Jamais guerriers d’une âme plus haute ne se rendirent chez un roi en plus superbe façon. […] Pareilles appréhensions attristent toujours l’âme. […] L’âme de la belle Kriemhilt fut affligée à leur vue. […] Le noble prince ne répondit rien, mais ces paroles troublèrent son âme et assombrirent son humeur. […] Vierges et femmes avaient l’âme déchirée.
Si Dickens ne sut ni observer les hommes qu’il connut, ni étudier les mouvements mêmes de sa propre âme, ni employer les notions psychologiques qu’il aurait inconsciemment perçues, il ignore plus visiblement encore l’art de connaître et de montrer les lieux et les milieux où il place l’action de ses récits. […] L’analyse psychologique, le démêlement délicat de tous les fils entrelacés d’une âme, le discernement des phases, des retours, des élans, des soudaines ou lentes oscillations de ses mouvements lui est inconnu. […] Son œuvre n’est pas consacrée à susciter les profondes émotions induites de science et de sympathie que cause le spectacle de quelque grande âme humaine mise à nu. […] Raffaëlli, qui touche volontiers à la satire sociale, avec un singulier talent à faire entrevoir d’infinies complexités d’âmes sous de frustes visages patiemment fouillés ; on verra qu’abstraction faite des tendances plus haineuses en France qu’en Angleterre, les procédés de ces hommes et ceux de Dickens sont essentiellement les mêmes. […] Il ne pénètre pas non plus la violente beauté des passions, la profondeur des âmes, les grands élans de l’ambition, de la luxure, de l’amour, de la colère, les sourds conflits des idées et des sentiments, des convictions et des actes qu’impose la vie.
L’âme a son sexe, et M. […] Michelet, fut la proie de toutes les douleurs qui peuvent dévorer une grande âme. […] Il le fut par son âme, si fière de nature, et basse d’actes par nécessité. […] Plus élevé que Jean-Jacques, je le reconnais, et pourtant ayant du Jean-Jacques au fond de son âme (hélas ! […] C’est ce qui explique même, — ajoute justement Mme de Staël, — tant d’incompréhensibles atrocités dites alors par d’assez innocents nigauds qui n’avaient pas l’âme de leurs paroles.
Le tableau que forment ces rivages, ces rochers aux cônes émoussés, ces volcans élevés, réjouit leur âme. […] Il régnait un profond silence ; l’âme de Humboldt était émue de douloureux sentiments. […] Sa physionomie, très fine et très évidemment étudiée, n’avait rien qui fût de nature à séduire une âme franche. […] Sa physionomie disait l’homme d’État, dont la patrie déchirée et opprimée criait tout bas dans son âme. […] Le seul son de la voix de Guillaume portait dans l’âme la conviction ; la voie grêle et fêlée du savant masquait des pensées toutes personnelles.
Ni le son ni le cri ne se répètent, et le retour du silence ajoute à l’impression pénible qu’ils ont faite sur l’âme. […] Le Cosmos a une âme, comme l’homme ; cette âme, c’est sa loi. […] Point d’âme sans mystère, car qui l’aurait allumée et éteinte ? […] Tous ont un corps, parcelle de matière ; tous ont une âme, parcelle d’intelligence. […] Il n’a pas besoin d’en savoir davantage ; son âme est satisfaite, son esprit est en repos.
Le devoir parle d’ailleurs ; à peine a-t-il apparu aux âmes bien nées, qu’il y règne en maître. […] L’âme de Voltaire n’était pas assez tendre pour inventer dans un ordre de sentiments où l’imagination n’est d’aucune aide. […] Ces deux grands poètes n’ont pas seulement le style de leurs sujets, ils ont un style personnel, et ce style c’est leur âme. L’âme de Corneille se nourrissait du grand. […] S’il avait eu l’âme moins élevée, il eût flatté plus habilement Montauron.
C’est au théâtre que se forme l’âme publique. […] Il adorait Cérès. « Ô toi, Cérès, nourrice de mon âme ! […] Les obscurités amoncelées autour de nous jouent avec notre âme. […] Le manuscrit était périssable, et emportait avec lui l’âme, l’œuvre. […] Elle n’est plus qu’âme.
Dès que les hommes ont laissé surprendre leur âme par une superstition pleine de terreurs, ils y rapportent tout ce qu’ils peuvent imaginer, voir, ou faire eux-mêmes. […] La superstition qui remplit de terreur l’âme des magiciennes, les rend en même temps cruelles et barbares ; au point que souvent pour célébrer leurs affreux mystères, elles égorgent sans pitié et déchirent en pièces l’être le plus innocent et le plus aimable, un enfant. […] Les hommes sentent d’abord, sans remarquer les choses senties ; ils les remarquent ensuite, mais avec la confusion d’une âme agitée et passionnée ; enfin, éclairés par une pure intelligence, ils commencent à réfléchir. […] L’âme est portée naturellement à se voir au-dehors et dans la matière ; ce n’est qu’avec beaucoup de peine, et par la réflexion, qu’elle en vient à se comprendre elle-même. — Principe universel d’étymologie ; nous voyons en effet dans toutes les langues les choses de l’âme et de l’intelligence exprimées par des métaphores qui sont tirées des corps et de leurs propriétés. […] Le stoïcisme l’anéantit, parce qu’il ne reconnaît d’utilité ou de nécessité que celles de l’âme, et qu’il méconnaît celles du corps ; encore le Sage seul peut-il juger de celles de l’âme.
Après avoir préparé son âme à attendre avec calme ce grand et terrible événement, ses inquiétudes se portèrent sur le bonheur des personnes de sa famille qu’il laissait après lui ; il désirait leur communiquer d’une manière solennelle le résultat de l’expérience d’une vie longue et toujours active. […] Ces avertissements ne furent pas perdus pour Pierre, qui, dans une lettre adressée à Laurent et à Julien, leur fit part de l’impression qu’ils avaient faite sur son âme. […] « Il ne faut pas pourtant s’imaginer qu’au milieu de ses études et de ses occupations sérieuses, Laurent fût insensible à cette passion qui, dans tous les temps, a été l’âme de la poésie, et qu’il a représentée dans ses propres écrits avec tant de philosophie et sous des aspects si variés. […] Je composai aussi quelques sonnets sur ce sujet ; et pour les rendre plus touchants, je m’efforçai de me persuader que j’avais perdu moi-même l’objet de mon amour, et de faire naître dans mon âme tous les sentiments qui pouvaient me rendre capable d’émouvoir la compassion des autres. […] « Les effets de cette passion sur le cœur de Laurent furent tels qu’on pouvait les attendre d’une âme jeune et sensible.
Avec Dieu disparaissait le sentiment des œuvres de la nature, lesquelles ne parlent à notre âme qu’à la condition d’y trouver la croyance à l’ouvrier. Cependant, même au temps des prospérités de l’Encyclopédie, et quoiqu’elle eût intéressé la vanité de l’homme à cette diminution de son être moral, il y avait plus d’âmes ayant besoin de Dieu et de la nature que d’esprits persuadés qu’on peut s’en passer. […] Bernardin de Saint-Pierre élève l’âme en faisant trouver la chasteté supérieure à l’amour ; il épure à la fois les sentiments du jeune cœur qui aime et les souvenirs de ceux qui ont passé l’âge d’aimer. […] Quel ne fut pas mon chagrin en voyant, à chaque rature, la pensée s’éloigner du vrai et les mots de leur sens propre, et tout le morceau jeter de vains rayons qui m’éblouissaient en me laissant l’âme vide ! […] Elles s’appellent les mauvaises joies de l’âme, mal a gaudia mentis.
Flaubert a raison : « Les âmes s’étreignent mieux que les corps. » Tinan tourne au délire mystique : « Si j’avais une sœur, comme je l’aurais aimée ! […] Ils ont ce roidissement fanatique de l’Hérodiade de Mallarmé : « J’aime l’horreur d’être vierge… » C’est déjà une noble ambition que de vouloir départager, comme ils le font, les joies de l’âme et celles du corps, mais la mesure est insuffisante. […] Elle m’élude, ne laissant que le corps entre mes mains. — Confus et lassé, je retombe — comment pourrait le corps toucher la fleur que l’âme seule peut toucher14 ? […] Si jamais elle meurt, l’âme du monde est morte. […] Camille Spiess, parti de l’histologie du tube digestif de la sangsue pour arriver à une conception biologique de l’âme, a suivi les leçons de Gobineau et de Nietzsche.
Et, comme lui, beaucoup de ses coreligionnaires pacifistes trouvent dans leurs doctrines et passions de la veille le foyer où ils vont réchauffer leurs pieds demi-gelés, leurs mains gourdes, leurs âmes. […] Dans ces âmes repose un rêve, un type de société auquel je ne crois pas, mais que j’aime en tant qu’il fait leur consolation et qu’il est leur ciel au-dessus des tranchées. […] Ils ont compris que le problème de la discipline militaire se pose de la même manière que le problème de la discipline industrielle, et bien qu’ayant l’âme toute pleine de justice égalitaire, ils se sont rangés sous des chefs que la veille ils croyaient exécrer. […] Nous sommes des familles diverses, mais alliées, parentes, où circule un même sang, et souvent nous avons dans l’âme, à notre insu, ce que nous contredisons dans des âmes voisines. […] Et enfin, de ces mouvements extraordinaires de son âme, s’élance la plus belle flamme : « Les obus tombent pas loin.
Pendant des années, Bernis supporta avec insouciance et gaieté cette condition de gêne, ce contraste entre ses goûts et sa situation, entre tout ce qu’il voyait et ce qu’il n’avait pas : il avait « l’âme courageuse et douce ». […] À ma mort, quelque âme charitable purifiera ces amusements de ma jeunesse, qu’on a cruellement maltraités et confondus avec toutes sortes de platitudes. […] C’est le laboureur qui jette son blé dans des cailloux : malgré cela, les âmes supérieures songent à faire le bonheur des hommes sans en attendre d’autre récompense que celle d’être contentes d’elles-mêmes. […] En même temps qu’on y sent chez Duverney la grandeur d’âme accompagnée de bonté et même de bonhomie, le caractère modéré, noble, humain et assez élevé de Bernis s’y dessine naturellement ; son esprit y laisse échapper des nuances et des aperçus qui ont de la finesse. […] Si le roi veut faire respecter sa couronne et sa nation à Venise, il faut qu’il y envoie toujours un homme de bon sens, ce qui suffît, mais un homme d’une âme élevée et de mœurs décentes ; car on n’impose à une nation très libertine, on peut même dire débauchée, que par des mœurs opposées.
Mirabeau, à l’origine, admire plus Vauvenargues qu’il ne le connaît, et il se le figure plus philosophe ou moins ambitieux qu’il ne l’est en réalité : il lui fait part de ses sentiments tumultueux en ces années où il hésite encore entre plusieurs carrières, et il paraît envier de loin sa tranquillité d’âme, les jours où il ne la stimule pas : L’ambition, lui dit-il, me dévore, mais d’une façon singulière : ce n’est pas les honneurs que j’ambitionne, ni l’argent, ou les bienfaits, mais un nom, et enfin d’être quelqu’un ; pour cela, il faut être dans un poste. […] Je commence à m’apercevoir que la plupart ne savent que ce que les autres ont pensé ; qu’ils ne sentent point, qu’ils n’ont point d’âme ; qu’ils ne jugent qu’en reflétant le goût du siècle, ou les autorités, car ils ne percent point la profondeur des choses ; ils n’ont point de principes à eux, ou s’ils en ont, c’est encore pis ; ils opposent à des préjugés commodes des connaissances fausses, des connaissances ennuyeuses ou des connaissances inutiles, et un esprit éteint par le travail ; et, sur cela, je me figure que ce n’est pas leur génie qui les a tournés vers les sciences, mais leur incapacité pour les affaires, les dégoûts qu’ils ont eus dans le monde, la jalousie, l’ambition, l’éducation, le hasard. […] Vous voyez l’âme de votre ami toute nue ; je ne doute pas qu’au travers de ses défauts, vous n’y trouviez quelque chose de digne d’intéresser une aussi belle âme que la vôtre. […] Sachons-lui gré pourtant ; en le harcelant à tort et à travers, il va forcer Vauvenargues à se révéler par la portion la plus fière et la plus élevée de son être, et à développer son âme tout entière. […] lui qui croit sentir mieux que Mirabeau ce que c’est que l’ambition et la grande, ce que c’est qu’être acteur tout de bon dans ce monde ; qui ne ferait pas fi de cette scène de la Cour s’il y était ; qui ne verrait dans ce Versailles même qu’un vaste champ ouvert à ses talents de toute sorte, y compris l’insinuation et le manège (l’honnête manège, comme il l’entend et dont il se pique avec un reste d’ingénuité), il éclate et tire le rideau de devant son cœur, par une admirable lettre, qui sera suivie de plusieurs autres pareilles ; de sorte que Mirabeau, arrivé en cela à ses fins, a raison de s’écrier : « Ne vous lassez pas de m’en écrire… Je vous aurai par morceaux, mon cher Vauvenargues, et quelque jour je vous montrerai tout entier à vous-même. » Ces lettres, en effet, qui sont mieux que des pages d’écrivain, manifestent l’âme même de l’homme, l’âme virile dans sa richesse première et à l’heure de son entrée en maturité.
Il existe une sorte de douceur sévère et très-profitable pour l’âme à être méconnu : ama nesciri ; c’est le contraire du digito monstrari, et dicier Hic est ; c’est quelque chose d’aussi réel et de plus profond, de moins poétique, de moins oratoire et de plus sage, un sentiment continu, une mesure intérieure et silencieusement présente du poids des circonstances, de la difficulté des choses, de l’aide infidèle des hommes, et de notre propre énergie au sein de tant d’infirmité, une appréciation déterminée, durable, réduite à elle-même, dégagée des échos imaginaires et des lueurs de l’ivresse, et qui nous inculque dans sa monotonie de rares et mémorables pensées. […] Oberman, en effet, quand on le lit à un certain âge et dans une certaine disposition d’âme, doit provoquer un enthousiasme du genre de celui que Young, Ossian et Werther inspirèrent en leur temps. […] Cette rencontre, si elle est réelle, comme on a tout lieu de le penser, dut faire une impression très-forte sur l’âme résolue de l’élève de Jean-Jacques, et l’enfoncer plus que jamais dans ses projets. […] Il n’y a pas de roman ni de nœud dans ce livre ; Oberman voyage dans le Valais, vient à Fontainebleau, retourne en Suisse, et, durant ces courses errantes et ces divers séjours, il écrit les sentiments et les réflexions de son âme à un ami. […] Il peut être probe, bon, industrieux, prudent ; il peut avoir des qualités douces et même des vertus par réflexion ; mais il n’est pas homme ; il n’a ni âme ni génie.
Ceux au contraire qui croient qu’une âme est tout un monde, qu’un caractère éminent n’est jamais trop approfondi, ceux qui mêlent à leur jugement sur Mme Roland un culte d’affection et de cœur, trouveront ici mille raisons de plus à leur sympathie et démêleront une foule de détails aussi respectables que charmants. […] Mais ici le développement se montre dans chaque lettre, abondant, naïf, continu ; on suit à vue d’œil l’âme, le talent, la raison, qui s’empressent d’éclore et de se former. […] Toute âme, en avançant, subit toutes les atteintes, tout le déchet dont elle est capable. « Tous les hommes, a dit le noble et bienveillant Vauvenargues, naissent sincères et meurent trompeurs ; » il lui eût suffi de dire, pour exprimer sa pensée amère, qu’ils meurent détrompés. […] Ce sentiment, du moins tel qu’elle le composa un moment, la perte qu’elle fit de sa mère, ses lectures diverses, ses relations avec quelques hommes distingués, tout concourait, vers l’âge de vingt-deux ans, à donner à son âme énergique une impulsion et un essor qui la font, jusque dans ce cercle étroit, se révéler tout entière. […] En même temps le talent d’écrire y gagne ; la jeune fille, désormais femme forte, est maîtresse de sa plume comme de son âme ; phrase et pensée marchent et jouent à son gré.
L’enfant respira, à la maison paternelle, ce qu’il y avait de meilleur dans l’âme populaire du temps. […] Mais il a été dit aux prêtres : « Ite et docete. » L’Église ne peut renoncer à l’éducation des âmes ou consentir à la partager sans renier sa mission divine. […] Car, si l’univers a un but, il faut que ce soit, pour le moins, d’être connu de l’homme et de se réfléchir en lui, puisque, au surplus, les métaphysiciens nous disent que le monde n’existe qu’en tant qu’il est pensé par nous. « Science sans conscience est la ruine de l’âme ». […] Et après Sadowa, il avait conseillé de préparer la guerre, à toute occurrence. — Pendant que son fils Albert, âme héroïque de l’aveu de tous ceux qui l’ont connu, partait avec les turcos pour être des premiers à la frontière, M. […] Sans prétendre définir dans la grande rigueur ces idées entrevues par la conscience et sommées par elle d’être des vérités, il croyait en Dieu, à une survie de l’âme et à une responsabilité par-delà la mort, à une signification morale du monde et, malgré sa marche un peu déconcertante, au progrès.
Mme d’Épinay n’avait pas songé précisément à donner des Mémoires ; mais de bonne heure elle aima à écrire, à faire son journal, à retracer l’histoire de son âme. […] J’ai dans l’âme de la vivacité, du courage, de la fermeté, de l’élévation et une excessive timidité. […] Toute part faite à la galanterie et à la poésie, cet aigle dans une cage de gaze nous prouve au moins que Mme d’Épinay avait de bien beaux yeux et une âme bien vive dans son enveloppe transparente. […] Les conseils des bonnes âmes ne lui manquèrent pas. […] Je suis votre amie, je le serai toute ma vie ; ne me cachez rien de ce que vous avez dans l’âme ; que je sois assez heureuse pour vous consoler.
Il semble, au premier abord, que ce soit une ironie de la nature de l’avoir fait naître neveu de celui qui créa ces âmes héroïques de Polyeucte, du vieil Horace, et de tant d’autres personnages au cœur impétueux et sublime ; car il était l’âme la plus égale, la plus froide, la plus exempte de passion et de flamme qui fut jamais. […] Faites un seul moment une supposition : retirez au grand Corneille toute sa chaleur, toute son inspiration de cœur et d’âme, et demandez-vous ce qu’il deviendra avec cette faculté desséchée et refroidie de finesse exacte et de raisonnement. […] On n’a jamais mieux compris qu’en lisant les premiers écrits de Fontenelle ce mot de Vauvenargues : « Il faut avoir de l’âme pour avoir du goût. » Fontenelle manque de goût avec tout l’esprit du monde, parce que le cœur et l’âme sont absents et muets en lui, parce que le pectus et l’affectus (comme diraient les anciens) ne lui parlent jamais. […] ses maladies elles-mêmes, ses infirmités avaient quelque chose d’indolent et de tranquille : « Il avait la goutte, mais sans douleur ; seulement son pied devenait de coton ; il le posait sur un fauteuil, et voilà tout. » C’était une âme et un corps où n’entra jamais l’aiguillon. […] Si inférieur à Pascal comme imagination et comme âme, et dans un rapport qu’on dirait incommensurable avec lui (nous sommes en style de géomètre), Fontenelle, à titre d’esprit libre et dégagé, d’esprit net, impartial et étendu, reprend lentement ses avantages, et, sur la fin de ce siècle de grandeur, mais certes aussi d’illusion et de timidité majestueuse, il ose voir en réalité et exprimer en douceur les vérités naturelles telles qu’elles sont.
Loin de considérer ce mémorable traité, et les maximes d’État qu’il renferme, comme des émanations de l’âme austère et sérieuse et du génie le plus recueilli du cardinal, ceux mêmes qui le lui attribuaient y voyaient plutôt de la défaillance, et le grand Frédéric, si digne de l’apprécier, écrivait, par complaisance pour Voltaire : L’esprit le plus profond s’éclipse : Richelieu fit son Testament, Et Newton son Apocalypse. […] Dans ces premières lettres, où je n’ai pas besoin de faire remarquer qu’on est encore en pleine langue du xvie siècle, il y en a où Richelieu fait l’évêque, le consolateur au besoin, et parfois le directeur des âmes. […] Ici, on entend le cri instinctif de cette âme pleine de courage et de vertu, qui fut patriotique et française avant tout dans son ambition, et qui confondra ses passions personnelles dans la grandeur de la chose publique. […] Il est l’âme de ce premier petit ministère, composé d’hommes assez obscurs, mais fortement unis entre eux ; cabinet vigoureux, énergique, auquel il ne manqua, pour accomplir de grandes choses, que de durer plus longtemps, et de n’être pas né à l’ombre du patronage du maréchal d’Ancre et avec cette enseigne qui le rendait impopulaire. […] J’aime à opposer ces paroles de Richelieu, dignes d’une grande âme, à ce qu’il offrira plus tard de cruel et d’impitoyable dans sa propre conduite, et par où il a excédé, à certains jours, les nécessités mêmes de la plus austère politique.
Il se prêta de mauvaise grâce à cette conversion et résista toujours tant qu’il put aux actes de dévotion russe si chers au peuple, Il tenait au luthéranisme dans l’âme ; il tenait à son Holstein, à son petit duché héréditaire plus qu’à ce grand empire qui lui venait comme un don du ciel ; il avait à cœur avant tout la haine du Danois. […] Le comte Gyllenbourg lut le portrait et le lui rendit, en l’accompagnant d’une douzaine de pages de réflexions, par lesquelles il tâchait de fortifier en elle tant l’élévation de l’âme et la fermeté que les autres qualités du cœur et de l’esprit : « Je lus et relus plusieurs fois son écrit, je m’en pénétrai, et me proposai bien sincèrement de suivre ses avis. […] Ensuite je rendis au comte Gyllenbourg son écrit, comme il m’en avait priée, et j’avoue qu’il a beaucoup servi à former et à fortifier la trempe de mon esprit et de mon âme. » Si nous suivons le parallèle des deux intelligences et des deux caractères si mal appareillés par le sort, quel contraste ! […] Mon amour-propre et ma vanité gémirent tout bas, mais j’étais trop fière pour me plaindre ; je me serais crue avilie si on m’avait témoigné de l’amitié que j’aurais pu prendre pour de la pitié. » C’est là un trait de son caractère, et qui est le propre de toutes les âmes fières : elle n’aime pas à être plainte ni à se plaindre ; la seule idée d’être ou de paraître malheureuse lui est insupportable. Elle a pour principe essentiel de n’être à charge à personne, se sentant par nature pour être de ces âmes royales qui ont leur support en elles-mêmes et de qui d’autres peuvent dépendre, mais qui ne dépendent pas.
Pour dompter de tels conquérants, pour relever de tels vaincus, il fallait l’enthousiasme, noble puissance de l’âme, l’égarant quelquefois, mais pouvant seule combattre avec succès l’instinct habituel de l’amour de soi, et la personnalité toujours croissante. […] Les facultés de l’âme n’avaient qu’un seul usage parmi ces hommes, c’était d’accroître la puissance physique. […] À travers toutes les folies du martyre, il resta dans quelques âmes la force des sacrifices, l’abnégation de l’intérêt personnel, et une puissance d’abstraction et de pensée, dont on vit sortir des résultats utiles pour l’esprit humain. […] Les aperçus de l’esprit, les nuances senties par le cœur se multiplièrent avec les idées et les impressions de ces âmes nouvelles, qui s’essayaient à l’existence morale, après avoir longtemps langui dans la vie. […] Plus de modestie, plus d’indulgence dans les principes, plus d’abandon dans les aveux permettaient davantage au caractère de l’homme de se montrer ; et la philosophie, qui a pour but l’étude des mouvements de l’âme, a beaucoup acquis par la religion chrétienne.
Le cours d’histoire du bon Rollin, avec sa candide inintelligence du passé et son absence de critique, est un cours de morale républicaine ; il insinue dans les âmes des sentiments, un besoin d’action libre et généreuse, qui à la longue leur rendront l’ordre social insupportable. […] Un autre témoin des tendances de l’esprit public nous instruit combien dès la première moitié du siècle la philosophie avait de prise sur les nobles âmes : c’est Vauvenargues, mort en 1747528. […] Cette âme tendre, fière, ferme, généreuse, ambitieuse, n’a jamais parlé que d’elle-même, ou des autres par rapport à elle-même, et pour déterminer l’action qui lui donnerait prise sur eux. Vauvenargues fut un homme de son temps : il eut pour Voltaire une admiration qui toucha profondément le philosophé, étonné d’abord d’avoir fait la conquête, d’un capitaine d’infanterie, saisi bientôt de ce qu’il y avait d’intelligence, d’activité, d’énergie dans ce jeune homme, et découvrant peu à peu toute la noblesse de cette âme. […] C’est lui, en effet, et lui seul, dans la première moitié du xviiie siècle, qui, par la nature tendre et passionnée de son âme, par le rôle qu’il assigne dans la vie au sentiment, à la passion, semble continuer Fénelon et annoncer Rousseau ; et l’on pourrait dire que son rôle a été de déchristianiser les idées, les tendances de Fénelon.
J’y mettrais volontiers ce sous-titre, en arrangeant un peu la phrase de Nicole : « Des sentiments qu’il faut avoir et des choses qu’il est bon de connaître pour vivre en paix avec les hommes. » Et j’y ajouterais comme épigraphe, le mot de Mme de Sévigné, qui résume en effet un grand nombre de ces Maximes : « Rien n’est bon que d’avoir une belle et bonne âme. » Quand cette belle et bonne âme a par surcroît autant d’esprit que la comtesse Diane, c’est un délice. […] C’est là, je pense, la plus étonnante nouveauté de sa manière : elle met dans ses rôles, non seulement toute son âme, tout son esprit et toute sa grâce physique, mais encore tout son sexe. […] Et peut-être aussi n’avait-elle qu’imparfaitement réussi à donner une âme à Marion, et avait-elle fait d’Ophélia une créature un peu trop lointaine, neigeuse et chantante. […] Pour traduire l’angoisse, la douleur, le désespoir, l’amour, la fureur, elle a trouvé des cris qui nous ont remués jusqu’à l’âme, parce qu’ils partaient du fond et du tréfond de la sienne. […] Le charme est aussi dans le timbre ; on sent que ce métal est vivant, qu’une âme vibre dans ces sonorités unies comme de longues vagues.