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373. (1841) Discours aux philosophes. De la situation actuelle de l’esprit humain pp. 6-57

Ajoutez que les institutions répondaient de toute part à cette éducation, et qu’à chaque instant il ne tenait qu’à vous de fortifier et d’éclaircir votre foi, de la retremper, de la regraver en vous-même, en vous adressant à l’Église, qui, incessamment, jour et nuit, et par toutes sortes de voies, appelait chacun à venir se purifier et se reposer un instant dans son sein ou s’y confier pour toujours. […] À aucun instant de la durée de l’Humanité, l’identité des conditions ne sera l’égalité véritable ; car nous ne sommes pas identiques. […] N’est-il pas vrai que si tu aimais sur la terre, tu saurais réellement aimer, que tu garderais ta foi, que tu subirais toutes les tortures pour ton amant, que tu voudrais mourir pour lui à tous les instants de ta vie ? […] Quand Gall émit ses idées, on ne s’y trompa pas ; le monde eut un instant d’horreur et d’effroi ; on sentit que la justice humaine telle qu’elle est aujourd’hui, distributive ou pénale, n’avait plus de base. […] Toutes nos plaintes, à nous, et tous nos rires amers, ne sont que l’écho prolongé de cette moquerie de détresse de Voltaire, se faisant manichéen, lorsqu’il quittait un instant ses armes de destruction, et de cette lamentable voix de Jean-Jacques, disant anathème à la société, et se rejetant dans la Nature, comme si la Nature sans l’Humanité, c’était le sein de Dieu.

374. (1894) La bataille littéraire. Cinquième série (1889-1890) pp. 1-349

Aujourd’hui, tout à coup, au lieu de constater encore paisiblement la marche lente des saisons, elle venait de découvrir et de comprendre la fuite formidable des instants. […] Gau, puis il a hésité un instant, a regardé le mot qu’il venait de tracer, et, le trouvant sans doute un peu nu, y a ajouté un x. […] Par instants il frappait sur les cadavres avec une baguette qu’il tenait à la main, et cela sonnait le cuir comme une valise vide. […] Charles se récria et prit un air indifférent ; au bout d’un instant je remarquai le même jeu, cette fois plus couvert ! […] Je feignis de n’en rien voir ; mais, dès cet instant, je savais, à n’en plus douter, qu’elle devait être la solution du conflit qui préoccupait tout le monde….

375. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXVI » pp. 301-305

Il n’est pas un seul instant sorti de son sujet, et a su marquer au passage son opinion tout en satisfaisant aux conditions académiques et en parant aux dangers de son vis-à-vis.— On peut dire que si sa louange a été extérieure, sa critique a été intestine.

376. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourgogne, par M. Michelet. (suite et fin.) »

Michelet comme une folle vigne qui grimpe à tout instant.

377. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Daudet, Alphonse (1840-1897) »

Pour se servir d’une comparaison presque empruntée à ce délicat recueil de la dix-huitième année, on peut bien dire que les Amoureuses restent comme un verger de printemps avec des arbres blancs et roses odorants comme des bouquets, tout doré de soleil, tout plein de voix, traversé par des robes claires, obscurci par instants sous un nuage d’orage.

378. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — I »

., c’était moins encore pour nous renseigner sur tous ces instants de la civilisation que pour nous enseigner à analyser.‌

379. (1898) Émile Zola devant les jeunes (articles de La Plume) pp. 106-203

Mais l’élégant didactisme de ces directeurs d’âme nous a si peu conquis, leur grâce sophistique nous est apparue si évidente, que notre esprit, pour un instant, s’est détourné de la tradition française. […] Le souvenir des grandes guerres impériales, la vision des révolutions, le spectacle des parades militaires, toutes ces choses avaient gâché, chez eux, le goût de l’eurythmie, avaient désaccordé leur lyre intérieure, dès les premiers instants de leur enfance. […] Notre conscience ne nous a pas permis d’hésiter un seul instant, nous vous haïssons, et nous vous disons : Vous êtes le Grand Mensonge ! […] D’ailleurs, vous n’êtes pas assez naïfs pour supposer un seul instant qu’un acte de haute justice accompli par vous de temps à autre sous les impérieuses pressions de l’opinion publique, désarmera nos colères. […] Et c’est là aussi l’erreur, car pour l’instant, elle ne comprendra pas plus l’un que l’autre.

380. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vernet » pp. 130-167

Dans cet instant, le hazard y avait arrêté un voyageur debout et tranquille. […] Hâte-toi, car ces figures prendront dans un instant une autre position moins heureuse peut-être. […] Ce poëte que la sagesse paraît inspirer et dont les écrits sont remplis de sentences à graver en lettres d’or, dans un instant il ne sait plus ce qu’il dit, ce qu’il fait, il est fou. […] Après un instant de silence et de réflexion, saisissant l’abbé par le bras, je lui dis : l’abbé, l’étrange machine qu’une langue, et la machine plus étrange encore qu’une tête ! […] L’idée sublime qui se présente, où était-elle l’instant précédent ?

381. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Le Chevalier de Méré ou De l’honnête homme au dix-septième siècle. »

Ce que j’entends par là, ce n’est pas être dégoûté comme un malade, mais juger bien de tout ce qui se présente, par je ne sais quel sentiment qui va plus vite, et quelquefois plus droit que les réflexions. » « Il faut, si l’on m’en croit, aller partout où mène le génie, sans autre division ni distinction que celle du bon sens. » « Celui qui croit que le personnage qu’il joue lui sied mal ne le saurait bien jouer, et qui se défie d’avoir de la grâce ne l’a jamais bonne. » « Pour bien faire une chose, il ne suffit pas de la savoir, il faut s’y plaire, et ne s’en pas ennuyer. » « Ce qui languit ne réjouit pas, et quand on n’est touché de rien, quoiqu’on ne soit pas mort, on fait toujours semblant de l’être. » « La plupart des gens avancés en âge aiment bien à dire qu’ils ne sont plus bons à rien, pour insinuer que leur jeunesse étoit quelque chose de rare. » Cet honnête homme que le chevalier veut former, et qui est comme un idéal qui le fuit (car l’ordre de société que ce soin suppose se dérobait dès lors à chaque instant), lui fournit pourtant une inépuisable matière à des observations nobles, délices, neuves, parfois singulières et philosophiques aussi. […] Car cette délicatesse-là, qui est celle de la fin, ressemble, on l’a dit, à ces viandes faites qui ne sauraient attendre un instant de plus. […] Si vous me voulez croire, madame, vous goûterez les raisons d’un si parfaitement honnête homme, et vous ne serez pas la dupe de la fausse honnêteté. » Dans ce curieux discours, qui semble renouvelé d’Aristippe ou d’Horace, on a pu relever au passage bon nombre de pensées toutes faites pour courir en maximes ; on a dû sentir aussi par instants quelques-unes des idées familières au chevalier, qui se sont glissées comme par mégarde dans sa rédaction, mais tout aussitôt le pur et vrai La Rochefoucauld recommence. […] Nous ressemblons tous à une suite de naufragés qui essaient de se sauver les uns les autres, pour périr eux-mêmes l’instant d’après. […] Cette duchesse de Lesdiguières, qui revient à tout instant sous la plume du chevalier, la Reine des Alpes, comme il l’appelle, la même qui joua un certain rôle sous la Fronde et que Sénac de Meilhan a fort agréablement mise en jeu dans ses prétendus Mémoires de la Palatine, était Anne de la Magdeleine de Ragny, fille unique de Léonor de la Magdeleine, marquis de Ragny, et d’Hippolyte de Gondi.

382. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre I. Principe des mœurs sous l’Ancien Régime. »

Du regard, à chaque instant Louis XIV faisait sa ronde, « à son lever, à son coucher, à ses repas, en passant dans ses appartements, dans ses jardins… : aucun ne lui échappait, jusqu’à ceux qui n’espéraient pas même être vus ; c’était un démérite aux uns et à tout ce qu’il y avait de plus distingué de ne pas faire de la cour son séjour ordinaire, aux autres d’y venir rarement, et une disgrâce sûre pour qui n’y venait jamais ou comme jamais168 ». […] Le grand chambellan et le premier gentilhomme lui présentent sa robe de chambre ; il l’endosse et vient s’asseoir sur le fauteuil où il doit s’habiller  À cet instant, la porte se rouvre ; un troisième flot pénètre, c’est « l’entrée des brevets » ; les seigneurs qui la composent ont en outre le privilège précieux d’assister au petit coucher, et du même coup arrive une escouade de gens de service, médecins et chirurgiens ordinaires, intendants des menus-plaisirs, lecteurs et autres, parmi ceux-ci le porte-chaise d’affaires : la publicité de la vie royale est telle, que nulle de ses fonctions ne s’accomplit sans témoins  Au moment où les officiers de la garde-robe s’approchent du roi pour l’habiller, le premier gentilhomme, averti par l’huissier, vient dire au roi les noms des grands qui attendent à la porte : c’est la quatrième entrée, dite « de la chambre », plus grosse que les précédentes ; car, sans parler des porte-manteaux, porte-arquebuse, tapissiers et autres valets, elle comprend la plupart des grands officiers, le grand aumônier, les aumôniers de quartier, le maître de chapelle, le maître de l’oratoire, le capitaine et le major des gardes du corps, le colonel général et le major des gardes françaises, le colonel du régiment du roi, le capitaine des Cent-Suisses, le grand veneur, le grand louvetier, le grand prévôt, le grand maître et le maître des cérémonies, le premier maître d’hôtel, le grand panetier, les ambassadeurs étrangers, les ministres et secrétaires d’État, les maréchaux de France, la plupart des seigneurs de marque et des prélats. […] Deux pages lui ôtent ses pantoufles ; le grand maître de la garde-robe lui tire sa camisole de nuit par la manche droite, le premier valet de garde-robe par la manche gauche, et tous deux le remettent à un officier de garde-robe, pendant qu’un valet de garde-robe apporte la chemise dans un surtout de taffetas blanc  C’est ici l’instant solennel, le point culminant de la cérémonie ; la cinquième entrée a été introduite, et, dans quelques minutes, quand le roi aura pris la chemise, tout le demeurant des gens connus et des officiers de la maison qui attendent dans la galerie apportera le dernier flot. […] « Nous vînmes à l’audience, M. de Beaufort et moi, avec un corps de noblesse qui pouvait faire 300 gentilshommes ; MM. les princes avaient près de 1 000 gentilshommes avec eux. » — Tous les Mémoires du temps montrent à chaque instant ces escortes qui étaient nécessaires pour faire ou repousser un coup de main. […] « Sous Louis XVI, qui quittait son lit à sept ou huit heures du matin, le lever était à onze heures et demie, à moins que des chasses ou des cérémonies n’en avançassent l’instant. » — Même cérémonial à onze heures du soir pour le coucher, et dans la journée pour le débotté.

383. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre X, Prométhée enchaîné »

» Cependant, par un de ces traits comiques qui dérident souvent, dans Eschyle, les plus sombres scènes, le forgeron content de son adresse reparaît par instant sous le frère en larmes. […] A chaque clou qu’il fixe, à chaque pièce qu’il emboîte, il constate naïvement la perfection du travail ; — « Voilà qui est fait et en un instant… Ce bras-ci tient, aucun effort n’en briserait l’attache… Certes, excepté lui, nul ne me blâmera. » II. — Héphestos (le Vulcain latin). — Son origine volcanique. — Son génie d’artiste, ses chefs-d’œuvre. — Thétis dans La forge d’Éphestos. […] Par instants, on croit entendre dans ses répliques, un remuement de chaînes irritées. — « Prométhée, ne sais-tu pas que les paroles sont les médecins de cette maladie, la colère ?  […] Alors sa frénésie s’apaise un instant : elle se reporte aux jours où elle se sentit secrètement troublée par les effluves du désir d’un dieu, et un doux chant d’élégie s’exhale de ses lèvres. […] Les Océanides sont restées sur le rocher en détresse ; effrayées par instants, mobiles comme leurs ondes, suppliant Prométhée de se soumettre au plus fort.

384. (1890) Le massacre des amazones pp. 2-265

Par instants, l’océan de réalité s’irrite, et la tempête semble sur le point de briser la frêle barque. […] Voulez-vous que nous nous amusions et nous irritions un instant à une de ces anecdotes élégamment grotesques ? […] Quelle marche désagréable maintenant, à chaque instant blessée par des gaucheries et des laideurs ! […] Un instant, elle détourne la tête, « saturée de morne dégoût ». […] L’esprit de Marie-Anne de Bovet amuse un instant, à la première rencontre.

385. (1853) Portraits littéraires. Tome I (3e éd.) pp. 1-363

À chaque instant il revient sur ses pas, et il semble oublier la déduction de ses idées pour s’abandonner à des plaintes vertueuses, mais inutiles. […] Sans doute, pour produire cette singulière illusion, pour agrandir, même pendant un instant, le domaine de la vie intelligente, il faut une grande habileté. […] Il y a dans ces derniers chapitres une fermeté de style, un enchaînement d’idées qui ne permettent pas à l’attention de broncher un seul instant. […] Quant aux hommes familiarisés depuis longtemps avec l’antiquité aussi bien qu’avec la littérature moderne, ils n’ont pu être abusés un seul instant. […] Il n’est pas question de lui un seul instant.

386. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIIe Entretien. Montesquieu »

Un tel être pouvait à tous les instants oublier son Créateur ; Dieu l’a rappelé à lui par les lois de la religion. Un tel être pouvait à tous les instants s’oublier lui-même ; les philosophes l’ont averti par les lois de la morale.  […] Il est à tous les instants intéressé à ce que tout le monde puisse travailler sans crainte d’être frustré de ses peines. […] Le manque de connaissances, de travail et de réflexion, y choque à chaque instant le lecteur.

387. (1856) Cours familier de littérature. I « Ve entretien. [Le poème et drame de Sacountala] » pp. 321-398

« Tous les pères éloignés quelque temps de leurs fils se réjouissent à leur vue, ou plutôt ne cessent un instant de les avoir présents à la pensée : toi seul demeures insensible à cette impulsion universelle de la nature ; toi seul entendrais sans en être ému ces touchantes paroles que prononce, pour le père, le brahmane à la naissance d’un fils : « Ô toi qui proviens de toutes les parties de mon être ! […] Repose-toi, de grâce, quelques instants à son ombre. […] » Voilà, je t’assure, la pensée qui occupe en cet instant notre jeune amie. […] ce que tu ne faisais que soupçonner est à présent changé pour toi en certitude ; ce que tu aurais craint de toucher il n’y a qu’un instant à l’égal du feu, tu peux t’en parer comme de la perle la plus précieuse ! 

388. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — I » pp. 56-70

Dès le premier instant qu’il eut à commander à d’autres, dès qu’il eut à porter enseigne, dit-il, il voulut savoir ce qui est du devoir de celui qui commande, et se faire sage par l’exemple des fautes d’autrui : « Premièrement j’appris à me chasser du jeu, du vin et de l’avarice, connaissant bien que tous capitaines qui seraient de cette complexion n’étaient pas pour parvenir à être grands hommes. » Il développe ces trois chefs, et particulièrement, et avec une verve singulière, les inconvénients de l’avarice en un capitaine : « Car si vous vous laissez dominer à l’avarice, vous n’aurez jamais auprès de vous soldat qui vaille, car tous les bons hommes vous fuiront, disant que vous aimez plus un écu qu’un vaillant homme… » Il ne veut pas qu’un homme de guerre, pareil à un citadin ménager, songe toujours à l’avenir et à ce qu’il deviendra en cas de malheur ; le guerrier est enfant de l’État et du prince, et il pose en maxime « qu’à un homme de bien et vaillant, jamais rien ne manque. » — Après ces trois vices qui sont à éviter à tout prix, car ils sont ennemis de l’honneur, il en touche plus rapidement un quatrième dans lequel, sans raffiner sur les sentiments, il conseille du moins toute modération et sobriété : C’est l’amour des femmes : ne vous y engagez pas, cela est du tout contraire à un bon cœur. […] Qui sommes-nous dans le cabinet pour ainsi trancher à l’aise du mérite de ceux dont le sang se verse à chaque instant et dont la vie n’est qu’un continuel sacrifice ?

389. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers (tome xviie ) » pp. 338-354

Au milieu des plus formidables difficultés et dans une situation extrême, la netteté des vues, leur promptitude, leur multiplicité (chaque jour et chaque heure en demandant de nouvelles), l’à-propos et la perfection de l’exécution avec des moyens tels quels, tronqués et insuffisants ; le nerf et la vigueur dans leur dernière précision, une célérité qui suppléait au nombre ; une vigilance de tous les instants ; l’infatigable prodigalité de lui-même ; non seulement la constance, cette vertu des forts, mais l’espérance, ce rayon de la jeunesse, tout cela lui était, je ne dirai pas revenu (car tout cela appartenait de tout temps à sa nature), mais rendu au complet et à la fois, s’était renouvelé, réexcité en lui, et se couronnait d’une suprême flamme. […] C’est un problème qui se déplace, qui se pose à chaque instant en des termes nouveaux ; et chaque fois il s’improvise, dans la tête militaire la plus inventive qui ait jamais été, une manière de solution nouvelle.

390. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Le général Joubert. Extraits de sa correspondance inédite. — Étude sur sa vie, par M. Edmond Chevrier. — III » pp. 174-189

Leurs coalitions mobiles et peu sincères, dénouées et renouées selon les intérêts et les versatilités de chaque instant, avaient-elles pu s’accorder dans un plan arrêté ? […] Joubert qui avait tant maudit l’instant où il fut fait caporal, qui avait tant repoussé le poids de la responsabilité, sentit qu’il en avait assumé une double sur sa tête, celle d’une armée, celle d’un parti ; mais il était embarqué, il fallait poursuivre.

391. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Questions d’art et de morale, par M. Victor de Laprade » pp. 3-21

il est poète, quoiqu’il n’ait pas la sainte fureur, ni cet aiguillon de désir et d’ennui, qui a été notre fureur à nous, le besoin inassouvi de sentir ; bienqu’il n’ait pas eu la rage de courir tout d’abord à toutesles fleurs et de mordre à tous les fruits ; — il l’est, bien qu’il ne fouille pas avec acharnement dans son propre cœur pour y aiguiser la vie, et qu’il ne s’ouvre pas les flancs (comme on l’a dit du pélican), pour y nourrir de son sang ses petits, les enfants de ses rêves ; — il l’est, bien qu’il n’ait jamais été emporté à corps perdu sur le cheval de Mazeppa, et qu’il n’ait jamais crié, au moment où le coursier sans frein changeait de route : « J’irai peut-être trop loin dans ce sens-là comme dans l’autre, mais n’importe, j’irai toujours. » — Il l’est, poète, bien qu’il n’ait jamais su passer comme vous, en un instant, ô Chantre aimable de Rolla et de Namouna, de la passion délirante à l’ironie moqueuse et légère ; il est, dis-je, poète à sa manière, parce qu’il est élevé, recueilli, ami de la solitude et de la nature, parce qu’il écoute l’écho des bois, la voix des monts agitateurs de feuilles, et qu’il l’interprète avec dignité, avec largeur et harmonie, bien qu’à la façon des oracles. […] Mais, à tout instant M. de Laprade pose un fait faux, et il édifie là-dessus toute une théorie historique et morale.

392. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 64-81

Tout au plus peut-il l’étreindre un instant quand il la rencontre… » Voilà l’homme qui parle de son métier en maître, et qui, le cadre donné (un cadre faux, mais commode), excellera à le remplir. […] Le temps n’a pas marché ; c’est hier, c’est tout à l’heure : J’étais là, près du lit de mon père expirant, J’allais d’un ami mort vers un ami mourant… ; Et vous, trésors de Dieu, trésors qu’au moins je pleure, Biens que j’eus un instant et dont j’ai su le prix, Doux enfant, chaste épouse, ô gerbe moissonnée !

393. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Mélanges scientifiques et littéraires, (suite et fin.) »

En-me permettant de parler ici avec quelque étendue d’un savant illustre, et autrement encore que pour lui rendre un pur et simple hommage, en essayant d’indiquer à l’aide de témoignages recueillis, et par le peu que j’ai pu moi-même observer, sa vraie portée et sa mesure, j’ai besoin qu’on ne se méprenne pas un instant sur ma pensée. […] Qu’est-ce, auprès de ces systèmes profonds, rigoureux, enchaînés, et d’une vérité éternelle, qui occupent la pensée d’un Newton ou d’un Laplace, que nos faibles observations passagères, nos remarques d’esprits fins et légers, sans suite, où le fil casse à chaque instant, nos aperçus rapides et fugitifs, ce que nous appelons traits d’esprit, saillies, reflets, étincelles aussitôt nées, aussitôt évanouies ?

394. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite et fin.) »

On peut dire que, pour lui, la lumière qui illumine l’esprit ne s’est pas éteinte un instant. […] Appelé à Erfurt en 1808, à l’époque de l’entrevue des souverains, et présenté à l’empereur le 2 octobre, l’empereur, après l’avoir regardé quelques instants avec attention, lui avait dit pour premier mot : « Vous êtes un homme. » Et lorsque, l’entretien fini, Gœthe se fut retiré, Napoléon répéta, en s’adressant à Berthier et à Daru, qui étaient présents Voilà : un « homme ! 

395. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Souvenirs d’un diplomate. La Pologne (1811-1813), par le baron Bignon. (Suite et fin.) »

Il suivit de près son maître et se mit en route pour Dresde le 5 février 1810 : « Il quittait, après un séjour de près de quatre ans, nous dit-il, cette France, pays privilégié du Ciel, à tant de titres, où la civilisation, plus ancienne et plus complète qu’ailleurs, a donné aux lois de l’honneur et de la probité cette fixité d’axiomes qui, sans les faire peut-être observer davantage, ne laisse en problème ni en discussion rien de ce qui appartient aux bases des rapports sociaux et du commerce des hommes entre eux ; pays où le langage a une valeur mieux déterminée, où tous les ressorts de la vie sociale ont un jeu lus aisé, ce qui en fait, non comme ailleurs un combat, mais une source de jouissance. » J’aime de temps en temps ces définitions de la France par un étranger ; elles sont un peu solennelles sans doute et ne sont pas assurément celles que nous trouverions nous-mêmes ; nous vivons trop près de nous et trop avec nous pour nous voir sous cet aspect ; le jugement d’un étranger homme d’esprit, qui prend son point de vue du dehors, nous rafraîchit et nous renouvelle à nos propres yeux : cela nous oblige à rentrer en nous-mêmes et nous fait dire après un instant de réflexion : « Sommes-nous donc ainsi ?  […] Singulier mélange, en effet, que cet abbé de Pradt, instruit de tant de choses et qui croyait s’entendre à toutes ; homme d’Église qui l’était si peu, qui savait à fond la théologie, et qui avait à apprendre son catéchisme ; publiciste fécond, fertile en idées, en vues politiques d’avenir, ayant par moments des airs de prophète ; écrivain né des circonstances, romantique et pittoresque s’il en fut ; le roi des brochuriers, toujours le nez au vent, à l’affût de l’à-propos dans les deux mondes, le premier à fulminer contre tout congrès de la vieille Europe ou à préconiser les jeunes républiques à la Bolivar ; alliant bien des feux follets à de vraies lumières ; d’un talent qui n’allait jamais jusqu’au livre, mais qui avait partout des pages ; habile à rendre le jeu des scènes dans les tragi-comédies historiques où il avait assisté, à reproduire l’accent et la physionomie des acteurs, les entretiens rapides, originaux, à saisir au vol les paroles animées sans les amortir, à en trouver lui-même, à créer des alliances de mots qui couraient désormais le monde et qui ne se perdaient plus ; et avec cela oublieux, inconséquent, disparate, et semblant par moments sans mémoire ; sans tact certainement et sans goût ; orateur de salon, jaseur infatigable, abusant de sa verve jusqu’à l’ennui ; s’emparant des gens et ne les lâchant plus, les endoctrinant sur ce qu’ils savaient le mieux ; homme à entreprendre Ouvrard sur les finances, Jomini sur la stratégie, tenant tout un soir, chez Mme de Staël, le duc de Wellington sur la tactique militaire et la lui enseignant ; dérogeant à tout instant à sa dignité, à son caractère ecclésiastique, avec lequel la plupart de ses défauts ou, si l’on aime mieux, de ses qualités se trouvaient dans un désaccord criant ; un vrai Mirabeau-Scapin, pour parler comme lui, un archevêque Turpin et Turlupin.

396. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Sur la reprise de Bérénice au Théâtre-Français »

Ce caractère se retrouve à chaque instant dans ses rôles ; elle les choisit, elle les compose, elle les proportionne à son usage, à ses moyens physiques. […] J’en entends parler, mais sans pouvoir saisir l’instant.

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