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522. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Émile Zola »

Si ce charmant mouvement intellectuel continue, la Littérature française a chance de mourir asphyxiée derrière la porte infecte du cabinet d’Héliogabale. […] L’auteur du Ventre de Paris, dont la chair, pour parler comme lui, est faite des chairs mêlées de Victor Hugo, Théophile Gautier et Flaubert, malgré son amour monstrueux des choses basses, des couleurs criantes jusqu’à vociférer, et son cynique mépris des inspirations morales et des beautés intellectuelles dans les œuvres, a du talent encore. […] Zola lui a donné la foi pour mieux montrer à quel degré de rachitisme intellectuel l’idée religieuse fait descendre la créature humaine, — aurait dû résister longtemps avant de tomber, et, s’il fût tombé, le flambeau de la foi, qui n’est pas toujours éteint par la chute, aurait pu allumer en lui le feu des remords.

523. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre III. De la logique poétique » pp. 125-167

Nous suivons encore une marche analogue à celle de ces premiers hommes, mais c’est à l’égard des choses intellectuelles, telles que les facultés de l’âme, les passions, les vertus, les vices, les sciences, les arts ; nous nous en formons ordinairement l’idée comme d’autant de femmes (la justice, la poésie, etc.), et nous ramenons à ces êtres fantastiques toutes les causes, toutes les propriétés, tous les effets des choses qu’ils désignent. C’est que nous ne pouvons exposer au-dehors les choses intellectuelles contenues dans notre entendement, sans être secondés par l’imagination, qui nous aide à les expliquer et à les peindre sous une image humaine. […] Homme est une abstraction qui comprend génériquement le corps et toutes ses parties, l’intelligence et toutes les facultés intellectuelles, le cœur et toutes les habitudes morales.

524. (1893) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Première série

Conçue dans un moment d’intense volupté intellectuelle, lentement formés et caressés en imagination, mis au jour avec plus ou moins de peine et d’efforts, ils peuvent nous inspirer à la fois un paternel orgueil et une tendresse maternelle. […] L’intérêt sans égal du but poursuivi, l’importance des résultats déjà obtenus, la certitude enfin d’un succès de plus en plus grand dans la continuation du même effort collectif : voilà ce qui donne au travail scientifique une précellence glorieuse, voilà ce qui en fait, à mon avis, l’emploi le plus élevé de l’activité intellectuelle de l’homme. […] Qu’il y ait dans cette indécision trop commode, qu’un Pascal aurait foudroyée comme équivoque et lâche, un manque de courage moral et intellectuel, hélas ! […] La calme acceptation intellectuelle de ces anomalies énormes est le fait d’un optimisme lourd et paresseux, auquel il répugne de voir régner le destin et son brutal caprice à la place du bel ordre providentiel qu’il rêve. […] Notre petit apport dans l’héritage intellectuel et moral de l’humanité future, voilà notre seule immortalité ; tout le reste, toutes les espérances dont notre imagination se repaît, n’est que fantasmagorie et duperie.

525. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [1] Rapport pp. -218

les pourceaux les auraient reconnues, c’étaient des perles faites avec des gouttes de boue, — l’esprit du fabliau demeurera la déplorable tare intellectuelle d’une part de notre race. […] Elle engendrera prochainement, — fait de tous les éléments concentrés de notre race, — un mouvement littéraire qui ne ressemblera, tant il sera personnellement français dans sa multiplicité unifiée, à aucun moment de l’essor intellectuel d’aucune autre nation. […] en aucune façon ; à n’importe quel moment d’une évolution intellectuelle commune, la suprématie, par une juste illusion, en semble devenir le commencement. […] Il y eut une recherche des continents intellectuels dont Victor Hugo n’avait pas encore été le Christophe Colomb. […] De sorte que je me demande si l’émotion intellectuelle que les Symbolistes espérèrent mettre dans leurs vers et y mirent en effet, j’y consens sur leur propre témoignage, est en réalité transmissible.

526. (1894) Textes critiques

L’une chez Johannes s’échancre et s’irrite à l’intrusion de Kaethe : les Pensées que son front exsude, ainsi taisant acte de Vie, s’interrompent en éparpillement effrité : du choc de l’intellectuelle existence et de la vie pratique, le néant, comme un serpent de sulfocyanure à sa naissance flamboyante rentrant ses cornes oculaires sous le dôme tombant d’un doigt. […] Donc, syllogistiquement… mais intellectuels, amis non amants, juste assez de charnel inconsciemment désiré, d’envoûtement senti nécessaire (photographies) pour faire l’amitié vivace, sans potacheries, trop philosophes pour ignorer que l’Idée déchoit qui passe à l’Acte ; l’une gynandre en spontanéité, l’autre d’irrésolution (parfois) androgyne, semblables par l’interversion de leurs sexes ; union de noblesse socratique ; Nisus et Euryale cérébraux, non musculaires, avant les nuits sous la même tente.‌ […] Ames solitaires heurtées sans pénétration — mêlée sans mélanges— en éclats douloureux, d’autant moins conscientes de leur solitude que moins intellectuelles, le vieux Vockerat et sa femme, simples par l’esprit, souffrent le moins — et ils ont où se cramponner, Kaethe, l’Idolâtré englouti, tombe les mains s’effarant au vide du piédestal. […] Quelques intellectuels moutonnièrement flottent emportés dans la houleuse panique.

527. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIe entretien. Boileau » pp. 241-326

A-t-il nui à notre croissance comme nation intellectuelle, ou a-t-il dirigé notre sève égarée et surabondante vers une conformation durable de la langue et de la pensée, en réprimant cette sève de la France et en la contenant dans les règles éternelles du bon sens et du bon goût, ces deux nécessités premières et ces deux qualités natives du génie français ? […] Nous ne sommes pas de ces hommes jaloux de la gloire et de la nourriture intellectuelle des autres peuples que le nôtre. […] Le Français est le dégustateur intellectuel de toutes les productions de la pensée dans le monde. […] C’est l’explosion moqueuse ou virulente d’une âme plus sensible aux laideurs qu’aux beautés intellectuelles ou morales de l’humanité.

528. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIe entretien. Littérature italienne. Dante. » pp. 329-408

Dante, Pétrarque, le Tasse, l’Arioste, Machiavel, Michel-Ange, Raphaël, les Médicis et leur cour ; trois poèmes épiques en trois siècles ; une litanie de noms et d’œuvres secondaires, et cependant impérissables, dignes d’être gravés sur la colonne de bronze qu’on élèverait à la gloire intellectuelle de l’Europe pensante, sont le témoignage de cette immortelle fécondité de l’Italie. […] Le ciel, la mer, les montagnes, les fleuves, la race, la langue, les religions, les grandeurs et les revers de la destinée, le passé presque fabuleux, le présent triste, l’avenir toujours prêt à renaître, et toujours trompeur, la jeunesse éternelle de ce sang italien qui roule toutes sortes de royautés déchues dans ses veines, une noblesse de peuple-roi dans le dernier laboureur de ses plaines ou dans le dernier pasteur de ses montagnes, une rivalité de villes capitales, telles que Naples, Rome, Florence, Sienne, Pise, Bologne, Ferrare, Ravenne, Vérone, Gênes, Venise, Milan, Turin, ayant toutes et tour à tour concentré en elles l’activité, le génie, la poésie, les arts de la patrie commune, et pouvant toutes aspirer à la royauté intellectuelle d’une troisième Italie, voilà les explications de cette aristocratie indélébile de l’esprit humain au-delà des Alpes. […] L’imagination habitait pour ainsi dire ces mondes intellectuels des morts autant et plus que le monde des vivants. […] Les créations infinies et de dates immémoriales de Dieu dans les profondeurs sans mesure de ces espaces qu’il remplit de lui seul par ses œuvres ; les firmaments déroulés sous les firmaments ; les étoiles, soleils avancés d’autres cieux, dont on n’aperçoit que les bords, ces caps d’autres continents célestes, éclairés par des phares entrevus à des distances énormes ; cette poussière de globes lumineux ou crépusculaires où se reflétaient de l’un à l’autre les splendeurs empruntées à des soleils ; leurs évolutions dans des orbites tracées par le doigt divin ; leur apparition à l’œil de l’astronomie, comme si le ciel les avait enfantés pendant la nuit et comme s’il y avait aussi là-haut des fécondités de sexes entre les astres et des enfantements de mondes ; leur disparition après des siècles, comme si la mort atteignait également là-haut ; le vide que ces globes disparus comme une lettre de l’alphabet laissent dans la page des cieux ; la vie sous d’autres formes que celles qui nous sont connues, et avec d’autres organes que les nôtres, animant vraisemblablement ces géants de flamme ; l’intelligence et l’amour, apparemment proportionnés à leur masse et à leur importance dans l’espace, leur imprimant sans doute une destination morale en harmonie avec leur nature ; le monde intellectuel aussi intelligible à l’esprit que le monde de la matière est visible aux yeux ; la sainteté de cette âme, parcelle détachée de l’essence divine pour lui renvoyer l’admiration et l’amour de chaque atome créé ; la hiérarchie de ces âmes traversant des régions ténébreuses d’abord, puis les demi-jours, puis les splendeurs, puis les éblouissements des vérités, ces soleils de l’esprit ; ces âmes montant et descendant d’échelons en échelons sans base et sans fin, subissant avec mérite ou avec déchéance des milliers d’épreuves morales dans des pérégrinations de siècles et dans des transformations d’existences sans nombre, enfers, purgatoires, paradis symbolique de la Divine Comédie des terres et des cieux ; Tout cela, dis-je, m’apparut, en une ou deux heures d’hallucination contemplative, avec autant de clarté et de palpabilité qu’il y en avait sur les échelons flamboyants de l’échelle de Jacob dans son rêve, ou qu’il y en eut pour le Dante au jour et à l’heure où, sur un sommet de l’Apennin, il écrivit le premier vers fameux de son œuvre : Nel mezzo del cammin di nostra vita , et où son esprit entra dans la forêt obscure pour en ressortir par la porte lumineuse.

529. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — II. (Fin.) » pp. 36-54

Fénelon fait tout pour corriger le duc de Chevreuse de cet excès intellectuel, et pour l’en guérir : Je crains toujours beaucoup, lui écrit-il (août 1699), votre pente excessive à raisonner : elle est un obstacle à ce recueillement et à ce silence où Dieu se communique. […] Fénelon l’avertit toutefois de prendre garde et de ne pas trop se livrer à sa pente : il croit utile que le bon duc ait quelquefois entretien avec un autre que soi, avec quelqu’un de simple, de pieux, de sincère : « Cette personne, lui dit-il, vous consolerait, vous nourrirait, vous développerait à vos propres yeux et vous dirait vos vérités. » On a beau se persuader qu’on se dit à soi-même ses vérités, on n’y atteint jamais complètement ni par le coin le plus sensible : « Une vérité qu’on nous dit nous fait plus de peine que cent que nous nous dirions à nous-même : on est moins humilié du fond des vérités que flatté de savoir se les dire. » En attendant que le duc de Chevreuse ait trouvé de près ce quelqu’un pour lui rendre ce service, Fénelon le lui rend de loin tant qu’il peut, en lui parlant sans réticence, sans ménagement ; il lui expose d’une manière sensible son grand défaut, ce beau défaut tout curieux, tout intellectuel ; il le lui étend avec ses replis et le lui fait toucher au doigt : Plus une vie est profonde, délicate, subtile et spécieuse, plus on a de peine à l’éteindre.

530. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Pierre Loti »

Et que sont ces pauvres petits plaisirs intellectuels auprès des grandes joies animales de la vie physique ! […] Vous êtes une nature très avide des jouissances artistiques et intellectuelles et vous ne pouvez être heureux qu’au milieu de tout ce qui peut satisfaire vos besoins sympathiques, qui sont immenses.

531. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre quatrième »

Tel est l’état intellectuel de la France du xiie au xvie  siècle. […] La scolastique n’est pas une science, car une science suppose un corps de vérités de l’ordre physique ou de l’ordre intellectuel qui subsistent ; or, quelles vérités nous sont demeurées de la scolastique ?

532. (1890) L’avenir de la science « XVI »

Le mot nous manque pour exprimer cet état intellectuel, où tous les éléments de la nature humaine se réuniraient dans une harmonie supérieure, et qui, réalisé dans un être humain, constituerait l’homme parfait. […] Le défaut du développement intellectuel de l’Allemagne, c’est l’abus de la réflexion, je veux dire l’application, faite avec conscience et délibération, à la production spontanée des lois reconnues dans les phases antérieures de la pensée.

533. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VI. Pour clientèle catholique »

Sans doute la conversion, l’adhésion de l’adulte à une doctrine étrangère et arrêtée, marque toujours faiblesse et lâcheté intellectuelles. […] Le Malauve de l’Astre noir n’est point blâmé de ses ignominies ; elles apparaissent comme des nécessités de son génie et l’auteur n’ose pas détester ici nettement ce qu’il appellera ailleurs “abominable supériorité intellectuelle”.

534. (1912) Le vers libre pp. 5-41

Il n’y a aucune raison pour que cette vérité s’infirme en 1888, car notre époque ne paraît nullement la période d’apogée du développement intellectuel. […] Qu’est-ce que le poète sinon celui qui transpose dans le domaine intellectuel tous les faits et toutes les sensations qu’il connaît et qu’il ressent.

535. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre V. Seconde partie. Des mœurs et des opinions » pp. 114-142

N’oublions pas que maintenant, comme j’ai déjà eu occasion de le remarquer, le principe intellectuel a pris l’ascendant sur le principe moral, pour la direction de la société. […] Une telle unanimité est assez étrange ; mais elle s’accorde avec notre propre assertion, que le principe intellectuel tend à prendre l’ascendant sur le principe moral, pour la direction de la société.

536. (1854) Causeries littéraires pp. 1-353

Octave Feuillet reste distingué, même en réhabilitant les droits du lieu commun ; élégant, même lorsqu’il déprécie les vanités mondaines ; plein d’une saveur exquise et rare pour les gourmets intellectuels, même lorsqu’il vante le brouet noir du ménage, du foyer domestique et des félicités orthodoxes. […] Ponsard alla se plonger aux sources pures et vives d’Homère : d’autres l’en ont blâmé ; nous l’en félicitons ; c’est là qu’il a retrouvé cette vigueur d’inspiration, cette santé intellectuelle, qui se révèlent si bien dans sa dernière comédie. […] Il lui a dû ces années de campagne intellectuelle qui comptent double dans la vie de penseur, comme les années de campagne militaire comptent double dans la vie de soldat. […] Sans oser y compter ni le prédire, mettons à profit ce moment de pacification intellectuelle pour rendre hommage à ceux qui relèvent encore et ennoblissent, en leur personne, ce rôle, si beau et si rare, de défenseur de la vérité ! […] De même, si nous passons de la vie intellectuelle à la vie pratique et de l’histoire des idées à celle des faits, voilà une époque qui fait couler le sang à flots et livre la conduite de ses affaires à cette féroce logique des révolutions, dont le premier anneau est une utopie et le dernier une guillotine.

537. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Discours prononcé à la distribution des prix du lycée d’orléans. » pp. 223-229

À cause de cela, la gloire de Jeanne d’Arc est au-dessus de toutes les gloires ; et, pourtant, je le répète, elle n’eut aucune science et elle n’eut point une puissance intellectuelle extraordinaire : elle n’eut que de la bonté, de la pitié et du courage.

538. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Moréas, Jean (1856-1910) »

C’est que ces vestiges de l’antiquité grecque et de l’esprit hellène ne constituent qu’une minime partie de notre patrimoine intellectuel.

539. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre I. Définition des idées égalitaires »

De ce point de vue nous apercevons, dans l’idée de l’égalité, non un indicatif scientifique, purement intellectuel, mais une sorte d’impératif, à la fois sentimental et actif.

540. (1910) Études littéraires : dix-huitième siècle

Il s’est partagé : les tendres ont été pour le sentiment, les intellectuels pour la raison. […] On sent qu’il n’y a pas eu de vie intellectuelle plus forte, plus intense, et, avec cela, plus libre ni plus sereine. […] Cette « royauté intellectuelle », de Voltaire, n’est qu’une jolie phrase. […] Ce qu’il dit, il le croit toujours, et ce menteur effronté dans la vie sociale est un sincère dans la vie intellectuelle. […] On dirait parfois que Voltaire a consacré ses soixante-dix ans d’activité intellectuelle a la défense des accusés et à la réhabilitation des condamnés innocents.

541. (1904) Zangwill pp. 7-90

Quel historien contemporain, quel petit-fils, quel petit-neveu du vieil homme ne reculera de saisissement devant de telles affirmations, devant de telles présomptions, devant cet admirable et tranquille orgueil, devant ces certitudes et ces limitations ; une humanité Dieu, si parfaitement emplie de sa mémoire totale qu’elle n’a plus rien à connaître désormais ; une humanité Dieu, arrêtée comme un Dieu dans la contemplation de sa totale connaissance, ayant si complètement, si parfaitement épuisé le détail du réel qu’elle est arrivée au bout, et qu’elle s’y tient ; qui au besoin, parmi les historiens du temps présent, ne désavouera les ambitions de l’aïeul et qui ne les traitera de chimères et d’imaginations feintes ; qui ne les reniera, car nous n’avons pas toujours le courage d’avouer nos aïeux, de déclarer nos origines, et de qui nous sommes nés, et d’où nous descendons ; les jeunes gens d’aujourd’hui ne reconnaissent pas toujours les grands ancêtres ; ce ne sont point les pères qui ne reconnaissent pas leurs fils, mais les fils qui ne reconnaissent pas leurs pères ; et comme nos politiciens bourgeois ne reconnaissent pas volontiers leurs grands ancêtres de la révolution française, ainsi nos modestes historiens ne reconnaissent pas toujours leurs grands ancêtres de la révolution mentale moderne, les innovateurs des méthodes historiques, les créateurs du monde intellectuel moderne ; et puis, depuis le temps des grands vieux, nous avons reçu de rudes avertissements ; pour deux raisons, l’une recouvrant l’autre, nul aujourd’hui n’avancerait que toute l’histoire du monde est sur le point d’aboutir, nul aujourd’hui, de tous les historiens, ne souscrirait aux anticipations aventurées, aux grandes ambitions pleines de Renan. […] J’ai donc bien le droit, j’ai le devoir de chercher dans Renan et dans Taine la première pensée du monde moderne, la pensée de derrière la tête, comme on dit, qui est toujours la pensée profonde, la pensée intéressante, la pensée intérieure et mouvante, la pensée agissante, la pensée cause, la source et la ressource de la pensée, la pensée vraie ; et pour trouver l’arrière-pensée de Renan, passant à l’autre bout de sa pleine carrière, on sait que c’est dans les dialogues et les fragments philosophiques, dans les drames qu’il faut la chercher ; je me reporte aux Dialogues et fragments philosophiques, par Ernest Renan, de l’Académie française, quatrième édition ; je sais bien que la citation que je vais faire est empruntée à la troisième partie, qui est celle des rêves ; certitudes, probabilités, rêves ; je sais que mon personnage est celui de Théoctiste, celui qui fonde Dieu, si j’ai bonne mémoire ; je sais que les objections lui sont présentées par Eudoxe, qui doit avoir bonne opinion ; je n’oublie point toutes les précautions que Renan prend dans sa préface ; mais enfin mon personnage dit, et je copie tout au long ; je passe les passages où ce Théocrite rêve de la Terreur intellectuelle ; nous y reviendrons quelque jour ; car ils sont extrêmement importants, et graves ; et je m’en tiens à ceux où il rêve de la Déification intellectuelle : « Je vous ai dit que l’ordre d’idées où je me tiens en ce moment ne se rapporte qu’imparfaitement à la planète Terre, et qu’il faut entendre de pareilles spéculations comme visant au-delà de l’humanité. […] Mais, je le répète, la supériorité intellectuelle entraîne la supériorité religieuse ; ces futurs maîtres, nous devons les rêver comme des incarnations du bien et du vrai ; il y aurait joie à se subordonner à eux. » J’arrête ici ma citation, parce qu’il est très long de copier, et parce qu’ici, comme dans l’Avenir de la science, il faudrait tout citer, tant tout est plein : curieux, inquiétant, nouveau, passionnant ; pourtant il faut que je recommence : « L’univers serait ainsi consommé en un seul être organisé, dans l’infini duquel se résumeraient des décillions de décillions de vies, passées et présentes à la fois. » Or il est évident qu’un tel résumé ne pourrait s’obtenir que par une totalisation de la mémoire universelle, donc par une globalisation, par un achèvement, et par un arrêt de l’histoire. […] Il y a bien de la fabrication dans Renan, mais combien précautionneuse, attentive, religieuse, éloignée, ménagée, aménagée ; c’est une fabrication en réserve, une fabrication de rêve et d’aménagement, entourée de quels soins, de quelles attentions, délicates, maternelles ; on fabriquera ce Dieu dans un bocal, pour qu’il ne redoute pas les courants d’air ; on lui fera des conditions spéciales ; cette fabrication de Renan est vraiment une opération surhumaine, une génération surhumaine, suivie d’un enfantement surhumain ; et l’humanité de Renan, ou la surhumanité de Renan, si elle usurpe les fonctions divines, premièrement, nous l’avons dit, usurpe les fonctions de connaissance divine, les fonctions de toute connaissance, beaucoup plutôt que les fonctions de production divine, de toute création, deuxièmement, et ceci est capital, usurpe aussi, commence par usurper les qualités, les vertus divines ; cette première usurpation, cette usurpation préalable, pour nous moralistes impénitents, excuse, légitime la grande usurpation ; nous aimons qu’avant d’usurper les droits, on usurpe les devoirs, et avant la puissance, les qualités ; enfin l’accomplissement de cette usurpation est si lointain ; et les précautions dont on l’entoure, justement par ce qu’elles ont de minutieux, par tout le soin qu’elles exigent, peuvent si bien se retourner, s’entendre en précautions prises pour qu’il n’arrive pas ; une opération si lointaine, si délicate, si minutieuse, ne va point sans un nombre incalculable de risques ; Renan, grand artiste, a évidemment compté sur la sourde impression que l’attente et l’escompte de tous ces risques produiraient dans l’esprit du lecteur ; lui-même il envisage complaisamment ces risques ; ils atténuent, par un secret espoir de libération, de risque, d’aventure, et, qui sait, de cassure, disons le mot, de ratage, cette impression de servitude mortelle et d’achèvement clos ; ils effacent peut-être cette impression de servitude ; et quand même ils effaceraient cette impression glaciale ; l’auteur sans doute s’en consolerait aisément ; il ne tient pas tant que cela aux impressions qu’il fait naître ; ces risques soulagent également le lecteur et l’auteur ; par eux-mêmes Renan n’est point engagé au-delà des convenances intellectuelles et morales ; lui-même les envisage complaisamment ; dans cette institution de la Terreur intellectuelle que nous avons passée, la remettant à plus tard, « mais ne pensez-vous pas », dit Eudoxe : « Mais ne pensez-vous pas que le peuple, qui sentira grandir son maître, devinera le danger et se mettra en garde ?

542. (1924) Intérieurs : Baudelaire, Fromentin, Amiel

Tous trois appartiennent à la même génération, à une génération importante dans l’histoire intellectuelle du dix-neuvième siècle. […] Lorsque cette vie intellectuelle et morale du monde grec a pour centre les grandes cités cosmopolites, Alexandrie et Syracuse, naît de ces cités la poésie pastorale. […] Il voyait dans le Journal « une paresse occupée et un fantôme d’activité intellectuelle. […] Faire un livre, c’est exclure de son champ intellectuel ce qui ne sert pas à l’idée de ce livre. […] Quand lui-même reprochait à la France son manque d’hospitalité intellectuelle, il prévoyait un peu sa destinée.

543. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 3. Causes générales de diversité littéraire. »

Elle ne nous fait connaître véritablement que leur diffusion dans les esprits du vulgaire ignorant, leur dégradation pour ainsi dire, et la force d’impulsion qu’elles ont manifestée : mais la genèse et l’évolution de ces idées même dans l’élite qui pense, les formes supérieures de la vie intellectuelle, ne se sont pas déposées alors, sinon par hasard, dans les œuvres de langue française.

544. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Fort, Paul (1872-1960) »

Il s’agit d’affinités intellectuelles seulement, cela va sans dire, et non pas d’imitation : l’auteur des Ballades est trop personnel pour qu’on puisse lui faire un pareil reproche.

545. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Hartley »

Il n’entre pas assez à fond dans cette chimie intellectuelle.

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