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37. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. LOUIS DE CARNÉ. Vues sur l’histoire contemporaine. » pp. 262-272

1833 Dans les dernières années de la Restauration, quelques jeunes hommes, attachés à ce régime par leur naissance, leur éducation et leurs premières doctrines, mais aussi empreints, à un certain degré, de l’esprit du siècle, ou du moins comprenant et appréciant cet esprit avec une impartialité remarquable, fondèrent, sous le titre de Correspondant, un journal qui, avec moins d’éclat et d’influence, suivit, dans l’école religieuse et royaliste, une ligne assez analogue à celle du Globe dans l’école libérale et philosophique. Un grand bon sens, joint à des convictions religieuses très-sincères et à des affections monarchiques très-profondes ; beaucoup d’études, beaucoup de modération, quoique dans la première et fervente jeunesse, une probité pleine de désintéressement et même d’esprit de sacrifice, à un âge et dans des situations facilement accessibles aux vues ambitieuses : tels étaient les mérites et la physionomie bien rare de cette école du Correspondant, qui poursuit encore aujourd’hui ses honorables travaux dans la Revue européenne. […] Elle ne s’adressait pas au gros du siècle, à la masse de la jeunesse et de la population, que des affections et des croyances contraires entraînaient bien au delà ; mais, au sein du parti religieux et royaliste, elle cherchait à convaincre quelques esprits moins immobiles, moins irrémissiblement voués à l’entière tradition du passé, quelques âmes élevées et judicieuses, pures d’ambition, amoureuses de la vérité, et ne désespérant pas de la Providence, même dans des voies un peu nouvelles. […] Cet homme s’appelle La Fayette, et il est le dernier des anciens hommes de l’Europe en qui vit encore l’esprit de sacrifice ; débris de l’esprit chrétien. » Dans le livre de M. de Carné, bien que le fond et le tissu en soient véritablement historiques et politiques, l’idée religieuse domine et rabat souvent les autres considérations à un ordre tout secondaire. « Plus les événements marcheront, dit-il, et mieux on comprendra que la question purement politique perd chaque jour de son importance, qu’elle s’amoindrit à vue d’œil, à mesure que se dessine et grandit la question de la régénération morale. » L’auteur s’est attaché surtout à démontrer que la réforme de 89 fut chrétienne dans son principe, bien qu’elle ne dût malheureusement s’accomplir qu’à travers une apostasie, au moins temporaire, du dogme religieux. […] Si les solutions générales du problème religieux faisaient naître, comme corollaires, des solutions politiques opposées à celles qui ressortent du fait social réel et de l’observation immédiate et sensée, il faudrait s’élever contre, en montrer le faux et les ruiner ; mais, du moment qu’il y a concordance sur les résultats pratiques, le champ des motifs est libre et indéfini.

38. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français »

Plutarque, convaincu de cette origine religieuse, allait même jusqu’à faire venir le mot de théâtre, θέατρον, du mot grec qui signifie Dieu, Θεός. […] Ce témoignage sincèrement rendu à ce qu’on appelle le haut moyen âge, il faut voir le drame religieux se détachant par degrés de l’autel, traduit, délayé en langue vulgaire (et bien vulgaire en effet) ; il nous paraîtra déchu. […] Le malheur est que, même alors, il n’y ait eu nulle part ni à aucun moment chef-d’œuvre dans l’ordre dramatique religieux. […] Cependant, et malgré cette lacune, il y a eu, à cet extrême déclin du moyen âge, un grand théâtre religieux qui compte historiquement et qui est un témoin considérable des mœurs et des goûts de l’époque. […] Voir, dans l’Histoire générale de la Musique religieuse, par M. 

39. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Quatre moments religieux au XIXe siècle. »

80 Quatre moments religieux au XIXe siècle. […] Je reviendrai bientôt sur ce moment de 1831 à 1837 qui fut une des phases mémorables de l’opinion religieuse en France dans notre XIXe siècle. […] Certainement un prêtre peut monter à cheval pour l’exercice de son ministère ; il y a des pays de montagnes où c’est la seule manière de voyager, et des évêques même ne se font pas scrupule de parcourir ainsi les parties abruptes de leur diocèse ; mais monter à cheval pour son plaisir, comme les fils de famille riches, qui vont passer la soirée au bois de Boulogne, je vous avoue que la chose me semble hardie dans un religieux. […] Un chasseur qui a des tablettes, un religieux qui porte cravache, cela fait pendant. […] Le XIXe siècle est évidemment un siècle où les questions religieuses ont repris une grande importance, sinon la prédominance même : il a débuté par une renaissance religieuse ; arrivé aujourd’hui bien au-delà de son milieu, il voit ces mêmes questions grossir chaque jour et se généraliser.

40. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XI. De la littérature du Nord » pp. 256-269

Il y a quelques dogmes et quelques fables absurdes dans l’Edda ; mais les idées religieuses du Nord conviennent presque toutes à la raison exaltée. […] Rien ne doit être, en général, si froid et si recherché que des dogmes religieux transportés dans un pays où ils ne sont reçus que comme des métaphores ingénieuses. […] Elle entretient une rêverie céleste qui fait aimer la campagne et la solitude : elle porte souvent le cœur vers les idées religieuses, et doit exciter dans les êtres privilégiés le dévouement des vertus et l’inspiration des pensées élevées. […] C’est, comme je l’ai déjà dit, des opinions religieuses que dépend, en grande partie, l’effet que produit sur l’homme l’idée de la mort. […] On a prétendu qu’il n’y avait point d’idées religieuses dans Ossian.

41. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre IV. De la religion. »

Les siècles et la philosophie ont épuisé ce sujet, et ce que j’ai dit sur l’esprit de parti est applicable à cette frénésie comme à toutes celles causées par l’empire d’une opinion ; ce n’est pas non plus de ces idées religieuses, seul espoir de la fin de l’existence dont je veux parler. […] Les succès ou les revers ne donnent à la conscience des dévots ni contentement ni regret ; la morale religieuse ne laissant aucun vague sur aucune des actions de la vie, leur décision est toujours simple. […] Je ne sais si l’on a détruit la foi religieuse du peuple en France, mais on aura bien de la peine à remplacer pour lui toutes les jouissances réelles dont cette idée lui tenait lieu ; la révolution y a suppléé, pendant quelque temps. […] Telle était son exaltation religieuse, qu’il est permis de croire que ce dernier moment même n’appartint point dans son âme à l’épouvante de la mort. […] J’ai besoin de répéter que je ne comprends pas dans cette discussion, ces idées religieuses d’un ordre plus relevé qui, sans influer sur chaque détail de la vie, anoblissent son but, donnent au sentiment et à la pensée quelques points de repos dans l’abîme de l’infini.

42. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (2e partie) » pp. 177-248

Mais le premier Consul, précisément parce qu’il n’était pas assez religieux, voulait avoir extérieurement sous la main une religion politique. […] Au point de vue purement humain, cela est incontestable ; au point de vue divin, cela n’est rien moins que religieux. […] « À en juger donc par sa conduite ordinaire et constante, l’homme a besoin d’une croyance religieuse. […] Il faut dire cependant, à cet égard, que la constitution morale du général Bonaparte le portait aux idées religieuses. […] Le peuple n’est pas de leur avis : il aime ces cordons de toutes couleurs, comme il aime les pompes religieuses.

43. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

On s’y heurte à chaque pas dans l’état, dans les arts, jusque dans la vie religieuse. […] Il y avait divorce entre la philosophie religieuse et la physique. […] La poésie était à l’origine un acte essentiellement religieux. […] L’instinct des artistes en devine plusieurs, et le sentiment religieux reconnaît et adore les autres sans les comprendre. […] Le sentiment poétique touche de près au sentiment religieux, de si près qu’ils se confondent parfois ; et tout sentiment religieux constitue l’âme dans l’état poétique.

44. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre VI. Architecture. — Hôtel des Invalides. »

Les yeux du voyageur viennent d’abord s’attacher sur cette flèche religieuse, dont l’aspect réveille une foule de sentiments et de souvenirs : c’est la pyramide funèbre autour de laquelle dorment les aïeux ; c’est le monument de joie où l’airain sacré annonce la vie du fidèle ; c’est là que les époux s’unissent ; c’est là que les chrétiens se prosternent au pied des autels, le faible pour prier le Dieu de force, le coupable pour implorer le Dieu de miséricorde, l’innocent pour chanter le Dieu de bonté. […] On en voit un exemple remarquable dans l’hôtel des Invalides et dans l’École militaire : on dirait que le premier a fait monter ses voûtes dans le ciel, à la voix du siècle religieux, et que le second s’est abaissé vers la terre, à la parole du siècle athée. […] quelle beauté dans cette cour, qui n’est pourtant qu’un cloître militaire où l’art a mêlé les idées guerrières aux idées religieuses, et marié l’image d’un camp de vieux soldats, aux souvenirs attendrissants d’un hospice ! […] Ce bâtiment religieux est placé derrière les bâtiments militaires, comme l’image du repos et de l’espérance, au fond d’une vie pleine de troubles et de périls.

45. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre I. Les origines du dix-huitième siècle — Chapitre I. Vue générale »

La littérature religieuse fournit presque tous les chefs-d’œuvre de notre prose ; l’éloquence religieuse est toute notre éloquence. […] Cela n’a pas besoin d’être démontré pour la littérature religieuse ; mais la littérature laïque est imprégnée du même esprit. […] Voilà donc où aboutissait l’éclat de la renaissance religieuse, à des cruautés, à des ruines. […] Les disputes religieuses deviennent de plus en plus mesquines et puériles, le sentiment religieux s’atrophie ou dévie ; la littérature religieuse disparaît.

46. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VIII. Du mysticisme et de Saint-Martin »

Et véritablement, pour qui n’a pas abandonné l’observation et l’analyse, le Mysticisme, — quelle que soit la forme qu’il revêt, — n’est jamais qu’une aberration du sentiment religieux en vertu de sa propre force, si une autorité extérieure ne le règle pas et ne contient pas, d’une main souveraine, la turbulence de ses élans. Or, nous ne connaissons dans l’histoire du monde que le Catholicisme qui ait jamais pu régler et contenir cet extravasement de la faculté religieuse, parce que le Catholicisme, cette force organisée de la vérité, a, par son Église, l’autorité éternellement présente et vigilante, qui sauve l’homme de son propre excès et le ramène tout frémissant à l’Unité, quand le malheureux s’en écarte, fût-ce même par une tangente sublime ! Partout ailleurs que sous le gouvernement de l’Église et en dehors de son orthodoxie, le Mysticisme, — et il en faut bien prévenir des âmes ardentes et pures qu’une telle coupe à vider tenterait, — le Mysticisme n’a donc été et ne continuera d’être qu’une immense erreur et une éblouissante ivresse de cette faculté de l’infini, la gloire de l’homme et son danger, et qui fait de lui, — diraient les naturalistes, — un animal religieux. […] À notre sens, le philosophe inconnu n’existe réellement que dans sa pensée religieuse, et c’est exclusivement là qu’il faut le surprendre et le chercher. […] Il a raffiné sur ce qui n’admet pas de raffinement, c’est-à-dire sur la vérité du catholicisme qui est la vérité absolue, et il a été dans l’ordre des choses religieuses ce que furent les Précieuses dans l’ordre des choses littéraires.

47. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Balzac, et le père Goulu, général des feuillans. » pp. 184-196

Goulu ne s’étoit fait religieux qu’à l’âge de vingt-huit ans. […] Un religieux Manceau, dom André de saint Denis, auteur pitoyable, composa rapidement un petit écrit absurde, dénué d’esprit & de raison, mais très-bien conditionné pour les injures. […] De pareilles horreurs dans la bouche d’un prétre, d’un religieux, auroient dû révolter le public. […] On en a chargé des chariots pour envoyer au siège de la Rochelle… Son portrait se montre par rareté au louvre. » Presque tous les ordres religieux épousèrent les intérêts du grand Phyllarque. […] Il respecta la religion dans un religieux, quel qu’il pût être.

48. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Deuxième série

L’homme est un animal religieux. […] Son système religieux n’est guère qu’un souhait, une aspiration. […] Quand il n’a pas une pensée religieuse, il ne pense pas. […] C’est qu’aussi Quinet est un très bon théoricien religieux et très bon critique des choses religieuses ; et ce n’est que quand il veut faire rentrer toute l’histoire civile dans l’histoire religieuse qu’il est singulièrement hasardeux. […] Il était individualiste en choses religieuses, comme l’est assez naturellement un inventeur en choses religieuses.

49. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Bossuet et la France moderne »

L’Édit de Nantes qu’il rendit en 1598 ne pouvait sanctionner qu’une transitoire et précaire paix religieuse. […] Comment n’auraient-ils pas été les plus intelligents ceux qui avaient eu recours à la raison pour réformer leur vie religieuse ? […] Impuissant à persuader par les seuls moyens d’oppression morale dont il dispose, le pouvoir religieux fait appel aux pouvoirs civils. […] Ceci : que les nations, dont la vie religieuse dépend de Rome, portent en elles un germe de mort. […] Les peuples qui ont, au contraire, secoué le joug de l’autorité religieuse et qui lui ont substitué le libre examen, ont accru par cela même leur énergie.

50. (1870) La science et la conscience « Chapitre IV : La métaphysique »

Dieu par-dessus tout, et l’homme en rapport avec Dieu, voilà le double objet de toute philosophie religieuse. […] Un Dieu à la façon de Plotin, de Spinosa, de Schelling, de Hegel, n’a rien de commun avec l’objet du sentiment religieux. […] Quelle est la part de Dieu, quelle est la part de l’homme dans la vie religieuse et dans la vie morale elle-même ? […] Pourquoi toute philosophie religieuse incline-t-elle au mysticisme ? […] Toute âme religieuse aspire à l’union avec Dieu et tend à l’absorption de sa personnalité dans la nature divine.

51. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — Y. — article » pp. 529-575

Un Sauvage, qui n’auroit lu que les Ouvrages de nos Philosophes, qui apprendroit par eux la licence qu’ils permettent, les vices qu’ils préconisent, les devoirs qu’ils proscrivent, les sentimens qu’ils dégradent, l’indépendance qu’ils affichent, & qui prendroit ces Ouvrages pour nos Livres religieux, pourroit avec raison avoir une fort mauvaise idée de la Morale Chrétienne. […] Non : les ames religieuses sont seules capables d’offrir le tableau de ces vertus réunies. […] L’Homme, abandonné à la Nature, a la Philosophie, à lui-même, est nécessairement égoïste, endurci, & devient bientôt inutile & même à charge à la société, par l’abus qu’il fait de ses facultés : l’Homme religieux au contraire s’occupe de tous les besoins de ses semblables, & multiplie ses sacrifices & ses privations, pour les soulager. […] On ne fera point ici l’énumération de tous les bienfaits que la sensibilité religieuse a répandus dans la Société : on se bornera à défier les Zélateurs de la Nature de montrer un seul genre de misere auquel la Religion n’ait pas tâché de remédier. […] Qu’on suppose une Société vraiment religieuse : quel genre de vices pourroient subsister dans son sein ?

52. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIIe entretien. Fénelon, (suite) »

L’intimité de la veuve et du religieux, consacrée par la communauté de séjour et de piété, s’était exaltée jusqu’à l’extase. L’imagination enflammée de la femme avait bientôt dépassé celle du religieux. […] L’évêque s’en était ému ; il avait relégué le religieux disgracié à Thonon, autre petite ville de son diocèse. […] Le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, lut cette lettre à madame Guyon et la somma d’avouer les désordres confessés par le religieux. […] On fut forcé de reconnaître que Fénelon n’avait jamais vu ce religieux et n’avait entretenu aucune correspondance avec lui.

53. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Christophe »

» Les écrivains laïques, pourvu qu’ils soient catholiques et théologiens, sont appelés à faire dans la littérature religieuse plus de bien que les prêtres eux-mêmes, à talent égal ; car, après tout, ce qu’il faut impérieusement, c’est d’amener le plus d’âmes possibles à la vérité. […] Ce parlementarisme religieux qui nous a conduits, Dieu sait par quelles abominables voies ! […] Puisque le monde politique a répercuté l’erreur du monde religieux, ne serait-il pas à souhaiter que les choses s’achevassent comme elles ont commencé, et que la répercussion eût lieu encore du triomphe de la vérité sur l’erreur ? Le pouvoir religieux, l’unité romaine, la papauté, attaqués par toutes les démagogies sacerdotales, les ont vaincues. […] C’est un livre substantiel, ayant les mérites sur lesquels j’ai insisté, mais qui ne fera pas sur l’opinion, indifférente aux choses religieuses qu’elle ignore, l’effet sympathique qui entraîne à les étudier.

54. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — I »

Vous ne comprendrez jamais le sentiment religieux ; vous ne saurez jamais ce que c’est qu’une religion, si, par malheur, vous ne vous êtes jamais demandé d’où vous veniez ? […] Or ce n’est plus le temps de l’inspiration, dit-il, aujourd’hui on n’a plus besoin de formes religieuses. […] Jouffroy manifeste de la répugnance pour la forme religieuse, sa raison ne se rend pas bien compte du sentiment qu’il éprouve. Habitué à certaines formes du passé dans lesquelles il reconnaît le caractère religieux, il ne peut se décider à admettre comme religion toute pensée qui ne se manifeste pas sous une de ces formes. […] Jouffroy substitue le nom d’époques fondatrices à celui d’époques organiques, donné par Saint-Simon aux époques religieuses.

55. (1813) Réflexions sur le suicide

Une sorte de rage est nécessaire pour vaincre en soi l’instinct conservateur de la vie, quand ce n’est pas un sentiment religieux qui nous en demande le sacrifice. […] Quelle différence entre cette abnégation religieuse de la lutte terrestre et la fureur qui porte à se détruire pour se délivrer de ce qu’on souffre. […] On a vu les plus habiles succomber, mais la réunion des volontés religieuses et patriotiques ne saurait faillir. […] Enfermée dans cette tour je vis de ce que je sens, et ma conduite morale et religieuse ne consiste que dans les combats qui se passent en moi-même. […] Depuis l’idéal des arts jusqu’aux règles de la conduite, tout doit se rapporter à la foi religieuse, et la vie n’a pour but que d’enseigner l’immortalité.

56. (1890) L’avenir de la science « XIV »

Il a par conséquent les mêmes devoirs que l’individu en ce qui touche aux choses religieuses. […] C’est surtout sous la forme religieuse que l’État a veillé jusqu’ici aux intérêts suprasensibles de l’humanité. Mais du moment où la religiosité de l’homme en sera venue à s’exercer sous la forme purement scientifique et rationnelle, tout ce que l’État accordait autrefois à l’exercice religieux reviendra de droit à la science, seule religion définitive. […] Certains ordres religieux qui appliquaient à l’étude cette tranquillité d’esprit, l’un des meilleurs fruits de la vie monastique, réalisaient autrefois ces grands ateliers de travail scientifique, dont la disparition est profondément à regretter. […] Quoi qu’il en soit, on ne peut nier que l’abolition des ordres religieux qui se livraient à l’étude et celle des parlements, qui fournissaient à tant d’hommes lettrés de studieux loisirs, n’aient porté un coup fatal aux recherches savantes.

57. (1890) L’avenir de la science « III » pp. 129-135

Si une âme religieuse en lisant ces lignes pouvait s’imaginer que j’insulte : « Oh ! […] C’est parce que je suis sérieux et que je traite sérieusement les choses religieuses que je parle de la sorte. […] Sont-ce les croyances religieuses qui lui ont maintenu sa vigueur ? […] Au fond, les différences entre les sectes religieuses ne sont pas moindres. […] Aussi, dans les pays où plusieurs sectes sont en présence, le scepticisme religieux ne tarde pas à se produire.

58. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Lettres sur l’éducation des filles, par Mme de Maintenon » pp. 105-120

Mme de Maintenon écrit à Mme de Brinon, religieuse ursuline, qui a établi une pension à Montmorency ; elle lui envoie des petites pensionnaires, des filles de pauvres gens à élever. […] Outre cela, Sa Majesté donnera les places de religieuses de chœur dans tout le royaume aux filles de cette maison-là qui voudront se mettre dans des couvents. […] Elle aussi, du moment que le champ lui est ouvert, elle a son idéal, c’est de former la parfaite novice et la parfaite dame de Saint-Louis, l’institutrice religieuse et raisonnable par excellence ; elle en propose à ses jeunes maîtresses et en retrace en vingt endroits un portrait admirable : simplicité, droiture de piété, justesse soumise, nulle singularité, nulle curiosité d’esprit, une égalité sans tristesse, un renoncement absolu de soi, et toute une vie tournée à un labeur pratique et fructifiant. […] Quand elle a ainsi rappelé toutes les conditions imposées et toutes les obligations, ce caractère où se confond le personnage de mère, de sœur aînée et de religieuse, et qui a pour objet de former de pauvres nobles jeunes filles destinées à édifier ensuite des maisons religieuses, mais surtout des familles, et à renouveler le christianisme dans le royaume ; des jeunes filles à qui l’on dit sans cesse : « Rendez-vous à la raison aussitôt que vous la voyez. — Soyez raisonnables, ou vous serez malheureuses. — Si vous êtes orgueilleuses, on vous reprochera votre misère, et si vous êtes humbles, on se souviendra de votre naissance » ; — quand elle a ainsi épuisé la perfection et la beauté de l’œuvre à accomplir, on conçoit que Mme de Maintenon, s’arrêtant devant son propre tableau, ajoute : « La vocation d’une dame de Saint-Louis est sublime, quand elle voudra en remplir tous les devoirs. » Tout ne se fit point en un jour ; il y eut des années de tâtonnement, et même où l’on sembla faire fausse route. […] de citer quelques-uns de ces accents d’une femme également morale et religieuse, de les citer, non par aucun rapport de comparaison ou de ressemblance, mais simplement comme son de l’âme et comme accent.

59. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome III pp. -

On connoît le genre de travail de ces sçavans religieux. […] Un religieux de la congrégation de saint Jean de Dieu, nommé F. […] Des prêtres, des laïques, des femmes de la ville & de la cour, des religieux, & surtout des religieuses, adoptèrent ses idées. […] Il l’avoit fait pour les religieuses de Port-royal. […] Les religieuses, exilées, reviennent.

60. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. VINET. » pp. 1-32

Mais les idées morales, religieuses, chrétiennes, eurent toujours le pas dans son esprit sur les opinions purement littéraires. […] Monnard, le principal défenseur de la liberté religieuse à Lausanne : il prit en main le droit de ceux qu’on persécutait, et dont il n’épousait pas d’ailleurs les conséquences absolues et restrictives. […] Il a donc assez des habitudes littéraires des écrivains de Port-Royal (et jusqu’à leur goût de l’anonyme), comme il a beaucoup de leurs doctrines religieuses. […] Les Discours religieux, réunis au nombre de vingt-cinq, offrent comme un cours complet des vérités évangéliques, déduites dans une méthode tout intérieure. […] Ce procès amena le dernier et éloquent écrit, 5° Essai sur la Conscience et sur la Liberté religieuse (Paris-Genève, 1829). — M.

61. (1857) Cours familier de littérature. III « XIIIe entretien. Racine. — Athalie » pp. 5-80

Les deux familles étaient lettrées de profession, religieuses de cœur. […] Une tante de l’enfant était religieuse dans cette célèbre maison de Port-Royal. […] En hommes aussi politiques que religieux, ils redoutaient l’exagération de foi et de mœurs des jansénites. […] Ils lui avaient ordonné de persécuter les religieux et les religieuses de Port-Royal. […] Trois de ses tantes, entraînées par la contagion de l’exemple, entrèrent dans leur ordre religieux, s’y distinguèrent par leur zèle et y persévérèrent jusqu’à la mort.

62. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Notes sur l’Ancien-Régime »

Total 20 745 religieux en 2 489 couvents. […] En tout 5 394 religieuses dans 198 maisons. La proportion donne environ 37 000 religieuses en 1 500 maisons pour les 38 000 paroisses de la France  Ainsi le total du clergé régulier est de 60 000 personnes  Pour le clergé séculier, on peut l’évaluer à 70 000 : curés et vicaires, 60 000 (l’abbé Guettée, Histoire de !Église de France, XII, 142) ; prélats, vicaires généraux, chanoines des chapitres, 2 800 ; chanoines des collégiales, 5 600 ; ecclésiastiques sans bénéfice, 3 000 (Siéyès)  Moheau, très bon esprit et statisticien prudent, écrit en 1778 (Recherches, 100) : « Peut-être n’existe-t-il pas aujourd’hui dans le royaume 130 000 ecclésiastiques »  Le dénombrement de 1866 (Statistique de la France, population) donne maintenant 51 100 membres du clergé séculier, 18 500 religieux, 86 300 religieuses ; total, 155 900 pour une population de 38 millions d’habitants. […] Je trouve qu’elle rapporte aux moines seuls 30 000 livres, et la part de l’abbé est toujours au moins égale (De l’État religieux, par les abbés Bonnefoi et Bernard, 1784).

63. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre 2. La littérature militante »

Dégradation de l’éloquence de la chaire par la passion politique ou religieuse. […] Il a l’avantage de l’enthousiasme religieux ; mêlant sa foi dans tous les actes de sa pensée, il prend un sujet biblique, au lieu de je ne sais quelle indifférente histoire naturelle. […] Non pas l’éloquence religieuse : car il fallut que l’apaisement se fit pour que la prédication catholique acquît cette solidité et cette gravité, dont Calvin avait donné les premiers modèles. […] Les réformés y recoururent de bonne heure, pour légitimer aux yeux des peuples leurs nouveautés et la rupture de l’unité religieuse : Calvin, Viret écrivirent vigoureusement, injurieusement contre les superstitions et l’immoralité de l’Eglise romaine. […] Cependant les mêmes idées commençaient à agir sur les protestants : de larges esprits s’élevaient parmi eux, qui, revenant aux vrais principes de la première réforme, ne demandaient qu’à mettre d’accord leur conscience religieuse et leur devoir de Français au moyen des conditions posées par L’Hôpital et par Bodin.

64. (1889) L’art au point de vue sociologique « Préface de l’auteur »

Nous avons déjà consacré un livre à montrer le côté sociologique des idées religieuses. La conception d’un lien de société entre l’homme et des puissances supérieures, mais plus ou moins semblables à lui, où il voit l’explication de l’univers et dont il attend fine coopération matérielle ou morale, voilà ce qui, selon nous, fait l’unité de toutes les doctrines religieuses. L’homme devient religieux, avons-nous dit, quand il super pose à la société humaine où il vit une autre société plus puissante et plus élevée, d’abord restreinte, puis de plus en plus large, — une société universelle, cosmique ou supra-cosmique, avec laquelle il est en rapport de pensées et d’actions. […] La société religieuse, la cité plus ou moins céleste est l’objet d’une conviction intellectuelle, accompagnée de sentiments de crainte ou d’espérance ; la cité de l’art est l’objet d’une représentation intellectuelle, accompagnée de sentiments sympathiques qui n’aboutissent pas à une action effective pour détourner un mal ou conquérir un bien désiré.

65. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre III. Pascal »

L’autre cause est le débordement des tempéraments, que favorisent en France les guerres civiles et religieuses. […] Mais surtout le libertinage fut contenu et vaincu par des doctrines philosophiques et religieuses qui donnèrent à la raison les légitimes satisfactions qu’elle réclamait. […] En 1665, on transporte aux Champs toute la communauté rebelle de Paris, et l’on donne la maison du faubourg Saint-Jacques à des religieuses soumises. […] Seule de toutes les doctrines philosophiques et religieuses, la doctrine de la chute explique le contraste incompréhensible de grandeur et de bassesse, qui est le trait caractéristique de la nature humaine. […] Il y revint aussi des religieuses à partir de 1648.

66. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

. — Études d’histoire religieuse. — Cantique des Cantiques. — Le livre de Job. — De l’origine du langage. — Histoire générale des langues sémitiques. — Averroës, etc. […] Chacun de ses savants écrits, ses Études d’histoire religieuse, ses Essais philosophiques et littéraires s’enlevaient rapidement, et il avait atteint, auprès du public lettré, à ce degré le plus désirable de considération et d’intérêt soutenu, au-delà duquel il n’y a plus que la vogue avec ses inconstances. […] Il préludait en attendant, et ne voulait aborder ce grand sujet qu’après s’être fait une autorité et s’être gagné la faveur du public par des œuvres d’un caractère purement scientifique ou littéraire, et où sa préoccupation, son arrière-pensée religieuse, ne pût pas être trop soupçonnée. […] Mais il eut beau faire, la préoccupation religieuse perçait ; on sentait venir un témoin, un observateur d’un ordre à part, armé d’instruments à lui et suspect de curiosité pure, sous la forme du respect. […] Telle est l’humanité : chaque nation, chaque forme intellectuelle, religieuse, morale, laisse après elle une courte expression qui en est comme le type abrégé et expressif, et qui demeure pour représenter les millions d’hommes à jamais oubliés qui ont vécu et qui sont morts groupés autour d’elle. » Cette conscience, cette mémoire du genre humain, c’est donc comme une Arche de Noë perpétuelle dans laquelle il ne peut entrer que les chefs de file de chaque race, de chaque série.

67. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — V »

Par-delà ces applications particulières des croyances en lesquelles s’objectiva tour à tour la vérité, que l’on prête l’oreille aux déclamations ferventes en lesquelles éclate, avec quelle ardeur religieuse ! […] Que l’on mette en cause une conception de l’ordre moral, politique, social ou religieux, il ne s’agit plus de la comparer avec un modèle idéologique d’une valeur présumée absolue, dont on sait maintenant l’origine arbitraire, avec une idée divinisée de vérité ou de justice, dont on connaît qu’elle n’exprime autre chose qu’un état de sensibilité particulier et propre à un temps donné. […] Tandis que le philosophe, dupe de la croyance en. une vérité objective, se fonde, pour maintenir la suppression du culte, sur ce fait que la religion catholique, comme toute autre forme religieuse, est fausse et constitue une superstition, l’esprit clairvoyant du politique sachant que la superstition, le préjugé, la croyance sont l’étoffe et l’unique tissu du réel, se préoccupe uniquement de rechercher quelle forme du préjugé est utile à la réalité française dont il identifie avec le sien l’intérêt. Sous le jour de ces considérations, il conclut au rétablissement d’un culte auquel se montre attachée la majorité de la nation. — Il faut tenir pour un geste de pure passion intellectuelle ce coup de pied impérial par lequel prit fin une discussion où s’obstinaient l’idéologisme religieux du philosophe et son défaut de scepticisme. […] Lorsqu’aux époques plus récentes des civilisations romaine ou grecque, Fustel de Coulange nous montre la réalité sociale du moment en contradiction avec celle qui s’était modelée sur l’ancienne croyance et qui persistait encore dans les lois religieuses et civiles, gardons-nous donc de penser que cette réalité présente, et qui entrait en guerre avec l’ancienne, fût par comparaison meilleure et plus proche de la vérité objective.

68. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XI. Mme Marie-Alexandre Dumas. Les Dauphines littéraires »

— et que sous l’empire de cette Grâce, elle avait quitté son mari comme on ne le quitte guère dans les ouvrages de son père et de son frère, pour se jeter en pleines œuvres de haute dévotion et de prosélytisme, mais tout cela avec une telle gesticulation théâtrale, que les prêtres français de Jérusalem s’étaient inquiétés en leur prudence, de ce trop de gesticulation… Revenue en France, ajoutait-on, elle était entrée chez des religieuses de Passy, sans pourtant se faire religieuse, et elle y vivait dans une piété exaltée, peignant des sujets religieux ; mortifiant ainsi de la toile, si elle ne se mortifiait pas elle-même ; s’entretenant la main de cette façon et mortifiant toujours quelque chose ! […] … Enfin toute religieuse et pure, et Imitation de Jésus-Christ et Introduction à la vie dévote qu’elle veuille être et se conserver, Mme Marie-Alexandre Dumas finit par ne plus y tenir ; et le tempérament Dumas prenant le mors aux dents, elle saute par-dessus toutes les réserves dans les terres de son père et de son frère, et la voilà qui nous raconte, — ma foi, tout aussi crûment qu’eux, — un horrible drame d’adultère et de meurtre que, pendant qu’elle est au couvent à Passy, son père et son frère, ces forts arrangeurs, pourraient planter à la scène et faire jouer. […] Sur ce point-là, et en dehors des mièvreries religieuses de sa manière, Mme Marie-Alexandre Dumas égaie presque monsieur son frère ; la Dauphine vaut le Dauphin.

69. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre II. Des éloges religieux, ou des hymnes. »

Des éloges religieux, ou des hymnes. […] Plein du sentiment religieux qui s’élève dans son cœur, il mêle sa voix à celle de la nature ; et du sommet d’une montagne, ou dans un vallon écarté, au bruit des fleuves et des torrents qui roulent à ses pieds, il chante une hymne en l’honneur de la divinité dont il éprouve la présence, et qui le fait exister et sentir. […] On sait que dans ses poèmes il a mieux célébré les héros que les dieux : ses hymnes sont du même ton ; ce sont plutôt des monuments de la mythologie païenne, que des éloges religieux ; mais on y retrouve quelquefois son pinceau et les charmes de la plus riante poésie. […] Il ne faut donc pas s’étonner si les premiers peuples du monde, qui étaient presque tous des peuples pasteurs, et surtout les Orientaux qui, habitant un plus beau climat, doivent plus aimer et sentir la nature, ont donné à leurs éloges religieux un caractère que l’on ne trouve point parmi nous. […] On voit aisément que dans ces trois époques, les éloges religieux ont dû être faibles et froids.

70. (1870) La science et la conscience « Chapitre II : La psychologie expérimentale »

Leur terreur, quand ils en ressentent, sous l’impression des phénomènes de la nature, n’a aucun caractère religieux. […] Ainsi nul animal n’est et ne devient moral ni religieux, quelle que soit sa supériorité naturelle, quel que soit le progrès de son éducation ; tout homme est et reste moral et religieux, quelle que soit son infériorité native ou sa dégradation, voilà ce que l’expérience atteste partout et toujours, sans une seule exception. […] Si l’homme est le seul animal connu qui soit moral et religieux, n’est-il pas également le seul qui soit vraiment politique, selon la définition d’Aristote ? […] Nul ne contestera que le sentiment esthétique ne soit propre à l’homme aussi bien que le sentiment moral et le sentiment religieux. […] Pourquoi l’homme est-il un être religieux ?

71. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Ernest Hello » pp. 389-403

Ernest Hello, c’est de ne rien faire comme personne, non par originalité littéraire ou calcul d’art, mais par une originalité bien autrement grandiose et profonde, l’embrasement d’une foi religieuse qui, dans un temps où l’enthousiasme est tué dans tous les esprits et dans tous les cœurs, est la plus étonnante, — la plus stupéfiante originalité ! […] quand à cet arcane du génie se joint l’arcane d’un sentiment religieux qui fut autrefois une chose vivante, même lorsqu’elle était haïe, mais qui est devenue une chose méprisée, indifférente, presque détruite et de plus en plus incompréhensible, on reste incompréhensible comme elle. […] temps désespérant et désespéré que celui où l’esprit humain, qui se croit entier, a fini par se mutiler de sa propre main et s’est émasculé de la plus grande de ses facultés, — la faculté religieuse. […] L’horrible et l’inepte oubli dans lequel est tombé Lamartine, le plus grand poète que la France ait jamais eu, vient de cet hébétement mortel du sens religieux. […] Le mysticisme, cet état si spécialement élevé dans la croyance religieuse et ses surnaturelles illuminations, est tout ce qui doit faire le plus horreur, si ce n’est mépris, à la raison définitive de messieurs les hommes.

72. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Lacordaire. Conférences de Notre-Dame de Paris » pp. 313-328

Les Conférences qui les composent, et qui contiennent dix années d’enseignement du haut de la chaire sacrée, ont été bien des fois signalées et exaltées dans les journaux ; car, en France, quelle que soit l’opinion religieuse qu’on professe, on résiste peu à l’éloquence. […] Mais est-ce assez pour la gloire austère du religieux et du prêtre que cette admiration sensible et cette sympathie de passage ? […] Or, comme la vérité religieuse est la plus grande de toutes, la plus achevée, la plus complète, il se trouve que les orateurs religieux sont le plus longtemps des orateurs, que leur voix ne meurt pas, comme les autres voix, le long des siècles, parce qu’ils sont éminemment quelque chose de plus que des orateurs » Ce quelque chose de plus, c’est ce que je signalerai dans les œuvres oratoires du père Lacordaire ; c’est ce qu’on rencontre toujours, dans tous les orateurs chrétiens, depuis la fondation du Christianisme jusqu’à nos jours. […] L’expérience, — ce fruit tardif, le seul fruit qui mûrisse sans devenir doux, — l’expérience a ajouté son enseignement aux facultés sagaces et translucides que la contemplation et la chasteté religieuse développent et fécondent, et cette double éducation de la pensée a communiqué à la voix et à la parole du P.  […] Des esprits plus sévères que justes ont, je ne l’ignore pas, reproché au révérend père Lacordaire ce qui m’a toujours semblé la meilleure raison de son influence sur les esprits, je veux dire cette hardiesse de langage qui soit quand il s’agit d’idées philosophiques, soit quand il s’agit des passions, n’hésite jamais ni sur le mot, ni sur la pensée, et parle volontiers des choses du monde, et de manière à ce que ce monde, dans l’insolence de son dédain, ne renvoie pas le dominicain à son couvent comme un pauvre religieux fort estimable sans doute, mais qui ne sait rien de la vie !

73. (1890) L’avenir de la science « XV » pp. 296-320

Tel est le sort de tout ce qui est arrivé à une consécration religieuse. […] Voilà la pure expression de cette forme religieuse. […] Mais toujours ils ont avorté avant de constituer une véritable tradition religieuse. […] Voilà des analogues bien caractérisés des fondateurs religieux de l’Orient. […] L’Asie n’a jamais su rire, et c’est pour cela qu’elle est religieuse.

74. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

. — Études d’histoire religieuse, — Cantique des Cantiques. — Le livre de Job. — De l’origine du langage. — Histoire générale des langues sémitiques. — Averroës , etc. […] Il faut absolument, pour rétablir l’équilibre, pour maintenir la composition de l’esprit français, considéré dans son expression la plus haute, non seulement des esprits sérieux, mais des esprits dignes, des poëtes héroïques dans les âges d’héroïsme, de grands évêques éloquents dans le siècle monarchique religieux, des tragiques capables de sublime, des écrivains porte-sceptre, des autorités. […] C’est donc, je le maintiens, indépendamment des résultats particuliers auxquels il a pu arriver dans son examen critique, c’est par nature un esprit religieux que M.  […] « L’homme qui prend la vie au sérieux, a-t-il dit, et emploie son activité à la poursuite d’une fin généreuse, voilà l’homme religieux ; l’homme frivole, superficiel, sans haute moralité, voilà l’impie. » — « L’humanité est de nature transcendante, a-t-il dit encore, quis Deus incertum est, habitat Deus (quel Dieu habite en elle ? […] C’est ainsi, j’imagine, que Platon aurait fait un essai de littérature critique religieuse, s’il était venu de nos jours.

75. (1887) Discours et conférences « Appendice à la précédente conférence »

Le cheik Gemmal-Eddin est le plus beau cas de protestation ethnique contre la conquête religieuse, que l’on puisse citer. […] Il s’agit pour les parties éclairées du christianisme et de l’islam, d’arriver à cet état d’indifférence bienveillante où les croyances religieuses deviennent inoffensives. […] Plusieurs fois, j’ai pu observer, dans mes voyages en Orient, que le fanatisme vient d’un petit nombre d’hommes dangereux qui maintiennent les autres dans la pratique religieuse par la terreur. […] Que les chefs religieux de l’islamisme contribuent à cette œuvre excellente, j’en serai ravi.

76. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Renan — II »

Renan est un de ceux qui ont empêché l’esprit français de se passer du sentiment religieux.‌ […] Ainsi, vers la moitié de ce siècle, les personnes d’une vie morale un peu intense se trouvaient dans cette alternative également fâcheuse de déserter les belles besognes de la critique moderne parce qu’elles n’y pouvaient contenter leurs aspirations religieuses, ou de s’y maintenir, mais en atrophiant une part de leur être. La seule solution était donc de trouver quelque provisoire qui conciliât le sentiment religieux et l’analyse scientifique.‌ […] Nous n’entendons plus que comme une belle poésie la façon dont il confond le sentiment religieux et la curiosité scientifique.

77. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre VI. Voltaire historien. »

Prudent et ferme dans le conseil, intrépide dans les combats, sans être emporté, compatissant comme s’il n’avait jamais été que malheureux, il n’est pas donné à l’homme de pousser plus loin la vertu… Attaqué de la peste devant Tunis… il se fit étendre sur la cendre, et expira à l’âge de cinquante-cinq ans, avec la piété d’un religieux et le courage d’un grand homme. » Dans ce portrait, d’ailleurs si élégamment écrit, Voltaire, en parlant d’anachorète, a-t-il cherché à rabaisser son héros ? […] C’est précisément le contraste des vertus religieuses et des vertus guerrières, de l’humilité chrétienne et de la grandeur royale, qui fait ici le dramatique et la beauté du tableau. […] Nous ne doutons point que Voltaire, s’il avait été religieux, n’eût excellé en histoire ; il ne lui manque que de la gravité, et, malgré ses imperfections, c’est peut-être encore, après Bossuet, le premier historien de la France.

78. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

Les essais de reconstruction religieuse des de Bonald et des de Maistre sont en retard, ou prématurés. […] Tout homme à idées est un critique, aucun critique n’est fondateur ou restaurateur religieux. […] Or toute pensée religieuse étant la confession de la loi, et tout acte religieux l’exécution volontaire et désintéressée de la loi, sans autre motif que de la satisfaire, que voulez-vous qu’ils pensassent, sinon que l’injustice absolue était un acte religieux ? […] Son système religieux. […] — Non pas, peut-être ; car rien ne s’allie mieux qu’un fond de pessimisme à une foi, religieuse ou autre.

79. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre II. L’analyse interne d’une œuvre littéraire » pp. 32-46

Sont-ils esthétiques, moraux, religieux ? […] Jean-Jacques Rousseau, Lamartine sont pleins d’un souffle religieux qui s’exhale en prières, en hymnes, en tirades lyriques. […] Autrement dit : idées relatives à ce qui est du domaine des sciences physiques et naturelles ; idées morales ; idées politiques et sociales ; idées esthétiques ; idées philosophiques et religieuses ; tels sont les principaux cadres qu’il faudra remplir les uns après les autres. […] C’est ce qui arrive d’ordinaire aux époques de compression politique ou religieuse. […] Est-il attiré du côté religieux ou du côté social ?

80. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre I : Rapports de cette science avec l’histoire »

Tel a été le sort de l’histoire de la philosophie, si populaire il y a trente ans, un peu oubliée aujourd’hui, et qui a vu l’archéologie, l’histoire des langues ou la critique religieuse prendre sa place dans l’opinion. […] Ainsi se sont développées, d’abord sous forme de chapitres, par exemple dans les écrits de Voltaire, puis comme œuvres distinctes et séparées, l’histoire des institutions, l’histoire des mœurs, des controverses religieuses, des lettres, des arts, des sciences, enfin des systèmes de philosophie. […] Aujourd’hui la critique religieuse a pris un intérêt supérieur et jouit d’une très-grande faveur ; mais l’histoire religieuse a été préparée et facilitée par l’histoire de la philosophie. Sans doute les développements de la philologie et de la critique ont grandement contribué à éclaircir les textes et à jeter du jour sur l’origine des grands événements religieux ; mais après tout, ce qu’il y a de plus important et de plus intéressant dans les religions, c’est l’histoire des dogmes : or une telle histoire est-elle possible sans une étude très-approfondie de la philosophie ? […] C’est là, nous le reconnaissons, le travail de toute une vie ; mais maintenant que les sources sont connues, que les grandes écoles ont été approfondies, une multitude de points particuliers éclaircis, le moment serait venu peut-être d’entreprendre une vaste synthèse qui embrasserait l’histoire générale des systèmes non-seulement en eux-mêmes, mais dans leurs rapports avec l’histoire religieuse, politique et scientifique en général.

81. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame de La Vallière. » pp. 451-473

Ce mot de miséricorde, qui est au titre du livre, revient à tout instant ; il abonde sur ses lèvres, c’est son cri ; c’est le nom aussi sous lequel elle entrera dans la vie religieuse, sœur Louise de la Miséricorde. […] Le maréchal de Bellefonds, homme de mérite et de piété, avait une sœur religieuse aux Carmélites du faubourg Saint-Jacques, où Mme de La Vallière avait dessein de se retirer. […] Ma sœur, ajouta-t-il en se tournant vers la nouvelle religieuse, parmi les choses que j’ai à vous dire, vous saurez bien démêler ce qui vous est propre. […] Elle rappelle, comme amante, Héloïse ou encore la Religieuse portugaise, mais avec moins de violence et de flamme : car celles-ci n’eurent pas seulement le génie de la passion, elles en eurent l’emportement et la fureur ; La Vallière n’en a que la tendresse. […] Comme religieuse, comme carmélite et fille de sainte Thérèse, ce n’est point à nous à nous permettre de lui chercher ici des termes de comparaison.

82. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — L’abbé Boileau, et Jean-Baptiste Thiers. » pp. 297-306

Il sçavoit bien que cette maladie, autrefois épidémique, ne les regardoit plus ; que le parlement de Paris avoit donné, en 1601, un arrêt, à la requisition de l’avocat général Servin, qui condamnoit les flagellations publiques ; mais il avoit en vue certaines pratiques de quelques communautés de religieux & de religieuses. […] Les religieux & les religieuses se plaignent qu’on les persécute, & se plaignent qu’on les persécute, & se disciplinent avec plus de rage.

83. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la liberté de l’enseignement »

Sainte-Beuve en lui rappelant qu’il y a deux sortes de tolérance : la tolérance civile et la tolérance religieuse. […] La tolérance religieuse consisterait à dire que toutes les religions sont bonnes. […] Je n’entre pas, encore une fois, dans la discussion religieuse ou métaphysique : je m’en tiens purement à l’évidence extérieure des faits. […] Un moraliste religieux, un ami de Chateaubriand et de Fontanes, un des hommes qui ont le mieux senti et pratiqué selon l’esprit le vrai christianisme, M.  […] Les spiritualistes, les hommes religieux, ont le droit d’être respectés ici.

84. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIIe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Le retour au sentiment religieux par la liberté était moins populaire, mais plus réellement pieux. […] Tous les yeux étaient éblouis, tous les cœurs n’étaient pas rassurés ; mais, grâce à la pacification des troubles religieux qui va ramener la confiance universelle, le législateur et le vainqueur brillent aujourd’hui du même éclat. […] Amélie m’entretenait souvent du bonheur de la vie religieuse ; elle me disait que j’étais le seul lien qui la retînt dans le monde, et ses yeux s’attachaient sur moi avec tristesse. […] Amélie, soutenue de deux jeunes religieuses, se met à genoux sur la dernière marche de l’autel. […] » « Ce mouvement, ce cri, ces larmes troublent la cérémonie : le prêtre s’interrompt, les religieuses ferment la grille, la foule s’agite et se presse vers l’autel ; on m’emporte sans connaissance.

85. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « De l’influence récente des littératures du nord »

C’est quelquefois la revanche de la conception païenne de la vie contre la conception chrétienne, de la « joie de vivre », comme il l’appelle, contre la tristesse religieuse. […] Il y a plus : le haut sentiment religieux dont elle paraît animée rend à peu près incompréhensible le genre de sacrifice auquel elle a consenti. […] Mais ils ont, plus que nous, le goût et l’habitude de la vie intérieure, et ils sont, plus que nous, religieux. […] Cette pudeur, cette retenue, ce scrupule incurable s’expliquent encore par l’esprit religieux dont ils restent quand même imprégnés. […] Paul Bourget nous affranchissait du naturalisme, et la plus large sympathie et la préoccupation morale ou religieuse rentraient dans notre littérature.

86. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Mlle Eugénie de Guérin et madame de Gasparin, (Suite et fin.) »

Et puis l’ordre d’idées et de sentiments qu’éveille la Joconde n’a aucun rapport prochain ni lointain avec le puritanisme religieux. […] Ce sont des religieuses. […] dit la religieuse avec un faible sourire, celle-ci veut s’échapper. » Nous en irons-nous comme cela sans un mot du cœur ? […] » Et comme la religieuse nous regarde, un peu surprise : — « Nous croyons en Christ le Sauveur ; nous espérons en lui de toutes nos forces. » La religieuse fait un signe de croix. — « Ah bien !  […] » La religieuse secoue la tête : « Abandonnez-vous à Dieu. » Cette fois nos mains passent comme elles peuvent au travers des barreaux ; elles vont chercher, elles vont presser les mains des dominicaines.

87. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Lettres de la mère Agnès Arnauld, abbesse de Port-Royal, publiées sur les textes authentiques avec une introduction par M. P. Faugère » pp. 148-162

Mais voici le tour piquant qui commence, et le bel esprit enjoué qui va se mêler jusque dans la mysticité religieuse : elle va faire semblant tout d’un coup de s’être méprise, d’avoir à se rétracter, et tout ce que M.  […] Les lettres à Mlle Pascal, la sœur du grand écrivain et qui se fit religieuse à Port-Royal, ont plus d’intérêt. […] Elle écrivit en toute hâte un billet à la mère Agnès, elle envoya Mlle d’Atrie sa voisine aux informations ; c’était bien à la cire que les religieuses avaient travaillé depuis peu de jours dans une chambre retirée, isolée, à la basse-cour, là où l’on mettait, quand il y en avait, les malades de la petite vérole ; on avait pris, vous le voyez, toutes sortes de précautions : mais qu’y faire ? […] D’après ce principe que les petits présents entretiennent l’amitié, il ne cessait d’en faire aux religieuses ses voisines ; il leur envoyait tantôt de l’excellent beurre de Bretagne (il était Breton), tantôt du fruit, des fleurs, une lampe, un cachet où était l’image du bon pasteur. […] Assurément la mère Agnès connaissait Mme de Sévigné et l’avait entendue causer, puisqu’un jour que cette aimable femme était venue au couvent de la Visitation de la rue Saint-Jacques où se trouvait alors reléguée la mère Agnès par ordre de l’archevêque, et avait demandé à la voir sans en obtenir la permission, la recluse et prisonnière écrivait à l’oncle : « J’aurais beaucoup perdu du fruit de ma solitude si j’avais eu l’honneur de voir Mme de Sévigné, puisqu’une seule personne qui lui ressemble tient lieu d’une grande compagnie. » Cette religieuse, on le voit, connaissait son monde ; causer en tête à tête avec Mme de Sévigné, c’était posséder plusieurs femmes d’esprit à la fois.

88. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Sainte Térèse » pp. 53-71

si les gens du monde, endoctrinés par les faux docteurs du cœur humain, ont vu la passion suprême dans les pages frelatées d’une religieuse de fantaisie, inventée plus ou moins pour les besoins d’un parti ou les intérêts de la vanité d’un homme, ils pourront du moins apprendre aussi dans ces œuvres de sainte Térèse, traduites pour eux, ce que c’est qu’une vraie religieuse, et ils en pourront étudier le merveilleux idéal. […] On cherche en vain dans cette aristocratique religieuse agenouillée, sous ce visage, à l’ovale si pur, que l’austère et strict bandeau fait paraître plus pur encore, la mystique dont l’âme, à force d’énergie, détruisit le corps, la paralytique aux os écrasés et aux nerfs tordus, cet amas sublime d’organes dissous sur lesquels flamboyait l’Extase, l’ombre de fille consumée qui vécut deux trous ouverts au cœur, les deux trous par lesquels le glaive du Séraphin avait passé, et si physiquement et si réellement qu’après sa mort, sur le cœur même, on put constater la blessure. […] C’est une Blanche de Castille au cloître, mais supérieure à la mère de saint Louis par cela seul qu’elle est restée vierge et n’en fut pas moins mère, — la mère de tous ceux qu’elle enfanta à la vie religieuse et qu’elle éleva pour les cieux ! […] Alors apparaît et s’annonce cette grande conductrice d’âmes qui devait littéralement gouverner, du fond de son monastère d’Avila, tout un peuple de religieux et de religieuses, et déployer dans cette conduite une prudence, une fermeté, une science des obstacles, et enfin un bon sens (ce bon sens maître des affaires, a dit Bossuet) qu’aucun chef d’État n’eut peut-être au même degré que sainte Térèse, l’Extatique, la Sainte de l’Amour.

89. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Le comte de Gasparin » pp. 100-116

L’esprit religieux qui était en lui, et qui a absorbé l’esprit politique qui y fut autrefois, fait, à nos yeux, du comte de Gasparin, une individualité intéressante au milieu des insupportables libres penseurs de ce siècle de liberté et de tolérance, — intolérant seulement contre Dieu, à qui il ne permet plus d’exister. […] Je comprends qu’on soit le disciple d’un homme, mais le disciple de plusieurs sociétés n’est pas aussi aisé à admettre, et quand il ajoute, pour être plus clair et pour n’arriver qu’à être plus vague : « de la partie de ce siècle sur laquelle les Apôtres eux-mêmes ont exercé leur direction », je ne comprends plus du tout, ou plutôt je comprends que le protestant Gasparin n’est que le disciple de lui-même, et que sa foi religieuse ne relève que de sa critique, de la partie du siècle dont il se dit le disciple, et de sa propre interprétation… La personnalité protestante du comte de Gasparin est si large, si forte et si absorbante, qu’il n’admet que celle de Dieu vis-à-vis de la sienne. […] Tous deux sont des individualistes et des radicaux absolus : l’un dans l’ordre politique, l’autre dans l’ordre religieux ; mais c’est un bon chemin (et même il n’y en a pas d’autre) pour mener au radicalisme politique, que le radicalisme religieux. […] — c’est de fonder une Église, c’est d’établir une autorité extérieure après avoir reconnu l’intérieure, c’est d’avoir un symbole, des sacrements, une hiérarchie, un culte, une discipline, enfin tout cet ensemble de choses nécessaires vers lequel toute idée religieuse — d’où qu’elle vienne !  […] Et, en effet, Jésus-Christ, qui n’est pas venu pour, dans l’ordre religieux, changer la loi, mais pour l’accomplir, n’est pas venu davantage pour la changer dans l’ordre métaphysique du monde.

90. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre II. Jean Calvin »

Calvin179 doit sans doute à sa ville natale, à sa propre famille les premiers germes de son indépendance religieuse ; il semble qu’Olivetan surtout l’ait détaché de cette église catholique, qui lui portait dès la première jeunesse ses dignités et ses revenus. […] Ici encore il ouvre la voie, et non plus à la philosophie religieuse, à toute large et humaine philosophie. […] Le style et l’éloquence de Calvin Je ne me serais pas arrêté si longtemps sur Calvin, si l’Institution française n’était un chef-d’œuvre, le premier chef-d’œuvre de pure philosophie religieuse et morale à quoi notre langue vulgaire ait suffi. […] On le rappelle, et il ne quitte plus Genève, dont il fait vraiment le centre religieux de la Réforme française. […] Renan, Études d’histoire religieuse.

91. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « IV. Saisset »

Il ne lâche pas sa part de troupeau, et son livre, intitulé Essai de philosophie religieuse, n’a pas d’autre sens que celui-là, sous ses formes d’une simplicité piperesse et d’une modestie qui prouve qu’on n’a plus la puissance, car l’humiliation n’est pas l’humilité ! […] Saisset, à qui je ne demanderai pas plus qu’il ne peut me donner, a-t-il fait du moins dans son Essai de philosophie religieuse, pour le compte de la personnalité divine, quelque découverte qui fasse avancer cette question ? […] je n’ai trouvé dans cet Essai de philosophie religieuse ni philosophie, ni religion, car le déisme n’est pas plus une religion que le spiritualisme n’est une philosophie, et le mot même d’essai n’est pas plus vrai que le reste avec sa modestie, car un essai suppose qu’on s’efforce à dire une chose neuve, et l’auteur en redit une vieille dont nous sommes blasés, tant nous la connaissons ! […] Ce sont des affirmations peu carrées et peu appuyées, mais rondes plutôt et glissantes, de ces inductions données cent fois par l’école cartésienne tout entière, cette école du moi qui n’a jamais su jeter de pont d’elle à Dieu, et dont l’auteur de l’Essai d’une philosophie religieuse a répété, sans les varier, les termes connus. […] Essai de Philosophie religieuse, par M. 

92. (1891) Esquisses contemporaines

Religieux, il l’était certes, profondément et sincèrement. […] Amiel meurt comme un stoïcien religieux. […] Mais, entre tous, les sujets religieux l’occupent et le captivent. […] La théologie de Vinet se lie intimement à sa vie religieuse dont elle suit les phases successives. […] Scherer n’est plus chrétien, mais il demeure religieux.

93. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance. »

Moi, je continue à professer le même culte pour les idées libérales, la même horreur pour les idées serviles, le même amour pour la liberté civile et religieuse, le même mépris et la même haine pour l’intolérance et la doctrine de l’obéissance passive. […] Dans une lettre à Channing, il analyse admirablement la disposition religieuse propre au XIXe siècle, en explique très-bien les origines, le point de départ, les fluctuations aussi ; « Les sentiments religieux, écrit-il (8 septembre 1831), ont été en progrès en France pendant le XIXe siècle, mais je ne sais si les efforts imprudents de ceux qui voudraient les ranimer ne les font pas, au contraire, reculer de nouveau aujourd’hui. […] C’est chez les femmes qu’on a vu renaître surtout le sentiment religieux ; mais leur influence s’est fait sentir sur la société tout entière. […] C’est là la France ; ce n’est nullement ni l’Italie, ni l’Espagne… » On ne saurait analyser plus finement les causes de la renaissance religieuse de 1800, ni mieux définir l’état des esprits vers 1831, état qui est encore à peu près le nôtre. […] En attendant, il assiste sans scrupule et avec édification aux assemblées religieuses, même en y portant toutes ses réserves et ses dissentiments secrets.

94. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre III. Des Livres nécessaires pour l’étude de l’Histoire sacrée & ecclésiastique. » pp. 32-86

Histoire des ordres Religieux et Militaires. […] Son ouvrage est intitulé : Histoire des Ordres Monastiques, Religieux & Militaires, & des Congrégations séculieres de l’un & de l’autre sexe, en 8. volumes in-4°. […] Nous n’avons aucun ouvrage dans notre langue qui s’étende autant sur les Ordres Religieux. […] On prétend que de savans Religieux de Paris travaillent à un ouvrage du même genre qui éclipsera celui du P. […] Vous saurez réduire à leur juste mesure les éloges excessifs que ces Panégyristes ont donnés à leur héros, sur-tout lorsque ce sont des Religieux qui ont écrit la vie de leur Fondateur.

95. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Μ. Ε. Renan » pp. 109-147

Pour dire simplement, comme tout le monde : l’instinct religieux des peuples, M.  […] Renan, quelques-uns de ceux qui l’avaient lu ont prétendu que l’auteur allait revenir aux idées religieuses avec lesquelles il a rompu. […] Ce qui importe, à moi, plus que ces détails, qui, d’ailleurs, passent trop vite sous nos yeux pour que nous puissions constater la valeur de chacun des grains de poussière qui composent cet incroyable tourbillon d’idées religieuses que l’avènement du Christianisme avait fait lever par toute la terre ; ce qui m’importe, à moi, c’est le nombre de ces idées religieuses ! […] Ce fut, en effet, un spectacle jusque-là inconnu à l’univers, que le bouillonnement religieux qui s’empara de l’esprit humain à cette époque de Marc-Aurèle, de ce benêt d’empereur dont le pédantisme optimiste de M.  […] Renan, Marc-Aurèle avait été un esprit religieux, il aurait eu l’initiative du temps qui devait suivre et il aurait ouvert son empire aux idées chrétiennes.

96. (1874) Premiers lundis. Tome I « Espoir et vœu du mouvement littéraire et poétique après la Révolution de 1830. »

Le talent se mettait au service de certaines idées religieuses ou philosophiques qui avaient besoin d’en combattre et d’en détruire d’autres. […] Tandis que la France, encore tout éperdue des secousses de sa Révolution religieuse et politique, s’occupait d’en développer ou d’en restreindre les conséquences, et, avant d’avoir recouvré son sang-froid, tâchait de faire la part des bienfaits et celle des erreurs ; tandis que, saisie d’une enivrante fièvre de combats, elle se précipitait à travers l’Europe et dépensait son surcroît d’énergie par des victoires, la révolution dans l’art se préparait au dedans, peu comprise, inaperçue ou moquée à l’origine, mais réelle, croissante, irrésistible. […] Les vagues émotions religieuses et les rêveries de cœur qu’ils savaient communiquer aux âmes, et qui étaient comme une maladie sociale de ces dernières années, leur conciliaient bien des suffrages de jeunes gens et de femmes que la couleur féodale ou monarchique, isolée du reste, n’aurait pu séduire. […] Qu’il y eût bien des inconvénients dans cette manière un peu absolue d’envisager et de pratiquer l’art, de l’isoler du monde, des passions politiques et religieuses contemporaines, de le faire, avant tout, impartial, amusant, coloré, industrieux ; qu’il y eût là dedans une extrême préoccupation individuelle, une prédilection trop amoureuse pour la forme, je n’essaierai pas de le nier, quoiqu’on ait exagéré beaucoup trop ces inconvénients. […] Les destinées presque infinies de la société régénérée, le tourment religieux et obscur qui l’agite, l’émancipation absolue à laquelle elle aspire, tout invite l’art à s’unir étroitement à elle, à la charmer durant le voyage, à la soutenir contre l’ennui en se faisant l’écho harmonieux, l’organe prophétique de ses sombres et douteuses pensées.

97. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XX. Opposition contre Jésus. »

Il s’en faut que la mauvaise direction religieuse représentée par le pharisaïsme régnât sans contrôle. Bien des hommes avant Jésus, ou de son temps, tels que Jésus, fils de Sirach, l’un des vrais ancêtres de Jésus de Nazareth, Gamaliel, Antigone de Soco, le doux et noble Hillel surtout, avaient enseigné des doctrines religieuses beaucoup plus élevées et déjà presque évangéliques. […] La tactique ordinaire des réformateurs qui apparaissent dans l’état religieux que nous venons de décrire, et qu’on peut appeler « formalisme traditionnel », est d’opposer le « texte » des livres sacrés aux « traditions. » Le zèle religieux est toujours novateur, même quand il prétend être conservateur au plus haut degré. […] Quand il dînait chez eux, il les scandalisait fort en ne s’astreignant pas aux ablutions d’usage. « Donnez l’aumône, disait-il, et tout pour vous deviendra pur 932. » Ce qui blessait au plus haut degré son tact délicat, c’était l’air d’assurance que les pharisiens portaient dans les choses religieuses, leur dévotion mesquine, qui aboutissait à une vaine recherche de préséances et de titres, nullement à l’amélioration des cœurs.

98. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Brispot »

L’abbé Brispot accompagne le texte concordé des Évangiles de commentaires, explications et notes, tirés des écrivains les plus illustres de l’Église dans l’ordre de la sainteté ou de la science, et c’est dans le choix de ces annotations, qui viennent ajouter leur lumière à celle du texte souvent d’une trop divine pureté pour tomber dans des yeux charnels sans les offenser, que l’abbé Brispot a montré les richesses d’une forte érudition religieuse et le tact supérieur qui sait s’en servir. […] Si le protestantisme iconoclaste a tué en Allemagne l’inspiration catholique, il a ébranché l’arbre même du génie national, intimement religieux ; mais ce qui est resté catholique dans cette terre prise sous les glaces de l’examen de Luther, n’a point perdu son flot pur de naïveté, si naturellement épanché. […] Et véritablement, dans un temps où l’archéologie religieuse est en honneur et refleurit de toutes parts, elles offriront plus d’intérêt peut-être aux esprits curieux des choses du passé que si elles avaient appartenu à une pensée contemporaine. […] Nous l’avons dit en commençant et nous le répétons en finissant ; car c’est l’idée qui doit incessamment planer sur tous les esprits religieux. […] Rien donc de meilleur, rien de plus approprié à l’état des choses, que de reprendre l’âme de l’homme par la base et de le conduire jusqu’au faîte, de recommencer son éducation religieuse en revenant à ces éléments sacrés qu’il a oubliés ou méconnus.

99. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VII. Mme de Gasparin »

Âme saine et vaillamment religieuse, elle cherche à exercer une influence meilleure que celle de l’art qui ne vise, lui, qu’à la beauté et à l’émotion, et cette influence, elle l’exerce, tout en produisant bien souvent l’émotion qu’elle ne cherche pas et en réalisant la beauté ! […] En parlant du livre qu’elle nous tend du fond de son voile, ce que nous aurions désiré, c’eût été de donner une idée, à peu près juste, de cette aimable femme qui quête aux cœurs au nom de sa foi ; de cette sirène religieuse pour le compte de Dieu ! […] (Voir le Ier volume des Œuvres et des Hommes, Philosophes et Écrivains religieux, Ire série.) […] Elle sait toucher aux cœurs brisés, Elle les brise même parfois, mais elle les guérit de leurs brisures en leur faisant partager ses religieuses espérances. […] Mais, je le dis bien plus haut après la lecture de ces Horizons célestes où l’amour déborde et submerge tout, la femme, la religieuse femme qui a écrit ceci, qu’a-t-elle qui la sépare de nous ?

100. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Innocent III et ses contemporains »

Le traducteur Saint-Chéron, ancien rédacteur de l’Univers religieux, n’exprime pas d’idée qui lui soit propre. […] Eh bien, malgré cela, où en est le mouvement religieux en Allemagne ? […] Mais depuis ce temps-là et l’ouverture du nouveau règne, qui n’a pu juger du peu d’influence qu’exercent les questions exclusivement religieuses sur les sentiments publics ? D’un autre côté, qui ne sait pas que l’esprit religieux, quand il est énergique, a pour conséquence et pour caractère d’appeler de grandes contradictions ? […] Il sait que la question vitale pour elle, la question qui la remue et qui l’enflamme, n’est pas religieuse.

101. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre X. »

Jamais cette poésie de l’hymne religieux ou de l’hymne guerrier, de l’adoration divine ou de l’ardeur patriotique, n’éclata dans des vers plus hardis, d’un tour plus extraordinaire et plus libre. […] Comment Platon, qui blâme dans le pathétique de la tragédie grecque une peinture de douleurs ou de crimes mauvaise pour les âmes, n’aurait-il pas eu quelque louange d’exception ou quelque regret marqué pour le poëte dont il aime d’ailleurs la gravité religieuse, et qu’il n’avait pas banni comme Homère de sa république idéale ? […] Si on songe, d’ailleurs, à cette orchestique, ou danse mêlée de chants, qui formait une des représentations de la scène antique, et si d’autre part on remarque, dans la liste non contestée des chants du poëte thébain, un ordre de poésies lié, sous le nom d’Hyporchèmes, aux danses religieuses et guerrières, on concevra sans peine que, dans la critique indigeste de Suidas, ce titre ait pu se confondre avec l’idée du drame orchestique, et que la mention en ait ainsi créé, par double emploi, un théâtre de Pindare dont l’antiquité n’avait pas ouï parler. […] Entre ces deux villes, Thespies et Tanagre, que visitait Pindare tout jeune, et dans les campagnes fertiles et boisées qui les séparaient, tout était parsemé d’autels, de statues des dieux et de symboles poétiques, depuis le souvenir du chantre religieux venu de Lydie, Olen, jusqu’à des vers d’Hésiode que, du temps de Pausanias, on lisait encore, à demi-effacés, sur des lames de plomb gardées dans un temple du village d’Ascra, au pied de la montagne des Muses. […] Le meilleur, c’est la richesse unie à la modération. » En dehors de cette poésie funeste à ses auteurs, bien d’autres formes restaient au génie de Pindare et se liaient à la pompe des rites religieux, à l’éducation belliqueuse des cités libres du Péloponèse, aux magnificences des rois de Sicile : Pindare les cultiva toutes, sans approcher du théâtre, cette couronne privilégiée d’Athènes.

102. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Réception à l’Académie Française »

Échappant au tourbillon du monde parisien, étranger à toute coterie, fidèle à ses mystérieuses pensées, mais les contenant pour la solitude, il observa un religieux silence, et laissa derrière lui s’apaiser le bruit de son passage et tomber cette écume que son esquif avait soulevée. […] Mais c’est quand M. de Lamartine, au terme de son discours, est venu à jeter un regard en arrière et autour de lui, quand il a porté sur le xviiie  siècle un jugement impartial et sévère, quand il s’est félicité de la régénération religieuse, politique et poétique de nos jours, qu’il appelle encore une époque de transition, et qu’il s’est écrié prophétiquement : « Heureux ceux qui viennent après nous ; car le siècle sera beau » ; — c’est alors que l’émotion et l’enthousiasme ont redoublé : « Le fleuve a franchi sa cataracte, a-t-il dit ; plus profond et plus large, il poursuit désormais son cours dans un lit tracé ; et, s’il est troublé encore, ce ne peut être que de son propre limon. » Puis il a insinué à l’Académie de ne pas se roidir contre ce mouvement du dehors, d’ouvrir la porte à toutes les illustrations véritables, sans acception de système, et de ne laisser aucun génie sur le seuil. […] Une poignée d’hommes médiocres ou usés, libéraux à ce qu’on dit, mais obéissant à un triste esprit de rancune littéraire ou philosophique, et s’accordant fort bien dans leurs petites haines avec leurs adversaires religieux et politiques, seraient à la veille de laisser encore une fois le génie sur le seuil, pour s’attacher à je ne sais quel candidat bénin et banal qui fait des visites depuis quinze ans18. […] Auteur dramatique, écrivain monarchique et religieux, l’un des fondateurs de la Société des Bonnes-Lettres, nommé de l’Académie française en 1817.

103. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Alaux. La Religion progressive » pp. 391-400

On ne trouve dans son livre que des esprits religieux plus ou moins révoltés. […] D’un autre côté, en tant qu’invention, que système religieux, — et un système religieux est loin d’être une religion encore, — la Religion progressive, — même à nos yeux, à nous, catholiques, qui, comme ce grand siècle marcheur, ne cherchons pas la vérité sur toutes les routes, parce que nous savons où elle se tient, immobile et rayonnante ! […] C’est un enfantillage de penser qu’en cessant d’être la religion qu’il fut toujours, le catholicisme sauvera le monde, qui ne croit plus au catholicisme et qui le repousse ; et c’est la contradiction la plus effroyable pour un philosophe qui devrait avoir l’habitude du raisonnement, que d’appeler une Religion progressive celle dont on a ôté le Dogme, c’est-à-dire la seule chose qui donne aux systèmes religieux, — qui, sans elle, ne seraient que des systèmes, — leur caractère sine quâ non de religion.

104. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre III : Examen de la doctrine de Tocqueville »

Le christianisme avait résolu la difficulté en transportant cette idée dans l’ordre religieux. Tous sont frères et égaux en Jésus-Christ, ce qui laisse ici-bas la porte ouverte à toutes les différences de condition ; mais lorsqu’on a transporté cette idée de l’ordre moral et religieux dans l’ordre social et politique, on a été bien embarrassé. […] Il y a une autre liberté, liée à la précédente, et qui sert également de frein à l’omnipotence démocratique : c’est la liberté religieuse. Il est juste de remarquer que c’est dans des sociétés démocratiques, en Hollande, en Amérique, que l’on a vu les premiers exemples de la liberté religieuse. […] Il nous reste, pour compléter cette étude, à interroger M. de Tocqueville sur ses doctrines philosophiques et religieuses.

105. (1803) Littérature et critique pp. 133-288

Il parle cependant avec la plus profonde vénération des sentiments religieux de Madame de La Fayette. […] Elle vante l’héroïsme des vieux âges, et même elle avoue l’utilité des institutions religieuses. […] Un sentiment religieux consacrait tout ce qui leur était cher. […] Les hommes du siècle étaient accourus sous ces voûtes religieuses. […] C’est que le sentiment religieux y domine davantage.

106. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine »

Au milieu d’une philosophie matérialiste envahissante et d’un christianisme de plus en plus appesanti, la quintessence religieuse s’était réfugiée en sa pensée comme en un vase symbolique, soustrait aux regards vulgaires. […] Ces deux derniers qui, sous l’appareil de la philanthropie ou de l’orthodoxie, couvraient des portions de tristesse chagrine et de préoccupation assez amère, dont il n’y a pas trace chez leur rivale expansive, avaient le mérite de sentir, de peindre bien autrement qu’elle cette nature solitaire qui, tant de fois, les avait consolés des hommes ; ils étaient vraiment religieux par là, tandis qu’elle, elle était plutôt religieuse en vertu de ses sympathies humaines. […] Lamartine, vers le même temps, aima et lut sans doute beaucoup le Génie du Christianisme, René : si sa simplicité, ses instincts de goût sans labeur ne s’accommodaient qu’imparfaitement de quelques traits de ces ouvrages, son éducation religieuse, non moins que son anxiété intérieure, le disposait à en saisir les beautés sans nombre. […] Consolante perspective, digne du poëte religieux qui veut allier l’enchaînement et l’essor, la soumission et la conquête, et qui conserve en son cœur le Dieu individuel, le Dieu fait homme, le Dieu nommé et prié dès l’enfance, sans rejeter pour cela le Dieu universel et presque sourd qui régénère l’humanité en masse par les épreuves nécessaires ! […] Lamartine est plus heureux que ces hommes, qui pourtant sont eux-mêmes de ceux qui espèrent ; il est plus complétement religieux qu’eux ; il croit aussi fermement aux fins générales de l’humanité, il croit en outre aux fins personnelles de chaque âme.

107. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Réception du père Lacordaire » pp. 122-129

C’était la première fois depuis la fondation qu’un membre du clergé régulier, un religieux, un moine, pour l’appeler par son nom, était appelé à siéger parmi les quarante. L’ancienne Académie française qui compta toujours un si grand nombre d’abbés, d’évêques, de cardinaux, la fleur du clergé séculier, n’aurait jamais songé à choisir un religieux proprement dit, un homme voué à la retraite, enchaîné par des vœux étroits, eut-il été un foudre d’éloquence. […] Ç’a été pour lui une occasion naturelle de rendre hommage à la civilisation moderne et à cette société française qui a du bon et qui n’est pas uniquement, comme on venait de le dire, « une statue de Nabuchodonosor ». — Il a parfaitement défini le genre d’éloquence mi-partie tribunitienne et religieuse du père Lacordaire, cette éloquence de laquelle M. de Lamennais disait, comme de celle de M. de Montalembert : « Ce sont là pourtant des œufs que nous avons couvés !  […] Guizot a su si bien choisir les termes de ses éloges qu’ils impliquent la critique et la leçon. — Il a maintenu, en présence du religieux catholique, l’autorité supérieure et souveraine de l’Évangile ; et comme s’il estimait, par là, avoir suffisamment assuré son drapeau, il a cru pouvoir aller plus loin que le récipiendaire qui s’était borné à faire allusion, en passant, à la question romaine. — Ici je demande la permission de ne pas insister.

108. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — II »

Pourquoi ne pas installer là tous ces rêves religieux qui satisferaient notre besoin de poésie, qui autoriseraient notre conception morale de la vie ? […] Se pénétrer du sentiment des nécessités qui nous plient et qui nous traînent, se persuader que toute la sagesse consiste à les comprendre ou à les accepter, c’est le stoïcisme des anciens, et voilà qui est pour moi de qualité religieuse.‌ […] Mes livres, qui sont écrits pour une minorité, n’enseignent rien que le déterminisme scientifique et la soumission d’un Marc-Aurèle ou d’un Spinoza ; mes obsèques religieuses, qui sont un argument mieux saisissable par la foule, contribueront à approcher mes contemporains de cette haute moralité. […] L’auteur des Origines de la France contemporaine est un logicien qui nous souhaite un bien religieux parce que l’anarchie et le manque de tradition sont le mal de notre pays depuis cent ans, et qui préfère le protestantisme au catholicisme par haine de la centralisation excessive et par respect de l’individu.‌

109. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 avril 1885. »

L’œuvre d’art, qui, par essence, doit servir à une fonction religieuse, devra donc, aussi, être l’agent d’une civilisation allemande. […] De même que dans le drame il voit, au-dessus de l’expression dramatique, le symbole religieux à interpréter, de même en Beethoven, il aperçoit, sans cesse plus clairement, l’interprète de l’intime vérité religieuse. […] L’utilité morale de l’art, son utilité religieuse, son utilité politique, sont la pensée constante de Wagner. […] Mais c’est à la musique seule qu’appartient, spécialement, le pouvoir de révéler le sens intime et philosophique des symboles religieux. […] L’ensemble de la création wagnérienne semble être tendue vers le caractère sublime et religieux de l’art dont la réalisation suprême est Parsifal.

110. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XI. MM. Mignet et Pichot. Charles Quint, son abdication, son séjour et sa mort au monastère de Yuste. — Charles V, chronique de sa vie intérieure dans le cloître de Yuste » pp. 267-281

L’esprit religieux, sacerdotal, armé de l’Espagne, qui sut, tant il était fort ! […] On a parlé enfin de sentiments religieux, mais pourquoi la Philosophie, qui a été logique, n’a-t-elle pas eu raison, et pourquoi Charles-Quint ne s’est-il pas réellement fait moine ? […] Si le politique Charles-Quint, mi-parti d’Autrichien, de Flamand, de Bourguignon, et dont le génie, mêlé au génie de plusieurs races, était écartelé comme son blason impérial, si ce Charles-Quint ne fut pas un moine et ne songea jamais à l’être, malgré la piété très profonde de toute sa vie, l’Espagne était, elle, qu’on nous passe le mot, une nation moine (una monja), et tellement moine d’éducation, d’habitude et de préjugés, que c’est à l’influence de cette nation cloîtrée dans des mœurs religieuses comme il n’en avait peut-être existé nulle part, que Charles-Quint dut ces impulsions monastiques dont la philosophie a été la dupe, et qui étaient parfaitement contraires à la nature positive et tout humaine de son génie. […] Elle avait enfin développé et fortifié cette conscience religieuse qui régnait en Espagne plus despotiquement que le Roi lui-même et qui l’envoyait, malgré sa toute-puissance et la révolte de la nature humaine dans son cœur, aux auto-da-fé de ce tribunal implacable, mais populaire, et le forçait d’y assister, lui, le Roi, comme un simple corrégidor, un simple alcade, — un simple bourreau ! […] Même après Yuste, ce sacrifice à l’opinion religieuse de l’Espagne, il ne fallut rien moins que l’Inquisition, c’est-à-dire l’Espagne tout entière sous sa forme la plus concentrée, pour rappeler les devoirs de la Majesté Catholique aux passions invétérées du vieil Empereur.

111. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Francis Wey »

La sœur Saint-Gatien, un peu plus âgée qu’elle et choisie, selon l’usage des couvents, pour offrir à Éliane, sous la forme d’une amitié sanctifiée, l’image de son auge gardien, le frère céleste qui doit veiller sur elle, la sœur Saint-Gatien est la voix de la vocation religieuse contre laquelle Christian rencontré a élevé la voix de l’amour. […] Eh bien, Wey nous présente aujourd’hui le même phénomène dans un autre type de jeune fille, bien autrement exquis et bien autrement difficile à peindre ; car à la difficulté de peindre la jeune fille s’ajoute la difficulté de peindre la jeune religieuse ! […] L’auteur a été délicieux dans ces lettres deux fois spirituelles (comme la vie religieuse et comme le monde), où le saint mépris de la contemplatrice tombe de si haut et avec une telle paix sur tous les prosaïsmes de l’existence et du mariage. On sent que pour résister à cette poignante et cruelle ironie de l’ange qui regarde la terre et lève les épaules sous ses ailes, — dernier mouvement de la femme que la religieuse n’ait pas réprimé, — il faut que Christian ait jeté dans l’âme troublée d’Éliane de bien brûlantes impressions. […] Le combat de la vocation religieuse contre la vocation de la mère de famille qui se révèle avec tant d’énergie dans la scène, au village, où Éliane est obligée, par les combinaisons du roman, à tenir un enfant dans ses bras, — scène magnifique, d’un contenu excessivement émouvant, et que Stendhal seul aurait pu écrire s’il avait été chrétien, — le triomphe enfin de la vocation de l’épouse, le discours de la mère Saint-Joseph qui clôt le roman dans une souveraineté de raison éclairée par la foi, et surtout, surtout, la réalité de la sœur Saint-Gatien, qui représente l’être surhumain, l’ange gardien d’Éliane, et qui s’en détache si humainement et si vite quand elle lui a préféré, pour s’appuyer, le cœur d’un homme, — trait cruel que Wey n’a pas manqué, — voilà les beautés de la troisième partie de ce livre, écrit avec une sûreté de main et une maturité de touche qui n’ont fait faute à l’auteur de Christian qu’une seule fois.

112. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 44-63

Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires par M.  […] Veuillot ne tarda pas à renoncer aux journaux du gouvernement à la tête desquels son talent, apprécié déjà, l’allait placer ; il entra dans les journaux religieux (1842) et bientôt devint à l’Univers le rédacteur principal et le seul en vue, le champion qui, pendant près de dix-huit ans, porta le poids des discussions, des attaques et des colères. Il avait publié auparavant ses impressions de voyageà Rome et en Italie, sous le titre de Rome et Lorette(il ya de belles choses), et, plus anciennement encore, unvoyage en Suisse (1839), ou plutôt les Pèlerinages de Suisse ; car tout prend un caractère religieux sous laplume de M.  […] Dans le discours sur leTravail littéraire, qui se lit àla fin de Rome et Lorette et qui est une espèce de discours académique de réception dans une société religieuse, M.  […] Est-il possible de venir interpréter publiquement au sens religieux strict et comme on le ferait entre soi, c’est-à-dire entre croyants, les événements de chaque matin, pluie, grêle, inondations, sinistres de tout genre, mort d’un adversaire, etc., sans appeler, par ces interprétations qui deviennent aussitôt téméraires, la colère ou les railleries de ceux qui ne pensent pas comme vous ?

113. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Préface »

Replacer les tragédies et les comédies grecques dans le milieu qui les a produites, éclaircir et élargir leur étude en l’étendant sur monde antique, par les aperçus qui s’y rattachent et les rapprochements qu’elle suggère, soulever le masque de chaque dieu et de chaque personnage entrant sur la scène pour décrire sa physionomie religieuse ou son caractère légendaire ; commenter les quatre grands poètes d’Athènes, non point seulement par la lettre, mais par l’esprit de leurs œuvres et par le génie de leur temps ; tel est le plan que je me suis tracé et que j’ai tâché de remplir. […] Les dieux reviennent presque à chaque page, dans ces études sur des drames qui étaient avant tout des fêtes religieuses. […] En France même, tous les historiens et tous les critiques des sciences religieuses l’ont généralement adoptée.

114. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Louis Veuillot »

Jamais conversion religieuse ne fut, dans ses mobiles profonds, plus pitoyable aux hommes, plus soucieuse des souffrants, plus « populaire ». […] Il parle sans embarras de ses pratiques religieuses, d’une messe qu’il a entendue, d’un chapelet qu’il a récité, d’une communion qu’il a faite. […] Tant il est vrai que notre société n’est plus chrétienne que d’étiquette, et tant l’éducation par les païens y pétrit le cerveau même de ceux qui sont préposés par état à la garde de la vérité religieuse ! […] Voilà mon sort fixé, je ne serai pas religieuse. […] Et j’aime les saints, les prêtres, les religieuses — non par une affectation de « largeur d’esprit » ou par une espèce de niaise et suffisante coquetterie morale.

115. (1890) L’avenir de la science « XI »

Fixée d’ordinaire dans une littérature antique, dépositaire des traditions religieuses et nationales, elle reste le partage des savants, la langue des choses de l’esprit, et il faut d’ordinaire des siècles avant que l’idiome moderne ose à son tour sortir de la vie vulgaire, pour se risquer dans l’ordre des choses intellectuelles. […] Chez les nations orientales par exemple, où le livre antique ne tarde jamais à devenir sacré, c’est toujours à la garde de cette langue savante, obscure, à peine connue, que sont confiés les dogmes religieux et la liturgie. […] C’est un fait encore que, chez les nations peu avancées, tout l’ordre intellectuel est confié à cette langue, et que, chez les peuples où une activité intellectuelle plus énergique s’est créé un nouvel instrument mieux adapté à ses besoins, la langue antique conserve un rôle grave et religieux, celui de faire l’éducation de la pensée et de l’initier aux choses de l’esprit. […] Le livre sacré pour les nations antiques était le dépositaire de tous les souvenirs nationaux ; chacun devait y recourir pour y trouver sa généalogie, la raison de tous les actes de la vie civile, politique, religieuse.

116. (1904) Le collier des jours. Souvenirs de ma vie

C’étaient deux religieuses qui revenaient encore, abritées sous des parapluies. […] Je me dirigeai, sans avoir l’air d’y penser, vers le jardin des religieuses. […] Une grosse religieuse, qui passait, en se hâtant, me prit par la main. […] Une des religieuses m’aperçut et, au lieu de me gronder, m’attira à elle et me poussa vers l’archevêque. […] On vit sortir des religieuses, qui couraient vers la chapelle en se bouchant les oreilles.

117. (1853) Histoire de la littérature française sous la Restauration. Tome I

C’est toujours le rationalisme d’abord religieux, ensuite philosophique, enfin politique. […] Mouvement des idées religieuses. — M.  […] Il y a ici une analogie entre la marche de l’enseignement religieux de M.  […] Le ciel l’emporta sur l’enfer, et il sortit de cette bibliothèque plus religieux qu’il n’y était entré. […] Toutes ses affections, toutes ses sympathies, sont du côté de l’école religieuse et monarchique.

118. (1930) Le roman français pp. 1-197

Toute cette société du Siècle de Louis XIV dévore les écrits des théologiens et des polémistes religieux. […] On peut croire à mon impartialité : je ne partage aucune de ses opinions politiques et religieuses, et il le sait. […] Elle y est la plus sainte des religieuses. […] La religieuse si attachée à ses devoirs, ne retrouve pas sa famille. […] René Bazin connaissait parfaitement l’ambiance religieuse, mystique, de certains milieux populaires lyonnais.

119. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. BALLANCHE. » pp. 1-51

Son imagination, d’abord nourrie de religieuses et sentimentales lectures, et tempérant Pascal par Fénelon et par Virgile, se plaisait aux fables grecques, au monde de Pythagore, d’Orphée et d’Homère. […] Le meurtre du duc d’Enghien avait tout à fait séparé ce jeune cœur religieux d’un pouvoir impudemment despotique, et, à partir de ce jour, il n’éprouva plus que le sentiment graduel d’une oppression croissante. […] La philosophie, qui en est simplement religieuse et chrétienne, n’a rien de cette nouveauté un peu étrange et de cette phraséologie essentielle à une doctrine, et que la poésie ne réclame pas. […] Ballanche ont fait le plus de chemin par le monde, et qu’elles ont remué le plus d’esprits religieux et penseurs dans la jeunesse. […] L’influence, du reste, n’alla pas au delà de cette espèce d’insufflation religieuse.

120. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Vie de Rancé »

Il n’est pas jusqu’à cette vogue religieuse du moment qui ne semble jusqu’à un certain point devoir se rapporter à lui : sans doute, en ce qu’elle aurait de tout à fait sérieux et de profond, lui-même il n’en accepterait pas l’honneur, et il l’attribuerait à une cause plus haute ; sans doute, en ce qu’elle offre d’excessif et de blessant, il aurait le droit d’en décliner la responsabilité, lui qui a surtout présenté la religion par ses aspects poétiques et aimables ; mais enfin il est impossible de ne pas remarquer que la vogue religieuse, dont le Génie du Christianisme fut le signal, est encore, après toutes sortes de retours, la même qui va accueillir la Vie de Rancé. […] Il avait trente et un ans (1657) ; jusqu’au jour où il prit l’habit religieux et entra au noviciat (juin 1633), six années s’écoulèrent, durant lesquelles son dessein grandit, se fortifia, et atteignit à la maturité. […] Les mauvais moines en vinrent à consentir à la retraite moyennant pension, et on introduisit en leur place six religieux de Perseigne. […] En des endroits, on voudra faire un peu de cour aux bénédictins, en d’autres aux jésuites, en d’autres aux religieux en général. […] Le danger n’est guère aujourd’hui, malgré la renaissance religieuse si exacte dont nous sommes témoins, qu’on tire Rancé à soi du côté des bénédictins, du bord des jansénistes ou de celui des molinistes.

121. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Ferdinand Fabre  »

Dès l’enfance on le prend, on l’isole du grand troupeau humain, on plie son corps et son âme aux pratiques religieuses. […] Certes, l’abbé Courbezon se dépouille souvent sans arrière-pensée, par le mouvement irrésistible de son grand cœur ; mais cependant c’est surtout de fondations religieuses qu’il rêve. […] Ainsi leur passion du pouvoir garde toujours un caractère religieux, car l’épiscopat est la plénitude du sacerdoce. […] Le libéralisme qu’il tient de ses origines le fait gallican et ennemi des ordres religieux. […] C’est, en somme, et si l’on va au fond, la morale naturelle opposée à la morale religieuse ; et la raison opposée à la foi.

122. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Merlin de Thionville et la Chartreuse du Val-Saint-Pierre. »

Merlin y raconte lui-même ses années d’études et de première jeunesse, son temps de séminaire et de noviciat ecclésiastique, ses velléités de vie religieuse et d’entrée au cloître, presque aussitôt dissipées et suivies d’une émancipation complète. […] Les nombreuses maisons religieuses des deux sexes n’observaient plus la règle et semblaient autant d’abbayes de Thélème. […] Moines et religieuses, hébergés par des curés grands chasseurs, dansaient et buvaient à l’envi. […] L’aile de droite était occupée par le religieux qui portait le titre de courrier, spécialement chargé de l’administration des forêts, de la vente des bois et de la rentrée des fonds dans la caisse du procureur. […] Ainsi, Merlin se voit initié de prime abord à l’autorité même, à la politique du cloître, et, pendant les dîners qu’il fait avec dom Effinger en tête-à-tête dans son appartement, il profite des conversations pleines de franchise du bon religieux, qu’il ne se lasse pas d’interroger.

123. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre V. Transition vers la littérature classique — Chapitre I. La littérature sous Henri IV »

Après le vigoureux élan des humanistes pour s’élever à la hauteur des œuvres anciennes, après les convulsions politiques et religieuses qui ont remué les âmes jusqu’au fond, la littérature, comme la France, se repose. […] L’édifice social, politique, religieux, moral est reconstruit ; chacun s’y loge à sa place pour travailler dans sa sphère. […] De la même source est sortie la tolérance religieuse. […] Un esprit sérieux, pratique, sensé, bourgeois, a pris possession de la littérature, et, comme dans l’ordre politique et religieux, il ne rêve plus de subversions ni de reconstructions totales. […] Dans la prose, deux grands genres se laissent discerner : le discours moral et l’éloquence religieuse.

124. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Monsieur de Bonald, (Article Bonald, dans Les Prophètes du passé, par M. Barbey d’Aurevilly, 1851.) » pp. 427-449

de société politique, et une, une seule constitution de société religieuse, la réunion et l’accord de l’une et de l’autre composant la vraie société civile. Cette unique constitution de société politique est la constitution royale pure ; cette unique constitution de société religieuse est la religion catholique : hors de là, point de salut, même ici-bas, et nulle stabilité. […] Il y a de la force, de la dignité, un sentiment profond, à la fois historique et religieux ; mais ce chapitre me paraît gâté encore et interrompu dans ce qu’il a de simple et de grave par des raisonnements de théoricien et d’homme de parti. […] Unis en 1802, compagnons d’armes dans le même combat, dans la même cause de la renaissance littéraire et religieuse, Chateaubriand salua du premier jour la Législation primitive dans deux articles de haute critique insérés au Mercure ; et on a vu comment Bonald, à cette époque, comparait la vérité glorifiée par Chateaubriand à une reine. […] Le nom et le personnage de M. de Bonald sont une de ces représentations les plus justes et les plus fidèles qu’on puisse trouver de l’ordre monarchique et religieux pris au sens le plus absolu ; il a été l’un des derniers sur la brèche et n’a pas cédé une ligne de terrain en théorie.

125. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIII. Premières tentatives sur Jérusalem. »

Le fanatisme y était extrême et les séditions religieuses très fréquentes. […] Toutes les discussions religieuses des écoles juives, tout l’enseignement canonique, les procès même et les causes civiles, toute l’activité de la nation, en un mot, était concentrée là 603. […] Cet air profane et distrait dans le maniement des choses saintes blessait le sentiment religieux de Jésus, parfois porté jusqu’au scrupule 609. […] Le haut sacerdoce de Jérusalem tenait, il est vrai, un rang fort élevé dans la nation ; mais il n’était nullement à la tête du mouvement religieux. […] La caste sacerdotale s’était séparée à tel point du sentiment national et de la grande direction religieuse qui entraînait le peuple, que le nom de « sadducéen » (sadoki), qui désigna d’abord simplement un membre de la famille sacerdotale de Sadok, était devenu synonyme de « matérialiste » et d’« épicurien. » Un élément plus mauvais encore était venu, depuis le règne d’Hérode le Grand, corrompre le haut sacerdoce.

126. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre I : Qu’est-ce qu’un fait social ? »

De même, les croyances et les pratiques de sa vie religieuse, le fidèle les a trouvées toutes faites en naissant ; si elles existaient avant lui, c’est qu’elles existent en dehors de lui. […] Elle leur convient ; car il est clair que, n’ayant pas l’individu pour substrat, ils ne peuvent en avoir d’autre que la société, soit la société politique dans son intégralité, soit quelqu’un des groupes partiels qu’elle renferme, confessions religieuses, écoles politiques, littéraires, corporations professionnelles, etc. […] Cependant, comme les exemples que nous venons le citer (règles juridiques, morales, dogmes religieux, systèmes financiers, etc.), consistent tous en croyances et en pratiques constituées, on pourrait, d’après ce qui précède, croire qu’il n’y a de fait social que là où il y a organisation définie. […] Or, ce que nous disons de ces explosions passagères s’applique identiquement à ces mouvements d’opinion, plus durables, qui se produisent sans cesse autour de nous, soit dans toute l’étendue de la société, soit dans des cercles plus restreints, sur les matières religieuses, politiques, littéraires, artistiques, etc. […] Telle est l’origine et la nature des règles juridiques, morales, des aphorismes et des dictons populaires, des articles de foi où les sectes religieuses ou politiques condensent leurs croyances, des codes de goût que dressent les écoles littéraires, etc.

127. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Gaston Boissier » pp. 33-50

Et c’est plus grave, cela, que de recevoir le Matérialisme dans son sein, sous la désagréable espèce de Littré… Permettre au croupion du Matérialisme de s’asseoir dans un des fauteuils où se sont assis des religieux, des prêtres et des évêques, méritait bien, certes ! […] Et, en effet, à dater d’Auguste, selon l’auteur de La Religion romaine, tout tournait au Christianisme, puisque tout tournait à la dévotion : — la religion, qui n’avait guères été jusque-là qu’une formule de droit religieux et une tradition patriotique, la philosophie, et même la rhétorique. […] « Mis en dehors d’elle, — dit-il, — ils n’en exerçaient pas moins dans l’ombre une grande action religieuse. […] Les femmes, qui expriment mieux que les hommes l’imagination religieuse d’une race, les femmes, « très pieuses à leurs dieux » dans cette époque de dévotion universelle, allaient à Isis et à Cybèle sans cesser d’aller à Junon et à Diane, comme, plus tard, elles devaient aller à Jésus… Seulement, il ne faut pas oublier de marquer ce que l’auteur de La Religion romaine oublie : c’est qu’une fois à Jésus, elles ne revenaient pas à Junon et à Diane, et que Junon et Diane ne leur avaient jamais fait faire ce que le Christianisme, qu’on veut diminuer en l’expliquant, leur fit faire, en raison de deux choses que ne connaissaient pas ces misérables religions anciennes : l’absolu de son dogme et le péremptoire de sa loi. […] Bien avant l’émancipation des esclaves par le Christianisme, la besogne avait été faite par les Sodalités religieuses et les Collèges pour les sépultures, où les esclaves, comme les riches, — l’égalité de l’écu déjà, — prenaient des actions pour les petites bouteilles qui devaient renfermer leurs cendres.

128. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Léon Gozlan » pp. 213-230

IV Trois sortes d’esprits règnent sur le monde, — aussi bien sur le monde de l’Action que sur le monde de la Pensée : l’esprit religieux, l’esprit social, l’esprit individuel, et jamais l’Histoire, qui les reconnaît tous les trois, n’a songé même à discuter leur hiérarchie. […] Il est évident, en effet, que, pour la Critique comme pour l’Histoire, les plus grands esprits sont ceux qui se rapprochent le plus de Dieu, idéal de toute intelligence, par conséquent qui conçoivent le mieux les choses religieuses, et qui ont par éclairs — puisque l’homme n’est qu’un fragment dans un monde fragmenté — l’intuition du Surnaturel et de ses nécessités, si mystérieusement impérieuses. […] Il réunissait l’esprit religieux, l’esprit social et l’esprit individuel, non dans une quantité égale, — il aurait été plus qu’un homme alors !  […] Il n’est ni religieux, ni moral, ni utilitaire même. […] Ceux qui ont vécu longtemps avec Gozlan prétendent qu’il n’avait pas que l’ignorance des choses religieuses, et qu’il en avait aussi le dédain.

129. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre ix »

Sur toute la profondeur des lignes, c’était la même activité religieuse, plus complète à mesure que le terrain se faisait plus calme. […] Au sortir de ces instants religieux, tous rompirent le pain ensemble. […] Au cours de cette nuit qui mérite de demeurer comme une cime dans l’histoire religieuse de l’humanité, l’âme déploya ses ailes au-dessus du corps sacrifié.

130. (1856) Cours familier de littérature. I « VIe entretien. Suite du poème et du drame de Sacountala » pp. 401-474

Une suite nombreuse de religieuses du monastère où elle était née, et de compagnes de son heureuse enfance, l’accompagnait à la cour. […] Les religieux qui l’accompagnent commencent à douter de sa sincérité, et menacent de l’abandonner à la merci du roi, qu’elle est venue affronter avec tant d’audace. […] Douchmanta , le contemplant avec une sorte de terreur religieuse. […] Un religieux. […] Les religieux célèbrent sa gloire.

131. (1839) Considérations sur Werther et en général sur la poésie de notre époque pp. 430-451

Où pourrait s’alimenter aujourd’hui l’art calme et religieux ? […] L’esprit de la Réforme du Seizième Siècle contenait deux tendance différentes, un esprit de liberté et d’examen, un esprit d’enthousiasme et de foi religieuse. […] Non, l’esprit de l’Allemagne, l’esprit religieux du Protestantisme, abandonné à lui-même, ne pourra conduire l’Humanité au but de ses destinées. […] Ne voyez-vous pas que le volcan n’a pas jeté toutes ses flammes, et que cette forme religieuse et sociale que le Christianisme protestant a revêtue doit disparaître à son tour ? […] Voilà comment il est immoral et impie aux yeux de beaucoup, moral et à un certain degré religieux aux nôtres.

132. (1835) Critique littéraire pp. 3-118

Mais, en même temps, je ne comprends pas du tout le roman religieux. […] Voulez-vous, en effet, que l’intérêt religieux domine l’intérêt mondain, votre roman est ennuyeux ; il n’est pas lisible. […] Ceux qui entreprennent contre le siècle une croisade religieuse sont assurément, et M.  […] C’est que nous ne connaissons qu’une règle, la règle religieuse ; qu’une morale, la morale religieuse. […] C’est ensuite une confusion de sectes religieuses à défier toute analyse.

133. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Eugène Talbot » pp. 315-326

Seulement, au lieu de trouver, sous ce style et cette langue, l’âme épicurienne, indolente et bavarde de Montaigne, nous y trouvons le génie religieux et candide, la bonhomie grandiose d’Hérodote, de ce gentilhomme grec, — comme dit Pierre Saliat dans sa dédicace au roi Henri II, — que je préfère, pour ma part, au gentilhomme périgourdin. III Car il est religieux, Hérodote, et c’est par ce trait qu’il est bon de finir la médaille que j’en risque aujourd’hui d’un burin si peu appuyé et si rapide. […] Ce caractère religieux a frappé Pierre Saliat, qui, ramenant tout à la préoccupation de son temps comme les vieux peintres au costume du leur, quels que soient les sujets qu’ils traitent, finit par appeler « chrétien » Hérodote, comme il rayait appelé « un gentilhomme grec ». « Une chose que je ne veux oublier, — dit-il en son style d’une senteur antique et exquise, — c’est que les vieux historiens (comme aussi les poètes)sont dignes véritablement d’être révérés et honorés, et principalement pour cette révérence qu’ils portent à leurs Dieux, quoique feints ils soient. […] Ce grand caractère religieux qu’a senti Saliat jusqu’à l’outrance, et qui plaisait dans Hérodote à Joseph de Maistre, ce caractère que n’aurait pas pu traduire Courier s’il avait continué sa traduction d’Hérodote, vibre au contraire dans toute sa portée en la traduction de Pierre Saliat, et ce n’est pas là une des moins fortes originalités de cette traduction, qui semblait perdue pour nous et que M. 

134. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « W.-H. Prescott » pp. 135-148

Et d’autant que Prescott est, au fond, un ennemi… S’il inclinait, je ne dis pas au Catholicisme, mais seulement aux choses religieuses ; s’il avait même seulement le respect de l’historien politique pour la politique catholique de l’Espagne, — une chose à compter, pourtant, dans l’Histoire !  […] Mais Prescott est absolument muet à l’endroit des croyances religieuses… Il ne parle pas, mais il n’a rien à dire là-dessus. […] C’est déjà beaucoup qu’avec son dédain philosophique des choses religieuses il en ait parié d’un ton si grave et qu’il les ait regardées d’un si sérieux regard. […] lui, Prescott, le protestant de vue et le nihiliste religieux d’opinion, convient, avec une bonne foi impartiale des plus élevées, que le Concile de Trente a beaucoup influé sur la moralité du clergé catholique, et que ce fut la vraie, la seule nécessaire Réformation… Ici, je défie de dire mieux.

135. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Barthélemy Saint-Hilaire »

Nonobstant la note très modeste que Barthélemy Saint-Hilaire a placée en tête de son ouvrage, pour nous apprendre que son livre avait paru par articles dans le Journal des Savants, au fur et à mesure que William Muir, Sprenger et Caussin de Perceval publiaient les leurs, je suis sûr qu’avec les habitudes de sa pensée, avec sa préoccupation si singulièrement philosophique et religieuse prouvée par la dissertation que je trouve, dans ce volume sur Mahomet, concernant les devoirs mutuels de la religion et de la philosophie, Barthélemy Saint-Hilaire, l’auteur déjà d’un livre sur Bouddha et sa religion, devait aller — de son chef — à cette grande figure de Mahomet, qui nous apparaît, en ce moment, comme une figure neuve en histoire, tant jusqu’ici elle avait été offusquée et enténébrée par l’ignorance, le parti pris et toutes les sottises, volontaires ou involontaires, des passions et du préjugé ! […] Bayle, le sceptique, avait été moins injuste, et Voltaire, plus tard, superficiel et détraqué, avait, dans son Essai sur les Mœurs, relevé son bonnet, tombé dans la titubante ivresse de la haine… Du reste, encore une chose à remarquer de la part de ces philosophes, qui ont été bien heureux que Molière eût inventé Tartufe pour avoir une injure à jeter à toute l’humanité religieuse ! […] Il y a, enfin, dans le Mahomet retrouvé d’aujourd’hui, un homme de génie qui croit à son génie, et ce génie, le plus grand de tous aux yeux d’un monde qu’il sauve, s’appelle le génie religieux. […] Il ne donne pas la raison psychique et physiologique qui explique la mysticité et tous ses effets dans les fortes organisations religieuses.

136. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Rivarol. » pp. 62-84

Necker avait publié en 1787 son livre sur l’Importance des idées religieuses. […] Je parle de Manette parce que c’est une manière discrète d’indiquer comment Rivarol n’avait point dans ses mœurs toute la gravité qui convient à ceux qui défendent si hautement les principes primordiaux de la société et le lien religieux des empires. […] Il considère la parole comme « la physique expérimentale de l’esprit », et il en prend occasion d’analyser l’esprit, l’entendement, et tout l’être humain dans ses éléments constitutifs et dans ses idées principales ; il le compare avec les animaux et marque les différences essentielles de nature : puis il se livre, en finissant, à des considérations éloquentes sur Dieu, sur les passions, sur la religion, sur la supériorité sociale des croyances religieuses comparativement à la philosophie. […] Il n’atteint pas à la philosophie religieuse de l’histoire. […] On croyait jusqu’alors que le mot de fanatisme ne s’appliquait qu’aux idées et aux croyances religieuses : il était réservé à la fin du xviiie  siècle de montrer qu’il ne s’appliquait pas moins à la philosophie, et il en est résulté aussitôt des effets monstrueux.

137. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Chateaubriand. Anniversaire du Génie du christianisme. » pp. 74-90

Chateaubriand, dans la première préface de son livre, touchait le point de sa conversion, car il n’avait pas toujours été religieux ; loin de là : lié avec les hommes de lettres de la fin du xviiie  siècle, Chamfort, Parny, Le Brun, Ginguené, il s’était montré à eux tel qu’il était, lorsque, disciple de Jean-Jacques, il allait étudier la nature humaine plus vraie, selon lui, et supérieure chez les sauvages d’Amérique, dans les forêts du Canada. […] Ce genre d’attaque, employé pour détruire l’effet d’un ouvrage religieux, est fort connu : il est donc probable que je n’y échapperai pas, moi surtout à qui l’on peut reprocher des erreurs. Mes sentiments religieux n’ont pas toujours été ce qu’ils sont aujourd’hui. […] On n’a pas eu la même susceptibilité pour ce qui touche Dieu et les idées religieuses : sur ces points l’opinion de Chateaubriand à cette date subsiste tout entière, inscrite de sa main en marge, dans des notes aggravantes et corroboratives du texte. […] Dans un cours que je faisais à Liège il y a six ans et dont M. de Chateaubriand et ses amis formaient le sujet principal, je disais quelques-unes de ces choses ; sur ce point en particulier qui tient à la production du Génie du christianisme, je concluais en des termes qui ont encore leur application et que je ne pourrais qu’affaiblir en essayant de les varier : Je ne crois pas me tromper, disais-je à mes auditeurs, en assurant que nous avons eu une satisfaction véritable à lire cette lettre de Chateaubriand à Fontanes, qui nous l’a montré sous l’empire d’une haute exaltation sensible et religieuse, au moment où il concevait le Génie du christianisme.

138. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — I » pp. 236-253

À cette date de 1588 où la Ligue faisait sa levée de boucliers, et où les dissensions religieuses et civiles recommençaient avec fureur, Charron cherchait-il simplement un abri, un lieu d’isolement et d’asile, même au prix de sa liberté extérieure, et en l’achetant par des austérités rigoureuses ? […] Tel est, le talent y aidant, le secret pour nous de sa puissance, de sa haute et religieuse beauté. Et comment voulez-vous que Charron, dans sa controverse chrétienne et dans les discours religieux qu’on a de lui, ait touché au vif la fibre humaine, lorsqu’au fond il a en tel mépris ceux qu’il appelle dogmatises et qui affirment, c’est-à-dire qui n’osent se maintenir dans cet état de balance parfaite où il place le bonheur et la sagesse ? […] Joubert) a dit, pour donner à entendre ce qu’il y a de divin dans le christianisme : « On ne peut ni parler contre le christianisme sans colère, ni parler de lui sans amour. » C’est cet amour qu’on ne rencontre point dans les écrits religieux de Charron. […] Au sortir des disputes et des guerres religieuses, Charron avait mille choses justes à dire, et dont la convenance était sentie par tous les hommes de bonne foi qu’un zèle extrême ne passionnait pas pour le parti contraire.

139. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Études de politique et de philosophie religieuse, par M. Adolphe Guéroult. »

Études de politique et de philosophie religieuse par M.  […] Vous riez de cette religion sous cloche ; mais, pour plus d’un esprit jusque-là fermé à cet ordre de vues et de perspectives, la démonstration de l’importance de la chose religieuse n’en était pas moins donnée. […] Littré dont les opinions philosophiques sont connues, et qui est un disciple de Condorcet autant que d’Auguste Comte, de rendre justice à son aise et en toute conscience, comme il le fait dans le Journal des Savants, aux travaux historiques de MM. de Montalembert et Albert de Broglie, traitant des vieux siècles religieux, si ce n’est en vertu de ce notable changement intellectuel qui vint affranchir l’ancien libéralisme de ses préjugés exclusifs, et qui éleva et étendit tous les points de vue ? […] Lisez dans ce volume qu’il vient de publier le beau chapitre sur la musique religieuse, qui remonte à 1832. […] sommes-nous en présence d’un dogme religieux, et pouvons-nous porter la main au nom révéré sans encourir le reproche de sacrilège ?

140. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre VI. Science, histoire, mémoires »

Dans cette Cité antique qui révèle la force des institutions religieuses parmi les sociétés antiques, je sens passer le même courant d’idées contemporaines que dans les études de Renan sur le christianisme ou de M.  […] L’idéalisme philosophique n’est pas à l’usage de-toutes les intelligences : l’idéalisme religieux est accessible aux plus humbles esprits. […] On a vu surtout, de son vivant, combien il menaçait l’Eglise : de jour en jour, on sentira davantage ce que le sens religieux, la tolérance et la paix lui doivent. […] Cependant, je saisis trois traces de son passage : c’est d’abord la curiosité si universellement éveillée sur les choses religieuses, le goût des artistes et du public pour les restitutions des plus singuliers effets de la foi, pour les analyses psychologiques de la sainteté ou de la dévotion. […] Pendant la publication de ces deux grands ouvrages : Questions contemporaines, 1868, in-8 ; Dialogues philosophiques, 1876, in-8 ; Nouvelles Études d’histoire religieuse, 1884, in-8 ; Mélanges d’histoire et de voyages, in-8, 1878 ; Drames philosophiques (Caliban, l’Eau de Jouvence, le Prêtre de Némi, l’Abbesse de Jouarre, 1878-1886), in-8 ; Conférences d’Angleterre, in-18, 1880 ; Souvenirs d’Enfance et de Jeunesse, in-8, 1883 ; Feuilles détachées, in-8, 1892 ; Discours et Conférences, in-8, 1887, etc. — A consulter : J.

141. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — I. » pp. 441-459

Sur les idées et les querelles religieuses, il y a des mots heureux : « Les vérités dogmatiques, dit-il, ont des bornes ; né libre et peut-être rebelle, l’esprit humain n’aime point à s’en prescrire. […] Le futur ministre des Cultes y développait par avance, avec une lucidité pénétrante, ses principes d’équité civile, de moralité domestique et de tolérance religieuse. […] Portalis disait en termes exprès : « Dans une vaste monarchie comme la France, dont le gouvernement est à la fois commerçant, religieux, militaire et civil, et qui est composée de divers peuples gouvernés par des coutumes différentes, il est impossible d’avoir un corps complet de législation. » Cette possibilité d’un Code uniforme, il en doutera encore longtemps, et même sous le Directoire ; il ne prévoyait pas la main énergique et héroïque, l’épée toute-puissante sous laquelle il travaillerait en paix, pendant le Consulat, en tête du groupe des Prudents. […] S’élevant aux vrais principes de la liberté religieuse, il fait voir qu’au point de vue politique, il est impossible de ne pas appliquer « à une religion connue, ancienne, longtemps dominante et même exclusivement autorisée, professée par les trois quarts des Français, les principes de tolérance et de liberté que la Constitution proclame pour tous les cultes : Voudrions-nous aujourd’hui, s’écrie-t-il, que l’intolérance philosophique remplaçât ce que nous appelons l’intolérance sacerdotale ? » Au point de vue politique toujours, il fait sentir les inconvénients d’un tel système pour le rôle de la France au-dehors et dans les relations internationales : Nos alliés, nos voisins, sont catholiques ou chrétiens ; chez les peuples modernes, la conformité des idées religieuses est devenue, entre les gouvernements et les individus, un grand moyen de rapprochement et de communication.

142. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « [Errata] — FAUTES A CORRIGER dans le premier Volume. »

 16, religieux, lis. religieuses.

143. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIe entretien. Biographie de Voltaire »

Cette époque fut la véritable crise de ses croyances religieuses, de ses opinions politiques et de son génie. […] Au printemps, il alla passer quelques mois dans l’abbaye de Senones, auprès du savant dom Calmet, religieux d’une érudition immense et indigeste, mais d’un caractère naïf et tolérant, qui plaisait beaucoup à Voltaire. […] Non, ses calomniateurs seuls ont cherché à déshonorer de ce nom ses doctrines ou plutôt ses négations de doctrines religieuses. […] … » Comment la calomnie de l’esprit de parti religieux a-t-elle pu taxer d’athéisme l’homme qui a senti, pensé et gravé de pareilles lignes sur la face du firmament ? […] Cette erreur incompréhensible dans la métaphysique religieuse de Voltaire est un vice de raisonnement ou un défaut de réflexion qui engendre en lui mille autres erreurs en physique.

144. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Mélanges de critique religieuse, par M. Edmond Scherer » pp. 53-66

Mélanges de critique religieuse, par M.  […] Le public sérieux, religieux, qui aime ces discussions et qui se prête au jargon d’école ou, si l’on aime mieux, à l’espèce d’annotation algébrique qu’elles supposent, les aurait bien su trouver. […] Au milieu de tout ce qu’elles renferment de gracieux, d’aimable, de tendre même au point de vue de la famille, il fait remarquer qu’on n’y rencontre jamais l’expression d’un sentiment religieux, pieux, jamais une larme de tendresse ou de tristesse, une parole d’humilité ou de compassion. […] Je dis cela, à quelque point de vue qu’on se place, soit religieux, soit philosophique. Au point de vue religieux et quand il s’y plaçait lui-même, son système du consentement universel donné comme base et mesure de l’orthodoxie était une invention insoutenable, tout au moins une innovation étrange ; et cependant il ne paraissait pas se douter qu’il y eût lieu seulement de la mettre en question, de la discuter.

145. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre I : Philosophie religieuse de M. Guizot »

Chapitre I : Philosophie religieuse de M.  […] L’un lui dicta ses mémoires, l’autre l’engagea dans la lutte religieuse, si ardente aujourd’hui, et où il s’est placé au premier rang. […] Tels sont les mérites du spiritualisme contemporain ; mais, forte dans la psychologie et dans la morale, cette école a été faible dans la théodicée, dans la métaphysique, dans la philosophie religieuse en général. […] Pour le positivisme, toute croyance religieuse et toute doctrine spiritualiste sont mises à l’écart comme hypothèses arbitraires et transitoires, qui ont pu servir au développement de l’humanité, mais que la raison humaine doit maintenant rejeter, comme on repousse du pied l’échelle à l’aide de laquelle on a atteint le sommet. […] Guizot, qui n’a pas craint de défendre en beaucoup de circonstances la cause de l’Église catholique, se croit aussi le droit de signaler dans la conduite de cette Église ce qu’il appelle « un certain manque de clairvoyance religieuse autant que de prudence politique », et il reconnaît que, « tant que le gouvernement de l’Église n’aura pas accepté et accompli cette œuvre de conciliation, les amis de la liberté auront sujet et raison de se tenir envers ce gouvernement dans une réserve vigilante, au nom des principes moraux et libéraux qu’il désavoue. » Cette défiance toutefois n’est autorisée qu’envers une seule Église.

146. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 218-219

Mais nous avons tant de Romans corrupteurs, plus mal écrits encore, qu’on ne sauroit trop applaudir cet estimable Religieux d’avoir consacré sa plume à des sujets qui ne peuvent qu’édifier le plus grand nombre des Lecteurs. On jugera toujours par ses Vies des Solitaires d’Orient, ses Lettres spirituelles, la Comédienne convertie, la parfaite Religieuse, la Vierge chrétienne, &c. en un mot par tous ses Ouvrages, qu’il eût été capable de donner plus d’exactitude & plus de perfection à son style, s’il se fût autant occupé de sa réputation littéraire, que du désir de faire servir sa pieuse industrie à inspirer l’horreur du vice, l’amour de la Religion & de la vertu.

147. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XIII. »

Plus quelques-uns de ses monuments poétiques avaient été liés à la liberté de ses villes, à leurs fêtes religieuses, à leur ancien héroïsme, plus ils restaient admirés, en paraissant désormais impossibles à imiter. […] À l’invocation du dieu, au récit savant, pour être plus religieux, de son antique légende, succède cette pensée que Jupiter est particulièrement le dieu des rois ; et de là, un tableau pompeux de la royauté même. […] Son temple devint la dernière citadelle du paganisme, et, selon l’expression d’un Romain du quatrième siècle147, le Capitole religieux de l’Orient. Mais, à part ces conséquences lointaines de la politique adoptée par les Ptolémées dans la fondation de leur éphémère empire, il faut reconnaître dans la science et l’esprit d’Alexandrie une autre influence religieuse que celle du polythéisme égyptien ou grec. […] De ces temples juifs multipliés dans la haute ville, où, dans l’office religieux des jours consacrés, les prières et sans doute les homélies à la foule étaient faites en langue grecque, rien ne dépassait-il l’enceinte du sanctuaire ?

148. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVI. Miracles. »

Jésus, pas plus que ses compatriotes, n’avait l’idée d’une science médicale rationnelle ; il croyait avec tout le monde que la guérison devait s’opérer par des pratiques religieuses, et une telle croyance était parfaitement conséquente. […] Si le thaumaturge eût effacé dans Jésus le moraliste et le réformateur religieux, il fût sorti de lui une école de théurgie, et non le christianisme. Le problème, d’ailleurs, se pose de la même manière pour tous les saints et les fondateurs religieux. […] Aussi l’exorciste et le thaumaturge sont tombés ; mais le réformateur religieux vivra éternellement.

149. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Mgr Rudesindo Salvado »

Mgr Rudesindo Salvado Mémoires historiques sur l’Australie, par Mgr Rudesindo Salvado, religieux bénédictin, évêque de Port-Victoria, traduits de l’italien en français, avec des notes et une histoire de la découverte de l’or, par l’abbé Falcimagne. […] Pour la première fois, il a pu reconnaître que les douze religieux de la Mission bénédictine avaient plus avancé en quatre années la fondation sociale de l’Australie, que lui-même, appuyé de son Église officielle, ne l’avait fait à partir de l’établissement de la colonie, c’est-à-dire en quarante-six ans. […] Seulement, sans rien préjuger sur la conclusion qui doit briller pour l’Angleterre à travers les faits que le livre de Mgr Salvado expose, est-il téméraire d’affirmer qu’indépendamment de l’état sans vie et sans réelle efficacité de ses missions protestantes, elle souffre au plus profond de son intérêt colonial, du principe religieux qu’elle représente et qu’elle s’efforce de propager ? […] Caractère physiologique de la race, croyances religieuses, lois, coutumes, mœurs domestiques, ornements et parures, ustensiles et armes, chasses, constructions, maladies, boglias (médecins), funérailles, tout, jusqu’à un lexique très bien fait de la langue de ces tribus sauvages, Mgr Salvado n’a rien oublié de ce qu’il a été à portée de bien voir et de recueillir.

150. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « L’Abbé *** »

Ce vieux cardinal, qui a menti soixante ans avec une tenue et une sérénité infinies, a flairé le prêtre du progrès dans Julio, et il lui remet en mourant le soin d’un testament religieux, qui n’est rien moins que la rétractation des doctrines religieuses sur lesquelles il a vécu toute sa vie et volé l’estime des honnêtes gens de son diocèse. […] Sur ces entrefaites, une mission faite par un capucin mystique auquel Julio, qui hait les ordres religieux et généralement toute espèce de moine, montre une blessante froideur, achève le mal commencé par la calomnie. […] En haut, n’avons-nous pas lu la Religieuse de Diderot, la Femme et le Prêtre de Michelet, le séminaire de Stendhal (dans le Rouge et le Noir), et les pamphlets de Courier sur le mariage des prêtres et les satyriasis qui les dévorent ?

151. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XII. »

Hymne religieux de Cléanthe. — Soumission et abaissement d’Athènes. — Les deux Démétrius. […] Ami des philosophes pythagoriciens et des arts de la Sicile, attiré par un despote corrompu à cette cour de Syracuse où, un siècle auparavant, Pindare avait été l’hôte favori d’un roi généreux, Platon aimait les hautes pensées et la majesté religieuse du grand lyrique thébain. […] Après cette amnistie personnelle au milieu d’une telle vengeance, Alexandre, qui dans sa fougue cruelle ne négligeait aucun prestige religieux, voulut emporter en Asie quelques-unes de ces réponses de Delphes jadis venues si à propos dans la guerre médique, et dont Pindare avait été l’inspirateur et l’écho. […] Elle se prostitua plus qu’elle ne se soumit à Démétrius Poliorcète, saluant l’entrée triomphale de ce nouveau maître par une servile cantate postérieure de quelques années à l’hymne religieux de Cléanthe.

152. (1884) Propos d’un entrepreneur de démolitions pp. -294

Il eut à fonder une presse religieuse et des moyens extraordinaires lui en furent donnés. […] Du plus profond de sa compacte ignorance religieuse, M.  […] Mais ils ont ceci de commun : le mépris de l’autorité religieuse et le besoin furieux d’être prophètes dans leur patrie. […] Elle a été prodigieusement absente et l’esprit religieux est resté au même vestiaire. […] C’est l’inétouffable, l’inextinguible sentiment religieux survivant à la notion même de tout symbole divin.

153. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 3. Causes générales de diversité littéraire. »

L’importance du premier dans la vie nationale est mal représentée par la place qu’il occupe dans la littérature française, quoiqu’il lui ait fourni plusieurs de ses chefs-d’œuvre les plus considérables, et certains genres même, qui n’ont pas d’analogie dans les littératures anciennes, comme l’éloquence religieuse. […] Le grand lien qui unit, le fort principe qui soutient malgré tout la société, jusqu’à l’âge moderne, la foi religieuse, provoque du xiie au xvie  siècle le riche épanouissement des compositions dramatiques. […] Enfin au xixe  siècle, après la reprise du sentiment religieux et du sens artistique qui produit l’explosion romantique, voici que jusqu’à une date très rapprochée de nous, l’esprit critique et expérimental devient le principal ressort de l’âme française, et se traduit littérairement par l’abondante floraison du roman et du théâtre réalistes, par l’étonnant développement de l’histoire et de la critique, par un effort enfin universel et sensible pour soumettre l’inspiration de l’écrivain aux lois de la méthode scientifique.

154. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XVIII. »

Elle n’avait plus de victime que la divine Eucharistie ; elle n’aurait plus permis, même à titre de symbole, ces danses réputées religieuses où se plaisaient des peuples sensuels et guerriers. […] Avec la liberté du christianisme devait s’accroître, non pas la poésie des âmes religieuses, mais celle du culte, la pompe et l’éclat du chœur, l’ordonnance des voix qui se distribuaient le chant des hymnes. […] ces refrains religieux de l’univers chrétien conservent un éclat, une force de beauté, dont semble parfois s’étonner la langue grecque, et qui lui vient comme une grâce nouvelle, étrange et un peu sauvage. […] Conduis-moi, aujourd’hui même, au but de ma route. » On le comprend, au reste : quelque belle que soit par moment cette poésie, les tons doivent en être peu variés ; la tristesse religieuse qui en est l’âme en fait l’uniformité. […] Ce caractère de dévouement intrépide, cette magnanimité religieuse, nous paraît dominer dans un hymne assez long, où le poëte de Cyrène reproduisait le mètre court et rapide de quelques anciens lyriques, de Stésichore et d’Alcée.

155. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIII. »

C’était là sans doute pour la poésie un arrêt fatal ; et, dans l’alternative du scepticisme ou du faux zèle, la licence hardie de l’abbé de Chaulieu devait parfois sembler plus lyrique peut-être que la pompe religieuse de Rousseau. […] Le vertueux évêque souffrait surtout, dans sa douloureuse indignation, à la vue des crimes religieux qu’il ne pouvait prévenir. […] Cette poésie eut deux formes : tantôt l’hymne religieux, tantôt l’ode descriptive et passionnée. L’hymne religieux peut naître dans tous les pays, et à ce titre la plupart des chants chrétiens d’Héber, inspirés par ses études, sa vocation simple, ses contemplations de la foi, avaient précédé son séjour dans l’Inde. […] Puisse, sous un autre ciel et parmi d’autres descendants de ses compatriotes, l’invocation religieuse de son nom adoucir un peu la rudesse de l’extrême démocratie !

156. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 165-166

du Pin, qui s’exprime ainsi au sujet de ce Savant : Il seroit difficile de louer ce Religieux, comme il le mérite ; la voix du Public & l’estime générale de tous les Savans font son éloge beaucoup mieux que tout ce que nous pourrions en dire. […] En effet, il paroît, par elles & par la raison même, que son adversaire confondoit trop la vie des Solitaires avec celle des Religieux.

157. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Argument » pp. 355-356

Ignorance de l’écriture ; caractère religieux des guerres et des jugements, asiles, etc. […] — C’est le résumé de tout le système, et son explication morale et religieuse.

158. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre X. Mme A. Craven »

Tant qu’il y aura des cœurs, et des cœurs religieux, on relira ce livre de Mme Augustus Craven, car tous les cœurs ne sont pas aptes à sentir et à goûter ce livre-là. […] Mme Craven — et ceci ne l’humiliera pas, avec sa noble admiration pour les siens — est d’accent religieux bien moins profonde, bien moins éloquente, bien moins pathétique que les êtres divins (on cherche un mot pour les nommer) dont elle écrit l’histoire. […] C’était un succès d’attendrissement humain et d’enthousiasme religieux ; et elle voulait un succès littéraire ! […] C’est religieux et mondain à la fois, mais dans la bonne mesure, et sans la plus petite découverte, dangereuse ou encourageante, soit dans le vice, soit dans la vertu.

159. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIe entretien. Phidias, par Louis de Ronchaud (2e partie) » pp. 241-331

De même que la sculpture est l’art individuel et philosophique, l’architecture est un art social et religieux. […] Enchaînée par le respect à la tradition religieuse, vouée à la tristesse par les mœurs et les usages de la vie égyptienne, elle demeure frappée d’immobilité comme l’esprit humain lui-même, pontife consacré du culte de la mort. […] Rien ne montre mieux, ce me semble, quelle distance sépare une civilisation toute matérielle de la civilisation véritable, et comme quoi le progrès de l’art se lie essentiellement à un développement religieux ou philosophique. […] L’art assyrien est libre dans son inexpérience ; il n’a rien de la roideur des formes imposées par une tradition religieuse : de là le charme qui perce à travers sa rudesse. […] Athènes, la plus religieuse des villes grecques, au rapport de Pausanias, la ville où le génie ionien s’épanouit dans toute sa beauté, l’œil de la Grèce, selon la poétique expression de Milton, Athènes fut surtout la ville des statues.

160. (1904) Zangwill pp. 7-90

Henry Honorat, des expressions qui me paraissent empreintes d’un respect vraiment religieux : « à Paris, devant sa table de travail », nous dit le journaliste, « au milieu de ses livres et de ses carnets, M.  […] Séailles sent beaucoup plus vivement que moi combien ces expressions sont inconvénientes ; pour moi elles me paraissent tout simplement insupportables ; libertaire impénitent, j’y trouve, j’y entends toute une résonance de respect religieux ; encore avons-nous pris un exemple minimum ; et dans cet exemple minimum, il y a des expressions désastreuses, comme une chaire trop haute, et d’où l’on descend ; évidemment le journaliste veut donner au Peuple l’idée que la chaire de M. Séailles en Sorbonne est surpopulaire, surhumaine, qu’il s’y passe des événements extraordinaires, et que, au fond, l’orateur y prononce des paroles surnaturelles ; quelle résonance n’aurions-nous pas obtenue si nous avions choisi un exemple maximum, et même des exemples communs ; les manifestations laïques ne sont-elles pas devenues des cérémonies toutes religieuses, des répliques, des imitations, des calques, des contrefaçons des cérémonies religieuses ; et pour la commémoration de Zola, pour l’anniversaire de sa mort, ne nous a-t-on pas fait une semaine sainte, une neuvaine ; sentiment religieux et naissance de la démagogie. […] La belle antiquité conçut avec raison l’immolation de l’animal destiné à être mangé comme un acte religieux. […] Ainsi les propositions de Taine ont l’air moins audacieuses que les propositions de Renan, parce qu’elles ne parlent point toujours de Dieu, parce qu’elles ne revêtent point un langage métaphysique et religieux, parce qu’il était malhabile, maladroit dans les conversations religieuses, grossier, inhabile à parler Dieu ; mais elles sont d’autant moins nuancées, d’autant moins modestes au contraire ; et en réalité elles impliquent une immédiate saisie de l’homme historien, moderne, sur la totalité de la création ; c’est parce que les propositions de Renan revêtent un langage surhumain qu’elles sont modestes, sincères, qu’elles ne nous trompent pas sur ce qu’elles contiennent ou veulent révéler de surhumanité ; et c’est parce que les propositions de Taine revêtent un simple langage professoral, modeste, qu’à son insu elles nous trompent et que, nous donnant le dernier mot de la pensée moderne en tout ce qui tient à l’histoire, elles nous dissimulent tout ce qu’elles contiennent et admettent de surhumanité.

161. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Gaston Paris et la poésie française au moyen âge »

Celui qui, par un motif patriotique, religieux et même moral, se permet dans les faits qu’il étudie, dans les conclusions qu’il tire, la plus petite dissimulation, l’altération la plus légère, n’est pas digne d’avoir sa place dans le grand laboratoire où la probité est un titre d’admission plus indispensable que l’habileté. […] Or ces deux sentiments, confiance ou soumission à l’ordre éternel des choses, ont assurément un caractère religieux. […] Et c’est pour cela que la passion scientifique a chez quelques savants la sérénité et l’énergie d’une foi religieuse et qu’ils apparaissent à la foule avec quelque chose de l’antique prestige des prêtres. […] Le chapitre sur la légende religieuse de l’Ange et l’Hermite est encore un modèle de clarté, de précision et de sagacité. […] Mais, de ce que cette irruption de l’antiquité a été, voilà trois siècles et demi, soudaine (autant que peuvent l’être ces choses), irrésistible et telle qu’elle a fait perdre à nos aïeux l’amour et presque le souvenir de leur passé, il s’ensuit qu’aujourd’hui, bien que plus éloignés de la foi religieuse du moyen âge que les hommes d’il y a trois cents ans, nous sommes cependant beaucoup plus capables de goûter et de comprendre son art et sa littérature et nous nous en sentons même beaucoup plus près.

162. (1899) Psychologie des titres (article de la Revue des Revues) pp. 595-606

Mais il est surtout un genre dans lequel cette fantaisie des titres s’était toujours un peu exercée et qui prit, avec la découverte de l’imprimerie, une extension énorme : je veux parler des écrits religieux. […] C’est ainsi que le Code religieux de ces peuples s’appela la Bible ou le Coran, c’est-à-dire le livre par excellence. […] D’ailleurs, vers la même époque, du genre mystique et religieux, cette habitude de prendre des titres allégoriques s’étendit, sans que cela parût le moins du monde ridicule, à des livres de toute espèce. […] De nos jours même, la littérature religieuse a gardé quelque chose de ses habitudes d’autrefois. […] L’architecture militaire après l’architecture religieuse.

163. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Les deux cathédrales »

La pensée religieuse de l’Europe s’épanouit au Moyen-âge dans une croyance. […] Se basant sur la quasi-subsistance de l’âme médiévale ou plutôt sur sa persistance à ne pas s’éteindre, Huysmans, à la fin du dix-neuvième siècle, considère la cathédrale comme l’expression toujours vivante et toujours adéquate de la pensée religieuse contemporaine. […] Entièrement dégagé de tout ressouvenir, de tout culte et de toute tradition religieuse, le peintre n’a considéré l’édifice que comme un fragment de nature, suivant la réalité, non suivant le dogme. […] L’auteur de la Cathédrale parle quelque part d’un religieux « qui, sortant de sa cellule, au mois de mai, se couvrait la tête de son capuchon pour ne pas voir la campagne et n’être pas ainsi empêché de regarder son âme. » L’erreur de M.  […] Et qui sait s’il n’est pas ainsi le précurseur de quelque renouveau religieux qui se prépare ?

164. (1936) Réflexions sur la littérature « 6. Cristallisations » pp. 60-71

.) — Joignez-y même (vous ne serez pas au bout, mais vous atteindrez au moins un chiffre consacré) comme une septième lignée la plus ancienne, la plus obscure, la moins écrite, et, dans les temps modernes, la source vraie des autres : tout l’ordre religieux qui cristallise dans l’église catholique autour de la confession auriculaire et qui pousse encore au XIXe siècle, de Lamennais à l’abbé Bremond, de vigoureux rameaux. […] Voyez-le, en bon fils du XVIIIe siècle, incapable de cristalliser sur le registre religieux, au point d’écrire des sottises comme celles-ci : " c’est uniquement pour ne pas être brûlée en l’autre monde dans une grande chaudière d’huile bouillante, que Mme De Tourvel résiste à Valmont. Je ne conçois pas comment l’idée d’être le rival d’une chaudière n’éloigne pas Valmont par le mépris. " Mme De Tourvel n’est nullement représentée comme une dévote stupide, et Stendhal paraît ignorer que la formation d’une conscience religieuse est une cristallisation très complexe et très admirable. […] Nous avons vu la cristallisation artistique s’accompagner chez Stendhal comme d’une rançon d’un refus très net de comprendre d’autres cristallisations, telle que la cristallisation religieuse. […] Il y a pourtant une cristallisation sociale comme il y a des cristallisations amoureuse, esthétique et religieuse.

165. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome II

En 1912, il l’inaugurait par une retraite religieuse où il recrutait 28 polytechniciens. […] Sur ces vingt-sept neveux ou nièces du Père Léonce, cinq prêtres, dont un missionnaire au Pérou, et quatre religieuses, achèvent d’attester l’intensité de vie religieuse dans ces foyers chrétiens. […] Son but, dit ce règlement, est avant tout moral et religieux. […] … » ; « Peut-on rester indifférent en face des problèmes religieux ? […] Ces peintures allégoriques sont encore traitées dans la manière religieuse.

166. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre II. Le théâtre du quinzième siècle (1450-1550) »

Ces mystères 150 sont la postérité lointaine du drame liturgique : ils retiennent de leur origine ce caractère, que les sujets en sont toujours, ou à peu près, religieux. Ils forment comme une sorte d’illustration populaire où toute la suite de l’histoire religieuse est figurée et découpée en scènes. […] Rarement, au xve  siècle, les auteurs de mystères sont sortis de l’histoire religieuse. […] Il se peut que, selon une hypothèse assez vraisemblable, ils représentent les célébrants de la fête des fous, quand cette joyeuse et insolente parodie des cérémonies religieuses fut bannie de l’Eglise. […] Les querelles religieuses du xvie  siècle, comme on peut penser, eurent leur écho au théâtre : sur 59 moralités que catalogue M. 

167. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre troisième »

Les exagérations de la lutte religieuse, l’intervention des princes, les complications de la politique, y mêlèrent beaucoup de choses auxquelles Luther n’avait point pensé tout d’abord. Mais ce premier principe demeure comme le fond de la réforme religieuse ; et quand on y regarde de près, on reconnaît dans toutes les institutions de détail du protestantisme cette mise en suspicion des œuvres. […] C’est aussi le livre qu’il a le plus profondément imprimé de son caractère, et qui porte le plus de marques de la suite de sa vie et des développements de son esprit ; c’est à la fois son système religieux, sa conduite et son portrait. […] Calvin y fit de nombreuses additions et ce qui n’avait été d’abord qu’un traité assez court, devint l’ouvrage le plus étendu qu’on eût publié sur les matières religieuses. […] Le calvinisme, schisme religieux., est, pour l’historien de la littérature française, un schisme littéraire.

168. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre III. »

À travers des obscurités que la science moderne n’éclaircit pas toujours, deux contrées de l’Orient, habitées de bonne heure par l’espèce humaine, semblent avoir de temps immémorial conçu et répété de tels accents religieux. […] Ce culte, ces chants religieux, marqués d’un caractère si particulièrement indigène, ont-ils dépassé leur berceau et de bonne heure éveillé la poésie chez d’autres peuples ? […] On sait quelle part la science historique et religieuse, et même la philologie du seizième et du dix-septième siècle, donnait au génie hébraïque dans la formation des peuples païens. […] » Ainsi chantant, la fête religieuse montait vers le nouveau tabernacle, sur la cime de Sion ; et, comme elle approchait, le peuple musical des lévites, divisé en deux chœurs, éclatait en ces accents : « Élevez vos fronts, ô Portes ! […] Demandons encore aux livres saints, même avant David, un exemple de cette poésie religieuse et populaire, animée des passions de l’Orient.

169. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre V. Jean-Jacques Rousseau »

Rousseau religieux et moral. […] Le protestantisme intime de Jean-Jacques s’affirme surtout dans sa philosophie morale et religieuse. […] Et voilà ce qui la différencie de la morale philosophique, ce qui lui donne un caractère hautement religieux. […] Dans la profondeur de son sens religieux, Rousseau a trouvé cette fois le sens psychologique, qu’il n’avait guère à l’ordinaire. […] Le réveil du sentiment religieux ne pouvait se faire qu’au profit d’une religion traditionnelle.

170. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre septième »

Pertes dans l’éloquence religieuse. — Les trois époques du sermon, et leurs représentants. — § I. […] Pertes dans l’éloquence religieuse. […] L’histoire de l’éloquence religieuse dans le sermon a trois époques, marquées par trois grands noms : Bossuet, Bourdaloue, Massillon. […] La morale est au premier, La dialectique, que Bourdaloue introduit dans la chaire, rend l’enseignement religieux plus accessible. […] Les querelles religieuses de la fin du siècle avaient lassé tout le monde.

171. (1856) Jonathan Swift, sa vie et ses œuvres pp. 5-62

Qu’importait aux yeux des hommes religieux de l’Église établie que Martin fût un peu moins ridicule que Pierre et que Jacques, lorsque les croyances communes de Pierre, de Jacques et de Martin étaient avilies sous les plus indignes images, lorsque leurs débats, où leur dignité commune était engagée, devenaient une comédie grossière, lorsqu’enfin le surnaturel, ce fond commun et indispensable de toutes les sectes religieuses, n’apparaissait plus dans leur histoire que sous la forme des inventions indescriptibles de Pierre et des repoussantes aberrations de Jacques. […] L’ensemble des œuvres religieuses de Swift, écrites aux époques les plus diverses de sa vie, confirme notre opinion sur le caractère exclusivement politique de son intervention constante en faveur de l’Église établie. […] Ôtez aux Whigs et aux Tories les dénominations politiques et religieuses, et l’orgueil, l’envie, l’avarice et l’ambition en fabriqueront d’autres. […] Enfin on prétend que cette abolition ferait disparaître les sectes religieuses, et unirait toutes les communions protestantes. […] C’est acheter la paix publique à bon marché que de laisser se déchirer, pour des rites religieux, des hommes qui autrement s’attaqueraient aux lois du pays.

172. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre I. Le broyeur de lin  (1876) »

Le broyeur de lin  (1876) I TRÉGUIER, ma ville natale, est un ancien monastère fondé, dans les dernières années du Ve siècle, par saint Tudwal ou Tual, un des chefs religieux de ces grandes émigrations qui portèrent dans la péninsule armoricaine le nom, la race et les institutions religieuses de l’île de Bretagne. […] Il fut le centre religieux de toute la partie de la péninsule qui s’avance vers le Nord. […] Ils avaient, si on peut s’exprimer ainsi, leur diocèse ; on ignorait complètement, dans ces contrées séparées du reste de la chrétienté, le pouvoir de Rome et les institutions religieuses qui régnaient dans le monde latin, en particulier dans les villes galio-romaines de Rennes et de Nantes, situées tout près de là. […] Les environs de la ville présentaient le même caractère religieux et idéal. […] À défaut du mariage, on eût dû la faire religieuse : la règle et les austérités l’eussent calmée, mais il est probable que le père n’était pas assez riche pour payer la dot et sa condition ne permettait pas de la faire sœur converse.

173. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres, publiées par M. de Falloux. »

On dira tout ce qu’on voudra de M. de Falloux comme homme de parti politique et religieux, mais il est de sa personne le plus gracieux des catholiques et le plus avenant des légitimistes : il semble né pour les fusions, pour les commissions mixtes, pour faire vivre ensemble à l’aise, dans le lien flexible de sa parole, un protestant et un jésuite, un universitaire et un ultramontain, un ligueur et un gallican. […] De bonne heure elle s’était dit : « Le Ciel, c’est aimer en paix » ; et elle brodait là-dessus ses variations de métaphysique religieuse :   «… Avez-vous, comme moi, disait-elle, l’idée la plusfaite pour adoucir celle de la mort ? […] c’est cinq minutes d’exaltation religieuse qui suffirent pour obtenir tous les sacrifices et pour donner au reste de ma vie la direction qu’elle a prise. […] Aucuns des grands sujets n’y sont interdits, mais la liberté sur tous est entière, car si une fois la conclusion était commandée, s’il y avait d’avance une orthodoxie politique ou religieuse, un Credo ou un veto, un nec plus ultra, c’en serait fait de la libre et charmante variété de la parole, qui va comme elle peut et qui trouve dans le feu de la contradiction ses plus vives saillies, son ivresse involontaire. […] Maintenant, il serait injuste de ne pas signaler, dans ce salon religieux de Mme Swetchine, un moment d’animation inaccoutumée et même d’éclat, qui tranche avec ce qu’il avait pu être auparavant.

174. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre premier. Astronomie et Mathématiques. »

Supposons qu’une pensée soit représentée par A et une autre par B : quelle prodigieuse différence n’y aurait-il pas entre l’homme qui développera ces deux pensées, dans leurs divers rapports moraux, politiques et religieux, et l’homme qui, la plume à la main, multipliera patiemment son A et son B en trouvant des combinaisons curieuses, mais sans avoir autre chose devant l’esprit que les propriétés de deux lettres stériles ? […] Donnez-lui d’abord des notions claires de ses devoirs moraux et religieux ; enseignez-lui les lettres humaines et divines : ensuite, quand vous aurez donné les soins nécessaires à l’éducation du cœur de votre élève, quand son cerveau sera suffisamment rempli d’objets de comparaison et de principes certains, mettez-y de l’ordre, si vous le voulez, avec la géométrie. […] S’il faut des magistrats, des ministres, des classes civiles et religieuses, que font à leur état les propriétés d’un cercle ou d’un triangle ? […] En général les géomètres inventeurs ont été religieux.

175. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre III. Besoin d’institutions nouvelles » pp. 67-85

Cependant l’arche d’alliance marche toujours devant le peuple : c’est le sentiment religieux, immortel comme nous ; c’est la certitude que Dieu ne cesse de veiller sur les destinées du genre humain. […] Les ordres religieux, pour, ne parler ici que des bienfaits incontestables dans toutes les opinions, avaient défriché les forêts des Gaules, et avaient défriché aussi les champs de l’érudition. […] Les ordres religieux ne nous imposaient donc plus que le poids de la reconnaissance, à nous, qui avons surtout horreur des services anciens. […] La société doit être mise de nouveau sous la protection des sentiments religieux, qui heureusement ont survécu, et qui doivent servir à rallier tous les sentiments sociaux.

176. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « L’Angleterre depuis l’avènement de Jacques II »

Elle était, avant tout, religieuse ; elle était protestante. […] Ils n’ont oublié qu’une chose, — la conscience religieuse, qu’ils eurent si forte, eux ! […] Il n’y a pas longtemps encore que l’effroyable et froide hypocrisie de Cromwell était passée en force de chose jugée historique, et Thomas Carlyle, qui n’a pas eu besoin de son génie pour cela, a démontré, preuves en main, que s’il fut jamais un homme convaincu de ses idées religieuses, un homme vrai, sincère et croyant, c’était ce vieux diable d’Olivier Cromwell ! […] Frappé dans sa dignité de roi par la croyance religieuse de son peuple, ennemie de la sienne, il aurait peut-être vaincu le préjugé populaire s’il avait été possible à un homme de vaincre une telle force.

177. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Michelet » pp. 259-274

Seulement, les siens n’étaient pas les nôtres… Il transposait la sainteté… L’héroïsme et le dévouement guerrier à la patrie, cette première des vertus naturelles, avait pris à Michelet tout ce qu’il avait d’enthousiaste et de religieux dans l’âme et tout ce qu’il aurait donné à nos Saints s’il les avait connus, et si l’esprit de parti n’avait pas lamentablement diminué en lui l’historien. C’est l’enthousiasme et un sentiment véritablement religieux pour quelques gloires pures que ne maculèrent jamais ni la boue ni le sang révolutionnaires, qui communiquent à son livre le charme d’un accent qu’on aime, parmi tant de choses qu’on n’aime pas. […] Bien avant ce livre, du reste, et avant moi, en 1862, un écrivain catholique, que les hommes du monde appelleraient « un voyant » en matière humaine et littéraire, et les esprits religieux « un mystique » de surnaturelle pénétration, Ernest Hello, avait montré, dans un très beau et très touchant travail de critique, que Michelet était chrétien dans la racine même de son être, et comment le christianisme naturel qu’il avait tout fait pour s’arracher de l’âme aurait, s’il l’y avait laissé, donné à son talent toute la beauté de sa destinée. […] Voir les Œuvres et les Hommes : IIe vol. : Les Historiens ; VIIe vol. : Sensations d’Histoire ; IXe vol. : Les Philosophes et les Écrivains religieux.

178. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXXI. Sainte Térèse »

On cherche en vain dans cette aristocratique religieuse agenouillée, sous ce visage, à l’ovale si pur, que l’austère et strict bandeau fait paraître plus pur encore, la Mystique dont l’âme, à force d’énergie, détruisit le corps, la paralytique aux os écrasés et aux nerfs tordus, cet amas sublime d’organes dissous sur lesquels flamboyait l’Extase, l’ombre de fille consumée qui vécut, deux trous ouverts au cœur, les deux trous par lesquels le glaive du Séraphin avait passé, et si physiquement et si réellement, qu’après sa mort, sur le cœur même, on put constater la blessure. […] C’est une Blanche de Castille au cloître, mais supérieure à la mère de saint Louis par cela seul qu’elle est restée vierge et n’en fut pas moins mère — la mère de tous ceux qu’elle enfanta à la vie religieuse et qu’elle éleva pour les cieux ! […] Alors apparaît et s’annonce cette grande conductrice d’âmes qui devait littéralement gouverner du fond de son monastère d’Avila tout un peuple de religieux et de religieuses et déployer dans celle conduite une prudence, une fermeté, une science des obstacles, et enfin un bon sens (ce bon sens, maître des affaires, a dit Bossuet) qu’aucun chef d’État n’eut peut-être au même degré que sainte Térèse, l’Extatique, la Sainte de l’Amour.

179. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « André Chénier »

Dans cette nouvelle édition, plus superstitieuse encore que religieuse en fait d’exactitude, on n’a pas uniquement ramassé tout ce qui est sorti de la plume du poète, mais même les choses raturées par sa plume. […] C’était un déiste du xviiie  siècle, d’un déisme invalidé de scepticisme et d’indifférence, mais quelle que fût la philosophie d’André Chénier, dans un temps où tout le monde se vantait d’être philosophe, il était encore assurément le meilleur d’un siècle si violemment hostile aux idées religieuses comme nous, chrétiens, les comprenons. Les sentiments religieux d’André s’attestent assez éloquemment dans ses Iambes pour faire taire tous les siffleurs de calomnie. […] III Ce sont ces Iambes, d’ailleurs, — précisément parce que le plus grand sentiment de l’âme humaine (le sentiment religieux) y vibre d’une étrange puissance, — que je regarde comme la plus belle partie des œuvres poétiques de Chénier.

180. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Agrippa d’Aubigné »

Le xviie  siècle, fils de Richelieu et de Malherbe, le siècle de la Règle en tout, et le xviiie , le siècle, en tout, du Dérèglement, ne pouvaient avoir de mémoire au service de ce protestant fanatique, qui, après la mort de Henri IV, ne s’était pas rendu et s’en était allé guerroyer en Suisse, chef d’opinion religieuse et tellement protestant qu’il n’en était même plus Français ! […] Il en a trois comme on en a une : il a une âme militaire, une âme religieuse, et une âme de poète. […] L’âme religieuse de cet homme triple atteignait au sublime d’une foi profonde, quoique erronée ; mais pour retomber bientôt de cette hauteur aux faiblesses, ou aux forces, de l’humanité : à l’amour toujours païen de la femme, — à cette époque plus païen que jamais, — aux fureurs sacrées, comme disent les poètes » de la Muse, aux sonnets ardents qu’à la cour, pendant les trêves de ces guerres protestantes, il jetait, comme des torches, dans l’escadron volant des filles de la reine, pour leur embraser les sens et les cœurs. […] il y a parfois dans ce rude et violent d’Aubigné, toujours superbe de jet infatigable, mais trop souvent un véritable vomitoire de déclamation bouillonnante, les simplicités religieuses, harmonieuses et apaisées d’un Lamartine.

181. (1890) L’avenir de la science « XX »

Groupant à part et comme en une gerbe inutile les soins religieux, nous faisons l’essentiel de la vie des intérêts vulgaires. […] Le grand malheur de la société contemporaine est que la culture intellectuelle n’y est point comprise comme une chose religieuse ; que la poésie, la science, la littérature y sont envisagées comme un art de luxe qui ne s’adresse guère qu’aux classes privilégiées de la fortune. […] « Nous saurons tout cela dans le paradis. » Réponse spirituelle que faisaient les religieuses hospitalières, un peu impatientées, à un toqué scientifique, qui, échoué dans un hospice, assommait, les pauvres filles qui le soignaient de ses élucubrations déplacées.

182. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé à Quimper »

Ce terrible problème religieux qui pèse comme un spectre sur la conscience du XIXe siècle, nous le résoudrions si nous étions seuls au monde. Nous sommes très religieux ; jamais nous n’admettrons qu’il n’y ait pas une loi de l’honnêteté, que la destinée de l’homme soit sans rapport avec l’idéal. […] Oui, si nous étions maîtres, nous résoudrions le problème de la liberté religieuse, que ne résoudront jamais ni les sectaires ni les irréligieux.

183. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Jean de Meun, et les femmes de la cour de Philippe-le-Bel. » pp. 95-104

Les religieux y sont aussi maltraités : Tel a robe religieuse ; Doncques il est religieux.

184. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre V. Que l’incrédulité est la principale cause de la décadence du goût et du génie. »

Les ouvrages de Racine, devenant toujours plus purs à mesure que l’auteur devient plus religieux, se terminent enfin à Athalie. […] Si l’homme religieux aime sa patrie, c’est que son esprit est simple, et que les sentiments naturels qui nous attachent aux champs de nos aïeux sont comme le fond et l’habitude de son cœur. […] Il résulte de nos observations que les écrivains du dix-huitième siècle doivent la plupart de leurs défauts à un système trompeur de philosophe, et qu’en étant plus religieux, ils eussent approché davantage de la perfection.

185. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxviie entretien. Un intérieur ou les pèlerines de Renève »

Deux femmes vêtues en religieuses s’en approchaient du côté opposé. […] Une religieuse était à la porte, elle nous conduisit au bout du jardin, à la chapelle funèbre où le sculpteur Adam Salomon était venu lui-même déposer sa statue, hommage d’une pure amitié ; c’est la mort devenue immortalité ! […] Les religieuses nous donnèrent pour guide une de leurs petites filles en lui disant de nous mener partout où vous aviez eu l’habitude d’aller vous-même vous asseoir dans la campagne. […] À notre retour au château nous trouvâmes le curé, homme de Dieu, et les deux religieuses qui nous prièrent d’accepter l’hospitalité dans le couvent et qui nous avaient préparé un frugal souper. […] Le déjeuner était frugal, l’entretien roula sur l’aimable empressement des paysans de Milly et des religieuses de Saint-Point, hélas !

186. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre III. Le Petit Séminaire Saint-Nicolas du Chardonnet (1880) »

Ainsi, au lendemain de la Révolution de 1830, l’éducation que je reçus fut celle qui se donnait, il y a deux cents ans, dans les sociétés religieuses les plus austères. […] Les idées religieuses du peuple n’avaient pas été atteintes ; les congrégations se reformaient : les religieuses des anciens ordres, devenues maîtresses d’école, donnaient aux femmes la même éducation qu’autrefois. […] Saint-Nicolas fut, durant le premier tiers du siècle, un obscur établissement religieux ; les études y étaient faibles ; le nombre des élèves restait fort au-dessous des besoins du diocèse. […] Nos lettres, selon l’usage des maisons religieuses, étaient lues par un des directeurs. […] Autant le sérieux de ma foi religieuse avait été atteint en trouvant sous les mêmes noms des choses si différentes, autant mon esprit but avidement le breuvage nouveau qui lui était offert.

187. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — IV. La Poësie dramatique. » pp. 354-420

Cette lettre est une réponse au poëte Boursault, qui eut du scrupule d’avoir travaillé pour le théâtre, & qui consulta ce religieux. […] Ce religieux en fait hautement l’apologie dans sa lettre. […] On a vu des religieuses, à Rome, exécuter elles-mêmes la pièce de George Dandin, en présence de beaucoup de gens qui en furent très-satisfaits. […] Aux lieux, pour qu’on ne fasse pas de nos églises des salles de spectacle, comme il n’arrive que trop souvent dans de certaines maisons de religieux, & de religieuses. […] Il discuta cette matière en théologien, & les deux religieux l’ont traitée en gens de lettres.

188. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre II. Vérification de la loi par l’examen de la littérature française » pp. 34-154

Que dans le domaine religieux le peuple ait subi jusqu’à un certain point la langue latine, de l’Église, cela est vraisemblable ; mais il ne faudrait rien exagérer ; les textes nommés ci-dessus prouvent la coexistence d’une poésie romane ; les soins des clercs nous ont conservé ces quelques textes, parce qu’ils sont de nature religieuse ; mais la poésie profane ? […] Les faits que nous connaissons de l’histoire politique, sociale et religieuse, sont souvent difficiles à interpréter, d’abord à cause de leurs propres lacunes, et ensuite parce que notre information est d’origine presque exclusivement cléricale. […] Il y a eu là toute une floraison de lyrisme religieux (prières, louanges, légendes), dont nous n’avons pas les textes (du moins sous leur forme primitive) mais qu’on ne saurait mettre en doute. […] La sotie et la moralité sont du théâtre laïque, moralisateur, satirique, politique ; le même esprit se retrouve jusque dans le théâtre religieux, où nous voyons trop exclusivement l’élément clérical. […] Tout ce théâtre, religieux ou laïque, sérieux ou comique, souffre d’un défaut : il est sans art !

189. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Lahor, Jean = Cazalis, Henri (1840-1909) »

. — Les Grands Poèmes religieux et philosophiques (1888). — Les Quatrains d’Al-Ghazali (1896). — La Gloire du Néant (1896). — Poésies (1897). — William Morris, étude (1897). […] Un goût souverain de l’art, un amour à la fois religieux et mélancolique de la beauté, une sorte de mysticisme nihiliste, de désenchantement enthousiaste et comme un vertige de mystère, donnent à sa poésie un charme composite, inquiétant et pénétrant comme celui des tableaux de Burne-Jones et de la musique tzigane, des romans de Tolstoï et des lieds de Heine.

190. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Histoire littéraire de la France. Ouvrage commencé par les Bénédictins et continué par des membres de l’Institut. (Tome XII, 1853.) » pp. 273-290

Il fut entrepris par des religieux bénédictins de la congrégation de Saint-Maur, ainsi que le titre le porte, mais plus véritablement par un seul bénédictin, dont l’humilité se dérobait sous le nom commun de l’ordre, par dom Rivet. […] Sa mère veuve s’opposait à son dessein ; il combattit contre sa tendresse durant deux années, et put enfin prendre l’habit religieux à Marmoutier, à l’âge de vingt et un ans ; il fit profession l’année suivante. […] Par malheur, dom Rivet avait pris parti dans les querelles ecclésiastiques du temps, comme un jeune religieux ardent, généreux, qui penche du côté des idées qu’il croit les plus chrétiennes et qu’il voit persécutées. […] Durant les années de sa retraite au Mans, le docte religieux avait successivement publié les huit premiers volumes de son Histoire littéraire de la France (1733-1748) : le 9e, qui était de lui encore, ne parut qu’après sa mort, en 1750. […] Il sentit donc, sans être très avancé en âge, les premières atteintes du mal qui devait l’emporter : « Un gros rhume dont il fut attaqué vers la fin de l’année 1748, nous dit son biographe, le força de prendre une chambre à feu : c’est le seul adoucissement qu’il se permît. » Ainsi, jusque-là, il avait vécu, travaillé, étudié, comme le moins délicat de nous ne consentirait pas à vivre, même un seul hiver. — Sachons-le bien, quand l’encre venait à geler dans une de ces froides bibliothèques de bénédictins, le savant religieux était obligé, pour s’en servir, de l’aller faire dégeler un moment au feu de l’infirmerie ou de la cuisine.

191. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

Ses idées religieuses se réveillèrent, mais supérieures, épurées et transfigurées par la méditation et la souffrance. […] Jeté à vingt ans, seul, sans appui et sans guide, dans la société la plus remuante, la plus passionnée et la plus corrompue de l’Europe, j’ai partagé ses égarements ; mes yeux se sont éblouis à ses fausses lumières, et mon cœur s’est laissé séduire à ses sophismes religieux. […] L’éducation de l’homme ne se fait pas au collège ni par les livres de morale ; quand elle ne s’est pas accomplie sous l’influence permanente et décisive du principe religieux, elle se fait par la souffrance. […] Quand la cloche sonna l’office de minuit, il descendit à la chapelle, prit part aux prières des religieux, s’agenouilla comme eux, s’humilia comme eux et espéra : il date de là l’instant vrai de sa renaissance. […] Il avait retrouvé une sœur d’une nature pareille à la sienne, mais plus forte et mieux conservée, une sœur à la Pascal, si l’on peut dire, supérieure et fondatrice d’établissements religieux, une personne des plus considérées dans son Ordre ; il lui adressa ses plus doux et ses plus intimes épanchements.

192. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VIII. De l’invasion des peuples du Nord, de l’établissement de la religion chrétienne, et de la renaissance des lettres » pp. 188-214

Je crois de plus que les méditations religieuses du christianisme, à quelque objet qu’elles aient été appliquées, ont développé les facultés de l’esprit pour les sciences, la métaphysique et la morale. […] Les erreurs du fanatisme pervertirent souvent ces principes ; mais des hommes, jadis indomptables, reconnurent cependant une puissance au-dessus d’eux, des devoirs pour lois, des terreurs religieuses pour frein. […] Les macérations, les austérités furent promptement adoptées par une nation que la satiété même des voluptés jetait dans l’exagération des observances religieuses. […] Dans les siècles corrompus de l’empire romain, la licence la plus effrénée avait arraché les femmes à la servitude par la dégradation ; mais c’est le christianisme qui, du moins dans les rapports moraux et religieux, leur a accordé l’égalité. […] La chevalerie était nécessaire pour adoucir la férocité militaire par le culte des femmes et l’esprit religieux ; mais la chevalerie, comme un ordre, comme une secte, comme tout ce qui sépare les hommes au lieu de les réunir, dut être considérée comme un mal funeste, dès qu’elle cessa d’être un remède indispensable.

193. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre X. De la littérature italienne et espagnole » pp. 228-255

La protection des princes d’Italie a donc beaucoup contribué à la renaissance des lettres ; mais elle a dû mettre obstacle aux lumières de la philosophie ; et ces obstacles auraient subsisté, lors même que la superstition religieuse n’aurait pas altéré de plusieurs manières la recherche de la vérité. […] J’appelle philosophie, l’investigation du principe de toutes les institutions politiques et religieuses, l’analyse des caractères et des événements historiques, enfin l’étude du cœur humain, et des droits naturels de l’homme. […] Le fanatisme religieux est ennemi des sciences et des arts, aussi bien que de la philosophie ; mais la royauté absolue ou l’aristocratie féodale protègent souvent les sciences et les arts, et ne haïssent que l’indépendance philosophique. […] Des idées religieuses positives, soit chez les Mahométans, soit chez les Juifs, soutiennent et dirigent dans l’Orient les affections de l’âme. […] D’abord les images qui conviennent au climat du Midi, diffèrent entièrement de celles qu’inspire le climat du Nord, et, en second lieu, l’imagination religieuse des Juifs n’a pas le moindre rapport avec celle qui anime encore les descendants des poètes scandinaves et des bardes écossais.

194. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « La Religieuse de Toulouse, par M. Jules Janin. (2 vol. in-8º.) » pp. 103-120

La Religieuse de Toulouse, par M.  […] Ce que la fondatrice voulait établir, ce n’était pas un ordre religieux ni un cloître austère ; c’était quelque chose d’intermédiaire entre la retraite et le monde, un asile en faveur des filles qui n’auraient point de vocation pour le mariage ni pour le couvent proprement dit, et qui voudraient concilier l’éloignement du siècle avec une vie exempte de clôture et affranchie de la solennité des vœux. […] Les habits étaient simples, mais non uniformes : « On pourra indifféremment choisir du noir, du gris, du blanc, du feuille-morte ou autre couleur obscure, pour le choix de laquelle on prendra l’avis de la Supérieure, qui réglera toutes ces choses, ayant égard à l’âge, à la condition des esprits, et à la qualité des personnes. » Et pour la forme tant du linge que des habits, il semblait que, sans être tout à fait des religieuses, les Filles de l’Enfance eussent déjà pour règle le code mignon de Gresset : Il est aussi des modes pour le voile ; Il est un art de donner d’heureux tours À l’étamine, à la plus simple toile. […] Les religieux, et particulièrement les Jésuites, qui se voyaient exclus de la direction de cet établissement, et qui n’y avaient aucun accès, essayèrent de le ruiner à diverses reprises. […] Là, détenue comme en prison au couvent des Religieuses hospitalières, elle n’en sortit plus, et mourut seulement en 1703 ou 1704.

195. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Seconde partie. Nouvelles preuves que la société a été imposée à l’homme » pp. 243-267

Harington l’avait auparavant défini un animal religieux. […] Enfin il ne trouve que là les douceurs de l’étude, le goût pour les sciences, les pensées généreuses, les sentiments élevés, la gloire, noble et immense instinct de l’immortalité ; car l’immortalité elle-même n’est qu’au sein de la société, comme la société seule est conservatrice des traditions religieuses. […] Ai-je besoin d’avertir que je n’entends point toucher à l’exaltation du sentiment religieux qui pousse certains hommes dans la solitude des cloîtres ? […] Elles produisent une sorte de sentiment religieux, parce que alors les familles s’avançant au lieu des individus, il en résulte dans l’individu un affaiblissement de l’égoïsme, source de toutes nos misères, de nos ambitions hâtives et désordonnées. […] L’ère nouvelle n’est donc point, comme on l’a cru, celle de la liberté civile, ni même celle de l’égalité devant la loi, et de l’admissibilité de tous à tous les emplois : c’est l’ère de l’indépendance et de l’énergie de la pensée ; celle des lois écrites substituées aux lois traditionnelles ; celle des institutions sociales et des institutions religieuses marchant sur deux lignes séparées ; celle du bien-être social appliqué à toutes les classes ; celle de la raison humaine devenue adulte, et s’ingérant de décider par sa propre autorité ; celle de la démonstration rigoureuse, qui repousse les axiomes en géométrie et les préjugés en politique ; celle du discrédit des faits antérieurs pris comme base convenue et incontestable ; celle de l’opinion consultée à chaque instant, et à part même de toute conjoncture nouvelle.

196. (1927) Des romantiques à nous

Cette contradiction, il ne l’a pas manifestée dans le domaine religieux. […] Ils se fussent gardés de leur demander des manifestes sur les questions religieuses et politiques qui pouvaient préoccuper les esprits. […] Il vise une sorte de fatalité triste, inhérente à la phase critique où l’humanité se trouve de son développement religieux. […] Encore ne veux-je pas dire qu’une élite tout à fait dépourvue de sentiment religieux ne le fût point par là même de quelque chose d’humain. […] Et non moins celles de la fidélité du peuple à son tsar ou de la piété religieuse.

197. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Chants du crépuscule » (1835) »

De là, dans ce livre, ces cris d’espoir mêlés d’hésitation, ces chants d’amour coupés de plaintes, cette sérénité pénétrée de tristesse, ces abattements qui se réjouissent tout à coup, ces défaillances relevées soudain, cette tranquillité qui souffre, ces troubles intérieurs qui remuent à peine la surface du vers au dehors, ces tumultes politiques contemplés avec calme, ces retours religieux de la place publique à la famille, cette crainte que tout n’aille s’obscurcissant, et par moments cette foi joyeuse et bruyante à l’épanouissement possible de l’humanité. Dans ce livre, bien petit cependant en présence d’objets si grands, il y a tous les contraires, le doute et le dogme, le jour et la nuit, le coin sombre et le point lumineux, comme dans tout ce que nous voyons, comme dans tout ce que nous pensons en ce siècle ; comme dans nos théories politiques, comme dans nos opinions religieuses, comme dans notre existence domestique ; comme dans l’histoire qu’on nous fait, comme dans la vie que nous nous faisons.

198. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — II. (Fin.) » pp. 257-278

On peut remarquer dans ces écrits de Saint-Martin sur la Révolution française deux portions distinctes : l’une qui est de la plus belle et de la plus incontestable philosophie religieuse (du moment qu’on admet les données d’une telle philosophie) ; l’autre qui est particulière, mystique et systématique, et toute personnelle à l’auteur. Lorsque Saint-Martin croit que les vérités religieuses n’ont qu’à gagner à la grande épreuve que la société française traversait au moment où il écrit, il est dans le vrai de sa haute doctrine. […] Il voit dans la Révolution française une sorte de Jugement dernier qui doit hâter cette sorte de restauration religieuse et de théocratie libérale, qu’il appelle, qu’il ne définit pas, mais qui sera le triomphe plus ou moins complet de sa doctrine secrète. […] L’utilité de Saint-Martin était toute dans la conversation intime, dans la discussion fine des questions religieuses et morales qui s’agitaient alors. […] Saint-Martin se séparait profondément de Bernardin de Saint-Pierre en ce que, religieux comme lui, il croyait de plus à la chute, à une nature gâtée et corrompue et portant l’empreinte du mal ; il croyait en un mot que, dans l’univers tel qu’il est, il y a et il y aura toujours quantités de désharmonies, jusqu’à ce que le maître, le divin réparateur vienne remonter la lyre et en rajuster les cordes sacrées

199. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VIII. L’antinomie économique » pp. 159-192

La même raison psychologique explique peut-être encore ce fait que les divergences d’opinion en matière économique n’émeuvent pas autant les âmes et ne divisent pas aussi profondément les hommes que les querelles religieuses ou morales. […] En général une innovation économique ne suscite pas les mêmes résistances, ni les mêmes indignations qu’une innovation philosophique, religieuse ou morale. […] Ajoutons que dans une société, les intérêts économiques peuvent se dissocier jusqu’à un certain point des intérêts religieux, éthiques, politiques même. […] De même les socialistes d’aujourd’hui mettent à part l’organisation économique d’un côté et de l’autre côté les croyances religieuses et morales, ces dernières considérées comme « choses privées ». […] On fera comparaître un inventeur devant un aréopage de socialistes pour savoir si on peut lui permettre de produire son invention, comme autrefois on faisait comparaître un novateur religieux devant un aréopage de théologiens.

200. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « X. M. Nettement » pp. 239-265

Sa conscience lui a porté bonheur, et ses principes religieux, cette lampe éternellement allumée au fond de nos âmes, ont donné à sa pensée la lumière et la flamme que naturellement elle n’avait pas. […] En face de toute cette argile de Voltaire, l’homme religieux, en M.  […] Le sentiment moral, prenant sa source dans la vérité religieuse, équivaut à des facultés. […] Si le premier de ces ouvrages ne révélait, comme on l’a vu, aucune qualité forte et personnelle, telle qu’elle était, cependant, il avait été écrit sous l’influence de ces principes religieux qui importent plus, que l’originalité littéraire, et qui, si rare qu’elle soit dans notre temps, sont plus rares qu’elle. […] Travail nécessaire, qui aurait été curieux, attendu que, jusqu’ici, il n’a été fait encore par personne appartenant à l’opinion religieuse de M. 

201. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Harmonies poétiques et religieuses — I »

Mais si l’on veut trouver le sentiment chrétien avec ses espérances, ses besoins, ses angoisses intimes, tel qu’il agite et ronge en ce moment bien des âmes, c’est à d’autres pièces qu’il faut s’adresser, véritables méditations de métaphysique religieuse, où le poète, seul avec lui-même, cherche, interroge, doute, passe de la défaillance à l’espoir, et le plus souvent, dès qu’il a entrevu la lueur, se prosterne au lieu de conclure. […] C’est ce qui fait, selon nous, que, dans tout ce que ces derniers volumes renferment de philosophie religieuse et de débats intérieurs, la décision est moins rapide, le cri de victoire moins triomphant, que dans les Méditations. […] Trois pièces importantes nous semblent marquer cette nuance nouvelle dans la manière religieuse de M. de Lamartine, savoir : L’Hymne au Christ, Pourquoi mon âme est-elle triste ?

202. (1899) Musiciens et philosophes pp. 3-371

. — La conscience religieuse et l’Art — Les idées de R.  […] La plupart des œuvres religieuses de la Renaissance — pas toutes — rentrent dans cette espèce de contrefaçon d’art ; elles ne sont véritablement belles que lorsque, en dépit du but religieux, et au-dessus de lui, elles expriment le pur sentiment humain. […] L’esthétique entrerait ainsi dans le domaine des polémiques religieuses. […] Pareillement, en matière religieuse, la compréhension est graduée. […] Mauvais, l’art qui ne s’inspire pas de la conception religieuse de son époque !

203. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIVe entretien. Mélanges »

M. de Genoude y fit connaissance de M. de Chateaubriand, de M. de Lamennais et de la plupart des hommes de lettres de l’époque appartenant alors au parti religieux et royaliste, auquel sa mère lui avait recommandé d’être fidèle ; il semblait se destiner à la prêtrise. […] Il les menait l’été à la Chesnaye, maison de campagne solitaire où il composait ses ouvrages en tenant ses jeunes acolytes dans une espèce de couvent rural et religieux ; il revenait à Paris l’hiver. […] Je m’y rendis, car bien qu’éloigné des sentiments de Lamennais en matière religieuse, j’étais et je suis toujours très-ennemi du concordat de Bonaparte assujettissant le prince aux volontés du pape, et le pape aux ordres du prince. […] Je fus chargé, en dehors de toute controverse religieuse, de faire un article sur Voltaire dans un des premiers numéros de la Revue. […] Quelques semaines avant 1830, je lui vendis à un prix considérable les deux volumes des Harmonies religieuses et poétiques.

204. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVe entretien. Chateaubriand, (suite) »

Chateaubriand (suite) LX Après Atala, il publia dans le Génie du Christianisme le court épisode romanesque, poétique et religieux de René. […] Milton seul, avec son poëme du Paradis perdu, exploita l’ancienne poésie religieuse, et encore ce fut le poëme littéraire plus que le poëme religieux. […] Cela passera, etc., etc., etc. » LXXI Revenons au rôle religieux de Chateaubriand. […] LXXII Après l’insuccès des Martyrs, Chateaubriand dit adieu à la littérature et à la polémique religieuse. 1814 vit paraître la diatribe envenimée de Buonaparte et des Bourbons. […] Il s’était réfugié de bonne heure dans la seule pensée, triste aussi par sa grandeur, inexplicable, à laquelle tout aboutit, mais qui est, elle-même, un mystère, pour en expliquer un autre, Dieu ; il était religieux par mélancolie ; par là, il était grand comme sa pensée.

205. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXI. »

Nommons d’abord un pape, Pie V, le religieux dominicain parvenu de la plus humble origine au siège pontifical, prêtre austère et zélé, d’un esprit violent, a-t-on dit, mais ayant de la grandeur et de la prévoyance. […] Prêcher la croisade n’était plus possible dans l’Europe divisée par les ambitions des princes et le schisme religieux. […] Il avouait d’ailleurs que, pour son compte, il redoutait moins aujourd’hui les Turcs que les dissidents religieux de Belgique. […] C’est l’Espagnol classique ; et chez personne, cependant, l’imagination religieuse n’eut plus d’enthousiasme et de libre ferveur. […] L’art de ce poëte est partout exquis et brillant ; mais son charme est surtout religieux.

206. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre premier. Musique. — De l’influence du Christianisme dans la musique. »

Mais si cette institution est en outre de nature religieuse, elle possède alors les deux conditions essentielles à l’harmonie, le beau et le mystérieux. […] C’est là qu’elle élève la voix vers le firmament, au milieu des concerts de la nature : la nature publie sans cesse les louanges du Créateur, et il n’y a rien de plus religieux que les cantiques que chantent, avec les vents, les chênes et les roseaux du désert.

207. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre I. Publicistes et orateurs »

Ce qui donne à ce demi-siècle sa physionomie, c’est d’abord la prédominance du positivisme scientifique sur la foi religieuse, en second lieu la prédominance des intérêts matériels sur les intérêts moraux, enfin la prédominance des questions politiques sur les questions sociales. Il semble que l’influence de Rousseau et de Chateaubriand soit épuisée : la forme religieuse, enthousiaste, qu’ils avaient rendue aux âmes, s’efface. […] Un autre normalien, tout voltairien d’esprit et de style, conteur exquis et charmant causeur, d’intelligence plus agile que forte, et plus en surface qu’en profondeur, impertinent, tapageur et gamin, Edmond About843, fut un indépendant agréable à l’empire, qui le protégea, le décora : il y avait un point pourtant sur lequel About ne transigeait pas, c’était la question religieuse ; il représentait l’opinion anticléricale dans le parti bonapartiste, et il combattit toujours vivement le gouvernement lorsqu’il voulut se servir de l’Église ou parut la servir. […] J’ai parlé précédemment, pour n’y pas revenir, de l’éloquence religieuse : l’orientation nouvelle de l’Église, dans notre société, n’a pas encore eu le temps de donner des résultats littéraires, que peut-être elle donnera bientôt.

208. (1890) L’avenir de la science « IV » p. 141

L’Angleterre, en apparence un des pays du monde les plus religieux, est en effet le plus athée ; car c’est le moins idéal. […] Car l’humanité sera toujours sérieuse, croyante, religieuse ; jamais la légèreté qui ne croit à rien ne tiendra la première place dans les affaires humaines. […] Les âmes religieuses et pures les comprennent ; et le philosophe les admire, comme toute manifestation énergique d’un besoin vrai, qui s’égare faute de critique et de rationalisme. […] La libation est de tous les usages de l’antiquité celui qui me semble le plus religieux et le plus poétique : sacrifice !

209. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VIII. M. de Chalambert. Histoire de la Ligue sous le règne de Henri III et de Henri IV, ou Quinze ans de l’histoire de France » pp. 195-211

Elle était bien, comme on le dit avec plus ou moins de force et comme le répète aujourd’hui son nouvel historien avec une tranquillité d’intelligence et d’expression qui croit n’avoir pas besoin d’insister, elle était bien, cette raison supérieure, dans le catholicisme du pays et dans sa conscience religieuse. Mais pour les hommes chez qui la conscience religieuse n’est pas très développée, pour les hommes que le catholicisme trouve hostiles ou seulement indifférents, il aurait été bon de sortir de ces termes devenus trop amples et trop flottants de conscience religieuse et de catholicisme, et, puisqu’on différait de principes, de pensée ou de sensation, de montrer à l’intelligence politique des faiseurs d’histoires, ce que c’était, conscience à part et vérité divine à part, que le catholicisme en France, quand la Ligue se leva pour le défendre. […] Religieux comme M. de Chalambert, il aurait, sous le couvert de cette Providence qui ne donne aux races royales que la durée de leurs vertus, conclu hardiment le rejet par Dieu de cette maison de Bourbon qui n’eut qu’un seul grand homme (Louis XIV) parmi ses plus brillants coupables, et qui, de faute en faute, accula la France jusqu’à l’effroyable expiation de 1789.

210. (1882) Types littéraires et fantaisies esthétiques pp. 3-340

Si le zèle religieux des écrivains espagnols ignore la charité, leur passion ignore la tendresse. […] Or cet office religieux, les poésies de Dante et de Goethe pourraient le remplir sans aucune difficulté. […] Si l’on ne savait que Neuwied est une ville religieuse, la tenue, la démarche et la physionomie de ses habitants suffiraient pour vous le révéler. […] Toute la paix religieuse de l’Évangile rayonnait sur ce visage, et cependant ce n’était que celui d’une bonne et diligente ménagère. […] Chaque jour cette âme avait absorbé un globule évangélique, et à la fin elle avait été saturée de paix religieuse et radicalement transformée.

211. (1856) Cours familier de littérature. I « Ve entretien. [Le poème et drame de Sacountala] » pp. 321-398

Ses peuples étaient religieux, obéissants, pacifiés sous sa main. […] Sacountala était dans le costume d’une jeune religieuse indienne consacrée au culte de la divinité, sous la direction du saint vieillard. […] Un cortège religieux magnifique accompagne Sacountala à la capitale. […] Plus religieuse que lui, souvent elle rallume dans son cœur une faible étincelle de vertu qui allait s’éteindre ; elle le sauve ainsi à son insu, et attire sur sa tête les faveurs de Brahma. […] Ils s’entretiennent un moment des avantages de la vie religieuse pour le salut.

212. (1858) Du roman et du théâtre contemporains et de leur influence sur les mœurs (2e éd.)

Idées religieuses Il n’y a de légitime et solide morale que celle qui s’appuie sur un fondement religieux. […] Pour juger un système de morale, il importe donc de savoir de quelle idée religieuse il procède ; pour apprécier les tendances morales d’une littérature, il est utile de rechercher d’abord quelles ont été ses tendances religieuses. […] Mais comme ce mot chez Rousseau a, dans le sentiment religieux, un éloquent correctif qu’il n’a point ici ! […] Jadis de violentes tentations m’y convièrent, mais un scrupule religieux m’arrêta. […] C’est qu’il y a dans ce peuple deux préservatifs puissants, l’esprit de famille et le sentiment religieux.

213. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Issu d’une famille religieuse, Audin aurait pu avoir son berceau, comme les premiers chrétiens, dans des catacombes. […] Michel Morin, le Régicide, Florence ou la Religieuse, sont des romans sans grandeur d’invention ou sans observation profonde, dans lesquels le sentiment chrétien se sauva seul des naufrages de la pensée. […] On n’avait donc pas grand loisir pour s’occuper d’un livre qui reprenait, dans la personne de Luther, toutes les questions religieuses et dogmatiques du xvie  siècle. […] Soldat de l’Église militante, il a trop de foi religieuse dans l’âme, et dans l’esprit trop de facultés positives, pour concevoir l’histoire à la manière des sceptiques et des philosophes. […] En 1849, Audin, préoccupé incessamment de la Réforme, tourna un instant le dos à ses sources pour suivre les dégradations successives, les dépouillements religieux qu’elle subit avant d’arriver à la négation totale où elle est tombée.

214. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

On n’y entendait que les chants sourds des religieux dans leur église, leurs pas sur les dalles des longs cloîtres, et le retentissement régulier des vagues du golfe sur la plage sonnante de la Maddalena, selon l’expression d’Alfieri. […] Son grand nom sollicitait pour lui, il l’agrandissait encore par des vers et des chants nouveaux ajoutés à loisir à son poème ; il composait, à la requête des religieux de Monte Oliveto, un poème pieux sur l’origine de leur ordre, pour leur exprimer sa reconnaissance de leur magnifique et tendre hospitalité. […] Les croisades, dernier grand choc religieux entre l’Occident et l’Orient, avaient rempli l’imagination des peuples de combats, de miracles, de héros, auxquels la distance ajoutait encore son prestige. […] Le cardinal lui prêta sa voiture, deux domestiques de sa maison pour le conduire dans cette retraite, et envoya un de ses gentilshommes annoncer au prieur du couvent et à ses religieux l’hôte illustre qu’ils allaient recevoir. Au moment où la voiture du cardinal montait la rampe rapide de Saint-Onufrio, un orage de foudre, de grêle et de pluie éclatait sur la ville et fit craindre aux religieux que les mules épouvantées ne précipitassent la voiture sur la pente escarpée de la colline.

215. (1893) Du sens religieux de la poésie pp. -104

Grandmougin : mais un peintre comme Eugène Carrière n’est-il pas religieux ? […] Les mystères religieux ont soudainement acquis, aux yeux des poètes et des artistes dont je parle, un irrésistible charme ; les rites et les décors du culte les passionnent : l’artiste officie. […] De nature, d’essence, l’Art est religieux. […] Si la Beauté abandonne l’idéal religieux, c’est que celui-ci a cessé d’être vrai et l’art en le quittant lui dérobe ses plus précieux trésors. […] Toutefois, l’accent religieux de l’art, tel que nous l’entendons, oblige le poète à des fonctions en quelque sorte sacerdotales.

216. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 octobre 1885. »

Il commença s’occuper à la Religion, écrivit le traité religieux Religion et Art39, et cette œuvre musicale religieuse, — non déjà artistique, — Parsifal. […] Il s’occupe, seulement, à la Religion, condamne et détruit son œuvre littéraire, écrit le traité religieux : Ma Religion42, prépare un livre de controverse religieuse, traduit les Évangiles43.  […] Les écrits religieux de Wagner, Beethoven, Religion et art sont de pure dialectique rationnelle. […] Et sous les apparences métaphysiques ou religieuses, nous percevrons le vrai sens des livres, un sens tout positif, d’universelle portée morale. […] Ces religions sont-elles donc athées, interdisantes de toute croyance religieuse ?

217. (1899) Préfaces. — Les poètes contemporains. — Discours sur Victor Hugo pp. 215-309

Il souffre d’un travail intérieur dont vous ne le guérirez pas, d’un désir religieux que vous n’exaucerez pas, si vous ne le guidez dans la recherche de ses traditions idéales. […] Ce n’est pas que je veuille insister ici sur la valeur morale du Polythéisme dans l’ordre social et religieux. […] Le grand Byron, mille fois plus religieux et plus tourmenté de toutes les inquiétudes sublimes, achevait alors d’écrire ses poèmes immortels au milieu des huées et des anathèmes imbéciles. […] Il lui a manqué l’amour et le respect religieux de l’Art. […] Mais les prescriptions hygiéniques et thérapeutiques à l’usage de cette multitude malade sont du ressort de l’enseignement religieux.

218. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 236-239

De pareilles imputations ont soulevé les Religieux de S. […] On met tout cela sur le compte d’un Religieux dont les Poésies sont consacrées par l’usage que quelques Eglises en font dans les Prieres publiques, & dont la mémoire ne devoit pas être flétrie par un Libelle ».

219. (1874) Premiers lundis. Tome II « Doctrine de Saint-Simon »

A celui qui ajournait la religion, l’auteur de ces lettres avait à faire sentir et à démontrer que la science est sans vie, l’industrie sans réhabilitation, les beaux-arts sans rôle social, si un lien sacré d’amour ne les enserre pour les féconder ; il avait à révéler l’influence puissante, bien qu’incomplète, du dogme chrétien et de la théologie sur la politique d’alors et sur les progrès de la société ; il avait à prouver qu’aujourd’hui que cette théologie est reconnue arriérée, s’abstenir d’y substituer celle qui seule comprend l’humanité, la nature et Dieu ; rejeter ce travail glorieux et saint à un temps plus ou moins éloigné sous prétexte que le siècle n’est pas mûr ; s’obstiner à demeurer philosophe, quand l’ère religieuse est déjà pressentie, se rapetisser orgueilleusement dans le rôle de disciples d’un Socrate nouveau, quand la mission d’apôtres devrait soulever déjà tous nos désirs ; — que faire ainsi, c’était se barrer du premier pas la carrière, se poser une borne au seuil de l’avenir, s’ôter toute vaste chance de progrès et être véritablement impie. […] Elevé tendrement au sein d’une famille où s’était conservée la tradition des liens d’une parenté patriarcale, il fut un de ceux qui appelèrent et réalisèrent avec le plus de ferveur la hiérarchie dans la grande parenté de l’espèce humaine ; il s’efforça d’harmoniser ce qu’il y a de religieux dans les sentiments de famille avec la dévotion à l’humanité nouvelle révélée par Saint-Simon. […] Il était providentiel, en quelque sorte, que ce fût un juif qui, le premier, du point de vue saint-simonien, réhabilitât à son rang dans la tradition cette société religieuse, la plus forte qui ait jamais existé, et donnât la clef de l’obstination mystérieuse du peuple dispersé qui sert de spectacle au monde.

220. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Poésie — I. Hymnes sacrées par Édouard Turquety. »

Il n’en est pas à son coup d’essai ; c’est le troisième volume qu’il donne dans le même ordre d’idées religieuses. […] Turquety, puis la plus haute expression de l’humanité dans la personne du pape. » Plus d’éminents poètes religieux se sont jetés de nos jours dans un christianisme vague, plus M.  […] Une jeune fille qui, après avoir été virginalement aimée, se serait faite religieuse, pourrait presque lire et chanter, sous la grille, cette mystique romance inspirée par son chaste souvenir : Dans sa cellule A vous, ma Colombe voilée, A vous les roses de l’espoir, Et les brises de la vallée, Et les enchantements du soir !

221. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XVIII. Siècle de Constantin. Panégyrique de ce prince. »

Ce droit, sous Constantin, passa aux ministres des autels ; alors les prêtres chrétiens montèrent publiquement dans les chaires, et les discours religieux succédèrent dans l’empire aux discours politiques. […] Les idées religieuses, en Asie surtout, et dans l’époque d’une religion naissante, devaient communiquer plus de chaleur à l’imagination. […] De tout cela ensemble, dut naître un mélange de beautés et de défauts, de négligence dans le style et de grandeur dans les idées, quelquefois toute la force et toute l’impétuosité du zèle religieux, quelquefois toute la faiblesse d’une morale froide et monotone, ce qui peut souvent frapper l’imagination, ce qui doit souvent révolter le goût.

222. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. de Fontanes »

Louis de Fontanes naquit à Niort, le 6 mars 1737, d’une famille ancienne, mais que les malheurs du temps et les persécutions religieuses avaient fait déchoir. […] M. de Fontanes y prit le sentiment terrible du religieux ; pourtant l’imagination était peut-être plus frappée que le cœur. […] M. de Fontanes, en sauvant l’esprit religieux, conserva toute sa vie l’aversion des dogmes durs qui avaient contristé son enfance. […] Il y avait longtemps à cette date que la poésie française n’avait modulé de tels soupirs religieux. […] Le parti philosophique, irrité, se tenait à l’affût ; le parti religieux se serrait, s’étendait, s’animait comme à une victoire.

223. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre premier. Du Christianisme dans la manière d’écrire l’histoire. »

L’écrivain religieux peut seul découvrir ici un profond conseil du Très-Haut : Si les puissances coalisées n’avaient voulu que faire cesser les violences de la Révolution, et laisser ensuite la France réparer ses maux et ses erreurs ; peut-être eussent-elles réussi. […] De plus, il y a dans le nom de Dieu quelque chose de superbe, qui sert à donner au style une certaine emphase merveilleuse, en sorte que l’écrivain le plus religieux est presque toujours le plus éloquent.

224. (1908) Promenades philosophiques. Deuxième série

Ce prétendu droit n’est qu’une prétention d’origine religieuse. […] C’est une idée religieuse. […] Mais rien n’arrête l’esprit religieux. […] L’homme primitif est surtout religieux. […] L’état religieux des mégalithiques est incontestable.

225. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Préface »

Elle n’avait pas lu la préface générale, placée à la tête du premier volume des Œuvres et des Hommes (le volume des Philosophes et des Écrivains religieux), ou si elle l’avait lue, elle ne s’en souvenait plus, car il est dit positivement dans cette préface, que pour être plus dans le mouvement de son temps, l’auteur laisserait là toute exposition artificielle ou chronologique, et ne partirait jamais, tout en embrassant le siècle tout entier, dans un nombre indéterminé de volumes, que des publications contemporaines ou des réimpressions par lesquelles on atteint à tous les moments du passé et à tous les hommes qui y ont laissé une place durable ou éphémère… Avec ce système, il y a des attentes, il n’y a pas d’oublis ! […] Ce dernier n’était que parmi les écrivains religieux, — comme sermonnaire.

226. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE KRÜDNER » pp. 382-410

Outre le caractère religieux qu’elle revêt et qui la distingue, ce qu’a de particulier le rôle de Mme de Krüdner entre tous les enthousiasmes teutoniques d’alors, c’est qu’elle s’appuie plutôt sur l’extrême Nord, sur la Russie, et, comme elle le dit, sur les peuples de l’Aquilon ; elle les concilie dans son cœur avec un ardent amour de la France. […] Hors de la politique, l’influence de Mme de Krüdner en 1815 à Paris, son action purement religieuse fut bien passagère, mais également vive et frappante sur ceux même chez qui elle ne durait pas. […] On sait quelles furent alors les vicissitudes politiques de l’illustre publiciste ; ses sentiments religieux n’étaient pas moins agités, et, à cette limite extrême de la jeunesse, revenant à la charge en lui, ils livraient comme un dernier combat. […] Charles Eynard, à qui l’on doit déjà une Vie du célèbre médecin Tissot, prépare depuis longtemps une biographie complète de Mme de Krüdner : renseignements intimes, lettres originales, rien ne lui aura manqué, surtout pour la portion religieuse. […] Le journal le Semeur (octobre 1843) a consacré deux articles à Mme de Krüdner en insistant naturellement sur le côté religieux et mystique : nous ne l’avions pris qu’au sérieux, le respectable écrivain le prend tout à fait au grave et veut bien nous reprocher d’avoir une fois légèrement souri.

227. (1875) Premiers lundis. Tome III «  À propos, des. Bibliothèques populaires  »

Il croyait voir un plan arrêté chez les ennemis de l’ordre, un dessein d’arriver à détruire tout frein moral et religieux. […] Mais au moins vous n’auriez pas le reproche à vous faire d’avoir favorisé ce courant de matérialisme, d’athéisme, qui emporte les masses et leur inspire une profonde indifférence pour les lois religieuses les plus sages et les plus saintes. […] Dans l’ardeur de votre zèle inquisitorial, vous confondez avec des écrits, peut-être méprisables en effet (je ne les ai pas tous lus), le noble Jean Reynaud et sa philosophie religieuse, sa soif d’immortalité, sa vie future dans les astres. […] Dargaud : Histoire de la Liberté religieuse en France. […] Villemain, secrétaire perpétuel de l’Académie française, dans son Rapport lu en séance publique, en parlait comme il suit : « L’un (des deux ouvrages couronnés), l’Histoire de la Liberté religieuse en France et de ses fondateurs, par M. 

228. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vi »

Comment ne s’est-il trouvé personne pour montrer a ces esprits religieux et utopiques que le puritanisme a une tradition militaire, et que l’armée de Cromwell a été quelque chose comme une république sociale ? […] Il en vient à donner à ce respect du travail manuel une nuance presque religieuse. […] Pour notre part, nous pensons que la plus haute pensée, celle qui explique le monde, est fille du laboratoire scientifique et de l’oratoire religieux, et pour sauver la civilisation complète nous défendons à la fois le Collège de France et les petites églises de village. […] Cette double discipline de l’esprit et du cœur nous manquait d’ailleurs, à nous Français ; nous n’étions ni assez cultivés, ni assez religieux, de là cet état anarchique où nous vivions dans l’avant-guerre. […] Elles ont été suffisantes, avec ce qui nous restait de haute culture et de foi religieuse, pour suppléer, dans ces heures de grande crise, à la discipline qui nous faisait défaut.‌

229. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre III. La complication des sociétés »

Mais imaginez une société composée de groupements spécialisés, dont l’organisation est orientée vers une certaine fin, — les uns destinés par exemple à servir certains intérêts économiques, les autres à contenter certaines aspirations religieuses, ou certains goûts esthétiques, — alors il semble impossible qu’une société ainsi composée ne se complique pas. […] Par exemple, la loi renouvelée laissera valoir, en matière religieuse, la compétence de « comices » qu’elle ne reconnaît plus en matière politique. […] Leur variété augmente en même temps que leur nombre : ce ne sont pas seulement des intérêts économiques, ce sont des mobiles politiques, religieux, moraux, qui suscitent de toutes parts Vereine, sectes et partis. […] L’Orient, caractérisé par la confusion de la plupart des sociétés que l’Occident distingue, et en particulier par l’identité du groupement politique avec le groupement religieux, est par là même moins apte à comprendre l’idée des droits de l’homme. […] Il peut donc arriver qu’un même homme se retrouve, dans des associations très différentes, politiques ou religieuses, mondaines ou économiques, placé au même rang.

230. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre premier. »

Plus d’une cause explique cette conformité singulière ; mais la première est dans ce fonds religieux et lyrique qui formait l’imagination du grand orateur et qu’avait nourri son ardente étude des livres saints, sa fréquentation solitaire du Liban et du Carmel. […] Ses hymnes à Jupiter, ses paeans ou hymnes à Apollon et à Diane, ses dithyrambes, ses hymnes à Cérès et au dieu Pan, ses prosodies ou chants de procession, ses enthronismes ou chants d’inauguration sacerdotale, ses hymnes pour les vierges, ses hyporchèmes ou chants mêlés aux danses religieuses, ses élégies funèbres, toute sa liturgie poétique enfin s’est perdue dès longtemps, sans doute dans la ruine même de l’ancien culte ; et il ne s’en est conservé que d’imperceptibles fragments. Et cependant, jusque dans ces faibles reliques conservées par le hasard de quelques citations grammaticales, on peut encore, plus que dans les odes sur les quatre grands jeux de la Grèce, reconnaître le caractère profondément religieux du poëte. […] Dans Pindare, et plus qu’ailleurs, ce ton religieux du poëte, si différent des formules d’invocation de l’épicurien Horace, n’est pas seulement l’expression d’une sincère croyance, mais le signe même du sacerdoce. […] De là découle toute la philosophie religieuse et civile du poëte thébain.

231. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XI. »

La forme lyrique, si naturellement appelée dans la tragédie des Perses, n’apparaît pas avec moins de grandeur dans les six autres tragédies qui nous restent d’Eschyle, sans parler de celles qui ont péri, et dont quelques-unes devaient être des hymnes religieux en action. […] À part même les Perses, quels accents religieux, quels dithyrambes guerriers ne remplissent pas les autres drames d’Eschyle ! […] Rien ne reproduit plus fortement l’ode en action, le mélange de l’oracle et du drame, du délire religieux et des passions humaines. […] Mais l’œuvre conservée de Sophocle où le caractère religieux du chœur paraît avec le plus de majesté, c’est le second Œdipe, l’Œdipe à Colone. […] Il n’est plus le prophète qui maudit, ou l’Euménide qui menace ; mais il est à la fois le chantre religieux dans le temple et le poëte de l’amour, de la pitié, de la douleur, dans la vie commune.

232. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre I. Le théâtre avant le quinzième siècle »

Origines religieuses du théâtre du moyen âge, Drames liturgiques. […] Le théâtre religieux On l’a dit souvent, le théâtre, chez nous comme en Grèce, est sorti du culte. […] Il ne s’agit que du théâtre qui tire ses sujets de l’histoire religieuse et des légendes dévotes. […] C’est un trouvère d’Arras qui fit jouer au xiie  siècle ces deux pièces remarquables, et l’une à Arras même, au puy : or Arras est précisément la ville qui, la première à notre connaissance, s’empara du drame religieux, et lui donna, avec Bodel surtout, le caractère d’un divertissement dévot, mais laïque. […] Quand on remarque comment des sujets de chansons de geste ou de romans ont été tournés en miracles de la Vierge, on se persuade que l’absence de tout élément religieux dans l’« histoire de Griselidis » la sépare absolument du théâtre que nous étudions ici.

233. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre iii »

Trois cents, ce serait peu, mais tout colonel a le droit d’autoriser dans chacun de ses bataillons un soldat prêtre pour le service religieux. […] Tels quels, vingt-cinq mille prêtres sont un puissant levain d’idées dans une atmosphère si propre à la fermentation religieuse.‌ […] Barlet (religieux lazariste), caporal-brancardier au 4e régiment de zouaves : « Au moment où une section s’élançait hors de la tranchée, pour se porter à l’attaque d’une position allemande, s’est précipité pour secourir un lieutenant blessé, puis, encourageant de la voix et du geste les hommes privés de leur chef, les a entraînés jusqu’à la tranchée allemande où il est tombé frappé de quatre blessures. » (J. […] Il faut bien que je m’arrête ; rien que pour le mois de septembre 1915 (affaires de Champagne), j’ai dans les mains cent cinquante-six dossiers individuels de prêtres et de religieux morts au champ d’honneur ; pour les batailles de 1916 à Verdun, deux cent six dossiers d’ecclésiastiques glorieusement morts ; et j’ai à ma disposition (au début de 1917) les textes officiels de trois mille sept cent cinquante-quatre citations de membres du clergé et des congrégations, parmi lesquels plusieurs ont jusqu’à six ou sept étoiles ou palmes. […] Je voudrais mourir en martyr pour mon propre salut et pour celui de la France entière. » (Semaine Religieuse, Nantes, 6 juin 1915.)‌

234. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre II. La critique »

Vinet855, un Suisse, un protestant, a mêlé de fortes préoccupations morales à l’étude des œuvres littéraires : esprit grave, solide, ingénieux, fécond en idées et en vues sur toutes les parties de notre littérature qui posent le problème moral ou religieux. […] « Il n’y a ici comme partout qu’un problème de mécanique : l’effet total est un composé déterminé tout entier par la grandeur et la direction des forces qui le produisent866. » Ainsi, la littérature anglaise est le produit de la race anglaise, sous tel climat, dans telles circonstances historiques, telles croyances religieuses : Shakespeare, Milton, Tennyson, sont des « résultantes », qui représentent diverses forces appliquées en divers points. […] Edouard Schérer (1815-1889), né à Paris, étudia en Angleterre et à Strasbourg, professa l’exégèse religieuse à Genève, et donna sa démission en 1850. — Éditions : Mélanges d’histoire religieuse, in-18 ; Études sur la litt.

235. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « « L’amour » selon Michelet » pp. 47-66

L’Amour de Michelet est un livre ardent et grave, candide, d’un accent religieux, et qui n’a donc pas grand’chose de commun avec l’Amour de Stendhal ou la Physiologie du Mariage de Balzac. […] Son livre est empreint d’une volupté très précise et très vive, mais d’une volupté d’un caractère religieux et même dévot. […] Et je ne vois pas non plus en quoi l’un des résultats éventuels de cet acte, qui est la conservation de la race, le ferait religieux et sacré. Tout cela n’est qu’une phraséologie propre à ce siècle où les ennemis des religions ont eu presque tous la manie de fourrer partout le sentiment religieux.

236. (1890) L’avenir de la science « XXI »

ce siècle admirable, où se constitue définitivement l’esprit moderne, est le siècle de la lutte de tous contre tous : luttes religieuses, luttes politiques, luttes littéraires, luttes scientifiques. […] Il y en a qui se félicitent que le temps des controverses religieuses soit passé. […] La prétention du règlement est de suppléer à l’âme, de faire avec des hommes sans dévouement et sans morale ce qu’on ferait avec des hommes dévoués et religieux : tentative impossible ; on ne simule pas la vie ; des rouages si bien combinés qu’ils soient ne feront jamais qu’un automate. […] Il serait par trop étrange que quelques profanes, par des considérations de bourse ou de boutique, arrêtassent le mouvement de l’esprit, le vrai mouvement religieux.

237. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre II : Partie critique du spiritualisme »

Maine de Biran a donné à la France une philosophie de l’esprit : il ne lui a donné ni une philosophie de la nature, ni une philosophie religieuse. […] Le moi l’occupait tout entier, et la pensée de l’absolu et du divin semblait dormir dans les profondeurs de sa conscience : une note mystérieuse ajoutée aux Rapports du physique et du moral était la seule indication d’une tendance religieuse et déjà mystique qui devait se développer plus tard dans sa dernière phase philosophique. […] C’est donc en dehors de Maine de Biran que s’est développée la philosophie religieuse du spiritualisme. […] Notre philosophie, que l’on essaye de discréditer en la représentant comme liée à l’orthodoxie religieuse du xviie  siècle, est la vraie fille de la philosophie du xviiie .

238. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XX. De Libanius, et de tous les autres orateurs qui ont fait l’éloge de Julien. Jugement sur ce prince. »

L’esprit de parti lui a élevé des statues, le zèle religieux les a brisées. […] Le paganisme, trop faible, avait appelé la philosophie à son secours ; et la philosophie, sentant qu’il fallait réparer l’édifice pour le conserver, des débris de l’ancien système religieux, en avait presque formé un nouveau. […] Cette disposition était l’effet naturel de la fermentation des esprits, des malheurs des peuples, des grands intérêts politiques et religieux ; enfin de ce système des génies, imaginé ou puisé chez les Chaldéens par Platon, et renouvelé alors avec le plus grand succès. […] L’intérêt, qui veut traîner le peuple aux autels, peut bien se mêler aux sacrifices, dans les fêtes et les cérémonies publiques ; mais l’intérêt ne joue pas l’enthousiasme religieux, tous les jours, tous les instants, et dans tous les détails de la vie.

239. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre II. Harmonies physiques. — Suite des Monuments religieux ; Couvents maronites, coptes, etc. »

. — Suite des Monuments religieux ; Couvents maronites, coptes, etc. […] La fleur capucine, remplaçant le lierre religieux, brode de ses chiffres de pourpre les murs sacrés ; le Lamaz traverse le torrent sur un pont flottant de lianes, et le Péruvien infortuné vient prier le Dieu de Las Casas. […] Hé bien, vous qui plaignez ces victimes crédules, Pénétrez avec moi ces murs religieux : N’y remplirez-vous pas l’air paisible des cieux ?

240. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XIX. »

Le charme de ces préludes était dans leur sainteté, dans le rappel de l’âme à elle-même, dans le contraste de cette pureté religieuse avec les vices du monde profane, et enfin dans les espérances de la vie spirituelle supérieure à tous les sentiments de l’existence ici-bas. […] reçois et sanctifie l’âme ce pieuse dans la demeure natale, qu’elle avait quittée pour l’exil et l’égarement. — Nous cependant, nous couvrirons ces restes de violettes et de verdure ; et nous arroserons de parfums l’épitaphe et la froide pierre. » À ces élévations religieuses, à cette métaphysique chrétienne qui est une poésie, Prudence avait allié les souvenirs récents du martyre. […] Docile à cette voix aimée, Paulin, quittant le sénat de Rome, vendit ses vastes domaines pour en distribuer le prix aux malheureux et entrer dans la pauvreté religieuse.

241. (1826) Mélanges littéraires pp. 1-457

Il me reste à parler de la tristesse religieuse. […] Que n’ai-je la voix et l’ardeur du séraphin pour chanter ta gloire avec un amour religieux ! […] Bernardin de Saint-Pierre qui offrent des peintures aussi religieuses et aussi touchantes. […] L’état politique se forme avec l’état religieux, ou plutôt est constitué naturellement par lui. […] Bientôt le premier ordre s’altère, et s’altère à la fois dans l’ordre politique et religieux.

242. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre III. Partie historique de la Peinture chez les Modernes. »

Caché dans le souterrain de l’église de Saint-Jean-Baptiste, le Religieux peignit avec ses doigts mutilés le grand saint dont il était le suppliant128, digne sans doute de devenir le patron des peintres et d’être reconnu de cette famille sublime que le souffle de l’esprit ravit au-dessus des hommes. […] Tout se fit pour les églises, et par la protection des pontifes et des princes religieux.

243. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre VIII. Des Églises gothiques. »

Ces voûtes ciselées en feuillages, ces jambages qui appuient les murs, et finissent brusquement comme des troncs brisés, la fraîcheur des voûtes, les ténèbres du sanctuaire, les ailes obscures, les passages secrets, les portes abaissées, tout retrace les labyrinthes des bois dans l’église gothique ; tout en fait sentir la religieuse horreur, les mystères et la Divinité. […] Les siècles, évoqués par ces sons religieux, font sortir leurs antiques voix du sein des pierres, et soupirent dans la vaste basilique : le sanctuaire mugit comme l’antre de l’ancienne Sibylle ; et, tandis que l’airain se balance avec fracas sur votre tête, les souterrains voûtés de la mort se taisent profondément sous vos pieds.

244. (1894) Les maîtres de l’histoire : Renan, Taine, Michelet pp. -312

La presse religieuse, dans sa vieille haine contre M.  […] Je le veux bien ; mais c’est le panthéisme qui est au fond de toute conception vraiment religieuse de la divinité. […] Loin d’exclure la religion, cette éducation est tout entière religieuse, car la patrie et la nature ne sont pour Michelet que des manifestations de Dieu. […] Comme chez la religieuse extatique qui à force de penser au Christ finit par le voir et l’entendre, la pensée en lui se changeait en vision. […] Réimprimé dans les Mélanges de critique religieuse sous le titre : « M. 

245. (1900) La culture des idées

Peut-on supposer que ce fut par scrupule religieux qu’il a pendant si longtemps refusé d’écouter les suggestions du subconscient ? […] Il en est naturellement de même pour ce qu’on appelle le mobilier religieux, dont l’origine est antérieure au christianisme. […] Il est aussi vieux que les plus vieilles reliques de la superstition religieuse. […] Mars devenait Martine, sans que le peuple, habitué aux nouveautés religieuses, manifestât un grand étonnement. […] Toute idée de vérité doit être écartée des études religieuses, et même de vérité relative.

246. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Joseph de Maistre »

Quoiqu’on ait peu de renseignements sur la nature des travaux qui remplirent avec le plus de suite ses loisirs de magistrat, on peut conjecturer sans trop d’erreur que les questions de philosophie religieuse l’occupaient dès lors beaucoup. […] Qu’on se figure l’effet que durent produire et les événements religieux de 1800-1804, et les événements politiques de 1814, sur celui même qui les avait si pleinement conjecturés. […] Raymond, un religieux dominicain, Lithuanien de nation et professeur de langues orientales. […] Sa parole semblait aller libre et mordante, sa pensée était sûre, sa vie grave ; vraiment religieux dans la pratique, il n’avait rien de ce qu’on appelle dévot. […] Et s’il n’y a rien de nouveau en lui, comment se fait-il que, sur ses drapeaux, la plus novatrice des sectes religieuses de notre âge ait pu inscrire à son heure tant de paroles prophétiques, à lui empruntées, pour manifeste et pour devise ?

247. (1926) La poésie pure. Éclaircissements pp. 9-166

Une série d’analyses m’ayant démontré que, d’une part, il n’est pas impossible qu’un théologien éminent manque tout à fait de vie religieuse, que, d’autre part, il se rencontre des âmes profondément religieuses qui manquent tout à fait de théologie, je conclus sans hésiter de ces deux séries extrêmes d’expériences, que religion et théologie cela fait deux, sans contester pour si peu les relations nécessaires qui existent entre religion et théologie. […] Bremond … ceci est une concession aimable et en quelque sorte, patriotique, aux susceptibilités américaines en matière religieuse. […] Je retiens seulement une indication très précieuse, et qui rejoint ce que j’ai essayé ailleurs d’expliquer sur le caractère profondément religieux du mouvement romantique. […] Fusion et confusion des facultés non encore différenciées " (stimmung) " ; possibilités dans le domaine désintéressé : sentimental, poétique, religieux, mystique. […] Le tome III de mon histoire du sentiment religieux).

248. (1902) La politique comparée de Montesquieu, Rousseau et Voltaire

Cela apparaîtra plus nettement encore quand nous en serons à traiter des questions religieuses. […] La France, pendant cette période, fut divisée au point de vue religieux en deux partis. […] Jamais l’antiquité, — à l’exception de l’abominable peuple juif, — n’a connu ni les guerres religieuses ni les querelles religieuses. […] Voltaire a partiellement raison quand il attribue à la Bible les guerres religieuses du moyen âge et de la Réforme. […] Montesquieu, peu religieux et très peu chrétien, n’aime ni la religion ni l’Église.

249. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Virgile et Constantin le Grand par M. J.-P. Rossignol. »

Rossignol établit, avant tout, ce soin scrupuleux et presque religieux que mirent les Grecs à distinguer les genres divers de poésie, et à maintenir ces distinctions premières durant des siècles, tant que chez eux la délicatesse dans l’art subsista : La nature dicta vingt genres opposés D’un fil léger entre eux chez les Grecs divisés ; Nul genre, s’échappant de ses bornes prescrites, N’aurait osé d’un autre envahir les limites… André Chénier s’est fait, dans ces vers, l’interprète fidèle de la poétique de l’antiquité. […] Jusque dans les Bucoliques pourtant, Virgile, ce génie naturellement grave, sérieux et mélancolique, présage déjà son originalité sur deux points : la Xe églogue, si passionnée, en mémoire de Gallus, laisse déjà éclater les accents du chantre de Didon, et la IVe églogue à Pollion, toute religieuse et sibylline, toute digne d’un consul, fait entrevoir dans le lointain les beautés sévères et sacrées du VIe livre de l’Enéide. […] Virgile est un poëte véritablement religieux ; il y a dans l’inspiration de sa muse un souffle doux, puissant, pacifique, qui lui fait adorer et invoquer en toute rencontre les divinités clémentes.

250. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Le Christianisme en Chine, en Tartarie et au Thibet »

Entrepris dans un but de propagande religieuse, — l’auteur était lazariste, — ces voyages, dont nous avons rendu compte avec une sympathie presque enthousiaste, car, à part de leur but, le plus grand que puisse atteindre l’homme, ils prouvaient autant de caractère, de décision, de persévérance que de curiosité élevée ; ces voyages, qu’il faudra désormais citer quand on parlera de l’Asie, ont mis pour la première fois dans la circulation des notions certaines sur ces mystérieuses populations qui vivent et meurent depuis tant de siècles comme des fourmilières d’insectes dans des boîtes fermées, sous le couvercle semé d’hiéroglyphes de leurs impénétrables civilisations. […] Même plus tard, quand les faits s’affermissent et se clarifient dans son récit, et prennent de ces certitudes qu’il n’est plus permis de discuter ; même au moment de ces merveilleux succès des Jésuites qui firent croire un jour à l’imagination européenne que la croix conquerrait l’Empire du Milieu, on s’enivrait trop d’une religieuse espérance… car trente-six mille chrétiens, au plus, sur trois cents millions d’âmes, n’étaient qu’une faible étincelle du feu qu’on croyait avoir allumé ! […] Pourquoi la Chine, la Chine abîmée de vices et de vieillesse, la Chine corrompue et d’une corruption auprès de laquelle toutes les dépravations de l’Europe sont des innocences, la Chine, indifférente à toute doctrine religieuse, quoiqu’elle ait joué avec les nôtres comme un enfant curieux et pervers, ne serait-elle pas une de ces nations ?

251. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Le cardinal Ximénès »

La pénitente de Ximénès était, au contraire, une femme de grand sens et de grande fermeté, la reine Isabelle, et le Louis XIII qu’il eut à conduire était le roi Ferdinand, qui n’avait pas de nostalgie et qui resta roi auprès de son ministre, couronne au front, contre ce front rasé de religieux, couronne contre couronne ! […] Prêtre d’abord, devenu religieux et presque anachorète, il avait cinquante-huit ans quand il sortit du cloître pour entrer dans les dignités ; mais il n’en sortit que pour la foule. […] Quelles que soient ses opinions religieuses, il a pensé à la justice de Robertson.

252. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Léopold Ranke » pp. 1-14

Il continua d’être historien, et un historien beaucoup plus préoccupé des choses politiques, qui sont du siècle, que des choses religieuses, qui n’en sont plus. […] Historiquement et religieusement, trop de choses nous séparent de l’historien allemand pour que nous puissions mêler une critique historique ou religieuse à notre critique littéraire, sans en diminuer la largeur. […] Ranke, dont le Protestantisme a subi l’action des doctrines philosophiques qui tendent à le remplacer, n’est pas même le fantôme d’Agrippa, cet homme qui vécut si fort, et qui s’étonnerait, s’il revenait au monde, que la question religieuse qui dominait les esprits des grands protestants du xvie  siècle, ne fût plus la question première pour les historiens, leurs successeurs.

253. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Ernest Hello » pp. 207-235

. — Et, parmi les critiques de fonction, qui, moi excepté, s’occupera de ce livre d’histoire religieuse, trop haut, diront-ils, du côté des chimères, pour que personne prenne la peine de s’élever jusque-là ? […] Lui qui n’est pas un religieux dans son cloître, mais à qui le mépris du monde en a bâti un dans son cœur, il n’a pas craint de toucher à des sujets qui auraient épouvanté un esprit moins essuyé que le sien des écumes du siècle. […] Mais nulle part de foi féconde et de grande poésie, quand enfin, sur le tard, deux religieux, le Père Pitra et le Père Lacordaire, retrouvèrent l’accent qu’il faut avoir quand on se mêle de parler des Saints. […] Lacordaire est, à la vérité, un chroniqueur religieux irréprochable et fidèle, appuyé sur l’Église et ses irréfragables canonisations ; mais le laïque Hello est autrement ardent de foi et superbe d’enthousiasme que ce moine blanc, qui, littérairement, a aux doigts de la rhétorique, et, prélude de l’Académie future, de la rhétorique de Villemain ! […] Les unes obscures, presque inconnues d’un monde qui ne s’est pas livré aux études et aux préoccupations religieuses, comme, par exemple, celles de saint Panurphe, de saint Leufroy, de saint Jude, de sainte Gertrude, de saint Goar, etc., et les autres radieuses et populaires pour tout le monde, comme celles de saint Pau], de saint Jean Chrysostôme, de saint Grégoire le Grand, de saint Augustin, de saint Bernard, de sainte Thérèse.

254. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XX. Le Dante, poëte lyrique. »

Il aura, dans son langage habilement extrait de tous les dialectes vulgaires de l’Italie, l’énergie populaire et la sublimité, ou la douceur mystique ; il empruntera sans cesse à la riche nature dont il est entouré, au spectacle des champs, au souvenir de ses fuites à travers tous les lieux et parmi toutes les conditions humaines, à ses combats, à ses souffrances, bien des images de la vie réelle et des mœurs de son temps et il sera pourtant, à certaines heures de son inspiration, le plus idéal et le plus recueilli des poëtes religieux. […] Je ne m’étonnerais donc pas que le chef-d’œuvre de la poésie lyrique, l’hymne religieux, ou même l’ode philosophique au plus haut degré d’enthousiasme et de grandeur se retrouvât dans les chants de la Divine Comédie du Dante. […] Cette fois, ce n’est plus le chant profane et travaillé des troubadours, cette poésie artificielle lors même qu’elle est passionnée, qui aura précédé le grand poëte, lui ouvrira la route, et, par cela même, pourra souvent égarer son mâle et fier génie : ce sera la religion même, par les voix les plus candides et les plus simples ; ce sera le spectacle de la piété populaire, au milieu de la belle nature de l’Italie, alors que, dans la tiède sérénité du soir, après un jour brûlant de Toscane, un humble religieux, frère Pacifique, faisait doucement retentir de simples paroles italiennes, répétées en chœur par le peuple agenouillé dans une vaste plaine des bords de l’Arno. […] De ce contraste même entre le poëme et l’homme, entre les contemplations de la pensée religieuse et les épreuves de la vie soufferte, de ce contraste sort le pathétique humain qui se mêle à cet idéal. […] Elle fut l’hymne religieux de Pindare, léchant guerrier de Tyrtée, l’ïambe vengeur d’Archiloque.

255. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 64-81

Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires par M.  […] Et tout d’abord ouvrez ces volumes : comme le journaliste profite de la hauteur de l’idée religieuse pour y adosser son talent satirique, pour lui donner de la consistance et un air de dignité, de moralité ! […] Il y apparaît éloquent, enthousiaste, religieux à la fois et bon Français, et, pour parler son langage, « tout rayonnant des meilleures ardeurs de la vie. » Je ne saispas, en vérité, de plus noble prose ni dont la presse doive être plus fière. […] En un mot ; il y a dans la masse de la société des résultats généraux qui viennent de très-loin, qui sont le produit de plusieurs siècles de raisonnement, d’analyse et de bon sens émancipé, de morale religieuse sécularisée, le produit des découvertes positives en astronomie, en physique, etc.

256. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Lettres d’Eugénie de Guérin, publiées par M. Trébutien. »

Les nouvelles lettres n’ajouteront rien d’essentiel à l’idée qu’on avait pu se faire d’elle, mais elles contribueront à développer l’aimable portrait, ce modèle de belle âme religieuse et poétique, et à le mettre de plus en plus dans tout son jour. […] Son idéal au fond, son rêve de bonheur, si elle était libre, si elle n’avait pas son père qu’elle ne peut quitter, ce serait la vie religieuse, celle du cloître ; son vœu secret d’âme recluse lui échappe toutes les fois qu’elle a occasion d’assister à quelque cérémonie de couvent : « Je n’aime rien tant que ces figures voilées, ces âmes toutes mystiques, toutes pétries de dévotion et d’amour de Dieu… Ces robes noires ont quelque chose d’aimanté qui vous attire. » Les plaisirs célestes, les joies mystiques la ravissent quand elle peut en goûter sa part, surtout à Noël, « la plus douce fête de l’année. » Les idées de vocation reviennent la tenter toutes les fois qu’elle va à Albi, au couvent du Bon-Sauveur, ou qu’elle assiste aux offices dans cette belle cathédrale : « Quel bonheur si cela devait durer toujours, si, une fois entrée dans une église, on pouvait n’en plus sortir ! […] Un jour qu’elle a assisté à une profession de religieuse au Bon-Sauveur, elle raconte ainsi à sa chère Louise son impression enflammée et attendrie : « Si Cholet ne m’avait pas dit que les charbonniers (qui servent de messagers) partent à onze heures, je vous parlerais au long de la cérémonie du Bon-Sauveur, cérémonie belle et touchante, qui fait admirer, qui fait pleurer. […] On dit que tout ce que demande à Dieu la religieuse lui est accordé on ce moment.

257. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVII. De la littérature allemande » pp. 339-365

Les Anglais sont moins indépendants que les Allemands dans leur manière générale de considérer tout ce qui tient aux idées religieuses et politiques. […] Les ouvrages des Allemands sont d’une utilité moins pratique que ceux des Anglais ; ils se livrent davantage aux combinaisons systématiques, parce que n’ayant point d’influence par leurs écrits sur les institutions de leurs pays, ils s’abandonnent sans but positif au hasard de leurs pensées ; ils adoptent successivement toutes les sectes mystiquement religieuses ; ils trompent de mille manières le temps et la vie, qu’ils ne peuvent employer que par la méditation. […] Le caractère général de la littérature est le même dans tous les pays du Nord ; mais les traits distinctifs du genre allemand tiennent à la situation politique et religieuse de l’Allemagne. […] Ce qui distingue leur philosophie, c’est d’avoir substitué l’austérité de la morale à la superstition religieuse.

258. (1890) L’avenir de la science « XII »

Quand ces livres n’auront plus d’intérêt religieux, nul n’aura le courage d’aborder ce chaos. […] En histoire, le trait est grossier ; chaque linéament, au lieu d’être représenté par un individu ou par un petit nombre d’hommes, l’est par de grandes masses, par une nation, par une philosophie, par une forme religieuse. […] Voilà l’humanité : chaque nation, chaque forme intellectuelle, religieuse, morale, laisse après elle un court résumé, qui en est comme l’extrait et la quintessence et qui se réduit souvent à un seul mot. […] Telle religieuse qui vit oubliée au fond de son couvent semble bien perdue pour le tableau vivant de l’humanité.

259. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Seconde partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère de la littérature et des arts » pp. 326-349

Il n’y a de pensée élevée que la pensée religieuse, la pensée poétique. […] Ce jour religieux qui éclairait nos vieilles basiliques ne nous a point inspiré des hymnes solennels. […] Les fêtes, quelles qu’elles soient, tiennent à des traditions qui souvent sont très obscures ou tout à fait perdues, et ont certainement une origine religieuse. […] On pourrait même dire que nos spectacles tels qu’ils sont, quoique si prodigieusement détournés de leur institution primitive, n’existeraient pas si une pensée religieuse n’avait pas présidé à l’invention de la scène, chez tous les peuples.

260. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XIV. »

. — Premiers chants religieux et domestiques dans Rome. — Imitations de la Grèce. — Chœurs et effets lyriques du théâtre romain. […] La rudesse des tons y répondait sans doute à l’austérité du culte ; et c’est la remarque curieuse d’un ancien annaliste romain, que, dans ces chants religieux, Vénus n’était nommée nulle part. […] Puis survint, non pas encore l’art harmonieux, mais la tradition religieuse des Grecs, et avec elle des oracles, des exhortations ou des menaces, dont usait la politique des chefs de Rome. C’est ainsi que ce mont Albain, où, selon la plaisanterie d’Horace159, les Muses avaient dicté de vieilles prédictions dont il trouvait le style fort barbare, voyait chaque année le retour de fêtes religieuses favorables du moins à l’inspiration poétique.

261. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XVI. »

La flatterie s’efface dans la gravité religieuse du témoignage. […] Après lui, toutefois, Pallas a les premiers honneurs. » Ce qui manque au poëte de crédulité naïve et religieuse, il le remplace par une raison plus haute, par cette noble et précise image, sinon du Dieu unique, au moins du Dieu suprême. […] « J’ai, dit-il lui-même dans le sommaire de sa vie, rétabli, à titre de consul et par décret du sénat, quatre-vingts temples dans Rome. » Une autre phrase dénombre les temples qu’il fit bâtir, les lieux nouveaux qu’il consacra dans l’enceinte du Capitole et du palais ; et on ne peut douter, à travers les lacunes des Tables d’Ancyre, que le même zèle n’ait réparé bien d’autres anciens monuments religieux de l’Italie, puisqu’on voit Auguste noter dans un autre passage de cette inscription le soin qu’il avait eu, même dans la Grèce et dans l’Asie, de rendre à tous les temples dépouillés pendant la guerre leurs ornements et leurs richesses. […] Une saine culture fortifie les âmes ; quand les mœurs manquent, les mieux nés se déshonorent par des fautes. » Ce ne sont pas cependant les odes politiques et religieuses d’Horace qui pour nous signalent le poëte que le monde lettré lira toujours.

262. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre VIII. La Fille. — Iphigénie. »

Les deux situations peuvent donc se balancer quant à l’intérêt naturel : voyons s’il en est ainsi de l’intérêt religieux. […] Racine n’a donné ce courage à son héroïne que par l’impulsion secrète d’une institution religieuse qui a changé le fond des idées et de la morale.

263. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « L’abbé Cadoret »

L’abbé Cadoret a bien compris ce que nous disions plus haut des ennemis du pouvoir : c’est que les plus dangereux sont ceux-là qui se réclament contre lui de l’autorité des idées religieuses, et il n’a pas voulu lui laisser de tels adversaires. Son livre, qui est l’exposé lucide, dans un style vif et pur, de la doctrine catholique sur les rapports éternels de deux puissances, — la puissance séculière et la puissance religieuse, — est divisé en deux parties.

264. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre IV. De la morale poétique, et de l’origine des vertus vulgaires qui résultèrent de l’institution de la religion et des mariages » pp. 168-173

Les géants enchaînés sous les monts par la terreur religieuse que la foudre leur inspirait, s’abstinrent désormais d’errer à la manière des bêtes farouches dans la vaste forêt qui couvrait la terre, et prirent l’habitude de mener une vie sédentaire dans leurs retraites cachées, en sorte qu’ils devinrent plus tard les fondateurs des sociétés. […] Les vertus du premier âge, à la fois religieuses et barbares, furent analogues à celles qu’on a tant louées dans les Scythes, qui enfonçaient un couteau en terre, l’adoraient comme un dieu, et justifiaient leurs meurtres par cette religion sanguinaire.

265. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre I. Polémistes et orateurs, 1815-1851 »

Orateurs religieux : Lacordaire. […] Mais les plus graves questions peut-être se discutaient hors des chambres, ou ne prenaient toute leur ampleur que dans des écrits théoriques et polémiques : ainsi la question religieuse ou la question sociale. […] Ce que ce protestant estime le plus dans la religion, ce n’est pas le sentiment religieux, c’est l’Église, l’autorité, l’énergique oppression des individualités. […] Orateurs religieux. La restauration du catholicisme fut suivie d’un renouvellement de l’éloquence religieuse.

266. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion statique »

La représentation intellectuelle qui rétablit ainsi l’équilibre au profit de la nature est d’ordre religieux. […] Mais nous verrons aussi que le dynamisme religieux a besoin de la religion statique pour s’exprimer et se répandre. […] La première est qu’en matière religieuse l’adhésion de chacun se renforce de l’adhésion de tous. […] A ces actes religieux la représentation religieuse sert surtout d’occasion. […] Mais ce furent là des exceptions, et comme des anticipations d’une croyance religieuse plus pure.

267. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Mémoires »

Cet incomparable succès, au début, conféra à M. de Chateaubriand un caractère public, comme écrivain ; sa triple influence, religieuse, poétique et monarchique, commença dès lors. […] Cette alternative de doute et de foi a fait longtemps de ma vie un mélange de désespoir et d’ineffables délices. » Voilà en ces deux mots l’histoire religieuse d’une âme qui est le type complet de beaucoup d’âmes venues depuis. […] Mais jusqu’ici cette œuvre de jeunesse était restée en dehors du grand monument poétique, religieux et politique, de M. de Chateaubriand, et n’était pas comprise, pour ainsi dire, dans la même enceinte. Les notes que l’auteur y avait jointes, écrites en 1820, et dans un esprit de justification religieuse et monarchique, servaient à séparer l’Essai de ce qui a suivi plutôt qu’à l’y rattacher. […] Pour remonter la vie à partir de ce point où le premier torrent de jeunesse ne pousse plus, il évoque, il embrasse dans son temps quelque vaste pensée religieuse, sociale, politique même, comme ces machines un peu artificielles à l’aide desquelles on remonte les grands fleuves.

268. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 août 1885. »

Une véritable œuvre d’art dépend jusqu’à un certain point de son milieu : les Grecs le savaient bien, et Wagner l’a compris, en choisissant pour son théâtre ce coin retiré des montagnes bavaroises qui fait penser à un fond de tableau de Dürer : la promenade sous les vieux arbres du parc évoque déjà le moyen-âge, et l’on sent passer je ne sais quels souffles mystiques dans le paysage que domine la plate-forme de l’édifice : une étendue bosselée dont le vert est piqué des taches plus foncées des bois de sapins… En sorte que l’âme est toute prête aux accords religieux qui accompagnent la marche des chevaliers du Graal, et toute prête aussi à pénétrer le sens profond que lui offre la légende du « Pur-Simple, sachant par compassion… » J’ai entendu l’œuvre de Wagner un peu partout : à Cologne, la vieille ville amie, à Munich, à Berlin, à Bayreuth, et dans ce froid théâtre de Covent Garden qui devrait être à jamais réservé aux exhibitions mondaines. […] — Il avait compris que l’œuvre d’art doit être complète et vraie, c’est à dire le drame, mais un drame d’art complet, non de musique seule, et un drame d’action vraie, non de virtuosité conventionnelle ; il avait compris, encore, que cette œuvre d’art, complète et vraie, n’est point une frivole distraction, qu’elle est la création suprême de l’esprit, et que cette création, faite, d’abord, par l’auteur, et devant être, en suite, refaite, entièrement, par les auditeurs, peut par eux être connue, seulement dans l’oubli des soucis temporels et dans la paix, non troublée, de la contemplation intérieure, aux jours, très rares, de la sérénité ; enfin, il avait compris que l’art, demeurant complet et vrai, doit, aussi, donner à l’homme une révélation religieuse de la Réalité transcendante, être un culte offert à l’intelligence du Peuple, — de ce peuple idéal, qui est la Communion universelle des Voyants. […] Telle, donc, en ses trois parties, l’idée Wagnérienne est réalisée, idée artistique, idée populaire, idée religieuse ; et d’elle, le centre est, à jamais, Bayreuth. […] Puis, en une religieuse exaltation, elle se tourne vers les hommes et les femmes. […] Enfin, une organisation, l’association wagnérienne, s’efforce de former le public au projet wagnérien populaire, artistique et religieux.

269. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre I. Les origines du dix-huitième siècle — Chapitre II. Précurseurs et initiateurs du xviiie  siècle »

Car la suppression du christianisme, d’un idéal religieux qui fournit une règle de vie avec une espérance de bonheur ultra-terrestre, mais infini, cette suppression seule explique la fureur de zèle humanitaire avec laquelle les philosophes veulent refaire la société pour mettre dans cette vie toute la justice et tout le bonheur. […] Les notes, « farcies » de citations françaises, latines, grecques, tiennent dix fois plus de place que le texte : on y trouve de l’histoire, de la géographie, de la littérature, de la philologie, de la philosophie, des gaillardises469, mais surtout de l’histoire religieuse et de la théologie. […] Mais il est, en somme, dégagé de tout préjugé religieux ou philosophique.

270. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Mademoiselle de Condé »

Alors, on ne savait pas qu’elle pût devenir jamais une Religieuse et une Sainte. […] Mademoiselle de Condé se retira en Lithuanie ; mais, avec la permission de ses supérieures, elle rejoignit en Angleterre son père et son frère, après neuf années de séparation… Seulement, toujours religieuse, plus religieuse encore que fille et sœur, elle entra, là, dans un couvent de Bénédictines, qu’elle ne quitta que pour revenir en France, où elle fut nommée Supérieure de l’Ordre du Temple sous le nom de Marie-Joseph de la Miséricorde.

271. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Docteur Favrot »

Assurément l’Allemagne est un pays excellent, et peut-être le plus naturellement moral de l’Europe ; mais moi qui ne crois absolument qu’aux moralités surnaturelles, je m’imagine qu’il ne peut y avoir qu’un Ordre religieux qui puisse faire avec perfection ce fatigant service de nuit et de jour des chambres mortuaires. […] un Ordre religieux déjà créé, — ou, ce qui vaudrait mieux, qu’on créerait spécialement pour cet office et qu’on appellerait l’Ordre des Morís ! Mais le docteur Favrot, qui, en sa qualité de matérialiste, ne se préoccupe pas beaucoup d’ordres religieux, passe outre sur cette question, dont il ne se doute pas, comme sur toutes les autres, et son livre finit tout à coup sans que sur aucun point on soit, comme on le voudrait, édifié.

272. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre xi‌ »

Déjà la vie religieuse des armées n’est plus ce qu’elle était en 1914 et 1915 ; des âmes, bouleversées par la violence du choc et dont le fond avait monté à la surface, sont redevenues dormantes, et puis, beaucoup des meilleurs sont couchés à cette heure dans la terre de France. […] « Déjà la vie religieuse des armées n’est plus ce qu’elle était en 1914 et 1915… Mais nul ne reviendra de cette guerre exactement pareil. » Quand cette page parut dans l’Écho de Paris, je reçus des tranchées plusieurs corrections ou commentaires intéressants. […] Au point de vue sérieusement religieux, elle n’est pas admirable.

273. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) «  Chapitre treizième.  »

. — Influence des querelles religieuses, au dix-septième siècle, sur la langue et la littérature. — § XV. […] Qu’il s’agisse de la vérité religieuse ou de la vérité humaine, il paraît toujours saisi, comme malgré lui, de quelque objet qui est hors de lui, et qu’il n’est pas libre de ne pas voir tel qu’il est. […] Ils demeurent comme ouverts, et tout près de croire, au moindre souffle de la grâce ; car il faut la grâce pour les croyances philosophiques comme pour les croyances religieuses. […] De la querelle sur le quiétisme. — Influence des querelles religieuses, au dix-septième siècle, sur la langue et la littérature. […] Tantôt la morale vient à la suite du commentaire ; tantôt elle s’y mêle, ne laissant voir des choses humaines que ce que les religieuses pouvaient n’en pas regretter.

/ 2008