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838. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXIV » pp. 247-253

Cette démence sacrée, cette sainte fureur qui saisit les hommes ou les dieux et qu’exprime le mot μέμηνεν, se change en ce terme burlesque de fou qui tombe à la fin du vers, comme dans cette ballade du fou de Tolède, de Victor Hugo, où du moins l’effet est à sa place. […] — Ils avaient besoin de ce procédé pour en venir à leurs conclusions et fins.

839. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 3. Causes générales de diversité littéraire. »

La maligne, fine et conteuse Champagne, l’Orléanais avec le rire âpre de ses « guêpins », et le simple, un peu pesant mais solide Berry se caractérisent davantage. […] Puis pendant des siècles, une à une, les provinces qui entreront dans l’unité nationale recevront la langue de France, et mêleront à son esprit leur génie original : ce sera la rude et rêveuse Bretagne, réinfusant dans notre littérature la mélancolie celtique, ce sera l’inflexible et raisonneuse Auvergne, Lyon, la cité mystique et passionnée sous la superficielle agitation des intérêts positifs ; ce sera tout ce Midi, si varié et si riche, ici plus romain, là marqué encore du passage des Arabes ou des Maures, là conservant, sous toutes les alluvions dont l’histoire l’a successivement recouvert, sa couche primitive de population ibérique, la Provence chaude et vibrante, toute grâce ou toute flamme, la Gascogne pétillante de vivacité, légère et fine, et, moins séducteur entre ces deux terres aimables, le Languedoc violent et fort, le pays de France pourtant où peut-être les sons et les formes sont le mieux sentis en leur spéciale beauté.

840. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Jean Lahor (Henri Cazalis). »

Elle produit et justifie à la fois l’inertie voluptueuse, la charité, le détachement, — même l’héroïsme par la conscience de notre solidarité profonde avec l’univers, et par la soumission volontaire aux fins du Dieu insaisissable et immense dont nous sommes la pensée. […] Je suis le dieu sans nom aux visages divers, Mon âme il illimitée est le palais des êtres ; Je suis le grand aïeul qui n’a pas eu d’ancêtres, Dans mon rêve éternel flottent sans fin les deux ; Je vois naître en mon sein et mourir tous les dieux.

841. (1890) Impressions de théâtre. Quatrième série

… Et puis, pourquoi est-ce André qui reçoit un mauvais coup à la fin ? […] Plaignons-les seulement d’être détrompés à la fin. […] Tant qu’à la fin, pour se délivrer, Rodion se confesse… A qui ? […] Elle se souille aux yeux de Dieu pour mieux obéir aux fins divines. […] Mais, à la fin, elle pardonne à tout le monde.

842. (1888) Poètes et romanciers

Il a dû à cette fuite heureuse d’avoir sauvegardé ses meilleures et ses plus fines qualités. […] Jusqu’ici, c’est bien ; mais attendons la fin. […] Tout le reste n’est qu’un moyen de préparer majestueusement l’esprit à la grande surprise de la fin. […] le sans fin roule dans le sans fond. […] Nous résistons au charme à mesure qu’il opère : à la fin, nous devenons tout à fait rebelles.

843. (1880) Une maladie morale : le mal du siècle pp. 7-419

Il avait, d’ailleurs, à sa disposition un moyen plus doux de mettre fin à son désespoir. […] Lenz, cette victime de Werther, dont j’ai rappelé plus haut la fin tragique. […] A un certain moment, — c’était en 1793 — ces douleurs se compliquaient pour lui de la menace d’une fin prématurée. […] Mais suffit-il d’une réprimande placée à la fin de l’ouvrage pour détruire l’impression pernicieuse qu’il a pu causer ? […] Quant à lui, je le répète, cet amour marque la fin du mal dont il souffrait, en même temps que la fin de sa jeunesse.

844. (1885) Le romantisme des classiques (4e éd.)

Peut-être eût-il mieux valu en attendre la fin, pour en écrire le commencement. […] Doudan, une sorte de Henri Heine français par l’imagination et la fantaisie mêlées à la plus fine critique, écrit à M.  […] Dona Jacinta A quelle fin prend-on la peine de mériter ? Don Garcia A fin de parvenir. […] Je n’en marquerai que le commencement et la fin.

845. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « L’abbé Fléchier » pp. 383-416

Telle est la qualité nouvelle que la relation de Fléchier a acquise en vieillissant : ce qui, pour l’auteur devenu tout à fait grave, n’était plus qu’une bagatelle de société, ce qui a pu continuer de paraître tel en effet jusqu’à la fin du xviiie  siècle, et tant que dura l’ancienne monarchie, a pris, à la distance où nous sommes, toute l’importance d’un témoignage circonstancié, d’un tableau neuf et hors de prix. […] Durant quatre mois pleins, depuis le 25 septembre 1665, jour d’arrivée à Clermont, jusqu’au 4 février suivant, jour du départ, la maison de M. de Caumartin fut un centre de réunion et pour MM. des Grands Jours, et pour les principaux de la ville, et même pour ceux de la noblesse qui se rassurèrent à la fin jusqu’à venir affronter la vue des terribles juges. […] Fléchier, en écrivant son récit, ne songeait qu’à faire sourire son beau monde aux dépens des fausses précieuses : aujourd’hui, quand nous le lisons, une partie de notre sourire lui revient à lui-même, à l’abbé spirituel et fin, si bien tourné, si pénétré de son bon goût, mais un peu précieux. […] Il assista celui-ci à ses derniers moments, et l’exhorta à la mort, de même qu’il l’avait consolé et soutenu de ses entretiens affectueux, il y avait dix-huit ans, dans la première solitude de son veuvage : c’était dans les deux cas la même religieuse amitié, mais empreinte à la fin d’un caractère de plus et de l’imposante gravité du ministère. […] [NdA] Je renvoie à la fin du présent article la publication que je fais en entier d’une de ces pièces.

846. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Note I. De l’acquisition du langage chez les enfants et dans l’espèce humaine » pp. 357-395

Délicatesse d’impression et délicatesse d’expression, tel est en effet parmi les animaux le caractère distinctif de l’homme, et, comme on l’a vu, telle est chez lui la source du langage et des idées générales ; il est parmi eux ce que serait un grand et fin poète, Heine ou Shakespeare, parmi des manœuvres et des paysans. […] À la fin, j’ai vu qu’il se produisait, sans jamais manquer, en face de la nourriture. […] Oua-oua. — Ce n’est guère que depuis trois semaines (fin du seizième mois) qu’elle prononce ce mot dans le sens de chose bonne à manger. […] Ainsi, pendant plus de six semaines (fin du septième et huitième mois), assis sur un tapis entre des coussins, ayant pour s’amuser une cuiller à café, il ne se lassait jamais de la regarder, de la palper, de l’expérimenter, toujours avec la même attention et le même plaisir. […] Si l’on en cherche la condition physiologique, on la trouvera dans un développement plus grand et dans une structure plus fine de l’encéphale.

847. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (1re partie). Littérature scientifique » pp. 221-288

II Il y avait, vers la fin du dix-septième siècle, dans les environs de Stettin, en Poméranie, une famille d’antique origine de ce nom qui servait l’électeur de Brandebourg, plus tard roi de Prusse, dans les armes et dans la diplomatie. […] Il fut nommé, à la fin de la guerre de Sept ans, chambellan du grand Frédéric. […] Vers la fin de sa vie il désira se reposer dans un château plus près de Berlin ; il quitta ses terres de Poméranie et acheta le manoir champêtre de Tégel, ancienne résidence de chasse de la maison royale de Prusse, et il s’y établit avec la veuve du baron d’Holwede, qu’il avait récemment épousée. […] Sa physionomie, très fine et très évidemment étudiée, n’avait rien qui fût de nature à séduire une âme franche. […] Il résida à Paris à ce double titre jusqu’à la fin de 1809.

848. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXVe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 321-384

Chacun à son heure, il faut faire une fin. Une belle fille à la maison, c’est une fin de l’homme ; la voilà mûre bientôt, et moi encore assez vert. […] Le capitaine n’a que d’honnêtes intentions ; n’aimeriez-vous pas bien, ma belle enfant, à changer cette robe de bure brune et ces sandales sur vos jambes nues contre de riches robes de soie, de fins souliers à boucles luisantes comme l’eau de cette cascatelle, et à devenir une des dames les plus regardées du duché de Lucques, où il y en a tant de pareilles à des duchesses ? […] Elle en cueillait çà et là une graine en passant sous les feuilles ; nous nous promettions une riche vendange pour la fin de l’automne, des raisin à sécher sur la paille et une petite jarre de vin sucré pour les fêtes de Noël et du jour de l’an dans le cellier. […] Le padre Hilario était le frère commissionnaire du couvent des Camaldules de San Stefano ; c’était un beau vieillard à grande barbe blanche ; une couronne de cheveux fins comme des fils de la Vierge, autour de sa tonsure, le rendait tout à fait semblable aux statues de san Francisco d’Assise, sur les murs du chœur des Franciscains de Lucques ; il était si vieux qu’il nous avait tous vus naître ; mais il n’était point cassé pour son âge, il était seulement un peu voûté par l’habitude de porter des besaces gonflées des cruches d’huile et des outres de vin du couvent, et de monter à pas mesurés les sentiers à pic de la montagne.

849. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE IX »

Il était difficile, en effet, d’oublier, après l’avoir vu, ce visage ovale et blanc comme une perle parfaite, cette pâle fraîcheur, cette bouche enfantine et pieuse, ces sourcils fins et légers comme des touches d’ombres sur une transparence. […] La fin de Marie Duplessis, on peut s’en souvenir, fut presque un événement dans cette ville insouciante et distraite qui enterre les morts, entre deux épigrammes, sous la cendre de ses cigares. […] Qu’il était difficile de toucher, sans le froisser, à ce fin linceul ! […] Ce que j’en admire, ce sont moins encore ses scènes de passion que ses tableaux du monde interlope, d’une touche si juste et d’un ton si fin : l’impertinence de la courtisane éconduisant ses amoureux importuns, ses gaietés nerveuses, ses ironies tristes, les mépris qu’elle a d’elle-même et des autres, et ce souper d’où les réparties jaillissent, capiteuses et vives, comme la mousse des vins. […] Certes, les détails poignants ne manquent pas à cette fin de la courtisane : le souffle froid de la misère passant à traders les rideaux de son lit funèbre, le papier timbré de l’huissier glissé dans son cercueil entr’ouvert, la vieille lorette pareille au fossoyeur qui vole les bagues aux doigts d’un cadavre, venant escroquer ses derniers louis à cette moribonde.

850. (1856) Cours familier de littérature. I « Digression » pp. 98-160

Je demandai à sa mère quel était ce jeune inconnu, dont la physionomie forte et fine inspirait une attention et une curiosité involontaires. […] …………………………………………………… Voilà le poète ; la femme reparaît à la fin du chant : J’ai besoin, pour chanter, du ciel de la patrie : C’est là qu’il faut aimer, c’est là qu’il faut mourir. […] Elle vint passer une fin d’été dans ma solitude au milieu des bruyères de Saint-Point. […] Ses cheveux étaient aussi touffus et aussi blonds, ses bras aussi beaux, ses traits aussi fins, le regard aussi resplendissant de lumière et d’âme. […] Au milieu de cette petite cour, une fontaine en marbre distillait mélancoliquement un filet d’eau sonore ; une pluie fine, semblable à un brouillard liquéfié, tombait froide et sans bruit sur les dalles de la cour.

851. (1913) La Fontaine « VIII. Ses fables — conclusions. »

Vous voyez ; c’est un stoïcisme souriant, tout à fait à la manière de Rabelais, c’est de la fine fleur de pantagruélisme. […] Telle est la montre qui chemine A pas toujours égaux, aveugle et sans dessein : Ouvrez-la, lisez dans son sein : Mainte roue y tient lieu de tout l’esprit du monde ; La première y meut la seconde ; Une troisième suit ; elle sonne à la fin. […] Vous savez comme la fin de la fable est rapidement menée, brusquement précipitée ; la nature devient hostile, l’atmosphère est pleine de clameurs, l’univers semble s’acharner contre les êtres, contre les animaux et contre les végétaux ; l’orgueilleux est brisé et l’humble se tire d’affaire ; le calme revient. […] Troisième ou quatrième saison, la fin de l’automne, alors que les paysans ou les petits paysans, les fils de villageois ne sont plus occupés à la terre et pensent à attraper les oiseaux à la pipée ou autrement. […] Saint-Marc-Girardin, vers la fin de sa carrière, soucieux de se délivrer d’une obsession que je sais qu’il a eue toute sa vie, reprit son cours en Sorbonne pour faire une étude sur La Fontaine tout à fait ingénieuse, piquante, spirituelle, maligne, malicieuse, méchante… et fausse.

852. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Alphonse Daudet »

Avant qu’il ne fût publié, ce livre de Jack (même par un k) avait exhalé une odeur d’ouvrier inquiétante pour ceux qui veulent que le talent ne déroge pas… Daudet ne semblait pas littérairement conformé pour mettre son pied, qui est fin et cambré, dans les vieilles savates d’Eugène Sue. […] XI Ce roman — on l’a dit, et il y a une note à la fin du volume qui répond à ce bruit, — a été inspiré par des aventures vraies. […] Même pour ceux-là qui ne croient plus à elle, la Royauté fut une si grande chose qu’on ne raconte pas ce qu’elle est devenue sans porter involontairement sur sa pensée la réverbération de sa grandeur et de la misère de sa fin ; mais quand, au lieu d’être un historien qui raconte, on veut être un artiste qui crée et combine des effets saisissants, des effets d’art, pathétiques ou impitoyables, dans ce navrant sujet d’histoire contemporaine, la tentative ne fait pas le génie, non ! […] Le sujet de ce livre est d’une virilité qui lui en donne une, et quoique son exécution ne soit pas au niveau de sa conception, cette conception est d’une telle vigueur qu’elle en communique à ce délicat, ordinairement plus fin que fort et moins robuste que sensible. […] Puis, comme si ce n’était pas assez que cette fin par elles-mêmes de l’Institution et de la Race, le peintre, désespéré et désespérant, d’une Royauté qui meurt, selon lui, de deux ignominies : l’ignominie morale et l’ignominie physique des personnalités royales, n’a placé auprès de cette royauté ni un homme de génie (quoique dans son livre il y en ait un), ni un homme de foi et de dévouement (quoiqu’il y en ait plusieurs), qui ne soient ou inutiles ou ridicules dans leur effort pour la sauver.

853. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — II. (Suite.) » pp. 434-453

Daru était investi en ces années, une seule, celle de l’intendance de la maison de l’Empereur, était fixe et déterminée dans sa circonscription ; les deux autres s’étendaient incessamment et élargissaient vers la fin leur cercle dans une mesure qui dépassait les forces d’un seul homme, si athlétique qu’il fût. […] On se rappelle une page de Fontenelle récemment citée98, où, faisant l’éloge de M. d’Argenson, l’habile académicien a si parfaitement défini la multitude et la variété des soins que devait prendre à cette époque un bon lieutenant de police dans une ville telle que Paris : Cuvier, en esquissant aussi à grands traits en quoi consiste l’administration d’une armée en campagne, la multitude des soins, leur précision impérieuse, les difficultés qui se rencontrent dans les choses et dans les hommes, et en nommant à la fin M.  […] Campenon fait de même : cet homme de lettres, qui resta jusqu’à la fin parfaitement doux et gracieux, écrivait à M.  […] Il était d’un goût fin, bien autrement impatient et dédaigneux ; il tranchait dès qu’un ouvrage lui déplaisait et lui semblait médiocre.

854. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — I » pp. 93-111

Sur la fin du triomphe, le roi m’honora d’une conversation sur la paix. […] Il se forma en grande partie lui-même, si l’on en juge par l’aperçu qu’il a donné de sa première éducation : À la fin de 1709, dit-il, je fus mis au collège avec mon frère. […] Il est trop bon esprit et trop sincère pour le charlatanisme ou pour la chimère brillante ; il n’est pas de nature assez haute et assez fine pour concevoir le grand art en rien ni le vrai beau. […] Il ne connaissait pas tout ce qu’il avait de génie et d’élévation, et, sur la fin de ses jours, il s’était fait l’habitude de les resserrer encore et de les méconnaître13.

855. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le baron de Besenval » pp. 492-510

Il était loin de regretter ces temps de trouble et d’agitation féodale où les ambitions avaient toute carrière et où les facultés énergiques luttaient à nu : « Le repos, les plaisirs, dit-il en parlant de ces époques de ligue ou de fronde, avaient fait place au tumulte, à la méfiance, à la terreur, à tout ce que la fureur des conjurations, des cabales, peut inspirer de plus atroce. » Il se félicitait donc de vivre sous un régime qui avait mis fin à ce qui-vive perpétuel, et depuis que tout était réglé par l’autorité d’un maître : Cet état de choses (il écrivait cela aux derniers beaux jours de Louis XVI, en 1784) n’est pas favorable aux grandes pensées, mais il procure un calme sans lequel il n’y a point de bonheur. […] « M. de Besenval, a dit le vicomte de Ségur, héritier et premier éditeur de ses Mémoires, joignait à la taille la plus imposante une figure pleine de charmes dans sa jeunesse, et de dignité dans un âge avancé. » Son organisation était forte et robuste, en même temps que fine et distinguée. […] Vieux, il y revenait en souvenir et avec regret comme aux meilleurs instants de sa vie, « instants heureux, s’écrie-t-il, où, loin de s’occuper d’événements sinistres tels que ceux qui ont empoisonné la fin de notre carrière, on ne s’occupait que d’amours et de plaisirs ! » Mais les événements et les embarras de la fin du siècle tenaient plus qu’il ne croyait à ces jolis passe-temps de son milieu.

856. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. (Suite et fin) »

(Suite et fin) Lundi 6 janvier 1862. […] Il est mort comme il avait vécu, en vue de tous et en toute lumière, conservant jusqu’à la fin sa noblesse de sentiments, sa droiture d’esprit, sa langue parfaite et royale. […] Son bon esprit et sa fermeté, ajoute le témoin, ne font pas abandonné un instant, et, en parlant avec douceur et bonté à tous ceux à qui il a bien voulu parler, il a conservé toute sa grandeur et sa majesté jusqu’au dernier soupir. » En un mot, Louis XIV s’est montré roi jusqu’à la fin, avec la conscience et le respect de son rôle qui n’était pas un rôle pour lui, mais qui était un ministère. […] Mais nous n’embrassons encore, à cette fin du second volume, que la première partie de la grande carrière de Louvois ; la seconde va commencer ; il a encore douze ans à vivre, à gouverner, à être premier ministre autant qu’on peut l’être sans le titre, sous un roi aussi travailleur.

857. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Souvenirs de soixante années, par M. Étienne-Jean Delécluze, (suite et fin) »

Étienne-Jean Delécluze(suite et fin) Lundi 18 août 1862. […] » — et Charles Magnin, esprit doux, fin, progressif, écouteur ingénieux, plume excellente ; et le baron de Mareste, homme du monde très-spirituel, comme il en faut entre les gens de lettres pour les dédoubler, pour les espacer un peu ; un de ces amateurs qui de bonne heure ont vu le spectacle dans une bonne stalle, témoin assidu, bien informé, et qui, lui aussi, a dû écrire ; — tous ceux-là, et bien d’autres encore, y étaient, et dans cette espèce de galetas plafonné bruissaient comme abeilles en ruche et faisaient tourbillon. […] la plupart de ses jugements littéraires d’alors, courus et touchés à peine, sont restés charmants : — et sur Xavier de Maistre et son frère, si différents, mais semblables en un point, et en général sur les écrivains de Savoie, fins, sagaces et jamais lourds, et desquels on peut dire que « la finesse italienne a passé par là » ; — et sur Mme de Souza, le romancier aux aimables nuances, qui excelle à cent pages d’amour délicat, mais chez qui « cette délicatesse est compensée par l’absence de tout trait fort et profond : le premier volume de ses romans amuse beaucoup, le quatrième lasse toujours » ; — et sur Mme de Staël, contre laquelle il lance des paroles d’un pronostic, effrayant ; et sur Mme de Genlis, qui a trouvé moyen, avec infiniment d’esprit, de faire entrer l’ennui dans ses livres, car l’hypocrisie de salon les glace ; et sur M. de Jouy, à qui il accorde un peu trop en faveur de son Sylla et de ses vers tragiques dignes de la prose ; et sur Andrieux, dont on essaya un moment de faire l’arbitre du goût ; il écrivait de ce dernier en janvier 1823 : « M.  […] Il s’était essayé en poésie et avait lancé dès 1809, sous le titre de Nouvel Art poétique, une assez fine satire contre l’école descriptive de Delille, qui avait été fort remarquée et qui avait réussi.

858. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire. »

Il faudrait, pour me soutenir, de l’extraordinaire dans les situations. » Et continuant sa pensée, il explique à son ami pourquoi, entre autres choses, il ne saurait réussir à ces nuances de sentiment, à cette finesse et à ce délié de la passion où excelle Racine ; il a l’instinct, sans bien s’en rendre compte, d’un genre opposé à celui de Racine et qui procède autrement que par analyse, qui marche et se développe à l’aide de situations visibles, frappantes, extraordinaires : « Il me semble, dit-il ingénument, que je ne manquerais ni de chaleur ni de vérité ; mais il y a, dans cette passion, une certaine délicatesse fine qui m’échappe, peut-être parce qu’il m’a toujours été impossible de tromper une femme, et que toutes ces ruses d’amour ne me sont pas seulement venues dans l’idée. […] Deleyre, ami de Jean-Jacques Rousseau, qui l’estimait plus qu’il ne l’a témoigné dans ses Confessions, et qui ne cessa de le recevoir jusqu’à la fin de sa vie, Deleyre dont le nom ne se rencontre qu’incidemment dans les mémoires des contemporains, était un de ces hommes secondaires du xviiie  siècle, qui offrent bien de l’intérêt à qui les observe de près. […] L’ancien disciple de Bacon se retrouve avec toute son initiative dans la pensée et dans les considérants de cet acte mémorable qui honore sa vieillesse et sa fin de carrière. […] » Ce maudit discours pourtant lui aura coûté bien des soins ; il faut écarter tout ce qui est scabreux, tout ce qui peut être matière à reproche, maintenir les bienséances, et ne laisser arriver que le respect : « Mon discours touche à sa fin, écrit-il à Deleyre (janvier 1779), mais vous ne sauriez croire, mon ami, combien ce travail me déplaît et me fatigue.

859. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Mémoires de l’abbé Legendre, chanoine de Notre-Dame, secrétaire de M. de Harlay, archevêque de Paris. »

La figure de l’archevêque, M. de Harlay, est de celles qui peuvent tenter une plume amie des nuances ou des contrastes ; même après les beaux portraits qu’ont laissés de lui des maîtres de la fin du xviie  siècle (Saint-Simon d’Aguesseau), il reste bien à dire. […] Que Fléchier fût lent, qu’il n’eût pas beaucoup de vivacité en causant ni de vives saillies, c’est possible, et c’est même certain ; mais que le fin auteur des Grands Jours d’Auvergne eût la conversation plate, je ne défère pas assez au goût de l’abbé Legendre pour lui accorder ce point, et j’aime mieux supposer qu’il a employé un mot impropre en matière si délicate. […] Sur la fin de ses études, il avait traduit en français une partie des livres d’Aristote touchant la Politique. […] N’oublions pas que c’est ce même homme qui eut l’art de détacher, sur la fin, Nicole du Jansénisme et de le rallier en partie.

860. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Oeuvres inédites de la Rochefoucauld publiées d’après les manuscrits et précédées de l’histoire de sa vie, par M. Édouard de Barthélémy. »

En nous parlant du La Rochefoucauld de la fin, de celui qui n’était plus que l’auteur des Maximes et le plus aimable homme de la société, vous dites : « Il paraît aussi désormais s’être médiocrement occupé de la politique, quoique cependant il ait encore demandé, en 1666, la place de gouverneur du Dauphin… » Mais est-ce que c’était s’occuper de politique que de désirer la charge de gouverneur du Dauphin ? […] Ils étaient tous, dans cette forte et puissante génération, fins, délicats, polis et vifs de langage, et aucun, à proprement parler, ne devançait l’autre. […] L’amour-propre, s’il est fin, change de ton et de voix ; il a des gémissements et des soupirs ; il se fait inquiet sur le sort de ses frères, sur le danger que courent des âmes fidèles et simples ; il faut, à tout prix, préserver les faibles : et l’amour-propre agit et s’en donne alors en toute sûreté de conscience et, comme on dit, à cœur joie : il accuse l’adversaire, il le dénonce, il le conspue, il le qualifie dans les termes les plus outrageux, les plus humiliants ; et comme il ne veut point cependant paraître, même à ses propres yeux, de l’amour-propre, il se retourne, quand il a fini, et se fait humble aussitôt ; il demande pardon à son semblable d’en avoir agi de la sorte : il n’a voulu que le toucher, le convertir ; on assure même qu’il est de force à lui proposer en secret (après l’avoir insulté en public) de lui donner le baiser de paix et de l’embrasser. […] Chacun, quoi qu’il fasse, y porte son intérêt le plus fin, je veux dire son idéal secret, composé du moi subtilisé, quintessencié, poussé au plus haut degré et au sublime.

861. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite) »

La Renaissance, en Angleterre, ne se comporta point comme chez nous ; elle ne mit pas fin brusquement au Moyen-Age ; elle ne produisit point un sens-dessus-dessous dans l’art, dans la poésie, dans le drame, une inondation destructive ; elle trouva un fonds riche, solide, résistant comme toujours : elle le recouvrit par places et s’y mêla en se combinant. […] Si l’on avait connu Horace, il eût été possible, je le crois, de faire de lui quelque caricature ; car il était très-petit de taille, et, vers la fin, replet à outrance. […] en sortant de l’ordre de création, de cette création aveugle et un peu fumeuse, en daignant entrer dans la sphère sereine et tempérée des idées morales, des pensées justes, lucides, des réflexions élevées ou fines qui sont proprement l’objet et, comme dirait Montaigne, le gibier des philosophes et des sages, ne raillons pas trop ce curieux et aimable Pope d’avoir écouté si soigneusement la voix de son démon à lui et de son génie, d’avoir prêté l’oreille aux inspirations purement abstraites et spirituelles qui s’élèvent dans la solitude du cabinet ou dans l’entretien à deux quand on se promène en quelque allée de Tibur ou de Tusculum ; et quand l’esprit, tout en restant calme, se sent excité par l’émulation ou la douce contradiction d’un ami, ne nous scandalisons pas si lui-même, venant avec une sorte d’ingénuité nous initier à sa préoccupation littéraire constante, il nous fait la confidence que voici : « Une fois que Swift et moi nous étions ensemble à la campagne pour quelque temps, il m’arriva un jour de lui dire que si l’on prenait note des pensées qui viennent à l’esprit, à l’improviste, quand on se promène dans les champs ou qu’on flâne dans son cabinet, il y en aurait peut-être quelques-unes qui vaudraient bien celles qui ont été le plus méditées. […] Nous le fîmes, et c’est ce qui donna matière aux maximes publiées ensuite dans nos mélanges ; celles de la fin d’un des volumes sont de moi, celles de l’autre volume sont du docteur Swift. » Ce sont là des passe-temps ingénieux, des jeux de gens d’esprit et de gens de lettres ; on est loin de Shakespeare sans doute et même de Milton ; mais je ne vois rien en tout cela qui prête si fort au ridicule, et dans une Histoire de la littérature, la partie littéraire proprement dite, même en ce qu’elle offre d’un peu calculé et d’artificiel, a droit, ce semble, de trouver place et grâce.

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