Molé provoqua une fort belle réponse de cet homme d’État ; je la citerai ici tout entière, parce qu’en y faisant la part d’une certaine vivacité qui tenait aux circonstances et aussi à la délicatesse chatouilleuse des deux personnes, on y trouve une leçon gravement donnée, et d’un ton fort digne ; il y respire un sentiment fort élevé de la puissance publique que M. […] Cet ancien régime allemand est multiple, il diffère d’État à État, il a peu de rapports avec l’Ancien Régime français.
Joubert, d’ailleurs, apporta dans les conséquences de ce coup d’État, contrecoup du nôtre, la modération qui était dans son caractère et qui servait utilement de correctif à la chaleur de ses opinions. […] Un personnage célèbre, qui faisait alors ses premières armes dans les grandes affaires d’État, Fouché, envoyé à Milan comme ambassadeur de la République française près la République cisalpine, avait concerté avec le général en chef Brune, prédécesseur de Joubert, une répétition aussi du 18 fructidor, faite à l’eau rose (ce sont ses expressions). […] Joubert, nommé au commandement de Paris peu avant ce petit coup d’État du 30 prairial (18 juin), y avait prêté la main et en approuvait l’esprit.
Un tel homme d’État, s’inspirant de considérations de cet ordre, ne pouvait sympathiser, on le conçoit, avec M. […] Combien son âme dut être tourmentée en voyant le vénérable roi de Saxe dépouillé de la moitié de ses États par ces mêmes monarques pour lesquels il l’avait abandonné ! […] I. le prince Napoléon, et reposant tout entiers sur les pièces d’État et de famille les plus authentiques, dont on produit les plus importantes à l’appui du récit, à la suite de chaque livre, deviennent une des sources nouvelles et essentielles de l’histoire de ce temps.
Le génie social et civilisateur des Grecs l’a surtout gagné et lui inspire de belles paroles : « Le mot de Civilité, dit-il, ne signifiait pas seulement parmi les Grecs la douceur et la déférence mutuelle qui rend les hommes sociables ; l’homme civil n’était autre chose qu’un bon citoyen qui se regarde toujours comme membre de l’État, qui se laisse conduire par les lois et conspire avec elles au bien public sans rien entreprendre sur personne. » Le mot de Civilisation n’est pas dans Bossuet, mais il fait rendre à ce mot de Civilité tout ce qu’il peut contenir de meilleur et de plus étendu. […] « Qui peut mettre dans l’esprit des peuples la gloire, la patience dans les travaux, la grandeur de la nation et l’amour de la patrie, peut se vanter d’avoir trouvé la constitution d’État la plus propre à produire de grands hommes. […] Ce qui les forme, ce qui les achève, ce sont des sentiments forts et de nobles impressions qui se répandent dans tous les esprits et passent insensiblement de l’un à l’autre… Durant les bons temps de Rome, l’enfance même était exercée par les travaux ; on n’y entendait parler d’autre chose que de la grandeur du nom romain… Quand on a commencé à prendre ce train, les grands hommes se font les uns les autres ; et si Rome en a porté plus qu’aucune autre ville qui eût été avant elle, ce n’a point été par hasard ; mais c’est que l’État romain constitué de la manière que nous avons vue était, pour ainsi parler, du tempérament qui devait être le plus fécond en héros. » La guerre d’Annibal est très-bien touchée par Bossuet ; et quand il a bien saisi et rendu le génie de la nation, la conduite principale qu’elle tint les jours de crise, et le caractère de sa politique, il ne suit pas l’historique jusqu’au bout, comme l’a fait et l’a dû faire Montesquieu.
Celle-ci, fille d’une mère illustre, n’avait pu être élevée par Marie-Thérèse trop occupée des affaires d’État, et sa première éducation à Vienne avait été très négligée. […] Et encore (10 octobre 1791) : « La reine, avec de l’esprit et un courage éprouvé, laisse cependant échapper toutes les occasions qui se présentent de s’emparer des rênes du gouvernement, et d’entourer le roi de gens fidèles, dévoués à la servir et à sauver l’État avec elle et par elle. » En effet, on ne revient pas d’une si longue et si habituelle légèreté en un jour ; ce n’eût pas été trop du génie d’une Catherine de Russie pour lutter contre les dangers si imprévus à celle qui n’avait jamais ouvert un livre d’histoire en sa vie, et qui avait rêvé une royauté de loisir et de village à Trianon : c’est assez que cette frivolité passée n’ait en rien entamé ni abaissé le cœur, et qu’il se soit trouvé dans l’épreuve aussi généreux, aussi fier, aussi royal et aussi pleinement doué qu’il pouvait l’être en sortant des mains de la nature. […] Elle voulait le salut de l’État par son frère l’empereur, par les puissances étrangères, mais point par les émigrés.
L’expérience a cent fois démenti cette croyance : pas plus que le communisme d’État n’a pu s’installer en Chine, la religion chrétienne aux Indes, la constitution fédérale au Mexique, l’égalité légale n’a pu encore s’imposer aux mœurs dans l’Empire ottoman51. […] Michel, L’Idée de l’État, Introduction, p. 64-73. […] Michel, L’Idée de l’État, p. 73.
Nous avons vu que du temps de la république dans Rome, les éloges funèbres furent d’abord la récompense des vertus et le prix des services ; qu’ensuite ils furent accordés à presque tous les citoyens qui occupaient un rang dans l’État. […] Ensuite il vanta la tranquillité dont l’État avait joui sous son règne, à laquelle il n’avait pas plus contribué, que ceux qui vécurent deux cents ans après lui.
L’école dictatoriale et impérialiste (je la suppose éclairée) a pour principe de tout prendre sur soi et de se croire suffisamment justifiée à faire administrativement ce qui est de l’intérêt d’État, dans le sens de l’ordre et de la société. […] Il est à regretter, je l’avoue, qu’il soit toujours nécessaire aux États démocratiques de sentir avant de pouvoir juger. […] « Il est assez remarquable que ce puissant génie, maître de tant d’États, n’ait été pour rien dans les causes premières de leur rénovation. […] Un des tristes résultats de tant de violences précédentes avait été la nécessité généralement reconnue d’un coup d’État de plus pour sauver la liberté et l’ordre social. […] On pardonnera aux habitudes littéraires, si je rapporte ainsi les grandes choses aux petites, et les politiques aux rimeurs, qui me sont guère dans l’État que des joueurs de quille, comme disait Malherbe.
Cette affirmation que je fais emplira de stupeur, sincère, un assez grand nombre de braves gens qui modestement ; du matin au soir, jouent avec l’absolu, et qui ne s’en doutent jamais ; comment, diront-ils en toute sincérité, comment peut-on nous supposer de telles intentions ; nous sommes des petits professeurs ; nous sommes de modestes et d’honnêtes universitaires ; nous n’occupons aucune situation dans l’État ; nous sommes assez maltraités par nos supérieurs ; nous n’avons aucun pouvoir dans l’État ; nous ne déterminons aucuns événements ; nous sommes les plus mal rétribués des fonctionnaires ; nul ne nous entend ; nous poursuivons modestement notre enquête sur les hommes et sur les événements passés ; par situation, par métier, par méthode, nous n’avons ni vanité ni orgueil, ni présomption, ni cupidité de la domination ; l’invention des méthodes historiques modernes a été proprement l’introduction de la modestie dans le domaine historique. […] Les prêtres aussi étaient de petits abbés et de petits curés ; de modestes et d’honnêtes ecclésiastiques ; ils n’occupaient aucune situation dans l’État, car les petits curés de campagne n’étaient pas plus que ne sont aujourd’hui nos instituteurs, et nos grands prélats de l’enseignement, démagogues, députés, ministres, sénateurs, ne sont pas moins que n’étaient les grands évêques et les grands cardinaux ; pas plus tard qu’avant-hier, dans son numéro daté du samedi 15 octobre 1904, la Petite République, ayant à interroger M. Gabriel Séailles sur la séparation des Églises et de l’État, employait aux fins de cette enquête, par le ministère de M. […] Les prêtres aussi, les petits prêtres, en ce sens, n’occupaient aucune situation dans l’État, n’avaient aucun pouvoir dans l’État ; les prêtres aussi étaient assez maltraités par leurs supérieurs et ne déterminaient aucuns événements ; les prêtres aussi étaient les plus mal rétribués des fonctionnaires, et nul ne les entendait ; et quand ils ne seront plus des fonctionnaires mal rétribués d’État, ils seront des fonctionnaires mal rétribués d’Église ; et nul ne les entendra ; ils poursuivent modestement leur prédication de la vie future ; par situation, par métier, par humilité chrétienne ils n’ont ni vanité ni orgueil, ni présomption ni cupidité de la domination ; un curé de campagne est un petit seigneur ; l’exercice du ministère ecclésiastique est essentiellement un exercice d’humilité chrétienne. […] Les vertus de chacun sont déterminées par les besoins de la nature ; l’État où il n’y a pas de classes sociales est antiprovidentiel.
Il s’agit de l’Etat. […] La part de l’Etat y sera réduite à un minimum. […] Enfant, c’est un enseignement de l’Etat qu’il reçoit, dans un bâtiment de l’Etat régi par l’Etat, peuplé de professeurs nommes par l’Etat. Adolescent, il voit autour de lui dans sa ville tous les pouvoirs résider aux mains des fonctionnaires de l’Etat, tous les honneurs décernés par l’Etat. Jeune homme, il doit préparer un examen dont le programme a été fixé par l’Etat, et c’est une école de l’Etat qu’il lui faut traverser à l’entrée de presque toutes les carrières.
Ernest-Charles a de l’esprit ; quoique politicien, il a des connaissances, et quoique homme d’État, il a des idées. […] Un certain sens de la mesure est nécessaire à l’homme d’État. […] Et il en va tout de même de la charité sociale, de la pitié, de la protection de l’État à l’égard des faibles. […] Chassebœuf, dit Boisjirais, dit Volney, aux États généraux. […] Les États généraux de 1614, d’après M.
À tous les hommes d’État nés parmi les troubles de l’ancienne monarchie française, nos dernières assemblées nationales ne peuvent guère opposer que leur Mirabeau. […] C’en fut assez pour le désigner à la haine du dernier qui refusa au ministre genevois toute espèce de talent sous les rapports d’homme d’État. […] Quand un État ébranlé change de forme avec violence, tous les États voisins jettent sur lui des yeux d’inquiétude et de crainte : ils ne se rassurent que lorsqu’il a repris des mouvements réguliers et constants. […] Tant que la guerre étrangère est allumée contre un État qui change sa constitution, l’intérêt commun réunit toute l’activité des passions populaires dans la défense du territoire. […] Seul dans l’État, « Catinat peut ainsi parler de Catinat. » Il s’informe.
En 1585, les Réformés étaient assez nombreux et avaient acquis assez d’importance dans l’État, pour que le Parlement, protestant contre les efforts insensés de la Ligue, prît hardiment leur défense. « Qui sera-ce qui, s’écriait-il, sans forme de justice aucune, osera dépeupler tant de villes, détruire tant de provinces, et convertir tout ce royaume en tombeau ? […] La noblesse ambitieuse et turbulente qui se mit à leur tête, avide de puissance et mue par le seul espoir d’une revanche contre l’État qui lui enlevait une à une ses prérogatives, ne convenait en rien69. […] C’est d’eux qu’aurait pu et qu’aurait du dater l’histoire de la France moderne, de ces affranchis héroïques, de ces vigoureux croyants « hérétiques », qui surent alors montrer, en dépit des persécutions et des massacres, ce que signifiait la Réforme pour la grandeur des États. […] Vacher de Lapouge en une page mémorable92, la Prusse n’était qu’un petit État misérable, à demi désert et sans industrie, Berlin une petite ville ou plutôt un grand village malpropre. […] Le fait que nous venons de relater n’est qu’un épisode saillant de l’histoire générale des rapports de l’Église et des États.
Ce n’était pas seulement un grand ministre, c’était un grand cœur ; j’ai passé avec lui en 1821 les semaines glissantes où l’armée napolitaine de Pépé et l’armée autrichienne de Frimont allaient s’aborder à Introdocco et se disputer les États romains envahis des deux côtés, et où Rome attendait des hasards d’une bataille son sort et sa révolution ; il était aussi calme que s’il avait eu le secret du destin : « Experti invicem sumus ego et fortuna », nous disait-il. « Quant au pape, il a touché le fond de l’adversité à Savone et à Fontainebleau ; il ne craint pas de descendre plus bas, laissant à Dieu sa providence. » N’est-on pas trop heureux, dans ces agitations des peuples et dans ces oscillations du monde, d’avoir son devoir marqué par sa place, et ne pouvoir tomber qu’avec son maître et son ami ? […] Le matin suivant, bien que ce fût le vendredi saint, bien que les augustes cérémonies de ce jour dussent avoir lieu, et que, selon l’usage, la secrétairerie d’État fût comme fermée, le pape envoya au secrétaire d’État l’ordre de m’expédier tout de suite votante di segnatura, charge de magistrature élevée. […] Je priai le cardinal secrétaire d’État (Boncompagni) de parler de moi au Souverain Pontife en même temps que des autres concurrents. […] Le cardinal doyen résidait à Venise avec plusieurs autres cardinaux ; ceux qui habitaient sur le territoire de la République y arrivèrent à l’instant, ainsi que ceux qui étaient dans les États les plus voisins. […] L’empereur voulait profiter de l’élection pour lui arracher les Légations, le pape ne pouvait y consentir ; il choisit Consalvi, l’auteur inconnu de son exaltation, et le nomma son pro-secrétaire d’État.
Que voyons-nous dans l’Etat durant cette période de troubles ? […] Picard, le meilleur auteur comique du moment, s’était permis de ridiculiser des auditeurs au Conseil d’État. […] Elle est en général d’une extrême virulence, témoin les pamphlets des Réformés au lendemain de la Révocation de l’Edit de Nantes ou ceux de Victor Hugo après le coup d’Etat de 1851 Elle est mélancolique, parce qu’elle trouve amer le pain de l’exil, et cependant consolée par le tenace espoir d’un retour triomphant dans le pays natal, encline même aux prophéties qui annoncent aux vainqueurs une expiation prochaine et terrible. […] Ainsi le développement ou le dépérissement de certains genres littéraires, les procédés employés par les écrivains, l’esprit général qui anime leurs œuvres, dépendent du plus ou moins de pouvoir que s’arrogent ceux qui sont à la tête de l’État. […] Les Muses d’Etat, p. 3.
L’époque lui réservait à égaler ou à vaincre tour à tour les deux artistes les plus inimitables et les plus invincibles des siècles modernes : Léonard de Vinci et Raphaël d’Urbin ; Léonard de Vinci appelé de Milan à Florence pour peindre à fresque la vaste salle du conseil, dans le palais d’État. […] L’une de ces deux statues symboliques représentait dans saint Paul l’Action ; l’autre dans Moïse, la contemplation ou la législation de l’homme d’État. […] Ce n’est point par la grandeur des États ou des titres, mais par la vertu seule que s’acquiert cet honneur, qu’il est glorieux de laisser à ses descendants. […] Le trésor appartient d’abord à celui qui le découvre, il appartient ensuite à tous ceux qui en jouissent : Michel-Ange était à Florence, en 1533, travaillant aux monuments des Médicis, pendant que l’État gémissait sous la tyrannie de l’abominable duc Alexandre, bâtard de Laurent, duc d’Urbin. […] Les amants de cette femme sont les citoyens de l’État.
Redemandant cette même faveur d’être aide de camp du roi pour la campagne qui suivit celle de Namur, et qui fut la dernière que fit Louis XIV, Lassay savait bien qu’il allait au cœur de Mme de Maintenon lorsqu’il insistait sur la prudence et qu’il disait bien plus en courtisan qu’en soldat : Si je ne regardais que mon intérêt particulier, par toutes sortes de raisons je souhaiterais ardemment qu’il (le roi) allât commander ses armées, mais je crois qu’il n’y a pas de bon Français qui doive souhaiter qu’il y aille : quand je songe à Namur, je tremble encore ; sans compter les autres périls, le roi passait tous les jours au milieu des bois qui pouvaient être pleins de petits partis ennemis ; on n’oserait seulement porter sa pensée à ce qui pouvait arriver : que serait devenu l’État, et que serions-nous devenus ? […] Quand sa fureur l’agite, ceux qui ne le connaissent point et qui l’entendent parler croient qu’il va tout renverser, mais ceux qui le connaissent savent que ses menaces n’ont point de suite, et que l’on n’a à appréhender que les premiers mouvements de cette fureur ; ce n’est pas qu’il ne soit assez méchant pour faire beaucoup de mal de sang-froid, mais c’est qu’il est trop faible et trop timide, et on ne doit craindre que le mal qu’il peut espérer de faire par des voies détournées, et jamais celui qui se fait à force ouverte… Il est avare, injuste, défiant au-dessus de tout ce qu’on peut dire ; sa plus grande dépense a toujours été en espions ; il ne peut pas souffrir que deux personnes parlent bas ensemble, il s’imagine que c’est de lui et contre lui qu’on parle… Dans les affaires qu’il a, il se sert tantôt de discours captieux et tantôt de discours embarrassés pour cacher le but où il veut aller, croyant être bien fin… Jamais il ne va au bien de l’affaire, soit qu’il soit question de l’État, de sa famille ou d’autres gens ; il est toujours conduit par quelque sorte d’intérêt prochain ou éloigné, et, au défaut de l’intérêt, par la haine, par l’envie ou par une basse politique. […] Il l’y montre avec toutes ses grâces dans l’esprit et dans la personne, avec sa douceur charmante dans l’humeur et son soin continuel de plaire, en un mot, le plus aimable des hommes, et tel qu’on voit le Conti de Saint-Simon ; puis il ajoute d’une manière neuve et très judicieusement, au moins selon toute vraisemblance : Mais je suis persuadé qu’il est à la place du monde qui lui convient le mieux, et, s’il en occupe quelque jour une plus considérable, il perdra de sa réputation et diminuera l’opinion qu’on a de lui ; car il est bien éloigné d’avoir les qualités nécessaires pour commander une armée ou pour gouverner un État : il ne connaît ni les hommes ni les affaires, et n’en juge jamais par lui-même ; il n’a point d’opinion qui lui soit propre… ; il ne saisit point la vérité52 ; on lui ôte ses sentiments et ses pensées, et souvent il n’a que celles qu’on lui a données, qu’il s’approprie si bien et qu’il explique avec tant de grâce et de netteté qu’il n’y a que les gens qui ont de bons yeux et qui l’approfondissent avec soin qui n’y soient pas trompés : on peut même dire qu’il les embellit. […] Mais il a beau nous expliquer et nous commenter sa pensée, le vieillard a trahi son faible de vanité : le dernier mot est toujours qu’il n’y a qu’une place dans l’État à laquelle il se soit cru éminemment propre, celle de roi, d’un roi plus ou moins constitutionnel et à l’anglaise sous Louis XIV.
L’homme d’État ne voulut pas mentir ; l’homme d’Église ne voulut pas pardonner. […] « Je ne doute point, lui dit Laurent, que vous ne jouissiez, après moi, d’autant de crédit et d’autorité dans l’État que j’en ai eu moi-même ; mais, comme la république, bien qu’elle ne forme qu’un seul corps, est composée d’un grand nombre de têtes, vous devez vous attendre qu’il ne vous sera pas possible de vous conduire, en toute occasion, de manière à obtenir l’approbation de chaque individu. […] Robespierre ne la maintint que par le glaive ; Platon, que par des rêves qui trompent les hommes en les séduisant ; l’un est un bourreau, l’autre un sophiste ; ni l’un ni l’autre ne fut un homme d’État. […] XX Laurent hérita de toutes ses qualités, et il avait de plus cette vertu grandiose des hommes d’État qu’on appelle la magnificence et qui donne aux peuples le pressentiment de la souveraineté.
Au même principe se ramènent bien des pièces qu’on serait d’abord tenté de ranger parmi les poèmes moraux ou satiriques des dits, des débats des États du siècle ou du monde. […] Cependant d’autres dits, d’autres débats, d’autres États du siècle ou du monde, ont un caractère vraiment moral, et forment entre la poésie lyrique et la poésie narrative un corps considérable de poésie didactique. […] Le paupérisme, et l’inégalité des biens, la nature du pouvoir royal, l’origine de l’État et des pouvoirs publics, la justice, l’instinct, la nature du mal, l’origine de la société, de la propriété, du mariage, le conflit du clergé séculier et du clergé régulier, des mendiants et de l’Université, l’œuvre de création et de destruction incessantes de la nature, les rapports de la nature et de l’art, la notion de la liberté et son conflit avec le dogme et la prescience divine, l’origine du mal et du péché, l’homme dans la nature, et son désordre dans l’ordre universel, toutes sortes d’observations, de discussions, de démonstrations sur l’arc-en-ciel, les miroirs, les erreurs des sens, les visions, les hallucinations, la sorcellerie et jusque sur certain phénomène de dédoublement de la personnalité, voilà un sommaire aperçu des questions que traite Jean de Meung, outre tous les développements de morale et de satire qui tiennent plus directement à l’action du roman, etje ne sais combien de contes mythologiques extraits d’Ovide ou de Virgile, tels que les amours de Didon et l’histoire de Pygmalion. […] Fatigués de la barbarie primitive, où la lutte de tous contre tous est l’état naturel, où chacun ne prend et ne garde que selon sa force actuelle, les hommes ont constitué l’État, le pouvoir civil, gardien de la propriété et de la justice ; le roi n’est leur maître que pour leur service et leur sûreté : c’est le gendarme de Taine : Un grand vilain entre eux élurent Le plus ossu de tant qu’ils furent, Le plus corsu et le plus grand : Si le firent prince et seigneur.
À cette date de 1790, et dès le mois de février, Mirabeau, jugeant de son coup d’œil d’homme d’État le fond de la situation et les troubles de toute sorte prêts à éclater dans vingt endroits du royaume, disait énergiquement : « Il a encore l’aplomb des grandes masses, mais il n’a que celui-là, et il est impossible de deviner quel sera le résultat de la crise qui commence. » En fait, six mois et dix mois auparavant, Mirabeau jugeait les choses bien autrement aventurées et compromises. — Et le philosophe Montaigne, en son temps, embrassant d’un coup d’œil ces grandes révolutions radicales qui ont la prétention de faire table rase et de tout rebâtir à neuf, disait : Rien ne presse un État que l’innovation ; le changement donne leur forme à l’injustice et à la tyrannie. […] Il montre que cette société, et toutes celles qui en dépendent, ces confréries usurpatrices, « se tenant toutes par la main, forment une sorte de chaîne électrique autour de la France » ; qu’elles forment un « État dans l’État » ; que « l’organisation de ces sociétés est le système le plus complet de désorganisation sociale qu’il y ait jamais eu sur la terre ».
Je voudrais être assez initié à ces choses d’État pour pouvoir faire en regard une esquisse de l’humble rédacteur ou publiciste des Relations extérieures, de celui dont le nom ne se prononçait jamais et dont toute la vie se passait devant des cartons verts, dans les bureaux ou les corridors : Nourri dans le sérail, j’en connais les détours. […] L’idée du bruit, de la publicité, de la gloriole, ne venait jamais tenter ces serviteurs méritants et obscurs du roi ou de l’État (c’était tout un) ; ils touchaient du doigt le nœud des questions pendantes, le ressort des plus grands événements et des fortunes souveraines ; ils avaient à leur disposition des trésors de documents, les sources de l’histoire ; ils les gardaient avec religion. […] A cette époque, il fut appelé au Conseil d’État nouvellement réorganisé, et dans le sein duquel ses lumières et sa compétence lui conférèrent aussitôt une autorité incontestée, dès qu’il s’agissait d’apprécier nos affaires extérieures.
Ceux qui sous un tel ordre de choses sont nés dans la classe privilégiée, ont à quelques égards beaucoup de données utiles ; mais d’abord la chance des talents se resserre, et à proportion du nombre, et plus encore, par l’espèce de négligence qu’inspirent de certains avantages ; mais quand le génie élève celui que les rangs de la monarchie avaient déjà séparé du reste de ses concitoyens, indépendamment des obstacles communs à tous, il en est qui sont personnels à cette situation ; des rivaux en plus petit nombre, des rivaux qui se croient vos égaux à plusieurs égards, se pressent davantage autour de vous, et lorsqu’on veut les écarter, rien n’est plus difficile que de savoir jusqu’à quel point il faut se livrer à la popularité, en jouissant de distinctions impopulaires ; il est presqu’impossible de connaître toujours avec certitude le degré d’empressement qu’il faut montrer à l’opinion générale : certaine de sa toute puissance, elle en a la pudeur, et veut du respect sans flatterie ; la reconnaissance lui plaît, mais elle se dégoûte de la servitude, et rassasiée de souveraineté, elle aime le caractère indépendant et fier, qui la fait douter un moment de son autorité pour lui en renouveler la jouissance : ces difficultés générales redoublent pour le noble, qui dans une monarchie veut obtenir une gloire véritable ; s’il dédaigne la popularité, il est haï : un plébéien dans un État démocratique, peut obtenir l’admiration en bravant la popularité ; mais si un noble adopte une telle conduite dans un État monarchique, au lieu de se donner l’éclat du courage, il ne ferait croire qu’à son orgueil ; et si, cependant, pour éviter ce blâme, il recherche la popularité, il est sans cesse près du soupçon ou du ridicule. […] Dans les républiques, si elles sont constituées sur la seule base de l’aristocratie, tous les membres d’une même classe sont un obstacle à la gloire de chacun d’eux ; cet esprit de modération qu’avec tant de raison Montesquieu a désigné comme le principe des républiques aristocratiques ; cet esprit de modération ne s’accorde pas avec les élans du génie : un grand homme, s’il voulait se montrer tel, précipiterait la marche égale et soutenue de ces gouvernements ; et comme l’utilité est le principe de l’admiration, dans un État où les grands talents ne peuvent s’exercer d’une manière avantageuse à tous, ils ne se développent pas, ou sont étouffés, ou sont contenus dans une certaine limite qui ne leur permet pas d’atteindre à la célébrité.
Leur malheur fut, dans tous les temps, de ne pas demeurer à Rome : elle serait devenue la capitale de leurs États, et les papes auraient été soumis sous l’œil du maître. […] Ces magistrats, malgré leur autorité violente, ne tenaient pas d’une main ferme le gouvernail de l’État, puisque, outre les querelles du sacerdoce et de l’empire, la république nourrissait encore des inimitiés intestines ; et voici quelle en fut la source. […] Le Sénat, afin d’éteindre ces dissensions, attira autour de lui les principales têtes de la discorde ; mais ce levain, au lieu de se perdre dans la masse de l’État, aigrit tellement les esprits, qu’il fallut bientôt être Noir ou Blanc à Florence comme à Pistoie : c’étaient chaque jour des affronts et des atrocités nouvelles.
Desmarest, directeur, pendant quinze ans, de cette branche de la police qui concernait la sûreté de l’État, a dû être parfaitement informé des conspirations, tentatives de bouleversement ou d’assassinat sur la personne de l’empereur, qui se sont succédé dans ce laps de temps. Le fond de cet ouvrage, pour lequel il trouve la qualification de Mémoires trop ambitieuse, n’ayant jamais de son chef agi ni ordonné, et qu’il intitule simplement Témoignages historiques, ce fond se compose donc des principales affaires d’État qui l’ont occupé, depuis son entrée au ministère, dix jours après le 18 brumaire, jusqu’à la Restauration.