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1189. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — L'abbé de Lamennais en 1832 »

Il y a, nous l’avons éprouvé, dans beaucoup d’esprits jeunes et ouverts, une facilité périlleuse à adopter, à professer prématurément des doctrines qu’on conçoit, qu’on aime, mais dont certaines parties laissent encore du trouble. […] C’est un des esprits les plus avancés en même temps et les plus antiques, antique en certaines places, le dirai-je ? […] Dans le temps qu’il demeurait à Saint-Malo, chez sa sœur, il lisait beaucoup toutes sortes de livres, des romans en quantité, et puis on en causait comme en un bureau d’esprit avec passion ; il y mêlait une gaieté très-active. […] N’as-tu pas admiré dans le discours de M. de Montesquiou comme quoi les Français ont trop d’esprit pour avoir besoin de dire ce qu’ils pensent ? […] Car ce n’est pas avec une raison lucide seulement qu’il convient de se livrer à cette investigation, trop variable selon les lumières ; c’est avec des qualités religieuses de l’esprit et du cœur, qui soutiennent dans le chemin, le devinent aux places douteuses, et en dispensent là où il ne conduit plus.

1190. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « M. MIGNET. » pp. 225-256

Mignet, par ce premier et remarquable essai, déclarait hautement sa vocation naturelle et en même temps le procédé le plus habituel de son esprit. […] J’ai encore présentes à l’esprit ces premières leçons de l’Athénée dans lesquelles M ignet aborda le xvie  siècle et la Réforme. […] Montesquieu, sans aller jusqu’au sens mystique, croyait également à des lois dans l’histoire ; tous les esprits supérieurs les aiment au point de les créer plutôt que de s’en passer. […] L’histoire est donc un art ; il y met du sien, de son esprit, il y imprime son cachet, et c’est même à ce prix seul qu’elle est possible. […] Il est une dernière remarque que j’oserai glisser ici, bien que contraire à la prévention qui règne aujourd’hui en faveur du langage du siècle de Louis XIV ; tous ces hommes d’esprit dont j’ai parlé causaient à merveille, mais comment écrivaient-ils pour la plupart ?

1191. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — I »

Pour le comprendre, l’esprit du spectateur découvre sans peine et monte avec une sorte d’orgueil paisible l’échelle d’idées par laquelle a passé le génie de l’artiste. […] D’où il suit que, dans les ouvrages des esprits supérieurs, il est un degré relatif où chaque esprit inférieur s’élève, mais qu’il ne franchit pas, et d’où il juge l’ensemble comme il peut. […] Les esprits qui n’auront trouvé où poser leur vol s’en reviendront comme la colombe de l’arche, sans même rapporter le rameau d’olivier […] Telle est la situation d’esprit des trois personnages principaux au moment où Racine commence sa pièce. […] Si les esprits supérieurs, les génies à pic, ne prêtent pas pied à divers degrés aux esprits inférieurs, ils en portent un peu la peine, et ne distinguent pas eux-mêmes les différences d’élévation entre ces esprits estimables, qu’ils voient d’en haut tous confondus dans la plaine au même niveau de terre.

1192. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Victor Hugo, Toute la Lyre. »

Que me reste-t-il dans l’esprit, une fois ces grandes vibrations éteintes ? […] La qualité de son esprit ne m’éblouit ni ne me charme, hélas ! […] L’esprit de ce temps, c’est dans Stendhal, Sainte-Beuve, Michelet, Taine et Renan qu’il réside. […] Enfin, dans les dernières années de sa vie, il poussait l’inconscience du ridicule jusqu’à un excès qui affligeait les esprits délicats. […] Il eut la chance d’être exilé et l’esprit de faire servir son exil à sa gloire.

1193. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre I. Le Bovarysme chez les personnages de Flaubert »

Il semble que les procédés de la connaissance soient les mêmes, qu’ils s’appliquent aux choses de l’esprit ou au monde physiologique. […] Il semble qu’il ait voulu nous faire toucher la disproportion formidable qui s’accuse entre les interrogations posées par l’inquiétude de notre esprit et nos moyens d’y répondre. […] Ainsi, selon deux procédés différents, l’esprit humain s’est efforcé de se rendre maître de la certitude. […] L’entreprise nous paraît ici plus téméraire parce qu’elle va à ébranler une croyance dont l’influence sur l’esprit est encore actuelle. « Une croyance, a dit Fustel de Coulanges, est l’œuvre do notre esprit, mais nous ne sommes pas libres de la modifier à notre gré.

1194. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre III. La complication des sociétés »

Ainsi, parce qu’une différenciation sociale coexiste souvent avec l’esprit anti-égalitaire, ne nions pas les rapports de l’esprit égalitaire avec la complication sociale : la multiplication des cercles veut être distinguée de leur intersection. […] La variété des corps dont les hommes deviennent, les éléments diminue en eux l’étroitesse de l’esprit de corps. […] Tout ce qui entrecroise les groupes embrouille les distinctions de classes, et invite l’esprit à en faire abstraction pour mesurer la valeur propre aux individus. […] Elle inaugurait une société des esprits qui, pour être idéale, n’en devait pas moins, par sa forme propre et la situation qu’elle occupait au milieu des autres sociétés, acheminer l’humanité à l’égalitarisme. […] Les salons du xviiie  siècle ne préparent pas seulement l’égalité des hommes parce qu’ils réunissent et confondent seigneurs et hommes de lettres, mais parce que, prisant l’esprit par-dessus tout, ils fournissent aux roturiers l’occasion de racheter par la supériorité du talent l’infériorité de la naissance : dans le royaume de l’esprit un enfant trouvé peut être roi.

1195. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — I » pp. 143-149

C’était l’époque des cafés et de leur première vogue ; ils étaient hantés par ce qu’il y avait de mieux parmi les gens d’esprit. […] L’abbé Prévost y insiste et le discute, au sujet même de l’abbé de Pons : Je ne sais, dit-il22, par quel préjugé on s’est persuadé depuis quelque temps que les cafés sont une mauvaise école pour l’esprit et pour le goût. […] Il fut donc enthousiaste de La Motte, et crut réellement que cet esprit très éclairé était un talent supérieur et un génie. […] Ce qu’il dit contre les stupides admirateurs des anciens à propos de L’Iliade française me semble d’une grande justesse ; mais son La Motte n’est pas si grand poète qu’il dit, quoique homme de beaucoup d’esprit et de goût. […] La vérité est qu’ils se convenaient l’un et l’autre de tout point, qu’il y avait harmonie préétablie entre leurs esprits, et qu’à la première rencontre leurs atomes crochus s’attirèrent3.

1196. (1874) Premiers lundis. Tome II « Loève-Veimars. Le Népenthès, contes, nouvelles et critiques »

C’est là tout un côté de la critique actuelle, de la mauvaise critique ; mais hors de celle-là, en face ou pêle-mêle, il y a la bonne, il y a celle des esprits justes, fins, peu enthousiastes, nourris d’études comparées, doués de plus ou moins de verve ou d’âme, et consentant à écrire leurs jugements à peu près dans la mesure où ils les sentent. […] Loève-Veimars, dans son Népenthès, s’offre aussi à nous avec des qualités et des mérites variés qui conviennent surtout à cette classe d’esprits. […] Loève-Veimars par une pointe de cet esprit philosophique de Voltaire et de Chamfort, de Chamfort qui n’aurait pas fait de tragédies et qui aurait beaucoup lu Brantôme et les mémoires de la reine Marguerite. […] Un tel paradoxe, si contraire à la conscience littéraire de l’élite du public d’alors, à l’admirable Épître de Boileau, et de plus si impossible à démontrer aujourd’hui comme à réfuter, m’a fâché, je l’avoue, venant d’un esprit aussi net et aussi droit que M.  […] ne forçons pas ainsi les choses ; vous surtout qui avez bien assez d’esprit et de piquant sans le paradoxe !

1197. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre I. Un retardataire : Saint-Simon »

Mousquetaire gris à dix-sept ans, mestre-de-camp de cavalerie, il est démissionnaire en 1702, de dépit de n’avoir pas passé brigadier : le roi, qui à cette date avait plus que jamais besoin d’officiers, et qui n’aimait pas les esprits si prompts à fixer leur droit, ne lui pardonna jamais d’avoir quitté l’armée. […] Même après sa lettre anonyme à Louis XIV, si éloquente et si dure, soupçonné et, dans l’esprit, du roi, convaincu de l’avoir écrite, il resta à la cour. […] Ses Mémoires fourmillent d’inexactitudes, d’erreurs, de mensonges même, de ces mensonges passionnés qui échappent aux honnêtes gens de petit esprit ; ils ne doivent être consultés qu’avec bien des précautions comme document historique. […] Car il a du reste l’esprit médiocre, étréci, déformé par un amour-propre aussi mesquin que violent. […] Ce qui est pour l’esprit est souvent faux : mais ce qui est pour la sensation est toujours réel.

1198. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « II »

Nous ne sommes pas les seuls à signaler la tournure d’esprit paradoxale de M. de Gourmont. […] Prenant des notes, dégageant les principes, m’efforçant surtout d’atteindre la sensibilité et la tournure d’esprit des auteurs, je ne me suis décidé à publier mon Art d’écrire que sur les très vives instances de mes amis. […] A côté d’une doctrine ferme, le dilettantisme est si tentateur pour un esprit subtil ! […] Prenant des notes, dégageant les principes, m’efforçant surtout d’atteindre la sensibilité et la tournure d’esprit des auteurs, je ne me suis décidé à publier mon Art d’écrire que sur les très vives instances de mes amis. […] A côté d’une doctrine ferme, le dilettantisme est si tentateur pour un esprit subtil !

1199. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Rome et la Judée »

Influence du temps, cette climature qui joue sur notre esprit comme l’autre atmosphère sur nos organes ! […] Prenez l’histoire de l’esprit humain ! Les plus grands philosophes n’ont qu’une idée qui tyrannise leur esprit. […] En sa qualité de chrétien, Champagny tient cette question pour résolue ; mais pourtant, puisqu’il fait un livre, c’est qu’il veut apparemment pousser ou incliner les esprits vers la solution qu’il possède et sur laquelle il est tranquille. […] Le midi ne sera donc pas venu pour cet esprit qui promettait tant !

1200. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame Sand »

La race, que Madame Sand a niée à dix reprises différentes et qu’elle avait ses raisons pour nier, la race est ce qui manque le plus à la nature de son esprit, et cette Correspondance l’atteste ! La Correspondance prouve jusqu’à la dernière évidence à quel point Madame Sand, cette égalitaire, avait, au fond, l’esprit commun dès qu’elle était naturelle et que la nécessité de faire du style ne l’étreignait pas. […] C’est, je crois, le prince de Ligne qui a dit ce joli mot profond, quoique joli : « qu’on n’est point une personne d’esprit si on n’en a pas avant d’avoir ôté son bonnet de nuit, le matin ». Eh bien, Madame Sand n’a jamais d’esprit dans le bonnet de nuit de sa Correspondance ! […] Mais aux tous les jours de cette Correspondance qu’on nous étale et qu’on eût mieux fait de cacher, elle se montre à nous dans un déshabillé et un négligé terribles pour sa gloire et pour la naïveté sans distinction d’un esprit qui, par lui-même et primesautièrement, n’existe pas.

1201. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre III. De la survivance des images. La mémoire et l’esprit »

On ne veut voir dans la perception qu’un enseignement s’adressant à un pur esprit, et d’un intérêt tout spéculatif. […] La vérité est qu’il n’y a pas de cercle, parce que la ressemblance d’où l’esprit part, quand il abstrait d’abord, n’est pas la ressemblance où l’esprit aboutit lorsque, consciemment, il généralise. […] Mais la vérité est que cette image indépendante est un produit artificiel et tardif de l’esprit. […] En fait, toute association par contiguïté implique une position de l’esprit intermédiaire entre ces deux limites extrêmes. […] De sorte que le rêve serait toujours l’état d’un esprit dont l’attention n’est pas fixée par l’équilibre sensori-moteur du corps.

1202. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — III. (Suite et fin.) » pp. 454-472

Il y a là une preuve de plus de cette tranquillité d’esprit et de cette faculté de travail uniforme, deux traits distinctifs de la forte nature que nous étudions. […] Il était de ces forts tempéraments d’esprits qui ne sont contents et bien portants, qui ne respirent, pour ainsi dire, à l’aise, que quand ils ont toute leur charge et que leur capacité d’application est remplie. […] C’est l’ouvrage où il se peint le mieux dans la force de sa maturité, avec ce bon goût qui naissait d’un bon jugement, avec sa sûreté d’appréciation et cet esprit net et ferme qui était le sien. […] C’est cette mesure de sentiments qui règne dans ces derniers chapitres et qui constitue en quelque sorte l’esprit de son Histoire. Il n’y a trace nulle part de déclamation, qui était la chose la plus antipathique à sa nature ; on n’y trouve aucune de ces concessions marquées faites à l’esprit du jour ; toutes ses remarques sont telles qu’elles lui viennent de son propre fonds.

1203. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Maucroix, l’ami de La Fontaine. Ses Œuvres diverses publiées par M. Louis Paris. » pp. 217-234

M. de Joyeuse avait une fille qui avait de l’esprit et de la beauté ; Maucroix la voyait se former et grandir : « Comme ce garçon est bien fait, a beaucoup de douceur et beaucoup d’esprit, et fait aussi bien des vers et des lettres que personne, à quinze ans elle eut de l’inclination pour lui. » C’est Tallemant qui nous peint ainsi son ami, et qui nous raconte l’historiette romanesque. […] Ces nuances ou plutôt ces distinctions très nettes et très intimes sont essentielles pour caractériser l’esprit des temps. […] Le surintendant Fouquet, à qui il était fort recommandé par Pellisson, et qui aimait à se donner tous les gens d’esprit pour créatures, avait envoyé Maucroix à Rome sous le titre d’abbé de Cressy, et en qualité d’agent diplomatique à demi accrédité, à demi secret : le but précis de la mission est resté assez obscur. […] Les lettres qu’il écrit durant le temps de ce séjour à Paris à son ami le chanoine Favart nous peignent à ravir et au naturel sa situation d’esprit : « Vous connaîtrez, si je ne me trompe, au style de cette lettre, dit-il dès les premiers jours, que je suis un peu sombre ; il est vrai que je le suis : que sert de dissimuler ? […] Il ne mourut qu’en 1708, à l’âge de quatre-vingt-neuf ans, « ayant conservé jusque dans cette extrême vieillesse toute sa belle humeur, et toute sa fermeté d’esprit jusqu’au dernier soupir ».

1204. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. »

S’ils manquèrent de la politique du moment, ce fut positivement parce que cette politique instantanée ne leur avait jusqu’alors inspiré que du mépris ; mais les affaires les auraient formés, parce qu’elles ont seules la puissance de courber les esprits forts jusqu’aux considérations honteuses qu’exigent l’état et les intérêts d’une société presque en dissolution. […] Le ministère lui-même en proposait de fort dures, mais selon lui indispensables, eu égard à l’état des choses et à la disposition des esprits. […] se peut-il que cet exemple, en sens inverse, soit devenu bien plutôt attrayant et contagieux pour une partie de la jeunesse nouvelle ; que ce soit précisément au mauvais côté des souvenirs d’une époque qui en offre de si louables, que de jeunes esprits aillent se rattacher de préférence en vertu de je ne sais quel faux idéal rétrospectif ? […] Nous faudra-t-il admettre qu’il y a dans l’esprit humain des traces innées, des moules tout prêts pour des fanatismes quelconques, des retours et comme des accès périodiques pour des erreurs qu’on croyait épuisées ? […] Michaud dans un coin, lui parle longuement à l’oreille, et puis sort : il se ravise et rentre un moment après, en lui disant, le doigt sur les lèvres : « Au moins je vous recommande bien le secret, mon cher ami. » — « Soyez tranquille, répondit Michaud, je cacherai ce secret-là dans les Œuvres complètes de Lacretelle. » Il faisait ainsi d’une pierre deux coups et se moquait de deux amis diversement ridicules. — Une autre fois encore, rencontrant M. de Marcellus : « Eh bien, lui dit-il, vous devez être content de la Quotidienne, il y a de l’esprit. » — « Oui, répond le benoit Marcellus en faisant la grimace, mais voyez-vous, mon cher ami, il y a toujours quelque chose de satanique dans l’esprit. » Michaud racontait cela sans avoir l’air d’y toucher et en se moquant. — Puisque j’y suis, j’achève de rassembler les traits qui le peignent.

1205. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, — Antiquité et Moyen Âge — Par M. J. Zeller. (Suite et fin.) »

Zeller sur les premiers temps de cette République romaine si connue dans son esprit, si incertaine dans ses annales, et où la légende le dispute d’abord à l’histoire. […] Il y avait, quoi qu’il en soit, dans l’esprit politique des Romains tout le contraire, à certains égards, de l’esprit des Spartiates, une faculté de se transformer et de transiger sans briser, une disposition adoptive, si j’ose dire, qui n’existait pas en Grèce : comme l’aristocratie anglaise, le Sénat romain résistait aux réformes jusqu’au dernier moment ; puis, ce moment venu, il cédait et s’accommodait du nouvel ordre. […] Si Bossuet a hautement défini au moral l’esprit public des Romains dans les beaux temps de la République, M.  […] L’esprit de parti fausse ainsi les vues et mène à des conclusions révoltantes. […] Toutes ces pensées et bien d’autres naissent à l’esprit, en lisant les chapitres nourris et sérieux de M. 

1206. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Maurice comte de Saxe et Marie-Josèphe de Saxe, dauphine de France. (Suite) »

Les femmes de la cour ont toutes de l’esprit comme des diables, et sont méchantes de même. […] Pour M. le Dauphin, il a beaucoup d’esprit, et plus qu’il n’en paraît avoir. […] J’en demande bien pardon au comte Vitzthum, mais j’en appelle à son esprit judicieux et je l’attends à une seconde révision. […] Le duc de Luynes, un très bon esprit et qui est fort à consulter à son sujet, nous raconte une conversation de lui qu’il tenait d’un tiers digne de foi. […] Qu’on les examine à Dettingen et à Fontenoy, et l’on verra si c’est le même esprit qui règne.

1207. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Éloges académiques de M. Pariset, publiés par M. Dubois (d’Amiens). (2 vol. — 1850.) » pp. 392-411

Mais la simplicité de Fontenelle, dans sa rare distinction, ne ressemble à nulle autre : c’est une simplicité tout exquise, à laquelle on revient à force d’esprit et presque de raffinement. […] Ce qui frappe surtout, c’est le contraste de cette expression, bien souvent un peu mince, avec la grandeur de l’esprit qui embrasse et parcourt les plus hauts sujets. […] Elles me peignent bien la diversité de cet esprit mobile, qui se croit revenu de tout, et qui porte encore en lui toutes les illusions. […] Il n’assista qu’à deux ouvertures de corps : Jamais, dit-il, l’impression que fit sur moi la vue des deux cadavres ne s’effacera de mon esprit. […] Au reste, cette demi-révolution, cette réforme que j’appelle est déjà en partie faite, et la cause peut sembler gagnée auprès des bons esprits.

1208. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Regnard. » pp. 1-19

Chez lui-même, en effet, on ne voit rien de systématique, et l’esprit fort ne s’y pose point comme tel. […] Il ne songea plus désormais qu’à jouir de la vie en sage épicurien ou en cynique mitigé (c’est son expression), et à se livrer à ses goûts, où les sens se mêlaient agréablement à l’esprit. […] On a plus d’esprit en vers, quand on en a, qu’en prose. […] Cette Lisette, ce Crispin, nous enlèvent par leur feu roulant d’esprit sans effort ; ils ont coup sur coup des poussées de veine. […] Voilà de ces vers encore, entre tant d’autres de Regnard, qui m’aideront à définir sa manière, et dans lesquels il se sent comme un rejaillissement de l’esprit de Rabelais.

1209. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Les Faux Démétrius. Épisode de l’histoire de Russie, par M. Mérimée » pp. 371-388

Il laissait deux fils ; l’aîné qui lui succéda, Fédor, débile de corps et d’esprit, incapable de régner par lui-même, prit pour Premier ministre ou régent de l’empire un boyard son beau-frère, nommé Boris Godounof, homme ambitieux, habile, et né pour commander. […] Le faux Démétrius, en effet, ne fut que la personnification de l’esprit populaire qui cherchait son objet, son libérateur, et qui se demandait de toutes parts : « D’où naîtra-t-il ?  […] Mérimée, fidèle en cela à l’esprit classique, ne mêle point les genres : Accablé par ces tristes nouvelles, Boris faisait des efforts surhumains pour cacher son désespoir. […] Il n’est pas de ces esprits qui cherchent en toute étude autre chose qu’elle-même ; il est droit, il aime le vrai, il l’aime avant tout. […] Et à ce propos je ne puis m’empêcher de remarquer à part moi, en souriant, combien M. de Sacy est, en tout, de la famille d’esprits la plus opposée à celle de M. 

1210. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre V. Le génie et la folie »

Une littérature malade devait conduire naturellement les esprits réfléchis à cette conclusion : « Le génie n’est qu’une maladie. » Quels sont, suivant l’auteur, les caractères indubitables du génie ? […] Mais si c’est là une description fantastique, si, au lieu de décrire le génie vrai, on n’a décrit que le faux génie, le génie malade et égaré, rien n’est fait, rien n’est prouvé, et il reste toujours à établir comment l’état le plus sain de l’esprit se trouve avoir la même origine que ses maladies les plus déplorables. […] Ce qui constitue le génie, ce n’est pas l’enthousiasme (car l’enthousiasme peut se produire dans les esprits les plus médiocres et les plus vides) ; c’est la supériorité de la raison. […] En un mot, le génie est pour nous l’esprit humain dans son état le plus sain et le plus vigoureux. […] Je ne dis pas que le cas soit si grave ; mais, à coup sûr, celui qui a fait cela n’est pas un esprit du commun : il a le droit de se ranger lui-même au nombre des esprits distingués qu’ont eu des pensées bizarres ; et son ouvrage ne serait pas un faible argument en faveur de son opinion.

1211. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre V. Seconde partie. Des mœurs et des opinions » pp. 114-142

Plus d’une fois, sans doute et surtout en dernier lieu, on a voulu dénaturer cet esprit militaire, en le faisant servir à la conquête ; mais il sera toujours l’amour de la gloire acquise par le danger, car le Français ne se laisse pas conduire seulement par le sentiment du devoir, trop sec et trop métaphysique pour lui ; enfin cet esprit militaire est protecteur avant tout ; il doit donc toujours tendre à redevenir de la chevalerie. […] Voudrait-on, par exemple, que nous eussions l’imagination mobile, l’esprit très prompt à saisir les rapports, et que nous fussions, en même temps, prudents et circonspects en toute occurrence ? […] C’est peut-être dans cette seule combinaison de la marche de l’esprit public qu’il faut attribuer la distance qui se trouve maintenant entre les mœurs et les opinions. […] Il est évident que nous perdons ici le principe de l’unité, principe vers lequel la société a constamment gravité à toutes les époques de l’esprit humain. […] La légitimité est en France au nombre des nécessités sociales ; c’est le seul frein à l’impétuosité de notre esprit et à la mobilité de notre imagination.

1212. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIV : De la méthode (Suite) »

Son esprit est ailleurs. […] Il n’a pas d’esprit ; il ne trouve jamais de mots piquants ; sa conversation n’a aucune souplesse ; il ne sait pas tourner autour d’une idée, l’effleurer, s’en jouer. […] C’était une chose triste et touchante que de voir ce puissant esprit, déchu de hautes fonctions qu’il honorait, se rabaisser à l’enseignement de la grammaire, et relire Burnouf pour sa répétition du matin. […] L’indifférence, l’immobile, l’éternelle, la toute-puissante, la créatrice, aucun nom ne l’épuise ; et quand se dévoile sa face sereine et sublime, il n’est point d’esprit d’homme qui ne ploie, consterné d’admiration et d’horreur. Au même instant cet esprit se relève ; il oublie sa mortalité et sa petitesse ; il jouit par sympathie de cette infinité qu’il pense, et participe à sa grandeur. » Il était tard ; mes deux amis me renvoyèrent, et j’allai dormir.

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