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478. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. » pp. 31-51

Habitant à côté des prêtres eunuques consacrés à la déesse et qu’elle convoque souvent dans sa maison, Salammbô s’est tenue isolée et s’est fait un asile tout particulier de rêverie, d’innocence et de mysticisme. […] Elle menace, si le désordre continue, d’emporter avec elle le Génie de la maison, le serpent noir qui dort là-haut sur des feuilles de lotus : « Je sifflerai, il me suivra, et, si je monte en galère, il courra dans le sillage de mon navire, sur l’écume des flots. » Tout ce qu’elle chante est harmonieux ; elle s’exprime dans un vieil idiome chananéen que n’entendent pas les Barbares ; ils n’en sont que plus étonnés. […] Puis, à mesure que le ciel rose allait s’élargissant, les hautes maisons inclinées sur les pentes du terrain se haussaient, se tassaient, telles qu’un troupeau de chèvres noires qui descend des montagnes.

479. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte. »

Il fallait donc, comme on l’a dit, « lui conserver quelque chose de noble jusque dans le ridicule ; car Don Quichotte, c’est le Cid des petites maisons. » Ajoutez-y le cadre et le fond du tableau, cette Espagne que M.  […] Cervantes le suivit à Rome et fit partie de sa maison en qualité de chambellan ou valet de chambre ; mais cet état de domesticité, réputé honorable, paraît lui avoir peu convenu, et, au lieu de pousser sa fortune près de son patron, de devenir signor abbate et le reste, on le voit bientôt engagé soldat au service de la ligue conclue entre le pape, Philippe II et les Vénitiens, dans cette espèce de sainte croisade commandée par Don Juan d’Autriche contre les Turcs. […] Cervantes, qui était une espèce d’agent d’affaires et qui faisait des écritures pour ceux qui lui en demandaient, éprouve là de nouveau un de ces désagréments qui lui étaient assez familiers : une nuit, dans une querelle engagée près de sa maison, un chevalier, un personnage de la Cour fut frappé et blessé à mort par un inconnu : on arrêta provisoirement tous les témoins et toutes les personnes suspectes jusqu’à plus ample information, et Cervantes fut de ce nombre.

480. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — Note »

« La maison est à quatre cents pas du lac sur un sol incliné faiblement, et couvert d’une herbe courte que paissent les bestiaux. […] Du point où nous sommes, on n’aperçoit que deux vacheries au-dessus des bois, et plus près de nous une seule maison de paysans. […] « Derrière la maison est un enclos où sont rassemblés des légumes et des fruits.

481. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. BRIZEUX (Les Ternaires, livre lyrique.) » pp. 256-275

Dans les Cornemuses par exemple, c’est un pauvre enfant italien qui va jouant de la piva ; il va de maison en maison, et personne ne l’écoute. […] Pourtant je veux la paix. — Pour les jours qui vont suivre Ce triste hiver, voici ma nouvelle chanson : Que vos sacs se gonflent de cuivre ; Bien repu, chaque soir, rentrez à la maison.

482. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXII » pp. 355-377

Le roi était, comme on l’a vu, à l’armée de Flandre, madame de Montespan dans sa maison de Clagny, où Le Nôtre dépensait l’argent consolateur de l’amant magnifique ; madame de Maintenon était à Barèges avec le duc du Maine. […] Vous verrez de quelle manière se tournera cette amitié. » Le 28 juin, « Vous jugez très bien de Quantova (madame de Montespan) ; si elle peut ne point reprendre ses vieilles brisées, elle poussera sa grandeur au-delà des nues ; mais il faudrait qu’elle se mît en état d’être aimée toute l’année sans scrupule111 ; en attendant, sa maison est pleine de toute la cour ; les visites se font alternativement, et la considération est sans bornes. » Une autre lettre, du 3 juillet, porte : « Ah ! […] « Il est certain que l’ami (le roi) et Quanto (madame de Montespan) sont véritablement séparés ; mais la douleur de la demoiselle (madame de Montespan) est fréquente et même jusqu’aux larmes, de voir à quel point l’ami s’en passe bien, Il ne pleurait que sa liberté et ce lieu de sûreté contre la dame du château. » Il ne pleurait, pendant la séparation, que la liberté qu’il trouvait dans la maison de la maîtresse, et un lieu où il pouvait échappera l’ennui que lui causait la société de la reine.)

483. (1895) Les mercredis d’un critique, 1894 pp. 3-382

Catulle Mendès. — La Maison de la Vieille Bien que la Maison de la Vieille, que nous donne M.  […] En prêtant l’oreille, on aurait pu entendre, de tous les c’oins de Paris, rire et crier la Maison de la Vieille. […] « Comme on se concertait pour donner un sens au prodige, une vieille femme sortit, les yeux baignés de larmes, de la maison de Phidias. […] Nous avons fait visiter ce matin toutes les maisons dans le voisinage de l’Ambigu. […] On travaille à force à réparer la maison.

484. (1888) Études sur le XIXe siècle

Son fils Carlo ayant épousé, contre son consentement, une de ses parentes, la jeune femme fut impitoyablement bannie de la maison. […] peut-il, comme un jésuite, vivre dans la maison de son âme seulement pour découvrir ou saper ses fondements ! […] Enfin, je dis à Leggiero de s’avancer un peu dans l’intérieur pour découvrir quelque maison dans le voisinage. […] De cette chaumière, nous passâmes dans la maison de la sœur de Bonnet, qui fut très aimable. […] Il rencontre une maison, puis deux, puis plusieurs, et, devant toutes, des ustensiles de campagne peints en couleurs vives.

485. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLIXe Entretien. L’histoire, ou Hérodote »

Je vous ai ensuite admis dans ma propre maison, et je n’ai rien épargné pour subvenir à vos besoins. […] J’ai trouvé la maison d’Harpagus en larmes et dans les gémissements ; frappé de ce spectacle, j’entre ; je vois un enfant couché, se débattant et jetant des cris douloureux. […] Je l’ai reçu, persuadé qu’il était né de quelque domestique de la maison, et ne pouvant m’imaginer d’abord ce qu’il pouvait être. […] Mais bientôt j’ai appris tout d’un homme de la maison, qui m’a accompagné jusqu’au dehors de la ville, et a remis l’enfant dans mes mains. […] Après cette réponse, il recueillit ces tristes débris, les emporta dans sa maison et les réunit dans la tombe.

486. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vigny, Alfred de (1797-1863) »

Et, d’une manière générale, jusque dans ses plus belles pièces, — jusque dans Éloa, jusque dans sa Maison du Berger, — sa liberté de poète est perpétuellement entravée par je ne sais quelle hésitation ou quelle impuissance d’artiste. […] L’occasion est bonne à la critique pour revenir une fois encore sur l’auteur de Moïse , d’Éloa, de la Maison du Berger, de la Mort du Loup et de la Colère de Samson, — poèmes d’une beauté inaltérée, et qui brillent, sous notre ciel littéraire d’aujourd’hui, avec une douce clarté de lointaines étoiles.

487. (1898) Le vers libre (préface de L’Archipel en fleurs) pp. 7-20

Les habitants s’isolent le plus possible les uns des autres, et s’efforcent de bâtir leur maison très différente et très éloignée de celle du voisin. Autour de cette maison, ils plantent un petit jardin, et ils jettent les hauts cris si quelqu’un, y avisant des fleurs qui lui plaisent pour leurs nuances et leur parfum, mais à son goût mal disposées, les loue en peu de termes tout en faisant ses réserves sur le style décoratif du jardin.

488. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre IV » pp. 38-47

Ici il suffit de remarquer que le trouble et le désordre étaient dans la maison du roi comme dans l’État, et que la manière de vivre adoptée à l’hôtel de Rambouillet s’embellit et s’agrandit par son contraste avec ces désordres et ces petitesses. […] Henri IV commanda à Malherbe de se tenir près de sa personne ; il eut place à la table du grand-maître de la maison, 1 000 fr. d’appointements, un valet et un cheval à son service.

489. (1925) Feux tournants. Nouveaux portraits contemporains

On a beaucoup plaisanté la Maison de la Presse4. […] Ce qui faisait considérer la Maison de la Presse comme une embuscade particulièrement scandaleuse, c’était le thé que l’on était censé y boire. […] Il fut l’ami de Huysmans, il est celui de l’abbé Bremond, ils logent tous les deux du côté de la Santé, dans la même maison ; ah, comme ils doivent s’amuser ! […] La maison natale de Bossuet se situe au n° 10 de la place qui porte son nom. […] C’est au début de février 1916 que Ramuz s’est installé dans la maison nommée « L’Acacia », avenue de Cour, à Lausanne où il restera jusqu’en 1929.

490. (1884) La légende du Parnasse contemporain

Et sauraient purger leur maison bien vite D’un être qu’on voit perdre ainsi son temps. […] J’ai vu ses yeux se mouiller de larmes à cause d’une maison dont il se souvenait, au coin d’une rue, et qu’on avait démolie. […] Je me souviens des bons repas camarades au premier étage de la petite maison, passage de l’Élysée-des-Beaux-Arts, à Montmartre. […] Mais nous laissions tout cela à la porte de Leconte de Lisle comme on quitte un habit de carnaval pour revenir dans la maison familiale. […] » Puis, tout à coup, la maison s’effondre.

491. (1894) La bataille littéraire. Cinquième série (1889-1890) pp. 1-349

— Et que c’est ici la maison du bon D…, de l’Être suprême ! […] La joie de fuir la maison paternelle ne lui avait-elle pas fait trop vite agréer ce parti ? […] »            (La Maison du Roi, à Fontenoy.) […] Impossible de fuir, la maison était cernée. […] La vieille tragédienne, en sa maison d’Issy, m’apparaît comme Athalie à Sainte-Périne.

492. (1892) Portraits d’écrivains. Première série pp. -328

Elle s’installe dans les meilleures maisons et dans les plus hauts parages. […] (Maison neuve.) — Nous assistions à des scènes de la vie dévote… Supposez une maison mystérieuse, dans un quartier désert. […] « Joie de rue, douleur de maison !  […] Hettéma ayant pris femme dans une maison publique, semble détaché d’un roman de M.  […] Maison neuve.

493. (1892) Impressions de théâtre. Sixième série

Nous sommes d’abord dans la maison Vauquer. […] Tels la Famille Benoîton, Maison neuve, Nos bons Villageois, etc. […] Je force la porte d’une maison déserte. […] » Elisabeth l’entraîne vers sa maison. […] Mais Marthe a pu croire, cependant, que c’était pour elle qu’il venait dans la maison.

494. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (2e partie) » pp. 409-488

Il sortit son fusil à la main ; mais il tournait à peine l’angle de l’hôtel de Nantes, maison isolée et pyramidale qui existait seule sur le Carrousel, qu’un coup de feu de hasard vint l’atteindre en pleine poitrine ; il tomba philosophe, on le releva héros. […] En rentrant dans sa maison, il se sent plus à l’aise, il sent plus vivement par le contraste ; il chérit son étroit horizon, où il est à l’abri de ce qui le gêne, où son esprit n’est pas vaguement égaré par une trop vaste perspective. […] L’enfant de la maison aime sa mère plus qu’un fils, mais il ne l’aime pas comme un amant. […] Vois ce que tu es dans cette maison ! […] Que sera-ce donc si ce possesseur et ce fils de la maison est, à la fois, un rêveur, un poète, un amant ; s’il a mis de son âme et de sa pensée, et de ses plus précoces souvenirs, sous chacun de ces hêtres et jusque dans le murmure de chaque ombrage ?

495. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (3e partie) » pp. 5-96

telle fut ma première pensée, et ce n’est pas sans un peu d’appréhension que je pénétrai dans la maison. […] Avez-vous oublié le mot magnifique que votre Philistin d’Iéna criait à son voisin, déclarant qu’il pouvait maintenant recevoir bien commodément les Russes, puisque sa maison était nettoyée et que les Français l’avaient quittée ? […] Il m’a dit en me tendant un papier : « Quand on a dépassé quatre-vingts ans, on a à peine le droit de vivre ; il faut être prêt chaque jour à être rappelé, et penser à ranger sa maison. […] Le prince le choisit pour son ministre intime et pour son conseiller principal ; il lui donna une maison à la ville, et une retraite paisible à la campagne. […] Maintenant tout est mort dans la maison de Goethe.

496. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Bossuet et la France moderne »

Cette effervescence cléricale s’incarna dans la Sainte Ligue, ou Union catholique dont le clergé, d’accord avec la funeste maison des Guise, prit en 1576, l’initiative. […] Peu de temps après avoir fondé l’Union Évangélique, qui est une alliance des nations presque toutes réformées, contre la catholique maison d’Autriche, et après avoir montré par là qu’il pressentait pour l’Europe la voie de l’avenir, Henri IV mourut sous les coups d’un assassin, instrument des Ligueurs, à qui ce tiède dévot était toujours en haine.‌ […]  »‌ « Une ordonnance de 1681, déclare le commentateur de ces textes77, avait autorisé les enfants protestants à abjurer dès l’âge de sept ans, à quitter la maison paternelle et à exiger de leurs parents une pension. […] Un mois après, nous voyons Bossuet demander les maisons adjacentes aux temples : le succès l’enhardissait…‌ Pas plus que les auteurs, dont je viens d’invoquer le témoignage, je ne sais si Bossuet fit partie du « conseil de conscience » qui prépara la Révocation : mais il existe un autre fait qui prouve d’une manière irrécusable jusqu’à quel point il était partisan de cette mesure d’expulsion. […] L’électeur Frédéric-Guillaume, « le véritable fondateur de la grandeur de sa maison », comprit tout ce que son pays stérile et sauvage pouvait gagner en mettant à profit la faute énorme que la France venait de commettre.

497. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Ma biographie »

  Les bureaux du Globe étaient rue Monsigny dans la même maison qu’habitait le groupe saint-simonien. […] Cet oncle demeurait place Dauphiné ; il y occupait une maison à lui tout seul : il était marchand de vin21. […] Landry, mon maître de pension, à ma mère, au moment où j’allais quitter la maison après ma philosophie pour faire mes études de médecine. […] — Vous avez la bonté de m’écrire que jamais vous n’oublierez notre maison. […] Mme Sainte-Beuve est morte à Paris, dans sa maison de la rue Montparnasse, où est mort aussi son fils, le 17 novembre 1850, à cinq heures de l’après-midi.

498. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE LA FAYETTE » pp. 249-287

Ces amants malheureux quittent la cour pour des déserts horribles, où ils ne manquent de rien ; ils passent les après-dinées dans les bois, contant aux rochers leur martyre, et ils rentrent dans les galeries de. leurs maisons, où se voient toutes sortes de peintures. […] Il y a des jours plus sérieux et non moins délicieux, où, à Saint-Maur, dans cette maison que M. le Prince avait prêtée à Gourville, et dont Mme de La Fayette jouissait volontiers, on entendait en compagnie choisie la Poétique de Despréaux qu’on trouvait un chef-d’œuvre. […] Dans son beau et vaste jardin de la rue de Vaugirard, si verdoyant, si embaumé, dans la maison de Gourville à Saint-Maur, où elle s’habitue en amie franche, à Fleury-sous-Meudon, où elle va respirer l’air des bois, on la suit malade, mélancolique ; on voit cette figure longue et sérieuse s’amaigrir et se dévorer. Sa vie, durant vingt ans, se convertit en une petite fièvre plus ou moins lente, et les bulletins reviennent toujours à ceci : « Mme de La Fayette s’en va demain à une petite maison auprès de Meudon où elle a déjà été. […] En 1672, quand Mme Scarron élevait en secret les bâtards de Louis XIV, au bout du faubourg Saint-Germain, près de Vaugirard, bien au delà de la maison de Mme de La Fayette, celle-ci était encore en liaison particulière avec elle ; elle recevait quelquefois de ses nouvelles ainsi que Mme de Coulanges ; elles durent même la visiter ensemble.

499. (1739) Vie de Molière

Jean-Baptiste Poquelin naquit à Paris en 1620 dans une maison qui subsiste encore sous les piliers des Halles. […] Molière, heureux par ses succès et par ses protecteurs, par ses amis et par sa fortune, ne le fut pas dans sa maison. […] Nicolas Fouquet, dernier surintendant des finances, engagea Molière à composer cette comédie pour la fameuse fête qu’il donna au roi et à la reine mère, dans sa maison de Vaux, aujourd’hui appelée Villars. […] Il crie qu’il est perdu, qu’il est abîmé, si la fumée de son feu va hors de sa maison. […] Molière voyant tant d’ennemis qui allaient attaquer sa personne encore plus que sa pièce, voulut laisser ces premières fureurs se calmer : il fut un an sans donner Le Tartuffe ; il le lisait seulement dans quelques maisons choisies, où la superstition ne dominait pas.

500. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXVIIIe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 65-128

Le bargello rentra dans son greffe, et sa femme, survenant à son tour, m’enseigna complaisamment tout ce que j’avais à faire dans la maison : à aider le cuisinier dans les cuisines, à tirer de l’eau au puits, à balayer les escaliers et la cour, à nourrir les deux gros dogues qui grondaient aux deux portes, à jeter du grain aux colombes, à faire les parts justes de pain, de soupe et d’eau aux prisonniers, même à porter trois fois par jour une écuelle de lait à la captive de la deuxième loge pour l’aider à mieux nourrir son enfant, qu’elle ne suffisait pas à allaiter par suite du chagrin qui la consumait, la pauvre jeune mère ! […] Alors je lui racontai précipitamment comment j’avais pris les habits et la zampogne de mon oncle dans le coffre, afin de ne pas être exposée, comme une pauvre fille, aux poursuites, aux insolences et aux libertinages des hommes dans les rues ; comment mon oncle et ma tante avaient voulu s’opposer par force à mon passage, comment le père Hilario leur avait dit, au nom du bon Dieu : Laissez-la faire son idée ; comment il avait promis d’avoir soin d’eux, à défaut de leurs deux enfants, dans la cabane ; comment une noce, qui avait besoin d’un musicien, m’avait ramassée sur le pont du Cerchio ; comment cette noce s’était trouvée être la noce de la fille du bargello ; comment leur gendre, en s’en allant de la maison avec sa sposa, avait laissé vacante la place de serviteur et de porte-clefs de la prison ; comment la femme et le mari, trompés par mes vêtements et contents de ma figure, m’avaient offert de les servir à la place du partant ; comment j’avais pressenti que la prison était la vraie place où j’avais le plus de chance de trouver et de servir mon frère prisonnier ; comment j’avais joué de ma zampogne, dans ma chambre haute au sommet de la tour, pendant la nuit, afin de lui faire connaître, par notre air de la grotte, que je n’étais pas loin et qu’il n’était pas abandonné de tout le monde, au fond de son cachot, où il avait été jeté par les sbires ; comment le bargello m’avait appris mon service le matin et comment j’avais compris que le meurtrier c’était lui ; comment j’étais parvenue, petit à petit, à l’empêcher de pousser aucun cri en me revoyant ; comment je le verrais à présent à mon aise, et sans qu’on se doutât de rien, tous les jours ! […] Ensuite la pensée des jours sans fin que nous avions passés ensemble, depuis que nous respirions et que nous grandissions dans le berceau, dans la cabane, dans la grotte, dans la vigne, dans les bois, sans songer que jamais nous pourrions être désunis l’un d’avec l’autre, et puis ceci, et puis cela, que nous n’avions pas compris d’abord dans nos ignorances, et que nous nous expliquions si bien à présent que nous nous étions avoué notre penchant, contrarié par nous seuls, l’un vers l’autre ; et puis la fatale journée de la coupe du châtaignier, et puis celle de ma blessure par le tromblon du sbire, quand il avait étanché mon sang sur mes bras avec ses lèvres ; et puis ma folie de douleur et ma fuite de la maison sans savoir où j’allais pour le suivre, comme la mousse suit la pierre que l’avalanche déracine ; et puis ma pauvre tante et mon père aveugle abandonnés à la grâce de Dieu et à la charité du père Hilario, dans notre nid vide ; et puis l’espérance que les anges du ciel nous délivreront des pièges de la mort où nous étions pris, tels que deux oiseaux, pour nous punir d’en avoir déniché, les printemps, tant d’autres dans nos pièges de noisetier, quand nous étions enfants ; et puis la confiance de nous sauver de là, plus tard, d’une manière ou d’autre, car les quatre semaines et les quatre jours nous paraissaient si longs, que nous ne pensions jamais en voir la fin. […] Premièrement, le petit chien Zampogna fut tout à fait guéri de sa jambe coupée et commença à japper un peu de joie autour de nous en gambadant sur ses trois pattes, devant la porte, comme pour me dire : Maître, sortons donc et allons chercher ceux qui manquent à la maison ; je puis à présent te servir et te conduire comme autrefois ; fie-toi à moi de choisir les bons sentiers et d’éviter les mauvais pas ; et il s’élançait sur le chemin qui descend vers Lucques comme s’il eût compris que ses deux amis étaient là-bas ; puis il revenait pour s’y élancer encore. […] Ces réponses uniformes m’avaient donné d’abord à penser que votre fille n’avait pas osé entrer à Lucques et qu’elle errait çà et là dans les villages voisins, comme un enfant qui regarde les fenêtres des maisons et qui voudrait bien y pénétrer, sans oser toutefois s’approcher des portes.

501. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Edgar Allan Poe  »

L’opulente solennité du début de la Mort rouge, le ton piteux et défaillant, dans Puits et Pendule, s’assortissent à l’affolement entrecoupé qui secoue le commencement du Cœur révélateur à l’ouverture maladive et triste de la Maison Usher où ces mots « journée fuligineuse, sombre et muette » sonnent le glas ; d’autres encore, l’inoubliable prélude à Ligéia, les lentes et sombres périodes initiales dans Ombre, les ténébreux débuts du Corbeau et de la Cité en la mer, affectent comme des présages. […] L’intérieur de la morose maison Usher « aux fenêtres semblables à des yeux sans pensée » se dévoile dans un crépuscule. […] Tous les détails de la description de la maison Usher servent, à la catastrophe. […] Wilson, cette catastrophe grandiose où la maison Usher, par une nuit de tempête, se fissure et s’abîme dans l’étang stagnant à son pied, et démasque lentement le disque rouge de la pleine lune ; jamais on n’a dépensé en une série d’œuvres une richesse pareille d’inventions sans analogue. […] Une vision en plein Océan polaire après d’étranges aventures dans une île inconnue, une maison qui s’abîme singulièrement par une tempête, la résurrection d’un cataleptique, des ressemblances bizarres, une ombre sur une porte, un corbeau qui répond merveilleusement juste ; en ces faibles atteintes au vraisemblable, consiste tout le fantastique mesuré de Poe, qu’atténue encore une science exacte des transitions, du milieu et du moment propices.

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