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839. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome I pp. 1-402

Béranger avait donc tout à faire, et il le sentait si bien, qu’il se proposait d’employer plusieurs années à rassembler les matériaux de son poème. […] Cette chanson, écrite dans les dernières années de l’empire, est une des satires les plus ingénieuses que le pouvoir absolu de Napoléon ait inspirées. […] L’automne, en voilant le ciel de la France, en lui rappelant la fuite des années, reporte sa pensée vers sa patrie de prédilection. […] Raphaël, parvenu à sa vingtième année, croit sincèrement avoir épuisé toutes les émotions de la vie. […] Si cette pensée avait besoin d’être démontrée, il nous suffirait d’ouvrir l’histoire littéraire de ces vingt dernières années.

840. (1879) À propos de « l’Assommoir »

Il proposa à l’éditeur Lacroix de lui livrer deux volumes par année, moyennant une rente de 500 fr. par mois. […] Zola travaillait très vite, et espérait terminer son œuvre en quelques années : il avait fait la Curée en quatre mois. […] Son prochain roman, Nana, ne sera guère fini que dans une année ; les dix ou douze qui doivent terminer la série sont encore dans un avenir incertain. […] Depuis quelques années, M.  […] Aujourd’hui il travaille encore beaucoup ; il ne se passe pas d’année où il ne jette dans la circulation deux ou trois volumes ; mais la critique ne s’occupe plus de lui, il est en dehors de la littérature militante.

841. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1875 » pp. 172-248

Le maréchal s’est mis à causer gaîment et alertement, des hommes, des canons, des fusils, et a terminé par cette phrase : « Oh cette année, il n’est pas probable que Bismarck nous fasse la guerre, et l’année prochaine nous serons prêts !  […] Pris de mélancolie, j’examine le cabinet, et je me rappelle que mon frère y est venu dîner, l’année de sa mort, et que très souffrant, il s’était couché à la fin du dîner, sur le canapé, dans un tel navrement, que toute la gaieté de mon petit cousin s’en était allé. […] Saint-Victor disait, ce soir, que la Russie nous avait fait avertir que, passé cette année, elle ne répondait plus de rien. […] Des années se passent dans cette vie de boustifaille et de création de petits chefs-d’œuvre, une vie toute solitaire, toute séparée des autres, quand il vient à notre homme un abcès dans le ventre. […] Un jour de l’An, les deux bambins avaient été amenés souhaiter la bonne année au maréchal Jourdan, qui était aussi leur parent.

842. (1868) Rapport sur le progrès des lettres pp. 1-184

Chaque année, chaque mois doit suffire à son œuvre. […] On se dit, en lisant son œuvre, si jeune après tant d’années : Ah ! […] Au contraire, les romans qu’on a appelés poétiques et qui, à la vérité, n’abordaient pas le champ de la poésie par ses meilleurs côtés, s’en vont mourant d’année en année. […] De ce monde surgissent chaque année de hautes et fières intelligences. […] Les talents ont un âge idéal qui souvent ne concorde pas avec les années réelles du poëte.

843. (1911) Visages d’hier et d’aujourd’hui

Cette grande année, c’était 1909, l’année des aviateurs. […] Ces années-là, Rod apparut comme l’un des directeurs de conscience que souhaitait une époque alarmée. […] Les jeunes revues, il y a quelques années, le traduisaient volontiers. […] Il mourut « de vieillesse », parce que les neuf années qui s’étaient accumulées sur lui avaient été plus longues que des années, plus longues et plus lourdes. […] Puis, à la fin de cette même année, il partait pour l’Italie, — mère des arts, n’est-ce pas ?

844. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Tissot. Poésies érotiques avec une traduction des Baisers de Jean Second. »

Quelques années encore, et les nouveaux besoins déposés dans nos cœurs se sont démêlés ; chaque jour ils se démêlent davantage. […] Ses premières années, qu’il passa à La Haye, furent cultivées avec les soins en usage dans l’exacte discipline d’alors.

845. (1874) Premiers lundis. Tome I « Bonaparte et les Grecs, par Madame Louise SW.-Belloc. »

Bonaparte et les Grecs, ce sont là sans doute deux grands événements européens, qui figurent en commun au premier rang dans l’histoire de ces vingt-cinq dernières années. […] Et que le rossignol, de sa voix pure et belle, Me raconte que mai fleurit encor nos champs. » Le précis de la guerre durant ces quatre dernières années est un résumé, un peu oratoire, des nombreuses relations récemment publiées.

846. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XII. Mort d’Edmond de Goncourt » pp. 157-163

Par une opposition curieuse, des poètes nouveaux étaient venus à lui en ces dernières années, attirés par l’aristocratie de son talent : mais il va sans dire que le vieillard ne les entendait pas. […] Mais, dès l’origine, son optique était aussi particulière : dans une seule année de son Journal, une des premières, il n’oublie de mentionner que l’apparition du Fils de Giboyer et la révélation du Tannhäuser à Paris !

847. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Deshays  » pp. 134-138

Son St Victor et son St Andre de cette année ne lui sont point inférieurs. […] Je demande s’il est permis au peintre de l’avoir fait aussi droit, aussi ferme sur ses genoux ; je demande si malgré la pâleur de son visage, on ne lui accorde pas plusieurs années de vie ; je demande s’il n’eût pas été mieux que ses membres se fussent dérobés sous lui ; qu’il eût été soutenu par deux ou trois religieux ; qu’il eût eu les bras un peu étendus, la tête renversée en arrière, avec la mort sur les lèvres et l’extase sur le visage avec un rayon de sa joie.

848. (1868) Curiosités esthétiques « II. Salon de 1846 » pp. 77-198

On a remarqué cette année l’absence de M.  […] Cette année-ci m’a donné raison. […] L’école Couture, — puisqu’il faut l’appeler par son nom, — a beaucoup trop donné cette année. […] Cette année, M.  […] Cette année, M. 

849. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juin 1886. »

A la construction et l’aménagement du théâtre et à la préparation spéciale de la pièce, je réserve l’hiver de 1871 et l’année 1872. […] Depuis la conception du poème jusqu’à l’achèvement de l’instrumentation, trente années se sont écoulées. […] De même, durant les dix années d’interruption dans la composition du Ring, plusieurs faits nous montrent qu’elle ne sommeilla pas. […] le fragment qu’il a fait imprimer est le résultat de longues années assidues ; encore M.  […] Se rappelle-t-on les dernières années de Louis Lambert, dans le beau roman de Balzac ?

850. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIVe entretien. Épopée. Homère. — L’Odyssée » pp. 445-524

Une hiérarchie naturelle et ascendante faisait, année par année, passer le berger d’agneaux au rang de berger de génisses, de berger de génisses au rang de toucheur de bœufs, du rang de toucheur de bœufs à celui de valet de charrue, du rang de valet de charrue à celui de conducteur de chevaux, chargé d’aller toutes les semaines conduire aux marchés les chars de grains et d’en rapporter le prix au maître. […] Les chefs d’attelage s’asseyaient au bout le plus honorable, parce qu’il était le plus rapproché du grand fauteuil de bois où le cuisinier Joseph, pareil à un roi, présidait au festin, assis lui-même sous le vaste manteau de pierre de la cheminée ; puis les bouviers, puis les simples journaliers, puis les bergers, presque tous enfants en bas âge, à l’exception du berger en chef des moutons, vieillard respecté, pensif, jaseur et philosophe, qui s’asseyait en tête des bouviers par le droit de ses années et de sa profonde sagesse. […] Supposez que vous soyez égarés depuis des années et des années dans l’immensité de ces forêts qui nous entourent ; supposez que du haut d’une montagne vous aperceviez enfin, le soir, une légère vapeur bleue s’élever dans le ciel au-dessus du toit du château : que ne vous dirait pas au cœur cette petite colonne bleuâtre sortant de la cheminée de votre père et de votre mère ? […] « J’ai longtemps erré sur mes navires, et je ne suis arrivé qu’à la fin de la huitième année. […] Les fruits de ces arbres ne cessent pas de se succéder pendant toute l’année ; ils ne manquent à l’homme ni l’été, ni l’hiver ; sans cesse le vent tiède, en soufflant, fait éclore les uns et mûrir les autres.

851. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Granier de Cassagnac » pp. 277-345

Granier de Cassagnac, cette plume de guerre qui sait être aussi une plume de justice, nous a donné, il y a quelques années, une Histoire des causes de la Révolution française que personne n’a oubliée, et il s’est cru obligé d’y ajouter, comme une conclusion, celle du Directoire. […] Il reprend, il est vrai, l’équation sur le dégagement de l’inconnue, mais ôtez cette inconnue, dégagée sans lui, il n’aurait pas vu l’équation, posée cependant depuis tant d’années sous nos yeux, fermés ou distraits. […] Supérieur à force de bon sens dès qu’il regarde le fait, Granier de Cassagnac nous a tracé du règne de Louis-Philippe, non pas le récit (on dit qu’il doit le donner plus tard, année par année), mais un résumé qui peut très bien l’en dispenser. […] À trois années de distance, il a été emporté par deux révolutions, sans le soupçonner, même la veille. » Évidemment, on n’a jamais mieux dit sur Thiers. […] Je me contenterai des conclusions auxquelles l’auteur de ce livre (une œuvre de trente années !)

852. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite et fin.) »

Ce diplomate, dont on a les Mémoires, a consacré tout un intéressant chapitre à ses relations avec Talleyrand47 ; il y a inséré les réponses qu’il reçut de lui dans les dernières années, lorsque de temps en temps il jugeait à propos de se rappeler à son souvenir. […] On y pensait fort et l’on en était fort préoccupé autour de lui : il s’en préoccupait lui-même depuis quelques années. […] Il lui échappa de dire en plus d’une occasion : « Je sens que je devrais me mettre mieux avec l’Église. » On remarquait encore qu’il revenait plus volontiers sur ses souvenirs de première jeunesse et sur ses années de séminaire ; il ne craignait pas de les rappeler. […] Cette manière de finir contraste avec celle de son contemporain et ancien collègue l’abbé Sieyès, mort sans rétractation deux années auparavant. […] Claretie en cite un encore des moins patriotiques, parodiant un mot célèbre de Napoléon, daté du 20 janvier 1815, et adressé toujours à la duchesse de Courlande : « Les puissances ne sauraient prendre trop de sûretés dans le traité qu’elles feraient, si elles ne veulent pas être obligées à recommencer sur nouveaux frais l’année prochaine.

853. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « LOUISE LABÉ. » pp. 1-38

Victor Pavie faisait, il y a peu d’années, à Angers, pour Joachim Du Bellay : il vient d’en publier une charmante édition de luxe, tirée à 200 exemplaires, avec notice de M. […] Puis, ces treize années de jeunesse et de passion écoulées, elle se serait laissé épouser par le bon Ennemond Perrin, beaucoup plus âgé qu’elle, qui lui aurait offert sa fortune, son humeur débonnaire et ses complaisances, à défaut de savoir et de poésie ; elle aurait fait en un mot un mariage de raison, un peu comme Ariane désolée (chez Thomas Corneille) si elle avait épousé ce bon roi de Naxe, qui était son pis-aller. […] J’en conclurais plutôt (s’il fallait conclure en telle matière) que Louise Labé, en mettant les choses au plus grave, dut être pendant des années aussi uniquement occupée qu’Héloïse. […] Le silence que Louise a gardé dans les dix dernières années de sa vie et le soin qu’elle prit, dans sa publication de 1555, de marquer à plusieurs reprises que ces petits écrits ont été composés depuis longtemps et que ce sont œuvres de jeunesse, pourrait faire conjecturer qu’elle entra à un certain moment dans un genre de vie un peu moins ouvert à la publicité. […] Quoi qu’il en soit, ce silence des dernières années, qui ne laisse arriver d’elle à nous, dans toute cette existence poétique, qu’un accent de passion émue et un cri d’amante, sied bien à la muse d’une femme, et l’imagination peut rêver le reste.

854. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (2e partie) » pp. 305-367

J’appris qu’il vivait encore, qu’il s’était réconcilié avec l’Église au temps des rétractations, et qu’il était, depuis longues années, curé de la commune de Bessancourt, dans le département de Seine-et-Oise. […] Si ces témoignages de la consciencieuse minutie de mes recherches sur les moindres circonstances historiques de mon Histoire des Girondins ne suffisaient pas pour édifier l’écrivain qui m’attribue l’invention de cette prétendue fable, voici à ce sujet une lettre d’un des principaux habitants de Bessancourt, qui m’arrive aujourd’hui, avec l’autorisation de la reproduire : « Monsieur, « Je n’ai pas besoin de remonter plus loin dans mes souvenirs pour attester que le vénérable abbé Lambert a été, pendant de longues années (depuis 1816 jusqu’en 1847, année de sa mort), curé de Bessancourt (Seine-et-Oise) ; que cet ecclésiastique a toujours passé dans la commune pour avoir été l’ami des Girondins et le pieux consolateur de quelques-uns d’entre eux la veille de leur supplice, en 1793 ; et que vous êtes venu, accompagné d’un de vos amis ou collègues dont le nom m’échappe, passer de longues heures chez M. le curé Lambert dans son presbytère de Bessancourt, pour recueillir personnellement, de la bouche de ce vieillard, tous les détails que vous rapportez dans votre Histoire des Girondins. […] Buchez et Roux, qui a été mon manuel historique, toujours ouvert sur ma table pendant les deux années consacrées par moi à écrire cette histoire, je n’ai pas négligé une seule information verbale possible à obtenir des parents ou des amis des personnages, même odieux, dont j’avais à sonder la vie publique ou la vie intime. […] La jeune fille était devenue femme, mère, veuve ; elle avait vieilli d’années et de visage, sans rappeler par ses traits aucune beauté passée, mais sans aucun signe de vieillesse ou de caducité. […] Fils de royaliste, royaliste moi-même de naissance, de tradition, d’éducation, pendant mes jeunes années, si Robespierre n’était pas mort, mon père n’aurait pas vécu, et toute ma famille aurait été victime de son système de rénovation de la France par l’extermination.

855. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 février 1885. »

Nous avons vu, ces dernières années, d’honorables opéras, tout d’à peu près et de prudence où le vieux était masqué et le neuf dissimulé, tomber les uns après les autres. […] » Mais Wagner eut un vengeur, un ennemi, ennemi aussi de Berlioz, Seudo, qui pour la plus grande colère de Berlioz, écrivait (année musicale de 1861) : « Berlioz et Wagner, deux frères ennemis, deux enfants terribles de la vieillesse de Beethoven qui serait bien étonné s’il pouvait voir ces deux merles blancs sortis de sa dernière couvée ! […] Le numéro de janvier 1885 contient les articles suivants : 1° Richard Wagner : motifs extraits de ses écrits. — Cet article composé de passages pris aux livres de Wagner, expose comme quoi il faut juger toute œuvre en tenant compte du milieu où elle a été produite ; 2°  Sur Jacob Grimm, en mémoire du 4 janvier 1785 — Jacob Grimm est le philosophe allemand qui s’est le premier attaché à l’étude de l’esprit germanique ; 3° Etudes sur l’éternité, par Philipp van Hertefeld ; 4° Sur l’architecture théâtrale, par Friedrich Hofmann. — Cette étude montre que Wagner a repris l’idée du théâtre grec ; elle compare le théâtre de Bayreuth aux théâtres anciens et modernes ; 5° Observations sur Parsifal : explication de passages douteux ; 6° Un dialogue de fin d’année, au sujet du nouveau calendrier wagnérien ; enfin les communications nouvelles, etc. […] Il semble aujourd’hui bien prouvé, dit M. de la Villemarqué dans sa célèbre étude sur les Romans de la Table ronde2, que les troubadours provençaux chantaient ses aventures dès l’année 1150 ; malheureusement leurs poèmes sont perdus ; quelques parties de ceux des trouvères ont survécu : l’un des trois plus anciens doit avoir été rédigé par un certain Bérox dans les dernières années du règne de Henri II, roi d’Angleterre ; le second est l’œuvre d’un poète nommé Thomas, postérieur au moins d’un quart de siècle au premier ; le troisième est généralement attribué à Chrestien de Troyes, déjà mort au commencement du treizième siècle. […] Cédant aux conseils d’un saint ermite, et d’ailleurs, l’effet du philtre étant épuisé, après avoir duré pendant les trois années fatales, Tristan se retire dans la Petite-Bretagne et prend le sage parti de se marier à la fille d’Hoël, roi du pays, qui porte aussi le nom d’Iseult.

856. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Alfred de Musset » pp. 364-375

Que manquait-il donc en ces années au poète, bien jeune encore, pour être heureux, pour vouloir vivre et aimer la vie, pour laisser son esprit courir et jouer en conversant sous des regards prêts à lui sourire, et son talent désormais plus calme, plus apaisé, s’animer encore par instants et combiner des inspirations renaissantes avec les nuances du goût ? […] Poète qui n’a été qu’un type éclatant de bien des âmes plus obscures de son âge, qui en a exprimé les essors et les chutes, les grandeurs et les misères, son nom ne mourra pas, Gardons-le particulièrement gravé, nous à qui il a laissé le soin de vieillir, et qui pouvions dire l’autre jour avec vérité en revenant de ses funérailles : « Notre jeunesse depuis des années était morte, mais nous venons de la mettre en terre avec lui. » Admirons, continuons d’aimer et d’honorer dans sa meilleure part l’âme profonde ou légère qu’il a exhalée dans ses chants ; mais tirons-en aussi cette conséquence de l’infirmité inhérente à notre être, et de ne nous enorgueillir jamais des dons que l’humaine nature a reçus. […] Mais, on n’a pas voulu dire que le directeur de la revue, qui fut pendant quelques années l’administrateur très zélé du Théâtre-Français, n’ait pas songé à y mettre en œuvre le talent de M. de Musset ; ce qu’on a voulu dire, c’est que Mme Allan, qui avait joué le Caprice à Saint-Pétersbourg, le joua à ravir à Paris, et mît chacun en goût de telle friandise.

857. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « À M. le directeur gérant du Moniteur » pp. 345-355

Je me fais ces questions, je reste ouvert et attentif aux réponses qui m’arrivent de temps en temps du dehors, et je ne me laisse pas détourner par cette fin de non recevoir très à la mode depuis quelques années, la morale et le beau. […] J’ai eu beau me tâter, je n’ai pu me repentir ; mais, mon cher directeur, je suis pourtant resté un peu effrayé de voir à quel point la critique littéraire devient difficile, quand on n’y veut mettre ni morgue ni injure, quand on réclame pour elle une honnête liberté de jugement, le droit de faire une large part à l’éloge mérité, de garder une sorte de cordialité jusque dans les réserves, Depuis, en effet, que j’ai parlé des deux romans qui, dans ces dernières années, ont le plus piqué l’attention du public et auxquels je n’avais accordé, ce me semble, que des éloges motivés et tempérés, je n’ai cessé, en toute occasion, d’être dénoncé par des confrères vigilants comme un critique peu moral, presque un patron d’immoralité. […] Salons affamés de nouvelles, de sujets à l’ordre du jour, auxquels l’ancien régime parlementaire, avec ses joutes et tournois, fournissait, toutes les quinzaines à peu près, un aliment nouveau, un nouveau train de conversation ; qui sont à jeun depuis bien des années et n’ont pour ressource que de se jeter avec rage sur ces pauvres sujets littéraires, drames ou romans, qui n’en peuvent mais !

858. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803 » pp. 2-15

Sa vie publique, tout en dehors et pleine d’excitation, a, durant de longues années, fait sortir aux yeux de la France et du monde entier certains défauts et certaines dispositions intérieures, dont ses amis seuls avaient jusqu’alors le secret : toutes ses humeurs, ses splendeurs de bile et ses âcretés de sang si je puis dire, ont fait éruption. Dans un ouvrage composé il y a quelques années, j’avais rassemblé les diverses remarques que j’avais été à même de faire sur le grand écrivain, sur son talent prodigieux et son caractère singulier : lorsque ce livre parut, il choqua quelques admirateurs de M. de Chateaubriand, comme si j’avais voulu nuire à cette admiration dans la partie où elle mérite de persister et de survivre. […] c’est cette méthode ou plutôt cette pratique qui m’a été de bonne heure comme naturelle et que j’ai instinctivement trouvée dès mes premiers essais de critique, que je n’ai cessé de suivre et de varier selon les sujets durant des années ; dont je n’ai jamais songé, d’ailleurs, à faire un secret ni une découverte ; qui se rapporte sans doute par quelques points à la méthode de M. 

859. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Waterloo, par M. Thiers »

Il s’est écrit depuis des années bien des batailles de Waterloo : il y en a eu de nettes et de patriotiques, de savantes et de passionnées, de fougueuses et de brillantes, de poétiques et de souverainement, j’allais dire d’outrageusement pittoresques. […] Qu’il ne vienne jamais le jour où les générations renouvelées, fussent-elles dans la prospérité de la civilisation et de la paix perpétuelle, ne paraîtraient plus que froides et indifférentes à ce qui a remué et déchiré les entrailles de la patrie, en ces années connues et senties de nous, années de deuil immense, d’immortelle grandeur !

860. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, romans (1832) »

Ces dernières, venues année par année, automne par automne, comme les fruits d’un même arbre, expriment fidèlement par leur saveur et par leur éclat les phases, les accidents divers sous le soleil, les greffes plus ou moins heureuses, les variétés du tronc et des rameaux. […] C’est une étude piquante et profitable à faire que de rapprocher l’une de l’autre ces deux productions, dont le fond essentiel et la forme, restés les mêmes, ont subi pourtant bien des intercalations et des refontes, à six ans de distance, dans un âge où chaque année, pour le poëte, est une révolution, et lui amène, comme pour l’oiseau, une mue dans la voix et dans les couleurs.

861. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. Vitet à l’Académie française. »

Le chapitre littéraire à part qu’il mérite dans l’histoire de ces années, nous espérons bien le lui consacrer à loisir ; mais aujourd’hui, c’est un peu trop fête pour cela, et il y a trop de distractions alentour. […] Cette seconde bonté qui est durable, définitive, qui tient au développement de l’être moral à travers les pertes des années, est à la fois une vertu et une récompense. […] Manzoni le savait bien, lorsqu’il rappelait ce mot à Fauriel : « L’imagination, quand elle s’applique aux idées morales, se fortifie et redouble d’énergie avec l’âge au lieu de se refroidir. » Racine, après des années de silence, en sort un jour pour écrire Athalie.

862. (1875) Premiers lundis. Tome III « Nicolas Gogol : Nouvelles russes, traduites par M. Louis Viardot. »

Voilà bien des années que les traductions des écrivains et poëtes étrangers, autrefois si fréquentes et si en vogue, se sont ralenties. Le grand mouvement qui animait les littératures étrangères durant les trente premières années du siècle, et qui se fit si vivement sentir en France sous la Restauration, s’est graduellement calmé, comme tant de choses, et il ne présente plus à l’intérêt qu’une surface immense que sillonnent en tous sens des voiles empressées, mais où ne se signale de loin aucune escadre imposante, aucun pavillon bien glorieux. […] La petite histoire intitulée un Ménage d’autrefois, et qui peint la vie monotone et heureuse de deux époux dans la Petite-Russie, est pourtant d’un contraste heureux avec les scènes dures et sauvages de Boulba : rien de plus calme, de plus reposé, de plus uni ; on ne se figure pas d’ordinaire que la Russie renferme de telles idylles à la Philémon et Baucis, de ces existences qui semblent réaliser l’idéal du home anglais et où le feeling respire dans toute sa douceur continue : Charles Lamb aurait pu écrire ce charmant et minutieux récit ; mais vers la fin, lorsque le vieillard a perdu son inséparable compagne, lorsque le voyageur, qui l’a quitté cinq années auparavant, le revoit veuf, infirme, paralytique et presque tombé en enfance, lorsqu’à un certain moment du repas un mets favori de friandise rappelle au pauvre homme la défunte et le fait éclater en sanglots, l’auteur retrouve cette profondeur d’accent dont il a déjà fait preuve dans Boulba, et il y a là des pages que j’aimerais à citer encore, s’il ne fallait se borner dans une analyse, et laisser au lecteur quelque chose à désirer. — En homme, le nom de M. 

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