Elle est plus difficile à constater, mais non moins certaine, non moins constante, et plus digne encore de l’attention du philosophe, quand nous sommes seuls avec nos souvenirs et nos pensées, sans compagnon d’aucune sorte ; l’homme qui lit ou écrit dans la solitude n’est pas seul, à vrai dire ; un livre est un ami qui nous parle et que nous écoutons avec attention ; le papier auquel nous confions notre pensée est un ami aussi, un ami discret et modeste, un confident patient qui nous écoute ; quand donc nous sommes vraiment seuls, bien souvent nous nous taisons, soit par prudence, soit par fatigue, soit tout simplement parce que parler nous semble inutile ; parler est inutile en effet, car la parole, ce précieux auxiliaire de la pensée, ne nous abandonne pas, si nous croyons renoncer à elle ; mais alors elle reste en nous, et nul autre que nous-même ne peut l’entendre. […] Sans cesse nous pensons, et, à mesure que se déroule notre pensée, nous la parlons en silence ; mais presque toujours nous la parlons ainsi sans le savoir, comme nous ignorons nos habitudes, nos instincts, les principes directeurs de notre pensée : car nous nous livrons à notre nature sans la réfléchir ; allant à nos fins, nous nous projetons au dehors sur les choses extérieures ou sur les objets abstraits que nous présente notre entendement, sans savoir ou sans vouloir nous replier sur nous-mêmes, acte difficile, pénible et surtout sans profit pour la vie pratique. […] Il est difficile de mesurer avec exactitude la durée moyenne du discours intérieur pendant la journée de chacun de nous ; mais, comme nous parlons toujours en nous-mêmes quand nous sommes étrangers à toute parole extérieure, c’est-à-dire quand nous ne parlons pas à haute voix et que nous n’écoutons personne, il est évident qu’en général, et si l’on fait abstraction des gens qui se parlent tout haut à eux-mêmes [ch. […] Toujours préoccupé de vérités immuables, de principes sociaux éternels, Bonald n’a pas le sens du devenir ; il comprend mal la vie du langage ; de même, en psychologie, s’il observe parfois avec précision, il généralise trop vite, il néglige les nuances dès qu’il a trouvé l’antithèse où il se complaît à enfermer sa pensée ; la sécheresse, en psychologie, est toujours inexactitude ; il était difficile de reconnaître la vie de l’âme, cet être « ondoyant et divers », dans les formules concises où Bonald prétendait la résumer ; enfin et surtout, il avait à l’avance compromis son autorité comme psychologue par les conséquences démesurées qu’il avait cru pouvoir tirer d’une observation d’ailleurs bien faite. […] Fournié adopte la théorie nécessitaire, mais avec de très sages réserves : sans la parole, l’esprit sent et connaît, mais il ne pense pas ; il a des idées générales, mais leur association, leur enchaînement, est difficile, irrégulier ; l’acte de penser, et par conséquent la parole intérieure, sont nécessaires, soit pour « réviser le classement général de nos connaissances », soit pour « acquérir des notions nouvelles » ; assurément, « les signes du langage ne font pas la pensée ; mais ils lui sont indispensables ; … ils donnent aux notions le mouvement et la vie126. » Nous dirions, en d’autres termes, sans nous écarter, à ce qu’il nous semble, de la pensée de M.
La condition, ce sera la perfection du style, la perfection humaine, possible, plus difficile de nos jours, mais plus glorieuse. […] Ces sortes d’amis ne sont pas de ce monde, et il faut convenir que leur rôle est difficile. […] L’auteur luttait avec courage contre les répugnances du public et ses hésitations, plus difficiles à emporter que ses répugnances ; la critique prêtait son aide désintéressée à l’auteur, mais sans lui inféoder son suffrage à tout jamais. […] C’était un sujet délicat et difficile, mais nul autre d’ailleurs ne pouvait mieux inspirer un homme de talent. […] Victor Hugo ait une espèce de naturel, et semble prendre ses inspirations plus bas que la tête, dans tout ce qui est d’ornement, de décoration et d’apparat, sa prose se fait lire, même des gens d’un goût difficile, avec un singulier intérêt.
Pourquoi chercher ce qu’on possède en quantité presque superflue, et comment ne pas vanter ce qui nous semble plus rare et plus difficile à acquérir ? […] Et puis, — ajoutait-il, — si vous saviez comme un travail assidu rend indulgent et peu difficile en matière de plaisirs ! […] Il possède l’art si difficile (les esprits raffinés me comprendront) d’être sincère sans ridicule. […] Malgré les lourdeurs et les enchevêtrements de sa phrase, il a toujours été un connaisseur des plus fins et des plus difficiles. […] Certes, il était difficile de choisir un thème plus usé, un drame à dénoûment plus universellement prévu ; mais les vrais écrivains aiment ces difficultés.
Et c’est pour la passion la plus héroïque, et c’est pour le devoir le plus effroyablement difficile, et j’ajouterai, ce qui me semble bien d’elle encore, c’est pour le devoir le plus subtil qu’elle se décide. […] C’est ce qu’il y a au théâtre de plus difficile, de plus rare et de plus beau. […] Roger Vincent, maladroit, inexpérimenté, mais chaleureux et tourmenté d’une façon intéressante dans le rôle de Lauffen, rôle du reste infiniment ingrat et difficile. […] C’est ce qu’elle fait, et la scène, horriblement difficile à établir, est conduite admirablement. […] — Je comprends, et ce n’est pas difficile à comprendre.
Rien n’est plus difficile que d’être un bon moderne, de l’être avec mesure et justesse d’esprit, de sentir et de goûter son temps dans son mouvement, dans son être immédiat et labile, au lieu de vivre, comme lorsqu’on est un ancien, dans un monde de choses toutes faites. Sainte-Beuve a trouvé en vieillissant que c’était trop difficile d’être un moderne, et il s’est réfugié dans l’ancien comme dans un Port-Royal. […] La fonction vraiment supérieure de la critique ne consiste pas à faire ce métier, mais bien à laisser tomber les œuvres qui ne valent rien et à comprendre non seulement les chefs-d’œuvre, mais, ce qui est plus difficile, le jeune, le nouveau dans leur libre élan créateur. […] Rien de plus difficile à définir qu’une génération. […] Ces différences tranchées d’un demi-siècle à un autre impliquent des différences insensibles d’une année à l’autre, délicates et difficiles à saisir : on voit qu’un enfant a grandi, mais on ne le voit pas grandir.
— Les métaphysiciens et les amants vulgaires parlent beaucoup de persévérance ; mais c’est celle de la conduite qui est plus rare et plus difficile que celle des affections. […] Us sont bien difficiles, ceux qui veulent mieux et qui s’amusent aujourd’hui à chicaner une telle mort.
Bien parler a été de tout temps un don assez généralement dispensé aux hommes, et les orateurs, chez aucun peuple ni à aucune époque, n’ont jamais manqué : écrire était chose plus réservée, plus redoutée et jugée vraiment difficile. […] Il est difficile de doser à point la louange, quand on tient à ne pas excéder la vérité.
On trouvera, dans la seconde partie de la Notice colonel Lecomte, la liste aussi complète que du possible (et elle est difficile à faire complète) de ces divers opuscules de circonstance, mais qui tous sont d’un extrême intérêt, même historique ; il s’y rencontre des faits et des particularités marquées qu’on ne retrouverait pas ailleurs. […] Un auteur de ce mérite, dont les écrits sont classiques, dont les livres sont entre les mains de tout officier qui étudie et pense ; un maître qui a donné les meilleures leçons pour régler autant que possible et soumettre à la raison, pour préciser, diriger, pour accélérer et par conséquent pour diminuer la guerre, pour la faire ressembler le moins qu’il se peut (et c’est de plus en plus difficile) à une œuvre d’extermination et de carnage, un tel maître, — le Malherbe du genre 72, — ne saurait garder de l’odieux sur son nom, ni même laisser de lui comme caractère une idée obscure et louche.
On transporte, on charrie les choses, mais pour le style, pour l’élocution, « cette partie, certes la plus difficile et sans laquelle toutes autres choses restent comme inutiles et semblables à un glaive encore couvert de sa gaine », comment en prendre une juste et lumineuse idée chez les traducteurs ? […] Il traduit et répète les préceptes de l’Épître aux Pisons, en nous les appropriant ; il conseille l’étude avant tout, le travail, de tenter le difficile ; se choisir de bons modèles ou ne pas s’en mêler ; qu’on ne lui allègue point le Nascuntur poetæ, mais parlez-moi de la méditation, des veilles, de l’abstinence et du jeûne : Qui studet optatam cursu contingere metam Multa tulit fecitque puer, sudavit et alsit, Abstinuit venere et vino105……………… Il faut laisser aux poètes courtisans la paresse et la facilité épicurienne, qui ne mena jamais à la gloire.
Scribe en a changé moins le principe que l’application et les proportions : il était difficile qu’il en advînt autrement ; même en se renouvelant, on se continue toujours. […] La comédie devient chose bien difficile de nos jours ; il y a toutes sortes de raisons à cela.
Le comte de Ségur Les écrivains polygraphes sont quelquefois difficiles à classer ; s’ils se sont répandus sur une infinité de genres et de sujets, sur l’histoire, la politique du jour, la poésie légère, les essais de critique et les jeux du théâtre, on cherche leur centre, un point de vue dominant d’où l’on puisse les saisir d’un coup d’œil et les embrasser. […] Il avait été invité par l’impératrice à l’une des résidences d’été, Czarskozélo ou toute autre, et divers indices, jusqu’au choix de l’appartement qu’on lui avait assigné, semblaient annoncer ce qu’avec les reines il est toujours un peu plus difficile de comprendre.
Il n’est pas étonnant que les transitions lui donnassent tant de peine, et qu’il les estimât « le plus difficile chef-d’œuvre de la poésie ». […] Sans doute il était difficile à Boileau de faire autrement en son temps : on n’eût pas accepté une poésie toute composée d’impressions, sans suite, sans lien, et surtout sans sujet.
Depuis longtemps, les acteurs français, du moins les acteurs comiques, s’efforçaient de suivre, sur ce terrain difficile pour eux, les artistes italiens. […] Il est difficile, si l’on n’a pas l’œuvre de Cicognini sous les yeux, de se rendre compte de la transformation que Molière lui a fait subir.
Quelques-unes nous trouvent si distraits et si occupés des soins de la vie, que leur présence nous donne un plaisir de surprise, ou si incapables d’en retenir l’impression dans nos faibles cerveaux que, comme un air de musique difficile et charmant, nous avons besoin de les rapprendre sans cesse. […] « Il s’est dispensé, disait-il, du plus difficile dans l’art d’écrire, à savoir, les transitions112. » Il ne s’agit pas de tours d’adresse et comme de plans inclinés pour faire glisser commodément l’esprit d’une idée à l’autre, mais d’idées considérables et nécessaires, qui ont leur place marquée dans le discours et qui en forment la chaîne.
Les tempêtes sociales rendent difficile, sinon impossible, le paisible exercice de la liberté ; mais la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen avait posé ce principe, base de la législation future : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. » Ce droit, solennellement proclamé, n’en fut pas moins étranglé par l’Empire. […] Le difficile a été toujours de marquer le point précis où finit le droit incontestable de l’art à peindre le vice et où commence l’excitation voulue à la débauche.
Je ne me dissimule pas que l’opération réclamée ici de l’historien est difficile et délicate ; que la théorie peut en paraître vague et obscure.. […] Boileau déclare que les transitions sont ce qu’il y a de plus difficile dans l’art d’écrire.
. — Nous la garderons. » Le coup de théâtre est superbe, mais difficile à croire autant qu’un miracle. […] On ne pouvait plus nettement résoudre un cas difficile.
C’est ainsi qu’il faut entendre cet autre passage de l’éloge, où il est dit : « Dès qu’on avait fait connaissance avec elle, on quittait sans y penser ses maîtresses, parce qu’elles commençaient à plaire moins ; et il était difficile de vivre dans sa société sans devenir son ami et son amant. » Ces expressions vives du peintre platonique ne sont que pour mieux rendre cette joie de l’esprit et cette pure ivresse de la grâce qu’on ressentait insensiblement près d’elle. […] [NdA] Mme des Ursins, dans ses lettres à Mme de Maintenon, n’avait cessé de faire valoir son amie, depuis sa rentrée en grâce auprès de sa tante ; elle varie ses louanges sur tous les tons : « Elle n’a rien de fardé, et est d’ailleurs aussi aimable par l’esprit que par la figure… Vous trouveriez en elle des ressources infinies, personne n’ayant plus d’esprit, et n’étant plus amusante sans aucune malice. » Mme de Maintenon, à la fin, s’avoue presque vaincue : « Il est vrai que je m’accommode mieux de Mme de Caylus qu’autrefois, parce qu’elle me paraît revenue de l’entêtement qu’elle avait pour le jansénisme, étant difficile de se trouver agréablement avec ceux qui pensent différemment que nous : son visage est toujours aussi gracieux, mais elle a une taille qui la défigure fort ; du reste, je ne vois point de femme ici si raisonnable qu’elle. » (Lettre à Mme des Ursins, du 26 août 1714.)
On dirait qu’elle se ressouvient de ce même Vauvenargues qui pourtant n’est venu qu’après, quand elle dit : « Je vous exhorterai bien plus, mon fils, à travailler sur votre cœur qu’à perfectionner votre esprit : la vraie grandeur de l’homme est dans le cœur. » D’un autre côté, si elle devance ses successeurs sur quelques points, elle répète ses devanciers sur quelques autres, et il ne serait pas difficile de retrouver dans son texte des pensées toutes pures de Pascal, de La Bruyère et de La Rochefoucauld27. […] Il faut donc que les femmes se résignent aux vertus paisibles, et ces vertus sont difficiles « parce que la gloire n’aide pas à les pratiquer ».
Sa conduite à l’époque de la Révolution, et dans les circonstances difficiles où tant d’autres de ses confrères (et La Harpe tout le premier) se couvrirent de ridicule et de honte, fut digne, prudente, généreuse même. […] Voilà, disais-je, un homme qui s’est donné le temps de penser avant que d’écrire ; et moi, dans le plus difficile et le plus périlleux des arts, je me suis hâté de produire, presque avant que d’avoir pensé.
L’impression de cela est difficile à définir peut-être, mais c’est par elle que les merveilles du plus imposant et du plus désastreux des arts arrachent l’admiration du monde jusque dans les souffrances que la guerre cause. […] Il ne se tournera point contre un résultat auquel il a contribué de tous ses moyens ; et ce serait travailler contre le nouvel ordre de choses que d’accuser avec amertume l’administration actuelle des embarras inévitables d’une position aussi difficile que la sienne.
Maintenant il est difficile d’y revenir. […] Il faut, en un mot, des vues et un langage que je ne me charge pas de trouver, que quelques-uns sont en voie de découvrir peut-être, mais qui auraient pour effet ce qu’il y a de plus difficile au monde : créer de nouveau un besoin élevé, réveiller un désir !
La pureté de ses eaux, les beaux ombrages qui l’entourent, les rochers escarpés et les épaisses forêts qui en défendent l’approche ; ce mélange de beautés tout à la fois douces et imposantes cause un saisissement difficile à exprimer, et semble annoncer la secrète présence d’un Être supérieur à l’humanité. […] Nous sommes dans les conjonctures les plus difficiles ; que nos concitoyens nous environnent de toutes parts, qu’ils nous pressent, que leur présence nous inspire et nous anime !
* * * — Une expression caractéristique d’un brocanteur, sur les bras duquel était resté un objet, assez difficile à placer : « Oh ! […] Eh bien, vous n’êtes pas difficile !