/ 1885
50. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (4e partie) » pp. 429-500

C’est donc la pensée divine qui, s’associant avec la matière créée par Dieu, forme le monde. […] Donc il n’y a point de matière sans mystère, car qui l’aurait créée ? […] Quel rapport peut-il exister entre le créateur et le créé ? […] Les êtres qu’il a créés dans ces conditions sont aussi nombreux, aussi innombrables, aussi indescriptibles, aussi infinis que sa pensée. […] Dites-moi le jour où il a créé cette substance visible qu’on appelle matière ?

51. (1824) Discours sur le romantisme pp. 3-28

Croyant créer peut-être, ils ont encore imité ; mais, cette fois, leurs modèles étant moins faits pour en servir, si l’imitation n’a pas été beaucoup plus heureuse, elle a du moins été beaucoup plus facile, et ils paraissent enfin satisfaits d’eux-mêmes. […] Ce sont, disent-ils, les écrivains modernes qui ont imité les auteurs anciens, au lieu de créer comme eux ; qui leur ont emprunté, avec les formes de leurs poèmes, le fond même de leurs sujets et de leurs idées, au lieu de traiter, sous des formes différentes, des sujets et des idées appartenant à l’histoire, à la religion, aux mœurs des nations chrétiennes. […] Il nous semble que Cinna et Horace, Phèdre et Iphigénie, Mithridate et Britannicus, Œdipe et Mérope, Brutus et Rome sauvée, tragédies puisées, les unes dans le théâtre grec, les autres dans les annales de l’ancien Univers, et toutes imitées ou créées avec un égal génie, sont des œuvres modernes et françaises, en dépit de leur origine ; qu’elles ne sont ni des calques, ni des copies, ni des pastiches ; qu’il y a de la sève et de la vie, et qu’enfin ce ne sont pas là tout-à-fait, comme on l’a dit, les productions d’un art pétrifié. […] Les genres ont été reconnus et fixés ; on ne peut en changer la nature, ni en augmenter le nombre : on les confond, on les accouple monstrueusement, et l’on croit en avoir créé de nouveaux. […] Pour y parvenir, on se crée des procédés, des artifices particuliers de diction, qui ont le double mérite d’outrager la grammaire et la raison.

52. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre II. « Faire de la littérature » » pp. 19-26

En notre temps notoirement pratique, où, si peu de chose se créent, du moins aucune ne se perd, le jeune homme qui sait tourner avec une égale aisance, et au gré du jury, une « lettre de Varius à Virgile pour lui faire compliment des Géorgiques », ou un « billet de Maucroix à La Fontaine pour le féliciter de ses Fables », le jeune bachelier songe à ne pas laisser inexploité l’heureux produit d’un naturel de choix et d’une éducation de luxe. […] Thomas Grimm (au moins), saura se créer une aussi belle situation que ce distingué polygraphe. — D’ailleurs, c’est bien le moins que le français rembourse au fils ce que, en dix ans de répétitions, le latin fit débourser au père. […] Des esprits nés sans doute pour créer de belles œuvres sont incités par contagion à produire ces articles méprisables, mais d’une bonne vente courante.

53. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre II. Chimie et Histoire naturelle. »

C’est cette impuissance de créer qui découvre le côté faible et le néant de l’homme. […] Les puissances unies de la matière sont à une seule parole de Dieu comme rien est à tout, comme les choses créées sont à la nécessité. […] Va-t-il créer un monde ?

54. (1909) Nos femmes de lettres pp. -238

Qu’on n’aille pas les chercher dans ses romans, où l’obligation de créer des personnages crée la nécessité correspondante d’ordonner des séries de sensations en leur imprimant l’unité — non point dans ses romans, mais dans ses poèmes, et parmi ceux-ci, dans ceux qui sont le plus proches de la sensation initiale. […] Qu’il y ait correspondance entre la vie vécue et l’art créé, c’est alors un rythme magnifique, donnant satisfaction à l’Idéal que nous portons en nous. […] Elles ne se trouvent pas là par obligation de créer un milieu, et parce qu’il faut de toute nécessité expliquer ses personnages. […] Tous leurs gestes s’humilient devant la loi de Nature qui créa la hiérarchie des sexes en amour. […] Créer, Conserver… ce sont les deux termes où vient aboutir l’effort du sexe qui nous donna nos mères, nos sœurs, nos amantes et nos épouses.

55. (1900) L’état actuel de la critique littéraire française (article de La Nouvelle Revue) pp. 349-362

Bouguereau ou Gérôme, de même une génération entière de romanciers et de poètes crée le roman impressionniste et le vers libre sans s’inquiéter des défenses ou des permissions dispensées avec sérénité par M.  […] Ils créent, et là s’arrête leur pouvoir. […] Car il y a une hauteur intellectuelle où le fait de découvrir les raisons essentielles de l’association des idées équivaut à créer. […] Léon Daudet, qui a signé ce beau volume des Idées en marche, renouvelé le roman d’aventures symboliques avec le Voyage de Shakespeare, et créé une forme nouvelle de livre sentimental avec cette admirable, nerveuse et poignante Romance du temps présent, serait un critique de premier ordre, capable d’établir la synthèse du roman à notre époque. […] Et une pareille organisation, transportée à l’étranger, créerait un échange international de volumes sobres, débordants de pensée concentrée, qui enrichiraient les bibliothèques et constitueraient, à côté de la bibliographie effective, un memento intellectuel de premier ordre.

56. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre III. Contre-épreuve fournie par l’examen de la littérature italienne » pp. 155-182

, I. 6), et il crée une œuvre sans égale au monde : l’ascension de la conscience des ténèbres à la lumière. […] Sa découverte de l’antiquité semble miraculeuse et ne s’explique que par le génie italien, par les malheurs mêmes de ce génie qui, dépouillé de toute vie nationale, se replie sur lui-même et se crée un monde nouveau dans le domaine de l’esprit. […] À elle seule, la science n’eût pas suffi à créer l’humanisme, qui consiste moins dans la découverte de textes oubliés que dans une interprétation toute nouvelle des textes et des faits déjà connus. […] Le Christianisme, la Renaissance, la Révolution n’en demeurent pas moins trois étapes essentielles de l’humanité. — Au moment où la France s’acheminait vers une longue décadence (d’ailleurs utile et nécessaire à d’autres points de vue), l’Italie, débarrassée de certaines contingences par son malheur même, créait Pétrarque, marchait à la Renaissance, et se préparait par là une gloire nouvelle et des raisons nouvelles de servitude. […] Ces morts, qui s’appelaient Dante et Pétrarque, ont brisé la pierre des sépulcres ; Giusti l’avait prédit ; ils vivent aujourd’hui plus radieux que jamais, au cœur même de cette nation italienne qu’ils ont rêvée, qu’ils ont voulue, qu’ils ont créée, eux, les chefs d’une légion héroïque au service de l’Idée.

57. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre VI. Le Bovarysme essentiel de l’humanité »

Le sentiment du mérite, avec la satisfaction intérieure qu’il apporte à ceux que le sort favorisa d’un équilibre profitable et de facultés en harmonie avec les nécessités du milieu, telle est en effet la face heureuse de cette conception bovaryque en vertu de laquelle l’homme se croit libre de se modifier et de créer sa destinée. […] Dupe de ce mirage, l’homme s’ingénie et le souci constant de rendre son existence meilleure le conduit à créer les sciences. […] Mu par ce sentiment de malaise qui fait partie de sa constitution la plus intime, l’homme se croit propre à y porter remède en modifiant l’univers : de là tout son effort scientifique pour comprendre et utiliser les lois, son effort philosophique pour les interpréter à son profit, son effort artistique pour se créer des jouissances nouvelles. […] Le même désir d’intervenir utilement parmi la complexité des organes a créé la physiologie d’où une science plus désintéressée, la biologie, est issue. […] Mais ce qu’il convient d’admirer, c’est qu’avec la médecine, avec ce premier souci qui poussa l’homme à intervenir dans sa propre physiologie, le Génie de la Connaissance semble avoir créé une cause d’effort qui, s’étant une fois exercée, se cause elle-même à l’infini, se légitime et s’engendre avec une force qui va toujours croissant.

58. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (3e partie) » pp. 365-427

Elle est diversifiée, agitée, charmée, ennuyée par une foule d’autres passions, parmi lesquelles l’amour est la plus impérieuse et la plus brûlante, l’amour qui est le premier et le dernier mot de la nature, l’amour, image terrestre de ce suprême amour qui aspire à créer, qui jouit de créer, et qui sans savoir ce qu’il veut éprouve, en créant, quelque chose d’analogue au plaisir que la création divine donne à celui qui crée, — l’attrait divin, le plaisir de Dieu en créant l’homme et les mondes ; — attrait tel que l’homme y sacrifierait mille fois sa courte vie. […] La pensée qui a tout conçu avant d’avoir rien créé ; La pensée éternelle du Cosmos, qui est Dieu ! La matière n’est pas Dieu, mais c’est l’esclave organisé dont les lois éternelles ou périssables sont créées pour recevoir et subir les lois de Dieu. Donc la pensée divine qui crée en pensant, et la matière inférieure qui reçoit et exécute les lois de Dieu : Voilà les deux éléments dont le Cosmos se compose. […] Le véritable télescope de l’homme n’est pas ce tube de bois peint, multiplicateur de la lumière et abréviateur des distances, placé au sommet d’un observatoire ; le véritable télescope, c’est le bon sens pieux de l’homme ignorant ou savant, peu importe, au travers duquel il ne voit pas, mais il conclut Dieu, le régulateur des univers qu’il lui a plu de créer, et de créer pour leur faire part de son éternité !

59. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 septembre 1886. »

Alors l’âme hautaine du poète — elle sait bien qu’elle crée volontairement sa peine — saisit le chant de ses angoisses, elle le force à être égayé, elle l’unit intimement avec sa légère jouerie. […] Les chefs-d’œuvre qui enlèvent entièrement à la réalité coutumière, Beethoven seul les a créés. […] Cependant le romantisme eut un résultat précieux : il créa l’harmonie. […] Il enrichit la langue musicale de timbres : mais il ne fit aucun usage artistique des termes qu’il créait. […] Celui-là, du moins, a créé une vie d’émotions spéciale.

60. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — L’inter-nationalisme »

On s’est obstiné à créer un antagonisme entre deux états de l’être, dont la signification profonde et féconde n’apparaît qu’alors qu’ils coexistent. Entre deux facultés vivantes, dont l’union intime engendre seule le juste équilibre, on a créé une fausse opposition. […] La division du travail et la différenciation de plus en plus complexe des fonctions ont créé entre les groupes humains des relations matérielles de plus en plus indispensables. […] Des hommes de tous pays ont pensé : « Nous, travailleurs, de nationalités différentes, dans le but de défendre nos droits, qui sont semblables, malgré la diversité de nos origines, nous nous unissons par dessus les frontières, pour témoigner de l’unité de nos intérêts et créer une solidarité qui nous est nécessaire. » C’est un lien d’humanité partielle qu’ils ont établi, non pour dénouer le faisceau que constitue chacune de leurs nationalités, mais pour renforcer leur individualité, à l’expansion de laquelle la solidarité du seul corps social n’a pas suffi. « L’Internationale ! […] J’y vois au contraire un élargissement de conscience chez les individus qui les créent.

61. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Edgar Quinet »

Il prend la Création du pied des faits où elle n’est pas, car elle est le principe générateur de tous les faits, et sa Création, quand elle serait tout ce qu’il dit, ne serait pas encore la Création, mais l’histoire des choses créées, ce qui est différent. […] Ce n’est pas la création de la langue qu’il y écrit, c’est la langue créée, et il affirme qu’elle s’est créée comme cela, sans autre preuve qu’une affirmation à l’appui. […] Quand Bonald, qui ne s’occupait pas de la langue des oiseaux pour expliquer la langue de l’homme, quand le grand Bonald, auprès duquel le gros Quinet paraît bien petit, discutait, comme il savait discuter, la création du langage de l’homme, et s’arrêtait à l’idée la plus simple, qui est aussi la plus profonde, que ce langage avait été révélé à l’homme par Dieu même, Bonald parlait bien de création, et non, comme Quinet, de chose créée.

62. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Le Sage » pp. 305-321

Lui qui ne fut jamais capable de créer un type (il n’y en a pas un seul dans ses ouvrages : Sangrado et Turcaret ne sont que des noms heureux), Le Sage a créé, sans le vouloir, quelque chose de plus mince et de plus odieux que ses œuvres. Il a créé cette chose moderne, le roman d’aventures, — qui va des Trois Mousquetaires à Rocambole ; — cette chose qui n’est pas littéraire, qui file, s’interrompt et refile, au bas des journaux, sans autre raison que de toucher, comme un postillon, ses quelque sous à chaque relais. […] On ne se doute pas des bâtards qu’on va mettre au monde pendant qu’on les fait… Le Sage ne se doutait pas qu’il sortirait de lui quelque chose comme Ponson du Terrail, qui est aux excréments actuels du feuilleton ce que lui-même, Le Sage, pouvait être à Ponson du Terrail… Or, ce genre qu’il a créé — le roman de feuilleton et d’aventures — est devenu la tyrannie et l’oppression de ceux-là même qui le méprisent le plus.

63. (1907) L’évolution créatrice « Introduction »

Créée par la vie, dans des circonstances déterminées, pour agir sur des choses déterminées, comment embrasserait-elle la vie, dont elle n’est qu’une émanation ou un aspect ? […] D’un esprit né pour spéculer ou pour rêver je pourrais admettre qu’il reste extérieur à la réalité, qu’il la déforme et qu’il la transforme, peut-être même qu’il la crée, comme nous créons les figures d’hommes et d’animaux que notre imagination découpe dans le nuage qui passe.

64. (1904) Essai sur le symbolisme pp. -

La fin de la poésie vraie, de la poésie pure 18 consiste à créer non du joli mais du beau, oui du beau. […] C’est que je ne m’affirme pas devant la forêt, je vis dedans ; celle-ci crée en moi un intérieur. […] Chaque pensée créera sa forme et le vers, enfin sensibilisé, nous offrira le minutieux, graphique des convulsions de l’âme. […] Je n’ignore pas que l’art précède l’esthétique et que les chefs-d’œuvre créent les règles. […] Les symboles, plus intimes qu’aucune sorte de signes, sont des analogies créées spontanément par la conscience pour se dire à elle-même les choses qui n’ont pas d’objectivité empirique.

65. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Popelin, Claudius (1825-1892) »

Le grammairien (au sens ancien du mot) est le savant par excellence ; il dénombre les signes, les classe et établit les rapports qu’ils peuvent avoir entre eux ; le poète surajouté au grammairien apporte à la besogne la qualité primordiale qui donne la vie aux choses, l’imagination — et le vrai poète apparaît : qu’il n’ait qu’un peu de talent, il est poète ; il peut créer, et il crée — en proportion de l’autorité qu’il a sur les signes.

66. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre premier. Que la poétique du Christianisme se divise en trois branches : Poésie, Beaux-arts, Littérature ; que les six livres de cette seconde partie traitent spécialement de la Poésie. »

influence qui a, pour ainsi dire, changé l’esprit humain et créé dans l’Europe moderne des peuples tout différents des peuples antiques. […] En effet, on peut avancer, avec quelque vraisemblance, qu’il est moins difficile de faire les cinq actes d’un Œdipe-Roi, que de créer les vingt-quatre livres d’une Iliade.

67. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juillet 1885. »

Seul vit le Moi, et seule est sa tâche éternelle : créer. Mais la création résulte des idées actuelles ; nous projetons au Néant extérieur l’image de notre essence intime ; puis, la croyant véritable, nous continuons à la créer pareille ; et nous souffrons de ses incohérences, tandis qu’elles sont ouvrage de notre plaisir. […] Il changera son habitude de créer, et, au dessus de l’Univers présent, il bâtira un Univers nouveau, jouissant ainsi, plus éperdument, puisqu’il se connaîtra, sans limites, l’auteur unique de cet Univers. […] Si les personnages de ses drames sont des souffrants, c’est qu’il était, aussi, le contemporain affiné de nos pessimisme* ; il a, joyeusement, créé le monde nouveau de l’émotion artistique ; et il a créé l’émotion douloureuse, parce qu’il la trouvait plus réelle, et vivait, la créant, plus joyeux. […] Sigurd est un opéra en quatre actes et neuf tableaux d’Ernest Reyer créé en 1884 à la Monnaie de Bruxelles puis en 1885 à l’opéra de Paris.

68. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IV : M. Cousin écrivain »

Il ne crée pas les idées, il les répand. […] sur ce que toutes les idées se réduisent à deux, celle du fini et celle de l’infini. — Il contredit toutes les habitudes françaises, il dément toutes les siennes, il se fait disciple de Hegel, en déclarant que la méthode expérimentale ne convient pas à la philosophie de l’histoire, qu’il faut, pour la construire, trouver a priori les idées fondamentales de la raison, que ces idées ont dû passer dans les faits, que les grandes périodes de l’histoire les représentent, et qu’on ne peut trouver en histoire, comme en physique, que le fini, l’infini et leur rapport. — Il s’apprête des embarras graves, en jetant imprudemment à chaque page des phrases panthéistes ; en disant par exemple que la création25 est fort aisée à comprendre et que Dieu créa le monde comme nous créons nos actions, « qu’il crée parce qu’il est une force créatrice absolue, et qu’une force créatrice absolue ne peut pas ne pas passer à l’acte. » On se souvient encore de la manière dont il absolvait l’industrie, la guerre, la philosophie, la géographie, et beaucoup d’autres choses. […] La méthode prouve d’abord que Dieu existe, puis qu’il crée le monde avec sagesse, et enfin, qu’il couronne son ouvrage en faisant l’homme.

69. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre II. Trois espèces de langues et de caractères » pp. 296-298

Lorsque l’esprit humain s’habitua à abstraire les formes et les propriétés des sujets, ces universaux poétiques, ces genres créés par l’imagination (generi fantastici), firent place à ceux que la raison créa (generi intelligibili), c’est alors que vinrent les philosophes ; et plus tard encore, les auteurs de la nouvelle comédie, dont l’époque est pour la Grèce celle de la plus haute civilisation, prirent des philosophes l’idée de ces derniers genres et les personnifièrent dans leurs comédies.

70. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre II. Les directions divergentes de l’évolution de la vie. Torpeur, intelligence, instinct. »

Elle crée, avec elles, des séries divergentes d’espèces qui évolueront séparément. […] Cet effort ne peut aboutir à créer de l’énergie, ou, s’il en crée, la quantité créée n’appartient pas à l’ordre de grandeur sur lequel ont prise nos sens et nos instruments de mesure, notre expérience et notre science. […] L’obstacle n’a rien créé de positif ; il a simplement fait un vide, il a pratiqué un débouchage. […] Et elle ne peut se satisfaire entièrement, parce que toute satisfaction nouvelle crée de nouveaux besoins. […] Et ils ont la même stabilité que les objets, sur le modèle desquels ils ont été créés.

71. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Deuxième série

Il ne faut pas créer des états d’esprit anachroniques. […] Créons la sociabilité vraie, détruisons l’incohérence, toutes les incohérences. […] Ensuite la liberté crée l’harmonie elle-même. […] L’homme les a créées tour à tour pour se changer, et il y a réussi. […] C’est Mercure qui a créé Dave, et le cyclope l’esclave des mines.

72. (1900) Poètes d’aujourd’hui et poésie de demain (Mercure de France) pp. 321-350

C’était dans son souverain pouvoir de créer un monde imaginaire que Villiers prenait le droit de mépriser le monde réel. […] Dans son beau drame poétique d’Axël, Axël est grand jusqu’au jour où il consent une minute à ce qu’existe une réalité en dehors de celles qu’il se crée à lui-même. […] Ce qui persévéra d’eux-mêmes, à travers une première poussée, fut la sève vivace qui les animait, le désir de créer du neuf, de trouver des moyens nouveaux d’expression et des nuances nouvelles de sentiment, non pas de créer une mode en poésie, mode curieuse et subtile, mais de la ramener à son devoir éternel ; c’est pourquoi l’École Décadente prit peu à peu une importance qu’on peut vraiment qualifier de considérable. […] Je crois donc qu’il ne serait pas inutile de nous arrêter un instant sur les moyens d’expression que se sont créés les poètes d’aujourd’hui. […] Mais, sans aller plus loin, je tenais à signalera à votre attention cette réforme prosodique, non seulement pour son importance littéraire, mais parce qu’elle est une marque curieuse de l’état d’esprit contemporain et que c’est bien un trait d’individualisme que d’avoir voulu créer une métrique pour ainsi dire individuelle.

73. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « V »

Toutefois entendons-nous : si, d’une part, la seule Science ne peut produire que d’habiles amateurs, — grands détrousseurs de « procédés », de mouvements et d’expressions, — consommés, plus ou moins, dans la facture de leurs mosaïques, — et, aussi, d’éhontés démarqueurs, s’assimilant, pour donner le change, ces milliers de disparates étincelles qui, au ressortir du néant éclairé de ces esprits, n’apparaissent plus qu’éteintes, — d’autre part, la foi, seule, ne peut produire et proférer que des cris sublimes qui, faute de se concevoir eux-mêmes, ne sembleront au vulgaire, hélas, que d’incohérentes clameurs : — il faut donc à l’Artiste-véritable. à celui qui crée, unit et transfigure, ces deux indissolubles dons : la Science et la Foi. — Pour moi, puisque vous m’interrogez, sachez qu’avant tout je suis chrétien, et que les accents qui vous impressionnent en mon œuvre ne sont inspirés et créés, en principe, que de cela seul. […] Et il y avait là un homme qui se sentait en lui la forcé de créer quelque chose d’aussi élevé, d’aussi sublime. […] Le Postillon de Lonjumeau est un opéra-comique en 3 actes d’Adolphe Adam créé à l’Opéra-Comique en 1836. […] Il fut créé à l’Opéra de Paris en 1838. Quant aux Troyens, il s’agit d’une grande fresque lyrique de Berlioz en cinq actes et deux parties créée en 1863 au moins dans une version tronquée.

74. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XII] »

I, chap. 5] « Les véritables philosophes n’auraient pas prétendu, comme l’auteur du Système de la Nature, que le jésuite Needham eût créé des anguilles, et que Dieu n’avait pu créer l’homme. […] Celui qui nous a créés tous doit être manifesté à tous, et les preuves les plus communes sont les meilleures, par la raison qu’elles sont les plus communes ; il ne faut que des yeux et point d’algèbre pour voir le jour. » (Corresp. gén. […] J’osai me révolter contre mon Créateur : C’est peu de me créer, il fut mon bienfaiteur. […] ……………………………………………………………………………………………… Mais, mes frères, ce n’est pas à moi de publier ces merveilles, pendant que le Saint-Esprit nous représente si vivement la joie triomphante de la céleste Jérusalem par la bouche du prophète Isaïe. « Je créerai, dit le Seigneur, un nouveau ciel et une nouvelle terre, et toutes les angoisses seront oubliées, et ne reviendront jamais : mais vous vous réjouirez, et votre âme nagera dans la joie durant toute l’éternité dans les choses que je crée pour votre bonheur : car je ferai que Jérusalem sera toute transportée d’allégresse, et que son peuple sera dans le ravissement : et moi-même je me réjouirai en Jérusalem, et je triompherai de joie dans la félicité de mon peuple219. » Voilà de quelle manière le Saint-Esprit nous représente les joies de ses enfants bienheureux.

75. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre X. Première partie. Théorie de la parole » pp. 268-299

Dire que l’homme a pu inventer la parole et créer les langues est une haute folie, si ce n’est une impiété. […] Nous le voyons pour le grec, qui n’a rien pu créer sous les Ptolémée, qui ne peut rien créer à présent quoiqu’il soit une langue vulgaire dans plusieurs contrées ; nous le voyons pour le latin, qui a été la langue des lettrés dans toute l’Europe, et qui est encore vulgaire dans la Pologne. […] L’homme de génie qui, voyant que tout est lié dans les destinées humaines, exprimerait d’avance les idées vulgaires d’un autre âge ; celui-là, comblant l’espace qui le tiendrait séparé des temps postérieurs, créerait dans l’avenir des événements et des chefs d’empire, et prédirait ainsi une épopée. […] L’esprit philosophique de Voltaire a frappé de stérilité une composition déjà aride par elle-même ; car il ne faut pas qu’un homme de talent s’imagine qu’il puisse créer la poésie, s’il ne la trouve pas toute faite. […] La poésie entre dans le domaine de l’histoire, où bientôt elle se trouve étrangère ; et, méconnaissant ses véritables attributions, elle veut créer, usurpation dont elle est punie à l’instant même par le discrédit le plus complet.

76. (1868) Curiosités esthétiques « VII. Quelques caricaturistes français » pp. 389-419

Les quelques milliards d’animalcules qui broutent cette planète n’ont été créés par Dieu et doués d’organes et de sens que pour contempler le soldat et les dessins de Charlet dans toute leur gloire. […] Il mit d’abord quelques croquis dans un petit journal créé par William Duckett ; puis Achille Ricourt, qui faisait alors le commerce des estampes, lui en acheta quelques autres. […] Plusieurs de ses Scènes populaires sont certainement agréables ; autrement il faudrait nier le charme cruel et surprenant du daguerréotype ; mais Monnier ne sait rien créer, rien idéaliser, rien arranger. […] Gavarni a créé la Lorette. […] Traviès le vit ; on était encore en plein dans la grande ardeur patriotique de Juillet ; une idée lumineuse s’abattit dans son cerveau ; Mayeux fut créé, et pendant longtemps le turbulent Mayeux parla, cria, pérora, gesticula dans la mémoire du peuple parisien.

77. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre premier. Prostitués »

Il est inquiet d’apprendre, inquiet de créer harmonieusement ; il aime le beau, il aime l’amour. […] Comment se sont créés les Maîtres ? […] Et je la prêcherai plus persuasivement à mes frères qui ont été créés comme moi pour t’admirer, t’aimer et te servir.

78. (1897) Manifeste naturiste (Le Figaro) pp. 4-5

Je souhaite que les événements en permettent le paisible emploi, de peur que ces jeunes hommes ne s’en créent à leur guise. […] Combien, aux homélies d’Ibsen, nous préférons la violente volupté, l’impudeur d’une rustique et robuste héroïne, la fresque ardente où se répandent les hautes foules que créa Zola ! […] En attendant, nous créons des poèmes.

79. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre IV. Le mécanisme cinématographique de la pensée  et l’illusion mécanistique. »

Toute action vise à obtenir un objet dont on se sent prive, ou a créer quelque chose qui n’existe pas encore. […] C’est donc en vain qu’on attribuerait à la négation le pouvoir de créer des idées sui generis, symétriques de celles que crée l’affirmation et dirigées en sens contraire. […] On ne voit pas que la trajectoire se crée tout d’un coup, encore qu’il lui faille pour cela un certain temps, et que si l’on peut diviser à volonté la trajectoire une fois créée, on ne saurait diviser sa création, qui est un acte en progrès et non pas une chose. […] Mais, pour l’artiste qui crée une image en la tirant du fond de son âme, le temps n’est plus un accessoire. […] Néant de matière, il se crée lui-même comme forme.

80. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre II. De la métaphysique poétique » pp. 108-124

Ainsi ces premiers hommes, qui nous représentent l’enfance du genre humain, créaient eux-mêmes les choses d’après leurs idées. Mais cette création différait infiniment de celle de Dieu : Dieu dans sa pure intelligence connaît les êtres, et les crée par cela même qu’il les connaît ; les premiers hommes, puissants de leur ignorance, créaient à leur manière par la force d’une imagination, si je puis dire, toute matérielle. […] Originairement Jupiter fut en poésie un caractère divin, un genre créé par l’imagination plutôt que par l’intelligence (universale fantastico), auquel tous les peuples païens rapportaient les choses relatives aux auspices.

81. (1938) Réflexions sur le roman pp. 9-257

En d’autres termes, le romancier authentique crée ses personnages avec les directions infinies de sa vie possible, le romancier factice les crée avec la ligne unique de sa vie réelle. […] Bourget estime que Taine « eût créé un type nouveau de fiction, comme il a créé depuis un type nouveau d’histoire. […] Aussi ne faudra-t-il pas demander au dernier de créer des personnages vivants. […] Prenez le poète qui a créé évidemment les héros les plus grands, Corneille. […] Le monde que nous créons, ou le monde qui se crée de nous, c’est une femme, c’est de la nature féminine, c’est de la féminité inemployée, que sais-je ?

82. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre V. Le souvenir du présent et la fausse reconnaissance »

Au fur et à mesure que la perception se crée, son souvenir se profile à ses côtés, comme l’ombre à côté du corps. […] Supposons en effet que le souvenir ne se crée pas tout le long de la perception même : je demande à quel moment il naîtra. […] Plus on y réfléchira, moins on comprendra que le souvenir puisse naître jamais s’il ne se crée pas au fur et à mesure de la perception même. […] Et c’est pourquoi nous jugeons que le souvenir d’une perception ne saurait se créer avec cette perception ni se développer en même temps qu’elle. […] Le mot a été créé par M. 

83. (1911) Psychologie de l’invention (2e éd.) pp. 1-184

Ces faits ne créent pas la tendance, mais ils la rendent consciente et sous une forme immédiatement concrète. […] Il peut les modifier, les refaire, en créer de nouveaux, il ne saurait tout changer. […] Tel imite qui, peut-être, aurait à peu près créé ce qu’il va subir. […] Parfois même l’imitateur crée encore d’une manière assez remarquable. […] L’idée fausse parfois l’esprit qui la créa.

84. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Méditations sur l’essence de la religion chrétienne, par M. Guizot. »

Les savants cherchent, observent, conçoivent, conjecturent, induisent ; le chrétien tranche, et, en vertu du livre révélé, il répond que Dieu un jour a créé la terre, et puis l’homme. […] Il est bien clair que Dieu, ayant créé la terre et l’homme tout exprès, et l’un pour l’autre, n’a point dû laisser ce dernier à l’aventure ni dans l’embarras. « Le Dieu qui crée est aussi le Dieu qui conserve », le Dieu qui surveille, le Dieu qui guide. Voltaire, avec son Dieu qui crée l’homme et le laisse faire ensuite comme le plus méchant des singes, exposé d’ailleurs à tous les hasards et à tous les fléaux, Voltaire est inconséquent, et son déisme ne porte sur rien. […] Soigneux d’échapper aux apparences trompeuses, il sait que le talent de la parole crée plus de choses encore qu’il n’en exprime.

85. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre II. Du goût, de l’urbanité des mœurs, et de leur influence littéraire et politique » pp. 414-442

Cette contention d’esprit sur des intérêts frivoles en tout, excepté par l’influence qu’ils exerçaient sur le bonheur, ce besoin de réussir, cette crainte de déplaire, altéraient, exagéraient souvent les vrais principes du goût naturel : il y avait le goût de tel jour, celui de telle classe, enfin celui qui devait naître de l’esprit général créé par de semblables rapports. […] Mais la société, c’est-à-dire, des rapports sans but, des égards sans subordination, un théâtre où l’on appréciait le mérite par les données les plus étrangères à sa véritable valeur ; la société, dis-je, en France, avait créé cette puissance du ridicule que l’homme le plus supérieur n’aurait pu braver. […] La nature a créé des remèdes aux grandes douleurs de l’homme ; le génie est de force avec l’adversité, l’ambition avec les périls ; la vertu avec la calomnie ; mais le ridicule peut s’insinuer dans la vie, s’attacher aux qualités même, et les miner sourdement à leur insu. […] Si des faveurs de l’opinion nous passons au maintien du pouvoir légal, nous verrons que l’autorité est en elle-même un poids que les gouvernés ont peine à supporter ; les esprits qui ne sont pas créés pour la servitude, éprouvent d’abord une sorte de prévention contre la puissance. […] Il importe de créer en France des liens qui puissent rapprocher les partis, et l’urbanité des mœurs est un moyen efficace pour arriver à ce but.

86. (1892) Boileau « Chapitre VII. L’influence de Boileau » pp. 182-206

Mais surtout sa gloire acquise par des œuvres critiques et dogmatiques, ses vers passés en proverbes ou reconnus pour les lois de l’art d’écrire, persuadent à des gens de lettres par toute l’Europe que les théoriciens peuvent créer une littérature ou lui imposer une direction : on perd de vue tout ce que l’œuvre de Despréaux continue et achève ; au lieu d’un terme et d’un couronnement, on y voit un commencement, une création de mouvement ; et l’on agit en conséquence. […] Mais, pour la même raison, il ne peut se donner à lui-même par sa seule énergie ce que l’imitation de l’antiquité avait aidé les grands classiques à créer : une poésie originale, qui fût vraiment une œuvre d’art. […] Ses vrais artistes et ses grands poètes, un Marivaux, un Buffon, un Rousseau, se créent une prose, et laissent le vers, dont ils ne savent l’emploi. […] À la fin du xviiie  siècle, en vérité, on se trouve si loin du vrai Boileau et des grands artistes auxquels la haute partie de sa doctrine s’appliquait, que quand nous y rencontrons un classique, mais un pur classique au grand et beau sens du mot, selon l’esprit profond de l’Art poétique, un artiste capable de sentir la nature et de créer la beauté, nous sommes tentés d’en faire un révolutionnaire et le précurseur d’un art nouveau. […] Boileau ne sortit pas indemne de toutes ces polémiques : il en garda un fâcheux renom de pédant et de cuistre, qui mit son œuvre en défaveur ; et même aujourd’hui, après tant d’années, quand depuis si longtemps le combat a cessé, et qu’il ne reste plus même que le souvenir des anciens partis, nous ne sommes point encore revenus des préjugés créés contre lui par l’acharnement qu’on mit au temps du romantisme à rendre sa doctrine responsable des misérables productions de l’art pseudo-classique.

87. (1890) L’avenir de la science « V »

Sans doute ce monde enchanté, où a vécu l’humanité avant d’arriver à la vie réfléchie, ce monde conçu comme moral, passionné, plein de vie et de sentiment, avait un charme inexprimable, et il se peut qu’en face de cette nature sévère et inflexible que nous a créée le rationalisme, quelques-uns se prennent à regretter le miracle et à reprocher à l’expérience de l’avoir banni de l’univers. […] Car le monde véritable que la science nous révèle est de beaucoup supérieur au monde fantastique créé par l’imagination. […] Et pourtant on était libre alors de créer des merveilles ; on taillait en pleine étoffe, si j’ose le dire ; l’observation ne venait pas gêner la fantaisie ; mais c’était à la méthode expérimentale, que plusieurs se plaisent à représenter comme étroite et sans idéal, qu’il était réservé de nous révéler non pas cet infini métaphysique dont l’idée est la base même de la raison de l’homme, mais cet infini réel, que jamais il n’atteint dans les plus hardies excursions de sa fantaisie. […] Il faut bien se figurer que ce qui est surpasse infiniment en beauté tout ce qu’on peut concevoir, que l’utopiste qui se met à créer de fantaisie le meilleur monde n’imagine qu’enfantillage auprès de la réalité, que, quand la science positive semble ne révéler que petitesse et fini, c’est qu’elle n’est pas arrivée à son résultat définitif. […] De même, pour que l’humanité se crée une nouvelle forme de croyances, il faut qu’elle détruise l’ancienne, ce qui ne peut se faire qu’en traversant un siècle d’incrédulité et d’immoralité spéculative.

88. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIII : De la méthode »

Ainsi le microscope a créé l’embryogénie, l’anatomie microscopique, l’anatomie et la physiologie des animaux inférieurs. Ainsi les nouvelles compositions et décompositions chimiques ont créé la chimie organique et une partie de la physiologie récente. Ainsi les vivisections ont créé presque toute la physiologie du système nerveux. […] La même analyse crée les sciences morales, et par le même moyen. […] L’historien s’est créé un thermomètre, son âme.

89. (1903) Articles de la Revue bleue (1903) pp. 175-627

Sans effort il a créé un symbole puissant et original. […] L’artiste, en créant le fond, doit aussi créer la forme. […] Qu’il crée de la Beauté ! […] Un histrion grimé peut duper un instant la foule avec des gestes de mensonge, il peut simuler la force et faire croire qu’il crée quelque chose en édifiant des châteaux de cartes ; mais, s’il n’est pas un véritable artiste, il ne créera rien, car la création, pour l’artiste comme pour la mère qui enfante, est une œuvre de vérité et une œuvre d’amour. […] Ce qu’il a créé, n’essayons pas de le mettre en poussière.

90. (1896) Essai sur le naturisme pp. 13-150

Il se crée un univers spécial. […] Il faut chanter non pas dans l’unique but de créer des strophes inanimées. […] Ainsi il peut créer des héros véridiques et atteindre, en même temps, à l’Épopée. […] Et ce sont celles-ci qui créent les poètes. […] Le poète ne crée rien.

91. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — V »

V À s’efforcer en quelques traits de marquer le centre du point de vue que toutes les considérations précédentes avaient pour objet de créer, on pense devoir mettre en évidence ce fait : l’incompatibilité absolue qu’il a fallu constater — entre l’existence d’une vérité objective fixant un terme au mouvement, — et une réalité située dans le devenir et dont l’essence est le mouvement. […] Ce geste émane donc, puisqu’on le voit accompli, d’un pouvoir antérieur au fait même de l’intelligence et qui crée l’intelligence avec le phénomène ; il est corrélatif et contemporain du geste métaphysique, qui fragmente l’unité essentielle, où se manifesté l’action d’un principe irrationnel, et où éclaté une intervention tout arbitraire. […] Mais cette vérité n’ayant point d’existence, ce qu’il nous faut constater, c’est que cette croyance absurde fut assez forte pour créer une réalité, pour être un moule, pour contraindre la substance phénoménale — c’est ici la mentalité humaine — à répéter à travers la durée une suite de mouvements semblables et dirigés vers un même but.

92. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Dupont-White »

Or, ici, la question de l’État, qui est toute la question de son livre, vient de nouveau se poser à propos du progrès, et si cette question, qui dévore tout, reste sans solution et sans lumière, elle projette la misère de son indécision sur toutes les idées de l’auteur : « L’État — dit-il — ne crée pas toujours le progrès, mais il peut le créer. » Et voilà que l’éternel embarras recommence ! Quel est l’État qui crée le progrès ?

93. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « La doctrine symboliste » pp. 115-119

Le changement de direction dans le mouvement constitue la forme… « Le poète délaissant la copie du monde extérieur créera ses formes esthétiques par le dégagement de l’essentiel dans les éléments que fournit la nature. […] Les Symbolistes, au contraire, ne voulaient rien garder de nos vieux usages et ambitionnaient de créer de toutes pièces un nouveau mode d’expression.

94. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre X. Machines poétiques. — Vénus dans les bois de Carthage, Raphaël au berceau d’Éden. »

Plus parfait que tous les êtres créés, il occupe la première place près de l’Être infini. […] Dieu le créa le premier.

95. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre IV. Pourquoi le génie d’Homère dans la poésie héroïque ne peut jamais être égalé. Observations sur la comédie et la tragédie » pp. 264-267

C’est que les caractères poétiques dont Horace admire dans ses ouvrages l’incomparable vérité, se rapportèrent à ces genres créés par l’imagination (generi fantastici), dont nous avons parlé dans la métaphysique poétique. […] Créés par de si puissantes imaginations, ces caractères ne pouvaient être que sublimes.

96. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre VI. Utilité possible de la conversation »

La parole est ainsi la meilleure épreuve de l’idée, qu’elle fait sortir des régions vagues et obscures de l’intelligence : elle la crée autant qu’elle en est créée.

97. (1913) Le bovarysme « Deuxième partie : Le Bovarysme de la vérité — II »

Mais leur courage viendrait sans doute à défaillir s’il leur fallait constater que tous leurs efforts ne vont qu’à remplacer un mensonge par un autre et que les conditions mêmes de la vie phénoménale les condamnent à créer sans cesse des perspectives plus ou moins fausses. […] Se croyant destiné à atteindre la vérité, l’homme à tout moment crée le réel.

98. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre (2e partie) » pp. 5-80

Son visage sévère regarde le fleuve et semble encore animer cette navigation, créée par le génie du fondateur. […] Sur ces rives désolées, d’où la nature semblait avoir exilé la vie, Pierre assit sa capitale et se créa des sujets. […] Ce génie est la justice même, le protecteur de tout ce qui est créé. […] Il est créé comme un monde. […] Il veut faire rire, et il était créé pour faire penser ; il marche, en un mot, entre Voltaire et Pascal, mais plus près de Pascal.

99. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VI »

Dans la suite de sensations qu’est la vie, à côté de l’ensemble de sensations hétérogènes qu’est la réalité, — créer des séries sensationnelles plus homogènes, donc plus intenses, c’est le but de l’art. […] Contemplons, d’une tristesse placide, cette magnitude d’effort humain, l’art créé par un Wagner. […] La Muette de Portici est un opéra de Daniel-François-Esprit Auber, sur un livret de Scribe et Delavigne, créé le 29 février 1828 à Paris. […] Le Prophète de Meyerbeer fut créé à l’opéra de Paris en 1849. Les Troyens, opéra en cinq actes d’Hector Berlioz sur un livret du compositeur, inspiré de l’Énéide de Virgile fut créé en 1863 au Théâtre Lyrique à Paris.

100. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIIe entretien » pp. 87-159

Il s’ensuit, avec la même certitude, qu’il y a pour l’homme immatériel, ou pour l’âme incorporelle de l’homme enfin délivrée de ses sens, une autre destinée, destinée immatérielle toute correspondante aussi à la nature intellectuelle et morale de cet être créé appelé homme ici-bas, et on ne sait de quel nom divin ailleurs. […] L’infâme cynique Rabelais, cet Aristophane gaulois, créait une langue avec de la boue, comme l’antiquité avait créé une Vénus avec de l’écume. […] Tacite et Juvénal dans la même page, il crée une langue à la vigueur de ses aversions et de ses amours. […] Elle créa la langue de l’entretien. […] Ce caractère sacerdotal de la haute littérature de ce siècle devait créer un genre de style complétement propre au christianisme, souverainement original et qui n’avait d’exemple dans aucune des littératures antiques.

101. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (2e partie) » pp. 417-487

Donc, le suprême législateur est celui qui a créé d’avance en nous l’écho préexistant de ses lois, la conscience, cet écho humain de la justice divine ! […] L’homme a été créé par Dieu un être essentiellement sociable, tellement sociable que, s’il cesse un moment d’être sociable, il cesse d’exister ; l’état de société lui est aussi nécessaire pour exister que l’air qu’il respire ou que la nourriture qui soutient sa vie. […] « Je n’ai pas seulement créé les pères », fait dire le sage persan au Créateur, « j’ai créé les fils et les générations des fils sur la terre. […] Dieu lui doit la même part de sa providence, puisqu’il l’a créé avec la même part de son amour ; la société lui doit la même part de sa justice, puisqu’elle lui impose, proportionnellement à son intelligence et à ses forces, la même part de ses charges, de ses sacrifices, de ses lois dans l’ordre moral. […] Quand bien même l’homme voudrait en créer, de ces privilèges contre Dieu, il ne le pourrait pas : c’est plus fort que lui, ce serait vengé par lui, il trouverait l’insurrection en lui, sa conscience, à lui, se révolterait contre lui : c’est fatal.

102. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juillet 1886. »

Ainsi les musiciens, toujours, furent pleinement réalistes : ils n’ont point créé pour la musique des émotions nouvelles : ils ont recréé, plus vivantes, les émotions qui, dans l’habitude, poignaient leurs âmes. […] Puis sous l’hétérogénéité montante des émotions, naît une forme plus complexe, l’emploi des accords : quelques sons nouveaux sont créés, par des alliances de notes. […] Puis les grecs Ctesibius et Hiéron créèrent un instrument déjà plus complexe, l’Orgue, dont les médaillons conformâtes nous montrent les naïves fuselures. […] Elle fut créée en Allemagne vers la fin du dix-septième siècle, par le maître Jean Sébastien Bach. […] Bach avait créé la musique moderne : il lui avait donné les émotions qu’elle devait exprimer, et la langue où elle les devait exprimer.

103. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre I. Le Bovarysme chez les personnages de Flaubert »

Il lui faut créer elle-même pour sa consommation individuelle tous les objets avec lesquels elle prend contact. […] Mais la critique lui fait défaut : elle ignore l’intervalle qui sépare la réalité créée par elle de la réalité collective. […] Une semblable présomption détermine Bouvard et Pécuchet à s’incarner tour à tour dans tous les rôles créés par l’activité des hommes. […] À son aurore il a réalisé son désir dans la croyance religieuse ; car il possédait alors le pouvoir d’objectiver sa foi, de créer la réalité de son désir avec la force même et l’intensité de son désir. […] Elle est l’effet de notre puissance et elle est plus forte que nous. » 4 Or cette croyance scientifique que nous avons créée comme la précédente, en est à cette période de jeunesse et de prospérité où une croyance est plus forte que celui qui la crée.

104. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Résumé et conclusion »

Elle ne crée rien ; son rôle est au contraire d’éliminer de l’ensemble des images toutes celles sur lesquelles je n’aurais aucune prise, puis, de chacune des images retenues elles-mêmes, tout ce qui n’intéresse pas les besoins de l’image que j’appelle mon corps. […] L’image en est donc actuellement donnée, et dès lors les faits nous permettent indifféremment de dire (quittes à nous entendre très inégalement avec nous-mêmes) que les modifications cérébrales esquissent les réactions naissantes de notre corps ou qu’elles créent le duplicat conscient de l’image présente. […] Si, dans le cas d’un objet présent, un état de notre corps suffisait déjà à créer la représentation de l’objet, à plus forte raison cet état suffira-t-il encore dans le cas du même objet absent. […] L’intelligence, se mouvant à tout moment le long de l’intervalle qui les sépare, les retrouve ou plutôt les crée à nouveau sans cesse : sa vie consiste dans ce mouvement même. […] Et il crée ainsi l’opposition dont il se donne ensuite le spectacle.

105. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Macaulay »

Il est mort avec des millions, là où un poète comme Chatterton et un historien comme Gibbon, qui eut le tort de ne pas écrire une histoire anglaise, étaient à peu près morts de faim, et il fut créé Lord dans ce Parlement d’Angleterre qui avait cru payer son prix fort au génie de son grand Walter Scott, en en faisant un baronnet ! […] Il consiste à prendre un livre quelconque et à exécuter sur ce livre autant de variations qu’on en peut avoir dans l’esprit, comme un instrumentiste habile en exécute sur un thème qu’il n’a pas créé. […] Tout ce qui écrivait voulut écrire dans cette espèce de rhythme, oserai-je dire, dans cette forme équilibrée et docte où le critique pouvait se montrer aussi grand à sa manière que l’homme qu’il critiquait s’était montré grand à la sienne, et créer à son tour, comme l’homme dont il jugeait l’œuvre avait créé. […] Enfin il fut créé baronnet comme Walter Scott, et pair d’Angleterre à moitié de sa vie, ce que ne fut pas ce vieux génie de Walter Scott, qui se coucha sans ce manteau dans la terre ingrate de son pays !

106. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Appendice aux articles sur Roederer. (Voir page 393.) » pp. 533-543

Mais ces essais, à moins du génie d’un Shakespeare qui devine et qui crée, sont nécessairement faibles, traînants et infidèles à distance ; tout l’esprit, d’ailleurs, qu’on y peut mettre et tous les procédés d’étude ne réussissent jamais à y donner le cachet authentique. […] Il fallait tout créer, il a tout créé. […] le général thiébault. — Oui ; mais il fait de si grandes choses de son pouvoir, il en lire un parti si supérieur à ce qu’en ferait un autre, que c’est comme s’il créait encore.

107. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre III. De la vanité. »

Celle qui se vouerait à la solution des problèmes d’Euclide, voudrait encore le bonheur attaché aux sentiments qu’on inspire et qu’on éprouve ; et quand elles suivent une carrière qui les en éloigne, leurs regrets douloureux, ou leurs prétentions ridicules prouvent que rien ne peut les dédommager de la destinée pour laquelle leur âme était créée. […] L’imagination peut créer, embellir par ses chimères, un objet inconnu ; mais celui que tout le monde a jugé, ne reçoit plus rien d’elle. […] Ce n’est pas d’abord à satisfaire des sentiments de haine et de fureur que des décrets barbares ont été consacrés, c’est aux battements de mains des tribunes ; ce bruit enivrait les orateurs et les jetait dans l’état où les liqueurs fortes plongent les sauvages ; et les spectateurs eux-mêmes qui applaudissaient, voulaient par ces signes d’approbation, faire effet sur leurs voisins, et jouissaient d’exercer de l’influence sur leurs représentants : sans doute, l’ascendant de la peur a succédé à l’émulation de la vanité, mais la vanité avait créé cette puissance qui a anéanti, pendant un temps, tous les mouvements spontanés des hommes. […] L’envie, qui cherche à s’honorer du nom de défiance, détruit l’émulation, éloigne les lumières, ne peut supporter la réunion du pouvoir et de la vertu, cherche à les diviser pour les opposer l’un à l’autre, et crée la puissance du crime, comme la seule qui dégrade celui qui la possède ; mais quand de longs malheurs ont abattu les passions, quand on a tellement besoin de lois, qu’on ne considère plus les hommes que sous le rapport du pouvoir légal qui leur est confié, il est possible que la vanité, alors qu’elle est l’esprit général d’une nation, serve au maintien des institutions libres.

108. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XV. Commencement de la légende de Jésus  Idée qu’il a lui-même de son rôle surnaturel. »

D’autres fois, on lui créait dès le berceau des relations avec les hommes célèbres, Jean-Baptiste, Hérode le Grand, des astrologues chaldéens qui, dit-on, firent vers ce temps-là un voyage à Jérusalem 688, deux vieillards, Siméon et Anne, qui avaient laissé des souvenirs de haute sainteté 689. […] On ne saurait méconnaître dans ces affirmations de Jésus le germe de la doctrine qui devait plus tard faire de lui une hypostase divine 713, en l’identifiant avec le Verbe, ou « Dieu second 714 », ou fils aîné de Dieu 715, ou Ange métatrône 716, que la théologie juive créait d’un autre côté 717. […] C’est Jean l’évangéliste ou son école qui plus tard cherchèrent à prouver que Jésus est le Verbe, et qui créèrent dans ce sens toute une nouvelle théologie, fort différente de celle du royaume de Dieu 720. Le rôle essentiel du Verbe est celui de créateur et de providence ; or Jésus ne prétendit jamais avoir créé le monde, ni le gouverner.

109. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Th. Gautier. Émaux et Camées »

se la créer ! […] Gautier, que la faculté de l’expression, arrivée à ce degré fulgurant de supériorité, crée la poésie et la créerait encore, quel que fût le système d’idées dans lequel se plaçât le poète, — fût-ce même dans le plus abaissé de tous !

110. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre IV. De la méthode » pp. 81-92

Quoique ce monde ait été créé particulièrement et dans le temps, les lois qu’elle lui a données, n’en sont pas moins universelles et éternelles. […] Nous dirons plus : celui qui étudie la Science nouvelle, se raconte à lui-même cette histoire idéale, en ce sens que le monde social étant l’ouvrage de l’homme, et la manière dont il s’est formé devant, par conséquent, se retrouver dans les modifications de l’âme humaine, celui qui médite cette science s’en crée à lui-même le sujet. […] Ainsi la Science nouvelle procède précisément comme la géométrie, qui crée et contemple en même temps le monde idéal des grandeurs ; mais la Science nouvelle a d’autant plus de réalité que les lois qui régissent les affaires humaines en ont plus que les points, les lignes, les superficies et les figures.

111. (1890) Dramaturges et romanciers

Nous comprenons tout à la condition de ne rien créer ; voilà notre faiblesse et notre infirmité. […] L’âme ainsi touchée aura vécu et compris la vie, elle ne l’aura pas créée. […] Cependant on crie à la décadence dès qu’on prononce leurs noms, comme s’ils étaient coupables de l’avoir créée. […] L’amour révèle la beauté, mais ce n’est pas lui qui l’a créée ; la beauté est un don gratuit des dieux à la terre. […] Peu importe qu’il n’égale pas les splendeurs créées par ses devanciers, pourvu qu’il découvre à son tour des terres nouvelles.

112. (1923) Paul Valéry

Mais en les abandonnant il n’a pas seulement jalonné la route qui le conduisait à la philosophie, il a créé cette route. […] Mais l’une et l’autre se ressemblent en ce qu’elles créent directement de la vie sans passer par l’imitation de la vie donnée dans la nature. […] Un mouvement qui crée la substance poétique avec l’absence de la substance réelle. […] L’affaire des mortels n’est pas de connaître, mais de créer, c’est-à-dire de faire ce qui n’est pas encore. […] Ce qu’elle retrouve, ce que nous retrouvons, dans l’élan de notre être profond, c’est l’élan même du monde, c’est la création, qui ne se fait pas autrement que nous-mêmes ne créons, ne nous créons.

113. (1908) Après le naturalisme

La fonction a créé l’organe. […] Un centre se crée. […] L’esprit crée des notions, des idées. […] La vie crée en lui l’esprit et l’esprit, aussitôt devient indispensable. […] Ils se créent mutuellement.

114. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

En un mot, Ballanche a développé un mythe, Fénelon a créé une allégorie. […] Rien n’est admis par hasard dans un cerveau qui crée ; là toute image est l’objet d’un choix réfléchi. […] Rome a créé l’unité du gouvernement, elle a fait la place territoriale des pasteurs ; mais c’est la Grèce qui a créé l’unité de l’esprit humain, c’est elle qui a préparé dans le troupeau des âmes la place à la lumière souveraine en qui réside l’autorité des pasteurs. […] L’esprit humain ne pense, Dieu lui-même n’a créé que suivant les rythmes. […] Puisque l’art humain ne peut pas créer la vie, qu’il crée au moins l’image et le symbole.

115. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Sainte-Beuve, Charles-Augustin (1804-1869) »

Victor Hugo Poète, dans ce siècle où la poésie est si haute, si puissante et si féconde, entre la messénienne épique et l’élégie lyrique, entre Casimir Delavigne qui est si noble et Lamartine qui est si grand, vous avez su, dans le demi-jour, découvrir un sentier qui est le vôtre et créer une élégie qui est vous-même. […] la maladie n’est-elle pas un état de l’âme pour lequel Dieu devait créer sa poésie et sen poète ?

116. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre IX. Application des principes établis dans les chapitres précédents. Caractère de Satan. »

pourquoi sa volonté toute-puissante ne me créa-t-elle au rang de quelque ange inférieur ! […] Satan se repentant à la vue de la lumière qu’il hait, parce qu’elle lui rappelle combien il fut élevé au-dessus d’elle, souhaitant ensuite d’avoir été créé dans un rang inférieur, puis s’endurcissant dans le crime par orgueil, par honte, par méfiance même de son caractère ambitieux ; enfin, pour tout fruit de ses réflexions, et comme pour expier un moment de remords, se chargeant de l’empire du mal pendant toute une éternité : voilà, certes, si nous ne nous trompons, une des conceptions les plus sublimes et les plus pathétiques qui soient jamais sorties du cerveau d’un poète.

117. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Conclusion » pp. 355-370

Mais l’artiste crée tout, sa méthode, sa matière et son œuvre, et l’auteur d’un système philosophique est comme l’artiste. Or, pour créer, il faut avoir du génie. […] Ils créent des idées grandioses, comme les poètes de grandioses images, et il est rare que la faculté créatrice d’images et la faculté créatrice d’idées se trouvent réunies dans le même homme, rare surtout qu’elles fonctionnent ensemble.

118. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre II. La commedia dell’arte » pp. 10-30

Aux quinzième et seizième siècles, la comédie improvisée devint un art très savant qui lutte avec la comédie régulière, qui crée plus que celle-ci des caractères durables, qui laisse dans l’imagination des peuples une trace plus profonde, et qui se vulgarise et se popularise dans toute l’Europe. […] Les bouffons et les masques créèrent les types qui allaient se perpétuer et devenir bientôt cosmopolites. […] La commerçante Venise caricaturait le vieux marchand, tantôt magnifique, tantôt avare, vaniteux, galant et toujours dupé, et créait messer Pantalon.

119. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre X. Seconde partie. Émancipation de la pensée » pp. 300-314

Dieu ne répète pas à chaque instant l’acte de sa toute-puissance par lequel il créa le monde ; et le monde cependant est une suite de créations successives, qui s’opèrent par l’effet toujours le même de cet acte de la volonté de Dieu. […] Ancillon a dit : « Rien ne prouve davantage qu’originairement et dans le principe, les existences et la réalité sont données à l’homme que de voir la métaphysique tout entière, en quelque sorte, déposée dans les langues, à l’insu de ceux qui les ont créées et perfectionnées. […] Beaucoup de philosophes qui, dans leurs méditations, sont partis de ces termes, se sont imaginé créer ce que l’âme humaine y avait placé sans le savoir, et en cédant à une espèce d’instinct de vérité ; tandis que, dans la réalité, ils n’ont fait que découvrir ce qui reposait dans les langues, et révéler aux yeux de l’âme surprise les trésors qu’elle-même y avait cachés ! 

120. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Lenient » pp. 287-299

Très soigné, très brossé, très épousseté, très convenable, cet habit couvre proprement la nullité de la personne, quand elle est nulle (et elle peut l’être), et crée à son profit une honnête, et, pour les myopes, une forte illusion. […] De tels livres, du reste, sont la preuve de ce que l’éducation toute seule peut donner en fait d’hommes, car je ne vois dans ce livre (exécuté avec des choses purement apprises) que ce que l’éducation y a créé et y a mis. […] Lenient et son livre forment tous deux le résultat le plus favorisé de la pisciculture intellectuelle, qui crée du talent avec un semis de connaissances, et comme elle peut, le fait lever.

121. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 avril 1885. »

C’est une dégradation de teintes, une poussière de rais, un mica de sons, qui se meurent avec le dernier écho du cantique perdu au loin ; — et la nuit tombe sur cette immatérielle nature, créée par le génie d’un homme, maintenant repliée sur elle-même dans une inquiète attente. […] Fidèle à son origine, le drame doit créer pleinement la vie, toujours présente, sous la forme symbolique du mythe populaire. […] Dans le drame il avait vu, d’abord, un moyen d’arracher les auditeurs à leur vie quotidienne, pour leur donner la jouissance d’une vie plus complète, créée. […] Cet art créé, tout d’une pièce par le génie de Richard Wagner, le maître a tenté d’en exposer le principe, sous une forme didactique. […] Il créa les opéras de Wagner à Londres.

122. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « Remarques finales. Mécanique et mystique »

Il y a d’autre part une morale dynamique, qui est élan, et qui se rattache à la vie en général, créatrice de la nature qui a créé l’exigence sociale. […] Mais la morale elle-même reste inexpliquée, puisqu’il aurait fallu creuser la vie sociale en tant que discipline exigée par la nature, et creuser la nature elle-même en tant que créée par la vie en général. […] Parfois, le seul fait de pousser plus loin qu’il ne semblait raisonnable conduit à un entourage nouveau, crée une situation nouvelle, qui supprime le danger en même temps qu’il accentue l’avantage. […] Une intelligence, même surhumaine, ne saurait dire où l’on sera conduit, puisque l’action en marche crée sa propre route, crée pour une forte part les conditions où elle s’accomplira, et défie ainsi le calcul. […] Il a créé une foule de besoins nouveaux ; il ne s’est pas assez préoccupé d’assurer au plus grand nombre, à tous si c’était possible, la satisfaction des besoins anciens.

123. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VIII »

Tout ceci le disposa à créer un drame « de la longueur ordinaire, avec peu de personnages, peu de mise en scène, et relativement facile » (VII, 159 ; etc.). […] Le maître ne s’astreignait plus aux anciennes règles du moyen âge ; il créait une allitération adaptée aux besoins de son poème. […] Mais c’est ici que se révèle la puissance supérieure de l’art créé par Wagner. […] Il n’y a pas entre le poème et la composition une trentaine d’années de vie et de travail, ainsi que ce fut le cas pour la Goetterdaemmerung ; tout est d’un jet, et créé rapidement, à l’exclusion de toute autre pensée. […] L’architecte Gottfried Semper (1803-1879), a réalisé l’Hoftheater de Dresde (inauguré en 1841) où Wagner créa trois de ces premières œuvres.

124. (1890) L’avenir de la science « X » pp. 225-238

Que dire encore de cette merveilleuse synthèse intellectuelle, qui fut nécessaire pour créer un système de métaphysique comme la langue sanscrite, un poème sensuel et doux comme l’hébreu ? Que dire de cette liberté indéfinie de créer, de ce caprice sans limite, de cette richesse, de cette exubérance, de cette complication qui nous dépasse ? […] L’homme et la nature créèrent, tandis qu’il y eut un vide dans le plan des choses ; ils oublièrent de créer, sitôt qu’aucun besoin ne les y força. […] C’est la masse qui crée ; car la masse possède éminemment, et avec un degré de spontanéité mille fois supérieur, les instincts moraux de la nature humaine. […] Il faut laisser chaque siècle se créer sa forme et son expression originales.

125. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 novembre 1885. »

C’est un nouveau genre qu’elle crée, le plus élevé selon elle. […] Le maître allemand a donc créé une intégration supérieure d’éléments jusque là disconnexes, à la manière dont des feuilles alliées et modifiées constituent une fleur. […] Pourquoi crée-t-elle un certain nombre d’individus humains, doués de conscience et de liberté ? […] Il cherche à appliquer la théorie de l’évolution à tous les domaines de la pensée et à créer un système global qui relierait tous les domaines de la connaissance. […] Proche du compositeur, il crée Parsifal à Bayreuth en 1882 et le dirige jusqu’en 1894.

126. (1894) Propos de littérature « Chapitre III » pp. 50-68

Non pas qu’il recherche savamment l’équilibre des plans lumineux pour créer ainsi de lointaines et aériennes perspectives ; mais par le sentiment né d’un coloris clair et sain, en ses récits comme à la surface des eaux, la brise passe d’un vol libre ; ils fleurent les parfums des prairies, respirent de l’aurore à l’égal du jour souple des bois et de strophe en strophe s’étendent et s’éjouissent de vivre ainsi qu’un paysage caressé par une bruine de soleil. […] Elle réaliserait à ce point de vue son idéal, si, sans délaisser non plus la noble station, elle créait l’harmonie des mouvements. […] ……………………………………………… Presque toujours aussi, lorsque les formes s’arrêtent comme fixées, elles n’ont point chez M. de Régnier le relief apparent de celles que créait le Parnasse. […] Qu’il ne faut point juger d’après ce qu’elle nous donne ces jours d’hui, mais d’après ce qu’elle peut créer.

127. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VII. L’antinomie pédagogique » pp. 135-157

C’est aux pédagogues de créer les réalités mentales et les lois psychologiques encore inexistantes. Loin que la pédagogie dépende de la psychologie, c’est elle qui commande cette dernière science et même qui doit créer son objet. […] L’éducation ne crée rien ; elle n’établit non plus rien de définitif. […] Elle ne crée pas les réalités mentales de demain, selon le vœu ambitieux de M. 

128. (1876) Du patriotisme littéraire pp. 1-25

Nous nous demanderons alors si cette facilité de créer des mots, cette profusion de termes qui sont le propre de l’allemand ne se trouvent pas acquises au détriment de la clarté, de la netteté chez nous traditionnelles. […] De notre temps si la Prose s’altère sur quelques points, c’est pour s’enrichir par tant de conquêtes : rappelons-nous la comédie élargissant son domaine, le roman agrandi suscitant ses véritables chefs-d’œuvre, l’histoire faisant de son champ jadis étroit tout un monde d’explorations et de découvertes, la critique vraiment fondée et promue à la dignité d’un genre original où cinq à six hommes supérieurs ont véritablement créé, l’érudition réconciliée avec le beau style et devenue l’une des provinces de la haute littérature, la politique rendant parfois de mauvais services à la pureté de la langue, mais produisant aussi dans la presse et à la tribune d’admirables écrits de polémique et de non moins admirables discours, la philosophie et la religion enfin pour de nouveaux besoins et avec de nouveaux interprètes se créant aussi une langue nouvelle. […] Le génie poétique des autres peuples a rempli des saisons entières, créé des chefs-d’œuvre que les nôtres ont égalé mais n’ont pas toujours surpassé. […] Avec la Renaissance, avec la Pléiade les Rythmes se sont élancés du sol, comme les soldats de Cadmos, et tous agiles, dansants, ailés ; et de la France ils se sont répandus en Europe, appelés et saisis par les poètes de l’Espagne, de l’Italie et de l’Angleterre qui créèrent ou reforgèrent alors toute leur métrique d’après la nôtre.

129. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XVI. Le Paradis. »

Tout est machine et ressort, tout est extérieur, tout est fait pour les yeux dans les tableaux du paganisme ; tout est sentiment et pensée, tout est intérieur, tout est créé pour l’âme dans les peintures de la religion chrétienne. […] C’est une chose assez bizarre que Chapelain, qui a créé des chœurs de martyrs, de vierges et d’apôtres, ait seul placé le paradis chrétien dans son véritable jour.

130. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre IV. De la morale poétique, et de l’origine des vertus vulgaires qui résultèrent de l’institution de la religion et des mariages » pp. 168-173

Les hommes se créèrent, sous le nom de Junon, un symbole de ces mariages solennels. […] Cette innocence n’était autre chose qu’une superstition fanatique qui, frappant les premiers hommes de la crainte des dieux que leur imagination avait créés, leur faisait observer quelque devoir malgré leur brutalité et leur orgueil farouche.

131. (1828) Préface des Études françaises et étrangères pp. -

Victor Hugo a non seulement composé un grand nombre de magnifiques odes, mais on peut dire qu’il a créé l’ode moderne ; cette ode, d’où il a banni les faux ornements, les froides exclamations, l’enthousiasme symétrique, et où il fait entrer, comme dans un moule sonore, tous les secrets du cœur, tous les rêves de l’imagination, et toutes les sublimités de la philosophie. […] Le Français né malin créa le Vaudeville. […] Et puis, où sont donc les tragédies créées, parmi celles que depuis trente ans on nous a données pour nouvelles ? […] Casimir de la Vigne, œuvre essentiellement philosophique, qui peut-être n’a pas cet intérêt vulgaire que cherche d’abord la foule, mais qui frappe tous les esprits distingués par des situations fraîches, des caractères créés et par un style de poète. […] Il faut ou créer ou traduire », rien de pire en effet qu’un portrait qui n’est pas ressemblant.

132. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Première partie. De la parole et de la société » pp. 194-242

Le verbe, enfin, embrasse tous les temps, et crée le souvenir et la prévision. […] Cela même est si vrai que la faculté de comprendre toute l’économie d’une langue quelconque annonce l’esprit le plus vaste et le plus profond : que serait-ce donc s’il s’agissait d’inventer cette langue ou de créer le langage ? […] Il est étonnant qu’ayant refusé à l’homme le pouvoir de créer la parole, ce dernier N4ait pas été conduit, par la rigueur de la conséquence, à lui refuser aussi le pouvoir de perfectionner les langues. […] L’intelligence humaine fut créée par ces hommes merveilleux, dont les noms ont péri : quelques-uns seulement ont survécu pour être un signe de convention parmi les hommes. […] Que l’on me permette donc cette dernière question : S’il est impossible de bien expliquer ce qui est, à moins de le montrer en quelque sorte, comment pourrait-on parvenir à le créer ?

133. (1902) Le chemin de velours. Nouvelles dissociations d’idées

La foule crée le succès ; la caste crée la beauté. […] Surtout elle ne crée pas l’intelligence. […] L’homme créait ; la femme apprenait par cœur. […] Mais presque aussitôt créées, elles lui ont échappé. […] Un homme nouveau est créé.

134. (1874) Premiers lundis. Tome II « Alexis de Tocqueville. De la démocratie en Amérique. »

Le grand nombre, l’extrême division, la courte durée des fonctions publiques dans la Commune, créent au sein de chacun de ces petits mondes un mouvement continu où trouvent à s’exercer, d’accord avec les relations ordinaires de la vie, le désir de l’estime, le goût du bruit et du pouvoir. […] Les Américains, en instituant deux Chambres, n’ont pas voulu créer une Assemblée héréditaire et une autre élective ; ils n’ont pas prétendu faire de l’une un Corps aristocratique, et de l’autre un représentant de la démocratie ; donner dans l’un un auxiliaire au pouvoir, et dans l’autre un organe au peuple : ils n’ont voulu que diviser la force législative, ralentir le mouvement des Assemblées politiques, et créer un tribunal d’appel pour la révision des lois.

135. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La révocation de l’Édit de Nantes »

Quand Henri IV écrivait l’Édit de Nantes, c’est l’unité qu’il voulait créer dans l’État, comme Louis XIV, plus tard, voulait la créer à son tour, la rendre plus simple et plus profonde, en rapportant l’Édit de son illustre aïeul. […] Quand, de ce côté-ci de la Révolution française, avec des idées de liberté religieuse que cette révolution a créées, nous ne voyons qu’une passion indigne du grand roi dans la révocation de l’Édit de Nantes, une passion odieuse et payée d’un immense désastre industriel, nous ne discernons réellement que la moitié des choses, et nous mettons entre nous et les mobiles de Louis XIV l’épaisseur de nos propres conceptions.

136. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXXII. L’Internelle Consolacion »

Traduction, imitation, paraphrase de cet ouvrage célèbre dans la langue naïve et primesautière que le Moyen Âge a créée, ceci, tel qu’on nous l’exhume, et tel que ces MM.  […] à se créer une Église sans sacrements, et un Évangile sans surnaturel ? […] Malgré le succès qui s’est attaché à l’entreprise de M. de Lamennais comme s’il était de la destinée de l’Imitation, ce livre heureux, de créer des succès à ces traducteurs eux-mêmes, combien n’avons-nous pas souffert de voir le génie éclatant et sombre de l’auteur de l’Indifférence se débattre dans un genre de travail si antipathique à sa nature !

137. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Mgr Rudesindo Salvado »

Mais ce qu’on sait moins, ce qu’on n’explique pas et ce que le livre de Mgr Salvado nous montre avec une évidence nouvelle sur laquelle nous croyons utile d’insister, c’est que l’apport de la vie sociale aux brutes de la horde humaine n’est jamais que le fait du prêtre catholique, et qu’en dehors du prêtre catholique rien n’est possible, même aux gouvernements les plus forts qui veulent créer des sociétés à leur image et les frapper à leur effigie, sous le coup de balancier de leurs colonisations ! […] Dans le préjugé général du monde, ce gouvernement passe pour essentiellement colonisateur, quoiqu’on pût démontrer, si on le voulait bien, que là où il a cru fonder des colonies, il n’a créé, en définitive, que des égouts sociaux, des casernes et des comptoirs. […] Eh bien, où madame Beecher-Stowe a vu le mal et l’a peint en forçant le trait d’une main convulsive, Mgr Salvado a donné tranquillement le remède, et nous ne croyons pas que, depuis les Prisons de Silvio Pellico, appelées si heureusement : « la Marseillaise de la miséricorde », le catholicisme, qui ne dilate pas l’orgueil, qui ne crée pas la haine et la colère, même la généreuse colère !

138. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Docteur Favrot »

Ces bâtisseurs de lazarets pour les vivants n’ont pas pensé à créer des lazarets pour les morts. […] un Ordre religieux déjà créé, — ou, ce qui vaudrait mieux, qu’on créerait spécialement pour cet office et qu’on appellerait l’Ordre des Morís ! 

139. (1773) Essai sur les éloges « Morceaux retranchés à la censure dans l’Essai sur les éloges. »

En 1636, il crée, pour avoir de l’argent, vingt-quatre charges nouvelles : le parlement se plaint ; le cardinal fait emprisonner cinq magistrats. […] Après la prise de Corbie, en 1636, on avait à peine de quoi payer les troupes : il fut réduit à la misérable ressource de créer des charges de conseiller au parlement. […] Il ne sera pas mis non plus parmi ces grands hommes d’état nés pour être conquérants et législateurs, puissants par leur génie, grands par leur propre force, qui ont créé leur siècle et leur nation, sans rien devoir ni à leur nation ni à leur siècle : cette classe des souverains n’est guère plus nombreuse que la première ; mais il en est une troisième qui a droit aussi à la renommée : ce sont ceux qui, placés par la nature dans une époque où leur nation était capable de grandes choses, ont su profiter des circonstances sans les faire naître ; ceux qui avec des défauts ont déployé néanmoins un esprit ferme et toute la vigueur du gouvernement, qui, suppléant par le caractère au génie, ont su rassembler autour d’eux les forces de leur siècle et les diriger, ce qui est une autre espèce de génie pour les rois ; ceux qui, désirant d’être utiles, mais prenant l’éclat pour la grandeur, et quelquefois la gloire d’un seul pour l’utilité de tous, ont cependant donné un grand mouvement aux choses et aux hommes, et laissé après eux une trace forte et profonde.

140. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre II. Corneille »

Mais, dès ces premiers temps, il avait créé à son usage une forme de comédie, sobre, sérieuse, vraie, sur laquelle nous reviendrons. Puis il créa la tragédie vraie, à laquelle il se tint. […] Ainsi les volontés, dans le théâtre de Corneille, se créent à elles-mêmes, et les unes aux autres, par leurs actes, des situations qui leur donnent occasion de changer non leurs essences, mais leurs formes, de renouveler, de diversifier, et de croître leur effort. […] Corneille n’était pas sans le comprendre, puisqu’il a essayé de créer au-dessous de la tragédie une comédie héroïque, destinée à l’analyse des caractères politiques. […] Il ne crée pas, avec les mots, les images, les harmonies de son vers, une sorte d’atmosphère poétique où vivront ses héros ; au contraire, il dessine la courbe de leur effort sur un fond neutre, qui laisse la pensée libre, et ne dérobe aucune partie de l’attention.

141. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre premier. La solidarité sociale, principe de l’émotion esthétique la plus complexe »

Ces arts ne cherchent pas à créer la vie ou à paraître la créer, ils se bornent à prendre des produits tout faits de la nature, qu’ils ne modifient que très superficiellement et sans les soumettre à une réorganisation profonde. […] Notre sensibilité s’élargit de toute l’étendue du monde créé par la poésie. […] Alors se crée un milieu moral et mental où nous sommes constamment baignés et qui se mêle à notre vie propre : dans ce milieu, l’induction réciproque multiplie l’intensité de toutes les émotions et celle de toutes les idées, comme il arrive souvent dans les assemblées, où un grand nombre d’hommes réunis sont en communication de sentiments et de pensées. […] En résumé, l’art est une extension, par le sentiment, de la société à tous les êtres de la nature, et même aux êtres conçus comme dépassant la nature, ou enfin aux êtres fictifs créés par l’imagination humaine.

142. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’art et la sexualité »

Si la vie, en développant ces jeunes êtres atrophiés, ne les détourne pas de l’excitation solitaire de leurs cerveaux, si elle ne parvient pas à submerger leurs délicatesses de mauvais aloi sous un torrent de brutalités, s’ils n’arrivent pas enfin à comprendre que pour créer il faut étreindre, et soulever la matière vivante, vibrer en elle et la faire vibrer en soi, et qu’en cette double action résident la vie et la beauté, s’ils continuent à n’être dans le monde, qui les méprise, que des spécialistes et des vendeurs de pommade, à quel titre pourrions-nous les admettre, si, malgré la plus exquise délicatesse de l’amoureux le plus exquis de lui-même, nous continuons à préférer franchement aux plaisirs solitaires, les joies solidaires ? […] Des roses de pourpre sur un fond bleu-noir, Orné d’étoiles et bardé d’éclairs : Une nuit de printemps créa le miracle, Dans les bras voluptueux de l’Amour. […] Non seulement la fonction normale de la chair et du sexe ne détruit pas la vie de la pensée, mais elle lui communique la force nécessaire pour créer, elle alimente et renouvelle sa fécondité, comme l’eau du fleuve fertilise la terre desséchée, incapable de produire d’elle-même. Il n’est même pas exagéré de prétendre que l’acte sexuel, qui crée suivant les lois de la chair, apporte également au cerveau la fécondation nécessaire pour en faire éclore les germes. […] Si les prévisions d’aujourd’hui ne nous trompent pas, la pensée de l’avenir s’orientera, en chaque individu, vers une existence panthéistique, où tous les éléments qui nous entourent rempliront librement leur rôle respectif à notre égard, une existence qui, loin de sombrer dans cet océan d’actions et de réactions, s’enrichira du tout, de chaque parcelle d’univers, créée pour nourrir sa prodigieuse et toujours plus vaste unité.

143. (1911) L’attitude du lyrisme contemporain pp. 5-466

Tout poète a le droit de créer sa prosodie. […] Par là il créa de la beauté et fit vrai. […] L’attitude parnassienne correspondait au mouvement positiviste créé par la philosophie. […] Dieu a créé les âmes pour sa gloire et satisfaire son besoin d’expansion. […] La peinture et l’architecture ont été créées pour vivre en d’étroits rapports.

144. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juin 1885. »

C’était les mêmes lignes, aux entrelacements énigmatiques, aux signes merveilleusement emmêlés, sous lesquelles le grand Albrecht Dürer avait reproduit le secret du monde de la Lumière et de ses formes ; créé le livre enchanté du Nécromant, qui projette sur le Microcosme la lumière du Macrocosme. […] Jamais l’art le plus élevé n’a créé une chose plus simple que cette mélodie dont l’innocence enfantine nous pénètre comme d’un frisson sacré, lorsque nous entendons le thème, d’abord, joué à l’unisson, en des murmures uniformes, par les instruments de basse de l’orchestre de cordes. […] Elle signifie l’alliance, naturelle, nécessaire, des trois formes de l’Art, plastique, littéraire, musicale, dans la communion d’une même fin, unique : créer la vie, inciter les âmes à créer la vie. […] Wyzewa définit le wagnérisme comme une « doctrine esthétique » qui a la valeur d’une révélation philosophique et qui suppose « l’alliance naturelle, nécessaire, des trois formes de l’Art, plastique, littéraire, musicale, dans la communion d’une même fin unique, créer la vie, inciter les âmes à créer la vie. » Ainsi, cette doctrine s’applique-t-elle à toutes les formes de l’art, et surtout pas à la seule musique. […] Il assiste à Bayreuth à une série de représentations de la Tétralogie qui lui permet de créer entre 1876 et 1898 une quarantaine d’oeuvres diverses qui lui valurent d’être considéré comme le peintre wagnérien par excellence.

145. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Troisième série

N’ayant pas réussi à en créer un nouveau, il répare l’ancien, ou les anciens. […] Elles créent ainsi une classe moyenne qui va jusqu’à former la moitié de la nation. […] La victoire crée non seulement un chef, ce dont la démocratie s’accommode, mais une hiérarchie, ce qui est son contraire. […] La démocratie, sans le vouloir, par le jeu seul de son mécanisme, crée ici une aristocratie et la conserve. […] L’histoire de l’humanité, c’est l’humanité cherchant à créer l’ordre dans son sein, à tirer la justice du chaos.

146. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre I. Malherbe »

Il exprimait aussi ce besoin non moins universel de comprendre, cette disposition rationaliste, qui n’a pas été créée par le cartésianisme, mais qui l’a créé au contraire : il était avide de clarté, de netteté, prenant pour guide et souverain maître « le sens commun, contre lequel, disait-il, la religion à part, vous savez qu’il n’y a orateur au monde qui me pût rien persuader ». […] Mais on peut dire que Malherbe a manqué de clairvoyance sur un point essentiel : il n’a pas su reconnaître ou créer la forme poétique de cet esprit nouveau, qu’il était le premier à manifester.

147. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « G.-A. Lawrence »

Au moins, si les caractères créés par l’auteur de Guy Livingstone sont coupables, leurs fautes ou leurs crimes ont de la grandeur. S’ils n’ont pas cette moralité qui est le dernier degré de l’art et de la difficulté pour un romancier ou un poète, car l’homme qui se cherche dans tout ne s’intéresse guères à ce qui est irréprochable, au moins leur idéalité est-elle à moitié chemin de cette moralité, presque impossible à introduire dans un roman ou dans un poème sans le plus rare et le plus incroyable génie ; car Richardson lui-même, qui a créé Lovelace, a raté Grandisson ! […] Les deux femmes qui créent, par l’antagonisme de leurs sentiments, le drame de son livre, il en a monté les qualités et les défauts jusqu’à cette note suraiguë qu’il appelle l’outrance, cette outrance que vous retrouvez jusque dans le dénoûment si peu attendu d’un pareil livre, où un colosse de l’énergie et de l’orgueil de Guy Livingstone finit par se transformer jusqu’à subir patiemment et sublimement le plus cruel outrage, sous l’empire des sentiments les plus nobles et les plus doux de la nature humaine : le respect de la parole donnée, le repentir et la fidélité dans l’amour.

148. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « G.-A. Lawrence » pp. 353-366

Au moins, si les caractères créés par l’auteur de Guy Livingstone sont coupables, leurs fautes ou leurs crimes ont de la grandeur. S’ils n’ont pas cette moralité qui est le dernier degré de l’art et de la difficulté pour un romancier ou un poëte, car l’homme qui se cherche dans tout ne s’intéresse guère à ce qui est irréprochable, au moins leur idéalité est-elle à moitié chemin de cette moralité, presque impossible à introduire, dans un roman ou dans un poëme sans le plus rare et le plus incroyable génie, car Richardson lui-même, qui a créé Lovelace, a raté Grandisson ! […] Les deux femmes qui créent, par l’antagonisme de leurs sentiments, le drame de son livre, il en a monté les qualités et les défauts jusqu’à cette note suraiguë qu’il appelle l’outrance, cette outrance que TOUS retrouvez jusque dans le dénoûment si peu attendu d’un pareil livre, où un colosse de l’énergie et de l’orgueil de Guy Livingstone finit par se transformer jusqu’à subir patiemment et sublimement le plus cruel outrage sous l’empire des sentiments les plus nobles et les plus doux de la nature humaine : le respect de la parole donnée, le repentir et la fidélité dans l’amour.

149. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 40-47

Il est certain qu’il n’eut jamais d’autre guide que son propre génie, qui, créé pour le sublime, entraîné par cette vigueur, cette énergie & cette fécondité qui lui étoient si naturelles, le portoit de lui-même vers les plus grands objets, & la Tragédie seule pouvoit développer ses richesses, en lui présentant des sujets dignes de son activité. […] On diroit qu’il crée les sentimens & les expressions.

150. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre IV. De quelques poèmes français et étrangers. »

Klopstock a aussi créé une sorte de séraphins mystiques inconnus avant lui. […] On n’était pas même obligé de créer toutes les merveilles : en fouillant le Critias, les chronologies d’Eusèbe, quelques traités de Lucien et de Plutarque, on eût trouvé une ample moisson.

151. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 25, des personnages et des actions allegoriques, par rapport à la poësie » pp. 213-220

Les personnages allegoriques parfaits sont ceux que la poësie créé entierement, ausquels elle donne un corps et une ame, et qu’elle rend capables de toutes les actions et de tous les sentimens des hommes. […] Mais inventer une action chimerique et créer des personnages du même genre que l’action, c’est être imposteur plûtôt que poëte.

152. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre V. Observations philosophiques devant servir à la découverte du véritable Homère » pp. 268-273

Enfin la nouvelle comédie, née à l’époque où les Grecs étaient le plus capables de réflexion, créa des personnages tout d’invention ; de même, dans l’Italie moderne, la nouvelle comédie ne reparut qu’au commencement de ce quinzième siècle, déjà si éclairé. […] Dans ce travail de l’esprit, les peuples, qui à cette époque étaient pour ainsi dire tout corps sans réflexion, furent tout sentiment pour sentir les particularités, toute imagination pour les saisir et les agrandir, toute invention pour les rapporter aux genres que l’imagination avait créés (generi fantastici), enfin toute mémoire pour les retenir.

153. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Addition au second livre. Explication historique de la Mythologie » pp. 389-392

Lorsque l’idée d’une puissance supérieure, maîtresse du ciel et armée de la foudre, a été personnifiée par les premiers hommes sous le nom de Jupiter, la seconde divinité qu’ils se créent est le symbole, l’expression poétique du mariage. […] Plus tard on donna un sens métaphysique à cette fable de la naissance de Minerve, et on y vit la découverte la plus sublime de la philosophie, savoir, que l’idée éternelle est engendrée en Dieu par Dieu même, tandis que les idées créées sont produites par Dieu dans l’intelligence humaine.

154. (1898) Émile Zola devant les jeunes (articles de La Plume) pp. 106-203

Mais il a créé des monstres, et ses personnages nous apparaissent trop, vraiment, comme des fruits fantastiques de son imagination. […] La vie ne craignait pas d’en créer un de plus dans le défi brave de son éternité. […] Au risque de faire des monstres, il fallait bien qu’elle créât puisque malgré les malades et les fous qu’elle crée, avec l’espoir sans doute que les bien portants et les sages viendront un jour. […] quelle idée restreinte vous faites-vous donc de la Justice, ou bien quelle équivoque essayez-vous de créer en nos esprits ? […] Car vous supposez que les lettrés n’attendirent pas la mise en littérature du transformisme ou de l’évolutisme pour créer des courants d’idées nouvelles.

155. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre III. Les immoralités de la morale » pp. 81-134

La morale sous toutes ses formes est, en somme, la résultante des efforts de cet être supérieur pour vivre et se créer par nous, pour nous dompter et nous faire travailler à ses fins. […] L’incohérence de l’action sociale qui développe l’incohérence individuelle, crée par une sorte d’action en retour de nouvelles incohérences sociales. […] Dieu ordonne le bien, il ne le crée pas. […] Si la morale traditionnelle est un rêve enfantin, les autres morales que nous pouvons voir créer sont des rêves aussi, un peu plus rapprochés peut-être du possible, mais à bien des égards irréalisables — heureusement irréalisables car ils démoliraient à coup sûr ce qu’ils prétendent édifier. […] La sociologie tend bien aussi à masquer ces conflits, mais elle marche ainsi contre ses principes de science, chercheuse de vérité, et ne pourra peut-être pas créer les mêmes illusions que la métaphysique religieuse ou rationaliste.

156. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VII. La littérature et les conditions économiques » pp. 157-190

Cela revient à dire que l’art suppose une société où les besoins urgents de la vie sont déjà satisfaits ; il faut du loisir pour goûter les œuvres des poètes ; il en faut pour les créer. […] Il chercha longtemps un pays où il pût créer « une république d’hommes vertueux ». […] Ainsi qu’il arrive toujours, cette littérature humanitaire (humanitaire est, pour le dire en passant, un mot né alors) excite des railleries et des colères ; elle crée de la sorte, par contrecoup, une littérature contraire. […] Ils ont soumis à des règles sévères la représentation des pièces, la reproduction des romans ; une législation internationale commence à se créer pour empêcher d’un pays à l’autre les fraudes de la contrefaçon. […] Mais que les marchands de prose ou de vers tirent à eux la grosse part du profit au détriment de ceux qui ont eu la peine et l’honneur de créer, c’est un mal plus capable d’influer sur la quantité que sur la qualité de la production littéraire.

157. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre II. De la reconnaissance des images. La mémoire et le cerveau »

Ces mouvements, en se répétant, se créent un mécanisme, passent à l’état d’habitude, et déterminent chez nous des attitudes qui suivent automatiquement notre perception des choses. […] Les nerfs afférents apportent au cerveau une excitation qui, après avoir choisi intelligemment sa voie, se transmet à des mécanismes moteurs créés par la répétition. […] Elle crée ainsi à nouveau la perception présente, ou plutôt elle double cette perception en lui renvoyant soit sa propre image, soit quelque image-souvenir du même genre. […] Mais toute perception attentive suppose véritablement, au sens étymologique du mot, une réflexion, c’est-à-dire la projection extérieure d’une image activement créée, identique ou semblable à l’objet, et qui vient se mouler sur ses contours. […] Ainsi, nous créons ou reconstruisons sans cesse.

158. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion dynamique »

Le principe actif, mouvant, dont le seul stationnement en un point extrême s’est exprime par l’humanité, exige sans doute de toutes les espèces créées qu’elles se cramponnent à la vie. […] Laissons donc de côté ces négations, et voyons si l’examen le plus superficiel de l’expérience mystique ne créerait pas déjà une présomption en faveur de sa validité. […] Pour lui obéir tout à fait, il faudrait forger des mots, créer des idées, mais ce ne serait plus communiquer, ni par conséquent écrire. […] La Création lui apparaîtra comme une entreprise de Dieu pour créer des créateurs, pour s’adjoindre des êtres dignes de son amour. […] Il est évident qu’ils entendent par là une énergie sans bornes assignables, une puissance de créer et d’aimer qui passe toute imagination.

159. (1882) Types littéraires et fantaisies esthétiques pp. 3-340

Quelle atmosphère mystique a été soudainement créée ! […] Son procédé pour créer des hommes ressemble à celui de la nature. […] Le modèle le plus parfait de l’idéal classique a été créé avec ce limon primitif. […] Elle a créé en lui un état d’âme qui est devenu constant et sans lequel le malheureux ne pourrait plus vivre. […] Ils la créent par leur volonté et leur labeur pratique.

160. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

Nous ne créons rien, nous n’inventons rien. […] Dieu crée le monde, soit ; toutes les énergies qui lui sont nécessaires, il les lui donne. […] Ils renouvelaient la littérature surtout en l’affranchissant : c’est créer que de permettre de naître. […] Ils créent dans le vide de leur ignorance, et dans le vertige, doux encore et innocent, de leurs rêves. […] Il ne sait pas créer un être tout à fait vivant.

161. (1895) Le mal d’écrire et le roman contemporain

On ne se la crée plus, on la demande ; on ne l’acquiert pas, on vous la donne. […] C’est la haine de Paris et de la civilisation moderne qui a créé le talent de Flaubert. […] Songez à Flaubert, qui avec un livre s’est créé en un jour la renommée du fécond Balzac. […] Quelles ressources se créerait la littérature si elle pouvait devenir professionnelle. […] Le don de créer n’est-il qu’une évocation, et l’imagination seulement de la mémoire ?

162. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 4. Physionomie générale du moyen âge. »

La grandeur du moyen âge est dans son double principe : par ce libre contrat féodal qui assure les relations en maintenant l’indépendance des individus, il crée un sentiment nouveau, celui de l’honneur, et en fait la base même de l’organisation sociale. […] Saint-Front de Périgueux, l’abbaye du Mont-Saint-Michel, les églises d’Auvergne, tout cet art roman qui s’épanouit au xie  siècle, l’art gothique qui le continue, voilà par où le moyen âge participa au désir de créer, à la faculté de sentir le beau.

163. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XII. Mort d’Edmond de Goncourt » pp. 157-163

Il voulut imaginer, il s’imposa le gros travail de créer. […] À cet effet, il s’était presque créé un style.

164. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VI. Recherche des effets produits par une œuvre littéraire » pp. 76-80

Vive le poète patriote, qui a créé l’âme du vieil Horace ! […] C’est que les idées sont des forces ; animées par la passion, elles renversent et elles édifient ; elles transforment le présent ; elles créent l’avenir ; elles ne guident pas seulement l’humanité, elles la modèlent à leur image.

165. (1923) L’art du théâtre pp. 5-212

Ce serait miracle s’il la créait viable dans le présent pour l’avenir. […] Il ne suffit pas d’opposer entre eux les éléments extrêmes qui composent la vie, pour créer de la vie. […] Il était incapable de sortir de lui-même et de créer des personnages. […] … Bientôt sa fougue tombe, lasse de créer dans le vide. […] Il fallait les revivifier, au risque de créer un autre poncif plus vulgaire.

166. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 février 1886. »

Pendant que Beethoven, puis Wagner, traduisaient les émotions de leur âme et de leur race dans la langue musicale que leur avaient faite les musiciens classiques du XVIIIe siècle, nos compositeurs russes devaient traduire les émotions des âmes et des races slaves dans la langue musicale séculaire que les naïves chansons des paysans leur avaient créée. […] Sans doute les grands poètes ont créé une vie plus haute et meilleure que d’autres ne pouvaient le faire : mais le musicien, pour exprimer pleinement par sa musique la vie émotionnelle d’un personnage, doit recréer entièrement ce personnage ; et il est à craindre que les inventions des grands poètes ne puissent pas être revécues aussi entièrement par lui que ses propres inventions. […] Pour cela, il est indispensable que Bayreuth reste ce qu’il est et qu’on ne tombe pas dans l’erreur de vouloir imiter dans les théâtres soumis à la Mode, ce qui ne peut être réalisé, en vérité, que dans l’unique théâtre créé par le Maître. […] Il y a encore beaucoup à faire, à créer, à Bayreuth ; et pour chaque Wagneriste, il y a à contribuer à la formation de ce public idéal, de ce « peuple d’idéalistes » que Wagner nous a décrit, non pas de gens « qui se font des idéals » dans le sens banal du mot, mais d’hommes vivant dans l’idée, voyant l’Art et y croyant. […] De son temps il n’y avait pas d’art national allemand, pas de formes poétiques qui répondissent à ses idées hautement artistiques : il n’avait pas en lui-même la force d’en créer : de là cette lutte funeste.

167. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Paroles d'un croyant »

vous êtes le protecteur de l’innocent et de l’opprimé, car c’est votre amour qui a créé le monde, et c’est votre justice qui le gouverne. […] » ils répondaient : « Nous n’aimons point, nous obéissons. » « Et quand on leur montrait les autels du Dieu qui a créé l’homme et du Christ qui l’a sauvé, ils s’écriaient : « Ce sont là les dieux de la patrie ; nos dieux à nous sont les dieux de ses maîtres, la Fidélité et l’Honneur. » « Je vous le dis en vérité, depuis la séduction de la première femme par le serpent, il n’y a point eu de séduction plus effrayante que celle-là. […] Mais la jeunesse, la nouveauté vive triomphe à tout moment par la pensée même ; la franchise du sentiment crée la beauté : ainsi, dans le chapitre de l’Exilé : « J’ai vu des jeunes hommes, poitrine contre poitrine, s’étreindre comme s’ils avaient voulu de deux vies ne faire qu’une vie, mais pas un ne m’a serré la main : l’Exilé partout est seul. » Le chapitre de la mère et de la fille n’offre pas une seule couleur nouvelle ; mais Celui qui donne aux fleurs leur aimable peinture, et qui inspira la simplicité de Ruth et de Noémi, a envoyé son sourire sur ces pages.

168. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Baudelaire, Œuvres posthumes et Correspondances inédites, précédées d’une étude biographique, par Eugène Crépet. »

On raffine sur les sensations ; on en crée presque de nouvelles par l’attention et par la volonté ; on saisit des rapports subtils entre celles de la vue, celles de l’ouïe, celles de l’odorat (ces dernières surtout ont été recherchées de Baudelaire) ; on se délecte du monde matériel, et, en même temps, on le juge vain, — ou abominable  C’est encore, en amour, l’alliance du mépris et de l’adoration de la femme, et aussi de la volupté charnelle et du mysticisme. […] Mais lui-même avait écrit : « Créer un poncif, c’est le génie. Je dois créer un poncif. » Il y a parfaitement réussi.

169. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre V. Chanteuses de salons et de cafés-concerts »

Son âme, simple et profonde, ne put s’enfermer en ces formes créées par son esprit compliqué et puéril : il écrivit des Romances sans paroles. […] Nous avons tué cet être que Dieu n’avait pas encore créé et qu’il ne créera probablement plus : le grand Poète de la Joie que Verlaine serait devenu à si bon marché.

170. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre premier. Astronomie et Mathématiques. »

Archimède doit sa gloire à Polybe, et Voltaire a créé parmi nous la renommée de Newton. […] C’est celle-là qu’il fallait savoir pour entrer dans l’école des disciples de Socrate ; elle voit Dieu derrière le cercle et le triangle, et elle a créé Pascal, Leibnitz, Descartes et Newton. […] Lorsque, dans un siècle impie, l’homme vient à méconnaître l’existence de Dieu, comme c’est néanmoins la seule vérité qu’il possède à fond, et qu’il a un besoin impérieux des vérités positives, il cherche à s’en créer de nouvelles, et croit les trouver dans les abstractions des sciences.

171. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Le roi Stanislas Poniatowski et Madame Geoffrin »

L’éditeur de ces lettres, qui prend les choses de très haut, et qui ne s’étonne pas d’un état social où les classés commençaient à se mêler comme des numéros de loto dans leur sac, n’appuie pas beaucoup sur la question de savoir quelle fut la circonstance qui créa, de par un sentiment, une situation presque officielle en Europe, et sans exemple dans l’Histoire, depuis la nymphe Égérie, entre une marchande de glaces et le prince étincelant qui devait devenir Stanislas-Auguste. […] Ce fut la séduction de Poniatowski, qui créait l’amitié comme l’amour, ce fut la séduction de cet homme fait pour être aimé par les femmes et dont c’était la vraie destinée, bien plus que d’être Roi, ce fut cette même séduction qui lui avait donné Catherine II, la brûlante Bacchante à tête froide, qui lui amena aussi la raisonnable Madame Geoffrin. […] V Le portrait gravé par Rajon à la tête du volume, et qui représente ce Roi de beauté créé Roi politique par une femme, nous le montre avec son cou nu de taureau adouci découvert jusqu’à la poitrine, et ses magnifiques épaules pleines de promesses viriles et nonobstant d’une grâce tombante d’épaules de femme.

172. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVI. Buffon »

Outre qu’en bonne justice, ces corrections sont insignifiantes, elles ne le seraient pas qu’elles n’ajouraient rien au respect qu’on doit à Buffon, qui, après avoir pris la part du lion dans cette histoire naturelle dont il a eu la grande pensée, créa, avec l’histoire, des naturalistes pour l’écrire, à côté de lui. […] C’est alors qu’il créa des naturalistes qui durent l’aider dans le gouvernement de ce Jardin, ouvert aux produits des quatre règnes de la nature et qui vinrent de tous les coins du globe s’y accumuler ! […] « il créait l’anatomie comparée, dit M. 

173. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Raymond Brucker. Les Docteurs du jour devant la Famille » pp. 149-165

Il n’était pas, d’ailleurs, de vocation absolue, un romancier, quoiqu’il ait fait aussi des romans, et, entre autres, ces Docteurs du jour, qui ont un cadre romanesque dessiné pour y mettre bien autre chose que des romans, et qui pourtant en contiennent un, si ce n’est deux… Brucker avait d’autres facultés que celles-là avec lesquelles on crée des fictions intéressantes ou charmantes, et ces facultés impérieuses et précises avaient trop soif de vérité pour s’arrêter beaucoup aux beautés du rêve, qui traversèrent cependant son imagination dans la chaleur de sa jeunesse, quand, par exemple, il écrivit en collaboration ce roman des Intimes, oublié, comme s’il l’avait fait seul, malgré les diamants d’esprit qu’y jeta Gozlan et qui ne firent point pâlir les rubis que lui, Brucker, plaça à côté… La gerbe de facultés différentes qu’avait Brucker et qui se nuisaient peut-être les unes aux autres par le fait de leur nombre, avaient, au centre du magnifique bouquet qu’elles formaient, deux fleurs superbes et excessivement rares : la métaphysique, — non pas froide chez lui comme chez les autres métaphysiciens, mais de feu, — et une puissance de formule algébrique qui donnait à ses idées et à son style — même littérairement — une rigueur et une plénitude incomparables. […] La Paternité, qui crée la Famille, insultée maintenant et presque avilie dans une société où les mœurs et les comédies qui les réfléchissent montrent le père toujours inférieur aux enfants et éternellement bafoué par eux ; entamée, de plus, par une philosophie qui a créé l’individualisme moderne et par une révolution qui, du premier coup, enleva à la Famille le droit d’aînesse, cette Paternité a eu bientôt contre elle une effroyable et universelle conspiration, et on le conçoit, car plus une société devient irréligieuse, plus elle peut se passer de père et de Dieu !

174. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Funck Brentano. Les Sophistes grecs et les Sophistes contemporains » pp. 401-416

Locke, sorti de Bacon, est le créateur de cette étroite philosophie de la sensation, qui a créé à son tour le sensualisme corrompu et corrupteur du xviiie  siècle, et Bacon, lui, le créateur de l’expérimentalisme, a créé encore, par-dessus la tête de Locke, ce Darwin qui a remplacé la métaphysique par de l’histoire naturelle, Darwin qui, en philosophie, a le même mérite que de Luynes, l’éleveur de pies-grièches, en politique. […] L’a-t-il créé par sa réflexion ou le tient-il de la main d’un maître ?

175. (1902) Symbolistes et décadents pp. 7-402

Les havres qu’il se crée en des paysages presque lyriques, et féminins et imaginaires, sont-ils des paysages réels ? […] Que signifie cette prétendue abolition des castes, qui crée des riches et des ilotes et ceci au nom de sciences qui, sous leurs noms de sophisme, mysticisme, gnosticisme, scholastique, Kabbale, Talmuds, n’ont rien su créer ? […] Il eût aimé enseigner, instruire, prouver par de la pureté les bonnes intentions du grand Tout qui se crée lui-même ; il était adepte du bouddhisme moderne, — comme un apôtre, du christianisme. […] Le carillonneur est le seul habitant mental de la ville qu’il s’est créée. […] Les meilleurs se rangent près de lui, dont Sainte-Beuve, qui, d’après quelques indications anglaises, crée une poésie personnelle, pédestre, intime, et explique le romantisme par sa critique.

176. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (3e partie) » pp. 193-271

C’est Dieu qui a créé les grands corps qui roulent sur nos têtes dans les espaces célestes, et c’est lui qui maintient la régularité éternelle de leurs révolutions, de même qu’il leur a imprimé l’impulsion primitive qui les a lancés dans le ciel. […] Le temps, au contraire, a commencé avec le monde, quand Dieu l’a créé et y a mis un ordre merveilleux. […] À cette occasion, Aristote loue Anaxagore d’avoir considéré l’Intelligence, dont il fait le principe du mouvement, comme absolument impassible et absolument pure, à l’abri de toute affection et de tout mélange ; car c’est seulement ainsi qu’étant immobile, elle peut créer le mouvement, et qu’elle peut dominer le reste du monde en ne s’y mêlant point. […] Il y aura dans le premier moteur deux parties : l’une, qui meut sans être mue elle-même ; l’autre, qui est mue et meut à son tour ; la première, qui crée le mouvement ; la seconde, qui le reçoit et le transmet. […] Mais, au vrai, il n’y a de loi morale que dans le cœur de l’homme ; et celui qui a créé les mondes avec les lois éternelles qui les régissent, n’a rien fait d’aussi grand que notre conscience.

177. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite.) »

Le journal, tel qu’il est constitué de nos jours, a créé une charge, une fonction capitale et des plus actives, laquelle, à son tour, réclame impérieusement son homme : c’est celle de critique ordinaire et universel. […] Que si cela vous étonne et vous afflige, prenez-vous-en aux inventions et aux cadrés du jour de créer ainsi des critiques d’office qui n’auraient jamais songé à l’être sans cela. […] Son talent semble créé tout exprès pour décrire les lieux, les cités, les monuments, les tableaux, les ciels divers et les paysages. […] Lui qui avait quelquefois aimé et rêvé des monstres, il put se dire, à la vue de l’Attique, de ce pays qui a été comme créé exprès sur l’échelle humaine : « J’ai connu trop tard la beauté véritable ! 

178. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire des cabinets de l’Europe pendant le Consulat et l’Empire, par M. Armand Lefebvre (suite et fin.) »

Quand la nature crée un homme supérieur et d’une supériorité de premier ordre, quand elle l’a fondu et coulé tout d’un jet dans un de ses plus beaux moules humains, si cet homme, après avoir fourni sa grande carrière, tombe ou sort de la scène dans la plénitude de la vie et de ses facultés, sans que la maladie ou l’âge soit venu l’altérer ou l’affaiblir, il est bien clair qu’il est et qu’il a dû rester le même pendant toute cette durée de son rôle actif, que les événements n’ont fait que le produire, un peu plus tôt ; un peu plus tard, sous ses aspects différents, le montrer et le développer plus ou moins dans quelques-unes de ses dispositions naturelles et donner occasion à ses qualités ou à ses défauts primitifs de se manifester dans tout leur relief ou même dans leur exagération ; mais il y avait en lui, dès le principe, le germe et remboîtement de tout ce qui est sorti. […] La mission des pouvoirs révolutionnaires était une mission de guerre : le traité de Campo-Formio fut, comme tout ce qu’ils créèrent, une œuvre de guerre. […] Il débuta, dans ses rapports avec l’Europe, par lui imposer le traité de Lunéville, qui était un droit créé par la victoire, mais non un acte de conciliation et de durée : cette première transaction décida de toute la vie du premier Consul. […] Lui, il joignait de plus à la passion le génie qui crée les moyens et qui organise : il fut contre nous le grand instigateur et directeur de la ligue des nationalités5.

179. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre dixième »

Avant Buffon, on n’étudiait que l’individu, on négligeait l’espèce ; il apprit à mieux étudier l’un, et il créa la science de l’autre. […] D’autres vérités, au contraire, influent sur les sentiments des individus comme sur l’esprit des nations, et sont comme des forces immortelles qui, une fois créées, ne cessent pas d’agir. […] Une lumière nouvelle, dit un juge compétent de Buffon96, éclaire les rapports des choses créées. […] Après avoir raconté l’histoire de la terre émergeant du sein des mers desséchées, celles des animaux qui la peuplent, des végétaux qui revêtent sa surface, des minéraux que recèlent ses entrailles, celle de l’homme, roi de toutes les choses créées, il voulut raconter ce qui a précédé toute histoire, décrire ce qui n’avait pas de forme, débrouiller le chaos, y suivre, y tracer les grands commencements des choses, en faire sortir par degrés l’univers avec la dernière face que la création lui a imprimée.

180. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVI » pp. 413-441

Ce mot, La Harpe la jugé sévère contre l’auteur de tant de lettres charmantes, et à ce sujet il a mis en avant que le goût qui juge est différent de celui qui crée, distinction juste et dont La Harpe est un exemple lui-même, car il a beaucoup et bien jugé, et son goût stérile n’a rien produit ; mais il ne faut pas conclure de ce que le goût qui juge ne prouve pas celui créé, que le goût qui crée ne comprend pas celui qui juge, car le goût qui juge bien de ce qui doit entrer dans ses compositions juge nécessairement bien le choix des autres ; de sorte qu’il est absurde de dire que madame de Sévigné, douée du goût qui crée, pouvait bien être privée du goût qui juge.

181. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre premier. Le problème des genres littéraires et la loi de leur évolution » pp. 1-33

Je me résume plus brièvement, en remarquant que les extrêmes se touchent : le lyrisme, c’est la foi et aussi le désespoir ; l’épopée, c’est l’action et aussi la passion, quand elle crée ; le drame, c’est la crise, tendant à la sérénité (Katharsis). […] Dès qu’on conçoit ainsi ces trois modes essentiels, il est clair que les « genres intermédiaires », innombrables autant que légitimes, sont des cas particuliers ; il faut se garder de créer pour eux des catégories nouvelles ; il faut respecter leur individualité, en expliquant leur genèse par la combinaison d’éléments divers. […] Les principes directeurs créent un état de choses, et se modifient, par le fait même de cette « réalisation », jusqu’à l’épuisement ; chaque nouveau principe est salué comme une foi nouvelle et définitive (lyrisme), il se réalise plus ou moins imparfaitement (épopée), puis il s’effondre devant un nouveau principe (drame). […] Nous créons alors des rubriques de « tout y va » ; ce sont des tiroirs, pour l’œil ; ce n’est pas de l’ordre, de la lumière pour l’esprit. — Il faudrait se résoudre à bouleverser beaucoup de nos catégories ; pour cela il faut s’habituer d’abord à voir autrement, à embrasser d’un coup d’œil la ligne d’ensemble (esprit général) et le cas individuel, et surtout à saisir, derrière la forme souvent trompeuse, l’état d’âme.

182. (1910) Études littéraires : dix-huitième siècle

Il a presque créé la littérature politique ; il a presque créé la littérature scientifique ; il a presque créé la littérature historique. […] C’est une idée singulière des Platoniciens que, par exemple, Dieu ait créé le monde par bonté. […] Aucune ne le crée, chacune le renouvelle. […] Un monde créé pour l’homme, un Dieu pour créer et organiser le monde au profit de l’homme, l’homme centre du monde et but de Dieu, donc sa cause finale, donc sa raison d’être, voilà l’univers. […] Le monde, s’il avait été créé par Voltaire, serait glacé et triste.

183. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Villiers de L'Isle-Adam, Auguste de (1838-1889) »

C’est la perpétuelle revanche des grands idéalistes, ignorés de la foule — et de plus d’un de leurs amis — qu’en réalité ils habitent un autre monde, un monde créé par eux-mêmes, simplement évoqué par de simples paroles, car « tout verbe, dans le cercle de son action, crée ce qu’il exprime ».

184. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 181-190

Ses Rêves sont ceux de Jupiter ; il n’appartient, nous le répétons, qu’au Génie de créer de pareils systêmes. […] Il est plus aisé de plaisanter les Faiseurs de Systêmes, que d’en créer soi-même.

185. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre IV »

Mais son génie d’anoblir les moindres syllabes eût échoué devant les monstres créés par la Révolution42 ; il eût échoué et il eût reculé devant milliltre, décistère et kilo ! […] Comme les Poids et Mesures, la plupart des métiers ont eu à subir l’assaut du gréco-français, mais la plupart ont assez bien résisté, opposant au pédantisme la richesse de leurs langues spéciales créées bien avant la vulgarisation du grec.

186. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Introduction »

Quand on réfléchit à ce problème de l’origine des espèces, en tenant compte des rapports mutuels des êtres organisés, de leurs relations embryologiques, de leur distribution géographique et d’autres faits analogues, il semble naturel tout d’abord qu’un naturaliste arrive à conclure que chaque espèce ne peut avoir été créée indépendamment, mais doit descendre, comme les variétés, d’autres espèces. […] Bien qu’il reste beaucoup de choses obscures, et qui resteront telles longtemps encore, je ne puis douter, après les études les plus consciencieuses et les jugements les plus froidement pesés dont j’aie été capable, que l’opinion adoptée par le plus grand nombre des naturalistes, et quelque temps par moi-même, c’est-à-dire que chaque espèce a été indépendamment créée, est erronée.

187. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Appendice. Discours sur les prix de vertu »

C’était le temps, il est vrai, où la philanthropie dans toute sa confiance et son ingénuité se donnait carrière, où le sentiment exalté d’humanité qu’aucun échec n’avait encore averti se passait toutes ses espérances et tous ses rêves, où des zélés en venaient jusqu’à proposer de créer des espions du mérite et de la vertu pour dénoncer les beaux génies inconnus et modestes, pour découvrir les belles actions cachées, avec la même vigilance et la même adresse qu’on met à découvrir les mauvaises. […] Il a, nous écrit-on dans un premier résumé, il a reconstruit l’école des filles de Bournois, sa première paroisse ; construit, fondé et doté une école de filles à Villars-lez-Blamont, son pays natal ; créé à Blamont un pensionnat, un orphelinat et un ouvroir destinés aux filles du canton ; il a construit une église catholique à Villars-lez-Blamont où il n’y avait d’abord qu’un bâtiment commun pour les protestants et les catholiques ; il a reconstruit l’église de Laviron, sa propre paroisse ; il a fait élever et instruire à ses frais sept enfants orphelins appartenant à des familles pauvres, etc. […] La nature qui crée un génie, un talent, le laisse libre, jusqu’à un certain point, de produire plus ou moins activement, plus ou moins fructueusement. […] Or, il importe, quand une richesse est créée dans la société, qu’elle n’aille pas au hasard, qu’elle reste et revienne à qui il appartient ; qu’elle soit possédée par celui qui le mérite le mieux : il importe d’en régler la distribution. […] Ces besoins, ces demandes de la société créent ou développent des genres autrefois fort resserrés et qui rendaient peu.

188. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIII. La littérature et la morale » pp. 314-335

Il ne me semble pas beaucoup plus nécessaire de prouver que la littérature réagit à son tour sur les mœurs : on sait assez que les personnages créés par les poètes ou les romanciers servent fréquemment de modèles aux jeunes gens ; que les sentiments ou les idées exprimés dans des ouvrages qui réussissent peuvent devenir ainsi des motifs d’action. […] On est sûr de retrouver alors tout cela grandi, idéalisé dans les héros créés par les poètes. […] Si tel est bien l’état moral du milieu où vit Corneille, il est naturel que dans les personnages créés par lui le devoir l’emporte sur la passion. […] La littérature a créé, comme toujours, un type en qui s’incarnent les qualités et les vices du moment. […] Mais ailleurs117 Rousseau qualifie les personnages qu’il a créés de « bonnes gens », de « belles âmes » ; il s’applaudit de leur avoir donné l’existence et l’on a pu soutenir, sans paradoxe, que l’ouvrage condamné en Suisse comme corrupteur fut en France le symptôme et l’auxiliaire d’une véritable renaissance morale. — Jugements contradictoires et parfaitement conciliables !

189. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — La solidarité des élites »

Je ne parlerai ici que de la faim spirituelle, dont les revendications plus récentes créeront peut-être une solution plus large et plus universelle d’un débat qui s’éternise. […] « Ne voyez-vous pas que la terre a envie de produire et de nous enrichir, de donner des sources et des fruits, de créer des races nouvelles, plus saines et plus durables, de créer sans mesure des peuples et des moissons ? […] Aussi, en disant que Walt Whitman a le premier reconnu pleinement le caractère sacré de toute réalité, qu’il a contemplé d’un œil radicalement nouveau la plus infime partie d’univers, qu’il a enrichi d’un sens divin les plus coutumières actions de nos vies, qu’il a créé le sentiment de pleine confiance et de liberté envers nous-mêmes et envers les autres, qu’il a enfin (et c’est le point capital pour nous) positivement découvert un nouveau de la vie, je n’aurais fait que tracer la pâle esquisse d’une scène géante.‌ […] C’est à eux qu’il appartient de créer une opinion internationale devant laquelle toute autorité se dissipera comme un fétu de paille emporté par le vent.

190. (1903) La pensée et le mouvant

Rétroactivement il a créé sa propre préfiguration dans le passé, et une explication de lui-même par ses antécédents. […] L’intelligence combine et sépare ; elle arrange, dérange, coordonne ; elle ne crée pas. […] Les sentiments puissants qui agitent l’âme à certains moments privilégiés sont des forces aussi réelles que celles dont s’occupe le physicien ; l’homme ne les crée pas plus qu’il ne crée de la chaleur ou de la lumière. […] Il n’en est pas moins vrai que ces courants ne sont pas créés par nous ; ils font partie intégrante de la réalité. […] Enfin, en 1839, il lui confiait l’emploi nouvellement créé d’inspecteur des bibliothèques.

191. (1923) Les dates et les œuvres. Symbolisme et poésie scientifique

Rien ne se perd, si continuellement elle crée. […] Et son enthousiaste directeur, Henri de Tombeur, m’écrit : « Deux partis, pour et contre votre poétique, se sont ardemment créés ici. […] Ils prétendent avoir créé, par leur seul génie, une école, l’école décadente, qui a en elle de quoi régénérer notre pauvre littérature épuisée. […] Je résumerai ainsi Charles Morice : en 1886, lui, tentait de créer une « Ecole Française », au nom du classicisme, et après 1900, au nom du classicisme tentant une sournoise réaction, il rêvait de créer encore une « Ecole Française » ! […] Son désir incessant et exaspéré lui crée un rêve monstrueusement heureux, et il arrive à croire un peu qu’il les a domptées en ses étreintes !

192. (1828) Introduction à l’histoire de la philosophie

Créer est une chose qui n’est pas si difficile à concevoir, car c’est une chose que nous faisons toutes les minutes ; en effet, nous créons toutes les fois que nous produisons un acte libre. […] Voilà ce que c’est que créer ; mais avec quoi ? […] Nous créons de rien, en ce sens que la matière de notre action n’est pas en dehors de nous ; et nous ne créons pas de rien, car nous créons avec le fond même de notre être. […] Il y a plus : Dieu crée avec lui-même ; donc il crée avec toutes les qualités que nous lui avons reconnues, et qui passent dans ses créations. […] Voilà l’univers créé, et manifestant celui qui le crée ; mais cette manifestation ne l’épuise point.

193. (1914) Boulevard et coulisses

Et, à la longue, il avait fini par créer des types d’hommes et de femmes un peu factices, mais d’un raffinement et d’un relief singuliers. […] Il était très connu, d’abord parce qu’il appartenait au Figaro et ensuite parce qu’il était l’amant d’une actrice qui venait de créer une pièce avec éclat. […] Telle est, hélas, notre nature, qu’il est plus aisé de créer méthodiquement un malfaiteur qu’un héros. […] C’est vous qui avez été chargé de créer l’atmosphère dans laquelle nous allons être obligés de vivre à notre tour. […] C’est à vous maintenant de créer d’autres légendes et d’autres formes de la joie.

194. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre III. Le comique de caractère »

Le mot, qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s’insinue entre elle et nous, et en masquerait la forme à nos yeux si cette forme ne se dissimulait déjà derrière les besoins qui ont créé le mot lui-même. […] Elle créera même, au besoin, des types nouveaux. […] En les transportant sur la scène, elle crée des œuvres qui appartiendront sans doute à l’art en ce qu’elles ne viseront consciemment qu’à plaire, mais qui trancheront sur les autres œuvres d’art par leur caractère de généralité, comme aussi par l’arrière-pensée inconsciente de corriger et d’instruire. […] Ils traitent le malade comme s’il avait été créé pour le médecin, et la nature elle-même comme une dépendance de la médecine. […] Elle ne crée pas le comique, elle en dériverait plutôt.

195. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre II. Vérification de la loi par l’examen de la littérature française » pp. 34-154

Cette fécondation d’un peuple par l’autre est un spectacle merveilleux ; elle vient à son heure et crée peu à peu entre les nations des dettes d’honneur qui triompheront de la haine et des préjugés. […] De par son tempérament, de par sa philosophie, de par ses expériences personnelles, Molière portait le drame en lui ; il l’aurait créé, lui qui a pris tant de libertés avec les formes et les combinaisons d’éléments, s’il y avait été encouragé. […] Rien ne l’arrêtera. — Un danger le menace ; en supprimant les « tyrans », il en crée un autre : la masse ; l’égalité de tous mène au nivellement, à l’écrasement des grandes individualités ; aujourd’hui ; mais demain ? […] Ici, l’esprit de l’époque a trouvé, créé, sa forme adéquate ; ce sont des œuvres d’absolue beauté. […] Au dessèchement des uns correspond l’exaltation des autres. — C’est que la science est insuffisante à l’âme humaine qui crée par intuition et qui a soif d’amour.

196. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 3. Causes générales de diversité littéraire. »

Quand naît la littérature française, la société déjà n’est plus homogène : une première séparation y a créé deux mondes distincts, celui des clercs et celui des laïcs. […] Au xvie  siècle, affranchi par l’antiquité retrouvée sinon matériellement dans ses œuvres, du moins dans son véritable esprit, éveillé au sens de l’art par la vision radieuse que lui offre l’Italie, le génie français crée ou emprunte les formes littéraires capables de satisfaire ses besoins nouveaux de science et de beauté.

197. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre IV. Bossuet orateur. »

L’évêque de Meaux a créé une langue que lui seul a parlée, où souvent le terme le plus simple et l’idée la plus relevée, l’expression la plus commune et l’image la plus terrible, servent, comme dans l’Écriture, à se donner des dimensions énormes et frappantes. […] Celle de la duchesse d’Orléans est la plus étonnante, parce qu’elle est entièrement créée de génie.

198. (1899) Musiciens et philosophes pp. 3-371

Elle constate, elle ne crée pas. […] Il ignore même, le plus souvent, en vertu de quel pouvoir, de quelle mystérieuse faculté il crée, et pourquoi il crée de telle façon plutôt que de telle autre. […] Ce fut, en définitive, le récitatif qui perdit le genre créé par eux. […] Il a la mélancolie de l’impuissance ; il ne crée pas dans la plénitude, mais il a la soif de la plénitude. […] On s’est demandé souvent pourquoi nous ne créons plus de chants populaires.

199. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre I. De l’évolution de la vie. Mécanisme et finalité »

Ainsi, rien ne s’y crée, pas plus de la forme que de la matière. […] Ils trouvent que cette cornue crée sa propre forme le long d’une série unique d’actes constituant une véritable histoire. […] Mieux se dégage la géométrie qu’il contient, moins il peut admettre que quelque chose se crée, ne fût-ce que de la forme. […] L’idée que nous pourrions avoir à créer de toutes pièces, pour un objet nouveau, un nouveau concept, peut-être une nouvelle méthode de penser, nous répugne profondément. […] Il n’y a pas encore de forme, et c’est à la vie qu’il appartiendra de se créer à elle-même une forme appropriée aux conditions qui lui sont faites.

200. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVe entretien. Littérature grecque. L’Iliade et l’Odyssée d’Homère » pp. 31-64

C’est une seconde création que Dieu a permis à l’homme de feindre en reflétant l’autre dans sa pensée et dans sa parole ; un verbe inférieur, mais un verbe véritable, qui crée, bien qu’il ne crée qu’avec les éléments, avec les images et avec les souvenirs des choses que la nature a créées avant lui : jeu d’enfant, mais jeu divin de notre âme avec les impressions qu’elle reçoit de la nature ; jeu par lequel nous reconstruisons sans cesse cette figure passagère du monde extérieur et du monde intérieur, qui se peint, qui s’efface et qui se renouvelle sans cesse devant nous. […] C’est la force seule de l’impression qui crée en nous le mot, car le mot n’est que le contrecoup de la pensée.

201. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre IV. Des figures : métaphores, métonymies, périphrases »

L’homme a distingué d’abord et nommé ce qui le touchait de plus près : quand le cercle de ses idées et de ses connaissances s’est élargi, il n’a point créé les mots à profusion ; il a appliqué autant qu’il a pu ceux qu’il possédait déjà aux objets nouveaux qu’il découvrait, et n’a enrichi sa langue que par la multiplication des métaphores. […] Le sentiment qui crée la métaphore peut, de l’idée sur laquelle elle est née, se communiquer aux idées voisines, et les transformer en images analogues. […] Ailleurs, la vulgaire comparaison du croissant de la lune à une faucille, gagnant par une contagion semblable les autres idées réunies dans la même phrase, entourant l’image primitive d’images complémentaires, a créé un merveilleux tableau : Tout reposait dans Ur et dans Jerimadeth ; Les astres émaillaient le ciel profond et sombre ; Le croissant fin et clair, parmi ces fleurs de l’ombre, Brillait à l’occident, et Ruth se demandait, Immobile, ouvrant l’œil à moitié sous ses voiles, Quel dieu, quel moissonneur de l’éternel été Avait, en s’en allant, négligemment jeté Cette faucille d’or dans le champ des étoiles. […] Mais il ne faut pas les prendre comme usitées et traditionnelles ; il ne faut pas y être conduit par l’opération mécanique de la mémoire : il faut qu’elles jaillissent, créées à nouveau pour un besoin nouveau, du sentiment intime et de l’imagination personnelle.

202. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre III. Comédie et drame »

Pauvre, sensible, nerveux, pétri d’amour-propre, assez difficile à vivre, abondant en idées, et se dégoûtant dans l’exécution aussi vite qu’il s’était enflammé dans la conception, il créa des journaux d’observation morale qui ne vécurent pas, il écrivit des romans qui n’eurent pas de fin. […] Un an après le Glorieux, La Chaussée donnait la Fausse antipathie, et la comédie larmoyante était créée. […] Et qui saurait que Beaumarchais a fait Eugénie et les Deux Amis, s’il n’avait créé Figaro ? […] Un genre s’y créa, l’opéra-comique, comédie à ariettes, très analogue à notre vaudeville à couplets.

203. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — I. » pp. 84-104

Une quantité de Piémontais, de Polonais, anciens militaires de l’Empire, et un moindre nombre de Français, se trouvaient réunis dans cette ville ; ils y furent organisés en légion, sous l’aigle et le drapeau tricolore, par le colonel Pacchiarotti, officier piémontais d’un grand caractère, et dont Carrel ne s’est jamais souvenu depuis qu’avec un sentiment profond : il le citait toujours quand il parlait des hommes créés pour commander aux autres hommes. […] Il résulta toujours de cette situation personnelle et du sentiment très chatouilleux qu’elle avait créé en lui, une assez grande indulgence, plus grande qu’on ne l’aurait attendue de sa part, dans ses jugements sur les émigrés de couleurs différentes, pourvu qu’ils fussent braves et gens d’honneur. […] Une fenêtre légèrement entrouverte près de son lit a montré qu’après avoir éteint sa lumière et s’être plongé dans l’obscurité, il avait fait effort pour apercevoir un peu du jour qui naissait et qui ne devait plus éclairer que son cadavre… Enfin, il a senti qu’il était seul, bien seul, abandonné de tout sur la terre ; qu’il n’y avait plus autour de lui que les fantômes créés par ses derniers souvenirs. […] [NdA] Voici, par exemple, une phrase obscure de la conclusion : « Or, entre les principes proclamés par la Révolution (d’Angleterre), il fallait distinguer ceux pour lesquels elle avait entrepris de créer des faits, et ceux qui n’étaient que l’expression de faits plus anciens qu’eux.

204. (1861) Cours familier de littérature. XI « Atlas Dufour, publié par Armand Le Chevalier. » pp. 489-512

Considérée comme existence visible, comme occupant sous le nom d’empire, de république, de race, de tribu, de nation, telle ou telle place dans l’espace et dans le temps, elle ne vaut pas plus que cela : car tout ce qu’elle remue n’est que poussière, tout ce qu’elle crée n’est que néant, tout ce qu’elle laisse après elle n’est qu’éblouissement, puis nuit profonde. Mais si l’on considère de l’humanité son âme, son intelligence, sa moralité, sa destinée évidemment supérieure à cette vie et à cette mort entre lesquelles elle s’agite, sa connaissance de Dieu, l’hommage qu’elle rend à ce maître suprême de ses destinées individuelles ou collectives, la transition entre le fini et l’infini dont elle paraît être le nœud par sa double nature de corps et de pensée, sa conscience, faculté involontaire, révélation, non de la vérité, mais de la justice, son instinct évidemment religieux, son inquiétude sacrée qui lui fait chercher son Dieu, avant tout créature sacerdotale, chargée spécialement par l’Auteur des êtres de lui rapporter en holocauste les prémices de ce globe, la dîme de l’intelligence, la gerbe de l’autel, l’encens des choses créées, la foi, l’amour, l’hymne des créations muettes, la parole qui révèle, le cri qui implore, l’obéissance qui anéantit le néant devant l’Être unique, le chant intérieur qui célèbre l’enthousiasme, qui soulève comme une aile divine l’humanité alourdie par le poids de la matière, et qui la précipite dans le foyer de sa spiritualité pour y déposer son principe de mort et pour y revêtir d’échelons en échelons sa vraie vie, son immortalité dans son union à son principe immortel ! […] Dufour et Le Chevalier a créé, pour abréger le globe et pour l’éclairer sur toutes ses faces, afin que les lieux racontent les choses, que les choses rappellent les hommes, que les hommes retracent leur histoire, que les cosmos soient contenus dans quinze ou vingt pages in-folio, et que ces quinze ou vingt pages, muettes jusqu’ici, mais rendues tout-à-coup plus éloquentes qu’une bibliothèque, soient devenues la photographie parlante du monde où nous passons sans le connaître, mais qui nous dira lui-même, pendant que nous passons, ce qu’il fut, ce qu’il est, ce qu’il sera ?

205. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Baudelaire, Charles (1821-1867) »

. — Vous avez doté le ciel de l’art d’on ne sait quel rayon macabre ; vous avez créé un frisson nouveau. […] Ton verbe la créait, mais tu ne croyais pas À la réalité splendide de ton verbe. […] Et qu’il existe ou non une terre sacrée, Chaque nuit, le torrent des astres croule et crée Un continent de gemme, aux verts palmiers d’éclairs !

206. (1899) L’esthétique considérée comme science sacrée (La Revue naturiste) pp. 1-15

Et pour nous ravir de cette sorte, ils n’ont pas besoin de créer : ils n’ont qu’à découvrir la grâce qui décore tout. […] Qui sait si en croyant créer des strophes seulement belles et charmantes, nous n’écrivons pas pour le monde des livres sacrés ? […] * *   * Ce n’est pas assez, pour créer des odes, des statues ou des types précis, d’être instruit dans la chimie ou dans les mathématiques, il faut l’être encore en morale.

207. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IV. Des changements survenus dans notre manière d’apprécier et de juger notre littérature nationale » pp. 86-105

L’état factice que nous voudrions créer ne peut donc durer : notre littérature doit subir le même sort que nos institutions. […] Quoi qu’il en soit, et il faut bien l’avouer, nous nous étions créé une littérature trop exclusive. […] Ne faudrait-il pas créer de nouveau la puissance de ces traditions mythologiques, la pompe de ces solennités religieuses et nationales qui donnent la vie à ces admirables compositions ?

208. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VII. Les hommes partagés en deux classes, d’après la manière dont ils conçoivent que s’opère en eux le phénomène de la pensée » pp. 160-178

On aura beau faire, il faut absolument choisir entre deux systèmes : ou l’homme a reçu le pouvoir de créer les langues, ou cette faculté lui a été refusée. […] En un mot, la parole est nécessaire à l’homme pour penser, et alors l’homme n’a pu inventer la parole ; car on ne peut supposer un temps où il ait été sans pensée, et on ne peut expliquer comment il aurait pu créer la parole, sans laquelle il ne pouvait penser ; ou la parole n’est pas nécessaire à l’homme pour penser, et alors il a pu graduellement inventer la parole. […] Ceux qui, dans ce moment, professent, à cet égard, les doctrines anciennes, croient jeter dans la société une lumière nouvelle, en annonçant, comme une vérité qui va être admise, que l’homme n’a pas le pouvoir de créer sa langue.

209. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte Gaston de Raousset-Boulbon »

Au lieu de se suicider, il passa en Algérie, où il montra une intelligence profonde de la colonisation et où il se fût créé une haute position et une vaste fortune si la révolution de 1848 n’avait renversé tous ses plans. […] si toutes les qualités et toutes les forces pouvaient créer les circonstances comme elles ont l’art d’en profiter, Raousset serait dans l’opinion un grand homme comme il l’est pour nous… N’est-on pas potentiellement un grand homme quand on a une grande âme, et d’ailleurs qui niera que le vainqueur d’Hermosillo n’ait agi ? Mais les circonstances ne se créent point.

210. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VIII. Du mysticisme et de Saint-Martin »

C’est ainsi qu’il a créé, au milieu de toutes les contradictions de l’être humain, la plus divine des harmonies, et qu’en nous donnant des saints comme François de Sales, Barthélemy des Martyrs, sainte Thérèse, sainte Brigitte, sainte Catherine de Sienne, François-Xavier, Louis de Gonzague, Stanislas Kotska, Philippe de Néri, Jean de Dieu, Angèle de Brescia et tant d’autres, il a réalisé, pendant un moment sur la terre, une vraie transposition du ciel ! […] Son nom même, il ne le donna point à la secte qu’il allait créer. […] Portées toujours en haut comme lui par leur aspiration naturelle, il a voulu créer pour elles un christianisme supérieur et indépendant.

211. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Charles Monselet »

Ils n’ont pas vu ou voulu voir que l’invention qui trouve, mais qui ne crée pas (qu’est-ce que l’homme crée ?) […] Il pensait, ce grand homme ignoré, que le nombre des âmes créées était fixe, et que les divers personnages qui se succèdent dans ce carnaval de Venise du genre humain et de l’histoire étaient toujours remplis par les mêmes acteurs, lesquels, leur rôlet fini, allaient changer de costume dans la loge de leurs tombes, et en ressortaient, avec d’autres oripeaux et d’autres masques, pour recommencer sur nouveaux frais leur éternel personnage, avec ses modifications variées de temps et de lieu.

212. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Le Comte de Gobineau »

Mais il nous a trop parqués dans un monde d’aristocratie humaine créé par lui, et qui, en somme, n’est pas le monde de la réalité… « Il n’y a pas de minuit tissé d’étoiles », disait magnifiquement lord Byron. […] Reconnaissez-vous la barbarie toute pleine, non pas cette barbarie juvénile, brave, hardie, pittoresque, heureuse, mais une sauvagerie louche, maussade, hargneuse, laide et qui tuera tout et ne créera rien ? […] S’il n’a pas l’imagination créatrice du poète, c’est-à-dire du faiseur, il a celle de l’expression, qui est aussi de l’imagination de poète, mais de poète qui sent et qui vibre au lieu de créer.

213. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre X. Des Romains ; de leurs éloges, du temps de la république ; de Cicéron. »

Or les Romains des premiers siècles, vivant parmi les charrues et les armes, ne pouvaient acquérir un grand nombre d’idées, ni créer les signés qui les représentent. […] La grandeur de cet empire, qui s’étend sans cesse ; cette ville qui engloutissait tout, qui appelait tous les rois, tous les peuples ; ces généraux et ces soldats qui allaient conquérir ou gouverner les provinces, et parcouraient sans cesse l’Asie, l’Europe et l’Afrique ; tout cela était autant d’obstacles à ce que la langue romaine prît ou conservât une certaine unité de caractère ; peut-être même la facilité qu’eurent les Romains de puiser chez les Grecs tout ce qui manquait au système de leur langue ou de leurs idées, retarda leur industrie, et contribua à n’en faire qu’un peuple imitateur : ils traitèrent la langue et les arts comme un objet de conquête, usurpant tout sans rien créer. […] Bientôt cet honneur devint commun ; la flatterie et le mensonge ne tardèrent point à le corrompre ; on exagéra le bien, on fit disparaître le mal, on supposa des actions qui n’avaient point été faites, on créa de fausses généalogies ; enfin, à l’aide de la ressemblance des noms, on se glissa dans des familles étrangères, tant la fureur d’exister par ce qui n’est plus, et de prendre un nom pour du mérite, a été commune à tous les siècles.

214. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIX. De la littérature pendant le siècle de Louis XIV » pp. 379-388

Comment, au milieu d’une société grossière, parviendrait-on à créer en soi cette délicatesse d’instinct qui repousse tout ce qui blesse le goût, avant même d’avoir analysé les motifs de sa répugnance ? […] L’esprit de chevalerie avait introduit dans les principes de l’honneur un genre de délicatesse qui créait nécessairement une nature de convention ; c’est-à-dire qu’il existait un certain degré d’héroïsme, pour ainsi dire indispensable à la noblesse, et dont il n’était pas permis de supposer qu’un noble pût être privé.

215. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre XI. De l’ignorance de la langue. — Nécessité d’étendre le vocabulaire dont on dispose. — Constructions insolites et néologismes »

Soit qu’on ne sache pas faire usage des mots qu’on connaît, soit qu’on n’ait pas les mots eux-mêmes à sa disposition, on se laisse aller à croire que la langue ne peut pas rendre ce qu’on ne sait pas lui faire dire, et l’on crée des tours de phrases et des termes pour le besoin de sa pensée. […] Il faut posséder assez bien sa langue, avoir dans le cerveau un dictionnaire assez complet, pour que l’intelligence puisse concevoir toutes les idées et profiter de l’expérience des siècles, accumulée et déposée dans les mots, sans être obligée de refaire pour son compte l’œuvre des sociétés primitives, où chaque pensée, lentement, péniblement conçue, aboutissait à créer son expression.

216. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le voltairianisme contemporain »

Voltaire étant donné, avec tout ce qu’il est et tout ce que nous sommes, Voltaire, résumant à lui seul tant de choses vivantes qu’il a créées, que nous n’avons pas eu la force d’arracher de nous et de faire mourir, explique profondément les admirations qu’il excite, — ou plutôt il ne les explique pas. […] il a créé la libre pensée, et voilà encore un troupeau.

217. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Jean-Jacques Rousseau »

Toujours est-il qu’une fois créés, ce fut un événement superbe ! […] Cet être d’origine indécise, qui vida ses petits (on dispute sur le nombre en disant qu’il se vante) dans le trou creusé par l’adorable saint Vincent de Paul, qui lui épargna l’assassinat ; cet ingrat monstrueux, qui glorifia l’ingratitude et publia le Vicaire savoyard pour chasser et abolir saint Vincent de Paul, le dépositaire et le nourricier de ses enfants, dut vouloir bâtardiser l’humanité, et son Contrat social n’est que la tentative de l’orgueil malade et insensé, qui crée le monde à son image !

218. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Auguste Nicolas »

La philosophie a cette honte, bien méritée du reste, que personne ne l’invoque plus et que les professeurs qui la professaient hier encore, au lieu de créer et d’organiser des systèmes, c’est-à-dire de nous donner, après tout, la chose philosophique, le véritable produit philosophique, en sont descendus à ne plus professer que l’histoire et même les historiettes de la philosophie. […] Cette faculté de toucher et de pénétrer, qu’on appellerai le don d’intime séduction, si l’idée du mal ne rampait pas au fond de ce mot trop charmant de séduction, créa sur-le-champ, dans l’opinion des connaisseurs en cœur humain, une grande importance à Nicolas.

219. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXII. Des éloges des hommes illustres du dix-septième siècle, par Charles Perrault. »

Après tous ces noms, on en trouve d’autres qui sont encore célèbres dans des genres différents ; le président de Thou, immortel par son histoire, et le président Jeannin, qui fut négociateur et ministre ; et le cardinal d’Ossat, qui se créa lui-même ; et le père Mersenne, digne d’être l’ami de Descartes ; et Gassendi, presque digne d’être son rival ; et le fameux Arnaud, qui écrivit avec génie, et fut malheureux avec courage. Enfin ceux qui sentent tout le prix des talents, et qui ont le goût des arts, voient avec intérêt, à la suite des princes, des généraux et des ministres, les noms des artistes célèbres ; de Lully, de Mansart, de Le Brun ; de ce Claude Perrault, qu’on essaya de tourner en ridicule, et qui était un grand homme ; de la Quintinie, qui commença par plaider avec éloquence, et qui finit par instruire l’Europe sur le jardinage ; de Mignard, dont ses parents voulurent faire un médecin, et dont la nature fit un peintre ; du Poussin, qui, las des intrigues et des petites cabales de Paris, retourna à Rome vivre tranquille et pauvre ; de Le Sueur qui mérita que l’envie allât défigurer ses tableaux ; de Sarrazin, qui, comme Michel-Ange, fut à la fois sculpteur et peintre, et eut la gloire de créer les deux Marsis et Girardon ; de Varin, qui perfectionna en homme de génie l’art des médailles ; enfin du célèbre et immortel Callot, qui eut l’audace, quoique noble, de préférer l’art de graver, à l’oisiveté d’un gentilhomme, et qui imprima à tous ses ouvrages le caractère de l’imagination et du talent.

220. (1925) Promenades philosophiques. Troisième série

Rien ne se crée, tout se transforme. […] Le milieu crée le besoin, le besoin crée l’organe et l’hérédité le consolide. […] En aucun cas, le milieu ni le besoin n’ont créé d’organes. […] Ni le besoin, peut-être, ne crée l’organe, ni l’organe ne crée le besoin. […] C’est elle qui fait les individus, crée les différences entre humains.

221. (1906) L’anticléricalisme pp. 2-381

Ils ont la manie de se chercher des ennemis et de tellement les chercher qu’ils en créent pour en trouver. […] Car enfin, selon les cas, la religion crée la morale, ou la morale crée la religion, et quand ce n’est pas l’une qui crée l’autre, c’est celle-ci qui crée celle-là, et il paraît quelquefois qu’elles se créent réciproquement l’une l’autre, et il semble, à certains moments, qu’elles ne sont pas autre chose que le même aspect de la même idée ou du même sentiment ou du même besoin. […] Et rien ne dit que ces choses soient chronologiques, qu’elles se soient succédé dans le temps, que : ou la religion primitive ait peu à peu créé la morale ; ou la morale primitive, de par la nécessité de l’ordre, se soit peu à peu formée elle-même et ait enfin créé la religion. […] C’est très vraisemblablement pour se créer un instrument de règne de plus qu’ils organisent cette administration de secours. […] Une armée sans esprit militaire, c’est ce que va créer notre nouvelle loi sur l’armée.

222. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre deuxième »

Il n’y avait d’épargnés que ceux qui l’épargnaient, et qui professaient, à son exemple, cette « gaieté d’esprit confite en mespris des choses fortuites. » C’est pour eux qu’était le beau rôle dans ce monde, où tout avait été créé pour leur amusement. […] Seulement le Dieu de Rabelais n’est pas celui de la théologie « C’est celluy grand bon piteux Dieu lequel créa les salades, harans, merlans, etc., etc., item les bons vins53. » C’est aussi le Dieu de Platon, « le grand plasmateur54  » ; c’est enfin le Dieu de l’Évangile, « qu’il convient servir, aimer et craindre, et dont la parole demeure éternellement55. » Pourquoi ne serait-ce pas surtout ce dernier ? […] Voilà trois siècles que nous voyons au milieu de nous bon nombre des personnages qu’il a créés, et que nous nous reconnaissons dans les deux principaux, Pantagruel et Panurge : l’un le type du bon relatif, plutôt que de la perfection romanesque ; l’autre le type du médiocre plutôt que du mal, et à cause de cela pas plus haïssable que l’autre n’est admirable. […] Si je la regarde ensuite, soit dans les caractères que Rabelais a créés, soit dans tout ce qu’il conservé et perfectionne de ce don charmant du récit, aussi antique que notre France, je ne la trouve pas moins admirable. […] Il ne se borne pas à ce qui est ; il imagine et il crée dans la saleté.

223. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre V : Lois de la variabilité »

Si chaque espèce a été créée séparément et avec tous ses organes tels que nous les voyons aujourd’hui, je ne puis trouver aucune explication de ce fait. […] Si chaque espèce a été créée indépendamment de toutes ses congénères, pourquoi un organe très différent chez deux ou plusieurs espèces du même genre serait-il plus variable que les organes qui sont presque semblables chez ces mêmes espèces ? […] Il faut donc, à moins de considérer chacune de ses formes comme indépendamment créées, que l’une en variant ait assumé quelques-uns des caractères de l’autre, de manière à produire des formes intermédiaires. […] Lorsqu’on admet que chaque espèce du genre Cheval a été séparément créée, il faut admettre aussi que chacune d’entre elles a été créée avec une tendance à varier, soit à l’état de nature, soit à l’état domestique, de manière à présenter souvent les rayures qu’on observe chez d’autres espèces du genre ; et qu’elles ont toutes été douées d’une forte tendance à produire, en cas de croisements avec des espèces habitant des contrées très éloignées, des hybrides qui ressemblent par leurs rayures, non pas à leurs propres parents, mais aux autres espèces du genre. […] Autant vaudrait croire, avec les ignorants cosmogonistes de l’antiquité, que jamais les coquilles fossiles n’ont été vivantes, mais qu’elles ont été créées comme une contrefaçon des coquilles actuellement vivantes sur le bord de nos océans.

224. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Shakespeare »

Il n’y avait pas que la jeunesse qui dût porter à la tête du fils de Victor Hugo… cette jeunesse qui se surfait toujours, et qui nous fait croire, comme disait Chateaubriand dans René, « qu’à chaque respiration de nos poitrines, nous sommes de forcé à créer un monde » ! […] Il a mieux aimé s’occuper d’un monde créé que de nous en créer un. […] … Malgré ces somptueuses acquisitions que la Biographie devra à François Hugo, je ne crois pas cependant qu’aux yeux des Exigeants historiques soit justifiée cette affirmation : que l’âme de Shakespeare était son génie ; car, si ce génie a créé des Antonio, des Hermia, des Emilia, des Béatrice, des Silvia, des Célia et des Valentin, il a produit bien d’autres choses. […] Je l’aime mieux et je le trouve plus beau jusque dans le mystère de sa vie, qui est peut-être une gracieuseté du bon Dieu ; car l’être moral que l’homme fait en soi n’est jamais si beau que l’être intellectuel que Dieu y crée, et la statue de diamant se voit mieux sur son noir piédestal d’ombres ! […] Il créa Arthur dans le Roi Jean, puis Coriolan, puis le Roi Lear.

225. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Appendices » pp. 235-309

L’érudition moderne a créé là de fâcheuses confusions. […] Tel était bien le principe de Molière, dont on a dit qu’il a créé « des individus qui diffèrent dans des situations qui se répètent ». — À cette argumentation M.  […] Tu tires, sans toucher ; tu imagines, sans créer ; tu parles, sans convaincre ; et je devrais m’excuser d’être plus heureux que toi ! […] Les Grecs ont créé un mot qui résume à lui seul une conquête de la pensée humaine : τὸ καλοκάγαθον, c’est-à-dire le Beau et le Bien unis indissolublement par une seule expression verbale […] Laissez cette force agir, créer, s’emballer mime, et votre œuvre d’art aura atteint le maximum d’effet.

226. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre II : Rapports de l’histoire de la philosophie avec la philosophie même »

Le poëte veut créer, le métaphysicien veut expliquer. […] De cette manière, on pourrait concilier le respect du passé avec les besoins de l’avenir, tenir compte de ce qui a précédé sans s’y asservir, ne pas sacrifier la philosophie à son histoire, et tout en absorbant les systèmes passés créer cependant des systèmes nouveaux. […] Le génie découvre et crée, il fait faire un pas en avant ; mais en même temps, par une illusion que je croirais volontiers providentielle, le génie se persuade toujours qu’il a trouvé le dernier mot de tout. […] Quelques grands hommes ont su joindre les deux philosophies, et à la gloire d’inventer et de créer ils ont ajouté celle de comprendre, de recueillir, de concilier.

227. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — K — Kahn, Gustave (1859-1936) »

Gustave Kahn innova une strophe ondoyante et libre dont les vers appuyés sur des syllabes toniques créaient presque en sa perfection la reforme attendue ; il ne leur manquait qu’un peu de force rythmique à telles places et une harmonie sonore plus ferme et plus continue que remplaçait d’ailleurs une heureuse harmonie de tons lumineux. […] Gustave Kahn créa en 1897, avec Catulle Mendès, à l’Odéon, ensuite au théâtre Antoine et au théâtre Sarah-Bernhardt, des matinées de poètes où il tenta de faire connaître les écrivains de la génération ascendante ?

228. (1898) Inutilité de la calomnie (La Plume) pp. 625-627

Il a créé Nathanael. […] Ce poète crée avec croyance.

229. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre II. Bovarysme essentiel de l’être et de l’Humanité »

Par la vertu de cette illusion, les hommes ressemblent à des sujets hypnotisés qui, ayant reçu pendant leur sommeil une suggestion, créent pour l’accomplir, sitôt que l’heure est venue, les circonstances et le décor qui leur sont nécessaires, modifiant et travestissant s’il, le faut le monde extérieur, et suscitant aussi dans leur âme toute nue germination de motifs, afin d’enraciner l’acte dans les régions profondes de leur volonté, de lui imprimer le sceau de leur personnalité coutumière. […] Ce vœu de l’existence se voit donc réalisé d’une façon concrète et saisissable selon deux modes dans l’humanité : sous son aspect le plus haut et le plus dramatique, ainsi qu’on l’a déjà montré, avec le héros qui, parvenu à l’émotion esthétique, se reconnaît le propre créateur de la suggestion qui lui fit accomplir sa destinée, sous un autre aspect moins mystique, avec le savant qui, désintéressé des applications déduites par les autres hommes de ses découvertes, fait sa joie du seul fait de connaître, du seul spectacle de toutes les choses créées par l’activité objective de l’être.

230. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre III. Des éloges chez tous les premiers peuples. »

La Grèce était encore loin d’être le pays d’Homère et de Platon, lorsque déjà elle avait adopté ou créé cet usage. […] Ainsi partout l’intérêt public a dicté les éloges ; chaque nation a loué ce qui était utile à ses besoins ou à ses plaisirs ; on a loué la piraterie chez les Scandinaves, le brigandage chez les Huns, le fanatisme chez les Arabes, les vertus douces et les talents chez les peuples civilisés, la chasse ou la pêche chez les sauvages, la navigation chez les habitants des îles ; mais il y a une qualité qui partout a toujours été également louée, c’est celle qui a créé toutes les révolutions, qui bouleverse tout, qui assujettit tout, qui soutient les lois et qui les combat, qui fonde les empires et qui les détruit, à qui tout est soumis dans la nature, et devant qui l’univers et les panégyristes seront éternellement prosternés : la force.

231. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIe entretien. Biographie de Voltaire »

Dieu sans limites dans son attention comme dans sa providence est tout entier dans chaque parcelle de sa création, comme il est tout entier dans le tout ; il n’y a pour lui ni nombre, ni grandeur, ni petitesse, ni ensemble, ni détail, ni fatigue d’esprit pour tout créer, tout voir, tout gouverner ; chaque atome est un monde aussi important pour lui que tous les mondes, la proportion des choses n’est pas dans les choses, elle est en lui seul. […] Elle n’a donc ni providence, ni juge, ni rémunérateur, ni vengeur dans le Dieu qui la crée ? […] Il n’a rien créé, mais il a tout éclairé : esprit et lumière, luire sur toute chose fut sa création ; la lumière ne crée pas le monde, mais elle le manifeste ; manifester, c’est créer pour les yeux. L’astre qui fit lever la première fois le jour sur l’univers ne créa pas l’univers, mais il le reproduisit aux regards en l’éclairant.

232. (1878) La poésie scientifique au XIXe siècle. Revue des deux mondes pp. 511-537

Il crée l’amour idéal, vainqueur de la mort même, il crée la science, il crée la justice, le dévoûment, le martyre ; il transforme la douleur même, la grande calomniée, et lui fait produire la dignité de l’homme, la perfection morale, la bonté ; c’est Le pire par le mieux sans cesse combattu. […] Le besoin partout crée le droit ; et quel besoin ! […] Elle crée en moi la dignité, elle m’enjoint d’être homme et de respecter l’homme, elle marque l’avènement d’un phénomène nouveau dans l’univers, le sentiment du devoir. […] Comment l’homme peut-il créer de son fonds la justice ?

233. (1878) Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux. Tome I (2e éd.)

Chez un être vivant, tout se crée morphologiquement, s’organise et tout meurt, se détruit. […] L’organe est créé, il l’est au point de vue de sa structure, de sa forme, des propriétés qu’il manifeste. […] L’humidité, la chaleur, l’air, créent des conditions indispensables au fonctionnement de la vie. […] L’herbivore crée la graisse au lieu de la trouver toute formée, et le carnivore agit de même. […] Seulement le chimisme du laboratoire est exécuté à l’aide d’agents, d’appareils que le chimiste a créés ; le chimisme de l’être vivant est exécuté à l’aide d’agents et d’appareils que l’organisme a créés.

234. (1901) Figures et caractères

L’effort civique qui créa, nourrit, maintint les armées, reste admirable. […] D’adroites soudures créent un ensemble à des parties hybrides. […] Au besoin, il crée la même des pays enchantés. […] Il se crée entre l’homme d’aujourd’hui et les choses de jadis une sorte d’amitié rétrospective. […] L’art qui crée une vie au-delà de la vie s’amuse parfois à en imiter les objets.

235. (1903) Hommes et idées du XIXe siècle

Du droit de son lyrisme, Victor Hugo crée l’histoire pour s’en faire le grand ordonnateur. […] L’amour, unique souci et culte unique, leur crée une morale à leur usage et une religion. […] Mais ce dont le romantisme a été incapable, ç’a été de créer un genre. […] Plus puissant encore est le lien créé par un deuil communément ressenti. […] La vie sociale a créé toute sorte de besoins factices.

236. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVII. Forme définitive des idées de Jésus sur le Royaume de Dieu. »

Il se proposa de créer un état nouveau de l’humanité, et non pas seulement de préparer la fin de celui qui existe. […] Souvent il déclare que le royaume de Dieu est déjà commencé, que tout homme le porte en soi et peut, s’il en est digne, en jouir, que ce royaume chacun le crée sans bruit par la vraie conversion du cœur 813. […] Mais c’était encore, et probablement c’était surtout le royaume de l’âme, créé par la liberté et par le sentiment filial que l’homme vertueux ressent sur le sein de son Père.

237. (1936) Réflexions sur la littérature « 1. Une thèse sur le symbolisme » pp. 7-17

La négligence de Lamartine est une demi-légende, créée par lui-même ; elle ne s’applique qu’à ses vers faibles et à sa prose ; ses belles pièces, dont nous avons quelquefois les brouillons, travaillées longuement, sont au contraire de magnifiques victoires sur sa facilité. Enfin, je ne vois pas ce que Vigny a fait, dans l’ordre “métrique”, par souci d’harmoniser la forme avec la pensée qu’elle traduisait : une forme, chez un poète, ne traduit jamais une pensée, c’est la critique qui traduit par des pensées les formes indivisibles qu’a créées le poète, — et s’il y a quelques exceptions, si la forme et la pensée parfois se distinguent, se raccordent mal, chevauchent sensiblement, il se trouve que Vigny, plus que personne, nous les fournirait. » Je ne puis signaler tous les détails de ce genre, qui arrêtent et étonnent désagréablement le lecteur. […] Comparez de même avec le poète et sa femme les géorgiques chrétiennes : la trouvaille métrique du poète, et, dans un tableau d’idylle, l’emploi si heureux d’une forme que Chénier avait créée comme la corde inverse de la lyre, est l’invention d’un maître.

238. (1932) Les idées politiques de la France

Quelle étude curieuse on écrirait sur la grandeur et la décadence du terme créé en France par Barrès et son entourage boulangiste ! […] La seconde fois par Drumont, qui créa et entretint l’affaire Dreyfus. […] Les organisations de droite ont fait ce qu’elles ont pu pour créer de vrais comités. […] Leurs initiateurs n’ont jamais réussi à créer des sociétés de pensée, des blocs vivants et durables, de militants. […] Cela va créer des embarras au gouvernement ! 

239. (1910) Muses d’aujourd’hui. Essai de physiologie poétique

Mais son œuvre lui donne une illusion d’éternité, mieux, crée, pour elle, réellement cette éternité qu’elle désire. […] Emprisonnée sous notre ciel gris, elle devra, pour s’épanouir, créer autour d’elle une atmosphère orientale, faite de belle lumière et de parfums. […] Ce ne sera pas l’atmosphère d’un pays qu’elle étendra, artistiquement, autour d’elle, mais elle évoquera le retour d’un être aimé dont la présence créait autour d’elle une atmosphère de bonheur. […] « Tous les êtres jusqu’à présent ont créé quelque chose au-dessus d’eux et vous voulez être le reflux de ce grand flux et plutôt retourner à la bête que surmonter l’homme. […] La beauté morale est une vertu tout artificielle et presque contre nature : on ne se doute pas de toutes les essences littéraires et philosophiques dont il fallut imbiber cette fragile églantine pour en créer cette rose pourpre et embaumée.

240. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « L’obligation morale »

Ils n’ont donc pas été extraits de la vie par l’art ; c’est nous qui, pour les traduire en mots, sommes bien obligés de rapprocher le sentiment crée par l’artiste de ce qui y ressemble le plus dans la vie. […] Mais Rousseau a créé, à propos d’elle, une émotion neuve et originale. […] Les sentiments voisins de la sensation, étroitement liés aux objets qui les déterminent, peuvent d’ailleurs aussi bien attirer à eux une émotion antérieurement créée, et non pas toute neuve. […] Mais l’amour romanesque a une date : il a surgi au moyen âge, le jour où l’on s’avisa d’absorber l’amour naturel dans un sentiment en quelque sorte surnaturel, dans l’émotion religieuse telle que le christianisme l’avait créée et jetée dans le monde. […] Elle eût dominé la morale de l’âme close ; elle n’eût pas encore atteint ou plutôt créé celle de l’âme ouverte.

241. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Troisième partie de Goethe. — Schiller » pp. 313-392

Le duc créait alors ces charmants jardins pittoresques dont son palais de campagne, près de Stuttgart, était enveloppé. […] L’âme est le miroir de la création ; la nature commence par s’y refléter, puis elle s’y anime, et le poète est créé dans l’enfant. […] Elle crée l’impossible, et, après avoir enfanté la chimère, elle s’abîme à grand bruit dans le néant. […] Il faut que l’homme entre dans la vie orageuse ; il faut qu’il agisse, combatte, plante, crée, et, par l’adresse, par l’effort, par le hasard et la hardiesse, subjugue la fortune. […] Ce qu’il fait, ce qu’il crée, il le doit à cette force céleste.

242. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre sixième »

Mais il ne s’agit pas là d’une opposition créée artificiellement entre des caractères et des situations ; c’est la vie réelle observée et prise sur le fait. […] Le caractère a créé la situation, et cette situation, loin d’être, comme le veut Diderot, l’opposé du caractère, en est la conséquence naturelle. […] Inventer des situations, comme le veut Diderot, est plus facile que de créer des caractères. […] Il croit la créer, parce qu’il répète à plusieurs reprises : « Je veux qu’elle soit ainsi », et il la copie presque servilement sur le type des infortunes de Clarisse. […] Fabre a créé le type de l’égoïste, type si difficile à personnifier.

243. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « IX »

Et c’est là un exemple de son penchant pour les propositions antithétiques, car au même moment il esquissait Jésus de Nazareth, le drame du Dieu qui meurt pour expier la fauta des hommes ; de même que plus tard nous voyons Tristan, la mort par amour, le pousser à créer les Vainqueurs, le renoncement absolu à l’amour. — Mais quant à tout le reste, ce n’est au fond qu’une condensation, qu’une dramatisation de vieux mythes ; un effort qu’on aurait certes tort de déprécier, surtout puisqu’il a fourni un cadre si précieux à la tragédie ultérieure. […] Wagner a voulu créer un nouvel art : mais pour que cette idée théorique se réalise devant nos yeux, pour qu’elle devienne une vérité que palpent nos sens, il faudrait que des milliers d’hommes voulussent ce que Wagner a voulu : or, comment peuvent-ils vouloir ce que lui a voulu, s’ils ne commencent pas par savoir très exactement ce qu’il a voulu ? […] Wagner, qui avait l’intuition de l’art qu’il voulait créer, a dû cependant passer plusieurs années dans ces réflexions, pour arriver à saisir le problème très clairement, pour pouvoir vouloir. […] Pierre et Charles Bonnier, accumulant des faits précis et des rapprochements pleins d’intérêt, et préparant de la sorte l’analyse scientifique des œuvres créées par le maître immortel. […] Et plus que de créer un théâtre wagnérien en France, il faudrait principalement écrire une biographie historique et artistique.

244. (1856) Cours familier de littérature. II « XIIe entretien » pp. 429-507

« Qui a créé la pluie ? […] « Nul sur la terre n’a sa puissance ; il a été créé pour ne rien craindre. […] « Mais Dieu m’a créé comme il t’a créé, et toi et moi nous avons été pétris du même limon. » Entrant ensuite dans le cœur de sa réplique : « Tu as dit : Je suis juste et sans péché, et il n’y a en moi aucune tache », etc……… « Je te répondrai par un seul mot : Dieu est plus grand que l’homme. […] Cela dépasse la portée de l’intelligence des hommes, des anges, et vraisemblablement de tous les êtres créés dans les règles logiques de l’intelligence. […] L’aspiration de la félicité le tourmente, et chacun des organes qui semblent avoir été créés pour lui demander et lui procurer du bonheur ne lui rapportent que des déceptions, des souffrances, des tortures de l’âme et du corps.

245. (1903) La renaissance classique pp. -

Ils se sont imaginé reculer à l’infini les bornes de la langue, créer tout un nouveau mode d’expression à la fois plus subtil et plus abondant. […] Elle a créé le type humain : ἐποὶησεν, elle l’a fait ! […] C’est à ce dernier que nous nous attacherons surtout ; et ce que nous imiterons de préférence, c’est cette activité bienfaisante et conservatrice qui crée la vie et qui maintient ce que Lucrèce appelait d’un beau nom : fœdera rerum , — le pacte des choses ! […] Croire que nous sommes libres de nous créer un art ou une vérité de pure fantaisie, un idéal conforme à je ne sais quelle raison métaphysique, est une illusion enfantine que démentent tous les faits… Ah ! […] C’est la somme de toutes les vertus qui sont nécessaires pour créer et entretenir un corps robuste et sain, une intelligence lucide et une volonté sans défaillance.

246. (1930) Le roman français pp. 1-197

Et, inversement, sans le Jack de Daudet, Conrad n’eût pas créé Lord Jim ». […] Comme Zola, il se crée un style — un style passe-partout qu’il appliquera un peu à la grosse. […] C’est une exception dans la littérature moderne ; dans ces mémoires romancés, ou ce roman mémoiré, Proust crée un héros. […] Il veut créer des caractères, des types. […] Enfin, on l’a suggéré, l’outil nouveau, c’est-à-dire un nouveau style, est créé pour faire du nouveau dans le roman.

247. (1868) Curiosités esthétiques « V. Salon de 1859 » pp. 245-358

Toute la question, si vous exigez que je vous confère le titre d’artiste ou d’amateur des beaux-arts, est donc de savoir par quels procédés vous voulez créer ou sentir l’étonnement. […] Elle a créé, au commencement du monde, l’analogie et la métaphore. […] Comme elle a créé le monde (on peut bien dire cela, je crois, même dans un sens religieux), il est juste qu’elle le gouverne. […] Holbein connaît Erasme ; il l’a si bien connu et si bien étudié qu’il le crée de nouveau et qu’il l’évoque, visible, immortel, superlatif. […] L’usurpation de ces talents de second ordre ne peut pas avoir lieu sans créer des injustices.

248. (1907) Propos littéraires. Quatrième série

Le Dieu personnel, distinct du monde, et qui l’a créé tel qu’il est, est une pure et simple impossibilité. […] — Parce qu’il n’a pas créé l’univers une fois pour toutes, mais parce qu’il le crée perpétuellement, le mal qu’il crée perpétuellement lui est moins imputable que s’il l’avait, une fois pour toutes, établi ; et il n’est plus incriminable, parce que, au lieu d’avoir fait le mal une fois, il le fait toujours ? […] Jaurès fut créé tribun par son talent tribunitien. […] La démocratie crée des inégalités ; mais l’aristocratie les consolide. […] C’est pour avoir la guerre avec l’Autriche que Bismarck créa la question du Holstein

249. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XII. La littérature et la religion » pp. 294-312

Les quatre ordres de moines mendiants, créés alors, sont comme une immense armée aux ordres du Saint-Père ; la religion monte, pour ainsi dire, sur le trône de France avec saint Louis. […] Les nations réformées ont (ce n’est pas un vain jeu de mots) l’esprit réformiste ; elles concilient la tradition et l’innovation ; elles ne croient pas qu’il faille créer un abîme entre l’avenir et le passé ; en détruisant les choses surannées devenues gênantes, elles conservent ce qui est inoffensif ou ce qui a sa raison d’être ; elles avancent ainsi à petits pas, sans brusque secousse, mais aussi presque sans recul. […] Rabelais, qui était curé après tout, écrivait : « C’est celluy grand bon piteux Dieu, lequel créa les salades, harans, merlans, etc., etc., item les bons vins. » Il voyait en lui, ce jour-là du moins, un être paterne et débonnaire, assez semblable à celui que Béranger appela plus tard le Dieu des bonnes gens. […] Il est le grand architecte de l’univers ; il a créé et il maintient les lois qui le régissent ; il y est soumis lui-même ; il est l’esclave de sa volonté une fois exprimée ; car il ne connaît pas le caprice ni le changement.

250. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « X. M. Nettement » pp. 239-265

Plus préoccupé, comme critique, — et selon nous avec raison, — de la moralité des œuvres, de leur portée dans l’intelligence humaine et des épouvantables dangers qu’elles créent aux sociétés qui les admirent que de leur valeur esthétique, il se recommande et se distingue par cette noble préoccupation, devenue un peu trop la distraction de la Critique moderne, exclusivement attachée à l’autre côté des choses et ne voyant guère, comme on sait, que la question de la forme en littérature. […] Nettement, doivent tenir pour la vérité, ce fut cet enfant gâté de la Fortune qui passa toute sa vie à se plaindre d’elle, et qui, ingrat avec ses maîtres comme il l’était avec la Gloire, ne vit jamais, dans les idées ou les événements qui créent des devoirs aux âmes élevées, rien de plus que des occasions de colorer sa pensée et d’ajouter à sa popularité. […] C’est un homme rond et bienveillant, une de ces natures sphériques qui ne sont pas un monde pourtant et qui ont été créées pour rouler, tant elles sont polies ! […] Nettement, l’expression idéale du génie qui a créé Séraphitus.

251. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVIII. Des obstacles qui avaient retardé l’éloquence parmi nous ; de sa renaissance, de sa marche et de ses progrès. »

Enfin, Balzac la créa parmi nous ; Balzac qui eut longtemps la plus grande réputation, et qu’on n’estime point assez aujourd’hui dont les lettres sans doute sont peu intéressantes et quelquefois ridicules, mais qui, dans ses ouvrages, et surtout dans son Aristippe et dans son Prince, à travers des fautes de goût, a semé une foule de vérités de tous les pays et de tous les temps, et où l’on retrouve l’âme d’un citoyen et la hauteur de la vertu, relevées quelquefois par l’expression de Tacite. […] Il faut, pour créer, qu’ils aient plus d’imagination que de raison ; il faut qu’ils aient une certaine vigueur d’âme qui les emporte et les entraîne loin de ce qui est ordinaire. […] Mais pour créer des orateurs, une langue, même perfectionnée, ne suffit point. […] Elle forma dans les premiers rangs des hommes d’état ; dans ces hommes à qui la puissance est interdite, et qui cependant, fatigués de leur obscurité, sentaient le besoin d’en sortir et d’occuper leur siècle d’eux-mêmes, elle développa et créa les talents des arts.

252. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre IV. De la bienfaisance. »

Celui qui s’est vu déchiré par des affections tendres, par des illusions ardentes, par des désirs même insensés, connaît tous les genres d’infortunes, et trouve à les soulager, un plaisir inconnu à la classe des hommes qui semblent à moitié créés, et doivent leur repos seulement à ce qui leur manque. […] La multitude de peines que savent causer les hommes les plus médiocres en tous genres, conduit à penser qu’un être généreux, quelle que fut sa position, se créerait, en se consacrant uniquement à la bonté, un intérêt, un but, un gouvernement, pour ainsi dire, malgré les bornes de sa destinée.

253. (1887) Discours et conférences « Discours lors de la distribution des prix du lycée Louis-le-Grand »

Autrefois, une sorte de génie spontané, aidé par la rudesse des mœurs et l’inconscience des masses, créait ces grands développements politiques et religieux dont les conséquences nous régissent encore à beaucoup d’égards. […] Or l’individu, c’est l’instruction qui le crée, au moins pour une moitié.

254. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Erckmann-Chatrian » pp. 95-105

Quand on venait de nous donner les mordantes eaux-fortes qui s’intitulent les Contes arabesques d’Edgar Poe, faites pour la substance dure de l’organisme américain, mais réellement trop fortes pour le public qui crée le succès en France, les lithographies d’Erckmann-Chatrian devaient réussir, et cela n’a pas manqué. […] Quand l’invention est une outrance qui fait craquer le monde créé sous son absurdité puissante, et qui cherche l’émotion à tout prix, par toute voie, il faut la trouver, ou, soi-même, ou est perdu si on ne la trouve pas, cette émotion qui est le but, mais qu’il faut profonde et non pas vulgaire !

255. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VII. D’Isocrate et de ses éloges. »

Isocrate ajoute qu’il eut le talent de gouverner ; qu’avant lui les habitants de l’île de Chypre, entièrement séparés des Grecs, étaient tout à la fois efféminés et sauvages, ignorant également la guerre et les arts, et joignant la barbarie à la mollesse ; que ce roi leur donna et le courage qui élève l’âme, et les arts qui l’adoucissent ; qu’il créa parmi eux un commerce et une marine, et de ces barbares voluptueux, fit tout à la fois des guerriers et des hommes instruits. […] Qu’on juge, chez un peuple ainsi organisé, combien devait être estimé un orateur, qui, le premier, créa l’harmonie de la prose.

256. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Cromwell » (1827) »

De là tous ces fantômes créés par la philosophie ancienne. […] Il y est partout ; d’une part, il crée le difforme et l’horrible ; de l’autre, le comique et le bouffon. […] On a dit que tout était fait, on a défendu à Dieu de créer d’autres Molières, d’autres Corneilles. […] Ainsi le but de l’art est presque divin : ressusciter, s’il fait de l’histoire ; créer, s’il fait de la poésie. […] Elle peut oser, hasarder, créer, inventer son style : elle en a le droit.

257. (1900) La culture des idées

Là il travaille sur des faits réels et non plus sur des faits créés par sa logique ou celle de Lycurgue. […] Les hommes sont très souvent dupes des métaphores qu’ils ont créées eux-mêmes. […] Le monde, qui est créé par lui, est encore créé pour lui, et les sociétés, où il n’est qu’un atome, dès qu’elles le froissent, deviennent haïssables et peut-être caduques. […] Nos écrivains, les romanciers spécialement, se sont créé dans ce pays une excellente clientèle. […] Secondement, cette hypothèse peut être créée a priori : fausses sensations ou hallucinations.

258. (1888) Portraits de maîtres

Traduire de la sorte, c’est encore créer. […] Ainsi dans ses romans rustiques elle a créé tout un monde d’églogue, une pastorale contemporaine. […] Avoir ignoré le latin et surtout le grec a créé les lacunes de son talent et de son œuvre. […] Comment le créer ? […] Il créa son originalité dans la solitude ; elle n’en fut peut-être que plus sûre et plus vivace.

259. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome II

C’est un style créé, — chose si rare, — individuel comme un son de voix, comme un regard. […] Qu’il m’a dit de fois : « Ce n’est pas la société qui crée la propriété, c’est la propriété qui crée la société, par la réunion des possesseurs qui se groupent pour se défendre !  […] D’exploiter un ouvrage composé, disons mieux, créé par un écrivain. […] Perthes pour créer une collection qui jette des ponts spirituels entre la France et l’Allemagne. […] Ces peintres de génie créaient leur œuvre personnelle en acceptant cette servitude.

260. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 février 1885. »

Il est même des Parisiens qui vont chercher à Bayreuth le sens véritable de l’œuvre wagnérienne : car c’est à Bayreuth seulement, dans le théâtre modèle créé par Richard Wagner, que sont, solennellement, les vraies représentations de ses drames. […] Peu à peu les nations se rallient à cette forme moderne et populaire de l’époque créée par Richard Wagner. […] Il ne s’agit pas d’imiter le compositeur dont l’œuvre est typiquement allemande, mais de s’inspirer de sa nouvelle conception de l’art pour créer une œuvre originale. Fourcaud cherche bien à créer « le drame lyrique français ». […] Elle organisa des soirées wagnériennes chez elle avec le pianiste Louis Benedictus, créa même un théâtre de marionnettes baptisé « Bayreuth de poche », en 1880.

261. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 15 décembre 1886. »

A propos des Anregungen fur Kunst, Leben und Wissenschaft de Richard Pohl, il s’écrie : « En exaltant les dernières œuvres de Beethoven, aberrations d’un génie qui s’éteint et les monstrueuses combinaisons de Tannhaeuser et de Lohengrin, monuments d’impuissance à » créer dans le domaine de la noble et belle musique, les rédacteurs des Anregungen ont contribué à faire naître le doute et l’anarchie actuelle d’opinions, qui font descendre aujourd’hui » la nation allemande de la position élevée où l’avaient placée les Bach, Haendel, Gluck, Haydn, le divin Mozart et Beethoven dans sa belle époque. » Cet exemple édifiant suffit à faire apprécier le caractère spécial d’un genre de critique dont notre pays n’était pas seul, d’ailleurs, à montrer les effets. […] Warot, Roudil et Berardi, mesdames Battu, Hamaeckers et Isaac, créent les principaux rôles avec distinction. […] Il nous reste à créer le drame populaire. […] On citera les chefs d’orchestre Joseph Dupont qui diffusa la musique de Wagner par les Concerts populaires (créés par Adolphe Samuel) et Hans Richter qui dirigea Lohengrin en 1870 à la Monnaie et s’installa dans la ville. Comme le rappelle Éric Lecler dans son article sur la Belgique dans Le Dictionnaire encyclopédique Richard Wagner, d’Actes Sud, « De Lohengrin en 1870 à Parsifal en 1914 […] la Monnaie crée les versions françaises des principaux opéras wagnériens ».

262. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre III. De la logique poétique » pp. 125-167

Jamais elle n’est plus approuvée que lorsqu’elle prête du sentiment et de la passion aux choses insensibles, en vertu de cette métaphysique par laquelle les premiers poètes animèrent les corps sans vie, et les douèrent de tout ce qu’ils avaient eux-mêmes, de sentiment et de passion ; si les premières fables furent ainsi créées, toute métaphore est l’abrégé d’une fable. — Ceci nous donne un moyen de juger du temps où les métaphores furent introduites dans les langues. […] Ces derniers ne purent être créés qu’au moyen de la prose. […] Elles se créèrent d’abord des noms, ensuite des verbes, et lorsque les verbes leur manquèrent, elles unirent les noms eux-mêmes. […] Dans le procès du jeune Horace, la loi de Tullus Hostilius n’est autre chose que la sentence portée contre l’illustre accusé par les duumvirs qui avaient été créés par le roi pour ce jugement64. […] Tite-Live n’a pas compris que dans un sénat héroïque, c’est-à-dire, aristocratique, un roi n’avait d’autre puissance que celle de créer des duumvirs ou commissaires pour juger les accusés ; le peuple des cités héroïques ne se composait que de nobles auxquels l’accusé déjà condamné pouvait toujours en appeler.

263. (1902) Le problème du style. Questions d’art, de littérature et de grammaire

Un homme supérieur se reconnaît à ceci qu’il crée son milieu, loin de le subir ; mais il le crée, cela est inévitable, avec les matériaux mêmes qui composent ce milieu ; le cerveau est un moulin qui a besoin de blé pour donner de la farine. […] Imaginer, c’est associer des images et des fragments d’images ; cela n’est jamais créer. L’homme ne peut créer ni un atome de matière ni un atome d’idée. […] Il n’a pas eu l’ambition de créer un vers nouveau, mais il a enrichi l’ancien. […] On a tenté de créer.

264. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (2e partie). Littérature de l’Allemagne. » pp. 289-364

Qu’est-ce qui l’a créé, mesuré, organisé, balancé sur ses pôles ? […] La description physique de la terre, jusqu’ici assez mal limitée comme science, devint, selon ce plan, qui s’étendait à toutes les choses créées, une description physique du monde. […] Ce sont les grands conquérants asiatiques qui, par la puissance de leurs armes, par le déplacement et le bouleversement des populations, ont surtout contribué à créer dans l’histoire ce double et singulier phénomène. […] Là passent les vaisseaux et se meuvent les monstres que tu as créés, ô Dieu, pour qu’ils s’y jouassent librement”. […] “Le Seigneur a créé la lune pour mesurer le temps, et le soleil connaît le terme de sa course.

265. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre II. Le rôle de la morale » pp. 28-80

Les produits qu’elle crée, les forces qu’elle favorise, lui sont dangereux. […] Peut-être dans une société différente, créée à mon image, pourrais-je accepter des devoirs semblables à ceux dont vous voulez me lier. […] Mais si on veut rattacher les obligations qu’on lui impose à quelque être supérieur, dieu ou société, qui l’a créé pour le servir, alors il faut dire que si l’homme ne remplit pas spontanément son office, c’est qu’il y est mal adapté, et que s’il y est mal adapté il est mauvais sans doute, mais que cela prouve surtout que celui qui l’a créé n’a pas été bon ouvrier. […] S’il ne crée pas tout à lui seul, il se sert de tout ce qui naît, de tout ce qui passe dans l’esprit. […] Il dirige en ce sens nos sentiments et nos idées, ou du moins il tend à les diriger, car d’autres tendances s’y efforcent aussi, et lui-même se divise souvent, et tout ce qu’il crée ou façonne tend à vivre pour soi-même et doit être constamment surveillé et maintenu.

266. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre II. Prière sur l’Acropole. — Saint-Renan. — Mon oncle Pierre. — Le Bonhomme Système et la Petite Noémi (1876) »

Je savais bien, avant mon voyage, que la Grèce avait créé la science, l’art, la philosophie, la civilisation ; mais l’échelle me manquait. […] Ils m’apprirent les longues histoires de Cronos, qui a créé le monde, et de son fils, qui a, dit-on, accompli un voyage sur la terre. […] La vraie marque d’une vocation est l’impossibilité d’y forfaire, c’est-à-dire de réussir à autre chose que ce pour quoi l’on a été créé. […] Tout cela créait des liens d’une profondeur dont nous n’avons plus l’idée. […] Il faut créer le royaume de Dieu, c’est-à-dire de l’idéal, au dedans de nous.

267. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre V. La Fontaine »

De plus, quand il s’agit de fables, c’est une preuve de goût notable, que de se refuser l’honneur facile de créer des sujets. L’apologue est de sa nature une forme très primitive et très naïve : la réflexion individuelle ne peut guère plus créer des sujets de fables que des sujets d’épopée ; et ces formes symboliques ne sauraient être compréhensives et vivantes qu’à condition de dériver d’une source populaire ou d’être au moins consacrées par une longue tradition. […] Il a créé pour son œuvre unique une forme unique aussi : précise et imprécise à la fois, nette et fuyante, étonnante de mélodie et de richesse.

268. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Seconde partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère de la littérature et des arts » pp. 326-349

On s’est imaginé que l’homme créait la poésie : la poésie consiste à dire des faits ou des doctrines poétiques par eux-mêmes. […] M. de Maistre remarque fort bien qu’il est hors de la puissance humaine de créer, non seulement des fêtes dont le retour soit périodique, mais même de simples réunions où les peuples accourent d’eux-mêmes, et sans une convocation spéciale, comme aux jeux de la Grèce. […] Tous les poètes qui ont suivi ont créé des événements plus ou moins analogues les uns aux autres, mais tous ont été fidèles à la sorte de vraisemblance du sujet ; tous ont été unanimes dans les caractères des personnages qui sont les héros de cette épopée romanesque.

269. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VI : M. Cousin philosophe »

On n’avait encore combiné que des phrases ; on croit pour la première fois créer des idées ; on plane sur le monde ; on remonte à l’origine des choses, on découvre le mécanisme de l’esprit. […] On comprend qu’il ait fait plus d’impression qu’un autre dans un esprit qui recevait, traduisait ou interprétait la métaphysique, mais ne la créait pas. […] Or, étant une cause absolue, l’unité, la substance ne peut pas ne pas passer à l’acte, elle ne peut pas ne pas se développer… L’absolu est la cause absolue, qui absolument crée, absolument se manifeste, et qui en se développant tombe dans la condition de tout développement, entre dans la variété, dans le fini, dans l’imparfait, et produit tout ce que vous voyez autour de vous36. » 2° Préface, p. 66.

270. (1885) L’Art romantique

C’est l’homme qui crée la ligne et la couleur. […] Il apprend ainsi à créer le galbe, l’élégance, le caractère dans le dessin. […] Le nombre des tableaux qu’on peut créer ainsi est infini. […] Veut-il créer l’hypocrisie pour avoir le plaisir de la récompenser ? […] Le mouvement créé par Victor Hugo se continue encore sous nos yeux.

271. (1865) Introduction à l’étude de la médecine expérimentale

D’abord le sentiment, seul s’imposant à la raison, créa les vérités de foi, c’est-à-dire la théologie. […] Mais quand, au lieu de s’exercer sur des rapports subjectifs dont son esprit a créé les conditions, l’homme veut connaître les rapports objectifs de la nature qu’il n’a pas créés, immédiatement le critérium intérieur et conscient lui fait défaut. […] Il faudrait, en effet, qu’il eût créé ces conditions pour en posséder la connaissance et la conception absolues. […] Les machines que l’intelligence de l’homme crée, quoique infiniment plus grossières, ne sont pas autrement construites. […] D’ailleurs ce que nous voyons ici pour la machine vivante se conçoit facilement, puisqu’il en est de même pour les machines brutes que l’homme crée.

272. (1939) Réflexions sur la critique (2e éd.) pp. 7-263

Mais ce qu’il a créé demeure vraiment incommensurable avec ce qu’il a reçu. […] Il nous faut faire un effort pour en retrouver le caractère direct et créé. […] Jourdain, mais admirons Molière d’avoir créé en poète M.  […] Elle a été créée par des professeurs. […] Le soldat a créé le diagnostic de bourrage de crâne.

273. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Grosclaude. »

Rochefort, le don de déduire les conséquences les plus imprévues d’un fait, et, si je puis dire, de créer dans l’absurde. […] Figurez-vous un homme dont toutes les pensées, même les plus intimes et les plus personnelles, revêtiraient d’elles-mêmes les formes consacrées d’une élégance imbécile ; qui aurait volontairement créé et développé en lui cette infirmité et qui serait décidé à mourir sans avoir une fois, une seule fois, exprimé directement sa pensée… Ô prodige d’ironie !

274. (1890) L’avenir de la science « XI »

C’est un fait encore que, chez les nations peu avancées, tout l’ordre intellectuel est confié à cette langue, et que, chez les peuples où une activité intellectuelle plus énergique s’est créé un nouvel instrument mieux adapté à ses besoins, la langue antique conserve un rôle grave et religieux, celui de faire l’éducation de la pensée et de l’initier aux choses de l’esprit. […] Mais, seule, elle ne saurait rien créer.

275. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre II. Des éloges religieux, ou des hymnes. »

Son style est quelquefois mystérieux comme l’être à qui il parle ; son oreille même cherche dans les sons une harmonie inconnue ; et comme pour donner une habitation à la divinité, il a élevé des colonnes, exhaussé des voûtes, dessiné des portiques ; comme pour la représenter, il a agrandi les proportions et cherché à faire une figure imposante ; comme pour en approcher dans les jours de fêtes, il a substitué à la marche ordinaire des mouvements cadencés et des pas en mesure ; ainsi, pour la louer, il cherche, pour ainsi dire, à perfectionner la parole ; et joignant la poésie à la musique, il se crée un langage distingué en tout du langage commun. […] Les objets qui l’environnent et qui le frappent, c’est l’architecture qu’il a créée, les métaux qu’il a tirés du sein de la terre, les richesses qu’il a cherchées au-delà de l’océan, les différentes parties du monde unies par la navigation, enfin tout ce qu’a de brillant le tableau de la société, des lois et des arts ; mais dans les campagnes, l’homme disparaît, et la divinité seule se montre.

276. (1888) Poètes et romanciers

Elle crée le type de Jupiter, qui n’est que l’homme idéalisé, en même temps que l’épopée crée le héros. […] À l’origine, Dieu n’a créé que l’être impondérable ; Dieu fit l’univers. […] Il crée l’amour idéal, vainqueur de la mort même, il crée la science, il crée la justice, le dévouement, le martyre ; il transforme la douleur même, la grande calomniée , et lui fait produire la dignité de l’homme, la perfection morale, la bonté ; c’est Le pire par le mieux sans cesse combattu. […] Le besoin partout crée le droit ; et quel besoin ! […] Comment l’homme peut-il créer de son fonds la justice ?

277. (1920) Action, n° 2, mars 1920

En Russie, Han Ryner fut devenu prophète, et quoiqu’il ait pu répugner à son individualisme de se sentir quasi popularisé ; il n’en eut pas moins créé une influence, creusé dans les âmes un sillon profond et durable. […] Il est donc bon, élégant et utile de créer, pour le système d’apparences qui nous entoure, un système d’ordination et de prévisions logiques. […] À partir de cette date, elle contribue à divers périodiques de gauche ou anarchistes, et participe aux débuts de Clarté, du nom du deuxième roman de Barbusse autour de qui se crée ce mouvement. […] Le style ou volonté crée, c’est-à-dire sépare. […] Jean Royère écrivait dès 1911 d’une moins exacte tentative [d’un art tendant à créer chaque chose par sa description verbale] : “Cette poésie est proprement nominaliste”. », ibid.

278. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (3e partie) » pp. 5-96

Sa profession religieuse de la constance de Dieu dans ses volontés y est admirable : c’est la même pensée qui me tomba de la main en écrivant à vingt ans à Byron : Celui qui peut créer dédaigne de détruire ! […] Si elle n’avait pas eu d’autre mission que de renverser l’empire romain et de créer, d’organiser un monde nouveau, elle serait tombée depuis longtemps. […] L’architecture n’était pas encore entrée dans le drame humain : il y a du véritable génie à créer un monument pour ces âmes, et ces âmes pour cette architecture. […] Il se plut à le contempler quelque temps, puis il dit : « Oui, l’artiste mérite des éloges, il n’a pas gâté ce que la nature a créé si beau. » En échange, il avait l’intention d’envoyer une épreuve de son portrait lithographié par Stieler ; et il dit qu’il avait déjà composé quatre vers, qu’il écrirait sur l’épreuve aussitôt après son rétablissement. […] Celui qui a créé ces trois figures mérite que son nom soit écrit en lettres apologétiques vivantes au frontispice de l’Allemagne.

279. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (2e partie) » pp. 177-248

Les philosophes, même les plus sublimes, peuvent créer une philosophie, agiter par leur science le siècle qu’ils honorent : ils font penser, ils ne font pas croire. […] Fox ; l’un fait pour absorber énergiquement tous les droits et toutes les volontés dans le droit et dans la volonté d’un seul ; l’autre créé pour débattre éloquemment, mais vainement, le pour et le contre, pour saper tous les gouvernements et pour voir des ennemis dans tous les ministres du pouvoir. […] Thiers, juste cette fois, et juste parce qu’il est sévère, caractérise vigoureusement cette tendance de la médiocrité jalouse à se créer des idoles plus grandes que nature pour les opposer aux véritables supériorités intellectuelles de leur temps. […] « Quant à la manière de classer les hommes dans la société, il disait à ceux qui ne voulaient aucune distinction : « Pourquoi donc avez-vous créé les fusils et les sabres d’honneur ? […] Le ciel a créé la vertu pour contenir ces audaces dans les limites du devoir, et les hommes ont inventé les lois pour contenir ces ambitions dans les prescriptions de la volonté générale.

280. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre neuvième »

La comédie proprement dite n’était qu’un jeu d’esprit dont s’amusaient, comme des enfants aux marionnettes, ceux qui devaient plus tard fournir la matière de la vraie comédie, le jour où un homme de génie la créerait en mettant le parterre lui-même sur la scène. […] C’était peu de soutenir celui du Menteur, dont les meilleurs endroits se rapprochent du ton de la tragédie : le langage de la vie familière était tout entier à créer. […] L’intérêt dans la comédie devait naître désormais de cette variété infinie du cœur humain, lequel contient plus de coups de théâtre que n’en peut créer l’imagination du dramaturge le plus fécond. […] Tout ce que Cléante dit du faux dévot, Alceste des méchants, Chrysale du bel esprit, Célimène, qui a son bon côté, des sots qui lui font la cour ; tout ce qui sent la haine des méchants, le mépris des gens à la fois malhonnêtes et ridicules, l’amour du bien, du naturel, du vrai ; tout ce qui est, soit une maxime de devoir, soit un conseil de bienveillance, tout cela est sorti du cœur de Molière ; et tel est, dans ce convenu de l’art des vers, le tour naïf, la facilité, le feu, l’entraînement de ce langage, qu’on croit entendre Molière lui-même, et qu’au plaisir de voir des personnages peints au vrai se joint je ne sais quelle tendre affection pour celui qui les a créés. […] Après avoir créé les caractères, il créait les rôles.

281. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVI. La littérature et l’éducation publique. Les académies, les cénacles. » pp. 407-442

Se créer un style personnel et improviser sur n’importe quel sujet sont deux talents de nature différente et presque opposée. […] Les calvinistes, pour qui la lecture de la Bible devient une obligation, créent l’enseignement primaire et rajeunissent la vieille théologie en y faisant entrer la discussion des textes. […] Elle a opposé une barrière infranchissable à certains mots créés par le peuple ou les écrivains, ou encore importés de l’étranger ; elle a forcé les autres à faire un véritable stage avant d’obtenir leurs lettres de grande naturalisation ; elle les a traités comme des candidats à la nationalité française, dont bon nombre, après trois ou quatre scrutins, ont fini par obtenir droit de cité. […] Une transformation analogue s’est produite pour le prix de poésie, créé par Pellisson ; pendant un siècle environ, le sujet imposé fut la mise en relief de l’une des vertus du souverain  ; mais il arriva que le nombre de ces vertus royales, si grand qu’il pût être, finit par s’épuiser, et, à partir de l’an 1753, le choix des sujets à traiter prit une variété qui n’est plus aujourd’hui emprisonnée dans aucune limite. […] L’art va être renouvelé, que dis-je, créé de toutes pièces.

282. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 mai 1885. »

Et si la terre que tu cherches n’a pas été créée encore, Dieu fera jaillir, pour toi, des mondes, du néant, afin de justifier ton audace !  […] Jusque ce terme, en effet, il obéit à l’action des influences extérieures sur lui ; et cette action, pour le musicien, arrive, éminemment, des œuvres musicales créées par les maîtres son époque. […] Ce n’est point, certes, dans le monde qui l’entourait, qu’il aurait pu trouver cette compréhension de son art, ni dans l’esprit, tout superficiel, qui avait créé les formes extérieures de cet art. […] Un bonheur pareil allait, déjà, échoir à Mozart lorsque ce maître, trop tôt créé, mourut. […] Le puissant Brahma, créateur du Monde, voit, au dessus de lui, l’Illusion, qu’il a créée, et il lui sourit.

283. (1875) Premiers lundis. Tome III « Les poètes français »

Il s’est créé depuis une douzaine d’années une jeune école d’érudits laborieux, appliqués, ardents, enthousiastes, qui se sont mis à fouiller, à défricher tous les cantons de notre ancienne littérature, à en creuser tous les replis, à rentrer jusque dans les portions les plus explorées et censées les plus connues, pour en extraire les moindres filons non encore exploités. […] Au lieu de se créer un moyen âge de fantaisie et presque tout d’imagination, on aurait pu, par une érudition précise combinée avec une vue d’imagination ferme et nette, sauver, ressaisir, reproduire et remettre en circulation bien des beautés caractéristiques, sobres et mâles. […] L’esprit du règne de Charles V, réagissant en littérature et en poésie, avait créé toute une école ayant son cachet à part de science, de prudence, d’enseignement et de conseil. […] créa-t-il un genre de poésie ? […] La Nature seule peut créer le génie : à celui qui doit venir et en qui noirs avons espérance, nous dirions : « Il n’y a plus de théories factices, de défenses étroites et convenues ; le champ entier de la langue et de la poésie est ouvert devant vous, depuis l’âpre simplicité des premiers trouvères jusqu’à l’habile hardiesse des plus modernes, depuis la Chanson de Roland jusqu’à Musset : langue de Villon, langue de Ronsard, langue de Régnier, langue de Voltaire, quand il est en verve, langue de Chénier (je ne parle pas des vivants), tout cela est votre bien, votre instrument ; le clavier est immense.

/ 1885