse lui-même.

421. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « LA REVUE EN 1845. » pp. 257-274

Il est vrai que c’est dans une comédie qu’il dit cela, et qu’on ne peut pas prendre tout à fait au sérieux ces sortes de saillies ; mais il faut pourtant reconnaître que, si les honnêtes gens en ce monde sont moins mal partagés d’ordinaire et dans les temps réguliers que Ménandre ne le dit, il est aussi des instants de crise où ils se conduisent de manière à avoir tout l’air en effet de ne venir qu’après les flatteurs, les calomniateurs et ceux qui vivent à petit bruit de la corruption. […] On le comprend assez, cette grande colère du dehors ne s’est pas formée en un jour, et le mal vient de plus loin. […] Je suis trop poëte moi-même (quoique je le sois bien peu) pour prétendre dire aucun mal de ce qui n’est qu’une conséquence, après tout, d’une sensibilité plus prompte et plus vive, d’une ambition plus vaste et plus noble que celle que nourrissent d’ordinaire les autres hommes ; mais, encore une fois, on ne se figure pas, même quand on a pu considérer les ambitions et les vanités politiques, ce que sont de près les littéraires. […] L’âme, l’inspiration de toute saine critique, réside dans le sentiment et l’amour de la vérité : entendre dire une chose fausse, entendre louer ou seulement lire un livre sophistique, une œuvre quelconque d’un art factice, cela fait mal et blesse l’esprit sain, comme une fausse note pour une oreille délicate ; cela va même jusqu’à irriter certaines natures chez qui la sensibilité pénètre à point dans la raison et vient comme aiguiser celle-ci en s’y tempérant.

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