/ 1898
26. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIe entretien. L’Arioste (2e partie) » pp. 81-160

Ce myrte prend une voix : il raconte à Roger qu’il est Astolphe, autre paladin, cousin de Roland, et qu’il a été transformé en myrte par les enchantements de la magicienne Alcine. […] Ce siège est raconté dans deux chants héroïques, en stances dignes d’Homère au siège de Troie, du Tasse au siège de Jérusalem. […] Toi, demeure ici, afin que, s’il est écrit dans le ciel que je doive mourir, tu puisses raconter ma mort...” […] Il se complaît, pendant deux mille vers, à raconter vingt aventures épisodiques de Marphise, de Bradamante, de Roger, de Griffon, de paladins, d’amazones, de fées, d’enchanteurs. […] La scène où Roland perd la raison en trouvant des preuves trop convaincantes de l’infidélité d’Angélique est admirablement inventée, et racontée avec autant de perfection de détails que la scène des amours d’Angélique et de Médor.

27. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre ix »

L…, aumônier de division coloniale, raconte comment il officia au fond d’une étable, à côté de deux vaches somnolentes : « Les assistants devaient se battre au sortir de la messe, dans des conditions telles que la plupart y resteraient. […] Les protestants firent leur office autant qu’ils le purent, petit cénacle grave, simplifié. « Le jour de Noël, raconte l’un d’eux, nous nous sommes trouvés réunis dans un grenier autour d’une table munie d’une couverture de coton, cinq soldats, dont un prisonnier en prévention de conseil de guerre. […] Le lendemain des milliers de lettres, où ils avaient recueilli en hâte leurs émotions, venaient raconter à tout le pays comment les soldats de la France avaient entrevu le règne de Dieu sur le champ de carnage.‌

28. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLIXe Entretien. L’histoire, ou Hérodote »

C’est un Child-Harold-Commines qui parcourt l’univers et qui le raconte. […] Voici ce que l’on raconte d’eux. […] Il raconta ensuite à sa femme ce qui était arrivé, et lui fit partager sa joie. […] Hérodote la raconte avec la simplicité du fait le plus vulgaire ; mais l’histoire elle-même a des solennités. […] Il ne croyait pas aux fables qu’il racontait : le monde n’était plus assez jeune pour conserver la naïveté de son enfance.

29. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article »

Une maniere franche & naturelle de raconter, un style net & souvent élégant, des idées vives, des expressions toujours justes, ont fait la fortune de ses Mémoires, dont les événemens intéressent moins, par leur importance, que par le ton piquant avec lequel ils sont racontés.

30. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Charles Didier » pp. 215-226

Didier d’une façon toute boccacienne (le mot y est, nous ne l’inventons pas), ce Décaméron (le mot y est encore) raconté en un tour de soleil, à huit mille pieds au-dessus de la mer. » Or, que veulent dire ces huit mille pieds au-dessus du niveau de la mer, sur lesquels, à plusieurs places de son volume, le nouveau Boccace de l’Italie au dix-neuvième siècle revient avec une véritable puérilité d’insistance ? […] Mais c’est qu’en effet ces huit mille pieds sont la hauteur du théâtre où se racontent ces histoires. […] Didier nous a modulé les derniers marivaudages, la comtesse ordonne à ces messieurs de raconter chacun son histoire, sous l’expresse condition cependant que cette histoire sera une histoire italienne, ayant sa scène en Italie. […] Il a aimé la sœur de la femme qu’il devait épouser, et cet amour adultère, admirablement raconté, est, de sentiment et de circonstance, un des récits les plus poignants et les plus attendrissants tour à tour.

31. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre V. »

On racontait qu’il avait été jadis foudroyé par les dieux, pour avoir révélé aux hommes, dans les mystères, des choses inouïes jusqu’alors. […] Le fleuve Hélicon, après un cours de quelques lieues, s’abîme et semble se perdre sous terre pendant vingt-deux stades, pour renaître sous un autre nom qu’il porte jusqu’à la mer : les habitants racontaient que cette disparition datait du jour où, devant les meurtrières du poëte, qui voulaient laver le sang dont elles étaient souillées, le fleuve s’était enfui d’horreur pour ne pas servir à purifier le crime. […] Voilà ce que Pausanias, au second siècle de notre ère, entendait raconter par son hôte de Larisse. […] Les fables même qu’on en raconte attestent un fond de vérité dans le génie attribué dès lors à toutes les variétés du nom grec.

32. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1881 » pp. 132-169

À propos de ce goût, Tourguéneff raconte ceci. […] * * * — Une bien jolie ouverture de roman naturaliste, racontée ce soir par Manet. […] Alphonse Daudet est un si attachant causeur, un si fin mime des comédies qu’il raconte, qu’au moment, où je me lève pour demander s’il est onze heures, j’entends sonner une heure du matin. […] Une illustre actrice du Théâtre-Français lui disait : — Monsieur Musset, on m’a raconté que vous vous étiez vanté d’avoir couché avec moi ? […] Il racontait, aujourd’hui, qu’avec la première pièce de vingt sous de son enfance, il avait acheté une bourse de dix-neuf sous, dans laquelle il avait mis le sou qui lui restait.

33. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — II » pp. 435-454

Une première fois (1778), nommé bailli ou préfet à Gessenai, contrée pastorale et l’une des plus belles des Alpes suisses, il aimait à raconter les instructions qu’il reçut de l’avoyer d’Erlach à la veille de son départ. […] Il racontait cela, il l’écrivait et tournait ainsi en ridicule un patriciat qui, pour s’en tenir à des recommandations si simples, n’en était peut-être pas moins sage. […] On vint demander à M. le bailli un passeport pour ces bonnes filles, afin qu’elles pussent en toute sûreté gagner Fribourg, une terre catholique. « Précisément dans ce moment-là, racontait Bonstetten, j’expédiais la permission d’exporter pour les besoins de l’armée française une certaine quantité de bétail. […] Bonstetten brodait là-dessus une historiette avec embellissements et variantes chaque fois qu’il la racontait. […] On ne leur parlait qu’à genoux : Je me souviens, raconte Bonstetten, qu’une des premières informations que j’eus chez moi comme juge fut celle d’une dame accompagnée de ses deux filles.

34. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1890 » pp. 115-193

À ce propos Daudet raconte ceci : Belot lui parlait d’un certain dîner Dentu, dont faisaient partie, Boisgobey, Élie Berthet, etc., lui disant qu’il entendrait là des choses qui pourraient lui servir, et le poussait vivement à en faire partie. […] Et les regardant aujourd’hui, et les voyant : l’une arrêtée à 6 heures et quart ; une autre à 9 heures ; une autre à midi et demie : ces heures m’intriguent ; je me demande, si ces heures sont des heures tragiques dans la vie de celles qui les ont possédées, et si elles racontent un peu de la malheureuse histoire intime de ces femmes. […] Il peint l’enrôlement, où on demande à l’enrôlé d’où il est, et où on écrit son lieu de naissance, sans y croire, où on lui demande son nom, et où il donne dix fois sur cent, le nom de Weber ou de Meyer, et où on lui dit : « Non, il y en a trop, tu t’appelleras Martin ou Lafeuille » : enrôlement où l’on n’écoute pas ce que l’enrôlé raconte de sa vie antérieure. […] Et Mme Lockroy, nous racontait, ce soir, qu’au commencement de la guerre, où tout le monde haletait après les nouvelles, un jour de brouillard, où les journaux étaient arrivés à la nuit, et où on se les arrachait, il n’avait touché à aucune des feuilles éparses devant lui, demandant qu’on lui racontât ce qu’il y avait dedans. […] Et l’on cause de la cherté du mariage à la Nonciature apostolique et ailleurs, et il me raconte qu’à son mariage, sa belle-mère se plaignant de cette cherté à l’abbé, avec lequel elle réglait la cérémonie, l’abbé lui avait répondu : « Oh !

35. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXII » pp. 222-236

Bussy-Rabutin, dans ses Amours des Gaules 61, raconte comment il arriva que madame de Montespan, sous les yeux, dans la société intime de madame de La Vallière, devint sa rivale préférée, longtemps avant que cette amante passionnée s’en doutât, longtemps encore après qu’elle en eût la certitude ; le roi se trouvant alors partagé entre la maîtresse qu’il n’aimait plus, celle qu’il commençait à aimer, et la reine, dont il affligeait la tendresse, toutefois sans déserter sa couche. […] Les mémoires de mademoiselle de Montpensier nous apprennent que jusqu’à la mort de la reine-mère, arrivée le 20 janvier 1666, « le roi avait gardé quelques mesures de secret sur son amour pour madame de La Vallière, pour ne point donner de chagrin à la reine-mère ; mais que quand il fut hors de cette appréhension, cette affaire devint publique » ; et Mademoiselle ajoute que dans ce temps-là… madame de Montespan, qui était une des dames de la reine, « commença à aller chez madame de La Vallière, qui était ravie de la voir chez elle pour amuser le roi. » C’est cet amusement du roi qui commença l’intrigue dont Bussy-Rabutin raconte si bien l’origine. […] Il est vraisemblable que l’époque où mademoiselle de Montpensier raconte comme récentes les premières plaintes du marquis de Montespan contre sa femme et en même temps contre madame de Montausier, est la même que celle où des avis conformes furent donnés à la reine, c’est-à-dire l’époque du voyage de Compiègne, en 1667. […] Mademoiselle de Montpensier rapporte à la page déjà citée que peu après les propos dont elle réprimanda Montespan, « madame de Montausier étant dans un passage derrière la chambre de la reine, où l’on met ordinairement un flambeau en plein jour, elle vit une grande femme qui venait droit à elle, et qui, lorsqu’elle en fut proche, disparut à ses yeux, ce qui lui fit une si vive impression dans la tête et une si grande crainte qu’elle en tomba malade. » Le duc de Saint-Simon raconte ce fait singulier et mystérieux d’une manière plus significative.

36. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Félix Rocquain » pp. 229-242

Du moins, c’est ce que son titre impliquait… Et il ne nous a raconté que les Effets révolutionnaires, incapable qu’il était de pénétrer dans cette profondeur des Causes et de jeter sa sonde là-dedans ! […] L’esprit révolutionnaire d’avant la Révolution, a commencé par être royalement révolutionnaire, d’avant et de pendant des règnes qui n’étaient pas ces deux misérables derniers racontés par M.  […] Est-ce modestie ou défiance de soi qui le fait se couvrir de l’opinion et des mots des autres sur les choses qu’il raconte ? […] Il n’est pas douteux pour qui que ce soit que si cet historien avait vécu dans la mêlée du temps qu’il raconte, il n’eût parlé, écrit, agi, dans la mesure de sa force, qui n’est pas grande, il est vrai, mais dans le sens de tous ceux-là dont il nous répète les observations, les opinions et les maximes.

37. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — II. (Fin.) » pp. 213-233

Le xvie  siècle était pour Mézeray ce que le xviiie a été pour nous : il en sortait, il en était nourri, il en savait les traditions, le langage ; il en avait ouï raconter les derniers grands événements à des vieillards ; les souvenirs et l’esprit lui en venaient de tous les côtés ; nul n’était plus propre que lui à en retracer une histoire entière, et c’est ce qu’il a fait pendant l’étendue d’un in-folio et demi. […] Mézeray, par l’esprit qui circule dans son Histoire, me représente assez bien un libéral de l’école de 89, qui aurait à raconter la Révolution française et qui tâcherait d’en extraire ce qu’il y a eu de louable, de modéré, de juste, en s’affligeant d’autant plus des horreurs et des représailles qui ont eu lieu dans les deux sens. […] On sait la célèbre réponse du premier président Achille de Harlay au duc de Guise, qui lui vient demander son concours dès le soir même du triomphe des Barricades : « C’est grand pitié quand le valet chasse le maître, etc. » Faisant quelque mention de cette réponse, Mézeray ajoute : Toutefois ceux-là sont plus croyables qui racontent que ce sage magistrat, usant d’un procédé plus convenable à un temps si dangereux, écouta patiemment ses excuses et les offres qu’il lui fit pour le maintien de la justice, le remercia de la bonne intention qu’il lui témoignait de ne s’éloigner jamais du service du roi, et l’exhorta de la confirmer par de bons effets, afin de rejeter tout le blâme de cette journée sur le front de ses ennemis. […] On raconte que l’aimable fils de Colbert, M. de Seignelay, pour lors âgé de seize ans, et qui étudiait en philosophie au collège de Clermont, ayant lu le livre, en parla à son père, et lui parut singulièrement instruit, d’après cette lecture, de l’origine des impôts et revenus du roi, de la taille, gabelle, paulette, etc., et même de leurs abus et inconvénients, que Mézeray était plus porté à exagérer qu’à diminuer. […] On y apprend cette vieille France racontée dans son propre langage, avec ses propres images, ses plaisanteries de circonstance ou ses énergies naïves, et toutes ses couleurs familières, et non traduite dans un style modernisé.

38. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1888 » pp. 231-328

Je me trouve à côté de Clemenceau qui raconte des choses assez curieuses sur les paysans malades de sa province, et sur les consultations en plein air qu’on lui demande au milieu de ses pérégrinations à travers le département. […] Dans un entracte, Daudet me raconte qu’Aubanel lui avait lu la pièce à lui et à Mistral, à Arles, dans le vieux cimetière des Aliscamps : Mistral et lui couchés dans une tombe antique, et Aubanel faisant sa lecture dans une autre tombe. […] Alors le père lui racontait, que l’entendant, une nuit, tout doucement pleurer dans son lit, il lui demandait ce qu’il avait, et que l’enfant lui répondait : « Ça m’ennuie de mourir !  […] » Et Daudet raconte, qu’après une nuit passée, avec Racinet, dans les bois près de Versailles, ils avaient été réduits à manger du pain, à déjeuner… mais qu’ils en avaient mangé pour dix-sept sous. […] À ce sujet, elle raconte, que jouant avec je ne sais plus qui, elle s’étonnait d’avoir les bras tout bleus, et qu’elle avait reconnu, que ça venait d’un petit coup de doigts, qu’il lui donnait à un certain instant.

39. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre VIII. Du pathétique »

Le mot de La Bruyère peut s’appliquer à l’expression de tous les sentiments : « Amas d’épithètes, mauvaises louanges ; ce sont les faits qui louent, et la manière de les raconter. » Quand Mme de Sévigné veut faire sentir à sa fille tout son chagrin de leur séparation, elle ne se jette point dans les exclamations, elle n’emploie pas les adjectifs : elle raconte par le menu l’emploi de sa journée, après que Mme de Grignan fut partie.

40. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Femme au XVIIIe siècle » pp. 309-323

Ils racontèrent pour raconter. […] Ils ne le racontaient pas pour le raconter, et ils ne le peignaient pas pour le bonheur et le mérite stériles de le peindre.

41. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Xavier Eyma » pp. 351-366

Ce n’est pas purement et simplement un livre d’histoire qui raconte. […] L’historien que voilà, placé entre Tocqueville et Guizot, nous l’a racontée dans un pathos constitutionnel dont les échos lassés ne voudraient plus, s’ils s’entendaient, et un embarras qui l’honore, mais qu’il cherche à perdre dans un attendrissement excessivement travaillé. […] Il se contente de les raconter avec une grande bonne foi, je l’ai dit, mais, j’insiste, rougissant honnêtement, quand l’occasion s’en présente, pour ce qu’il aime, et faisant le plus qu’il peut feuille de figuier au péché dont l’Amérique n’a pas honte, mais dont il a, lui, honte pour elle ! Après avoir amnistié avec tant d’aisance et de rapidité l’origine de la République américaine, il a raconté ce qu’il appelle ses épreuves ; puis il nous a donné beaucoup moins l’histoire des présidences, depuis Washington jusqu’à M. 

42. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Ch. Bataille et M. E. Rasetti » pp. 281-294

Il ne lui reste d’homme que ce qu’il en faut pour manier une plume et pour raconter les amours des diverses espèces, car de personnes humaines dans son livre, avec leur libre arbitre et leur équilibre, il n’y en a point. […] Bataille, un instant combattu chez son docteur Quérard, un brave homme auquel il essaie de nous intéresser, et qui fait des choses que la Critique va vous raconter, mais en prenant ses précautions ; l’amour, chez tous les personnages de ce livre sanguin et matériel, ou plutôt la notion même de l’amour, dans la tête de M. Charles Bataille, n’est que la notion du satyriasis, revêtue d’une expression pourprée, pléthorique, qui veut être lyrique à toute force, et qui, sous son lyrisme artificiel, ne cache pas pour nous la honte de la chose, car l’auteur, lui, ne la connaît pas, et, quand il rougit, ce n’est pas de cela… Un tel livre, que l’expression et le bouillonnement empêchent d’être un livre à la de Sade, aurait un succès fou chez les singes, si ces messieurs lisaient des romans ; mais ce n’est pas là une raison décisive pour en avoir un parmi nous… III J’ai dit que je prendrais mes précautions pour raconter le livre de MM. Bataille et Basetti ; je les prendrai et je le raconterai en quelques mots… Il faut bien que les pauvres gens qui ne demandent qu’à lire sachent de quoi il s’agit dans un livre dont on leur parlera certainement, parce qu’il est sur un sujet scabreux et scandaleux.

43. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre deuxième »

C’est cette sincérité d’un narrateur qui ne parle que de ce qu’il a vu, ou qui nomme et compte ses témoignages quand il raconte sur ouï-dire. […] Les mémoires sont les souvenirs personnels d’un homme qui a été mêlé aux événements qu’il raconte ; les chroniques peuvent être l’ouvrage d’un historien de cabinet, lequel ne fait que mettre en récit les souvenirs d’autrui. […] L’historien, ou plutôt le chroniqueur, car il faut approprier les noms aux époques n’avait qu’à raconter et à peindre. […] Froissart s’ennuie de la paix, parce qu’elle ne donne matière ni à raconter ni à peindre. […] Sur la fin de sa vie, son imagination ayant perdu de sa vivacité et sa raison s’étant fortifiée, il laisse voir quelque intention de juger les choses qu’il raconte.

44. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome I pp. 1-402

Pour atteindre ce but, il lui suffit de raconter le règne d’un roi patriarche. […] C’est à son chien qu’il raconte ses espérances déçues, ses projets de vengeance. […] Quand l’auteur renonce à la déclamation, quand il consent à raconter, ce n’est pas l’histoire qu’il raconte, c’est la biographie anecdotique des personnages avant l’heure où Us entrent en scène. […] Si l’action principale n’est pas racontée avec toute la sobriété que le goût commande, les épisodes qui viennent se grouper autour de cette action sont à leur tour racontés avec une prolixité désolante. […] Les préfaces où il raconte la marche de sa pensée, comme Jules César racontait ses campagnes, en parlant de lui-même à la troisième personne, sont là pour attester l’isolement dont nous parlons.

45. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires du comte Beugnot »

Lui-même, érudit fort distingué, mais encore plus causeur spirituel, il se plaisait à raconter des scènes de la vie de son père, des épisodes dramatiques et comiques du Conseil d’État, des malices sur quelques contemporains du Consulat et de l’Empire, par exemple sur François de Neufchâteau, qui, ayant à faire le récit du 19 brumaire, le soir même, devant des auditeurs avides et impatients, ne parvenait pas à sortir des parenthèses ni des embarras que sa voiture avait rencontrés dans sa route vers Saint-Cloud : on lui demandait les grands résultats, les résolutions prises, et il vous expliquait, à n’en pas finir, comment il avait eu toutes les peines du monde à passer. […] Beugnot raconte avec bien de la finesse les misères, les gueuseries, les roueries, les incroyables succès, les fabuleuses audaces de celle dont il put bien être le confident, mais non pas la dupe, et dont il sut éviter d’être dévoré. […] Ses frayeurs, soit réelles, soit à demi jouées, étaient sur la fin devenues proverbiales ; ne pouvant les maîtriser ni en faire mystère, il avait trouvé plus simple d’être le premier à en rire ; on a raconté de plaisants apartés, des apostrophes qu’il s’adressait nez à nez devant son miroir. […] Beugnot tenait fort à ces arbres, qu’il avait plantés en des temps plus heureux et qui faisaient la joie des habitants : il réussit à les sauver moyennant distribution de bois qu’il fit faire aux troupes, au double de ce qui était nécessaire, et il nous raconte comme il suit son succès : « Tel est, nous dit-il, l’excès de notre prévention pour ce qui est notre ouvrage, que j’étais dans le ravissement pour avoir préservé un jardin que, deux jours après, je devais quitter, peut-être pour ne jamais le revoir, mais à coup sûr pour ne plus le posséder. […] Le voyage de Gand, dans les Cent-Jours, est des plus spirituellement racontés.

46. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 16, des pantomimes ou des acteurs qui joüoient sans parler » pp. 265-295

Il raconte qu’Hilas, l’éleve et le concurrent de Pylade, qui fut l’inventeur de l’art des pantomimes, comme nous l’allons dire, executoit à sa maniere un monologue qui finissoit par ces mots, Agamemnon le grand. […] Macrobe raconte que Pylade se fâcha un jour qu’il joüoit le rolle d’Hercule furieux, de ce que les spectateurs trouvoient à redire à son geste trop outré suivant leur sentiment. […] Lucien se déclare lui-même zelé partisan de l’art des pantomimes, et l’on sent qu’il avoit du plaisir à raconter les faits qui pouvoient faire honneur à cet art. […] Lucien raconte encore qu’un roi des environs du Pont Euxin, qui se trouvoit à Rome sous le regne de Neron, demandoit à ce prince avec beaucoup d’empressement un pantomime qu’il avoit vû joüer, pour en faire son interprete en toutes langues. […] La seconde raison c’est que Tacite en parlant du retour des histrions dont il avoit raconté l’expulsion, les appelle pantomimes.

47. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE BALZAC (La Recherche de l’Absolu.) » pp. 327-357

Faut-il qu’on puisse raconter de Crébillon fils la même flatteuse aventure qu’on raconte, bien que par erreur, du plus chaste et du plus divin de nos poëtes102 ! […] L’auteur de ce récit, qui ne se nomme pas, est évidemment un homme vertueux, d’une parfaite bonne foi, sensible de cœur et pénétré de la vérité de ce qu’il raconte. […] Mais le plus touchant et le plus inimitable endroit est celui où il raconte sa découverte, et les sensations inouïes qui l’agitèrent sitôt que le mercure brilla fixé en or sous ses yeux : « Que ma joie fut vive et grande ! […] ) — Jules Sandeau m’a plus d’une fois raconté qu’il était auprès de Balzac au moment où cet article de la Revue des Deux Mondes lui arriva. […] On raconte à ce sujet une historiette assez piquante dont on prête le récit à M. de Latouche : je la donne ici sans la garantir, et uniquement à titre d’apologue.

48. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXII » pp. 242-243

Il décrit à merveille le pays, les habitants, les mœurs, les ridicules : les petites histoires galantes et romanesques, même les petites historiettes un peu gaies y sont racontées avec complaisance et politesse. […] Thomas, en fouillant dans les archives très-riches de Dijon, a trouvé de quoi retracer et raconter l’époque par la bouche des contemporains mêmes.

49. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 février 1885. »

Ainsi le raconta Wagner lui-même à M.  […] Léon Leroy envoya au Nain jaune, journal bi-hebdomadaire d’Aurélien Scholl, une correspondance (24 juin 1865) où il raconte les vicissitudes de la 1re représentation, et expose avec enthousiasme le sujet du drame. […] Quelques-unes ont été racontées dans un livre récemment publié de Mme Judith Gautierae Iseult 3. […] Ils allèrent trouver le roi Marc’h et lui racontèrent ce qu’ils avaient vu ; le roi ne voulut pas les croire. […] Voici comment Mme Judith Gautier raconte cet épisode : « Pour se rendre à la chapelle qui renfermait les saintes reliques, il fallait traverser un ruisseau bourbeux qu’on pouvait passer à gué en certains endroits.

50. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — II. » pp. 195-213

Elle raconte et confesse, en fort bon style didactique, ses propres luttes épineuses sur l’article de la vanité : « Voilà, ma bonne amie, une peinture ingénue des révolutions dont mon cœur fut le théâtre !  […] Quelques légèretés qu’on raconta de lui s’y ajoutèrent pour compromettre l’idéal. […] Peut-être, car en matière si déliée il faut tout voir, peut-être la lettre à Sophie n’est-elle aussi que d’une fidélité suffisante ; peut-être fut-on plus dure et plus dédaigneuse en effet avec La Blancherie, qu’on n’osa le raconter à la confidente, par amour-propre pour soi-même et pour le passé. […] Et quel est donc l’auteur de Mémoires qui pourrait supporter, d’un bout à l’autre, l’exacte confrontation avec ses propres Correspondances contemporaines des impressions racontées ? […] On raconte que l’amour et le dévouement ont fait porter ce déguisement à quelques femmes… Ah !

51. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « M. Fiévée. Correspondance et relations avec Bonaparte. (3 vol. in-8º. — 1837.) » pp. 217-237

Il raconte ces arrestations avec une sorte de gaieté ironique, qu’il n’y a pas mise après coup et qui était bien dans sa nature. […] Forcé de sortir de Paris en Vendémiaire, il raconte très spirituellement sa fuite et les divers incidents du voyage, la patache de ce temps-là, la patache primitive en plein vent, et dans toute sa rusticité originelle : « J’en ai vu depuis, dit-il, mais corrompues par le luxe qui nous envahit ; elles sont couvertes. » Les dialogues qui égayent le chemin sont d’excellentes scènes de mœurs. […] Fiévée eut l’heureuse idée de se distraire en écrivant La Dot de Suzette, ou Histoire de Mme de Senneterre racontée par elle-même (an VI), un de ces petits romans qui font, en France, la réputation d’un homme grave plus vite que ne feraient vingt brochures sérieuses. […] La Dot de Suzette, qui ne semblait qu’une anecdote vraie, racontée avec intérêt et délicatesse par une femme (car la première édition était anonyme), donna satisfaction à ce désir d’un goût plus simple. […] Le moment où Mme de Senneterre se voit munie de cette lettre de recommandation, son étonnement involontaire en la retournant machinalement entre ses mains, sa préoccupation de l’accueil qui lui sera fait, son inquiétude pour sa toilette qu’il faut proportionner à la modestie de sa condition nouvelle, tout cela est pris dans la nature et devait rappeler à plus d’une lectrice des circonstances trop réelles et trop récentes : Extrêmement fatiguée de ne pouvoir m’arrêter à rien, racontait Mme de Senneterre, je me couchai.

52. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre I. »

Pendant ce temps il a mis à profit les loisirs que lui laissait son travail pour transcrire les contes populaires du pays que lui racontaient des indigènes de toutes classes et de toutes professions : griots1, gardes, interprètes, dioulas2, laptots3, simples cultivateurs. […] Quant au titre principal : Aux lueurs des feux de veillée, il s’explique par les conditions dans lesquelles se racontent généralement ces récits. […] A l’exception, en effet, des noirs qui ont longuement vécu en contact avec nous et qui ont acquis à ce contact un certain scepticisme, il n’est guère de narrateur qui raconte volontiers ses légendes à la lumière du soleil. […] Comme contes simplement humoristiques ou satiriques, je citerai entre autres : Hâbleurs bambara. — L’avare et l’étranger ; ceux qui racontent les exploits de quelques joyeux sacripants : tels que Fountinndouha (les méfaits de Foutinndouha). — Les fourberies de M.  […] J’ai répondu, je réponds encore ceci que ceux qui me les ont racontés appartenaient tous aux classes les plus modestes de la société ; que d’ailleurs, au cours de déplacements qui m’amenaient parmi des peuplades très diverses ; j’avais entendu raconter avec quelques variantes insignifiantes, les mêmes récits.

53. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens I) MM. Albert Wolff et Émile Blavet »

Il s’est dit : « Il faut qu’aujourd’hui, comme hier, comme demain, je raconte des histoires et fournisse des idées — des idées   à cinquante mille abrutis qui me sont parfaitement indifférents. […] Et ce prince des chroniqueurs, dès qu’il cesse de nous raconter des anecdotes et s’élève à des « idées générales », écrit la plupart du temps dans une langue qui n’a pas de nom : un pur charabia de cheval d’outre-Rhin. […] L’écrivain raconte n’importe quoi et ramène de temps en temps un thème, un refrain. […] S’il raconte quelque fête où ce qui nous reste d’aristocratie s’est encanaillé plus que de raison, il sait qu’il faut s’attrister, et il s’attriste.

54. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVIII. Souvenirs d’une Cosaque »

II Encore une fois, c’est la Cosaque promise dans le titre que je voudrais et que tout le monde voudra… C’est elle qui m’y fait faux bond et qui m’y manque, car une femme qui raconte publiquement ses amours n’est pas plus une merveille cosaque que française. En France, nous avons maintenant de ces femmes-là, qui les racontent très bien avec tous les détails de la chose. […] Excepté une chasse aux loups, racontée presque avec la rapidité du traîneau sur lequel la dame est montée et avec des nerfs auxquels je reconnais la vraie femme, je n’aurais pas, littérairement, le moindre détail cosaque à me mettre sous la dent ; et encore le petit cochon de lait que je n’y mets pas, et qu’en cette chasse où les chasseurs sont chassés, on traîne au bout d’un cordon, derrière le traîneau, pour exciter les loups, qui finissent par le dévorer, ce petit cochon me gâte cette scène cosaque, avec son petit air français. […] Il est très commun en France, — plus commun même que les femmes qui y racontent impudiquement leurs amours, quoiqu’elles s’y multiplient beaucoup.

55. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Dargaud »

… D’ailleurs, Dargaud savait que malgré les abus de la vanité qui se plaint ou qui se raconte, le genre vieilli était éternel. […] Il a compris enfin que, de tous les passés de l’homme, la première partie de l’existence, écoulée au sein d’une famille si vite dévorée par la mort, était le passé le plus touchant et le plus beau, et il nous a raconté le sien. […] Auprès de ce chaste et mortel épisode du premier amour, raconté par Dargaud de manière à faire trouver une dernière larme aux yeux qui en ont le plus versé, nous aurions eu des scènes d’un autre caractère, moins troublantes peut-être, mais aussi touchantes, à coup sûr. […] Que n’aurait pas été Leopardi s’il avait eu la foi du Dante, ce Leopardi dont la gloire se raconte à l’oreille de quelques artistes curieux ?

56. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « André Chénier »

On raconte que le prince de Ligne, l’élégant, le brillant, le fastueux, le spirituel prince de Ligne, fut attaqué, sur le tard de sa vie, de la maladie dont Sylla mourut, — la maladie pédiculaire, — et qu’il donna à l’une de ses maîtresses un de ses… rongeurs, dans un médaillon qu’elle eut le courage et le fanatisme de porter. […] Mais on n’a pas trouvé que ce fût assez, et on nous a raconté sa vie, et on nous a donné le dessous de cartes de ses travaux, l’envers et le déshabillé de son œuvre, — ce qui va nuire à son effet et en diminuer la magie. […] Cette vie, d’ailleurs, valait-elle la peine d’être racontée ?… Ôtez ce coup de guillotine, luisant, maintenant, pour jamais, sur cette tête de Chénier qui renvoie à la guillotine sa lumière ; ôtez le mot immortel : « J’avais quelque chose là », et tout est dit pour l’éternité ; vous n’avez plus rien à raconter.

57. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Prosper Mérimée. » pp. 323-336

Prosper Mérimée, l’auteur de Clara Gazul, de Colomba et de Carmen (ses meilleurs titres, dit-on, à la renommée), avait eu la grande vocation, cette vocation dominatrice et enflammée qu’on pourrait appeler l’idée fixe sans folie, on ne l’eût pas vu, au milieu de sa vie, je ne dis pas de romancier devenir historien, par la raison très-simple que, qui sait raconter le cœur de l’homme peut bien raconter le cœur des peuples, mais de romancier devenir archéologue, philologue, antiquaire, et finir en Raoul-Rochette après avoir commencé en Stendhal… M.  […] Une autre raison encore de ce succès chez le peuple de vaudevillistes, que nous avons le bonheur d’être, c’est la simplicité de la donnée de ces petits romans, tout en action extérieure, d’un sentiment brutal ou sinistre, et racontés avec cette impassibilité de roué qui aura toujours, en France, pays de vanité, un immense empire. […] La vie des Faux Démétrius de Russie, cet imbroglio dramatique, cette mystification pour tout un peuple, cette sanglante et incroyable comédie, deux fois recommencée et toujours avec le même prestige, avec la même force d’illusion, l’histoire des Cosaques d’autrefois, ce poëme dix mille fois plus poétique que le Corsaire de lord Byron, et qu’un Byron seul, doublé d’un Hogarth, pouvait raconter, ont été écrites par une plume qu’elles n’ont pas réchauffée, et qui avait plus de netteté et de tranchant autrefois, quand elle écrivait des romans bien moins romanesques que ces histoires.

58. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1895 » pp. 297-383

La porte fermée, alors il me raconte qu’il a été chargé d’un recouvrement, qu’il a mangé, et que là-dessus il a été mis dehors. […] Bousquet, raconte qu’il a été un moment tellement séduit par le Japon, qu’il avait écrit à sa famille de quitter la France, de lui amener une demoiselle dont il était épris, et qu’ils vivraient tous là, comme dans le Paradis. […] » On parle au Grenier de Mme Segond-Weber, et Armand Charpentier raconte, qu’il y a bien longtemps, il a été la chercher, pour la récitation d’un morceau de poésie, dans une représentation d’amateurs. […] Puis, il me raconte avoir assisté à un traité entre Verlaine et l’éditeur Vanier, où l’éditeur ne voulait donner que vingt-cinq francs, de quelques pièces de poésie qu’il venait d’écrire, et dit que Verlaine tenait à avoir trente francs. […] Il y a tant de diagnostiqueurs qui se trompent, et dans la confiance absolue de leur diagnostic, n’écoutent rien, dans une visite, de ce que leur racontent les malades.

59. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 210-213

le Sage raconte ainsi ce trait dans son Diable Boiteux. […] On raconte que Dufresny ayant un jour reproché à l’Abbé Pellegrin qu’il portoit du linge sale : Tout le monde, lui répondit l’Abbé, n’est pas assez heureux pour pouvoir épouser sa Blanchisseuse.

60. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — II. Duclos historien » pp. 224-245

., etc ; et dont voici le sens : Tandis que Duclos raconte les grandes actions de Louis XI, les femmes sont sous le charme, suspendues à son doux langage. […] Mais, dès que Louis XI est né, on tire son horoscope, et l’abbé Le Grand nous raconte ce qu’on lui prédit : On prédit qu’il vivrait soixante et dix ans, et qu’il passerait les mers, ce qui s’est trouvé faux. […] En indiquant ce qui s’est vérifié, l’abbé Le Grand donne, dès les premières lignes, un aperçu et comme un tracé général de la vie et du règne qu’il va raconter. […] Après avoir raconté la mort de Louis XI, le judicieux abbé disait : « Telle fut la fin de ce prince. […] Duclos raconte et emprunte tout ce détail ; il fait dire au prince en sanglotant : « J’étais cadet, j’avais autant de dispositions que mes aînés ; on a eu peur de moi ; on ne m’a appris qu’à chasser ; on n’a cherché qu’à m’abrutir… » Ici j’arrête Duclos : il fallait mieux copier et laisser le mot abêtir, qui n’a pas tout à fait le sens d’abrutir.

61. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — II. (Fin.) » pp. 411-433

Volney, qui professe en bien des endroits qu’il n’y a rien de plus sage que le doute, va ici beaucoup plus loin ; il explique, comme s’il le savait de science certaine, l’origine, selon lui astronomique, des religions ; il raconte les mystères des temps primitifs comme s’il y avait assisté. […] Volney porte jusque dans l’étude des faits un peu de ce dédain qu’ont les hommes qui pensent pour ceux qui racontent. […] On raconte qu’un jour Marmont, gouverneur d’Alexandrie, eut l’idée d’envoyer quelque présent de fruits et de vivres à l’amiral anglais qui était en vue et qui bloquait la mer. […] J’ai autrefois entendu raconter à Lemercier que Volney poussait loin alors l’attention et la déférence pour le jeune général. […] Mais laissons-le poursuivre et nous raconter avec plus d’abandon que nous ne lui en avons jamais vu, qu’il n’est plus comme autrefois l’homme exact, esclave de ses projets une fois arrêtés : Ceci me rappelle encore un singulier Hollandais, jadis ambassadeur au Japon, et que j’ai connu à Paris, Titsing ; il me disait en février : « Je partirai le 6 septembre prochain, à sept heures du matin, pour aller voir ma sœur à Amsterdam ; j’arriverai le 12, à quatre heures. » Si cela manquait de demi-heure, il était malheureux.

62. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Edmond About » pp. 63-72

Il faudra le génie, qui a le droit de parler de ce que tout le monde sait, parce qu’il y ajoute quelque chose que ne sait pas tout le monde, pour faire excuser la hardiesse d’un auteur qui s’en vient raconter ou décrire ce que tout le monde a vu ou pu voir, maintenant, à si bon marché : un coin quelconque de la planète ! […] Il raconte l’anecdote, brasse les petits faits comme un statisticien, et ne conclut pas. Pour donner une idée de cette indifférence à conclure, il raconte quelque part, avec une lestesse de plume et un faire de romancier moderne, l’histoire de cette femme à trois maris vivants qu’il appelle Jante, qui voyait la meilleure compagnie d’Athènes, et il ne tire pas une seule conclusion — une conclusion quelconque !

63. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quinzième. »

Tous les deux ont raconté les principaux événements du règne de Louis XIV, en mettant au premier plan les détails de l’histoire intérieure de la cour, et chacun l’a fait selon son caractère et sa position. […] Saint-Simon veut avoir vu tout ce qu’il raconte ou le tenir de la bouche des premiers rôles, et il parle en confident là où il ne parle pas en acteur. […] Il lui faut des ruines à peindre, des fautes à raconter. […] Les anciens ne racontent que les événements publics, la vie publique, soit au pied de la tribune, soit sur les champs de bataille. […] Saint-Simon raconte ce qui ne se voit pas, ou ce qui a peu de témoins : négociations, intrigues, vues secrètes, et non seulement les intentions exprimées par les paroles, mais celles que les paroles servent à déguiser ; les vrais mobiles des actions, non d’après certains lieux communs de morale, mais sur ce qu’il en a surpris ou pénétré ; les passions avec les nuances qu’elles reçoivent des situations et des caractères.

64. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1856 » pp. 121-159

Plus de public, mais une certaine quantité de gens qui aiment à digérer, en lisant une prose claire ressemblant à un journal, qui aiment à se faire raconter des histoires en chemin de fer par un livre qui en contient beaucoup, et qui lisent non pas un livre, mais pour vingt sous… Véron, un Mécène encensé sous le masque par la Société des gens de lettres. […] Ce qu’ils me racontent, je le sais. […] » À la fin du dîner, au café, dans ce monde dînant en manches de chemise, Dinochau, le cheveu frisotté, la figure émerillonnée, vient se mêler à la littérature, et raconte des charges d’Auvergnat. […] Et Lavallée nous raconte ses révoltes à propos de cette glorification, — lui qui était cependant très libéral, — nous disant avec justice que sa génération n’avait pas été encore apprivoisée au Robespierre, par des tentatives d’explication comme dans Thiers ou des poétisations comme dans Lamartine. […] À propos d’un charmant portrait de la Duthé, que nous lui disons se trouver chez Mme de Boigne, et provenant d’un legs fait à un d’Osmont par l’abbé de Bourbon, lors d’une maladie dont il crut mourir, il nous raconte qu’il a vu la Duthé, étant encore tout enfant.

65. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — IX. Chassez le naturel… »

dit-il notre pari ne nous interdit pas de nous raconter quelque histoire pour rendre le temps moins long, n’est-il pas vrai, frère singe ?  […] Le singe, de son côté, racontait son histoire, sans écouter le moindrement ce que disait son interlocuteur.

66. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VIII, les Perses d’Eschyle. »

Hérodote raconte encore d’elle une horrible histoire. […] Malheur à moi de raconter le premier tant de maux ! […] « Voilà ceux dont les noms me reviennent », — dit le Messager en terminant son appel funèbre, — « mais je ne t’ai dit que très peu de nos pertes qui sont innombrables. » Alors Atossa lui demande de raconter l’action plus au long. […] Je mettrais dix jours à te raconter la multitude de nos maux, que ces dix jours entiers ne suffiraient pus. […] Maintenant c’est l’épisode de Psytallie qu’il raconte, la petite île « hantée par Pan, et qu’il couronne de ses danses ».

67. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1878 » pp. 4-51

”… Tenez, que je vous raconte une anecdote. […] Vendredi 22 février Bardoux, à la table des Charpentier, racontait un curieux dîner fait chez Axenfeld. […] Axenfeld déjà souffrant, d’abord silencieux, se levant tout à coup et dominant les paroles tumultueusement confuses : « Moi, s’écriait-il, je mourrai du cerveau », — et il se mettait à raconter sa mort, telle qu’elle arriva. […] * * * — Burty racontait, ce soir, que le fils de Martener, le fils du médecin, dont Balzac n’a pas changé le nom dans Pierrette, avait une fille qu’il adorait. […] Il raconte longuement, voluptueusement, l’anecdote d’un punais, du nez duquel tombe une viscosité, une sépia, qui force le docteur Trousseau à quitter son cabinet, et à n’y rentrer que le lendemain.

68. (1913) La Fontaine « I. sa vie. »

Si je trouve l’histoire de Poignant un peu plus probante, c’est qu’elle a été racontée par Racine le fils, qui est un témoin plus sérieux que Tallemant des Réaux ; il y a là, évidemment, très peu d’intermédiaires. […] Il vient de raconter les amours de Philémon et Baucis, c’est très attendrissant, cela l’a attendri tellement lui-même que cela l’a mis dans un état d’esprit qui n’était peut-être pas du tout celui de tous les jours. […] Vous savez ce qu’a raconté Théophile Gautier. […] Je vous ai raconté la vie de La Fontaine parce que je crois bien qu’il faut raconter même les existences dont le récit laisse une assez fâcheuse impression. […] Mais je suis sûr qu’il faut toujours finir par raconter l’existence des grands hommes de lettres.

69. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon » pp. 423-461

Le jeune Saint-Simon fut donc élevé auprès d’une mère, personne de mérite, et d’un père qui aimait à se souvenir du passé et à raconter mainte anecdote de la vieille Cour : de bonne heure il dut lui sembler qu’il n’y avait rien de plus beau que de se ressouvenir. […] La vie de Saint-Simon n’existe guère pour nous en dehors de ses Mémoires ; il y a raconté et sans trop les amplifier (excepté pour les disputes et procès nobiliaires), les événements qui le concernent. […] Cette mission fut plus honorifique que politique, et il l’a racontée fort au long96. […] Après sa retraite de la Cour, il venait quelquefois à Paris, et allait en visite chez la duchesse de La Vallière ou la duchesse de Mancini (toutes deux Noailles) : là, on raconte que, par une liberté de vieillard et de grand seigneur devenu campagnard, et pour se mettre plus à l’aise, il posait sa perruque sur un fauteuil, et sa tête fumait. — On se figure bien en effet cette tête à vue d’œil fumante, que tant de passions échauffaient. […] Quand il raconte des conversations, il lui arrive de reproduire le ton, l’empressement, l’afflux de paroles, les redondances, les ellipses.

70. (1890) L’avenir de la science « XV » pp. 296-320

Il ne raconte pas les choses, mais les imaginations qu’il s’est faites à propos des choses, ou plutôt il se raconte lui-même. […] On raconte d’étranges choses de l’insensibilité et de la dureté de Malebranche, et cela devait être. […] C’est que la narration de Tacite est objective ; il raconte ou cherche à raconter les choses et leurs causes telles qu’elles furent en effet ; la narration des évangélistes, au contraire, est subjective : ils ne racontent pas les choses, mais le jugement qu’ils ont porté des choses, la façon dont ils les ont appréciées. […] C’est que la première raconte le fait dans sa réalité toute nue, et que la seconde mêle à ce récit un élément subjectif, une appréciation, un jugement, une manière de voir du narrateur. […] Prêtre et poète, comme Orphée, médecin et thaumaturge, toute la Sicile racontait ses miracles.

71. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1887 » pp. 165-228

» Et il lui racontait un brisement de sa vie. […] Daudet raconte qu’à l’âge de douze ans, après une absence de chez lui — c’était, je crois, sa première frasque amoureuse — rentrant à la maison, la tête perdue, et s’attendant à une terrible raclée, la porte ouverte par sa mère, il lui venait soudainement l’inspiration de lui jeter : « Le pape est mort !  […] Ce soir, le violoniste Sivori nous raconte sa vie de voyages, commencée à onze ans, et promenée continuement dans les cinq parties du monde. […] Alors il nous raconte avec un air béat et une joyeuseté gaga, qu’il est guéri, mais qu’il a passé un moment désagréable, agaçant… finissant ses phrases dont il ne peut sortir, avec des ronds tracés par sa canne sur le tapis. […] Gustave Geffroy, qui vient de réveillonner chez Rollinat, racontait que le curé de l’endroit, qui leur a donné à déjeuner le lendemain de Noël, quand il se mettait à dire, ce curé singulier, quelque chose d’un peu vif, d’un peu audacieusement philosophique, jetait au commencement de sa phrase : « Si j’étais un homme ! 

72. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Le Palais Mazarin, par M. le comte de Laborde, de l’Institut. » pp. 247-265

Brienne nous a très bien raconté le moment décisif où, grâce à elle, Mazarin fixa de nouveau et plus solidement que jamais le nœud de sa fortune. […] Celui-ci, qui raconta ensuite les détails de la conversation à son fils, ne parla que le second. […] Nourri dès l’enfance dans l’idéal des conjurations et des guerres civiles, il n’était pas fâché de s’essayer à les réaliser pour avoir ensuite à les raconter comme Salluste, et à les écrire. […] Ceux qui ont entendu Retz dans les années de sa retraite ont remarqué qu’il aimait à raconter les aventures de sa jeunesse, qu’il les exagérait et les ornait un peu de merveilleux : « Et dans le vrai, dit l’abbé de Choisy, le cardinal de Retz avait un petit grain dans la tête. » Ce petit grain, c’est précisément ce qui fait l’homme d’imagination, l’écrivain et le peintre de génie, l’homme de pratique incomplet, celui qui échouera devant le bon sens et la froide patience de Mazarin, mais qui lui revaudra cela et prendra sa revanche de lui, plume en main, devant la postérité. […] Le même Brienne, qui nous initie à ces secrets du cabinet et de l’oratoire, a raconté les dernières années et la fin de Mazarin de manière à rappeler les pages de Commynes, dans lesquelles le fidèle historien retrace la fin de Louis XI.

73. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1866 » pp. 3-95

Quelqu’un raconte que Bastide, étant en prison, avait fait la connaissance d’un voleur. […] » L’homme me disant ça, c’est le docteur Tardieu, qui, m’entraînant dans un petit salon, me raconte ce fait-Paris. […] Nefftzer raconte, ce soir, cette anecdote qu’il tient d’une personne qui dîna, après Sadowa, avec le roi de Prusse. […] Alors il se mit à me raconter qu’il venait de passer une revue. […] Et, allant et venant, elle nous raconte la création successive de cette propriété ; les 18 arpents primitifs devenus 82 arpents, l’acquisition de Catinat, les 9 arpents à conquérir pour la carrer.

74. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre IV. Des Livres nécessaires pour l’étude de l’Histoire. » pp. 87-211

Il les raconte avec un style aussi lâche qu’indécent. […] Quelques personnes le regardent comme très-véridique, mais toutes les horreurs qu’il raconte ne sont guéres croyables, quoiqu’elles puissent être vraies. […] Mais on ne peut souffrir les déguisemens avec lesquels il raconte les batailles importantes. […] Mais la Chaise a fait entrer ce que Joinville raconte de plus curieux dans son histoire de St. […] Les faits principaux y sont ramassés avec beaucoup de goût & d’exactitude, présentés avec dextérité & racontés avec chaleur.

75. (1874) Premiers lundis. Tome I « Ferdinand Denis »

Un jeune chef de cette peuplade raconte dans une route à un Portugais, comment il s’était épris de la fille d’un gouverneur de la province, et quelles furent les suites malheureuses de cet attachement. […] Dans l’autre épisode, c’est un vieux nègre affranchi, Juan, retiré près de San Salvador, qui raconte l’histoire de son père Zombé. […] Si la beauté confie à la colombe messagère le secret qu’elle n’oserait révéler à ses austères gardiens, il ajoute : « Prête à voir l’oiseau charmant s’élever dans les airs, en emportant les vœux de sa tendresse, elle voudrait le retenir, comme on retient un aveu qui va s’échapper. » S’il parle des bouquets mystérieux qui racontent et les tendres inquiétudes et les douces espérances d’une jeune captive : « Messager, dit-il, plus discret que notre écriture, maintenant si connue, son parfum est déjà un langage, ses couleurs sont une idée. » L’ouvrage dont nous venons de rendre compte est suivi d’une espèce de nouvelle historique sur la vie du Camoëns.

76. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre cinquième. La Bible et Homère. — Chapitre II. Qu’il y a trois styles principaux dans l’Écriture. »

Les formes connues changent à son égard : ses révolutions sont tour à tour racontées avec la trompette, la lyre et le chalumeau ; et le style de son histoire est lui-même un continuel miracle, qui porte témoignage de la vérité des miracles dont il perpétue le souvenir. […] Il est digne de remarque qu’il a raconté aussi la faute de son maître. […] Le simple mot qui fuit Dei, jeté là sans commentaire et sans réflexion, pour raconter la création, l’origine, la nature, les fins et le mystère de l’homme, nous semble de la plus grande sublimité.

77. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1889 » pp. 3-111

Après la lecture, Méténier me dit : « Voulez-vous que je vous raconte la genèse de la pièce ? […] Toutefois, il nous raconte qu’il a reçu le samedi, seulement le samedi, un télégramme l’avertissant qu’à la suite d’une décision prise au conseil des ministres, la matinée du lendemain, annoncée depuis plusieurs jours, était supprimée. […] Je trouve à cinq heures Daudet plongé dans le Mémorial de Sainte-Hélène, et il m’en raconte le commencement, comme dans une hallucination blagueuse. […] Et Mirbeau raconte que, dans une des descentes de Maupassant à terre, à la Spezzia, si je me rappelle bien, il apprend qu’il y a un cas de scarlatine, abandonne le déjeuner commandé à l’hôtel, et remonte dans son bateau. […] L’une racontait qu’ayant acheté deux cravates, et son mari ayant témoigné assez vivement, qu’il ne les trouvait pas jolies, avait pleuré toute une nuit.

78. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Préface » pp. -

Mais alors j’étais mordu du désir amer de me raconter à moi-même les derniers mois et la mort du pauvre cher, et presque aussitôt les tragiques événements du siège et de la Commune m’entraînaient à continuer ce journal, qui est encore, de temps en temps, le confident de ma pensée. […] Daudet prenait plaisir à la lecture, s’échauffait sur l’intérêt des choses racontées sous le coup de l’impression, me sollicitait d’en publier des fragments, mettait une douce violence à emporter ma volonté, en parlait à notre ami commun, Francis Magnard, qui avait l’aimable idée de les publier dans Le Figaro.

79. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Autobiographie » pp. 169-176

Mais alors j’étais mordu du désir amer de me raconter à moi-même les derniers mois et la mort du pauvre cher, et presque aussitôt les tragiques événements du siège et de la Commune m’entraînaient à continuer ce journal, qui est encore, de temps en temps, le confident de ma pensée. […] Daudet prenait plaisir à la lecture, s’échauffait sur l’intérêt des choses racontées sous le coup de l’impression, me sollicitait d’en publier des fragments, mettait une douce violence à emporter ma volonté, en parlait à notre ami commun, Francis Magnard, qui avait l’aimable idée de les publier dans le Figaro.

80. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — XV. Le fils du sérigne »

Le fils du sérigne (Ouolof) Samba Atta Dâbo, l’exorciste, m’a raconté ceci : Il y avait un sérigne165 très savant qui envoya son fils voyager : « Pars demain matin de bonne heure, lui recommanda-t-il, et la première chose que tu trouveras sur ton chemin, avale-la. […] Le fils du marabout est revenu chez son père pour lui raconter ce qui lui est arrivé.

81. (1898) Ceux qu’on lit : 1896 pp. 3-361

Les scènes racontées par M.  […] Il les raconte avec calme, comme des choses indifférentes. […] En effet, que découvrir de nouveau dans l’existence ou dans l’œuvre d’un homme qui se raconte tous les jours, en même temps qu’il raconte les autres, et qui dit quotidiennement toutes ses pensées à ses lecteurs avec un relief et un esprit incomparables ? […] Rochefort raconte dans ce livre que nous nous sommes connus à l’Hôtel de Ville. […] Jules Claretie nous raconte en un volume intéressant comme tout ce qui est vrai, comme tout ce qui a été vécu ; car, malgré les exagérations de ses récits, tout ce que Brichanteau raconte lui est arrivé ou est arrivé à d’autres.

82. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « César Cantu »

Quand un livre qui a la prétention de raconter et d’expliquer les cent dernières années qui viennent de s’empreindre si profondément sur l’Europe ne renferme que les connaissances les plus superficielles, et les moins sûres encore dans leur superficialité, et, de plus, quand c’est l’inconséquence, non pas seulement d’une tête faible, mais d’un distrait, qui se sert de ces connaissances pour en tirer de ces jugements sans cesse contredits et abolis les uns par les autres, la Critique peut passer outre avec moins de dédain que de pitié. […] Dans la seconde partie, il contient sur Napoléon, dont il raconte le règne, les notions les plus erronées.

83. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « H. Forneron » pp. 149-199

François Ier commençait de régner, et l’auteur des Guise a raconté sans s’émouvoir ce règne du père des Valois, qui n’avait pas besoin d’être dépravé par le Protestantisme ; car il l’était déjà par la Renaissance. […] Il raconte cette révolte et cette guerre des Flandres, qui remplissent ce deuxième volume presque tout entier, avec ce ferme et sobre esprit politique que rien n’entraîne et que rien n’échauffe, et qui est, à lui, son genre de supériorité. […] Mais il a tenu tellement à l’être, qu’il a fait parler avec leurs propres paroles les acteurs de son histoire plutôt que de la raconter lui-même, afin qu’elle fût plus fidèlement racontée et d’une vérité plus intime. […] Devant tant de sottises, d’anarchie et de crimes, il suffit seulement de raconter. […] Les histoires de la Révolution répercutent l’anarchie qu’elles racontent.

84. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Froissart. — II. (Fin.) » pp. 98-121

Il y a ceux qui ne sont contents que quand ils ont la tête à la fenêtre, qu’ils voient défiler le cortège en toute chose, et qu’ils racontent aux autres tout ce qui passe. […] Je crois pourtant que Gray va ici un peu loin : Froissart, à sa manière et selon sa mesure de jugement, s’était mis fort en peine de recueillir la vérité dans ce qu’il raconte. […] Cette idée de transfuge n’entraînait pas toujours déshonneur dans les idées du temps, et le chevalier de Morbecque, de Saint-Omer, racontant son histoire au roi Jean et comme quoi il a dû quitter le royaume de France par suite d’un homicide qu’il a eu le malheur de commettre dans sa jeunesse, ressemble à ces héros d’Homère qui racontent sans embarras comment ils ont été obligés de quitter leur pays pour avoir tué un homme par imprudence. […] Toute cette scène de l’amenée du noble vaincu, de la cohue et du touillement qui se passe autour de sa personne est bien naturellement racontée ; on y assiste, on se sent dans la foule et en danger d’étouffer avec lui. […] Quiconque raconte et expose les choses de cette sorte peut laisser à désirer d’ailleurs, pour quelques qualités qui lui manquent ; mais il a assurément de bien essentielles et grandes parties de l’historien.

85. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Clermont et sa cour, par M. Jules Cousin. »

D’Alembert, dans l’article qu’il lui a consacré comme à un membre de l’Académie (article qu’il s’est bien gardé d’intituler Eloge), a raconté une singulière idée que le prince mita exécution quand il eut vingt ans : « Il avait formé une Société littéraire, aux assemblées de laquelle il assistait quelquefois, et qui avait pris le titre de Société des Arts. […] Il prétendait aussi ne point payer de droits d’entrée pour ses viandes à la barrière, et il y eut un jour, à ce propos, une histoire qui a été racontée diversement, mais où, dans tous les cas et même en en rabattant, il est certain que les gens du prince jouèrent un peu trop du fouet à l’égard d’un commis. […] Rochambeau, fort intéressant pour nous dans cette partie de ses Mémoires, raconte une anecdote qui caractérise bien les mœurs et procédés militaires de l’époque ; les princes du sang y conservaient jusque dans les hasards de la guerre, leurs immunités et privilèges : « Le maréchal de Saxe envoya demander au prince Charles des sauvegardes, qu’il envoya honnêtement au nombre de cinquante hussards, auxquels on joignit cinquante cavaliers du colonel général, sous le même titre de sauvegarde. […] On raconta fort, dans le temps, que le comte d’Estrées, qui faisait la tête de cette droite, ayant remporté un premier avantage et proposant par des raisons évidentes de pousser plus avant l’ennemi, ne put arracher l’ordre qu’il réclamait ; il dut s’arrêter en frémissant. […] Et quant à Mademoiselle de Sens dont le nom reparaît ici et dont il a été déjà question assez gaillardement dans un voyage à Chambord, il me revient à son sujet une anecdote que se plaisait raconter au dessert l’abbé de Feletz dans les agréables dîners qu’il nous donnait du temps de la Bibliothèque Mazarine.

86. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Cette scène, racontée par Meneval, qui la tenait d’un des ministres présents, le duc de Gaëte, fit explosion sur la fin d’une séance du Conseil privé. […] Il y eut, vers l’époque du divorce, une scène qui n’eut pour témoins que le duc de Bassano et le comte de Ségur, et que tous deux ont racontée depuis. […] On raconte (et je mets le mot tel quel, sans autre explication) que quand le comte Pozzo di Borgo entra chez M. de Talleyrand, celui-ci se faisait friser : « Général, lui dit-il, à quoi pensiez-vous donc de vous faire ainsi attendre ? […] C’est une anecdote qui m’arrive par tradition, en droite ligne, et que Berryer aimait à raconter. […] Mollien, très bienveillant de M. de Tayllerand, et en général très circonspect dans ses Mémoires sur tout ce qui touche aux personnes, raconte qu’il arriva plus d’une fois à Napoléon, dans ses entretiens, de regretter la présence de Tayllerand pendant les Cent-Jours.

87. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SÉVIGNÉ » pp. 2-21

Son cousin Bussy, son maître Ménage, le prince de Conti, frère du grand Condé, le surintendant Fouquet, perdirent leurs soupirs auprès d’elle ; mais elle demeura inviolablement fidèle à ce dernier dans sa disgrâce ; et quand elle raconte le procès du surintendant à M. de Pomponne, il faut voir avec quel attendrissement elle parle de notre cher malheureux ! […] Sans doute (et, au défaut des nombreux mémoires du temps, les anecdotes racontées par Mme de Sévigné elle-même en feraient foi), sans doute d’horribles désordres, des orgies grossières se transmettent encore parmi cette jeune noblesse à laquelle Louis XIV impose pour prix de sa faveur la dignité, la politesse et l’élégance ; sans doute, sous cette superficie brillante et cette dorure de carrousel, il y a bien assez de vices pour déborder de nouveau en une autre régence, surtout quand le bigotisme d’une fin de règne les aura fait fermenter. […] On ne disserte point comme autrefois, à perte de vue, sur le sonnet de Job ou d’Uranie, sur la carte de Tendre ou sur le caractère du Romain ; mais on cause ; on cause nouvelles de cour, souvenirs du siège de Paris ou de la guerre de Guyenne ; M. le cardinal de Retz raconte ses voyages, M. de La Rochefoucauld moralise, Mme de La Fayette fait des réflexions de cœur, et Mme de Sévigné les interrompt tous pour citer un mot de sa fille, une espièglerie de son fils, une distraction du bon d’Hacqueville ou de M. de Brancas. […] Mme de Sévigné loue continuellement sa fille sur ce chapitre des lettres : « Vous avez des pensées et des tirades incomparables. » Et elle raconte qu’elle en lit par-ci par-là certains endroits choisis aux gens qui en sont dignes : « quelquefois j’en donne aussi une petite part à Mme de Villars, mais elle s’attache aux tendresses, et les larmes lui en viennent aux yeux. » Si on a contesté à Mme de Sévigné la naïveté de ses lettres, on ne lui a pas moins contesté la sincérité de son amour pour sa fille ; et en cela on a encore oublié le temps où elle vivait, et combien dans cette vie de luxe et de désœuvrement les passions peuvent ressembler à des fantaisies, de même que les manies y deviennent souvent des passions. […] Il est une seule circonstance où l’on ne peut s’empêcher de regretter que Mme de Sévigné se soit abandonnée à ses habitudes moqueuses et légères ; où l’on se refuse absolument à entrer dans son badinage, et où, après en avoir recherché toutes les raisons atténuantes, on a peine encore à le lui pardonner : c’est lorsqu’elle raconte si gaiement à sa fille la révolte des paysans bas-bretons et les horribles sévérités qui la réprimèrent.

88. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — I. » pp. 84-104

Cette aune, reprochée ainsi publiquement, lui resta longtemps sur le cœur ; pourtant la phrase de début du général d’Albignac : « C’est dommage que vous ne soyez pas né vingt-cinq ans plus tôt », réparait un peu l’impression en lui ; l’à-propos de sa propre réponse était fait aussi pour le réconcilier avec ce souvenir, et il aimait plus tard à raconter l’anecdote à ses heures de bonne humeur et de gaieté, en imitant le ton de voix et les gestes du général11. […] Dans un des articles sur la guerre d’Espagne que Carrel inséra en 1828 à la Revue française, il a raconté avec intérêt et vivacité l’épisode de ce petit corps étranger dont il faisait partie, ses combats, ses vicissitudes, et sa presque extermination devant Figuières ; les quelques débris survivants n’échappèrent que grâce à une capitulation généreusement offerte par le général baron de Damas, et qui garantissait la vie et l’honneur des capitulés (16 septembre 1823) : « Quant à ceux des étrangers qui sont Français, était-il dit dans la convention rédigée le lendemain, le lieutenant général s’engage à solliciter vivement leur grâce ; le lieutenant général espère l’obtenir. » Rentré en France à la suite de cette capitulation avec l’épée et l’uniforme, Carrel se vit arrêté à Perpignan et traduit devant un conseil de guerre. […] Ce général (s’il l’avait été, en naissant vingt-cinq ans auparavant) aurait certainement écrit tôt ou tard ; il aurait raconté ses campagnes, les guerres dont il aurait été témoin et acteur, comme on l’a vu faire à un Gouvion Saint-Cyr ou à tel autre capitaine de haute intelligence ; mais ici, dans l’ordre littéraire ou historique, ce n’est pas seulement ce qu’il a senti et ce qu’il a fait que Carrel doit exprimer ; il est obligé d’accepter des sujets qui ne le touchent que par un coin, de s’y adapter, de s’y réduire, d’apprendre l’escrime de la plume, la tactique de la phrase ; il y devient peu à peu habile, et, dès qu’un grand intérêt et la passion l’y convieront, il y sera passé maître. […] [NdA] On me raconte un fait antérieur à celui de Saint-Cyr, et qui rentre tout à fait dans le même esprit. […] Lerond, le censeur, lui ordonna de sortir des rangs et lui dit : « Monsieur Carrel, rendez-vous sans retard à la prison ; il est vraiment déplorable qu’un élève aussi distingué que vous ait une tête aussi mauvaise ; avec les idées qui y fermentent, vous révolutionneriez le collège si on vous laissait faire. » — « Monsieur le censeur, répondit Carrel, il y a de ces idées dans ma tête plus qu’il n’en faut pour révolutionner votre collège de Rouen, il y en aurait de quoi révolutionner bien autre chose. » Il y a une anecdote de collège toute pareille qui est racontée par Marmontel, celui de tous les hommes qui ressemblait le moins à Carrel.

89. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Marguerite, reine de Navarre. Ses Nouvelles publiées par M. Le Roux de Lincy, 1853. » pp. 434-454

Montaigne, qui d’ailleurs fait grand cas d’elle, n’a pu s’empêcher de noter, par exemple, sa singulière réflexion au sujet d’un jeune et grand prince dont elle raconte l’histoire en ses Nouvelles, et qui a tout l’air d’être François Ier. […] Brantôme a raconté d’elle une histoire qui nous la peint très bien dans ce composé et dans cette mesure. […] Chaque histoire est l’objet d’une moralité, d’un précepte bien ou mal déduit ; chacune est racontée à l’appui d’une certaine maxime, de quelque thèse en question sur la prééminence de l’un ou de l’autre sexe, sur la nature et l’essence de l’amour, et comme exemple ou preuve (souvent très contestable) de ce qu’on avance. […] Il s’agit, chez Marguerite, d’un marchand, d’un tapissier de Tours qui s’émancipe auprès d’une autre que sa femme, et qui est aperçu par une voisine ; craignant que celle-ci ne jase, ce tapissier, « qui savait, dit-on, donner couleur à toute tapisserie », s’arrange de manière à ce que bientôt sa femme consente comme d’elle-même à faire une promenade au même endroit ; si bien que, lorsque la voisine veut ensuite raconter à la femme ce qu’elle a cru voir, celle-ci lui répond : « Hé ! […] On raconte que bien souvent elle occupait à la fois deux secrétaires, l’un à écrire les vers français qu’elle composait impromptu, et l’autre à écrire des lettres.

90. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Charles Baudelaire  »

Or, cet Edgar Poe, il faut bien l’avouer, tout en convenant de son génie, n’est au fond qu’un puffiste sublime, qui méprise son public et le lui prouve, sans le lui dire, en lui construisant une littérature à le dompter, ce public américain qui aime les tours de force, et à le tenir les yeux dilatés dans la terreur des extraordinaires histoires qu’il lui raconte. […] Peintre à froid d’horreurs à froid, mais peintre très habile, qui, dans ses Fleurs du mal, se fait poétiquement un Héliogabale artificiel, comme, dans ses Paradis artificiels, il se fait le Satan qui tente et épouvante et qui se moque après avoir tenté et épouvanté, Baudelaire, qui est de son temps, a trouvé gentil et drolatique de nous raconter une Histoire extraordinaire, digne de Poe et oubliée par lui, et de nous la raconter de manière à nous donner envie de prendre de l’opium, tout en nous disant de n’en rien faire, sous peine de destruction de soi, de déshonneur moral et d’indignité. […] » Et la chose (ce comique) devient si forte, si forte et si visible, qu’on se demande si le haschisch se moque encore de lui quand il nous en raconte les frasques dans la tête humaine, ou si, lui, le narrateur, se moque de nous et prétend être notre haschisch ? […] Quincey, lui, n’a pas la force cachée et comique qui éclate à chaque moment chez Baudelaire quand il nous raconte l’effet du haschisch.

91. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIII. Dernière semaine de Jésus. »

Parfois, il laissait percer contre ses ennemis un ressentiment sombre ; il racontait la parabole d’un homme noble, qui partit pour recueillir un royaume dans des pays éloignés ; mais à peine est-il parti que ses concitoyens ne veulent plus de lui. […] Il y eut chez Simon le Lépreux 1046 un dîner où se réunirent beaucoup de personnes, attirées par le désir de le voir, et aussi de voir Lazare, dont on racontait tant de choses depuis quelques jours. […] Jean, si préoccupé des idées eucharistiques 1081, qui raconte le dernier repas avec tant de prolixité, qui y rattache tant de circonstances et tant de discours 1082 ; Jean qui, seul parmi les narrateurs évangéliques, a ici la valeur d’un témoin oculaire, ne connaît pas ce récit. […] On comprend que le ton exalté de Jean et sa préoccupation exclusive du rôle divin de Jésus aient effacé du récit les circonstances de faiblesse naturelle racontées par les synoptiques.

92. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Nièces de Mazarin » pp. 137-156

Attiré, mais non enivré, esprit trop solide pour ne pas savoir résister à l’ivresse, Amédée Renée a la légèreté et l’aplomb qu’il faut pour badiner agréablement avec ces dentelles et passer outre, et, comme les femmes qu’il nous raconte touchaient à tout dans le monde de leur temps, il se rencontre qu’en ayant l’air de ne s’occuper que de cette heptarchie de nièces, il nous raconte le temps lui-même, et nous le montre par des côtés moins solennels et moins pompeux que ceux-là sous lesquels nous sommes habitués à le regarder. […] Au milieu de toutes les singularités que l’on raconte, il conserva les apparences de la gravité, les manières d’un grand seigneur, la conversation d’un honnête homme. […] Ses étranges imaginations seraient longues à raconter.

93. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Relation inédite de la dernière maladie de Louis XV. »

Ainsi ce grave personnage, Du Vair, ne craignait pas de raconter à Peiresc, qui les a notées, les particularités les plus infamantes des règnes de Charles IX et de Henri III. […] On raconte qu’à son dernier automne (1765), ayant désiré revoir à Versailles le bosquet qui portait son nom et dans lequel s’était passée son enfance, il dit avec pressentiment, en voyant les arbres à demi dépouillés : « Déjà la chute des feuilles !  […] Lacretelle, qui fut attaché au duc de Liancourt, comme secrétaire intime pendant les premières années de la Révolution, a raconté, dans un intéressant chapitre de ses Dix années d’épreuves, comment on vivait à Liancourt, en cette sorte de paradis terrestre, et quelles occupations rurales, bienfaisantes ou littéraires y variaient les heures : « Après de laborieuses recherches, écrit M. 

94. (1874) Premiers lundis. Tome II « Quinze ans de haute police sous Napoléon. Témoignages historiques, par M. Desmarest, chef de cette partie pendant tout le Consulat et l’Empire »

Dans un temps où nous sommes affligés de la plaie des Mémoires, où le vrai et le faux, l’authentique et l’apocryphe, se confondent de plus en plus et deviennent presque impossibles à discerner ; quand le moindre contemporain et témoin du drame impérial s’autorise de quelques souvenirs, qui tiendraient en peu de pages, pour recommencer la chronique générale et desserrer volume sur volume ; il est précieux de trouver un homme qui a vu longtemps et de près, qui a manié et surveillé les plus secrets ressorts, et qui raconte avec sobriété les seules portions dont il se juge bien instruit. […] Si la curiosité, toujours maligne, du lecteur, regrette par endroits tant de mesure de la part d’un témoin qui a si bien regardé du dedans, elle a d’ailleurs de quoi raisonnablement se satisfaire en ce qu’il raconte ; si l’on se trouve arrêté souvent plus vite qu’on ne voudrait, on sait du moins qu’on a été guidé constamment dans une voie consciencieuse et véridique. […] C’était, autant qu’on l’a raconté à M. 

95. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 303-308

Traduire avec autant de force que d’exactitude les Auteurs Grecs & Latins, analyser avec clarté & précision les Peres de l’Eglise, présenter avec une simplicité éloquente la substance des décisions des Conciles, raconter les événemens, ou plutôt les peindre de manière que le Lecteur croit en être témoin ; tel est le résultat du travail de M. l’Abbé Fleury. […] Par cette louable discrétion, l’esprit n’est occupé que des actions racontées ; il les voit, les saisit, les compare, les pese, les juge.

96. (1859) Critique. Portraits et caractères contemporains

C’est qu’aussi je vous raconte d’une façon très lourde et très maussade toutes ces petites choses qui ont été très lestement et très vivement racontées. […] La folie de l’ameublement est racontée avec un tact tout féminin. […] Avec quelle grâce infinie il raconte ces dernières grandeurs ! […] Histoire cent fois racontée, cent fois nouvelle, et mille fois charmante ! […] Il faut entendre raconter à M. 

97. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1891 » pp. 197-291

Constans raconte sur son séjour en Chine, des choses assez curieuses. […] De Ritzouo, il me raconte ceci. […] De Gakutei, de l’artiste des sourimono, du dessinateur de la femme sacerdotale, Hayashi me raconte cela. […] Et elle nous raconte ceci. […] Je lui fais raconter son horrible vie, cette vie, où il existe encore des peines corporelles d’un code du temps des galères, comme la double boucle.

98. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1875 » pp. 172-248

. — Decazes a raconté qu’il a trouvé Mac-Mahon pleurant, pleurant positivement. […] Il raconte ensuite une autre hallucination. […] Il nous raconte toute cette négociation, où à ses demandes d’une lettre, d’un mot signé du roi, on lui offrait la conversation de Chesnelong. […] Entre autres choses, Thiers lui avait raconté son ministère, et tout ce qu’on cachait au maréchal Soult, et tout ce qu’on faisait en dehors de lui. […] Il cause d’une manière bonhomme, charmante, s’amusant de ce qu’il raconte, et coupant quelquefois son récit d’un rire sonore, qui se répète deux fois dans sa bouche.

99. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIV. Vaublanc. Mémoires et Souvenirs » pp. 311-322

Dernièrement un journal, en rendant compte des Mémoires nouveaux qu’on publie, a raconté vingt traits de courage de Vaublanc qui ne voulait pas mourir, à une époque où l’héroïsme était de se laisser égorger comme des moutons et de se coucher sous la guillotine ; mais il a oublié le bon sens qui, chez Vaublanc, doublait le courage, et en l’oubliant il a, à son tour, mutilé l’homme de ces intéressants mémoires, mutilés ! […] Il y a dans ce terrible livre de Rouge et Noir un moment qui revient sans cesse, à propos de tout, dans le récit de Vaublanc, quand il nous raconte les dangers de sa proscription, en 1793. […] Du moins il y a une jolie anecdote dans ses Mémoires où il raconte que son père, homme de cape et d’épée, comme tous les cadets des maisons nobles, avait déchiré les manchettes d’un de ses amis qui les lui avait prêtées (adorable pauvreté des officiers français, qui ont une paire de manchettes à plusieurs !)

100. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Crétineau-Joly » pp. 367-380

Toujours net, toujours incompatible, indiscret même contre son amour-propre, il racontait drolatiquement à qui voulait l’entendre l’accueil que lui fit M. de Riancey quand il alla lui porter le livre que voici. […] … Est-ce à l’histoire que ce livre raconte, ou à l’historien qui l’a racontée ?

101. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Μ. Eugène Hatin » pp. 1-14

C’était donc, avant tout, pour mettre la main fructueusement sur un pareil sujet, un esprit compétent aux choses de la politique qu’il fallait, dominant plus ou moins ce côté de l’esprit humain, et capable, non pas de raconter uniquement les faits et gestes du journalisme, qui furent, par parenthèse, bien plus souvent les Gesta diaboli que les Gesta Dei per Francos, mais aussi d’essayer une solution des grands problèmes que le journalisme a posés et n’a pas encore résolus. […] Hatin le croit, il devrait le prouver ; car là est précisément la question, là est le débat que l’histoire qu’il va nous raconter ne finit pas. […] À cette époque, la Gazette augmenta son format et se mit de taille avec le faste et la gloire du grand roi, dont elle raconta les merveilles.

102. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre XI. De la géographie poétique » pp. 239-241

Hérodote raconte qu’autrefois les Maures furent blancs, ce qu’on ne peut entendre que des Maures de la Grèce, dont le pays est appelé encore aujourd’hui la Morée blanche. — Les Grecs avaient d’abord appelé Océan toute mer d’un aspect sans bornes, et Homère avait dit que l’île d’Éole était ceinte par l’Océan. […] Les noms d’Hercule, d’Évandre et d’Énée passèrent donc de la Grèce dans le Latium, par l’effet de quatre causes que nous trouverons dans les mœurs et le caractère des nations : 1º les peuples encore barbares sont attachés aux coutumes de leur pays, mais à mesure qu’ils commencent à se civiliser, ils prennent du goût pour les façons de parler des étrangers, comme pour leurs marchandises et leurs manières ; c’est ce qui explique pourquoi les Latins changèrent leur Dius Fidius pour l’Hercule des Grecs, et leur jurement national Medius Fidius pour Mehercule, Mecastor, Edepol. 2º La vanité des nations, nous l’avons souvent répété, les porte à se donner l’illustration d’une origine étrangère, surtout lorsque les traditions de leurs âges barbares semblent favoriser cette croyance ; ainsi, au moyen âge, Jean Villani nous raconte que Fiesole fut fondé par Atlas, et qu’un roi troyen du nom de Priam régna en Germanie ; ainsi les Latins méconnurent sans peine leur véritable fondateur, pour lui substituer Hercule, fondateur de la société chez les Grecs, et changèrent le caractère de leurs bergers-poètes pour celui de l’Arcadien Évandre. 3º Lorsque les nations remarquent des choses étrangères, qu’elles ne peuvent bien expliquer avec des mots de leur langue, elles ont nécessairement recours aux mots des langues étrangères. 4º Enfin, les premiers peuples, incapables d’abstraire d’un sujet les qualités qui lui sont propres, nomment les sujets pour désigner les qualités, c’est ce que prouvent d’une manière certaine plusieurs expressions de la langue latine. […] Cependant toute tradition vulgaire doit avoir originairement quelque cause publique, quelque fondement de vérité.… Ce sont les Grecs qui, chantant par tout le monde leur guerre de Troie et les aventures de leurs héros, ont fait d’Énée le fondateur de la nation romaine, tandis que, selon Bochart, il ne mit jamais le pied en Italie, que Strabon assure qu’il ne sortit jamais de Troie, et qu’Homère, dont l’autorité a plus de poids ici, raconte qu’il y mourut et qu’il laissa le trône à sa postérité.

103. (1858) Cours familier de littérature. V « XXIXe entretien. La musique de Mozart » pp. 281-360

Les Chinois racontent d’une manière fort ingénieuse comment a été fixée la série de sons qui constitue l’échelle musicale. […] Je vous raconterai tout de vive voix. […] Ils racontent l’enthousiasme dont ils sont l’objet dans cette capitale des sensualités de l’oreille. […] J’ai plus tard tout raconté à M.  […] … » Arrêtons-nous là, et, après avoir raconté le musicien, écoutons la musique.

104. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (3e partie) » pp. 249-336

L’entrevue de Tilsitt entre ce jeune prince et Napoléon est racontée avec complaisance et avec charme par M.  […] Thiers raconte ce divorce, jette l’intérêt d’un drame de famille au milieu du drame militaire qui embrase l’Europe. […] Thiers dans sa théorie contre le style, et le génie d’écrire est-il donc inutile au génie de raconter ? […] Thiers ne pense pas pour vous : il expose, il décrit, il raconte ; or, exposer lucidement, décrire fidèlement, raconter intarissablement, n’est-ce pas au fond tout l’historien ? […] les cieux racontent la gloire de Dieu  ; mais la terre aussi et ses grands événements racontent la gloire de Dieu dans les choses humaines.

105. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Jasmin. (Troisième volume de ses Poésies.) (1851.) » pp. 309-329

Né pauvre, de la plus honnête mais de la plus entière pauvreté, d’une famille où l’on mourait de père en fils à l’hôpital, il a raconté lui-même les impressions de son enfance dans ses Souvenirs, un petit poème plein d’esprit, de finesse, d’allégresse et de sensibilité. […] En 1834, il avait été très frappé d’un fait qu’il faut l’entendre raconter lui-même, et qui décida de sa poétique future. […] Un jeune homme, enfant du peuple, bien doué, et d’une demi-éducation, fut témoin d’une scène déchirante, et, comme Jasmin avec quelques amis arrivait sur les lieux, l’enfant encore plein d’émotion la leur raconta : Je ne l’oublierai jamais, dit Jasmin, il nous fit frémir, il nous fit pleurer… C’était Corneille, c’était Talma ! J’en parlai le lendemain dans quelques-unes des meilleures maisons d’Agen ; on voulut voir le jeune homme, on le fit venir, on lui fit raconter le même fait ; mais la fièvre de l’émotion en lui s’était éteinte, il fut phraseur, maniéré, exagéré ; bref, il voulut faire et il ne fit pas. […] De tels exemples, où tant de sentiments délicats et généreux se confondent des deux parts dans un sentiment religieux supérieur, semblent ramener la poésie à ses plus nobles origines et ne se peuvent raconter sans émotion.

106. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (1re partie) » pp. 413-491

J’excepte ses mémoires, dans lesquels ce Jean-Jacques Rousseau gentilhomme raconte d’abord des obscénités très sales, puis des amours très intéressantes avec une amante royale, enlevée un peu scandaleusement à son vieil époux, le prétendant à la couronne d’Angleterre. […] Écoutez-moi bien : je vais vous raconter ici la partie intéressante de sa vie, d’après lui-même, d’après ses amis, d’après sa maîtresse, d’après son successeur dans le cœur de cette femme. […] Nous avons vu plus haut en quels termes il raconte lui-même son arrivée. […] La scène que nous venons de raconter se passait dans la première semaine du mois de décembre 1780 ; le lendemain ou le surlendemain, la comtesse écrivit à son beau-frère, le cardinal d’York, lui demandant sa protection et un asile à Rome. […] « Alfieri, dans ses Mémoires, se garde bien de raconter ce singulier épisode ; il revendique pourtant avec assurance l’honneur d’avoir fait son devoir.

107. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxve entretien. Histoire d’un conscrit de 1813. Par Erckmann Chatrian »

L’empereur Napoléon y racontait que chaque nuit les chevaux périssaient par milliers. […] — Celui de l’huilier, que j’ai bu pour être pâle, comme on raconte de mademoiselle Sclapp, l’organiste. […] Joseph, raconte-nous raisonnablement les choses ; ils se sont trompés… ce ne peut être autrement… M. le maire et le médecin de l’hôpital n’ont donc rien dit ?  […] Tout cela devait nous amener encore bien des misères, et je vous les raconterais avec plaisir, si cette histoire ne me paraissait assez longue pour une fois. […] alors, je reprendrai la suite de ces événements, et je vous raconterai Waterloo !

108. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Avant d’arriver à cette maturité de mépris dont il est besoin pour juger ou raconter les hommes, il devait user, dans beaucoup d’expériences, un enthousiasme prompt à l’illusion. […] … D’ailleurs, dans l’existence si studieuse et si réglée d’Audin, les événements véritables et réellement importants étant les pensées, dire ces pensées et les juger sera continuer de raconter et de juger sa vie. […] C’est un historien de temps et d’espace ; mais, tout historien qu’il soit, il ne raconte pas pour raconter. […] Dans la chronique des autres choses humaines, ce qui importe et ce qui suffit, ce sont les effets et les résultats ; mais, dans l’histoire religieuse, quand on a raconté les luttes, les combats, les victoires, il faut encore peser les boulets, et montrer quel fil avaient les épées qui ont été faussées et les épées qui ont vaincu ! […] Telle fut, ombragée d’humilité et fleurie d’affections d’élite, l’existence tranquille de ce juste dont Dieu seul a vu les mérites, car la vie des justes ne se raconte pas plus que celle des peuples heureux.

109. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1882 » pp. 174-231

— Eh bien, il est mannequin chez un médecin de fous… Oui il est le faux fou, dont le docteur dit : « Il n’est pas tout à fait guéri, mais il va mieux. » C’est Bourget qui nous raconte cela, ce soir. […] Et ces jours-ci, Guy de Maupassant me racontait que ce même critique l’avait prié de solliciter pour lui de Kistemaeckers et autres éditeurs belges, un envoi de la série des livres obscènes, publiés de l’autre côté de la frontière. […] » Lundi 18 septembre Ce soir le baron Larrey raconte une horrible histoire de brûlure. […] Et la conversation continuant sur le même sujet, amène cette anecdote racontée par du Sommerard. […] Hier, la femme, la femme d’un diplomate de ma connaissance me racontait, que le nouveau chargé d’affaires, je ne sais plus où, sollicitait d’elle quelques renseignements.

110. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Souvenirs et correspondance tirés des papiers de Mme Récamier » pp. 303-319

J’allais (tant l’art de l’arrangeur est parfait, et tant il a mis d’attention à se dérober), — j’allais oublier d’avertir que le tout est lié par un récit biographique rapide, par des transitions indispensables, par des fils adroits et légers ; que toutes les explications nécessaires au lecteur lui sont agréablement et brièvement données, qu’elles viennent à propos au devant de lui ; que tous les petits faits, toutes les anecdotes qui se rattachent au cercle de Mme Récamier, celles qu’elle aimait à raconter elle-même, nous sont rendues avec ce tour net et dans cette nuance qui était le ton particulier de son salon ; qu’une fine critique, toujours convenable, corrige et relève, par-ci par-là, le trop de douceur dans les portraits. […] La plupart de ces anecdotes que nous lui avons entendu raconter ont trouvé place dans les présents volumes ; je les y reconnais, et je crois l’entendre. Ainsi elle racontait gaiement ce voyage de Rome à Naples, dans lequel, sur toute la route, elle prit, sans s’en douter, les relais préparés pour le duc d’Otrante. Elle racontait encore très bien qu’en 1815, comme elle s’étonnait devant le duc de Wellington que les Bourbons rentrant s’appuyassent sans répugnance sur ce même personnage, et que Louis XVIII, cédant à une prétendue nécessité de circonstance, prît pour ministre l’homme si fameux par tant d’actes révolutionnaires, le duc de Wellington, après s’être fait expliquer ce que c’étaient que ces actes (les horreurs de Lyon), lui dit, en se méprenant sur la valeur du mot français : « Oh !

111. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand »

On raconte que ce fut par un bon mot qu’il rompit pour la première fois la glace, et qu’il força l’entrée de la carrière. Il était au cercle de Mme du Barry : les habitués y racontaient tout haut leurs bonnes fortunes ; le jeune abbé de vingt ans, très-élégant sous son petit collet « avec une figure qui sans être belle était singulièrement attrayante et une physionomie tout à la fois douce, impudente et spirituelle », gardait le silence : « Et vous, vous ne dites rien, monsieur l’abbé ?  […] Dumont (de Genève) la tenait de sa bouche, et il l’a racontée dans ses Souvenirs. […] Maurice Talleyrand allant à Londres par nos ordres… Ainsi j’étais sorti de France parce que j’y étais autorisé, que j’avais reçu même de la confiance du gouvernement des ordres positifs pour ce départ. » Cependant, quarante ans après, dans son dernier séjour de Londres, et dans toute sa gloire d’ambassadeur, il se plaisait à raconter comment il aurait obtenu et presque escamoté ce passeport de Danton par une sorte de stratagème et en souriant d’une plaisanterie que ce personnage redouté venait de faire sur le compte d’un autre pétitionnaire.

112. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Saint Anselme, par M. de Rémusat. » pp. 362-377

Le lendemain de ce songe, dans son innocente simplicité, il croyait réellement s’être nourri dans le ciel du pain du Seigneur, et il le racontait à tout le monde. […] Anselme avait, je l’ai dit, l’âme tendre, la conscience délicate ; ces reproches de son père et ceux qu’il se faisait à lui-même le portèrent à un grand parti : il résolut de quitter le pays ; accompagné d’un seul clerc pour serviteur, il traversa le Mont-Cenis ; épuisé de fatigue et défaillant, on raconte que, pour réparer un peu ses forces, il ne trouvait à manger que la neige du chemin : Un âne portait leur mince bagage ; le serviteur inquiet chercha s’il n’y trouverait pas quelque nourriture, et, contre son attente, il trouva du pain blanc qui leur rendit la vie. […] Il raconte naïvement, dans la préface du petit ouvrage qu’il a consacré à ce sujet, comment il s’était longtemps consumé à chercher cet argument unique qui n’eût besoin d’aucun autre et qui n’exigeât point une suite de raisonnements, à l’effet de démontrer que Dieu est véritablement, et qu’il est le souverain bien. […] Cousin raconte très bien, en causant, par quel stratagème il contribua à lancer M. de Rémusat en pleine philosophie.

113. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Lawrence Sterne »

On s’était battu dans une chambre avec la furie irlandaise, et le père de Sterne fut cloué au mur par l’épée de son adversaire, qui perça le mur et s’y enfonça…, si bien qu’embroché de cette rude manière, il demanda le plus poliment du monde à celui qui l’avait embroché, d’ôter le plâtre attaché à l’épée avant de le débrocher… Histoire réelle, qui enfile — comme l’épée enfila son père — toutes les histoires inventées par Sterne et racontées par l’oncle Toby et le caporal Trim dans le Shandy ! […] Paul Stapfer a racontée aisément dans un livre, et avec un détail qui m’est interdit. […] IV Ainsi, démontrer la valeur littéraire de Sterne à ceux qui la nient encore plus que raconter son histoire à ceux qui l’ignorent, voilà quel a été le but de M.  […] Sterne, nous raconte M. 

114. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 28, de la vrai-semblance en poësie » pp. 237-242

Comme rien ne détruit plus la vrai-semblance d’un fait que la connoissance certaine que peut avoir le spectateur que le fait est arrivé autrement que le poëte ne le raconte : je crois que les poëtes qui contredisent dans leurs ouvrages des faits historiques très-connus, nuisent beaucoup à la vrai-semblance de leurs fictions. […] Nous n’examinons pas ce qui devoit arriver plus probablement, mais ce que les témoins necessaires, ce que les historiens racontent ; et c’est leur recit et non pas la vrai-semblance qui détermine notre croïance.

115. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXIXe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 129-192

Je lui ai raconté alors le hasard qui fit rencontrer la belle Fior d’Aliza par le sbire en société de son ami Nicolas del Calamayo : la demande, le refus, l’entêtement du sbire, l’obstination de la jeune fille, puis la dépossession, pièce à pièce, par les soins du procureur Nicolas del Calamayo, au moyen d’actes présentés par lui à la justice, actes revendiquant pour des parents, au nom d’anciens parents inconnus dont le sbire avait acheté les titres, tout le petit héritage de vos pères et de vos enfants. […] Chapitre VIII CCXX — À toi, maintenant, dit l’aveugle à Fior d’Aliza, raconte à l’étranger ce qui s’était passé dans la prison pendant cette lugubre agonie de nos deux âmes dans la cabane. […] — Non, non, dis-je, raconte-moi d’abord tout ce qui s’est passé entre le père et toi ! […] Ma tante et mon père l’avaient bien promis ; mais j’aime mieux laisser ma tante, à son tour, vous raconter ce qui s’était dit et ce qui se dit ensuite entre eux et Hyeronimo, quand ils se revirent, car je n’y étais pas, monsieur, le jour de la reconnaissance. […] oui, raconte-nous cela toi-même, dit l’aveugle en joignant ses deux mains sur la table ; je me le ferais bien raconter tous les soirs de ma vie sans me rassasier jamais des miséricordes du bon Dieu pour nous.

116. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre III. Le théâtre est l’Église du diable » pp. 113-135

Lui-même, il l’avoue, et il raconte qu’au sortir de ces fêtes de dommage, il rentrait dans sa maison, plus disposé à aimer l’argent, l’ambition, la luxure, qu’il ne l’était au moment d’en sortir, — « Eh ! […] Voilà cette histoire ; elle est bien simple, elle est facile à raconter ; et si vous n’étiez pas venu me chagriner par votre sortie contre Molière, je ne m’en serais pas mal tiré. […] vous me criez aux oreilles, vous entrez ici comme la tempête, vous déclamez à outrance, vous me faites mal, vous me faites peur : le moyen de raconter une si honnête histoire au milieu de tout ce bruit que vous faites là ! […] Moïse, Homère, Platon, Virgile, Horace ne sont au-dessus des autres écrivains que par leurs expressions et par leurs images : il faut exprimer le vrai pour écrire naturellement, fortement, délicatement. » Il disait encore :« Amas d’épithètes, mauvaises louanges ; ce sont les faits qui louent et la manière de les raconter. » Et la manière de les raconter ; quelle admirable place il laisse en fin de compte, à la critique et à l’histoire !

117. (1809) Quelques réflexions sur la tragédie de Wallstein et sur le théâtre allemand

Ils se racontent leurs exploits ; ils parlent de leur chef, de la liberté qu’il leur accorde, des récompenses qu’il leur prodigue. […] Ils sont là pour écouter, quelquefois pour répondre, et, de temps en temps, pour raconter la mort du héros, qui, dans ce cas, ne peut pas nous en instruire lui-même. […] Buttler, après avoir raconté ses efforts pour convaincre ses complices, finissait par ces vers : Lorsque je leur ai dit que, s’offrant à leur place, D’autres briguaient déjà mon choix comme une grâce, Que le prix était prêt, que d’autres, cette nuit, De leur fidélité recueilleraient le fruit, Chacun a regardé son plus proche complice ; Leurs yeux brillaient d’espoir, d’envie et d’avarice ; D’une sombre rougeur leurs fronts se sont couverts ; Ils répétaient tout bas : d’autres se sont offerts. […] Celui qui raconte n’est point appelé par sa situation ou son intérêt à raconter de la sorte. […] Racine ne pouvant, comme Euripide, présenter aux spectateurs Hippolyte déchiré, couvert de sang, brisé par sa chute, et dans les convulsions de la douleur et de l’agonie, a été forcé de faire raconter sa mort ; et cette nécessité l’a conduit à blesser, dans le récit de cet événement terrible, et la vraisemblance et la nature, par une profusion de détails poétiques, sur lesquels un ami ne peut s’étendre, et qu’un père ne peut écouter.

118. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XIII. Mme Swetchine »

M. de Falloux a cru bien faire de nous raconter toute cette vie qui n’avait pas besoin d’être racontée, puisqu’elle n’avait d’autre intérêt que celui de ce talent, venu tard, et qui, sous le souffle de Dieu, que Mme Swetchine a tant aimé, s’est purifié de ses prétentions de style et de pensée par lesquelles il avait commencé ! […] Mme Swetchine, qui n’est pas auteur, — qui en a un jour couru le danger, mais qui y a échappé par cette conversion qui la jeta dans le grand sérieux de la vie et qu’elle n’a jamais racontée (trait caractéristique de la discrétion sur elle-même de cette sympathique femme du monde), Mme Swetchine, ne peut avoir eu que deux buts en écrivant sa pensée : — ou la fixer mieux en la parlant, pour la connaître et lui donner sa forme, pour qu’elle cessât d’être une rêverie et fût bien une pensée, — ou entrer par là dans la pratique morale, dans le conseil, dans le soulagement.

119. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVI. M. E. Forgues. Correspondance de Nelson, chez Charpentier » pp. 341-353

Malgré la réputation qu’eut cette biographie, dont tout l’intérêt vient exclusivement du héros qui y est platement raconté et dont l’héroïsme pouvait braver en paix la platitude de ses historiens, ce livre ne valait pas l’honneur que lui fait deux fois M.  […] L’identité de la vie qu’on raconte donne à deux livres d’histoire dont l’un a précédé l’autre dans le temps l’air d’un modèle et d’une copie : mais, de cette fois, il n’en est pas ainsi. […] Oui, puisque cette histoire, trop anglaise peut-être pour un Français, — car elle nous fait saigner le cœur de tant de gloire contre nous, — tentait une intelligence assez ferme, assez enveloppée du triple airain pour la raconter, il y avait à la faire très grande, cette histoire, qui vous laisse petit, si vous n’êtes pas aussi grand qu’elle.

120. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Nelson »

Malgré la réputation qu’eut cette biographie, dont tout l’intérêt vient exclusivement du héros qui y est platement raconté et dont l’héroïsme pouvait braver en paix la platitude de ses historiens, ce livre ne valait pas l’honneur que lui fait deux fois M.  […] L’identité de la vie qu’on raconte donne à deux livres d’histoire, dont l’un a précédé l’autre dans le temps, l’air d’un modèle et d’une copie ; mais, de cette fois, il n’en est pas ainsi. […] puisque cette histoire, trop anglaise peut-être pour un Français, — car elle nous fait saigner le cœur de tant de gloire contre nous, — tentait une intelligence assez ferme, assez enveloppée du triple airain pour la raconter, il y avait à la faire très grande, cette histoire, qui vous laisse petit si vous n’êtes pas aussi grand qu’elle.

121. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Gustave D’Alaux »

sans énergie et sans verve, nous raconte à son tour une histoire… incroyable, une histoire affreuse et bouffonne, qui a lieu depuis quelques années et qui continue, à la barbe du monde civilisé, sous le ciel de Dieu, de l’autre côté de l’Atlantique, jusqu’en cette année de Notre-Seigneur Jésus-Christ 1856. […] Sous Hérard il devint chef d’escadron ; sous Guerrier, colonel ; sous Richer, commandant supérieur de la garde du palais. » Tels étaient Soulouque et son passé, et son historien nous raconte avec infiniment de précision, d’information et de justesse, ce que ce bonhomme ingénu, qui balbutie de timidité en parlant et qui rougit aimablement devant tout inconnu, pour qui sait voir la rougeur de la peau sous son ébène, devint bientôt pour les nègres et pour les mulâtres. […] Règle générale en cette matière : pour tout historien dont l’intention est plus profonde que de raconter des excentricités risibles ou effrayantes et des histoires… grotesques et arabesques, comme dirait Edgar Poe, toute histoire de nègres ou sur des nègres doit être précédée d’une étude à fond sur la race, et Gustave d’Alaux était digne de la faire, cette étude sans laquelle toute histoire quelconque, même celle qu’il vient d’écrire, manque de flambeau.

122. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre xi‌ »

On raconte qu’un soir de bourrasque et de pluie, un aumônier, un pasteur, un rabbin, liés comme il arrive souvent par la vie en commun au poste divisionnaire, se trouvèrent sur une partie du champ de bataille où des soldats relevaient les cadavres. […] Et, pour terminer ce tableau, où je cherchai, fidèle secrétaire de la France, à préparer les versets d’une Bible éternelle de notre nation, je veux raconter ce qui advint à la mort du plus étonnant des héros que j’ai nommés, à la mort du capitaine-prêtre Millon, qui tomba sous Verdun après avoir calqué ses derniers jours sur les derniers jours du Christ.‌ […] » Nous y allâmes, me raconte M. 

123. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [V] »

Un de ses premiers soins avec ceux qu’il voyait pour la première fois était de revenir sur le passé, de raconter les événements principaux de sa carrière active, et surtout la crise qui avait décidé de son changement de drapeau. […] Et en effet, par cela seul que Napoléon était censé parler et se raconter lui-même, le ton général était donné, l’histoire devenait alors forcément indulgente ; elle l’était, sous peine de déroger aux convenances premières. […] On dirait que, pour raconter ce dernier jour de deuil, il a retrouvé son drapeau. […] Il en est que Jomini raconte d’original et qu’il doit à son expérience personnelle, comme par exemple, au chapitre des Guerres nationales, les deux faits qui se rapportent au temps où il était chef d’état-major de Ney en Espagne, et qui prouvent que les conditions habituelles de la guerre sont tout à fait changées et les précautions ordinaires en défaut, quand on a tout un pays contre soi69. […] Je cherche trace de ce que je viens de raconter dans l’histoire des Campagnes des Russes dans la Turquie d’Europe en 1828 et 1829, par le baron de Moltke ; j’y vois seulement que la brusque soumission du commandant Joussouf-Pacha et les motifs qui la déterminèrent ont prêté dans le temps à beaucoup de conjectures.

124. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XIII. Retour de Molière à Paris » pp. 225-264

Fabio raconte à Zucca que lorsque, la veille, il avait dit à Flaminio que Virginia était sa femme, celui-ci voulait l’appeler en duel. […] Elle raconte alors comment, ayant observé que Fabio était amoureux de sa sœur Virginia, elle l’a trompé en se faisant passer pour celle-ci ; comment elle l’a épousé secrètement, et comment elle est enceinte. […] Flaminio, à qui Testa a raconté le duel à outrance dont il est question, entre joyeusement dans la plaisanterie. […] Ce ne fut qu’au dix-huitième siècle que ce comédien fît un extrait de la pièce de Nicolo Secchi dans ce dessein, et la fit représenter plusieurs fois sur le théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, sous le titre de La Creduta maschio (la Fille crue garçon), avec un nouveau dénouement que son auteur raconte ainsi : « Lelio, sous le nom de sa sœur Virginia, écrit un billet à Fabio, en lui demandant pardon de n’avoir point avoué devant son père la secrète intelligence qui existe entre eux, et lui donne à l’ordinaire un rendez-vous dans sa chambre pour la soirée prochaine. […] « Ils jouèrent tous ensemble sur un sujet qu’ils concertèrent », raconte Loret, c’est à-dire dans les conditions habituelles de la comédie impromptu.

125. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Mme de Caylus et de ce qu’on appelle Urbanité. » pp. 56-77

Il faut entendre Mme de Caylus raconter cette première aventure : « À peine ma mère fut-elle partie de Niort, que ma tante, accoutumée à changer de religion, et qui venait de se convertir pour la seconde ou la troisième fois, partit de son côté et m’emmena à Paris. » Sur la route on rencontre d’autres jeunes filles d’un âge plus fait, et que Mme de Maintenonréclamait aussi pour les convertir. […] À ce ton dont Mme de Caylus raconte des choses réputées si importantes, on se demande ce qu’au fond elle en pense. […] Comme Mme de Sévigné, son esprit, son naturel l’emportent ; la vérité lui apparaît plaisante, et elle la raconte gaiement. […] Ce n’est pas sa vie que j’ai à raconter, et elle-même dans ses Souvenirs n’a parlé qu’à peine de ce qui a trait à elle. […] Ce petit livre de Souvenirs, publié en 1770 avec des notes et une préface de Voltaire, ne semble rien aujourd’hui, parce que toutes ces anecdotes ont passé depuis dans la circulation et qu’on les sait par cœur sans se rappeler d’où on les tient ; mais c’est elle qui les a si bien racontées la première.

126. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « V. M. Amédée Thierry » pp. 111-139

Amédée Thierry a le sentiment de la grandeur humaine et jusqu’à un certain point le sentiment poétique des légendes qu’il aime à raconter, mais avec l’histoire qu’aujourd’hui il a choisie, — Attila et ses successeurs — il fallait plus que ces deux sentiments pour décrire et pour expliquer les événements étranges et sans précédents qui se produisent, comme une succession de coups de tonnerre, dans les annales de l’humanité. […] Il veut nous le montrer de plain-pied, le toucher du doigt, nous le raconter comme il nous raconterait Souwarow. […] Amédée Thierry a essayé de nous raconter. […] Or l’histoire, c’est une vision, en définitive ; et d’ici bien longtemps, étant donné l’état nécessairement vacillant des certitudes humaines, deviner les faits de l’histoire, qui serait le dernier acte de la sagacité historique, ne vaudra pas aux yeux des hommes le talent de les raconter.

127. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VII. Suite du précédent. — Paul et Virginie. »

Le vieillard, assis sur la montagne, fait l’histoire des deux familles exilées ; il raconte les travaux, les amours, les soucis de leur vie : Paul et Virginie n’avaient ni horloges, ni almanachs, ni livres de chronologie, d’histoire et de philosophie. […] Ces honnêtes gens ont un historien digne de leur vie : un vieillard demeuré seul dans la montagne, et qui survit à ce qu’il aima, raconte à un voyageur les malheurs de ses amis, sur les débris de leurs cabanes.

128. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre III. La critique et l’histoire. Macaulay. »

Je n’entreprendrai point ici d’écrire la vie de lord Macaulay ; c’est dans vingt ans seulement qu’on pourra la raconter, lorsque ses amis auront recueilli leurs souvenirs. […] Guizot a raconté la même histoire ; mais vous reconnaissez dans son livre le jugement calme et l’émotion impartiale d’un philosophe. […] L’Arioste, dit-il, nous raconte l’histoire d’une fée, qui par une loi mystérieuse de sa nature, était condamnée à paraître en certaines saisons sous la forme d’un hideux et venimeux serpent. […] Les uns ont raconté l’histoire des races, d’autres celle des classes, d’autres celle des gouvernements, d’autres celle des sentiments, des idées et des mœurs ; Macaulay les raconte toutes : « J’accomplirais bien imparfaitement la tâche que j’ai entreprise, si je ne parlais que des batailles et des siéges, de l’élévation et de la chute des gouvernements, des intrigues du palais, des débats du parlement. […] —  Il raconte la réception de Schomberg par la Chambre : qui s’intéresse à Schomberg ?

129. (1925) Comment on devient écrivain

… Je raconterai, autant que je le pourrai, ce passé ; je montrerai ces sources d’émotion et d’études… Mais que voulez-vous ? […] Il est intéressant de raconter sa vie ; mais trop de gens la racontent et la racontent mal. […] Ce qu’on raconte en deux volumes peut très bien se dire en un seul. […] En somme, raconter ce que raconterait un témoin qui aurait su voir. […] Tous les auteurs n’aiment pas qu’on raconte à l’avance leur sujet.

130. (1891) Lettres de Marie Bashkirtseff

Je raconte tout ce qui s’est passé depuis le départ. […] Qu’est-ce que je te raconte là ? […] Je vais te raconter tout. […] Je te veux tout raconter. […] Il vous racontera nos aventures de Varsovie et de Berlin.

131. (1894) La bataille littéraire. Sixième série (1891-1892) pp. 1-368

C’est aussi un voyage que nous raconte M.  […] Nous allons en voir et en raconter quelques-uns, mais ce qu’il faudrait voir et dire, c’est précisément ce qu’on ignore et ce qu’on ne racontera jamais. […] Tout cela raconté alertement, à la façon des autres ouvrages de l’auteur. […] Catulle Mendès vient de nous raconter la poétique légende. […]   Les premières années de Michel-Ange, racontées par M. 

132. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Ma biographie »

Cette petite scène et mon entrée a été peinte assez au vif dans Victor Hugo, raconté par un témoin de sa vie. […] L’article du Globe sur Hugo, cité dans le livre de Hugo raconté par un témoin de sa vie, et qui est des premiers jours d’août 1830, est de moi. […] Nous avons ainsi deux fois un Sainte-Beuve raconté par lui-même, et qui ne pouvait rien omettre, dans aucun des deux récits, de ce que l’on demande d’abord à une Biographie, même courte. […] Sainte-Beuve lui ont entendu raconter l’épisode suivant des absurdes et à jamais odieuses journées, où l’on ne savait plus pourquoi on tirait des coups de fusil dans la rue. […] Sa mère lui avait raconté de certaines scènes boulonnaises, qui laissent toujours plus d’impression dans les souvenirs provinciaux qu’à Paris.

133. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1886 » pp. 101-162

Il me raconte que lorsque son Drageoir d’épices avait été refusé par tous les éditeurs, sa mère, qui, par son industrie, avait des rapports avec Hetzel, lui avait proposé de porter son manuscrit à Hetzel. […] Et hier, à l’enterrement d’Auguste Sichel, Gentien le collectionneur de pierres dures, me racontait que Barbey de Jouy lui avait cédé cette carpe, dans les aimables conditions que voici : « Vraiment vous auriez du plaisir à la posséder… je l’ai payée 2 000 francs, j’en ai joui quinze ans… Je vous la cède au prix, où je l’ai achetée. » Oh ! […] Il raconte enfin qu’une nuit, ils avaient été attaqués par des soldats, mourant de faim comme eux, et qui les soupçonnaient d’avoir du pain, et le lendemain, Riffaut voyait son sabre tout rouge de sang. […] Au dîner de Brébant de ce soir, quelqu’un dit au sujet de la future nomination de Floquet au ministère : « Avec Floquet, la France est complètement isolée, donc pas de guerre, et la haute banque est absolument pour lui. » Charles Edmond parlant de tous les documents, que Louis Blanc a eus entre les mains, pour son Histoire de dix ans raconte, comment lui sont venus ceux concernant la duchesse de Berry, pendant sa captivité à Blaye. […] À ce propos, quelqu’un raconte, avoir ramené chez lui, une fille du quartier Latin, saoule, qui, à la vue sur sa commode d’un livre, ayant pour titre : Thérèse, s’écriait, la gueule tournée par la pocharderie : « Si ça s’appelait Pauvre Thérèse, je lirais ça, toute la nuit ! 

134. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Edgar Poe »

L’auteur raconte qu’à une certaine époque de sa vie, il avait pour ami un homme qui vivait, dans un coin solitaire de l’Amérique, des débris sauvés d’une fortune qui avait été splendide autrefois. […] Cette vie affreuse, terminée par une mort plus affreuse encore, Baudelaire nous l’a racontée avec une poignante éloquence, une humour amère comme son sujet. […] Le suicide, un suicide préparé depuis longtemps, dit très bien Baudelaire ; un suicide, la mort bohème, finit la vie bohème d’Edgar Poe : « Un matin, dans les pâles ténèbres du petit jour (raconte amèrement Baudelaire), un cadavre fut trouvé sur la voie, — est-ce ainsi qu’il faut dire ?  […] Le traducteur qui l’a racontée dans la passion ou la pitié qu’il a pour son poète, a fait de l’histoire et de cette mort d’Edgar Poe une accusation terrible, une imprécation contre l’Amérique tout entière ! […] racontée déjà par Baudelaire, qui ne la savait pas ou qui la savait mal, et repris, et racontée par Émile Hennequin, sur les documents américains qu’on n’avait pas au temps de Baudelaire.

135. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le Roman de Renart. Histoire littéraire de la France, t. XXII. (Fin.) » pp. 308-324

Il s’éveille effrayé et court jusqu’à ses poules ; il s’adresse à Pinte, en qui il a le plus de confiance, et lui raconte son rêve. […] Qu’on ouvre le chant ou récit du Combat des Trente 45, ce fragment épique qui retarde en quelque sorte au milieu du xive  siècle, et qui raconte dans la forme des chansons de geste un dernier grand duel chevaleresque, le combat de trente Anglais et de trente Bretons (1350). […] Ici le trouvère est sérieux et grave ; il est sincèrement religieux ; il s’adresse au début à tous les gens de bien et d’honneur, non aux traîtres ni aux jaloux ; il veut raconter comment un jour trente Anglais et trente Bretons se combattirent, cette noble bataille qui a nom des Trente. Il commence et il finira par prier le Dieu qui mourut en croix d’avoir pitié des âmes de tous ceux qui combattirent ce jour-là, et qui sont morts la plupart au moment où lui, trouvère, il raconte : tous tant qu’ils sont, soit Bretons, soit Anglais, il ne les sépare point dans sa prière.

136. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres de François Arago. Tome I, 1854. » pp. 1-18

Ici l’embellissement qu’on met à les raconter n’est pas un mensonge ; la couleur qu’on y voudrait ajouter après coup ne sera jamais qu’un pâle reflet de cette lumière heureuse et première qui nous éclairait. […] Il raconte comment son attention fut de bonne heure détournée des études classiques, auxquelles il commençait à s’adonner, par la vue d’un très jeune officier sortant de l’École polytechnique et dont l’épaulette le frappa. […] Biot, esprit plus fin, plus littéraire jusqu’au milieu de la science, raconte en ces termes les impressions qu’il ressentait durant ces mois de veilles, d’observation inquiète et d’attente : Combien de fois, assis au pied de notre cabane, les yeux fixés sur la mer, n’avons-nous pas réfléchi sur notre situation et rassemblé les chances qui pouvaient nous être favorables ou contraires ! […] Le célèbre physicien de Genève, M. de La Rive, raconte dans un intéressant article sur Arago, qu’étant allé le voir un jour à l’Observatoire, en 1846, il le trouva occupé à lire un article d’une revue anglaise, où il était assez maltraité.

137. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — I » pp. 39-56

Il n’y dit jamais de mal de lui, mais dans le bien qu’il en raconte, dans ses récits les plus avantageux, il y a tant d’esprit, de gaieté, de bons mots joints à l’action, de belle et vaillante humeur française, il est si bien un héros de notre nation, que ses défauts cessent d’y déplaire. […] Qu’il y ait dans tout ceci, et dans la manière dont Villars le raconte, un peu d’appareil, de mise en scène et d’air de gloire, qui en doute ? […] Il se plaît à les raconter avec détail, et dans ces endroits de ses Mémoires il nous rappelle le vieux Montluc, grand amateur et narrateur aussi d’escarmouches et d’actions particulières. […] Peu après, le maréchal de Luxembourg ayant emporté l’abbaye de Piennes et gagné le champ de bataille, mais voyant la droite des ennemis se retirer sans perte, ne put s’empêcher de dire à Villars : « Je voudrais que le cheval de Chamlay eût eu les jambes cassées quand il vous apportait ce maudit ordre. » Villars ne raconte sans doute dans ses Mémoires que ce qui peut lui faire honneur, et il ne serait pas plus juste de le suivre en tout aveuglément que de s’en remettre à Saint-Simon contre lui ; mais dans tout ceci il n’est rien qui ne réponde à la suite de sa carrière et que ne confirment ses futurs succès.

138. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Souvenirs de soixante années, par M. Etienne-Jean Delécluze »

Maintenant qu’on a une première idée du personnage, il va nous raconter lui-même sa vie, non sans finesse, mais cependant avec une bonhomie parfaite. C’en est déjà une preuve que de s’être avisé de se raconter à la troisième personne et de s’être mis en scène continuellement sous le nom d’Étienne, qui est un de ses prénoms. […] Le jeune Étienne est si naturellement le centre de tout ce qu’il raconte, — tout ce qui arrive, arrive si à point nommé pour le progrès et le bonheur d’Étienne, qu’on finit par s’y accoutumer. […] Delécluze raconter cette scène au naturel : « La première fois, Maurice ne dit rien, seulement sa physionomie devint sévère ; mais lorsque le conteur eut répété de nouveau le nom sacré, alors les yeux du chef de la secte des penseurs s’enflammèrent, et Maurice fit taire le mauvais plaisant en lui imposant impérieusement silence.

139. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La comtesse d’Albany par M. Saint-René Taillandier. »

Voltaire termine les deux beaux chapitres, où il a si vivement raconté les exploits et les malheurs de ce prince, par l’éclat de son arrestation ignominieuse à Paris, à l’Opéra, lorsque le faible gouvernement d’alors crut devoir à l’Angleterre cette satisfaction d’expulser le Prétendant du sol français. […] Il aimait à raconter ses aventures, j’aimais à les entendre, ce qui avait un grand charme pour lui ; car je soupçonne que ce que j’entendais pour la première fois, les gens de sa Cour l’entendaient pour la centième… « Je me souviens de l’impression que me firent les récits du prince ; j’étais étonné de l’entendre parler sans fiel de ses ennemis, et sans reconnaissance pour ses amis : c’était un vrai Stuart. […] Dulens, qui était alors en Italie et à même d’être des mieux informés, a raconté avec détail l’aventure. […] La chose est autrement racontée chez M. 

140. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

Le poëte raconte que le cherchant à son arrivée à Paris, lors d’un premier voyage en juin 1832, et étant allé l’attendre au seuil de sa maison pour le voir au passage, il avait appris que l’illustre écrivain venait d’être condamné, mis en prison ; de là tout un éclat à la Némésis. […] » Enfin un soir, après avoir erré sur les montagnes une grande partie de la journée, il se trouva au seuil d’un monastère, d’une chartreuse, et il frappa, comme on le raconte de Dante dont il évoque le souvenir, en demandant la paix, pace. […] Nous n’avons pas à juger, nous racontons. […] On raconte qu’à mesure que Charles-Albert lisait cette Épître qui lui fut remise par un respectable prélat, son émotion devenait visible, et qu’elle se trahit surtout à ce vers : Je venais contempler mon Paradis perdu.

141. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame la duchesse d’Angoulême. » pp. 85-102

Elle a raconté l’histoire de sa captivité et des événements arrivés au Temple depuis le jour où elle y entra jusqu’au jour où y mourut son frère, et elle l’a fait d’un style simple, correct, précis, sans un mot de trop, sans une phrase, comme il sied à un cœur profond et à un esprit juste parlant en toute sincérité des douleurs vraies, de ces douleurs véritablement ineffables et qui surpassent tout ce qu’on en peut dire. […] Elle a raconté avec une simplicité naïve la fuite du 20 juin 1791 et le voyage de Varennes. […] Une scène des plus touchantes et qui est très bien racontée par un de ses historiens (M.  […] Les historiens de la Restauration ont très bien raconté ces scènes où figure Mme d’Angoulême, et tous s’accordent à louer son courage actif et son attitude.

142. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Madame, duchesse d’Orléans. (D’après les Mémoires de Cosnac.) » pp. 305-321

C’est un récit écrit d’après une confidence, et destiné à celle même qui a raconté, qui sourit en se revoyant si justement, si légèrement peinte, et qui, avec une douce malice, prend à quelques endroits la plume pour y retoucher. Madame, après son dîner, aimait à se coucher sur des carreaux ; elle s’approchait de Mme de La Fayette, « en sorte que sa tête était quasi sur ses genoux », et, dans cette position familière et charmante, elle lui racontait le détail de son cœur, ou elle en écoutait l’histoire écrite d’après elle, et elle se regardait au miroir que son amie lui en offrait. […] Jalousies, soupçons, rivalités, déguisements, des confidents qui se font valoir et qui sont des traîtres, c’est l’éternelle histoire de tous les groupes jeunes et amoureux, livrés à eux-mêmes dans les loisirs et sous les ombrages ; mais ici ce sont des jeunesses royales et qui brillent au matin du plus beau règne ; l’histoire les fixe, la littérature, à défaut de la poésie, en a consacré le souvenir ; une plume de femme les a racontées dans une langue polie, pleine de négligences décentes ; le regard de la postérité s’y reporte avec envie. […] Ce jour-là, La Fare raconte qu’il ramena de Saint-Cloud M. de Tréville, un des amis particuliers de Madame, un de ceux dont elle appréciait le plus l’esprit fin, un peu subtil et extrêmement orné : « Tréville, que je ramenai ce jour-là de Saint-Cloud, et que je retins à coucher avec moi, pour ne le pas laisser en proie à sa douleur, en quitta le monde et prit le parti de la dévotion, qu’il a toujours soutenu depuis. » Mme de La Fayette elle-même, depuis qu’elle eut perdu Madame, se retira de la Cour et vécut avec M. de La Rochefoucauld de cette vie plus particulière qu’elle ne quitta plus.

143. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Ducis. » pp. 456-473

Ducis transportait cette situation au vieux Montaigu, père de Roméo ; il faisait raconter à ce vieux père lui-même, échappé de sa tour, cet atroce supplice infligé par son ennemi, et quand, le récit terminé, Roméo (qui se trouve être un dernier fils de ce Montaigu-Ugolin) dit un peu simplement au vieillard : ……………………… Ah ! […] On a souvent raconté comment il échoua auprès de Ducis, qui refusa tout, le Sénat, la Légion d’honneur : Je suis, disait-il, catholique, poète, républicain et solitaire : voilà les éléments qui me composent, et qui ne peuvent s’arranger avec les hommes en société et avec les places… Il y a dans mon âme naturellement douce quelque chose d’indompté, qui brise avec fureur, et à leur seule idée, les chaînes misérables de nos institutions humaines. […] Campenon, dans ses Lettres sur Ducis, a raconté une anecdote qui peint bien la bonhomie pieuse de cet adorateur et de ce profanateur innocent de Shakespeare. […]  » Cette anecdote, si bien racontée par M. 

144. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Th. Carlyle » pp. 243-258

tandis que Carlyle, qui ne crée pas, mais qui raconte, et qui n’a qu’une goutte du génie de Rabelais, la verse insolemment, dans l’Histoire sérieuse et bégueule, sur des fronts qui se croient faits pour inspirer la terreur. — Et cette goutte du génie de Rabelais dans une tête anglaise, voilà son originalité ! […] Quelle conviction politique a-t-il, ce damné diable du pittoresque, qui s’identifie tellement avec le fait qu’il raconte qu’il est momentanément de tous les partis ? […] Il s’en fait l’acteur par la pensée, ou du moins le chœur qui épousait l’action même et la vivait dans le drame antique, et cela communique à son récit un accent très particulier, qui n’est pas la particularité d’un faiseur de Mémoires qui raconterait simplement sa vie, et qui donne au sien une passion que n’a pas ordinairement l’Histoire.

145. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XX. M. de Montalembert »

Ainsi encore, lorsqu’il rapporte quelque miracle et qu’il le raconte avec une expression imposante, c’est que l’expression est de saint Grégoire le Grand, dont les lettres en cette histoire des Moines d’Occident font tout pâlir ! […] Légendes, peintures, réfutations, miracles racontés de manière à couper l’insolent sifflet des rieurs, aperçus, domination petite ou grande de l’histoire de quelque côté que ce soit, rien n’appartient en propre et en premier à M. de Montalembert, si ce n’est ce qui appartient toujours à tout homme dans tout livre, — le style qu’il y met. […] Dans des notes combinées sans doute pour resserrer des liens déjà chers, M. de Montalembert n’a pas manqué de nous présenter tout le personnel du Correspondant, vivants et morts, et sa scrupuleuse exactitude à nommer tout le monde et à n’oublier personne du cénacle dont il est l’oracle est telle, qu’on finit par ne plus savoir si Les Moines d’Occident, cette suite de petites histoires, transcrites et traduites d’histoires plus longues et mieux racontées, sont, tels que les voilà, une besogne faite par un seul homme ou par sa petite société.

146. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « A. P. Floquet »

Esprit médiocre, n’ayant pour tout talent que la gravité de son état, âme de rhéteur, doctrine trop souvent erronée, le cardinal de Bausset pouvait nous raconter Bossuet, mais le montrer vivant ou le juger, cela lui était impossible. […] encore une fois, on cherche l’obscurité du commencement inhérente à toute destinée, dans ces premières années de la vie de Bossuet, — racontées par son nouveau biographe avec le détail le plus circonstancié, et, j’ose dire, le plus épuisé maintenant, — on ne la trouve pas ! […] Là, enfin il s’enveloppa dans sa fonction de simple chanoine, vivant entre sa maison studieuse et sa cathédrale, embrassant tous les soirs sa sœur et la quittant pour s’en aller à matines ; et cette vie régulière et cachée, racontée pour la première fois par Floquet, cette vie devenue de l’inconnu par l’éloignement et par le temps, cette pénombre au fond de la gloire, cette brune draperie tirée contre le jour, qui tombe toujours plus fort par la fenêtre de cette cellule, tout cela nous prend au cœur et nous fait entrevoir un Bossuet inattendu et touchant.

147. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre IV. De quelques poèmes français et étrangers. »

Le prophète Samuel raconte à David l’histoire des rois d’Israël : Jamais, dit le grand saint, la fière tyrannie Devant le Roi des rois ne demeure impunie : Et de nos derniers chefs le juste châtiment En fournit à toute heure un triste monument. […] L’épisode de Ruth, raconté dans la grotte sépulcrale où sont ensevelis les anciens patriarches, a de la simplicité : On ne sait qui des deux, ou l’épouse ou l’époux, Eut l’âme la plus pure et le sort le plus doux.

148. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XI. Suite des machines poétiques. — Songe d’Énée. Songe d’Athalie. »

En commençant par les derniers, nous choisirons le songe d’Énée dans la nuit fatale de Troie ; le héros le raconte lui-même à Didon : Tempus erat, etc. […] Athalie, sous le portique du temple de Jérusalem, raconte son rêve à Abner et à Mathan : C’étoit pendant l’horreur d’une profonde nuit ; Ma mère Jésabel devant moi s’est montrée, Comme au jour de sa mort pompeusement parée ; Ses malheurs n’avoient point abattu sa fierté : Même elle avoit encor cet éclat emprunté Dont elle eut soin de peindre et d’orner son visage, Pour réparer des ans l’irréparable outrage.

149. (1845) Simples lettres sur l’art dramatique pp. 3-132

Je ne tiens de personne l’anecdote que je vais raconter ; elle m’est personnelle. […] Buloz, faites-nous donc de ce que vous venez de raconter là deux articles pour la Revue. J’hésitai longtemps ; je croyais ces choses bonnes à raconter et non à écrire. […] Cavé dit-il qu’il ne m’a point raconté le fait que j’ai cité ? […] Cavé avait avoué qu’il m’avait raconté cette anecdote, qu’il a racontée non seulement à moi mais à dix autres personnes que je puis nommer au besoin, il ne pouvait laisser dix minutes M. 

150. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 4. Physionomie générale du moyen âge. »

Sans doute ce monde n’est pas immobile, ni inerte, puisqu’il vit : les historiens ont de grandes entreprises politiques et religieuses à raconter, une évolution des formes sociales et des institutions à raconter.

151. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XIV. Parallèle de l’Enfer et du Tartare. — Entrée de l’Averne. Porte de l’Enfer du Dante. Didon. Françoise de Rimini. Tourments des coupables. »

L’origine de la Mort, racontée par le Péché, la manière dont les échos de l’enfer répètent le nom redoutable lorsqu’il est prononcé pour la première fois, tout cela est une sorte de noir sublime, inconnu de l’antiquité85. […] Le Dante arrête un couple malheureux au milieu d’un tourbillon ; Françoise d’Arimino, interrogée par le poète, lui raconte ses malheurs et son amour.

152. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 11, les romains partageoient souvent la déclamation théatrale entre deux acteurs, dont l’un prononçoit tandis que l’autre faisoit des gestes » pp. 174-184

Tite-Live, après avoir fait l’histoire des premieres représentations théatrales qu’on vit à Rome, après avoir dit concernant les premiers progrez de ces représentations ce que nous avons rapporté dans la section précédente, raconte en continuant l’histoire de la scéne romaine, l’avanture qui donna l’idée de partager la déclamation, pour ainsi dire, en deux tâches, et il dit les raisons qui furent la cause que cet usage s’établit comme le bon usage. […] Valere Maxime qui écrivoit sous Tibere, raconte l’avanture d’Andronicus presque dans les mêmes termes que Tite-Live.

153. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Granier de Cassagnac » pp. 277-345

L’époque du Directoire est une de ces époques décourageantes qu’on aimerait mieux voiler que raconter, quand on a un peu de pudeur pour son pays. […] Le fait qu’il raconte est si beau que sa pensée se rassied trop vite. […] Jusque-là, en effet, personne, parmi les écrivains qui avaient voulu raconter ou expliquer la Révolution française, n’avait eu, comme l’historien qui s’élevait alors, le coup de pinceau historique. […] Ils ne sont rien moins que les états-majors des pouvoirs qui se sont succédé dans ces trois phases d’histoire que Cassagnac nous raconte. […] Ainsi, il l’est surtout, et mieux qu’ailleurs, dans le superbe onzième chapitre de son ouvrage, où il raconte, dans le style ferme qu’on lui connaît, la prise de Rome, avec la gravité romaine.

154. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paul Féval » pp. 107-174

Un tel livre, tout en détails, ne se raconte point, mais ce sont les détails qui font la fortune des livres, et les détails de celui-ci sont ravissants. […] Dans tous les cas, ce qui reste acquis au débat, c’est que cette conversion n’est pas inventée, et qu’on le sent à la manière émue et pénétrante dont elle est racontée. […] Il a ouvert le ciel comme un pavillon au-dessus de la montagne qui portait à son sommet l’image de l’archange, et il en a fait tomber une lumière céleste pour mieux éclairer les faits prodigieux qu’il allait raconter. […] Sept cents ans d’histoire passent au pied ou pivotent autour de ce monastère et de cette forteresse tout ensemble, et ces sept cents ans sont racontés avec un détail d’érudition qui étonne encore plus que l’éloquence du récit. […] — elle est vraiment aussi superbe que les choses superbes qu’elle raconte, et les choses qu’elle raconte, ce n’est plus les gestes de Dieu par les Francs, c’est les gestes des Francs par Dieu même.

155. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1883 » pp. 236-282

Du Mesnil raconte ensuite, comment Gambetta a eu l’œil crevé, c’est par la pointe d’un couteau qu’un repasseur, établi à la porte de sa maison, promenait sur sa meule, et dont l’enfant s’était trop approché, pour voir les étincelles. […] On vient de lui enlever un kyste dans le ventre, et il disait à Daudet, qui est allé le voir ces jours-ci : « Pendant l’opération, je pensais à nos dîners, et je cherchais les mots, avec lesquels je pourrais vous donner l’impression juste de l’acier, entamant ma peau et entrant dans ma chair… ainsi qu’un couteau qui couperait une banane. » Jeudi 26 avril À la suite d’un cas de folie érotique, raconté par Charcot, Alphonse Daudet de s’écrier : « Ah ! […] Et pendant que la porte de son cabinet, est poussée par des amis qui viennent lui serrer la main, et s’en vont : le voici, qui me raconte son duel, avec cette jolie blague méridionale, me peignant l’emballeur cocasse, qui a fourni, à la fois la caisse des épées et le jardin de sa maison de campagne, l’embarquement solennel pour le Vésinet et l’entrée du jardin de l’emballeur, entre deux arbres verts, qu’il compare joliment à une entrée de cimetière, et l’attache de formidables lunettes qu’il demande qu’on lui retire, aussitôt qu’il sera blessé. […] Il me raconte, très spirituellement, qu’il était le fils d’un petit employé, se saignant des quatre veines pour l’élever, et que malgré ses résolutions de bon fils, malgré un petit memento des sacrifices de ses parents, qu’il écrivait, tous les soirs, pour se forcer à travailler, il était pris d’une paresse, dont il ne pouvait pas absolument s’arracher : une paresse singulière, dans laquelle il passait tout son temps, à suivre le vol des martinets sur le bleu du ciel. […] On causait de sensiblerie, très souvent cachée au fond des sceptiques, et à ce propos un de mes amis racontait, que demandant à X… pourquoi il était si triste : « Eh bien !

156. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « FLÉCHIER (Mémoires sur les Grands-Jours tenus à Clermont en 1665-1666, publiés par M. Gonod, bibliothécaire de la ville de Clermont.) » pp. 104-118

Nous tenons donc une œuvre de Fléchier qu’on va lire, lire avec le plaisir qui s’attache aux choses familières et vraies, observées par un esprit délicat et fin, racontées par une plume rare. […] C’est à Riom qu’il s’arrête d’abord, c’est là qu’à propos d’une beauté, merveille de cette ville et de la province, il se fait au long raconter par une personne de qualité du pays tout un petit roman des amours de cette belle45, lequel ne tient pas moins de trente pages, et qui pourrait être vraiment de madame de La Fayette elle-même. […] Remarquez que, dans ces Mémoires, toutes les fois que Fléchier veut entrer dans quelque développement prolongé sur les divers chapitres plus ou moins sérieux et les tracasseries de la province, il introduit un personnage et se fait raconter la chose en prêtant à l’interlocuteur toutes ses finesses et ses élégances, et en lui laissant pourtant des traits particuliers de physionomie.

157. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Montmorency » pp. 199-214

II Telle est l’héroïne que Renée a préférée pour nous en raconter l’histoire à toutes les femmes du xviie  siècle, de ce temps complet qui commença par les grandes femmes et qui finit par les grands hommes. […] Amédée Renée nous a raconté avec toutes les nuances du détail cette vie, cette mort, et enfin ce survivre, le pire des malheurs pour l’âme humaine, a dit un homme qui se connaissait en douleur, et de tout cela il a tiré un chef-d’œuvre d’intérêt légitime qui ne sera peut-être pas compris à cette époque d’adultère, mais qui, s’il l’était, aurait l’éloquence d’une leçon. […] Renée a supérieurement raconté cette mort, dont il a senti la grandeur et dont il a fait admirablement ressortir le caractère.

158. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « IV. M. Henri Martin. Histoire de France » pp. 97-110

S’il n’était doublé que d’insignifiances et de platitudes, que de faits plus ou moins bien racontés et même plus ou moins bien compris, mon Dieu ! […] Il a la bonté de parler moderne et de raconter l’histoire sans en faire un carnaval. […] Mais franchement, lorsque l’érudition est à cette portée, dans des conditions si abondantes et qui demandent si peu d’efforts pour être saisies, quel mérite a-t-on de raconter ces faits, à peu près exacts, de leur exactitude extérieure ?

159. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXIX. M. Eugène Pelletan »

Il raconte à sa manière ce que la Genèse raconte mieux que lui ; mais arrivé à l’homme, il brise la Genèse, et l’erreur monstrueuse monte sur les débris de l’hypothèse. […] Pelletan les raconte, ne seraient encore que des probabilités de simple bon sens, et malgré notre respect pour le bon sens, il faut plus que cela pour expliquer l’homme.

160. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Christophe »

… Dans la dédicace de son livre au clergé de Lyon, il dit aux prêtres : « Racontons nous-mêmes notre histoire et ne permettons pas que des laïques sans foi la travestissent au gré de leurs systèmes ou de leurs passions. » Il a, certes ! […] III Cette histoire de cent années racontée par l’abbé Christophe, qui se pique beaucoup d’être surtout un narrateur, va du trop ignoré Martin V jusqu’au trop célèbre Alexandre VI, et elle a, au plus haut degré, le caractère que je viens de signaler, — cette portée en avant et en arrière, dans le passé et dans l’avenir, qui fait un cadre si vivant et si dramatique à toute histoire isolée de l’Église ou de la papauté. […] Dans sa manière de raconter il n’a pas assez de flamme, comme, quand il juge, il ne va pas assez à fond.

161. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1869 » pp. 253-317

Quand le président lui dit de raconter la scène du crime, il passe la main sur son front, une rougeur colore, un instant, son visage terne et gris, et après quelques mouvements nerveux d’épaules, il crache par terre, s’essuie les lèvres avec son mouchoir, puis commence par des mots ânonnants, se repasse encore la main sur la figure, et rouvre une bouche où, sous l’émotion, sa voix s’étrangle… Puis soudain il se met à raconter, et comme si, au récit de l’assassinat, sa fièvre homicide le reprenait, il répète dans le vide la mimique de son crime, d’un geste en avant terrible et superbe ! […] Quand nous redescendons, nous trouvons l’imprudent Gautier en train de raconter à Sacy, qui peut être une voix dans son élection de demain, qu’une des femmes qu’il a le plus aimées dans sa vie, était une femme panthère, tachetée comme son nom, qu’on montrait dans une baraque, et aux oh ! […] À ce propos, il nous raconte qu’il avait envie d’un alezan doré, que lui avait enlevé le général Patrat, et sur lequel il fut tué à Palestro, coupé en deux par le dernier boulet tiré par l’artillerie autrichienne ; dans cette affaire, où pas un homme de son corps ne fut blessé. […] La pauvre mère, en pleurs, raconte sa peine à ses voisins, qui emportés par un généreux mouvement, font la somme en une heure. […] * * * — M. de Sacy racontait, ce matin, que lorsqu’on apprit au général Sébastiani l’assassinat de sa fille, Mme de Praslin, le général arrêta celui qui lui apportait la nouvelle, par un : « Ah !

162. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — I. » pp. 1-19

On raconte qu’en faut, au sortir du sermon, son plus grand plaisir était de rassembler autour de lui ses condisciples et de leur répéter ou de leur refaire le discours qu’ils venaient d’entendre. […] Un de ses biographes (Audin) a raconté à ce sujet des détails qu’il dit tenir de source authentique : il s’ensuivrait que Massillon, dans cette première jeunesse, aurait eu quelques écarts de conduite qui l’auraient brouillé avec ses supérieurs, avec lesquels toutefois il ne tarda point à se réconcilier. […] On dit que le même mouvement se renouvela dans la chapelle de Versailles7, et l’on raconte que Massillon lui-même, par son geste, par son attitude abîmée, par son silence de quelques instants, s’associa à la terreur de son auditoire, et, avec une sincérité qui se confondait ici avec les bienséances, trouva jusque dans son triomphe à faire acte de chrétienne et profonde humiliation. […] Mais surtout on raconte que Rollin, alors principal du collège de Beauvais, ayant conduit un jour ses pensionnaires entendre un sermon de Massillon sur la sainteté et la ferveur des premiers chrétiens, les enfants en sortirent si touchés, qu’ils se livrèrent les jours suivants dans leur innocence à des austérités et à des mortifications qu’il fallut modérer.

163. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Froissart. — I. » pp. 80-97

Il a raconté tout cela avec grâce, bien qu’avec prolixité. […] Il s’est laissé aller un peu longuement, dit-il, à raconter les événements et les choses nouvelles qui étaient voisines de lui et qui inclinaient à son plaisir, et pourtant le bruit des exploits qui se passent en pays lointains le préoccupe : il se sent arriéré et veut se remettre au pas de ce côté : Et pour ce, dit-il, je, sire Jean Froissart qui me suis chargé et occupé de dicter et écrire cette histoire, considérai en moi-même que nulle espérance n’étoit qu’aucuns faits d’armes se fissent aux pays de Picardie et de Flandre, puisqu’il y avoit paix ; et point ne voulois être oiseux, car je savois bien qu’encore au temps à venir et quand je serai mort, sera cette haute et noble histoire en grand cours et y prendront tous nobles et vaillants hommes plaisance et exemple de bien faire ; et, tandis que j’avois, Dieu merci ! […] À toutes ses questions le comte de Foix répond volontiers, et il promet à l’historien pour son ouvrage un crédit dans l’avenir et une fortune que nulle autre histoire ne lui disputera : « Et la raison en est, disait-il, beau Maître, que depuis cinquante ans en çà sont advenus plus de faits d’armes et de merveilles au monde qu’il n’en étoit de trois cents ans auparavant. » Encouragé par un tel suffrage, Froissart s’applique de plus en plus à mettre son langage au niveau des actions qu’il a à raconter ; car il n’a rien tant à cœur que d’étendre et rehausser sa matière, dit-il, et d’exemplier (enseigner par des exemples) les bons qui se désirent avancer par armes. […] Froissart contant les guerres de Loire qu’il sait si bien, mais écoutant surtout celles de Gascogne qu’il ne sait pas et que le bon chevalier lui raconte à plaisir.

164. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — II. (Fin.) » pp. 495-513

Il connaissait Mme Dacier ; il lui avait même adressé précédemment une ode, détestable, il est vrai, mais pleine de louanges, au sujet de son Anacréon : il voulut avoir son avis sur cet essai de traduction en vers, et il lui récita son chant sixième où est raconté l’inutile message de Phoenix, d’Ajax et d’Ulysse, auprès d’Achille. […] Le père Hardouin partait de ce point que personne jusque-là n’avait entendu le sujet de l’Iliade, qu’il proclamait d’ailleurs le chef-d’œuvre le plus ingénieux de l’esprit humain en son genre ; il venait donc révéler à tous pour la première fois ce sujet tel qu’il se flattait de l’avoir découvert : ce n’était pas du tout la colère d’Achille comme on l’avait cru généralement, mais bien la destruction, selon lui, et l’extinction de la branche d’Ilus, décrite et racontée tout en l’honneur d’Énée qui était de la branche cadette. Il présentait l’idée d’Homère, en un mot, comme celle d’un poète qui aurait raconté les désastres de la Ligue et les malheurs des derniers Valois pour faire plaisir et honneur à Henri IV régnant et aux Bourbons. […] Mme de Staal a raconté spirituellement, et avec ce grain d’ironie qu’elle met à tout, comment elle fut sur le point de remplacer à titre d’épouse cette femme illustre auprès de M. 

165. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Journal d’Olivier Lefèvre d’Ormesson, publié par M. Chéruel » pp. 35-52

Dans le récit domestique où il raconte, sans prétendre la surfaire, cette vie si honorable d’un homme de médiocre condition, son fils André avait bien raison de dire au début : Ceux qui liront ce discours souhaiteront peut-être sa bonne fortune et tâcheront d’imiter ses vertus et perfections ; car étant aîné d’une famille médiocre en extraction et en biens, ayant perdu son père à cinq ans, sa mère s’étant remariée deux ans après, avoir par tous moyens amassé des biens suffisamment et être parvenu à des charges très honorables, n’est-ce pas un bonheur très grand et très rare ? […] On a tant de fois raconté les choses à son point de vue, et chaque fois en les arrangeant un peu mieux, qu’on ne sait plus se les représenter que dans cette enfilade unique et suivant cette perspective. […] On se raconte des horreurs sur ce cardinal-tyran : « Il en était venu à tel point, lorsqu’il mourut, qu’il ne voulait plus voir le roi que le plus fort, et avait dans sa maison trois caves capables de tenir près de trois mille hommes. » M. le prince de Condé, toujours si plat envers celui qui règne et de qui il espère, lui qui avait un jour imploré à genoux comme un honneur l’alliance du cardinal vivant, s’élève maintenant tout haut, en plein Parlement, contre ce qui s’est fait « sous une puissance qui allait jusques à la tyrannie ». Il a même le dessein de faire casser le mariage de son fils, le Grand Condé, avec la nièce du cardinal, de le faire déclarer nul ; et quand il naît un fils de ce mariage (26 juillet 1643), il ne peut contenir sa honteuse douleur : Mme la comtesse de Morel, qui était présente au travail de la duchesse d’Enghien, a raconté que lorsqu’on annonça que c’était un garçon, l’on vit M. le prince et Mme la princesse changer de visage comme ayant reçu un coup de massue, et qu’ils en témoignèrent très grande douleur ; que Mme la princesse à qui l’on présentait plusieurs nourrices avait dit qu’il ne fallait point choisir, que la première était bonne pour ce que c’était.

166. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Une monarchie en décadence, déboires de la cour d’Espagne sous le règne de Charles II, Par le marquis de Villars »

Elle raconte avec bien de l’esprit ses rares et chétives distractions, processions, comédies, et les galanteries de la Semaine-Sainte, et le combat de taureaux qui lui fait horreur « dans sa terrible beauté, » et un autodafé, auquel elle ne peut se résigner à assister, et qu’il faut lire en détail dans la Relation du marquis. […] On raconte que, bien des années après, et dans les mois qui précédèrent sa fin, ce roi mélancolique, infirme, tourmenté de scrupules, ne sachant à qui léguer en conscience ses États, environné d’intrigues inextricables, fuyant les cris du peuple ameuté à Madrid sous son balcon, alla s’enfermer seul dans l’Escurial, et voulut descendre dans le caveau du Panthéon pour visiter les corps de ses ancêtres qui y sont déposés ; il espérait trouver quelque trêve à ses maux de corps et d’esprit par l’intercession de leurs âmes. […] Le Journal du Voyage d’Espagne, de Mme d’Aulnoy, une femme de beaucoup d’esprit, qui était allée à Madrid dans le même temps, et qui raconte à sa manière les mêmes choses, mériterait aussi (en tout ou en partie) une réimpression ; ce n’est pas moins piquant dans son genre que les Lettres du président de Brosses sur l’Italie. […] Ce n’est pas l’histoire politique de l’Espagne, c’est sa chronique intime, le journal de sa décadence, qu’il a voulu raconter ; et, en portant la splendeur habituelle de son expression sur ces rapetissements et ces misères, l’écrivain de talent les a éclairés et fixés dans la mémoire en traits ineffaçables.

167. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Patru. Éloge d’Olivier Patru, par M. P. Péronne, avocat. (1851.) » pp. 275-293

Un jeune homme de dix-neuf ans, qui, passant par Florence, y aurait rencontré l’harmonieux poète, et aurait brûlé de l’interroger sur la réalité de ces tendres sentiments, si voilés de mysticité et de mélodie, peut nous donner quelque idée de ce qu’était Patru dans son pèlerinage auprès de d’Urfé : Lorsqu’en mon voyage d’Italie, raconte-t-il, je passai par le Piémont, je vis l’illustre d’Urfé, et je le vis avec tant de joie qu’encore aujourd’hui je ne puis penser sans plaisir à des heures si heureuses. […] Tallemant des Réaux nous a raconté dans un singulier détail toutes ces amours de son ami. […] Il écrit à son ami d’Ablancourt, et va lui raconter la visite que la reine Christine a faite à l’Académie dans un autre voyage, dix-huit mois après (11 mars 1658) ; mais tout d’abord il annonce à ce tendre ami, avec lequel il a autrefois été dans les plaisirs, une plus grave nouvelle : Il est vrai, mon cher, que, depuis un mois ou environ, j’ai pris la perruque, ou, pour parler plus exactement, une calotte de cheveux ; tellement que j’ai des cheveux plus que toi, et tu as des lunettes plus que moi. […] On raconte que Bossuet l’étant allé voir, lui dit : « On vous a regardé jusqu’ici, monsieur, comme un esprit fort ; songez à détromper le public par des discours sincères et religieux. » — « Il est plus à propos que je me taise, répondit Patru mourant ; on ne parle dans ses derniers moments que par faiblesse ou par vanité. » Il mourut le 16 janvier 1681, à l’âge de soixante-dix-sept ans.

168. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Fervaques et Bachaumont(1) » pp. 219-245

Les chroniqueurs d’habitude se marquent, en ce fourmillement de faits, par l’absence de jugement supérieur sur les événements et les choses, de repli d’âme, de réflexion sur ces faits qu’on n’a souci que de raconter en les peignant de couleurs vives. […] Fervaques, le balzacien, ne s’est donc pas rappelé la manière de son maître, cette pensée du profond Balzac, planant éternellement sur les drames qu’il raconte, en ses romans sublimes ? […] de ressembler à Grammont, l’adorable Grammont, raconté par l’étonnant Hamilton, digne par l’esprit d’être son beau-frère. […] Il porte un étonnant bon sens dans les choses frivoles, cet historiographe de salon qui s’est dévoué à ce labeur, mélancolique pour un homme d’esprit, de nous raconter les minuties vaines d’une société usée, érosée, épuisée.

169. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Alfred de Vigny »

Kitty Bell, c’est l’ange de la pitié aussi, mais sur la terre, dans sa robe grise de puritaine, tombant aussi par pitié dans Chatterton ; car elle tombe, quoique sa chute soit voilée par sa pitié même et par celle du romancier, qui n’ose pas la raconter ! […] Voilà pourquoi il a écrit ce livre, où la pitié déborde dans tous les types ; voilà pourquoi il a raconté ces histoires vraies de vieux soldats, dont l’un devient une véritable mère pour la femme folle de l’homme qu’il fut forcé, par devoir, de faire fusiller, et dont l’autre meurt en bénissant le gamin d’émeute qui l’assassine. […] On n’appartient pas pour rien à une époque personnelle et poseuse, où toutes les vanités se mettent à la fenêtre de cinq à six volumes pour, de là, se raconter à ceux qui passent ; et, cela, depuis le ministre d’État jusqu’à l’apothicaire, depuis Chateaubriand jusqu’à Véron. […] « Cependant il y en a parmi eux qui ne cessent de se quereller pour savoir l’histoire de leur procès, et il y en a qui en inventent les pièces ; d’autres qui racontent ce qu’ils deviennent après la prison, sans le savoir.

170. (1894) La bataille littéraire. Septième série (1893) pp. -307

Le drame intime raconté par M.  […] Je ne raconterai pas le roman, mais je signalerai une scène tout à fait charmante qui en amène le dénouement. […] En l’endormant, son père lui racontait des histoires : … Et il riait très fort. […] Une dame de la cour de Vienne nous racontait un jour, ses impressions à l’arrivée de l’empereur Nicolas dans cette dernière capitale. […] Plus loin, par exemple, il raconte une singulière anecdote sur Rousseau, qu’il tient de M. de Saint-Marc, lequel a connu le philosophe.

171. (1912) Chateaubriand pp. 1-344

Chateaubriand raconte tout cela fort gaiement. […] (Tout cela, à ce qu’il raconte.) […] Pendant un grand orage, elle soulage son cœur et raconte son histoire à son ami. […] Il n’avait pas eu de « nuit » à la Pascal ; autrement il nous l’aurait raconté. […] C’est devant elle qu’il raconte ses aventures.

172. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXIV » pp. 394-401

Le 26, madame de Sévigné écrit : « On la croit toute rétablie dans sa félicité. » Enfin, le 2 septembre, elle raconte à sa fille que « la vision de madame de Soubise a passé plus vite qu’un éclair… Au jeu, elle a la tête appuyée familièrement sur l’épaule de son ami. […] Une lettre de madame de Sévigné, du 6 novembre, raconte avec sa grâce ordinaire comment le roi, sous le nom d’un certain Langlée, espèce d’aventurier qui tenait un jeu à la cour, lui donna la plus belle robe dont on eut jamais eu l’idée : « M. de Langlée a donné à madame de Montespan une robe d’or sur or, rebrodé d’or, rebordé d’or, et par-dessus un or frisé, rebroché d’un or mêlé avec un certain or qui fait la plus divine étoffe qui ait jamais été imaginée : ce sont les fées qui ont fait cet ouvrage en secret.

173. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — XVIII. La bague aux souhaits »

De retour près de la guinnârou, le chien et le chat lui racontent la chose : « C’est bon ! […] Et ils lui racontent comment la guinnârou les a envoyés pour reprendre la bague dérobée, comment le poisson l’a avalée et ce que la guinnârou leur a prescrit.

174. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Vie de Rancé »

Un voyageur qui visita la Trappe du temps de l’abbé de Rancé raconte qu’étant au réfectoire pendant qu’on lisait quelque chapitre du Lévitique, il entendit un endroit qui l’effraya : Exterminaituur de populo anima ejus qui non fecerit Deo sacrificium in tempore suo, « et je compris mieux que jamais, dit-il, quel malheur c’est que de manquer le temps du sacrifice. » — Celui à qui est dû le Génie du Christianisme ne manqua point ce moment ; il sut mettre, à l’heure marquée, son talent en offrande sur l’autel : l’éclair brilla, mais alors même tout se répandit en lumière et en encens.  […] On raconta donc qu’étant à la campagne lorsque arriva cette mort imprévue de la plus belle personne de la Cour, et qui le préférait à tous les autres, il revint sans en être informé, et que, montant tout droit dans l’appartement dont il savait les secrets accès, il trouva l’idole non-seulement morte, mais encore décapitée ; car les chirurgiens avaient, dit-on, détaché cette belle tête pour la faire entrer dans le cercueil trop court. […] Le fait est (comme Saint-Simon bien informé le raconte, et je ne vois pas de raison d’en douter) que madame de Montbazon mourut de la rougeole en fort peu de jours, que M. de Rancé était auprès d’elle, ne la quitta point, lui fit recevoir les sacrements et fut présent à sa mort. […] Les pieux biographes de Rancé sont extrêmement sobres de détails à cet endroit ; tout au plus s’ils se hasardent à dire à mots couverts que tantôt une cause ou une autre, tantôt la mort de quelques personnes de considération du nombre de ses meilleurs amis, le frappaient et le rappelaient à Dieu ; mais ils se plaisent à raconter au long, d’après lui, la simple aventure suivante, comme un des moyens dont Dieu se servait pour l’attirer doucement : « Il m’arriva un jour (c’est Rancé qui parle) de joindre un berger qui conduisoit son troupeau dans la campagne, et par un temps qui l’avoit obligé de se retirer à l’abri d’un grand arbre pour se mettre à couvert de la pluie et de l’orage. […] Dom Gervaise faillit tout perdre ; Saint-Simon nous a raconté les détails longtemps secrets et vraiment étranges qui amenèrent le nouvel abbé à une démission forcée ; il fut lui-même trop employé à la Cour dans cette affaire pour qu’on puisse douter des circonstances qu’il affirme et qu’il n’a aucun intérêt, ce semble, à surcharger.

175. (1870) La science et la conscience « Chapitre III : L’histoire »

Voyez la manière dont Hérodote raconte et explique les grands événements qui font la matière de son histoire. […] C’est un politique expliquant tous les faits qu’il raconte par la nature des institutions, par le rôle des partis, par le conflit des intérêts et le jeu des passions, par l’éloquence des hommes d’État et la tactique des hommes de guerre. […] Au lieu de volontés individuelles, ce sont des volontés générales qui occupent la scène ; l’historien n’a pas plus qu’Hérodote l’idée de remonter jusqu’aux causes plus profondes, naturelles ou économiques, qui expliquent les causes politiques elles-mêmes des faits racontés. […] Les peuples dont les écrivains anciens racontent l’histoire se réduisent, pour la plupart, à des cités fort petites par l’étendue du territoire et le nombre des citoyens. […] Guizot, n’est propre ni à l’historien ni à sa manière d’expliquer plutôt que de raconter l’histoire.

176. (1912) Pages de critique et de doctrine. Vol I, « I. Notes de rhétorique contemporaine », « II. Notes de critique psychologique »

C’est de la vie racontée. […] Si le roman est de la vie racontée, il suppose un narrateur. […] Quelles pièces doit-il raconter ? […] Il ne nous raconte qu’une anecdote, mais toute anecdote est un signe. […] On raconte qu’elle fut écrite et qu’elle a disparu.

177. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1885 » pp. 3-97

Daudet, parlant, ce soir, du bien-être de la vie de son fils aîné, que celui-ci trouve tout naturel, raconte qu’il était passé avec lui dans la journée, devant la fontaine du Luxembourg, et que la fontaine lui avait rappelé, aujourd’hui, ce souvenir. […] Puis Jeanniot nous raconte un long temps, passé à l’hôpital de Metz, où il avait écrit sur un calepin de petites notes, pas en faveur de la guerre. […] Ziem, qui est mon voisin de table, me raconte qu’il a commencé ses Mémoires, mais qu’il les a laissés, ne se sentant pas outillé pour écrire. […] « À ce propos, fait Daudet, il y a une histoire de femme en omnibus, que je raconte, et qui semble tout à fait se rapporter au théâtre. […] Et elle raconte, au milieu de l’attendrissement de tout l’omnibus, et du conducteur qui ne fait que se moucher, pour dissimuler ses larmes, elle raconte la mort d’un premier, d’un second enfant.

178. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — P.-S. » pp. 38-40

On raconte qu’un jour de grande fête, au sortir du dîner, le prélat étant à jouer avec des dames, après que le jeu eut duré assez longtemps, quelqu’un fit remarquer que c’en était assez pour un jour de grande fête, et qu’il fallait donner quelque chose à l’édification. […] Vuillart qui raconte ses impressions au jour le jour : « Ce mercredi 8 avril 1699. — J’ai ouï aujourd’hui le père Massillon pour la première fois de ma vie.

179. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « [Note de l’auteur] » pp. 422-425

Dans la première étude, et assez complète, que j’en ai donnée à la Revue des deux mondes dès le mois de janvier 1840, et qui a été recueillie dans mon volume de Portraits de femmes entre Mme de Longueville et Mme de La Fayette, je disais, après avoir raconté tous les incidents de monde et de société qui accompagnèrent et suivirent la publication des Maximes et dont le salon de Mme de Sablé était le centre : Le succès, les contradictions et les éloges ne se continrent pas dans les entretiens de société et dans les correspondances ; les journaux s’en mêlèrent ; quand je dis journaux, il faut entendre le Journal des savants, le seul alors fondé, et qui ne l’était que depuis quelques mois. […] Cousin racontait la même anecdote que moi à l’occasion des Maximes ; et voici en quels termes (Madame de Sablé, 2e édit., 1859, page 177) : Pour soutenir et achever la comédie, La Rochefoucauld demanda à Mme de Sablé de lui faire un article dans le seul journal littéraire du temps, qui commençait à paraître cette année même, le Journal des savants, et la complaisante amie écrivit un article qu’elle lui soumit.

180. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. de Falloux » pp. 311-316

Il connut ensuite pour lui et pour les siens la détresse et la misère ; il racontait, de ces années laborieuses, de précis et de touchants détails qu’on aurait pu rappeler sans inconvénientac, parce que de telles épreuves eurent une profonde influence sur son esprit et sur sa manière de juger les événements et sans doute les gouvernements. […] Au reste, ce début si brillant de la vie politique du comte Molé n’aura pas et ne peut avoir d’autre historien que lui-même ; il a laissé des Mémoires dont les commencements au moins, pour tout ce qui est de cette époque, doivent être achevés, et il aura su joindre, en écrivant ce qu’il racontait si bien, la perfection de son bon goût à la netteté de ses souvenirs.

181. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXVI » pp. 256-263

Ce ne serait que Henri IV qui, descendu de Robert de France, sixième fils de Louis IX, aurait enfin fait rentrer la couronne dans la lignée directe du saint roi. » Le fait est qu’une quarantaine d’années après la mort ou la prétendue mort de ce petit roi Jean, parut en France un aventurier qui se donna pour lui, qui raconta toute une histoire romanesque à laquelle plusieurs puissances et personnages politiques d’alors ajoutèrent foi, notamment Rienzi. […] Les amis de Latouche ont, pendant des années, raconté à l’oreille des crédules toutes sortes de petites historiettes sur ce Chénier-Latouche.

182. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre I »

Ce dernier, entrant à l’improviste en une salle d’opération, raconterait plus tard à ses amis terrifiés : « C’était épouvantable ! […] et l’histoire des martyrs on ne la raconte pas bien si on n’a pas souffert avec eux.

183. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Malherbe, avec différens auteurs. » pp. 148-156

On raconte que les pauvres se plaisoient à lui demander souvent l’aumône, l’assurant qu’ils prieroient dieu pour lui. […] On raconte bien des particularités sur Malherbe.

184. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome II

Le génie de Benozzo Gozzoli s’y développe dans sa liberté, pour nous raconter l’histoire de Noé, celle d’Abraham, de Jacob et d’Ésaü, de David, de Salomon. […] Alors, en venant ici, à pied, et ruminant mon idée, j’ai pensé : Mais si je les racontais dans leur langue ! […] Députés, généraux, diplomates, administrateurs, tous les chefs pensent de même, ils sont en accord complet avec la nation, et les épisodes que raconte M.  […] Beyens nous raconte les terribles heures avec une éloquence d’autant plus poignante qu’elle est plus contenue. […] Beyens nous raconte ses visites aux princes des divers États ainsi fédérés permettent de le croire.

185. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre IV. Shakespeare l’ancien »

Enfin, il fut traduit devant l’aréopage, et, selon Suidas, parce que le théâtre s’était écroulé pendant une de ses pièces, selon Elien, parce qu’il avait blasphémé, ou, ce qui est la même chose, raconté les arcanes d’Eleusis, il fut exilé, il mourut en exil. […] Ebn-Khaldoun, dans ses Prolégomènes historiques, raconte une autre destruction, l’anéantissement de la bibliothèque des mèdes par Saad, lieutenant d’Omar. […] Quant à Oreste, il l’a vu tout petit, et il le raconte « mouillant ses langes », humectatio ex urina. […] Il raconte dans une de ses lettres qu’un jour François de Sales lui avait dit : L’Église rit volontiers. […] Les siciliens, c’est Plutarque qui le raconte à propos de Nicias, mettaient en liberté les prisonniers grecs qui chantaient des vers d’Euripide.

186. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — II » pp. 159-177

Dans la vie retirée qu’il mène, il a peu à raconter ; il parle de lui, de ses lectures qui sont d’abord rares, des petits accidents qui diversifient à peine cet intérieur tranquille. […] On peut rapprocher de ce joli billet une autre lettre écrite quelques années après (mars 1784), dans laquelle Cowper raconte la visite, ou plutôt l’irruption d’un candidat à la députation, une après-dînée, dans sa paisible demeure d’Olney, à l’heure même où le lièvre Puss prenait ses ébats au salon, et où lui-même, entre Mme Unwin et une autre amie qui toutes deux tricotaient ou faisaient du filet, il enroulait de la laine. […] Tout à côté d’une lettre badine où il raconte à M.  […] Une après-midi que lady Austen le voyait plus triste qu’à l’ordinaire et prêt à retomber dans ses humeurs sombres, elle imagina, pour le stimuler, de lui raconter une histoire de nourrice qu’elle savait d’enfance, très drôle et très gaie, L’Histoire divertissante de John Gilpin, où l’on voit comme quoi il alla plus loin qu’il n’eût voulu et s’en revint sain et sauf.

187. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le baron de Besenval » pp. 492-510

Louis XIV, rentré dans son cabinet, l’appela et lui dit : « Mon neveu, quand je dis ces choses-làat, je vous prie de ne pas rire. » Besenval, qui raconte le trait, n’en paraît sentir qu’à demi la portée. […] Son nom pourtant restera toujours attaché au souvenir de la Révolution française, moins encore pour avoir été son adversaire à main armée et impuissant le jour de son début, que pour nous avoir raconté et dévoilé avec son insouciance trop nue et une trop insolente aisance la société gâtéeav, corrompue, railleuse et frivole qui, sous des dehors charmants, nourrissait tant de vices, et qui avait atteint et passé la mesure où les choses humaines veulent être renouvelées. […] Sa Majesté, après m’avoir recommandé le plus grand secret sur ce qu’elle allait me confier me raconta que, s’étant trouvé seule avec le baron, il avait commencé par lui dire des choses d’une galanterie qui l’avait jetée dans le plus grand étonnement, et qu’il avait porté le délire jusqu’à se précipiter à ses genoux en lui faisant une déclaration en forme. […] [1re éd.] que pour nous avoir raconté et dévoilé avec une insouciance trop nue et une trop insolente aisance la société gâtée

188. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Histoire du roman dans l’Antiquité »

C’est donc au sein de cette ville même que s’est passé l’événement que nous racontait, chemin faisant, le brave Aristomène !  […] On a assisté à une scène très-gaie de carnaval, et qu’Alexandre Dumas n’aurait pas mieux racontée. […] Dès qu’on est arrivé au repaire dans la montagne, au quartier général de tous les Mandrins de la contrée, les histoires de voleurs se succèdent et ne tarissent pas ; chaque bande qui arrive raconte la sienne, ses prouesses, ses pertes : il y a de fameux voleurs qui viennent de périr et qu’on exalte ni plus ni moins que des héros, Lamachus, Thrasyléon ; il faut entendre comme leurs compagnons en parlent, comme ils en sont fiers et en quels termes ils les déplorent : c’est à donner envie de se faire brigand, si l’on a du cœur. […] La vieille obéit et commence à racontera la jeune fille une jolie histoire, un vrai conte de fées ; et ce conte, c’est la fable de Psyché.

189. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

Un jour que je l’avais entendu raconter avec feu ses premières années, il m’est arrivé d’écrire : « Émile de Girardin est un produit de l’éducation naturelle. […] Durant quinze nuits de veille et d’insomnie, il raconte toute sa vie de vingt ans, déjà si pleine, son enfance, la distribution des prix où tous ses rivaux sont heureux et environnés de caresses, où, lui, il n’a point de mère à embrasser ; la confidence du proviseur, l’acte de naissance produit, avec son déguisement, l’inscription de rente qui l’accompagne, le tout déchiré et mis en pièces par le jeune homme indigné ; la solitude d’un jeune cœur, le besoin d’aimer, le besoin d’une famille, la plainte de la nature, l’amer abandon de celui dont il a été dit : « Cui non risere parentes. […] Il est difficile aux auteurs de ne pas se peindre, surtout dans un premier ouvrage : Émile, qui ne fait autre chose que se raconter à Mathilde, essaye à un endroit de se peindre aussi, ou du moins de tracer l’idéal relatif qu’il a parfois devant les yeux et qu’il est tenté de réaliser : « Il y aurait, dit-il, un caractère intéressant à développer dans un roman ; ce serait celui d’un jeune homme né comme moi sans famille, sans fortune, suffisant à tout ce qui lui manquerait par sa seule énergie, et dont les forces croîtraient avec les obstacles ; un jeune homme qui se placerait au-dessus d’une telle position par un tel caractère ; qui, loin de se laisser abattre par les difficultés, ne penserait qu’à les vaincre, et, esclave seulement de ses devoirs et de sa délicatesse, aurait su parvenir, en conservant son indépendance, à un poste assez élevé pour attirer sur lui les regards de la foule et se venger ainsi de l’abandon. Tracer ce caractère, raconter cette vie, ce serait remonter aux droits primitifs de l’homme, ce serait toucher à toutes les conditions sociales, ce serait appeler l’attention du philosophe et du législateur sur des questions qui n’ont pas encore été soulevées… Un tel caractère serait sans doute un modèle que je me suis plus d’une fois proposé. » Émile a résolu, depuis, le problème, un peu autrement sans doute que dans cette donnée première qui supposait alors une société monarchique, à demi aristocratique et parfaitement régulière.

190. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « HISTOIRE de SAINTE ÉLISABETH DE HONGRIE par m. de montalembert  » pp. 423-443

Il faut, dans son introduction, l’entendre raconter lui-même comment, en arrivant à Marbourg, il vit l’église gothique dédiée à sainte Élisabeth, l’admira, s’enquit de la sainte, s’éprit envers elle de tendresse pieuse, et résolut d’écrire sa vie. […] On assiste à tous les détails de l’enfance et des fiançailles de la jeune Élisabeth, à ses ruses innocentes parmi ses compagnes pour se mortifier à leur insu et prier, à ses premières joies si courtes et qu’on sent qui vont s’évanouir : « Ainsi Dieu, dit l’auteur, donne à sa créature cette rosée matinale, pour qu’elle sache résister ensuite au poids et à la chaleur du jour. » — « Élisabeth, » raconte-t-il plus tard en un endroit, « aimait à porter elle-même aux pauvres, à la dérobée, non-seulement l’argent, mais encore les vivres et les autres objets qu’elle leur destinait. […] Il y a d’affreux détails dans ce que l’auteur raconte de la charité d’Élisabeth, notamment lorsqu’elle boit cette eau (p. 213), pour se punir d’un dégoût. […] Je raconterai peut-être un jour cette séance qui n’a laissé de trace nulle part et qu’on chercherait vainement dans les procès-verbaux.

191. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Émile Zola, l’Œuvre. »

Cette lutte de l’artiste et de la femme, Edmond et Jules de Goncourt nous l’ont racontée, avec un dénouement inverse : chez eux, c’est la femme qui tue son compagnon ; mais voyez, dans Manette et dans Charles Demailly, combien les étapes sont nombreuses et comment est graduée l’histoire du supplice de Charles et de l’abrutissement de Coriolis. […] Le rêve Ce que je vais vous raconter est tiré des Rougon-Macquart, histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second empire. […] Eût-il été d’un bon exemple que Dieu permît à l’auteur de Pot-Bouille et de Nana de raconter innocemment une histoire innocente ? […] Une petite fille de dix ans eût beaucoup mieux raconté que lui (qui a pourtant du génie) l’histoire d’Angélique.

192. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Rulhière. » pp. 567-586

Rulhière était d’avis que, dans un cercle, il ne fallait jamais se presser de demander quel était l’homme qu’on voyait entrer et qu’on ne connaissait pas : « Avec un peu de patience et d’attention, on n’importune ni le maître ni la maîtresse de la maison, et l’on se ménage le plaisir de deviner. » Il avait là-dessus toutes sortes de préceptes, de menues remarques très fines, très ingénieuses, dont il faisait la démonstration quand on le voulait, et il ne se trompait guère : Il en fit en ma présence l’application chez Mlle Dornais, raconte Diderot : il survint sur le soir un personnage qu’il ne connaissait pas ; mais ce personnage ne parlait pas haut ; il avait de l’aisance dans le maintien, de la pureté dans l’expression, et une politesse froide dans les manières […] Dusaulx a très bien raconté toute cette entrée en conversation avec Rulhière : — De quoi s’agit-il donc si grand matin, ou de qui ? […] … Et il raconte à Dusaulx l’histoire des moineaux que Rousseau nourrissait chaque matin, auxquels il donnait du pain sur sa fenêtre, et qu’il se flattait d’avoir apprivoisés : J’avais bien le droit, ce me semble, dit Rousseau parlant par la bouche de Rulhière, de croire que nous fussions les meilleurs amis du monde ; point du tout, ils ne valaient pas mieux que les hommes. […] Rulhière, une fois en train, raconte comment lui-même il s’est maintenu jusqu’à présent auprès de Jean-Jacques.

193. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1873 » pp. 74-101

Or Thiers ne lui a pas permis d’ouvrir la bouche, et tout le temps, c’est le président de la République qui a raconté au chargé d’affaires, ses négociations avec Bismarck. […] Un peu prolixe de son moi, il nous raconte longuement l’interdiction de sa pièce américaine. […] Puis, je ne sais, à propos de quel crochet dans la conversation et les idées, Tourguéneff nous raconte qu’étant un jour en visite chez une dame, au moment où il se levait pour sortir, cette dame lui cria presque : « Restez, je vous en prie, mon mari sera ici dans un quart d’heure, ne me laissez pas seule !  […] Mardi 19 août Le docteur Robin nous racontait, ce soir, que le hasard l’ayant mis à même de rendre service à des Japonais, rencontrés en Italie, il les retrouva à Vienne.

194. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Agrippa d’Aubigné. — II. (Fin.) » pp. 330-342

Il est difficile aux historiens qui ont été en partie témoins de ce qu’ils racontent, d’observer avec rigueur les lois de la composition ; il leur est difficile, surtout quand ils sont d’une certaine humeur, de s’effacer tout à fait et d’éviter de dire : J’étais là, telle chose m’advint. […] Henri IV s’en irrita plus d’une fois ; d’Aubigné nous le dit dans ses Mémoires, et raconte même comment, en une dernière circonstance, il évita de bien peu la Bastille. […] Le duc de Mayenne, interrogé un jour par des amis de d’Aubigné sur la manière dont s’était passé le combat d’Arques et sur ce qui avait précipité la victoire ; après quelques essais d’explication, et se sentant trop pressé, finit par répondre : « Qu’il dise que c’est la vertu de la vieille phalange huguenote et de gens qui de père en fils sont apprivoisés à la mort. » D’Aubigné, qui prend au pied de la lettre la réponse du duc de Mayenne, s’est donné pour tâche dans son Histoire de raconter les exploits et de produire les preuves de cette vertu guerrière, d’en retracer l’âge héroïque dans ses diverses phases : c’est sa page à lui, c’est son coin dans le tableau de son siècle ; et il l’a traité avec assez d’impartialité en général, avec assez de justice rendue au parti contraire, pour qu’on lui accorde à lui-même tous les honneurs dus finalement à un champion de la minorité et à un courageux vaincu.

195. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Lettres de Rancé abbé et réformateur de la Trappe recueillies et publiées par M. Gonod, bibliothécaire de la ville de Clermont-Ferrand. »

De loyaux militaires, d’anciens officiers de cavalerie se sont piqués d’honneur ; ils sont venus, plume en main, discuter le plus ou moins de convenance des historiettes racontées par le jeune abbé dans la société de Mme de Caumartin et s’inscrire en faux contre ses plus insinuantes malices. […] On serait très-aisément disposé ainsi de nos jours ; on irait faire volontiers un pèlerinage dont on parlerait longtemps ensuite, et dont on raconterait au public les moindres circonstances et les impressions ; mais il y a dans l’idée de durée attachée à une telle vie quelque chose qui effraie, qui glace et qui rebute ; or ce quelque chose, on le ressent inévitablement à chaque page des lettres du réformateur de la Trappe. […] Le jeune abbé se contentait, en ces années fougueuses, d’obéir à ses passions, sans en faire parade par lettres : ce sont d’ailleurs de ces choses qu’on n’a guère coutume d’aller raconter à son ancien précepteur.

196. (1861) Cours familier de littérature. XI « Atlas Dufour, publié par Armand Le Chevalier. » pp. 489-512

En un mot, la main d’un enfant, grâce à cet atlas mnémonique du monde, nous décrirait le cours du temps, et sa voix nous raconterait jusqu’à nos jours les destinées universelles de la terre ; vous auriez cherché à faire un simple géographe, et vous auriez fait un historien, un moraliste, un philosophe, un politique, un théologien universel, un homme enfin embrassant d’un coup d’œil toutes les faces de l’humanité. […] Dufour et Le Chevalier a créé, pour abréger le globe et pour l’éclairer sur toutes ses faces, afin que les lieux racontent les choses, que les choses rappellent les hommes, que les hommes retracent leur histoire, que les cosmos soient contenus dans quinze ou vingt pages in-folio, et que ces quinze ou vingt pages, muettes jusqu’ici, mais rendues tout-à-coup plus éloquentes qu’une bibliothèque, soient devenues la photographie parlante du monde où nous passons sans le connaître, mais qui nous dira lui-même, pendant que nous passons, ce qu’il fut, ce qu’il est, ce qu’il sera ? Les anciens gravaient les distances pour les voyageurs sur les bornes milliaires qui bordaient les voies romaines, du Capitole aux extrémités de l’empire ; combien le voyage eût été plus instructif et plus intéressant, si chaque borne milliaire, en vous disant la distance, vous eût raconté en même temps tout ce qui s’était passé avant vous sur chacun de ces espaces circonscrit entre ces deux pierres, et s’il avait reproduit ainsi tous les faits et tous les acteurs, en même temps qu’il reproduisait le lieu de la scène de tous ces grands drames de l’humanité !

197. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre IV. Le théâtre des Gelosi » pp. 59-79

Le capitan, qui dit s’en revenir de la guerre de Hongrie, raconte à Flaminia, qui se croit veuve, la mort de son mari. […] Dans la lettre, Flavio raconte comment la jalousie qu’il a conçue contre Oratio et les preuves qu’il a cru avoir de l’infidélité de Flaminia ont été cause de son départ et de sa mort. […] L’un des deux entame la conversation et lui raconte qu’il est du pays de Cocagne, pays où l’on mange fort grassement et copieusement.

198. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VI. M. Roselly de Lorgues. Histoire de Christophe Colomb » pp. 140-156

Roselly de Lorgues est un chrétien qui a fait déjà des livres chrétiens ; ou a-t-il trouvé dans l’homme prodigieux qu’il raconte aujourd’hui une démonstration que d’abord il ne cherchait pas ? […] … Dans cette longue chronique sur Colomb, les miracles dont Dieu favorisa son navigateur sont racontés avec une sincérité impassible. […] Roselly de Lorgues nous raconte que dans son premier voyage Colomb trouva devant lui une vaste mer d’herbes, mais il passa, et quand il revint, il ne la retrouva plus.

199. (1874) Premiers lundis. Tome I « Hoffmann : Contes nocturnes »

Dans ses meilleurs contes, là où il se montre réellement inventeur et original, il sait, par les rapprochements fortuits les plus saisissants, par une combinaison presque surnaturelle de circonstances à la rigueur possibles, exciter et caresser tous les penchants superstitieux de notre esprit, sans choquer trop violemment notre bon sens obstiné ; ce qu’il nous raconte alors peut sans doute s’expliquer par des moyens humains, et n’exige pas à toute force l’intervention d’un principe supérieur ; mais, bien que notre bon sens ne soit pas évidemment réduit au silence, et qu’il puisse toujours se flatter de trouver au bout du compte le mot de l’énigme, il y a quelque chose en nous qui rejette involontairement cette explication pénible et vulgaire, et qui s’attache de préférence à la solution mystérieuse dont le leurre nous est de loin offert comme derrière un nuage. […] Plus d’une fois, au milieu de joyeux compagnons, et autour du punch bleuâtre, il lui est revenu d’amères pensées, des regrets du cloître et de la vie des vieux temps, et comme il l’a dit lui-même, un amour inouï, un désir effréné pour un objet qu’il n’aurait pu définir ; plus d’une fois son cœur a battu d’une émotion douloureuse en voyant à l’horizon des cités germaniques planer ces magnifiques monuments qui racontent comme des langues éloquentes l’éclat, la pieuse persévérance, et la grandeur réelle des âges passés.

200. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Choses d’autrefois »

Choses d’autrefois Par ce temps de lycées de jeunes filles, c’est une joie pour l’esprit que ce journal enfantin où la petite princesse Hélène Massalska nous raconte la vie qu’on menait, de 1772 à 1779, au couvent de l’Abbaye-au-Bois10. […] Les petites pensionnaires se racontent à l’oreille, avec terreur, et peut-être avec une secrète admiration scandalisée, que Madame d’Orléans faisait fouetter les sœurs jusqu’au sang, que parfois elle se mettait toute nue et faisait venir des religieuses pour l’admirer, « car elle était la plus belle personne de son temps », et qu’enfin elle prenait des bains de lait, qu’elle distribuait le lendemain à ses béguines, au réfectoire.

201. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 29, si les poëtes tragiques sont obligez de se conformer à ce que la geographie, l’histoire et la chronologie nous apprennent positivement » pp. 243-254

Racine d’avoir fait dire à Narcisse, dans Britannicus, que Locuste, cette fameuse empoisonneuse du tems de Neron, a fait expirer un esclave à ses yeux, pour essayer l’activité du poison qu’elle avoit preparé pour Britannicus, parce que les historiens racontent que cette épreuve fut faite sur un porc. La circonstance que le poëte change n’est point assez importante pour la conserver aux dépens du pathetique que la vie d’un homme, sacrifiée pour faire une épreuve, jette dans le recit, et de l’embarras qu’il y auroit à raconter cet incident comme le narrent les historiens.

202. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Léon Feugère ; Ambroise-Firmin Didot »

Homme de son temps et, il faut bien le dire, de sa fonction, Feugère n’a pas choisi par simple caprice d’intelligence cette vie d’Henri Estienne pour nous la raconter et cet ouvrage de la Conformité du langage français avec le grec 8 pour nous en donner une édition qu’on ne lui demandait pas. […] Choses du métier, bibliographie, critique aiguisée d’érudition, vies des hommes illustres ou considérables dans l’art dont il raconte les développements et les découvertes, tout se trouve donc dans cette forte brochure, qui n’est pas seulement l’histoire des faits, mais, de plus, l’exposé fidèle des diverses législations qui ont, principalement en France, régi l’imprimerie, ce grand domaine matériel et intellectuel de l’État.

203. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Auguste Nicolas »

Dernière marque de décrépitude, la pensée vieillie raconte les prouesses de la pensée vaillante et active, comme ces vieillards à qui l’âge interdit la guerre la racontent à leurs enfants, imbécilles ou lâches, qui ne les imiteront pas !

204. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome III pp. 5-336

C’est Clio qui raconte en vers, ce n’est point Calliope qui voit et qui chante. […] comment raconter à de faibles mortels « Ces grands combats livrés en des champs éternels ! […] Comment associer ce principe à cette autre nécessité de ne raconter qu’une action merveilleuse, et par conséquent hors de la croyance ? […] « Muses, racontez-nous ce grand bienfait des Dieux. […] Énée raconte qu’il descendit avec ses compagnons, son fils et ses pénates, dans les champs de la Thrace.

205. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1871 » pp. 180-366

» Tessié du Motay raconte les âneries de nos généraux, dont il prétend avoir été le témoin oculaire. […] La jolie scène de comédie, que cette scène qu’il me racontait, et où il avait été acteur. […] Quelqu’un raconte quelque chose de bien caractéristique, à l’endroit du nouveau gouvernement. […] Il nous raconte que, l’abordant tout heureux, le matin où le bâtiment appareillait pour le Spielberg, l’abordant avec : — « Un beau temps, monseigneur ?  […] Il me raconte qu’il l’a cueilli, hier, sous les obus de Courbevoie.

206. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Alexis Piron »

Piron nous a raconté lui-même, dans la préface de la Métromanie, comment ses parents, tout bons Gaulois qu’ils étaient, prétendaient l’engager dans un état régulier et le voulurent faire prêtre d’abord, puis médecin, puis avocat. […] On en raconte une de ce temps-là, après les Fils ingrats et Callisthène. […] La première comédie qu’il avait vue à Paris à son arrivée avait été le Tartuffe ; on raconte que pendant la représentation il répétait souvent entre ses dents : Ah ! […] Bonjour, ma tante. » On dira, après avoir lu, que ce n’est pas la peine à Piron de tant se vanter et que vraiment il n’y a rien dans tout son rôle de si piquant et de si rare : c’est que cela se joue, s’improvise, se fait applaudir après boire, se raconte de vive voix le lendemain et ne s’écrit pas. […] Cette petite provision, ainsi ménagée, égavera pendant trois ans la solitude du respectable vieillard de ce canton. » Quoique racontée par Fréron, l’anecdote n’a rien que de vraisemblable.

207. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DE LA MÉDÉE D’APOLLONIUS. » pp. 359-406

L’auteur se propose de raconter avec suite le départ des héros, presque tous égaux en vaillance et en gloire, qui vont sous la conduite de Jason à la conquête de la toison d’or, les incidents de leur voyage, cette conquête, puis leur retour avec tous les incidents encore. […] Toutes ces choses merveilleuses se trouvent racontées selon leur ordre et en leur temps, par une sorte de méthode historique. […] Et moi-même je puis me dire à la fois ta sœur et ta fille, puisque tu m’as suspendue aussi bien qu’eux à ta mamelle quand j’étais toute petite, comme je l’ai tant de fois entendu raconter à notre mère… » — Est-il besoin de relever la grâce exquise de cet artifice, cette subite tendresse qui se réveille pour les enfants de sa sœur et qui cherche à se confirmer par de si attachantes images ? […] Mais, puisque nous y voilà, et que personne ne paraît, amusons-nous à cueillir des fleurs et à chanter : il sera temps ensuite de s’en retourner, et vous ne reviendrez pas sans présents, si vous voulez m’en croire. » Et elle leur raconta à demi la promesse à laquelle elle s’est engagée : l’étranger doit venir pour recevoir d’elle un charme propice, mais elle peut lui en donner un qui soit contraire, recevoir les présents, et ainsi tout sera concilié. […] Jason essaye de la satisfaire et commence à lui parler de sa patrie ; puis, touché par degrés et gagné à la tendresse, il s’interrompt en s’écriant : « Mais pourquoi te raconter toutes ces choses que le vent emportera, et ma patrie, et notre famille, et la très-illustre Ariane, fille de Minos, nom brillant qui fut celui de cette vierge aimable sur laquelle tu m’interroges ?

208. (1901) Figures et caractères

Chacun y raconte sa mélancolie et ses peines de vivre. […] Les lettres assez nombreuses à madame Victor Hugo racontent le voyage à Reims à l’occasion du Sacre. […] Il ne raconte pas son temps qui, sans lui, ne serait rien à ses yeux, car il se subordonne tout. […] J’en sais une que j’ai souvent entendu raconter par Leconte de Lisle. […] Ils la racontent ou la décrivent, ils se font les contemporains volontaires de ce passé fabuleux.

209. (1894) La bataille littéraire. Cinquième série (1889-1890) pp. 1-349

Je ne raconte pas les épisodes du roman qui est absolument intéressant. […] Tout est là : le livre raconte, le théâtre exécute. […] Sa douleur est racontée avec une poignante réalité. […] Le journal qu’il avait lu racontait la catastrophe de Villequier. […] Son enfance, sa première jeunesse sont racontées avec une poésie délicieuse.

210. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome I

Ils racontaient la Prusse et ses durs combats, l’Espagne et ses guet-apens, la Russie et la funèbre retraite. […] Le romancier a de l’espace devant lui pour nous persuader que l’histoire qu’il raconte est réellement arrivée. […] L’histoire racontée est bien une histoire vraie. […] Cette légende elle-même met en branle toutes les facultés de ceux qui la racontent. […] Aussi ont-ils raconté, l’un Waterloo, l’autre Austerlitz, par menus épisodes.

211. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. THIERS. » pp. 62-124

Et si, dans les intervalles de ces bruits qui se succèdent comme des ondes, un chant de berger résonne quelques instants, il semble que la pensée de l’homme s’élève avec ce chant pour raconter ses besoins, ses fatigues au ciel, et lui en demander le soulagement. […] On n’attend pas que j’entre ici dans une analyse suivie et développée de cette narration qui, eu égard à la nature des choses racontées, n’a souvent que trop d’intérêt et d’attrait. […] Il raconte et suit vivement les phases de la révolution, il les expose avec tant de lucidité, de vraisemblance et d’enchaînement, qu’on finit, ou peu s’en faut, par les juger inévitables. […] N’oublions pas toutefois que, dans les simples et admirables pages où il raconte, après le 9 thermidor, la condamnation et la mort stoïque de Romme, Goujon, il s’écrie avec âme : « On profita de cette occasion pour ordonner une fête commémorative en l’honneur des girondins. […] On le poussait dès lors à passer outre et à raconter sans désemparer le Consulat et l’Empire ; mais c’était prématuré, et le train de ses idées le portait ailleurs.

212. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCIXe entretien. Benvenuto Cellini (1re partie) » pp. 153-232

Il y prenait tant de plaisir, et son visage alors s’embellissait de tant de charmes, qu’il surpassait tout ce que les Grecs racontent de leurs divinités. […] Ces choses furent encore redites au pape, qui en étouffa de rire avec le cardinal Cibo, auquel il raconta notre querelle ; et se tournant ensuite vers son ministre, il lui recommanda de me faire travailler pour le palais. […] Tandis qu’il faisait le compte de ses joyaux, je lui racontais mon aventure malheureuse en présence de celui qui m’avait accusé. […] Mais cet amour de rencontre est agréablement raconté. […] Tribolo, qui avait véritablement oublié les courroies de sa valise, voulait aussi retourner à l’auberge, et je ne pus l’en empêcher que lorsque je lui racontai le mal que j’y avais fait, en lui montrant des morceaux de couvertures.

213. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (3e partie) » pp. 5-96

Voici comment Eckermann raconte sa disparition : Dimanche, 15 juin 1828. […] Goethe a parlé de Lavater et m’a dit beaucoup de bien de son caractère ; il m’a raconté des traits de leur ancienne intimité ; souvent ils couchèrent fraternellement dans le même lit. […] Vogel, entra, s’assit auprès de nous et raconta les circonstances de la mort de la princesse, que Goethe écouta sans sortir de sa tranquillité et de son calme parfaits. […] Nous causons de littérature, et Meyer nous raconte sa première entrevue avec Schiller. […] Les deux jeunes filles me racontèrent bien vite la conversation de leur mère avec madame de Reck, et la conjuration, suivie de succès, qu’elles avaient faite pour ma conquête. » Goethe m’a raconté déjà une autre anecdote du même genre, qui trouvera bien sa place ici.

214. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — I. » pp. 41-61

Mme de Sévigné, qui raconte ceci, paraît en conclure avec le commun de la Cour que la nouvelle Madame est « tout étonnée de sa grandeur », et qu’elle parle en personne qui n’est pas accoutumée à un si grand entourage. […] » Ce peintre était un réformé, depuis réfugié ; elle a très bien raconté cette petite scène touchante. […] Madame raconte très gaiement comme quoi dans sa jeunesse, sentant sa vocation de cavalier si forte, elle espérait toujours un miracle de la nature en sa faveur. […] mais, si ce que je crains arrivait, ce serait pour moi le plus grand malheur. » Elle raconte les dernières scènes d’adieu avec un véritable et visible attendrissement.

215. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Le président Hénault. Ses Mémoires écrits par lui-même, recueillis et mis en ordre par son arrière-neveu M. le baron de Vigan. » pp. 215-235

Hénault raconte tous ces dessous de cartes en se jouant, et comme un homme qui tient plus à être dans le secret de la coulisse et à manier les ficelles qu’à obtenir le renom public et la gloire. […] douce, simple, m’aimant uniquement, crédule sur ma conduite qui était un peu irrégulière, mais dont la crédulité était aidée par le soin extrême que je prenais à l’entretenir, et par l’amitié tendre et véritable que je lui portais. » Mme Du Deffand est très bien traitée dans ces Mémoires, et s’y montre presque sans ombre, sous ses premières et charmantes couleurs ; mais la personne évidemment que le président a le plus aimée est Mme de Castelmoron, « qui a été pendant quarante ans, dit-il, l’objet principal de sa vie. » La page qui lui est consacrée est dictée par le cœur ; il y règne un ton d’affection profonde, et même d’affection pure : « Tout est fini pour moi, écrit le vieillard après nous avoir fait assister à la mort de cette amie ; il ne me reste plus qu’à mourir. » On raconte que dans les derniers instants de la vie du président et lorsqu’il n’avait plus bien sa tête, Mme Du Deffand, qui était dans sa chambre avec quelques amis, lui demanda, pour le tirer de son assoupissement, s’il se souvenait de Mme de Castelmoron : Ce nom réveilla le président, qui répondit qu’il se la rappelait fort bien. […] il raconte que M. de Machault dut quitter à un certain moment les finances où il avait soulevé trop d’opposition, et qu’après lui le contrôle général fut donné… à qui ? […] C’est sans doute à une faute de ce genre qu’il faut attribuer cet étrange passage sur l’abbé de Bernis à ses débuts, « qui continuait, dit-on (p. 209), à faire des vers quelquefois obscènes, et toujours trop abondants… » Je suis persuadé, d’après le courant de la phrase et du sens, qu’au lieu de ce vilain mot, que ne justifient point les poésies légères de l’abbé de Bernis, il faut lire un tout autre mot plus simple, et par exemple : « Des vers quelquefois agréables, et toujours trop abondants. » Dans l’histoire des troubles du Parlement, il y a un exil et un retour qui sont racontés par le président avec assez d’intérêt.

216. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

On a raconté la scène de Mons, et comment lui qui s’était cru nécessaire, il se vit tout d’un coup évincé. […] Sir Henry Bulwer a très bien raconté comment le troisième jour, le 29, M. de Talleyrand chargea un secrétaire de confiance d’aller s’assurer si la famille royale était encore à Saint-Cloud ou si elle en était déjà partie ; puis, comment au retour il le pria de nouveau d’aller trouver de sa part Madame Adélaïde à Neuilly ou ailleurs, et de lui remettre, parlant à elle-même, un billet qu’elle lui rendrait après l’avoir lu. […] On raconte que la première fois que M. de Talleyrand fit sa visite à Château-Vieux à travers un pays fort accidenté, moitié rochers, moitié ravins, et de l’accès le plus raboteux, son premier mot à M.  […] Il disait de son voisin de Valençay vers la fin : « M. de Talleyrand n’invente plus, il se raconte. » M. de Talleyrand avait 84 ans passés : il sentait que sa fin était proche.

217. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Le duc de Lauzun. » pp. 287-308

Cette série de bonnes fortunes racontées sur le même ton, et où l’inconstance essaie parfois à faux des notes de la sensibilité, finit par ennuyer, par dégoûter même ; le cœur en est affadi. […] Rivarol, à ce qu’on raconte et à ce qu’il racontait lui-même, parcourut d’un air dédaigneux le canevas qu’on lui présentait. […] On raconte que l’exécuteur se présentant le matin, pendant qu’il déjeunait dans sa prison, pour l’avertir qu’il était l’heure de partir : « Vous me permettrez bien encore une douzaine d’huîtres », lui dit gaiement Biron, et il lui offrit un verre.

218. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Émile Zola » pp. 70-104

Zola à tous les usages, celui-ci polémise, expose, raconte, parle et décrit, énonce l’énorme masse de petits faits qui lui servent à poser ses lieux, ses personnages et ses ensembles. […] Sylvère et Miette, l’attachement de ces deux enfants nets, chastes et tendres, sont racontés avec amour. […] Dans l’odeur des boudins que l’on coule, Florent raconte ses faims de Cayenne. […] De lugubres incidents, propres à faire douter de la justice sociale, la torture de Lalie par son père, l’arrestation de Martineau mourant, sont racontés avec complaisance.

219. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Saint-Simon »

Impossible de raconter avec un entrain plus spirituel et une ironie plus piquante l’histoire incroyable de cette séquestration inouïe des papiers d’un grand historien, par une administration sourde et muette aux réclamations acharnées de tous ceux qui aiment et qui pratiquent l’histoire ! Et il fallait, en effet, qu’une telle chose fût racontée. […] Il est monté jusqu’à ce crime pour le raconter, et ce qui fait la beauté de son Mémoire, c’est le sentiment de cette angoisse respectueuse qui s’y déchire, c’est le prosternement de l’homme qu’il admire et que le crime de celui qui admire humilie plus bas que la poussière, et qui se débat éloquemment dans cette poussière ; c’est la douleur enfin d’un royalisme qui voit dans le Roi la Monarchie, et la Monarchie périr par le Roi ! […] Par ce côté, l’homme de race restait pur dans les souillures de l’homme individuel… Tandis que les autres rois qui suivirent, Henri II, Charles IX, Henri IV, plus coupable encore, et Louis XIV, le plus coupable de tous, mirent jusque dans le sanctuaire de l’État toutes les couvées de leurs bâtards, et c’est de toutes ces honteuses couvées que Saint-Simon a raconté l’histoire jusque dans leurs dernières générations… Histoire effroyable, dont il a fait un argument et un exemple contre la légitimation des bâtards, doublement adultérins, de Louis XIV, la plus odieuse, la plus scandaleuse, la plus exécrable de toutes ces légitimations, et qu’il a écrite pour épouvanter de celle-là !

220. (1874) Premiers lundis. Tome I « Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme. Deuxième édition. »

Il se plongea dans la solitude du cœur, et, persuadé qu’il n’y avait rien à faire au dehors, il s’abîma en lui-même ; de là une maladie incurable et singulière qu’il a pris soin d’observer avec une attention presque cruelle, et qu’avant de mourir il nous a racontée en vers et en prose, jusque dans ses détails les plus secrets. […] Il s’acharnait à ses maux et se les racontait à lui-même sans pudeur ; parfois, à force de sincérité, il allait à l’incroyable et analysait avec une sorte de frénésie ses plus étranges hallucinations ; je ne rappellerai que cette fameuse pièce des Rayons jaunes dont on s’est tant moqué et avec tant de raison ; il avait la jaunisse ce jour là, et il la donna à sa poésie.

221. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Jean de Meun, et les femmes de la cour de Philippe-le-Bel. » pp. 95-104

Voici comme Sorel la raconte dans sa Bibliothèque Françoise : « Un jour la reine, par le moyen des autres dames, fit tant qu’elle tint Jean de Meun en sa puissance ; & l’ayant tensé, injurié & menacé, pour avoir médit du sexe féminin, commanda aux damoiselles qu’il fut dépouillé nud, & attaché à une colomne, pour être fouetté par elles-mêmes. […] On raconte, entr’autres choses, que des gens, mécontens de son esprit inquiet & brouillon, l’invitèrent à souper, un jour qu’il étoit à Grenoble.

222. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre cinquième. La Bible et Homère. — Chapitre III. Parallèle de la Bible et d’Homère. — Termes de comparaison. »

La simplicité du poète de Chio est celle d’un vieux voyageur qui raconte au foyer de son hôte ce qu’il a appris dans le cours d’une vie longue et traversée. […] Le repas fini, on prie l’étranger de raconter son histoire.

223. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIe Entretien. Marie Stuart, (Reine d’Écosse). (Suite et fin.) »

L’ambassadeur d’Élisabeth en Écosse, Drury, raconte ainsi à sa souveraine sa dernière tentative d’évasion : « Vers le 25 du mois dernier (avril 1568), elle faillit s’échapper, grâce à sa coutume de passer toutes les matinées dans son lit. […] « Il était nuit, raconte l’historien de Marie-Stuart. […] Il était tellement illuminé d’un ravissement doux, tellement baigné de la grâce de Dieu, qu’il « semblait rire aux anges. » Élisabeth Curle, une de ses filles d’honneur, raconte que la reine dormit et pria ; elle pria plus qu’elle ne dormit, à la lueur d’une petite lampe d’argent que Henri II lui avait donnée, et qu’elle avait gardée dans toutes ses fortunes. […] Dargaud, l’auteur le plus développé de cette histoire : « Je ne juge pas, je raconte. » Il a raconté en effet la vie de cette reine et de ce siècle comme on ne la racontera plus.

224. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome II pp. 1-419

Guizot n’a-t-il pas raconté les faits avant de les commenter ? […] Je ne la raconterai pas, je me contenterai de l’expliquer. […] Il comprend, il explique admirablement l’histoire et ne sait pas la raconter. […] Connaître les faits et savoir les raconter exigent des facultés très distinctes. […] Quand il raconte, et il raconte rarement, il cherche, il obtient des effets qui n’appartiennent pas au genre historique.

225. (1924) Critiques et romanciers

» Banville est un excellent critique dramatique : il sait raconter une pièce et la juger. […] Dans son étude sur William Hogarth, Filon raconte qu’à huit ans le petit Charles Lamb fut mené au cimetière d’Islington. […] Dans un petit livre intitulé Boulevard et coulisses, Alfred Capus a raconté comment Mirbeau, M.  […] Louis Pergaud ne raconte pas ce qu’il a lu, mais ce qu’il a vu ; et il l’écrit comme il l’a vu. […] Il fallait raconter ce roman, bien que l’analyse le gâte.

226. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre III. La commedia dell’arte en France » pp. 31-58

On raconte que Cicéron proposait parfois des défis à Roscius à qui rendrait le mieux une même pensée et avec plus d’éloquence, l’un avec le seul geste et l’autre avec la parole. […] C’est ce que nous allons raconter avec quelques développements. […] Racontez-nous, seigneur capitaine, cette aventure… LE CAPITAINE.

227. (1887) George Sand

Nous ne racontons pas une biographie, nous essayons seulement de tracer une esquisse psychologique. […] Quand ils racontent leurs joies, c’est avec une sorte d’exaltation pieuse. […] Mais ce serait toute une histoire que de raconter l’odyssée de ce Dieu successivement transformé, anéanti et finalement retrouvé. […] Nous ne raconterons pas la fin de l’histoire, dont on peut voir la contre-partie dans Elle et Lui. […] Elle ne comprend rien d’abord à ce qu’on lui raconte.

228. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1892 » pp. 3-94

Tout en servant, Lafontaine raconte — et comme une comédien raconte, avec des temps et des jeux de physionomie — cette jolie anecdote. […] Forain raconte ses démêlés avec ses créanciers, parmi lesquels se rencontraient des créanciers roublards qui se faisaient ouvrir en chantonnant le refrain d’une chose en vogue, dans le moment, chez les artistes. […] Potain, le bon Potain, racontait à Léon Daudet, que ces jours-ci, ayant des enfants chez lui, le soir, pour les amuser, il s’était fait des moustaches avec du charbon. […] Lorrain racontait spirituellement, drolatiquement, que son père, étant armateur, avait voulu un moment tenter l’élevage des bestiaux. […] » Ce mot profond amène dans la conversation, la légende du Professeur de paresse, une légende, que Daudet a entendu raconter en Afrique.

229. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque » pp. 2-79

Voilà le caractère de Pétrarque, racontons sa vie. […] « J’allai le consulter un jour, raconte Pétrarque, dans un de ces accès de découragement dont j’étais quelquefois saisi et abattu ; il me reçut avec sa bonté ordinaire : Qu’avez-vous, me dit-il, vous me paraissez tout mélancolique ? […] La rencontre qui décida de la vie et de l’immortalité du jeune poète est racontée par lui dans toutes ses circonstances d’année, de lieu, de jour et d’heure, comme un événement de l’histoire du monde. […] Sans doute les œuvres latines de Pétrarque, ses confidences écrites et ses lettres familières auraient révélé bien des circonstances de cet amour et bien des détails sur ces deux familles de Noves et de Sades ; mais Pétrarque raconte lui-même qu’il a détruit toutes ces traces de sa passion avant sa mort. […] Le poète raconte à peu près dans les mêmes termes que l’anachorète les apparitions séduisantes du fantôme qui troublait son repos et ses prières.

230. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (2e partie) » pp. 81-159

Je ne raconterai pas non plus la vive émotion qu’il manifesta en apprenant les motifs qui rendaient cette résolution inébranlable. […] Je crus devoir m’ouvrir à lui et raconter ce qui venait de se passer. […] Je ne dois pas raconter la douleur du Pape et la mienne à cette séparation. […] Nous retournâmes à Paris, et les treize s’étant rassemblés chez le cardinal Mattei, je leur racontai ce que m’avait dit le ministre Fouché. […] Ils restèrent tout ce temps dans une ignorance parfaite de l’impression produite par leur abstention sur l’esprit de l’empereur ; car, ainsi que je l’ai raconté, ils ne quittèrent pas leurs appartements, et personne n’osa les visiter.

231. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXIXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (1re partie) » pp. 241-314

Il a raconté lui-même toutes ces vicissitudes de sa vie première avec bonhomie et ingénuité. […] Un fils ne raconterait pas avec plus de sollicitude les phases de la maladie. […] Une dame de beaucoup d’esprit raconta des traits du caractère de Beethoven. […] Il faut que je raconte un peu l’origine de cette poésie. […] Il dit que les dernières époques de sa vie ne peuvent pas avoir la même abondance de détails que sa jeunesse, racontée dans Vérité et Poésie. « Je composerai le récit de ces dernières années sous forme d’Annales ; il s’agit moins de raconter ma vie que de montrer sur quoi s’est exercée mon activité.

232. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1857 » pp. 163-222

* * * — L’élaboration douloureuse, le supplice de la beauté : le voici à nous raconté par une femme de la société. […] * * * — Ma maîtresse me racontait aujourd’hui qu’elle avait une fluxion de poitrine et qu’elle n’avait pas dans le moment l’argent nécessaire pour acheter le nombre de sangsues, commandées pour qu’elle guérît. Elle racontait cette anecdote d’une manière très apitoyante, la pauvre fille ! […] Du reste, un chef de famille pas commode ; notre père qui était chef d’escadron à vingt-cinq ans et qui passait pour un vrai casse-cou parmi ses camarades de la Grande Armée, racontait qu’il lui arrivait de garder dans sa poche, huit ou dix jours, une lettre de son père, avant d’oser l’ouvrir. […] 20 août Me voilà en plein rêve de bien des gens, à la campagne, de l’argent dans ma poche, avec une femme bon garçon, vieille amie qui me raconte ses amants ; libres tous les deux, n’ayant à craindre l’amour ni l’un ni l’autre, et bien à l’aise.

233. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1874 » pp. 106-168

Le vieux Giraud racontait, ce soir, qu’il était voisin du directeur de l’hospice Beaujon, et que celui-ci voisinait avec lui, tous les jours. […] La chose racontée à Paris, devant un cercle de femmes, avait fait faire d’abord secrètement, puis ouvertement, des essais, et la potasse était entrée, d’une manière officielle, dans la toilette de la Parisienne, de ces années. […] Il est quelque peu bibeloteur, et très amusant à entendre raconter la fabrication toute primitive des émaux cloisonnés. […] Et comme je lui raconte la manière dont les peintres décorateurs font les veines du bois, je lui vois arracher son peigne de son chignon, et de son peigne faire des stries sur son coloriage. […] s’écrie-t-on, racontez-nous ça ?

234. (1854) Causeries littéraires pp. 1-353

Cousin à raconter un duel mieux que M.  […] Caro nous raconte l’histoire, était d’une nature beaucoup plus éthérée, et il n’aimait à le partager avec personne. […] Janin racontait alors avec l’exactitude de l’historien, et qu’il flétrit aujourd’hui avec la sévérité du juge. […] On a accusé, de nos jours, plusieurs de nos historiens les plus superbes de ne pas savoir l’histoire qu’ils nous racontaient. […] Historiens de l’esprit, non seulement ils savent très bien ce qu’ils racontent, mais ils sont pleins de leur sujet.

235. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La femme au XVIIIe siècle, par MM. Edmond et Jules de Goncourt. » pp. 2-30

 » On a raconté diversement l’historiette, et selon d’autres, c’était le nom d’Oreste qui aurait été mal orthographié, et Voltaire aurait répondu : « Madame la duchesse, on n’écrit pas Oreste par un h. […] En lisant bien le Xe livre de la seconde partie des Confessions, dans lequel Rousseau raconte comment, après sa rupture avec Mme d’Épinay et sa sortie de l’Ermitage, il s’établit à Montmorency et s’y lia avec le maréchal et la maréchale de Luxembourg, dont le château était en ce lieu, et qui le prévinrent de mille politesses, et comment insensiblement il devint leur hôte, leur intime, on voit qu’il y faut faire la part des faits et celle des conjectures ou chimères. […] Surtout elle racontait plaisamment « et de l’air le plus détaché. » Elle n’appuyait pas. […] Mme de Genlis a raconté qu’un jour, un dimanche, à l’Ile-Adam, comme on attendait pour la messe le prince de Conti, on était dans le salon autour d’une table sur laquelle les dames avaient posé leurs livres d’heures ; la maréchale s’amusait à les feuilleter par manière d’acquit.

236. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [II] »

J’ai moi-même entendu raconter au marquis de Saint-Simon, qui était de cet état-major, combien ces jeunes officiers brillants, étourdis autant que braves, s’isolaient de Jomini, de ce confident du maréchal : il avait à leurs yeux le tort d’être à la fois étranger, savant et non viveur. […] Ney, qui la veille ignorait, comme Napoléon lui-même, qu’il allait y avoir bataille le 8 février, avait envoyé le 7 au soir au quartier général l’aide de camp Fezensac, pour rendre compte à l’Empereur de sa marche et de l’attaque qu’il poussait vivement contre le général prussien Lestocq : « C’est la plus importante mission que j’aie remplie, nous dit M. de Fezensac, et la plus singulière par ses circonstances ; elle mérite donc d’être racontée avec quelques détails. […] Je mets l’entretien tel qu’il est dans le livre du colonel Lecomte, et tel que Jomini lui-même aimait à le raconter. […] M. de Canouville, un homme de la société, que les gens de mon âge ont connu, et qui avait été attaché à la cour du premier Empire, racontait l’anecdote suivante.

237. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Madame de Krüdner et ce qu’en aurait dit Saint-Évremond. Vie de madame de Krüdner, par M. Charles Eynard »

Eynard, qui raconte très-bien cette petite scène, ajoute que ces mots pleins de raison plongeaient un poignard dans le cœur de Mme de Krüdner : « Hélas ! […] Il raconte d’une manière intéressante, mais intéressante à regret, en s’attachant à marquer son dégoût et à exciter le nôtre, la grande aventure de cœur de Mme de Krüdner, durant son séjour à Montpellier (1790), sa première faute éclatante, sa passion pour M. de Frégeville, alors officier brillant de hussards, et que plus tard il rencontra lieutenant-général cassé de vieillesse. […] Par exemple, j’ai raconté une visite de Mme de Krüdner à Saint-Lazare, l’effet que la prêcheuse éloquente produisit sur ces pauvres pécheresses, la promesse qu’elle leur fit de les revoir, et aussi son oubli d’y revenir. […] Eynard cite à ce sujet le docteur Portal et son procédé si souvent raconté pour se créer, à son arrivée à Paris, une réputation et une clientèle ; mais, en rapportant ce trait de charlatanisme aux premières années du siècle, il commet un anachronisme de plus de trente ans.

238. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIe Entretien. Chateaubriand »

Lancé par lui, en 1814, pour précipiter dans la boue celui qui venait de tomber du trône, il racontait, dans cette invective, que Bonaparte était allé voir le pape à Fontainebleau, et qu’il l’avait injurié et outragé de sa bouche et de ses mains en le traînant par ses cheveux blancs sur le plancher du palais. […] Chactas commence son récit : Il est bien vieux, il a soixante-treize ans : « À la prochaine lune des fleurs, il y aura sept fois dix neiges, et trois neiges de plus, que ma mère me mit au monde sur les bords du Meschacebé. » Il raconte à René la grande aventure de sa jeunesse, quand il ne comptait encore que dix-sept chutes de feuilles. […] XXII L’épilogue couronne dignement le poëme : c’est l’auteur lui-même, Chateaubriand, qui reprend la parole et qui raconte la suite de la destinée des personnages survivants (le père Aubry, Chactas), telle qu’il l’a apprise dans ses voyages aux terres lointaines. Il y a bien encore quelque trace de manière : « Quand un Siminole me raconta cette histoire (transmise de Chactas à René, et des pères aux enfants), je la trouvai fort instructive et parfaitement belle, parce qu’il y mit la fleur du désert, la grâce de la cabane, et une simplicité à conter la douleur que je ne me flatte pas d’avoir conservée. » Ce ton-ci, en effet, est bien moins de la simplicité que de la simplesse.

239. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « V »

Lamoureux et moi un fait particulier que je raconterai. […] — Je raconte les faits, tels qu’ils sont, tels qu’il convient que le fasse un journal totalement dévoué au wagnérisme véritable, non à tel ou tel wagnériste, mais au wagnérisme. […] Lamoureux puisse chicaner, les choses que je raconte étaient connues de personnes « faisant foi ». […] Judith Gautier raconte son séjour chez Wagner et ce voyage à trois dans un texte savoureux  : Visite à Richard Wagner.

240. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Goethe et de Bettina, traduites de l’allemand par Sébastien Albin. (2 vol. in-8º — 1843.) » pp. 330-352

Cette année, je ne me sens pas aussi bien que l’année dernière ; quelquefois je te désire avec une certaine frayeur, et je reste des heures entières à penser à Wolfgang (prénom de Goethe), quand il était enfant et qu’il se roulait à mes pieds ; puis, comme il savait si bien jouer avec son frère Jacques, et lui raconter des histoires ! […] La mère de Goethe, qui aimait la magnificence, mit « une pelisse fourrée de velours cramoisi, qui avait une longue queue et des agrafes d’or », et elle monta en voiture avec des amis : Arrivés au Main, raconte-t-elle, nous y trouvâmes mon fils qui patinait. […] La première fois qu’elle le vit, ce fut une singulière scène, et, à la manière dont elle la raconte, on voit bien qu’elle n’est pas en France et qu’elle n’a pas affaire à des rieurs malins. […] Ravi de sa façon d’écouter et de son approbation franche et naïve, il la reconduisit jusque chez elle, et il lui disait mille choses de l’art en chemin : Il parlait si haut et s’arrêtait si souvent, raconte-t-elle, qu’il fallait du courage pour rester à l’écouter ; mais ce qu’il disait était si inattendu, si passionné, que j’oubliais que nous étions dans la rue.

241. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. Anecdotes. » pp. 123-144

À la veille de son début au théâtre, quand on allait représenter sa tragédie de Warwick (novembre 1763), il avait déjà, grâce à ses bons amis les auteurs, une réputation affreuse ; on racontait, en l’exagérant, l’histoire des couplets satiriques composés au sortir du collège : « Cette petite horreur, nous dit Collé dans son Journal, m’a déjà été confirmée par deux ou trois personnes, et je n’ai encore vu qui que ce soit qui ait contredit ou nié le fait. » Lorsque cette tragédie de Warwick, qui, malgré tout, avait fort bien réussi, fut reprise en janvier 1765, les ennemis s’arrangèrent si bien, que le cinquième acte fut hué : « Je n’ai jamais vu de ma vie, nous dit encore Collé, arriver un pareil échec à une reprise ; le contraire arrive plus ordinairement, les applaudissements redoublent au lieu de diminuer. […] Voici une histoire très vraie que j’ai entendu plus d’une fois raconter de la bouche même de l’aimable personne qui en avait été témoin et un peu complice. […] De là un déluge de plaisanteries sur la religion ; l’un citait une tirade de La Pucelle ; l’autre rappelait ces vers philosophiques de Diderot… La conversation devient plus sérieuse ; on se répand en admiration sur la Révolution qu’avait faite Voltaire, et l’on convient que c’est là le premier titre de sa gloire : « Il a donné le ton à son siècle, et s’est fait lire dans l’antichambre comme dans le salon. » Un des convives nous raconta, en pouffant de rire, que son coiffeur lui avait dit, tout en le poudrant : « Voyez-vous, monsieur, quoique je ne sois qu’un misérable carabin, je n’ai pas plus de religion qu’un autre. […] La Harpe suppose que quelqu’un lui demande si cette prédiction est véritable, si tout ce qu’il vient de raconter est bien vrai.

242. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Mémoires de Daniel de Cosnac, archevêque d’Aix. (2 vol. in 8º. — 1852.) » pp. 283-304

Cosnac causait beaucoup et bien, et trop ; il racontait son passé avec plaisir, avec délices, avec variantes, et il s’en était formé de son vivant comme une légende que lui-même entretenait. […] Et par exemple, c’était lui-même qui racontait comment il fut nommé évêque par le cardinal Mazarin à l’âge de vingt-quatre ans, au sortir d’un sermon où il avait réussi. […] » répondit M. de Paris. — « Ce n’est pas là tout, répliqua M. de Valence ; c’est que je vous supplie de me faire diacre. » — « Volontiers », lui dit M. de Paris. — « Vous n’en serez pas quitte pour ces deux grâces, monseigneur, interrompit M. de Valence ; car, outre la prêtrise et le diaconat, je vous demande encore le sous-diaconat. » — « Au nom de Dieu, reprit brusquement M. de Paris, dépêchez-vous de m’assurer que vous êtes tonsuré, de peur que vous ne remontiez la disette des sacrements jusqu’à la nécessité du baptême. » Ce n’est pas dans ses Mémoires que Cosnac raconte ces choses qui n’étaient que des gaietés et peut-être que des embellissements de sa conversation. […] Il racontait sur le même ton ce qui, selon lui, l’avait décidé à acheter la charge de premier aumônier de Monsieur, à quoi il avait peu de penchant ; cette fois il le dit aussi dans ses Mémoires : Dans cette incertitude, une bagatelle, assure-t-il, acheva de me déterminer.

243. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1870 » pp. 3-176

Il parlait hier de l’Empereur, et racontait son mariage au compartiment, dans lequel j’étais. […] Un petit chausson d’un enfant, chausson tout neuf, me raconte toute une histoire. […] Un blousier seul, au milieu d’un groupe, raconte des choses qu’il a vues, en affirmant chacun de ses dires, d’un mouvement qui lui fait passer, à tout moment, un gros doigt devant le nez. […] Je prête l’oreille au bruit de la rue, qui vous raconte le bon ou le mauvais des choses publiques, avec le pas du passant, avec le son de sa voix : rien. […] Du Mesnil raconte qu’un de ces réfugiés a fait de la maison qu’il habite, une resserre à chiffons.

244. (1895) Les mercredis d’un critique, 1894 pp. 3-382

D’ailleurs nombre de critiques, Sarcey en tête, se chargèrent de répondre pour moi, sans que j’aie rien raconté à aucun d’eux. […] « Les Meules racontaient des moments tout au long de l’année, à des heures diverses. […] Maurice Dubard nous raconte la douce et triste aventure dans le livre qu’il intitule : Fleur d’Afrique. […] La jeune fille raconte à un passager qu’elle est fiancée à un jeune homme de son monde. […] « On raconte qu’à la même heure, dans le temple, le même soupir résonna.

245. (1896) La vie et les livres. Troisième série pp. 1-336

Les savants nous racontent sur les Caciques des histoires à donner le cauchemar. […] et ce qu’ils nous ont raconté ! […] Marcel Prévost nous raconte. […] Les lignes et les couleurs lui raconteront des histoires sentimentales ou des fantaisies vicieuses. […] Et cette Berthe, sottement jalouse, va tout raconter à Pierre !

246. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Contes de Noël »

D’abord, le préambule ordinaire : «… Mon ami secoua dans le foyer les cendres de sa pipe, et tout à coup : — Veux-tu que je te raconte mon premier réveillon à Paris ? […] Elle fricote le boudin et la saucisse dans un petit poêlon sur une lampe à essence… Puis ils se mettent à table… Elle lui raconte son histoire (que vous devinez) ; elle s’attendrit en la racontant ; et ses larmes tombent sur le boudin… M. 

247. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Gabrille d’Estrées et Henri IV »

Si l’impartialité est de rigueur pour l’historien tout le temps qu’il raconte les faits, scrute les causes et peint les caractères, une fois cette triple trame de l’histoire impassiblement déroulée, il reste la conclusion dernière, le jugement suprême à prononcer ; et cette conclusion et ce jugement ont toujours autant de chaleur, de passion et de vie, qu’il y en a dans la conscience et le sentiment moral de l’historien. […] Tout le temps qu’il vécut, il ne cessa d’être cet infatigable prometteur de mariage dont il faisait sa séduction, promettant du même coup le divorce, puisqu’il était marié, et que pour se donner il était bien obligé de se reprendre… Capefigue, qui ne se charge de nous raconter dans son livre sur Gabrielle d’Estrées que le plus long et le plus scandaleux adultère de cet homme d’adultères, nous a fait le compte de ces promesses de mariages menteuses, appeaux de cet oiseleur, qui durent certainement mettre plus bas que tous ses autres actes, dans l’opinion de ses contemporains, le don Juan royal chez lequel rien n’était sincère, si ce n’est les convoitises et les intérêts.

248. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXV. De Paul Jove, et de ses éloges. »

Qu’il me soit permis de raconter ici à quelle occasion ces éloges furent composés. […] Je remarquerai ensuite qu’il a fait l’éloge de plusieurs princes qui étaient encore vivants, et dans ces articles il change tout à coup de ton ; il ne raconte plus, il loue, et l’historien devient déclamateur.

249. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1867 » pp. 99-182

Au lieu de nous confesser, il nous raconte son histoire. […] Une curieuse lettre, est une lettre adressée à son fils âgé de six ans, où il lui raconte, sur le ton de la plaisanterie, sa promenade de pékin dans tout ça, escorté de son trompette prussien : on ferait quelque chose de charmant de la guerre, ainsi contée par un père à son enfant. […] Il entre chez nous, se met à causer de son père, du premier Empire, allume un cigare, et pris par l’intérêt de ce qu’il raconte, par le souvenir du passé et de la famille, nous fait toucher les changements survenus dans les habitudes, les mœurs, le train de vie de la bourgeoisie marchande. […] Il l’avait vu le matin même, et Berlioz lui racontait avoir été amoureux à douze ans, dans le pays, d’une jeune fille de vingt ans. […] Pendant les tintements de la messe, dite pour la princesse dans une pièce voisine, tintements coupés, dans le salon où nous sommes, par des blagues d’Arago, Vimercati raconte un curieux départ de la vie d’un de ses amis, le dernier inscrit sur le livre de la noblesse de Venise.

250. (1837) Lettres sur les écrivains français pp. -167

L’ami de mon compatriote l’auteur d’un acte de vaudeville, nous raconta un fait qui peint assez bien apparemment l’humeur de M. de Beauvoir. […] Voici une anecdote que mon compatriote me raconta sur la liaison de M.  […] Lamothe-Langon, mon cher Monsieur, a été raconté, devant moi, par un éditeur que mon ami, l’auteur d’un acte de vaudeville, faisait causer, afin de me fournir des notes. […] racontez-nous une histoire de bandits ou de fantômes, Méry ! […] Parfois ces choses m’ont été racontées par des écrivains eux-mêmes, en parlant de leurs confrères, de leurs amis.

251. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite et fin.) »

Royer-Collard, l’un des assistants, m’a raconté à moi-même comment les choses se passèrent. […] Sir Henry Bulwer a raconté, d’après un témoin oculaire, la visite que lui firent le roi Louis-Philippe et Madame Adélaïde, dans cette même matinée du jour de sa mort. […] Le baron de Gagern raconte qu’étant à Varsovie et passant des matinées entières auprès de lui, une des premières choses qu’il exigea fut que son interlocuteur ne l’appelât plus Votre Altesse, mais simplement M. de Talleyrand, et sur ce mot d’Altesse, il lui arriva de dire : « Je suis moins, et peut-être je suis plus » ; se reportant ainsi à l’orgueil premier de sa race. […] Comme le meilleur des panégyristes et le plus habile, sans avoir l’air d’y toucher, il aura montré, de tout, le côté décent, présentable, acceptable ; il aura fait là ce qu’il faisait quand il se racontait lui-même, ne disant qu’une moitié des choses. […] M. de Lancy, que nous avons connu administrateur de la bibliothèque Sainte-Geneviève et qui avait autrefois rempli un poste assez important au ministère de l’intérieur, aimait à raconter des anecdotes qu’il savait d’original, notamment celle-ci : Un jour un des hauts personnages qui avait dû financer avec M. de Talleyrand, et qui tenait à savoir pourtant si son argent n’était pas resté en chemin, et s’il était bien arrivé à son adresse, exigea un signe, une marque qui l’en assurât.

252. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Jocelyn (1836) »

Jocelyn a seize ans au 1er mai 1786, et il se met depuis lors à se raconter à lui-même en chants naïfs ses pensées adolescentes. […] M. de Chateaubriand, dans ses Mémoires, a raconté, de son ancienne et pauvre vie en Angleterre, une attendrissante aventure, qui a pour objet une divine Charlotte, fille d’un ministre de campagne, d’un Révérend très-fort aussi en grec, comme ils le sont tous : le presbytère anglais encadré de ses fleurs, et avec toute sa précieuse netteté, y reluit dans une belle page. […] Ce qu’il nous raconte, ou plutôt ce qu’il raconte à sa sœur et ce qu’il se rappelle à lui-même, ce n’est pas vieux et apaisé qu’il y revient ; depuis cette dernière maladie à laquelle il manque de succomber, peu après la mort de Laurence, le manuscrit cesse. […] Coleridge, dans sa jeunesse, a fait d’admirables Poëmes méditatifs, dans lesquels la nature anglaise domestique, si verte, si fleurie, si lustrée, décore à ravir, et avec une inépuisable richesse, des sentiments d’effusion religieuse, conjugale ou fraternelle ; soit que le soir dans son verger, entre le jasmin et le myrte, proche du champ de fèves en fleur, il montre à sa douce Sara l’étoile du soir, et se perde un moment, au son de la harpe éolienne, en des élans métaphysiques et mystiques, qu’il humilie bientôt au pied de la foi ; soit qu’il abandonne ensuite ce frais cottage, de nouveau décrit, mais trop délicieux, trop embaumé à son gré pendant que ses frères souffrent (vers l’année 93), et qu’il se replonge vaillamment dans le monde pour combattre le grand combat non sanglant de la science, de la liberté et de la vérité en Christ ; soit qu’envoyant à son frère, le révérend George Coleridge, un volume de ses œuvres, il y touche ses excentricités, ses erreurs, et le félicite d’être rentré de bonne heure au nid natal ; soit qu’un matin, visité par de chers amis, dans un cottage encore, et s’étant foulé, je crois, le pied, sans pouvoir sortir avec eux, du fond de son bosquet de tilleuls où il est retenu prisonnier, il fasse en idée l’excursion champêtre, accompagne de ses rêves aimables Charles surtout, l’ami préféré, et se félicite devant Dieu d’être ainsi privé d’un bien promis, puisque l’âme y gagne à s’élever et qu’elle contemple ; soit enfin que, dans son verger toujours, une nuit d’avril, entre un ami et une femme qu’il appelle notre sœur, il écoute le rossignol et le proclame le plus gai chanteur, et raconte comme quoi il sait, près d’un château inhabité, un bosquet sauvage tout peuplé de rossignols chantant à volée, en chœur, et entrevus dans le feuillage sous la lune, au milieu des vers luisants : Oh !

253. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1894 » pp. 185-293

Dans l’entracte, visite de l’académicien d’hier, visite d’Hérédia qui nous raconte qu’il a bien manœuvré, qu’il a démoli les intrigues de Camille Doucet, qu’il s’est montré un habile stratégiste. […] Il nous apprend qu’il est voisin de Carlier, l’ancien préfet de police, avec lequel il va fumer presque journellement une cigarette, et qui lui raconte les choses les plus curieuses. […] On me le présente, et il me raconte ceci. […] Il raconte, après une épisode d’une chasse de sa jeunesse, où en revenant, il allait donner un coup d’œil à un châtaignier, dont les châtaignes étaient volées toutes les années, désireux de s’assurer si elles étaient mûres. […] — à Lyon, je me trouve à court d’argent, j’offre à un journal un article sur mes contemporains, et je lui apporte un article, où, dans un portrait du Père Félix, je racontais ma mauvaise action.

254. (1876) Romanciers contemporains

Nous n’avons à raconter ici ni la vie, ni la carrière littéraire de Balzac. […] Ils s’asseyent, partagent un frugal repas avec Ferry et lui racontent quelques-unes de leurs aventures. […] Les événements qu’ils racontent sont simples et racontés simplement. […] Marmier, ne voulant pas se résigner à ne point raconter de pérégrinations ? […] À la liberté de ses allures, on reconnaît bien vite qu’il ne croit pas un mot de ce qu’il raconte.

255. (1896) Les origines du romantisme : étude critique sur la période révolutionnaire pp. 577-607

« N’ayant point aimé, raconte-t-il, j’étais accablé d’une surabondance de vie. […] « Ma mère m’avait conçue dans le malheur, raconte la bâtarde de la Louisiane ; elle me mit au monde avec de grands déchirements d’entrailles, on désespéra de ma vie. […] — « Un jour, raconte René, j’étais au sommet de l’Etna… plein de passions, assis sur la bouche de ce volcan qui brûle au milieu d’une île. » Cette phrase paraîtra prétentieusement ridicule au lecteur de 1896 ; mais en 1802 elle rappelait des événements récents. […] Il y raconte que sa mère, grosse de cinq mois, part du fond de l’Allemagne pour Naples, où il lui prend fantaisie de gravir le Vésuve : à la bouche du volcan, elle fait un faux pas et une fausse couche et Kotzebue naît sur un volcan. […] Chactas qui, en ces matières, a l’expérience d’un Almaviva, raconte qu’il la tenait palpitante dans ses bras, attendant le moment psychologique où « la passion, en abattant son corps, allait triompher de sa vertu ».

256. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — I » pp. 56-70

Il raconte une action particulière ou faction (c’est son terme habituel pour un fait d’armes) où il se distingua et rendit un service signalé à toute l’armée : sa réputation était dès lors établie auprès des chefs qui le voyaient de près. […] Dans l’invasion de la Provence par Charles-Quint (1536), il se signale par un coup de main heureux et qu’il raconte avec complaisance ; car c’est par là qu’après cette interruption pénible, lui qui ne hait rien tant que sa maison et à qui les « jours de paix sont des années », il se remet en train aux choses de guerre et qu’il rafraîchit l’idée de sa réputation que ce temps d’oisiveté et la longueur de sa blessure avaient un peu mise en oubli : « Ce n’est rien, mes compagnons, dit-il, d’acquérir la réputation et un bon nom, si on ne l’entretient et continue. » Il s’agissait d’affamer l’armée de Charles-Quint et de détruire certains moulins d’où il tirait ses farines, notamment les moulins d’Auriole entre Aix et Marseille. […] Il sied mal de dérober l’honneur d’autrui ; il n’y a rien qui décourage tant un bon cœur. » Dans les diverses guerres auxquelles il prend part et qu’il nous décrira, il est de certains faits qu’il aura ainsi trop de curiosité et de plaisir à raconter, à déduire au long et par le menu, pour qu’on n’y voie point se déceler et se déclarer le genre de talent militaire particulier et propre à Montluc : c’est ordinairement dans ce qu’il appelle une faction ou fait d’armes à part, dans un coup de main, un stratagème bien ourdi, une escarmouche bien menée, une attaque de place réputée imprenable, ou une défense déplacé réputée intenable, quelque entreprise soudaine et difficile, une expédition en un mot qui fasse un tout, à laquelle il commande, sans qu’il soit besoin d’avoir sous sa main autre chose qu’une élite, c’est là qu’il se complaît et où il excelle.

257. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Mélanges scientifiques et littéraires, (suite et fin.) »

Il a lui-même raconté, dans quelques pages d’une simplicité un peu cherchée (Une anecdote relative à Laplace), l’origine de ses relations avec le grand géomètre et comment, sur un point de mathématiques, il trouva lui-même des solutions dont Laplace, qui les avait obtenues de longue main, voulut lui laisser tout le mérite devant l’Institut. […] En 1806-1807, il est en Espagne avec Arago ; celui-ci, dans les pages pleines d’animation où il a raconté les accidents et aventures de cette expédition scientifique (Histoire de ma jeunesse), nous fait entrevoir que, vers la fin, Biot le laissa un peu en peine et le quitta peut-être un peu plus tôt qu’il n’aurait dû. […] Ce dernier a raconté que le jour où il fut appelé dans le cabinet de M. 

258. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Lettres d’Eugénie de Guérin, publiées par M. Trébutien. »

Ces trois existences si diverses, successivement racontées et finement décrites, donnent beaucoup à penser et à réfléchir sur la forme que revêtent l’esprit et le cœur en trois pays et trois sociétés si dissemblables, sur les directions que parvient à se frayer la spontanéité humaine à travers des contraintes et des pressions si différentes. […] Elle raconte à son amie Louise tous les glas de jeunes filles que sonne la cloche de la paroisse rurale ; ses lettres, par moments, sont comme un nécrologe continu. […] Un jour qu’elle a assisté à une profession de religieuse au Bon-Sauveur, elle raconte ainsi à sa chère Louise son impression enflammée et attendrie : « Si Cholet ne m’avait pas dit que les charbonniers (qui servent de messagers) partent à onze heures, je vous parlerais au long de la cérémonie du Bon-Sauveur, cérémonie belle et touchante, qui fait admirer, qui fait pleurer.

259. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Clermont et sa cour, par M. Jules Cousin. (Suite et fin.) »

Frédéric, le royal historien, trop peu apprécié chez nous, raconte, qu’au moment le plus critique de ses affaires, après Kloster-Zeven et avant Rosbach, obligé d’avoir recours à tout, d’employer la ruse et la négociation, il envoya à Richelieu un colonel Balbi déguisé en bailli. […] Que serait-ce si je racontais toute la vérité ? […] Je me contenterai d’indiquer une Anecdote sur Louis XV racontée par Sélis et qui se trouve dans la Décade philosophique du 6 septembre 1797.

/ 1898