C’est une philosophie qui serre de près les contours de la réalité extérieure, telle que le physicien se la représente, et de très près aussi ceux de la réalité intérieure, telle qu’elle apparaît au psychologue. […] Mais les philosophes français semblent avoir eu généralement cette arrière-pensée que systématiser est facile, qu’il est trop aisé d’aller jusqu’au bout d’une idée, que la difficulté est plutôt d’arrêter la déduction où il faut, de l’infléchir comme il faut, grâce à l’approfondissement des sciences particulières et au contact sans cesse maintenu avec la réalité. […] Remarquons qu’une idée est un élément de notre intelligence, et que notre intelligence elle-même est un élément de la réalité : comment donc une idée, qui n’est qu’une partie d’une partie, embrasserait-elle le Tout ? L’unification des choses ne pourra s’effectuer que par une opération beaucoup plus difficile, plus longue, plus délicate : la pensée humaine, au lieu de rétrécir la réalité à la dimension d’une de ses idées, devra se dilater elle-même au point de coïncider avec une portion de plus en plus vaste de la réalité.
Et Filon cherche la réalité, il la trouve. […] Seulement, la réalité se moque de la logique. […] La réalité ne leur suffit pas. […] La réalité de Zola et celle des Goncourt sont deux réalités et qui ne sont pas la réalité. […] Le savant préfère la réalité à lui-même ; et l’artiste préfère à l’authentique réalité l’interprétation qu’il en donne.
Déjà pour les mouvements accomplis par les autres êtres vivants, ce n’est pas en vertu d’une perception directe, c’est par sympathie, c’est pour des raisons d’analogie qu’il les érigera en réalités indépendantes. […] La science ne peut et ne doit retenir de la réalité que ce qui est étalé dans l’espace, homogène, mesurable, visuel. […] Aucun philosophe ne pouvait se contenter tout à fait d’une théorie qui tenait la mobilité pour une simple relation de réciprocité dans le cas du mouvement uniforme, et pour une réalité immanente à un mobile dans le cas du mouvement accéléré. […] La matière nous est donc présentée immédiatement comme une réalité. […] Si la couleur est une réalité, il doit en être de même des oscillations qui s’accomplissent en quelque sorte à l’intérieur d’elle : devrions-nous, puisqu’elles ont un caractère absolu, les appeler encore des mouvements ?
Ils ont tous pour effet de rendre manifeste la contradiction qui existe entre la réalité véritable de l’individu et sa réalité présumée. […] Aux prises avec ces réalités positives son inaptitude, sa faiblesse, son inexpérience causent sa ruine : l’intervalle où le personnage de comédie trébuchait lisiblement se creuse pour lui en un abîme où il se brise. […] En faisant appel à ses propres souvenirs chacun peut se représenter combien est pauvre à cet âge le pouvoir sur l’esprit de la réalité, combien grand, au contraire, le pouvoir de déformation de l’esprit à l’égard du réel. […] Si l’enfant ne croit à une plaisanterie, elle conclut à l’ignorance de celui qui a tenu le propos, plutôt que d’être ébranlée dans une conviction qui se confond pour elle avec la réalité même. […] En sachant à propos se singulariser et se coaliser tour à tour, les snobs réussissent à faire tenir une réalité dans un simulacre, et à opérer la substitution de personne qui est la condition de leur bonheur.
Si l’on préfère, une harmonie préétablie oblige le ciel de la pensée et celui de la réalité à se mouvoir parallèlement. […] Cette idée d’ailleurs n’est nullement synonyme de fiction ou de chimère, mais le type de la réalité considérée en elle-même. […] Le monde en effet, en plus de sa réalité propre, est le produit de nos sens et aussi de notre intelligence. […] Ils ne sortent pas de la réalité, ils la dominent et s’y incarnent ; ils l’enserrent toute et ne nient que sa limite. […] Il est nécessaire qu’elle coïncide en un point avec l’être universel, qu’elle soit une parcelle d’une réalité commune à tous.
Mais par surcroît les moyens employés pour représenter ces réalités négligeables ne sont point ceux qui en imposeraient la sensation aux gens mêmes qui n’en auraient point l’idée. […] La réalité du fait, disait Aristote (et Corneille après lui), en démontre la possibilité. […] Selon notre expérience, imperfection est indice de réalité. […] Seulement, pour que rien ne vienne nous distraire du fond, il faut que la forme ne contrarie pas l’idée que nous nous faisons de la réalité historique. […] De la plus horrible réalité, l’imitation tragique tire une émotion agréable.
En un mot, l’âme, la vie, la liberté, ne sont que des apparences ; le mouvement simple est la réalité. […] On croit y saisir la réalité la plus palpable, la plus sensible de l’être ; on n’atteint qu’une abstraction géométrique, l’espace. […] Que parle-t-on de réalité à propos du libre arbitre et des prétendues vérités de conscience ? Il faut distinguer entre le sentiment et la réalité. […] Entre le sentiment et la réalité, il y a toute la distance du phénomène au noumène.
De quelle réalité ou de quel idéal ? […] L’écrivain veut fixer cette réalité avec des symboles de beauté. […] Mais dans la réalité, que de nuances ! […] La réalité psychologique, c’est, en somme, l’image. […] Or, si c’est une réalité, que peut être cette réalité ?
Il n’y a de création humaine, de réalité efficace, que mécanicienne. […] Cela veut dire purs de leur action, c’est-à-dire de leur réalité. […] La Pythie prend pour thème poétique une des pensées les plus habituelles de Valéry : la dualité, l’opposition, la mésentente, non pas précisément entre le corps et l’âme, mais, d’un point de vue pour lequel la réalité matérielle n’existe pas, entre la réalité spirituelle signifiée par l’apparence du corps et l’autre réalité spirituelle signifiée par l’apparence de la conscience. […] Là-bas mystère sourcilleux et rebelle, ici réalité ameublie, humanisée par le travail poétique. […] Mais, pour le philosophe, l’univers se définit soit comme une réalité intelligible, soit comme une réalité spirituelle.
C’est donc en vain que nous voudrions fonder la réalité du mouvement sur une cause qui s’en distingue : l’analyse nous ramène toujours au mouvement lui-même. […] C’est dire que je touche la réalité du mouvement quand il m’apparaît, intérieurement à moi, comme un changement d’état ou de qualité. […] Établir ces rapports tout particuliers entre des portions ainsi découpées de la réalité sensible est justement ce que nous appelons vivre. […] Croire à des réalités distinctes des réalités aperçues, c’est surtout reconnaître que l’ordre de nos perceptions dépend d’elles, et non pas de nous. […] Les perceptions des divers genres marquent autant de directions vraies de la réalité.
Le mathématicien et le physicien doivent le faire, puisqu’ils ne cherchent pas à interpréter en termes de réalité l’Espace-Temps de la théorie de la Relativité, mais simplement à l’utiliser. […] Car un espace à plus de trois dimensions est une pure conception de l’esprit et peut ne correspondre à aucune réalité. […] Elle ne serait que l’aspect superficiel et spatial d’une réalité solide qui devrait s’appeler temps et espace à la fois. […] S’il y a succession et durée, c’est justement parce que la réalité hésite, tâtonne, élabore graduellement de l’imprévisible nouveauté. […] Vous aurez fait une nouvelle répartition de l’espace et du temps, aussi légitime que la première, puisque le bloc solide a seul une réalité absolue.
Ce que nous voulons établir, c’est qu’on ne peut pas parler d’une réalité qui dure sans y introduire de la conscience. […] Mais il est impossible qu’elle n’exprime pas quelque réalité. […] Fort heureusement nous n’avons à nous occuper, dans tout ce qui va suivre, que d’une seule réalité, le temps. […] Nous ne trancherons pas la question de savoir si toute réalité possède ce caractère. Il ne s’agira ici que de la réalité du temps.
Jusque-là, tout est bien… Mais, au moment où l’on fait si virilement sa confession d’un système, il ne faut pas faire profession d’un autre et ajouter : « Je me suis efforcé, en cette nouvelle édition, d’introduire, dans la résurrection de mes personnages, la réalité cruelle que moi et mon frère nous avions introduite dans le roman, m’appliquant à les dépouiller de cette couleur épique que l’Histoire leur donne, même dans les époques les plus décadentes… » Assurément, si l’Histoire donne de la couleur épique à des événements ou à des personnages qui n’en ont pas ou qui ont peut-être tout le contraire, l’Histoire a tort. […] Mais s’appliquer, délibérément et de parti-pris, à ôter la couleur épique dans l’Histoire, à n’y voir que la réalité cruelle, qui n’est pas cruelle, quand elle est la réalité juste, — c’est se maintenir dans une erreur qui n’est pas d’hier en MM. de Goncourt, et qui les a faits (malheureusement !) […] Et cette charmante et tranquille situation dans la renommée, ils la doivent au parti-pris de la réalité cruelle, qui leur a fait donner, à eux, les premiers, le nom de réalistes, — la sottise du temps ! […] La réalité cruelle, comme dit M. de Goncourt, est devenue, en un rien, la réalité dégoûtante, et un jour, un jour néfaste, La Fille Élisa ne l’a que trop prouvé… Puisque les œuvres de M. […] Pour des imaginations comme MM. de Goncourt, dont la nature poétique a toujours résisté au prosaïsme de leur système quand ils ont voulu faire de cette prétendue réalité, qu’ils appellent cruelle et que j’appelle simplement crue, les femmes sont, en effet, ce que je sais de plus dangereux et de plus mortel pour la supériorité d’un homme, — pour son sang-froid, sa justice et son impartialité.
Elle ne peut donner au physicien qu’un langage commode ; n’est-ce pas là un médiocre service, dont on aurait pu se passer à la rigueur ; et même, n’est-il pas à craindre que ce langage artificiel ne soit un voile interposé entre la réalité et l’œil du physicien ? Loin de là, sans ce langage, la plupart des analogies intimes des choses nous seraient demeurées à jamais inconnues ; et nous aurions toujours ignoré l’harmonie interne du monde, qui est, nous le verrons, la seule véritable réalité objective. […] Non, sans doute, une réalité complètement indépendante de l’esprit qui la conçoit, la voit ou la sent, c’est une impossibilité. […] Mais ce que nous appelons la réalité objective, c’est, en dernière analyse, ce qui est commun à plusieurs êtres pensants, et pourrait être commun à tous ; cette partie commune, nous le verrons, ce ne peut être que l’harmonie exprimée par des lois mathématiques. C’est donc cette harmonie qui est la seule réalité objective, la seule vérité que nous puissions atteindre ; et si j’ajoute que l’harmonie universelle du monde est la source de toute beauté, on comprendra quel prix nous devons attacher aux lents et pénibles progrès qui nous la font peu à peu mieux connaître.
Certains d’entre les libérés eurent bientôt l’intuition d’une vérité nouvelle : que le monde ne pouvait être enfermé dans un moule, quel qu’il fût, et que sa réalité seule contenait toute la révélation. […] L’œuvre de la pensée du moyen âge fut en somme une confiscation de la réalité au profit d’une formule. […] La rentrée dans l’ordre de la réalité s’effectuait. […] Il suffit de regarder autour de soi pour reconnaître qu’élaborée depuis des siècles et virtuellement victorieuse, elle ne commence qu’à peine en ce siècle, à s’incarner dans la réalité, à passer de la spéculation de l’élite dans la pratique de la foule. […] Il n’est pas vain de rappeler aux insoucieux et aux dilettantes de la vie que l’avenir du monde est lié à la banqueroute ou au succès des principes dont nous venons de résumer l’esprit : triomphe de la pensée libre, respect de la réalité, élargissement de la conscience.
Il a défait la réalité ; il doit la refaire. […] Correspond-elle à une réalité quelconque ? […] Et puis, le style, — tandis que la réalité n’en a guère. […] La vie, au contraire, l’attirait, et la réalité. […] Il la transforme en une science des réalités.
Apollonios descend dans une réalité plus intime. […] Il assemble les couleurs les plus disparates, comme le fait la réalité elle-même. […] Ils s’affranchirent des règles pour s’asservir à la réalité. […] Les yeux des réalistes de toute école sont comme braqués sur la réalité. […] Il s’efforce de rendre la réalité de la vie des champs, sans l’enlaidir, surtout sans l’embellir.
Ce n’est plus la réalité même, dit-elle, qu’elle recomposera, mais seulement une imitation du réel, ou plutôt une image symbolique ; l’essence des choses nous, échappe et nous échappera toujours, nous nous mouvons parmi des relations, l’absolu n’est pas de notre ressort, arrêtons-nous devant l’Inconnaissable. […] D’un esprit né pour spéculer ou pour rêver je pourrais admettre qu’il reste extérieur à la réalité, qu’il la déforme et qu’il la transforme, peut-être même qu’il la crée, comme nous créons les figures d’hommes et d’animaux que notre imagination découpe dans le nuage qui passe. […] Elles substitueraient au faux évolutionnisme de Spencer, — qui consiste à découper la réalité actuelle, déjà évoluée, en petits morceaux non moins évolués, puis à la recomposer avec ces fragments, et à se donner ainsi, par avance, tout ce qu’il s’agit d’expliquer, un évolutionnisme vrai, où la réalité serait suivie dans sa génération et sa croissance. […] Pour cela, un coup d’œil sur l’histoire des systèmes devenait nécessaire, en même temps qu’une analyse des deux grandes illusions auxquelles s’expose, dès qu’il spécule sur la réalité en général, l’entendement humain.
Le son n’arrive à la réalité que dans la sensation. […] Ce dernier n’est pas un moyen terme interposé entre le réel du son et une modification purement psychique qui serait parallèle à cette réalité. […] S’il n’y avait dans la réalité qu’universel mécanisme, il y aurait universelle indifférence. […] C’est même pour cette raison que tant de psychologues nient la réalité du vouloir et du désir. Mais, de ce qu’on ne peut se représenter une réalité interne comme objet, il n’en résulte pas qu’elle n’existe point, car cette réalité peut ne pas être différente de nous-même ; étant identique à nous, elle n’est plus représentable comme objet extérieur à nous.
Pourquoi la réalité, qui est peut-être un bien plus profond, ne s’obtiendrait-elle pas aussi par une opération de désentrave. […] On la reprendra parce que la réalité sera plus comme ça, ou qu’elle paraîtra plus comme ça, ou qu’on la trouvera plus comme ça. […] La réalité, en chacun de ses points, est comme une ville bloquée. […] Parlez-moi surtout d’une certaine fidélité à la réalité, que je mets au-dessus de tout. […] Le bergsonisme a été dans son principe un effort pour conduire la raison à l’étreinte de la réalité.
C’est dans ces expériences particulières uniquement que réside la réalité de l’idée, en sorte qu’elle n’est elle-même une réalité que pour le groupe d’hommes déterminé à qui ces expériences réussirent, ou pour un groupe pareil. […] Croyant obéir aux lois d’une raison universelle, à laquelle, dans le domaine de la pratique morale, aucune réalité ne répond, elle ne va faire que se soumettre à la volonté de puissance d’une autre collectivité. […] Le lien qui rattache le passé au présent et forme avec ces deux fragments de la durée une même réalité avait été jusque-là allongé par les hommes à mesure que les temps nouveaux, s’éloignant des périodes anciennes, en différaient insensiblement. […] Cette collectivité est ainsi contrainte de se plier à des attitudes conçues en vue de satisfaire une réalité qui n’est plus la sienne. […] Dans cet état de faiblesse apparente, cette croyance entre encore en lutte avec la réalité nouvelle et les besoins nouveaux qu’elle contrarie.
Cependant, une œuvre d’art n’est pas une copie de la réalité ; ce n’est pas une copie de la réalité que nous offre M. […] La réalité profonde de Salammbô, M. […] On n’a que la réalité du dehors ou bien soi : l’on n’a donc que la réalité. […] Mais la réalité n’est pas la fin qu’il se propose. […] Une âme ajoutée à la réalité.
Seulement, l’observation directe étant impossible ici, il y a suppléé par l’étude des documents qui permettaient de reconstituer la réalité disparue. […] C’est un rêve monstrueux de la vie qu’il nous offre : ce n’en est pas la réalité simplement transcrite. […] Sous l’élégance parfois maniérée de son style, il y a plus de réalité qu’on ne croit. […] Il a trop d’adresse et de malice pour donner l’illusion de la réalité : c’est un conteur délicieux, et ce sont ses gestes, sa voix, son sourire, sa fantaisie, que l’on aime dans ses histoires. […] Sa vocation littéraire est née de l’idée que le livre seul pouvait fixer dans une réalité durable quelques parcelles de ce moi et de ce monde toujours en fuite.
Chacun de nous a sûrement observé dans son entourage l’un de ces êtres incapables de prendre la réalité pour elle-même et qui ressentent en face d’elle, une inexprimable terreur. A travers le prisme de leur cerveau dégénéré que ruine progressivement leur abstention farouche de vie générale, toute réalité se déforme, même et surtout la plus proche. […] Toute œuvre forte est un rayon de réalité, un prolongement de réalité, une réalité elle-même. Sa grandeur est là ; et la médiocrité provient toujours d’une méconnaissance de réalité. […] C’est ce que nous constatons à chaque instant dans la réalité.
Non certes, et nous n’aurions rien d’essentiel à ajouter sur le Temps si nous introduisions dans la réalité simplifiée dont nous nous sommes occupé jusqu’ici un champ de gravitation. […] Il s’en faut pourtant que le Temps de la Relativité restreinte et l’Espace de la Relativité généralisée aient le même degré de réalité. […] Le paradoxe commence quand on affirme que tous ces Temps sont des réalités, c’est-à-dire des choses qu’on perçoit ou qu’on pourrait percevoir, qu’on vit on qu’on pourrait vivre. […] Disons mieux : elles sont la réalité même ; la chose est cette fois relation.
La réalité demeure plus poignante que sa transcription la plus fidèle. […] La réalité vaut mieux. Du moins, expliquons-nous, la connaissance de la réalité. […] On ne savait pas pourquoi on était allé à la réalité. […] Ayons le courage d’accepter toute la réalité.
Par cela même qu’on écrit ce grand mot, on déclare ne plus se réclamer de cette simple Fantaisie qui peut être si belle, mais de cette Fantaisie-là qui doit être transcendante, puisqu’elle se permet d’être étrange, et qu’on la déchaîne du dernier lien du bon sens, du dernier fil de la réalité. […] Seulement, s’il n’est pas un de ces conteurs qui tuent sous eux la réalité, mais qui la remplacent, il n’est pas seulement qu’un imitateur qui, comme la Grenouille de la Fable, crève misérablement en faisant sa grimace. […] Il y a enfin dans Erckmann-Chatrian tout le contraire de ce qu’il cherche : — un homme de la réalité, de la lumière, du plein jour, un coloriste naïf et parfois vaillant, qui trémousse la couleur sur la palette et la jette sur sa toile avec une brutalité joyeuse et souvent heureuse. Erckmann-Chatrian est même tellement l’homme de la réalité, qu’il touche au réalisme et qu’il pourrait y entrer… par la porte du cabaret qu’il aime… Mais c’est un réaliste que voilà averti maintenant et qui prendra garde ; car il ne nous produit pas l’effet d’avoir le parti pris de ceux-là qui se sont fait un système avec les objections naturelles de leur esprit. […] Hugues-le-Loup est une histoire grandiose, à détails poétiques et poignants, et à la beauté de laquelle je ne reproche rien, si ce n’est un vague qui n’est pas celui que l’art produit quand l’art est profond ; car il est un vague plus terrible que la réalité la plus nettement tragique.
L’erreur constante de l’associationnisme est de substituer à cette continuité de devenir, qui est la réalité vivante, une multiplicité discontinue d’éléments inertes et juxtaposés. […] On chercherait vainement, en effet, à caractériser le souvenir d’un état passé si l’on ne commençait par définir la marque concrète, acceptée par la conscience, de la réalité présente. […] Pour démasquer entièrement l’illusion, il faudrait aller chercher à son origine et suivre à travers tous ses détours le double mouvement par lequel nous arrivons à poser des réalités objectives sans rapport à la conscience et des états de conscience sans réalité objective, l’espace paraissant alors conserver indéfiniment des choses qui s’y juxtaposent, tandis que le temps détruirait, au fur et à mesure, des états qui se succèdent en lui. […] La partie non perçue de l’univers matériel, grosse de promesses et de menaces, a donc pour nous une réalité que ne peuvent ni ne doivent avoir les périodes actuel lement inaperçues de notre existence passée. […] Cette perturbation suffirait à créer une espèce de vertige psychique, et à faire ainsi que la mémoire et l’attention perdent contact avec la réalité.
S’il suit la réalité, il risque d’être insignifiant, plat, superficiel : s’il tire les idées et les sentiments du fond des cœurs, il devient symbolique, froid, invraisemblable. Car comme on ne se confesse pas au public, et qu’en outre on se connaît mal d’ordinaire, ce qu’on doit dire pour se peindre au lecteur n’est pas ce qu’on dirait dans la réalité. Le dialogue que demandent la logique des événements et la nature intime des individus, n’est pas celui que composent dans le monde les circonstances, les convenances et l’intérêt : ce qui est philosophique et vrai n’a guère l’air de la vie et de la réalité. Le problème à résoudre, délicat, s’il en fut, est de choisir dans le dialogue réel les mots expressifs, de les achever au besoin, et de se servir ainsi de la réalité sensible épurée et modifiée sans violence, pour atteindre et manifester le vrai intime et invisible. […] Les écrivains les plus déterminés à serrer de près la réalité font un choix plus large, mais font un choix, pour peu qu’ils soient artistes.
Attachés à la réalité la plus vulgaire, parce que pour des hommes comme eux, aveuglés de matière, elle est la plus indéniable des réalités, s’ils exilent l’imagination des systèmes d’expression qu’ils préconisent, ce n’est point qu’ils se défient d’elle, mais c’est qu’au fond ils n’en ont pas ! […] Mais, malgré cette prétention et le nom qu’il porte, le Réalisme ne peut jamais donner la réalité. La réalité est complexe ; c’est une implication qu’il faut fouiller pour en démêler les mélanges et les profondeurs.
Vous ne pouvez vous élever vers votre idéal logique qu’en coupant les liens qui vous rattachent à la réalité. […] V Nous cherchons la réalité, mais qu’est-ce que la réalité ? […] Cela veut-il dire que ces atomes ou que ces cellules constituent la réalité, ou du moins la seule réalité ? La façon dont ces cellules sont agencées et d’où résulte l’unité de l’individu, n’est-elle pas aussi une réalité, beaucoup plus intéressante que celle des éléments isolés, et un naturaliste, qui n’aurait jamais étudié l’éléphant qu’au microscope, croirait-il connaître suffisamment cet animal ? […] Évidemment non, nous ne posséderons pas encore la réalité tout entière, ce je ne sais quoi qui fait l’unité de la démonstration nous échappera complètement.
Des acteurs, hommes d’une réalité, jouant les rôles d’une réalité différente, c’était encore un intermédiaire trop matériel, empêchant l’entière vie idéale. […] La première loi de l’art est le réalisme : c’est au monde de la réalité habituelle que doivent être pris les éléments de la réalité artistique. […] Il admit la réalité du monde, mais il l’admit comme une réalité de fiction. […] Elle lui permet de connaître la réalité commune, et, librement, de dresser au-dessus d’elle une réalité meilleure. […] Seul vit le Moi ; les prétendues réalités extérieures sont des rêves de notre âme.
Avant-propos de la septième édition Par Henri Bergson Ce livre affirme la réalité de l’esprit, la réalité de la matière, et essaie de déterminer le rapport de l’un à l’autre sur un exemple précis, celui de la mémoire. […] Un grand progrès fut réalisé en philosophie le jour où Berkeley établit, contre les « mechanical philosophers », que les qualités secondaires de la matière avaient au moins autant de réalité que les qualités primaires. […] Pierre Janet a faite des névroses l’a conduit dans ces dernières années, par de tout autres chemins, par l’examen des formes « psychasthéniques » de la maladie, à user de ces considérations de « tension » psychologique et d’« attention à la réalité » qu’on qualifia d’abord de vues métaphysiques 3. […] Mais à travers cette complication, qui tient à la complication même de la réalité, nous croyons qu’on se retrouvera sans peine si l’on ne lâche pas prise des deux principes qui nous ont servi à nous-même de fil conducteur dans nos recherches.
L’artiste dramatique, par exemple, est toujours forcé, pour donner l’illusion de la réalité, d’outrer certains traits ; il ne représente la vie qu’avec des infidélités calculées. […] Le sentiment est la résultante la plus complexe de l’organisme individuel, et il est en même temps ce qui mourra le moins dans cet organisme ; il est la plus profonde formule de la réalité vivante. […] L’art est ainsi une condensation de la réalité ; il nous montre toujours la machine humaine sous une plus haute pression. […] Parce que ce ne sont que des fragments détachés du réel qui n’ont rien de symbolique, qui ne sont pas l’expression vivante de quelque idée générale et par là même d’une réalité plus ample. […] Par exemple, les conventions et les abstractions sur lesquelles repose l’art classique du dix-septième siècle faisaient partie en quelque sorte des réalités de la vie d’alors.
Comment la réalité et la nature s’introduisent dans la poésie lyrique. […] Il y eut des poètes qui, des conventions traditionnelles du genre, repassèrent aux réalités correspondantes et prochaines. […] Toutes ces scènes si vivement esquissées, surtout dans des pastourelles picardes, nous révèlent des esprits à qui la vulgaire réalité a fait sentir son charme, et qui ont essayé de la rendre81. […] En tout sujet, quelque idée qu’il manie, il aperçoit une réalité concrète : c’est un ancêtre de Régnier. […] Voilà le bon et le vrai lyrisme : et c’est pourquoi il ne fallait pas oublier le pauvre diable qui, le premier chez nous, dans la laide et vulgaire réalité de cette vie, a recueilli un peu de pure émotion poétique.
La fiction et la réalité surprennent quelquefois notre esprit par les parallélismes singuliers qu’il leur découvre. Ainsi, — pourvu néanmoins qu’on ne cherche pas dans des pays et dans des faits qui appartiennent à l’histoire, ces impressions surnaturelles, ces grossissements chimériques que l’œil des visionnaires prête aux faits purement mythologiques ; en admettant le conte et la légende, mais en conservant le fond de réalité humaine qui manque aux gigantesques machines de la fable antique, — il y a aujourd’hui en Europe un lieu qui, toute proportion gardée, est pour nous, au point de vue poétique, ce qu’était la Thessalie pour Eschyle, c’est-à-dire un champ de bataille mémorable et prodigieux. […] Ainsi, la réalité qui éveille l’intérêt, la grandeur qui donne la poésie, la nouveauté qui passionne la foule, voilà sous quel triple aspect la lutte des burgraves et de l’empereur pouvait s’offrir à l’imagination d’un poète. […] que par les songeurs et les poètes ; donner une figure à cette leçon des sages ; faire de cette abstraction philosophique une réalité dramatique, palpable, saisissante, utile. […] Ainsi l’histoire, la légende, le conte, la réalité, la nature, la famille, l’amour, des mœurs naïves, des physionomies sauvages, les princes, les soldats, les aventuriers, les rois, des patriarches comme dans la Bible, des chasseurs d’hommes comme dans Homère, des titans comme dans Eschyle, tout s’offrait à la fois à l’imagination éblouie de l’auteur dans ce vaste tableau à peindre, et il se sentait irrésistiblement entraîné vers l’œuvre qu’il rêvait, troublé seulement d’être si peu de chose, et regrettant que ce grand sujet ne rencontrât pas un grand poëte.
Il n’est sage à aucun d’eux de prétendre qu’il embrasse la réalité tout entière et que rien n’existe hormis ce qui l’attire et ce qu’il découvre. […] des éléments de la réalité ; ils sont par conséquent des éléments de l’art. […] Ce que je leur reproche ensuite, c’est de ne voir guère dans la réalité que le vice. […] Est-ce une raison, quand on se donne comme programme l’étude fidèle de la réalité, de passer à l’autre extrême, et de les peindre plus laids que nature ? […] Pourquoi se boucher volontairement, en face de la réalité, un des deux yeux, celui qui apercevrait la vertu à côté du vice ?
Mais le temps est une abstraction ou un extrait de quelque réalité : il n’a pas de sens appliqué au néant complet, qui est le néant de temps comme le néant de tout le reste. […] Aussi le principe des lois est-il une construction abstraite de notre esprit, qui ensuite trouve son application dans la réalité. […] Les deux ne sont conciliables que dans l’hypothèse d’une réalité intelligible ou d’une intelligibilité réelle, c’est-à-dire non abstraite, mais concrète et vivante. […] De tous ces faits de conscience qui font notre réalité propre nous abstrayons les caractères trop particuliers, et nous ne conservons que l’idée d’action en général, ou de causation. […] Elle est le schéma de la réalité intelligible.
Malheureux comme la Cassandre de Schiller, pour avoir trop vu la réalité, il serait tenté de dire avec elle : (« Rends-moi ma cécité. » Faut-il conclure que la science ne va qu’à décolorer la vie, et à détruire de beaux rêves ? […] C’est qu’en effet la science n’aura détruit les rêves du passé que pour mettre à leur place une réalité mille fois supérieure. Si la science devait rester ce qu’elle est, il faudrait la subir en la maudissant ; car elle a détruit, et elle n’a pas rebâti ; elle a tiré l’homme d’un doux sommeil, sans lui adoucir la réalité. […] Nous avons beau enfler nos conceptions, nous n’enfantons que des atomes au prix de la réalité des choses. […] Disons donc sans crainte que, si le merveilleux de la fiction a pu jusqu’ici sembler nécessaire à la poésie, le merveilleux de la nature, quand il sera dévoilé dans toute sa splendeur, constituera une poésie mille fois plus sublime, une poésie qui sera la réalité même, qui sera à la fois science et philosophie.
Ils enjolivaient à plaisir une idée de leur esprit ou de l’esprit public, et figuraient Artamène ou Astrate, qui ne représentent aucune réalité vivante. […] La réalité détermine et limite la conception poétique, et dans cette doctrine, comme dans tout art naturaliste, l’imagination n’est qu’une opération de synthèse qui rétablit en formes concrètes et vivantes les réalités dissoutes et détruites par l’analyse. […] Toute réalité dégage un charme naturel, qu’il ne tient qu’à l’art d’exprimer. […] Des réalités, sans les copier, elle dégage la vérité qui les fait être. […] Cette déformation de la réalité par la sensation, cette expansion du moi qui se répand sur les choses, ce sont des phénomènes naturels et généraux qui ont leurs lois, leurs causes et leurs signes permanents.
Toute la science des deux grands livres de Montesquieu est dans l’application de cette définition aux réalités de l’histoire. […] Et cette même réalité, avec tous ses éléments si bien définis par M. […] Michelet, ne s’en est tenu à cette vue superficielle de la réalité. […] Toute réalité est idée ; donc, tout ce qui est réel est rationnel. […] C’est l’élément personnel de l’histoire qui en fait la réalité.
« La représentation dure deux heures, et ressemblerait parfaitement, si l’action qu’elle représente n’en demandait pas davantage pour sa réalité. […] Là est le trait original, et capital, de la psychologie de Corneille, toujours d’accord, je le répète, avec Descartes, et toujours conforme aussi à la réalité contemporaine. […] On n’a jamais assez remarqué ce qu’il y a mis de réalité familière. […] L’analyse est exacte ; mais il faut rabattre la moitié du produit extérieur pour rester dans la réalité. […] C’est donc pour nous surtout, et non selon la réalité des mœurs du temps, qu’il faut rabattre des froides horreurs de la tragédie politique.
On aperçut qu’il n’y a pas lieu de tenir rigueur à un pouvoir qui nous fait concevoir les choses autres qu’elles ne sont si, à vrai dire, les choses ne comportent pas une réalité fixe, et, dans la troisième partie de cette étude on reprit avec complaisance l’examen des diverses conceptions au moyen desquelles l’esprit, par la vertu de ce pouvoir de déformation, nous ouvre sur les choses les perspectives où nous les saisissons. […] Quelque manifestation de la réalité que l’on considère, il apparaîtra que cette forme quelconque doit son existence à un état d’antagonisme entre deux tendances d’une même force. […] Il apparaîtra, qu’à supposer réalisé le vœu de l’une ou l’autre de ces tendances, ce triomphe causerait, avec la ruine de cette tendance, la suppression de toute réalité.
Le duc Jean Floressas des Esseintes, éraillé et froissé par tout ce que la vie contient de grossier, de brutal, de bruyant et de sain, se retire des hommes en qui il ne voit point ses semblables, et se détourne de la réalité qui ne contente ni ne réjouit ses sens. […] Dans ce perpétuel et acharné collétement avec la réalité, M. […] Il tire de l’observation des comparaisons étonnamment justes : « Elle eut à la fin des larmes, qui coulèrent comme des pilules argentées, le long de sa bouche. » Comme pour tous les artistes, le commerce avec la réalité, avec ce que l’on peut saisir par les sens, revoir, tâter et montrer avec les spectacles familiers de l’humanité et du, monde, lui a été profitable. […] Huysmans s’est détourné de copier la réalité, qui ne répondait point à ses exigences sensuelles, et s’est fabriqué dans A Rebours, des objets de perception inventés et parfaits. […] Ce raffinement, A Rebours en est le catéchisme et le formulaire ; tout ce qui, dans la réalité, peut meurtrir une âme délicate est écarté de ce précieux livre, est assourdi, amolli, sublimé et assuavi.
Résumé d’une pratique personnelle et forcément restreinte, elles devront nécessairement évoluer à mesure que l’on acquerra une expérience plus étendue et plus approfondie de la réalité sociale. […] On a trouvé paradoxal et scandaleux que nous assimilions aux réalités du monde extérieur celles du monde social. […] Les mythes, les légendes populaires, les conceptions religieuses de toute sorte, les croyances morales, etc., expriment une autre réalité que la réalité individuelle ; mais il se pourrait que la manière dont elles s’attirent ou se repoussent, s’agrègent ou se désagrègent, soit indépendante de leur contenu et tienne uniquement à leur qualité générale de représentations. […] Car tout ce qu’elle implique, c’est que les manières collectives d’agir ou de penser ont une réalité en dehors des individus qui, à chaque moment du temps, s’y conforment. […] D’ailleurs, ces contestations sont très souvent venues de ce que l’on se refusait à admettre, ou de ce que l’on n’admettait pas sans réserves, notre principe fondamental : la réalité objective des faits sociaux.
Entre ces réalités et ces fictions si intimement unies, j’hésite. […] La réalité ne vaut jamais nos rêves. […] Allez aux réalités. […] Serrez la réalité d’aussi près que possible ! […] Restons dans la réalité, puisque tôt ou tard il nous faudrait y revenir !
Elle exprime sereinement, impartialement, le monde et la vie, dans leur commune réalité, sans aspirer à en changer les conditions actuelles. […] Elle n’a pas la patience d’interroger la réalité : elle se met au-dessus de l’observation ; et la solide psychologie qui avait fait la gloire du siècle précédent disparaît. Elle ne consent pas non plus à rendre des arrêts en théorie, pour les voir annulés dans la pratique : elle prononce a priori, et veut que sa vue idéale des choses détermine la réalité. […] Il n’y a personne, pas même Rousseau, qui puisse pressentir la puissance de ces explosifs qu’on s’amuse à fabriquer et à manier ; personne ne se doute du ravage qu’ils feront, lorsqu’on les mettra en contact avec la réalité vivante. […] Des réalités, des morceaux de nature entrent dans l’esprit de l’homme ; des images, des sensations s’infiltrent dans la littérature.
Mes sens et ma conscience ne me livrent donc de la réalité qu’une simplification pratique. […] Pour un moment au moins, il nous détachera des préjugés de forme et de couleur qui s’interposaient entre notre œil et la réalité. […] L’art n’est sûrement qu’une vision plus directe de la réalité. […] Quelle est cette réalité ? […] L’imagination poétique ne peut être qu’une vision plus complète de la réalité.
Or, au moment même où le mari tombait, la femme eut la vision de la scène, vision précise, de tous points conforme à la réalité. […] La science moderne est donc fille des mathématiques ; elle est née le jour où l’algèbre eut acquis assez de force et de souplesse pour enlacer la réalité et la prendre dans le filet de ses calculs. […] C’est par elle que nous nous insérons dans la réalité, que nous nous y adaptons, que nous répondons aux sollicitations des circonstances par des actions appropriées. […] Un fou, atteint du délire de la persécution, pourra encore raisonner logiquement ; mais il raisonne à côté de la réalité, en dehors de la réalité, comme nous raisonnons en rêve. […] Mais aujourd’hui que, grâce à notre approfondissement de la matière, nous savons faire cette distinction et possédons les qualités qu’elle implique, nous pouvons nous aventurer sans crainte dans le domaine à peine exploré des réalités psychologiques.
Nos modernes rompent sans effort les réalités qu’ils étudient ; reste à savoir si les réalités historiques s’accommodent de ce traitement. […] Nous autres, nous disons : “Donc cela sera” ; et ce raisonnement a sa légitimité, puisque nous avons vu que les rêves de la conscience morale peuvent fort bien devenir un jour des réalités. […] La possibilité de faire exister de nouveau ce qui a déjà existé, de reproduire tout ce qui a eu de la réalité ne saurait être niée. […] En tant que réalité, il sera ; en tant qu’idéal, il est. […] Si l’ordre d’idées que nous venons de suivre arrive à quelque réalité, il y aura contre la science, surtout contre la physiologie et la chimie, des persécutions auprès desquelles celles de l’inquisition auront été modérées.
Surtout quand il s’agit de vérités morales ou littéraires, on opère sur des faits plus complexes, sur une réalité moins précise, sur des principes moins absolus, et il est souvent fort délicat de retenir le fil de son raisonnement. […] D’autres fois on aborde l’examen des faits avec des idées préconçues, et l’on contraint la réalité à s’y conformer, au lieu de conformer son opinion à la réalité. […] Enfin toutes ces causes d’erreur peuvent se mêler et concourir dans une fausse généralisation ; on obéit à des préjugés, à une tradition, à l’intérêt ou à la passion, et l’on accepte pour vrais des faits imaginaires ; on jette un coup d’œil distrait sur la réalité ; on la voit de loin, indistinctement, confusément, ou l’on n’en prend qu’une partie ; on fait arbitrairement abstraction de ce qui gêne ou déplaît ; après quoi l’on se prononce avec autorité, et l’on établit des lois, universelles, éternelles. […] Elle est toute de convention, et elle n’a assurément pas plus de vérité que celle de l’Allemand naïf, à la tête carrée, aux grands pieds et à la longue pipe, buvant des chopes et dissertant sur l’idéal et l’infini, se gavant de choucroute et volant des pendules, pour être, en fin de compte, roué de coups par un sous-officier imberbe4. » On se tiendra donc en garde contre de pareilles tentations, et avant de faire aucune induction, avant de poser une loi ou une règle, avant de rien généraliser, on s’assurera qu’on travaille bien sur une réalité, et non sur un fantôme, que les faits d’abord existent ; on aura soin ensuite de ne rien négliger dans les faits qu’on aura reconnus, de tenir compte de tous les éléments qui les composent, de n’y rien ajouter ni retrancher arbitrairement. […] Taine, et j’ajoute sans perdre un instant de vue la réalité et les faits) à une conception de l’art de plus en plus élevée, partant de plus en plus exacte… Aucune de ces définitions ne détruit la précédente, mais chacune d’elles corrige et précise la précédente, et nous pouvons, en les réunissant toutes et en subordonnant les inférieures aux précédentes, résumer ainsi qu’il suit tout notre travail : L’œuvre d’art a pour but de manifester quelque caractère essentiel ou saillant, partant quelque idée importante, plus clairement et plus complètement que ne font les objets réels.
Il remet cet homme sur pied, en pleine réalité, il le rattache par tous les côtés à la terre, selon son expression ; il suit dans son origine, dans son éducation, dans ses fréquentations, dans toute sa vie intime et domestique, la formation, les agrandissements, les abaissements du caractère et de l’esprit. […] Il n’y a pas tant à raffiner sur son cas : c’est un homme que le jeu des réalités morales a prodigieusement intéressé. […] Taine définit la presque constante position de la poésie en face de la réalité, depuis trente ou quarante ans : l’universel écoulement, l’universelle illusion, n’est-ce pas là le thème commun ? […] Il avait plus de volonté que de spontanéité : il a regardé la réalité le jour où il s’est fait un principe de la regarder ; mais elle ne le sollicitait pas d’elle-même, elle n’avait pas de séduction puissante sur son être intime. […] Ces petits faits significatifs dont Taine compose ses œuvres m’apparaissent comme des échantillons soigneusement recueillis pour une démonstration voulue ; ces fragments de réalité font l’effet d’une collection de minéralogie.
Le ciel phénoménal ne peut être tel qu’à la condition que le vrai ciel, le ciel nouménal, soit tel qu’il est ; ainsi de l’apparence on peut conclure rigoureusement à la réalité. […] Berkeley, qui niait la réalité de la matière, admettait expressément l’existence des esprits. […] Puisqu’on s’appuyait ainsi sur un axiome cartésien, on n’aurait pas dû oublier que, suivant Descartes, ce ne sont pas seulement les attributs humains, c’est en général tout ce qui est doué d’un certain degré de perfection, c’est-à-dire de réalité, qui doit être conçu en Dieu d’une manière absolue. On n’aurait pas dû oublier que, Descartes admettant l’étendue des corps comme une réalité, puisqu’elle en est l’essence même, il est impossible, tant qu’on reste fidèle à cette doctrine, de ne pas attribuer à Dieu l’étendue infinie aussi bien que la pensée infinie, et de ne pas en faire par là même la substance des corps aussi bien que la substance des esprits ; c’est ce qu’a fait Spinoza. […] La nature, à proprement parler, n’a pas de réalité propre : elle est pleine d’esprit ; elle n’est, elle ne vit, elle ne respire que par l’esprit.
Jamais, en effet, auteur quelconque — poëte ou romancier — ne fut plus l’homme et même le serf de la réalité que ce Gogol, qui est, dit-on, le créateur et le fondateur d’une école de réalisme russe près de laquelle la nôtre — d’une assez belle abjection pourtant — n’est qu’une petite école… primaire ! […] , tandis que la réalité, faut-il dire pure pour dire toute seule, la réalité sans rien qui la relève, a d’ordinaire cette vile fortune que les hommes, ces fats en masse comme en détail, s’y reconnaissent, soit pour y applaudir, soit pour la maudire : mais, malédictions ou applaudissements, c’est toujours à peu près le même bruit ! […] Si le livre où le Réalisme le plus dénué d’invention, et qui s’en vante, peint toujours la réalité la plus terne, la plus sotte ou la plus abjecte, si ce livre inouï a le malheur d’être vrai, c’est la plus terrible, et pour un homme de cœur la plus douloureuse accusation qui puisse être jamais lancée contre ce colosse sans âme qu’on appelle, avec une ironie dont on ne se doute pas, « la sainte Russie » dans les ukases impériaux ! […] Certes, on peut concevoir que, dans un but de moralité supérieure, un génie misanthropique ou indigné prenne un coquin pour héros de son livre et en dévoile l’idéal affreux, comme Vautrin, ou la réalité immensément comique, comme Panurge, mais pour cela il faut savoir individualiser.
Voici dès lors la collectivité divisée avec elle-même : sa réalité acquise la prédispose à de certaines manières d’être et elle est incitée par quelques-uns des siens à en adopter d’autres. […] Or cette, reproduction des apparences d’une énergie, lorsqu’elle n’est pas précédée de la reproduction de l’énergie même qui engendre dans la réalité ces apparences, cette reproduction est proprement une parodie. […] On s’est fait illusion sur la liberté chez les anciens et pour cela seul, la liberté chez les modernes a été mise en péril. »7 D’un point de vue plus général, on pourrait aussi montrer que la Révolution française exprime un Bovarysme idéologique dont le mécanisme caché sera l’objet par la suite d’un complet examen, et qui, en la circonstance, a pour effet de substituer une réalité rationnelle à la réalité historique, de mettre le fait concret sous le gouvernement de l’idée abstraite.
En vertu de ses principes, l’École est obligée de lui dénier plus ou moins complètement toute réalité. […] Mais, en même temps, il a un sentiment très vif de la réalité du fait, du phénomène concret, de l’être individuel. […] Car la psychologie expérimentale, dont il a été le principal initiateur en France, repose précisément sur cet axiome que la conscience n’est pas une réalité aussi simple et aussi facile à connaître que le supposait l’école introspectionniste ; qu’elle ne se réduit pas à un petit groupe d’idées claires et d’états distincts dont la formule est facile à trouver ; mais qu’elle a, au contraire, des dessous profonds et obscurs et où, pourtant, il n’est pas impossible de faire progressivement descendre la lumière de la raison. […] La morale est une réalité vivante et agissante ; c’est un système de faits donnés ; en faire l’étude du point de vue de la science *, ce n’est pas chercher à la mettre d’accord avec telle ou telle doctrine métaphysique, c’est l’observer telle qu’elle est et tenter de l’expliquer.
Parce que le moi est la réalité la plus immédiatement saisissable, la plus nettement déterminée (en apparence du moins), non par vanité seulement, elle s’y attache, elle s’y replie, et dans ce qui frappe ses sens, comme dans ce qu’atteint sa pensée, elle tend naturellement à chercher surtout les relations et les manifestations du moi : n’excédant guère la portée des sens ou du raisonnement, cherchant une évidence pour avoir une certitude absolue, dogmatique et pratique à la fois, objectivant ses conceptions, et les érigeant en lois pour les traduire en faits : sans imagination que celle qui convient à ce caractère, celle qui forme des enchaînements possibles ou nécessaires, l’imagination du dessin abstrait de la vie, et des vérités universelles de la science. Race de bon sens, parce que l’intelligence, les idées la mènent, elle est inconstante et légère, parce qu’elle n’a guère de passions dont le hasard de ses raisonnements ne change l’orientation, elle paraît aventureuse et folle, quand ses déductions et ses généralisations la heurtent à l’implacable réalité des intérêts et des circonstances. […] Enfin, la forme grave et supérieure de notre intelligence, c’est l’esprit d’analyse, subtil et fort, et la logique, aiguë et serrée : le don de représenter par une simplification lumineuse les éléments essentiels de la réalité, et celui de suivre à l’infini sans l’embrouiller ni le rompre jamais le fil des raisonnements abstraits ; c’est le génie de l’invention psychologique et de la construction mathématique.
Croce aboutit à l’anarchie, parce qu’il ne croit pas à la réalité de ces principes directeurs. […] — Les morales se succèdent l’une à l’autre en un incessant conflit ; mais la morale est une réalité en devenir constant. […] Quelle que soit la définition exacte de l’art, il n’est certainement pas une simple copie de la réalité. […] Mais voici qu’au théâtre la réalité vous étreint de toutes parts. […] La nation, disais-je p. 202, est « d’abord un but, ensuite une réalité, et plus tard un point de départ ».
Enfin, il y a même des chapitres de roman réaliste dans les Misérables : on y trouve des descriptions de milieux bourgeois ou populaires, de mœurs vulgaires ou ignobles, des scènes d’intérieur ou de rue, qui sont d’une réalité vigoureuse. […] Ce n’est pas la réalité : mais c’est une vision poétique qui transfigure la réalité sans la déformer. […] Sans doute, dans les deux premières périodes de sa vie littéraire, le parti pris dogmatique, la foi romantique ont souvent faussé sa vue, et déformé les personnages que la réalité lui présentait. […] Cependant elle sait que les modèles dont son art a besoin sont dans la vie ; elle professe que, pour trouver des sujets de roman, il n’y a qu’à regarder autour de soi ; elle prend son point de départ dans la réalité. […] Cette imagination, périlleuse dans la réalité, devint une grande qualité littéraire pour représenter par le roman une société où les affaires et l’argent tenaient tant de place.
Cet accord de nous et de nos semblables achève et complète notre idée : que la réalité fondamentale de la nature consiste en des groupes de possibilités. […] Que toute la réalité du monde extérieur est dans l’esprit qui le connaît, que nous ne savons de la matière. que ce qu’en disent nos sensations et nos idées, la sensation nous révélant les attributs, et l’idée, l’ordre entre les attributs : la première étant plutôt la connaissance vulgaire, la seconde plutôt la connaissance scientifique ; mais que le tout se réduisant en dernière analyse à des états de conscience, on peut soutenir par suite que toute la réalité de la matière est en nous ; que ce n’est aucunement nier l’existence de la matière, que c’est simplement dire que nous en avons une connaissance relative, et qu’elle n’est que la cause possible de nos sensations et de nos idées. […] Comme tel, je reconnais au Moi, — à mon propre esprit, — une réalité différente de cette existence réelle comme possibilité permanente, qui est la seule que je reconnaisse à la matière. » Il serait injuste, après avoir lu ce qui précède, de confondre cette doctrine avec celle de Hume. […] De plus, il accorde au lien qui unit les états de conscience autant de réalité qu’aux états eux-mêmes.
Seulement, l’art pour l’art était une chimère, tandis que l’histoire pour l’histoire peut être une réalité. […] Tout y atteint la réalité, sans la dépasser jamais. […] Tel, de réalité, était Charles VII. […] Ainsi encore, lorsque Montesquieu décrit la Grandeur et la décadence des Romains, c’est son ongle aigu, c’est sa griffe d’aigle qu’il empreint dans le bronze de la louve de Romulus, beaucoup plus qu’un exemplaire qu’il nous donne de l’histoire romaine avec les faits qui la constituent dans son terre-à-terre et dans sa simple réalité. […] Ces interprétations de grands esprits qui nous font penser dans le sens de leur propre pensée, ces espèces de torsions imprimées à la réalité toute droite sous la main artiste qui sait la ployer et la reployer à son gré autour d’une idée, étouffent toujours un peu l’histoire et la meurtrissent.
Jamais, en effet, auteur quelconque — poète ou romancier — ne fut plus l’homme et même le serf de la réalité que ce Gogol, qui est, dit-on, le créateur et le fondateur d’une école de réalisme russe près de laquelle la nôtre — d’une assez belle abjection pourtant ! […] , tandis que la réalité, — faut-il dire pure pour dire toute seule ? — la réalité sans rien qui la relève, a d’ordinaire cette vile fortune que les hommes, ces fats en masse comme en détail, s’y reconnaissent, soit pour y applaudir, soit pour la maudire ; mais, malédictions ou applaudissements, c’est toujours à peu près le même bruit ! […] Si le livre où le Réalisme le plus dénué d’invention, et qui s’en vante, peint toujours la réalité la plus terne, la plus sotte ou la plus abjecte ; si ce livre inouï a le malheur d’être vrai, c’est la plus terrible, et pour un homme de cœur la plus douloureuse accusation qui puisse être jamais lancée contre ce colosse sans âme qu’on appelle, avec une ironie dont on ne se doute pas : « la sainte Russie », dans les ukases impériaux ! […] on peut concevoir que, dans un but de moralité supérieure, un génie misanthropique ou indigné prenne un coquin pour héros de son livre et en dévoile l’idéal affreux, comme Vautrin, ou la réalité immensément comique, comme Panurge, mais pour cela il faut savoir individualiser.
Tout terme de comparaison nous fait défaut ; elles sont pour nous toute la réalité. […] Nulle réalité matérielle n’est poétique. […] Si nous l’étions davantage, nous saurions transfigurer même cette réalité. […] Le drame tend à se rapprocher toujours davantage de la réalité et de la vie. […] Et tout à coup je revins à la réalité.
Il a chanté la Grèce qu’il ne connaissait que par les livres ; nous voudrions savoir comment il comprenait le paysage de la Suisse, comment il associait la réalité placée sous ses yeux à la réalité qui lui était révélée par les livres. […] Hugo méprise ou ignore la réalité historique, peu nous importe. […] Sandeau, par la réalité, par le mouvement et la vie. […] La connaissance la plus complète de la réalité ne saurait suffire à la construction d’un poème. […] Tel est, dans sa réalité nue, l’épisode choisi par M.
Un simple relâchement de l’effort de synthèse réclamé par la perception donnera bien à la réalité l’aspect d’un rêve, mais pourquoi ce rêve apparaît-il comme la répétition intégrale d’une minute déjà vécue ? […] Vingt systèmes de désarticulation sont possibles ; nul système ne correspond à des articulations nettes de la réalité. […] Ainsi le veut la réflexion, qui prépare les voies au langage ; elle distingue, écarte et juxtapose ; elle n’est à son aise que dans le défini et aussi dans l’immobile ; elle s’arrête à une conception statique de la réalité. […] L’illusion s’accompagne « d’une espèce de sentiment inanalysable que la réalité est un rêve », dit M. […] À mesure que ces deux émotions se compénètrent, la réalité perd de sa solidité et notre perception du présent tend aussi à se doubler de quelque autre chose, qui serait derrière.
Voilà de quoi les chansons de toile entretenaient nos rudes aïeules : voilà ce qui enfiévrait leurs imaginations oublieuses de la pauvre et froide réalité. […] Il n’est pas sûr que ces deux derniers genres n’aient pas été importés du Midi au Nord : cependant la réalité a pu en fournir les thèmes, comme ceux des chansons à danser et des romances. […] Car, dans le riche et délicat Midi, cette doctrine répondait encore à quelque réalité, à un certain ordre de relations établi entre les hommes et les femmes : mais, dans notre Nord, si rude et si brutal, loin d’avoir son fondement dans la vie, elle restait absolument irréelle, idéale et didactique. […] Il semble reposer tout entier sur cette gageure, de ne donner à la poésie aucun point d’appui ni dans la réalité extérieure ni dans la conscience intime. […] De là aussi l’emploi qu’ils font de l’allégorie : ayant éliminé toutes les réalités de leur poésie, ils font de leurs concepts des réalités, et leur attribuent toutes les formes, qualités et propriétés des choses concrètes.
Imaginer n’est-ce pas associer des idées ou sentiments acquis antérieurement pour produire quelque construction qui ressemble à la réalité ? […] Mais d’abord quel rapport y a-t-il entre la réalité et l’idée ? L’idée est une réalité affaiblie ; entre concevoir une sensation et la percevoir réellement, il n’y a qu’une différence de degré. […] Bain, est une parole ou un acte contenu ». « La tendance d’une idée de l’esprit à devenir une réalité, est une des forces qui régissent notre constitution ; c’est une source distincte d’impulsions actives…. […] Bain, la doctrine courante qui veut que la nature soit son critérium et la vérité (réalité) son but.
Victor Hugo protesta en vain, déclarant que des abîmes infranchissables séparent la réalité dans l’art de la réalité dans la nature . […] La poésie se modifie, admet comme élément de beauté la réalité vulgaire. […] Dans ses romans la réalité palpite. […] Tel est le drame simple et terrible, pris dans la réalité, qui immortalise Flaubert. […] Il obéit à sa muse qui lui ordonne d’étudier, de comprendre et d’exposer la réalité qui nous environne.
« Le Roman bourgeois — dit avec raison Asselineau — est le premier roman d’observation qu’ait produit la littérature française. » La manière de l’auteur, ce vieux raillard, comme parlerait Rabelais (le père à tous de ces observateurs ricanants de la nature humaine et du monde), la manière de l’auteur, incisive, colorée, gauloise, étreignant la réalité, et quelquefois jusqu’au cynisme, est caractérisée avec beaucoup de bonheur par Charles Asselineau. […] En effet, pour nous du moins, Furetière romancier est, surtout et avant tout, un réaliste, un réaliste beaucoup plus fort que nos blafards réalistes d’à-présent, car il a de la couleur, du repoussé, du relief, des qualités chaudes qui rendent la copie de la réalité plus intense, et qui, par là, touchent à l’idéal ; — mais c’est un réaliste et rien de plus ! […] Furetière est trop artiste pour incliner et déjeter la réalité sous l’invention satirique.
Les deux fondateurs des études historiques en notre pays, Thierry et Guizot, représentent ces deux tendances : Guizot, plus philosophe, opère sur des idées ; Thierry, plus imaginatif, essaie d’atteindre les réalités. […] Dans tous ces petits faits, dans les plus mesquines avanies, il prenait « la forte teinte de réalité » qui devait faire l’intérêt de son ouvrage. […] Nous lisons notre histoire dans l’âme lyrique de Michelet, ce sont les réactions subjectives du narrateur qui nous livrent la réalité objective des faits. […] Son imagination dominée par sa foi et ses haines devient une machine à déformer toute réalité. […] et comme il apparaît que cet éperdu visionnaire avait le sens de l’observation, le discernement instantané des réalités suggestives !
Il ne les peut prendre nulle part, sinon dans notre vie inférieure, dans ce que nous appelons la Réalité. […] Les moyens qu’elle emploie pour nous suggérer artistiquement les sensations, diffèrent entièrement des moyens employés par la réalité. Car les couleurs et les lignes, dans un tableau, ne sont pas la reproduction des couleurs et des lignes, tout autres, qui sont dans la réalité. […] Après eux la vision de la réalité s’affina. […] Ce spectacle d’enfants parisiens nous donne une louable impression de réalité vivante.
La réalité de la matière consiste dans la totalité de ses éléments et de leurs actions de tout genre. […] Mais cette première position n’est pas tenable ; son corps n’a et ne peut avoir ni plus ni moins de réalité que tous les autres corps. […] Il faut tenir compte de ce que percevoir finit par n’être plus qu’une occasion de se souvenir, de ce que nous mesurons pratiquement le degré de réalité au degré d’utilité, de ce que nous avons tout intérêt enfin à ériger en simples signes du réel ces intuitions immédiates qui coïncident, au fond, avec la réalité Même. […] Par là on éliminerait de la matière toute virtualité, toute puissance cachée, et les phénomènes de l’esprit auraient une réalité indépendante. […] Si donc l’esprit est une réalité, c’est ici, dans le phénomène de la mémoire, que nous devons le toucher expérimentalement.
Surtout, cela correspond-il à ce qu’est la réalité de la vie ? […] L’action seule touche à la réalité, ou plutôt, l’homme n’est réel que pour autant qu’il agit. […] Le Jésus des paraboles lui eût enseigné la nature, sa signification, son but et sa réalité. […] Les réalités intimes prennent place à côté des réalités extérieures devenues moins impérieuses. […] Toute la sève évangélique est corrompue par l’infiltration de cette philosophie, et la réalité profonde du salut tombe avec la réalité tragique de la chute.
Reportons-nous aux documents romantiques… Quel abîme entre le rêve et la réalité ! Pourtant, c’est la réalité qu’entend nous dépeindre l’auteur. […] On ne saurait imaginer plus exacte correspondance entre la réalité précise vue par de certains yeux et la sensation du poète qui fixe cette réalité. […] Et pourtant elle a de fermes assises dans la réalité observée. […] Si toutefois la réalité de la vie ne répondait pas pour elle au tableau que j’en fais, j’en demanderais pardon à notre auteur, et j’ajouterais : Telle n’en fut pas moins la réalité de son rêve.
C’est pourquoi on croit avoir dit tout ce qui est nécessaire pour les rendre intelligibles, quand on a établi la réalité de ces services et montré à quel besoin social ils apportent satisfaction. […] Elle ne serait pas plus contestée en sociologie si les faits sociaux, à cause de leur extrême immatérialité, ne nous paraissaient, à tort, destitués de toute réalité intrinsèque. […] Seulement, parce que l’individu est regardé comme la seule et unique réalité du règne humain, cette organisation, qui a pour objet de le gêner et de le contenir, ne peut être conçue que comme artificielle. […] Elle ne dérive pas d’un arrangement conventionnel que la volonté humaine a surajouté de toutes pièces au réel ; elle sort des entrailles mêmes de la réalité ; elle est le produit nécessaire de causes données. […] Si donc nous reconnaissons avec les uns qu’elle se présente à l’individu sous l’aspect de la contrainte, nous admettons avec les autres qu’elle est un produit spontané de la réalité ; et ce qui relie logiquement ces deux éléments, contradictoires en apparence, c’est que cette réalité d’où elle émane dépasse l’individu.
Elle recevait tout l’univers en son âme et le renvoyait en formes idéales : vraie antithèse du génie dur et pratique de Rome, dont le rôle est de façonner la réalité par l’épée et par la loi. […] Dans un cadre d’étranges fictions, la réalité humaine est fournie par la mutuelle possession de deux âmes. […] Son positivisme lucide vide les merveilleux symboles du génie celtique de leur contenu, de leur sens profond extra-rationnel, et les réduit à de sèches réalités d’un net et capricieux dessin. […] Il a le sens des réalités prochaines et visibles : il note d’un trait juste tout ce qui est dans son expérience ou conforme à son expérience. […] Rien de plus positif aussi et de plus naïvement saisi dans la réalité contemporaine que l’entrevue nocturne de Lancelot et de Genièvre.
Mais il ne prenait rien de plus à la science de cette assimilation générale : cela voulait dire qu’il voulait aller au vrai par l’observation de la réalité et faire seulement les généralisations que les faits commanderaient. […] Nous avons encore cela de commun que notre objet, ce sont des faits, c’est la réalité, présente ou passée, infiniment complexe et confuse, dérobant sous la richesse mobile des apparences la simplicité et la stabilité de son organisation. […] Bien des généralisations y ont été reconnues fausses ou hasardées, ou prématurées, renvoyées à un avenir lointain ou même incertain… Il y a cependant une attitude de l’esprit à l’égard de la nature qui est commune à tous les savants… » Une attitude d’esprit à l’égard de la réalité, voilà bien ce que nous pouvons prendre aux savants ; transportons chez nous la curiosité désintéressée, la probité sévère, la patience laborieuse, la soumission au fait, la difficulté à croire, à nous croire aussi bien qu’à croire les autres, l’incessant besoin de critique, de contrôle et de vérification. […] Mais, ce passé, nous le ressaisissons dans des réalités encore présentes, qui sont les œuvres littéraires : semblables en cela aux seuls historiens de l’art. […] Mais alors, si notre objet nous impose l’emploi de l’impression subjective, et si le premier commandement de la méthode scientifique est la soumission de l’esprit à l’objet, pour organiser les moyens de connaître d’après la nature de la chose à connaître, ne sera-t-il pas plus scientifique de reconnaître et de régler le rôle de l’impressionnisme dans l’étude des œuvres littéraires que de le nier, et, comme on ne supprime pas une réalité en la niant, de laisser cet élément personnel rentrer sournoisement et agir sans règle dans nos travaux ?
Un vigoureux sens des réalités soustrait l’œuvre aux dangers de la thèse, et l’empêche de s’évanouir dans l’abstraction comme de se dessécher dans le symbole. […] Il y a quelques œuvres surtout, où les caractères semblent vidés de toute réalité, à l’état de purs symboles : toute la Femme de Claude, et le principal rôle de l’Étrangère nous laissent l’impression de dessins apocalyptiques sous lesquels il ne faut chercher que des idées. Dans beaucoup de personnages, le symbole s’efface par la substantielle réalité de l’imitation, qui parfois est très délicatement et minutieusement poussée : il s’efface, mais il subsiste. […] Plus de factice roman, plus de raide logique : la comédie de Francillon ne nous offre que réalité et humanité.
. — Les Réalités (1886). […] Alphonse Lemerre Auteur de plusieurs volumes de poésie dont les principaux sont le Cœur et les Yeux et les Réalités, M.
Rien ne remplace cette communication première avec la réalité. […] Pour lui, l’idéal est non pas le contraire, mais l’épanouissement de la réalité : il sort de la réalité comme la fleur sort de la plante, pour la couronner, ou comme le gazon sort de la terre, pour jeter un manteau vert sur sa nudité. […] Nous éloignent-elles beaucoup de la réalité ? […] Partout le triomphe de la réalité, de l’action, de la vie présente. […] Au fond, que veut dire Goethe dans cette seconde partie, sinon ccci : La réalité vaut la féerie ?
Il ne doute pas de la réalité des faits portés dans l’Écriture, non plus qu’avant le xviiie siècle on ne doutera de la réalité des faits racontés par Tite-Live : l’exégèse de Calvin représente exactement la même époque de la critique que les raisonnements de Machiavel, de Bossuet, et même de Montesquieu sur Tite-Live. […] Et surtout il a l’inestimable don du xvie siècle, la jeunesse : cela étonne ; j’entends par là la fraîcheur d’une pensée toute proche encore de la vie et chargée de réalité. […] Qu’on lise ses Commentaires des Êpitres de saint Paul, on sera surpris, à travers tant de gravité dogmatique, de rencontrer un parler si familier, tant de rappels à la réalité commune, métaphores, comparaisons, apologues.
Pourvu que nous sentions dans la création de l’artiste la spontanéité et la sincérité d’expression que nous rencontrons partout dans la réalité, « l’antipathique même redevient en partie sympathique, en devenant une vérité vivante qui semble nous dire : Je suis ce que je suis, et telle je suis, telle j’apparais7. » Ainsi sera refaite, dans l’art à tout le moins, une place et une large place aux individualités, ces ondulations et miroitements divers du grand flot de la vie, qui semblait tout d’abord les emporter pêle-mêle. La vie, dans sa réalité immédiate, c’est l’individualité : « on ne sympathise donc qu’avec ce qui est ou semble individuel ; de là, pour l’art, l’absolue nécessité, en même temps que la difficulté de donner à ses créations la marque de l’individuation 8. » Une restriction cependant, ou plutôt une condition d’élargissement toujours possible, c’est que l’individualité, en tant que telle, sera assez parfaite pour atteindre à la hauteur du type : « ce qui ne serait qu’individuel et n’exprimerait rien de typique ne saurait produire un intérêt durable. […] C’est s’arrêter à la superficie des choses que d’y voir seulement des effets à saisir et à rendre, de confondre la nature avec un musée, de lui préférer même au besoin un musée. » Le grand art est celui qui traite la nature et la vie « non en illusions, mais en réalités », et qui sent en elles le plus profondément « non pas ce que l’art humain peut le mieux rendre, mais ce qu’il peut au contraire le plus difficilement traduire, ce qui est le moins transposable en son domaine. […] Quant au réalisme, son mérite est, en recherchant « l’intensité dans la réalité », de donner une impression de réalité plus grande, par cela même de vie et de sincérité : « la vie ne ment pas, et toute fiction, tout mensonge est une sorte de trouble passager apporté dans la vie, une mort partielle. » L’art doit donc avoir « la véracité de la lumière ». […] Zola comme de Balzac, c’est précisément qu’ils ont voulu peindre les hommes dans leurs rapports sociaux ; c’est qu’ils ont fait surtout des romans « sociologiques », et que le milieu social, examiné non dans les apparences extérieures, mais dans la réalité, est une continuation de la lutte pour la vie qui règne dans les espèces animales. « De peuple à peuple, chacun sait comment on se traite.
Réalité des idées égalitaires Notre définition de l’idée de l’égalité est toute conventionnelle. Elle n’implique pas plus la réalité de son objet que la définition d’un triangle, ou même que l’invention d’une chimère. Avant donc de chercher les conditions sociologiques du succès des idées égalitaires, il importe de prouver ce succès même, et qu’elles existent bien, dans la réalité historique, comme idées sociales. […] Si l’on se rappelle les éléments de notre définition de l’idée de l’égalité, on reconnaîtra aisément que nous n’avons eu, pour les ressembler, qu’à chercher autour de nous, dans les sociétés modernes et occidentales : c’est des réalités les plus proches que nous nous sommes inspirés ; c’est bien l’esprit de notre temps qui nous a soufflé nos mots. […] Il n’est que trop aisé de mesurer l’abîme qui sépare la réalité de l’idéal démocratique.
Dans l’exploitation de ses modèles, puisque modèles il y a, Lesage se laisse guider par sa connaissance de la réalité prochaine, de l’homme vu dans le Français. […] Il pousse plus avant dans la voie indiquée par La Bruyère : il recule les réalités intérieures et intelligibles, et il amène en pleine lumière les réalités sensibles. […] Le roman de Marivaux, dans ces analyses, reste toujours plus près de la réalité que son théâtre. […] Mais les circonstances de cette passion, les actes des êtres qui en sont possédés, font de cette rare passion une réalité. […] La composition se serre, devient plus logique, partant plus vraie, puisque la liaison des phénomènes est un élément fondamental de notre croyance à la réalité des choses.
Houssaye connût celles de l’Empire, une figure de la réalité et de l’idéal tout ensemble de la Mathilde de Rouge et Noir, cette grande demoiselle de la Restauration. […] le tragique idéal qu’il lui faut, sous peine de n’être plus qu’une réalité dégoûtante… C’est cela, c’est ce difficile cela, que MΜ. […] C’est d’une réalité dont pourront s’inspirer les Walter Scott de l’avenir, qui voudront peindre les horreurs de Paris insurgé, comme Walter Scott a peint les horreurs de Liège révoltée. […] Conte ou chronique, histoire ou roman (et le roman, c’est de l’histoire encore), ont, l’un et l’autre, pour visée d’exprimer la réalité, et ici c’est la réalité contemporaine. […] Eh bien, ce monde dans lequel Feuillet a taillé un roman qui n’a de vrai que son étoffe, voici un livre qui l’affirme à son tour, si quelqu’un pouvait contester, de ce inonde, la pitoyable réalité !
Il s’en sert comme de signes pour remonter inductivement à une réalité psychique plus profonde et plus masquée. […] Nullement, mais une anxieuse interrogation sur la réalité de ce qu’il perçoit. […] Il est évident que c’est un sentiment si sublime qu’il est ridicule, et je comprends que Proust n’ait pas osé en reconnaître la réalité. […] Jamais peut-être la réalité n’avait été perçue d’une façon aussi fine et aussi touffue. […] Il a une véritable faim de vérité, et de réalité immuable, soustraite au temps, donc autre que celle que ses sens lui présentent.
C’est donc précisément leur réalité qu’il faut mettre en évidence, car c’est par leur réalité que ces jouissances artistiques ont du prix pour les hommes, les attirent et les sollicitent avec une force qu’elles n’auraient pas si elles n’avaient à leur offrir qu’un semblant de plaisir idéal et platonique. Or, à l’égard de cette réalité, il n’y a pas de doute à avoir. […] Autrement, s’il s’agissait au théâtre de réalité, comment le public serait-il apte à juger de la vérité, lui qui la plupart du temps n’a pas directement observé cette réalité ? […] Ce n’est pas la réalité cependant qui a changé, mais l’image idéale qu’en possède l’esprit des spectateurs. […] L’idée de juxtaposer l’art et la réalité est contradictoire et constitue pour l’école naturaliste un obstacle insurmontable.
Ils y saisiront surtout avec plus de facilité le rapport du livre et de la vie, l’étroite liaison de l’idée et de la réalité : ils sentiront que ce ne sont point des fantaisies en l’air dont on les entretient ; ils apercevront dans ces mots, ces éternels mots, dont tant de siècles ont fatigué leurs oreilles, toute la vie de l’humanité et leur propre vie. […] C’est comme le cadre qui assemble les fragments de la réalité. Eh bien, dans ce cadre que vous fournit votre lecture, faites rentrer la réalité que vous connaissez, votre vie intime, le monde qui vous entoure : déformez-le, s’il le faut ; agrandissez, resserrez ; en un mot adaptez-le à votre usage, et moulez le contenant sur le contenu. […] Au reste, c’est l’honneur singulier, c’est l’immortel mérite des classiques, que, si élevée que soit leur œuvre au-dessus de la médiocre réalité, vous ne vous y sentirez jamais tout à fait dépaysé. […] Rien de plus utile surtout que de lire les moralistes, si l’on essaye d’appliquer leurs observations et de les rapprocher de la réalité.
Là est une des marques de la philosophie française : si elle consent parfois à devenir systématique, elle ne fait pas de sacrifice à l’esprit de système ; elle ne déforme pas à tel point les éléments de la réalité qu’on ne puisse utiliser les matériaux de la construction en dehors de la construction même. […] Il a montré que la connaissance que nous avons de nous-même, en particulier dans le sentiment de l’effort, est une connaissance privilégiée, qui dépasse le pur « phénomène » et qui atteint la réalité « en soi », — cette réalité que Kant déclarait inaccessible à nos spéculations. […] Lui-même a tracé les linéaments d’une philosophie qui mesure la réalité des choses à leur degré de beauté. […] Et l’on pourrait ranger du même côté Édouard Le Roy, si l’œuvre de ce philosophe n’était animée, malgré certaines ressemblances extérieures, d’un esprit différent : sa critique de la science est liée à des vues personnelles, profondes, sur la réalité en général, sur la morale et la religion 31.
Si vous définissez la réalité par la convention mathématique, vous avez une réalité conventionnelle. Mais réalité réelle est celle qui est perçue ou qui pourrait l’être. […] Que devriez-vous faire si vous aviez pitié du pauvre philosophe, condamné au tête-à-tête avec la réalité et ne connaissant qu’elle ? […] , vous pratiquez d’une simultanéité à l’autre, de la simultanéité naturelle à la simultanéité savante, une transfusion de réalité. […] Il parlera donc de « réalité » et d’« apparence », de « mesures vraies » et de « mesures fausses ».
Autant le monde régi par un Dieu parfait nous fixe avec précision des devoirs de respect et d’amour, autant le monde chaotique et dispersé que la réalité nous impose manque d’autorité morale. […] Elle suppose que nous pouvons apprécier le contraste des réalités et des apparences, de la nature des choses et des conventions sous lesquelles nous les voilons aux autres et à nous-mêmes. […] Elle est la réponse naturelle de l’homme, réponse contradictoire et unifiée à la fois, aux contradictions du monde, de la vie et de l’esprit, elle le laisse à la fois s’adapter à la réalité la plus large et tâcher d’adapter la réalité à lui, dans la mesure où cela est possible. […] Ceux dont on est le plus fier ne valent que par leur ajustement à un côté et parfois à un côté passager ou insignifiant de la réalité. […] Le contraire est vrai aussi, et de tout ce que nous avons, les autres profitent plus ou moins, mais il faut voir les deux faces de la réalité, et c’est la condition de l’ironie.
L’art n’a point cette patience : il improvise, il devance le réel et le dépasse ; c’est une synthèse par laquelle on s’efforce, étant données ou simplement supposées les lois du réel, de reconstruire pour l’esprit une réalité quelconque, de refaire un monde partiel. […] Dans la composition des caractères, par exemple, l’art combine, comme les chimistes dans la synthèse des corps, des éléments empruntés à la réalité. […] Le génie s’occupe des possibilités encore plus que des réalités ; il est à l’étroit dans le monde réel comme le serait un être qui, ayant vécu jusqu’alors dans un espace à quatre dimensions, serait jeté dans notre espace à trois dimensions. […] Ajoutez la nature humaine à la nature universelle, vous avez l’art : ars homo additus natures. — D’autre part, qu’est-ce que la réalité même, pour le poète, sinon une vision, d’un autre genre que celle où le cerveau seul enfante, mais pourtant encore une vision ? […] Shakespeare a exprimé avec une mélancolie profonde cette analogie finale de la réalité et du rêve, de la nature et de l’art, de la vie et de l’illusion universelle : « Nos divertissements sont maintenant finis.
Ce n’est pas seulement la science, c’est la réalité au-delà du monde fini qu’elle conteste ; selon elle, ce n’est pas l’inconnu qui est au-delà de cette limite, c’est le néant. […] J’affirme au contraire : 1° que, si les limites du monde fini sont celles de la science humaine, elles ne sont pas celles de la réalité ; 2° que l’homme porte en lui-même non-seulement des désirs et des ambitions, mais des instincts et des notions qui lui révèlent des réalités au-delà du monde fini, et que, si l’homme ne peut pas avoir la science de ces réalités, il en a la perspective ; 3° que, sous l’impulsion et le légitime empire de cette perspective, l’homme poursuit dans sa vie intellectuelle la connaissance de ces réalités, qu’il ne peut que reconnaître, comme il poursuit dans sa vie pratique la perfection morale, qu’il ne peut atteindre. […] Guizot repousse cette assimilation en affirmant que le positivisme nie non-seulement la science, mais la réalité même de tout ce qui est au-delà du fini. […] L’immensité, tant matérielle qu’intellectuelle, tient par un lien étroit à nos connaissances, et devient par cette alliance une idéepositive du même ordre ; je veux dire que, en les touchant et en les bordant, cette immensité apparaît sous son double caractère, la réalité et l’inaccessibilité. […] Littré, avec son double caractère, la réalité et l’inaccessibilité. » Mais, dira-t-on, l’école positiviste rejette Dieu et l’âme comme des hypothèses arbitraires et provisoires.
Descartes, il est vrai, n’allait pas encore aussi loin : avec le sens qu’il avait des réalités, il préféra, dût la rigueur de la doctrine en souffrir, laisser un peu de place à la volonté libre. […] Mais le cerveau, justement parce qu’il extrait de la vie de l’esprit tout ce qu’elle a de jouable en mouvement et de matérialisable, justement parce qu’il constitue ainsi le point d’insertion de l’esprit dans la matière, assure à tout instant l’adaptation de l’esprit aux circonstances, maintient sans cesse l’esprit en contact avec des réalités. […] Son tort n’est pas de raisonner mal, mais de raisonner à côté de la réalité, en dehors de la réalité, comme un homme qui rêve. […] Mais, de même qu’il suffit d’un très faible relâchement de l’amarre pour que le bateau se mette à danser sur la vague, ainsi une modification même légère de la substance cérébrale tout entière pourra faire que l’esprit, perdant contact avec l’ensemble des choses matérielles auxquelles il est ordinairement appuyé, sente la réalité se dérober sous lui, titube, et soit pris de vertige. […] Il vous dira que les objets matériels n’ont plus pour lui la solidité, le relief, la réalité d’autrefois.
. — Construction de l’idée d’objet et de l’idée de réalité. […] L’objet, c’est la forme que l’appréhension de la réalité prend dans notre conscience sous une double série de conditions : 1° celles de la conscience en général, 2° celles de telle affection spéciale d’un sens particulier. […] Nous n’avons pas besoin de monter en quelque sorte sur notre propre tête pour contempler un horizon de « vérité infinie, de réalité absolue ». Encore moins avons-nous besoin, avec Fichte, d’invoquer le devoir pour attribuer une réalité à la bête qui nous mord ou à l’homme qui nous fait violence.
On va jusqu’à trouver la Chanson de Roland « plus réaliste qu’Homère »… « C’est, dit-on, de la réalité toute crue », La Chanson de Roland est, certes, un beau poème, pour l’élan, le souffle, l’accent héroïque, le ton de vérité émouvante et de grandeur continue. […] On a beau crier, pourtant, — les exemples de notre dernier livre le prouvent — les meilleurs écrivains n’ont pas eu d’autre méthode, qu’ils imitent Homère ou qu’ils transposent directement la réalité, comme Virgile, Chateaubriand ou Flaubert. […] « Voilà ce que c’est, dit-on, que de vouloir peindre des morgues artificielles… Privé de la réalité, M. […] De sorte que, si je n’y suis pas « allé » moi-même, quelqu’un y est « allé » pour moi et que je n’ai pas été le moins du monde « privé de la réalité », comme le prétend M. de Gourmont, qui, entre parenthèses, ne trouve ma description si mauvaise que parce qu’il la croit imaginée.
C’est donc la vie réelle, en sa réalité supérieure. […] Mais, diton, la différence est de la réalité aux signes : si vous prenez les signes pour la suprême réalité, vous perdez de vue la réalité authentique. […] Plus il y a de réalité dans les signes qu’elle en attrape, et aussi plus elle saisit de réalité. […] Il fallait, dans l’imitation, faire entrer le plus de réalité possible ; non pas une réalité toute nue : une réalité bien habillée, déguisée, que le lecteur se plaisait à reconnaître sous le déguisement. […] Il n’ajoute pas à la réalité la foi ; mais il tire la foi de la réalité.
Or, dans la réalité, il est des larmes tout intérieures, et ce ne sont pas les moins poignantes ; il est des choses, pensées, qu’on ne saurait dire, et ce ne sont pas toujours les moins significatives. […] Mais la réalité est chose si fuyante qu’elle peut trouver moyen d’échapper encore à cette méthode toute d’exactitude scientifique. […] Il est toujours bon d’examiner les conséquences d’une hypothèse, à la condition de ne pas représenter cette hypothèse abstraite comme le tout de la réalité. […] Or, le milieu social, examiné non dans les apparences extérieures, mais dans la réalité, est une continuation de la lutte pour la vie qui règne dans les espèces animales. […] Un troisième trait du système philosophique substitué par les réalistes à l’observation de la réalité, c’est le fatalisme.
VII), et incapables de vivre dans la réalité. […] Mais avant d’être idée, le Romantisme a dû être réalité. […] En voilà l’inspiration commune, et, en quelque sorte les réalités. […] Tant de dédain pour la réalité s’expie. […] C’est que l’illusion s’ajustait vraiment trop mal sur la réalité.
Une définition parfaite ne s’applique qu’à une réalité faite . […] Le mécanisme n’envisage de la réalité que l’aspect similitude ou répétition. […] Si tout est dans le temps, tout change intérieurement, et la même réalité concrète ne se répète jamais. […] Mais la réalité sur laquelle chacune de ces théories prend une vue partielle doit les dépasser toutes. […] Mais mécanisme et finalisme passeraient, l’un et l’autre, à côté du mouvement, qui est la réalité même.
Cet enfant de métier, qui va jouer avec ses camarades après le prêche, ou rêver seul s’il le peut, ce petit adolescent à la taille bien prise, à l’œil vif, à la physionomie fine, et qui accuse toutes choses plus qu’on ne voudrait, il a plus de réalité que l’autre et plus de vie ; il a de la bonhomie, il a des émotions et des entrailles. […] En tout, comme peintre, Rousseau a le sentiment de la réalité. […] Il a le sentiment de cette réalité en ce qu’il veut que chaque scène dont il se souvient ou qu’il invente, que chaque personnage qu’il introduit, s’encadre et se meuve dans un lieu bien déterminé, dont les moindres détails se puissent graver et retenir. […] Enfin, ce sentiment de la réalité se retrouve chez lui jusque dans ce soin avec lequel, au milieu de toutes ses circonstances et ses aventures heureuses ou malheureuses, et même les plus romanesques, il n’oublie jamais la mention du repas et les détails d’une chère saine, frugale, et faite pour donner de la joie au cœur comme à l’esprit. […] Je n’ai pu indiquer qu’en courant dans l’auteur des Confessions les grands côtés par lesquels il demeure un maître, que saluer cette fois le créateur de la rêverie, celui qui nous a inoculé le sentiment de la nature et le sens de la réalité, le père de la littérature intime et de la peinture d’intérieur.
À votre tour, je veux les lâcher sur vous : « Si la collection de tous les modes, de toutes les qualités sensibles, étant brisée par l’abstraction, la substance imaginaire n’est plus rien ou n’a qu’une valeur nominale, la substance abstraite du mode, dans ce point de vue intellectuel, conserve encore la réalité qui lui appartient, à l’exclusion de toutes les apparences sensibles qui n’existent qu’en elle et par elle14. » Osez dire que vous comprenez ce jargon. […] Tenez, débrouillez ce grimoire : « Il y a immédiation entre l’aperception immédiate de la force constitutrice du moi et l’idée de la notion de mon être au titre de force absolue, par la raison que je pense et entends la réalité absolue de mon être, de la même manière que j’aperçois ou sens immédiatement l’existence individuelle et actuelle du moi 16. » Savez-vous ce que c’est que cette philosophie ? […] Voici d’abord ce que vous appeliez son grimoire : « Il y a immédiation entre l’aperception immédiate de la force constitutrice du moi et ridée de la notion de mon être au titre de force absolue, par la raison que je pense et entends la réalité absolue de mon être de la même manière que j’aperçois ou sens immédiatement l’existence individuelle et actuelle du moi. » La phrase est rude : Force constitutrice du moi, idée de la notion de mon être au titre de force absolue, réalité absolue de mon être, immédiation entre l’aperception et l’idée ; ce sont là autant de broussailles qui arrêtent l’esprit tout court. […] Voyons la seconde obscurité : « Si la collection de tous les modes, de toutes les qualités sensibles étant brisée par l’abstraction, la substance imaginaire n’est plus rien ou n’a plus qu’une valeur nominale, la substance abstraite du mode dans ce point de vue intellectuel conserve encore la réalité qui lui appartient, à l’exclusion de toutes les apparences sensibles qui n’existent qu’en elle et par elle. » Je traduis : « Enlevez toutes les qualités sensibles de cette pierre, la couleur, la dureté, l’étendue, la porosité, la pesanteur, etc., et essayez de concevoir la substance intime : par l’imagination vous ne le pouvez, car la substance n’a rien de sensible ; par la raison vous le pouvez, car la substance est indépendante de ces qualités et leur survit. » L’idée est fausse, mais qu’importe ? […] « Car nulle cause ou force ne peut se représenter sous une image qui ressemble à l’étendue ou à ce que nous appelons matière. » « Toute cause efficiente dans l’ordre physique même est une force immatérielle. » « Les êtres sont des forces, les forces sont des êtres : il n’y a que les êtres simples qui existent réellement à leur titre de forces ; ce sont aussi les véritables substances existantes. » « Aussi les esprits conséquents et qui pensent comme il faut, se trouvent-ils éconduits au point de spiritualiser le monde, comme a fait Leibnitz, en n’admettant d’autre réalité que celle des êtres simples dont toute l’essence est la force active.
ce sont des contes, — mais des contes de vérité humaine, et d’une réalité toujours touchante, et quelquefois saignante ; car une gouttelette de sang y rose parfois l’eau des larmes… IV Je ne sache rien de plus humain, et de plus humain dans la noblesse de la nature humaine, que ces histoires, qui sont pourtant de la réalité, mais de la réalité choisie, et, sous leur forme fruste, — contraste délicieux !
Mais il faut ajouter aussitôt qu’il ne s’inspire de la réalité que pour la transformer. […] Il faut éliminer, choisir, n’emprunter enfin à la réalité ses formes et ses moyens d’expression que pour transfigurer cette réalité même, et l’obliger à traduire l’idée intérieure d’une beauté plus haute. […] Ils n’ont pas entendu ces mots de nature et de réalité comme cabalistiques, celui-ci d’une manière et celui-là de l’autre, mais, unanimement, dans leur sens le plus simple, le plus ordinaire, le plus banal. « Nature », c’est-à-dire « nature » ; et « réalité », c’est-à-dire « réalité ». […] Actualité n’est pas réalité. […] mais c’est la projection de l’éternelle illusion sur la réalité passée !
Le débat manque de bases et de réalité. […] C’est une réalité patente et qui se prouve. […] Ce qui s’incarne dans la réalité a seul de la force. […] Il vit au sein de réalités et conserve par là sa force de création et d’action. […] Ce serait là le bain de réalité nécessaire.
La réalité n’exclut pas la grâce, et si la grâce se présente, elle sera toujours la bienvenue. […] Voilà pour la réalité. […] Ce quelque chose, nous ne pouvons l’obtenir, il faut bien le reconnaître, qu’en trichant an peu la réalité pure. […] Courbet, est bien plutôt le premier coup de pied donné par le réalisme à l’art, à la nature et même à la réalité. […] Qui oserait nier en effet que la réalité humaine, de quelque côté qu’on l’envisage, ait sa poésie ?
Quoique ce jugement soit sévère et presque dédaigneux, Henri Heine condescend pourtant à reconnaître qu’Hoffmann a une certaine puissance quand il se cramponne à la réalité. […] Dans la réalité intime, élevée et profonde, la seule qui soit littéraire, Hoffmann n’est pas plus fort, ce mot qui implique la fermeté et la droiture, que dans le fantastique, où Heine admet qu’il est inférieur. […] Chez lui, le fantastique demeure à l’état subjectif et vague, et par là, sans qu’il le sût, la notion s’en trouve altérée ; car le fantastique doit être objectif, solide, vivant, réel enfin de sa surhumaine réalité ! […] Champfleury tient à Hoffmann, non par l’invention, mais par le procédé littéraire, par cette profusion du détail qui fut l’illusion de Heine lui-même et lui fit croire que le fantastique impuissant était puissant dans la réalité.
En effet, l’art comique est là : et la réalité ne peut prendre forme d’art, selon la loi de la comédie, qu’en devenant capable d’exciter le rire. […] Même on pourrait dire que moins la réalité est riante, et plus Molière la traite en farce : par la bouffonnerie seule, la comédie peut s’emparer de certains sujets où déborde la tristesse, comme celui de Georges Dandin. […] Il suit de là que l’intrigue n’aura qu’une place secondaire : Molière n’y cherche — en général — ni la source du rire, ni l’air de réalité. […] Mais les réalités que Molière voulait montrer, ce n’était pas les particularités du costume, du geste ou de la démarche, le petit train des occupations journalières : c’étaient les dessous de l’âme, les motifs, les ressorts, les essences ; et il ne prenait des dehors que ce qui correspondait à ces dessous. […] Son sujet posé, il en tire tout ce qu’il contient de rire, avec une logique extravagance, sans aucun souci de la réalité ni de la vraisemblance.
II Le désir proprement dit implique 1° une idée sentie comme agréable ; 2° la réalité sentie comme pénible ; 3° le conflit de l’idée contre la réalité. […] Puisqu’il y a nécessairement des facteurs psychiques dans le problème, c’est que ces facteurs ont un rôle effectif dans le résultat concret, dans la réalité philosophiquement considérée. […] Mais cette explication, mécaniquement suffisante, n’est cependant pas adéquate à la réalité, ni métaphysiquement suffisante, puisque, si les mouvements se suffisaient à eux-mêmes dans la réalité, il n’y aurait pas de sensations, ni déplaisirs, ni de pensées, ni d’appétitions.
Vaincue, elle demeurait victorieuse ; une ombre, elle dominait encore la réalité. […] Dante, repoussé par la réalité du présent, s’est réfugié dans les vérités plus hautes et plus durables. […] Privée de vie nationale, elle n’a pas vécu toutes les étapes de l’évolution normale ; elle a connu les brutalités des conquérants, mais non point les relativités nécessaires de sa propre réalité, puisque pendant des siècles elle n’a pas eu de réalité à elle. […] La Révolution française, la pensée allemande, et surtout le travail original de nombreux savants, critiques et patriotes italiens ont transformé l’esprit général ; il y a maintenant en Italie une grande espérance, héroïque et joyeuse chez les uns, douloureuse chez les autres par contraste avec la réalité de la domination étrangère.
Paul Bourget ne sépare pas de la réalité sa doctrine ; il prétend la tirer de la réalité même et de l’expérience. […] Tous, et les moins pudiques, habillent un peu la réalité. […] Il excelle à peindre l’authentique réalité. […] Il est vrai que les mots sont des signes de réalité ; le vocabulaire nouveau indique une réalité nouvelle. […] Les symbolistes tâchaient d’ajouter à la réalité les idées.
* * * — C’est étonnant le matin, quand il faut passer du sommeil à une certitude douloureuse, à une réalité hostile, comme machinalement la pensée retourne au sommeil où elle se réfugie, et semble se pelotonner, pour ainsi dire, dans ses bras. […] * * * — L’horreur de l’homme pour la réalité lui a fait trouver ces trois échappatoires : l’ivresse, l’amour, le travail. […] Le poète, qui, le jour où il est arrivé avait écrit le mot fin sur les Misérables, lui a dit : « Dante a fait un Enfer avec de la poésie, moi j’ai essayé d’en faire un avec de la réalité ! […] C’est le soleil, c’est la vie, c’est la réalité, et cependant il y a dans cette toile un souffle de fantaisie, un sourire de poésie enchantée. […] ” » Là-dessus il nous parle de Sœur Philomène, disant que seules ont de la valeur, les œuvres venant de l’étude de la nature, qu’il a un goût très médiocre pour la fantaisie pure, qu’il prend peu de plaisir aux jolis contes d’Hamilton ; qu’au reste, cet idéal dont on parle tant, il n’est pas bien sûr que les anciens s’en soient préoccupés, qu’il croit au contraire que leurs œuvres étaient des œuvres de réalité, — que peut-être seulement ils travaillaient d’après une réalité plus belle que la nôtre.
C’est pour s’être mêlé à la vie tout entière, la plus humble, la plus diverse, pour l’avoir comme imprégnée d’une saveur nouvelle, tout en poursuivant, par-delà les formes actuelles, le désir le plus forcené d’une plus riche réalité de nous-mêmes, que cet Anglais, honni et méconnu de son temps, doit être considéré comme l’un des rénovateurs les plus puissants du sens de la vie. […] Aussi, en disant que Walt Whitman a le premier reconnu pleinement le caractère sacré de toute réalité, qu’il a contemplé d’un œil radicalement nouveau la plus infime partie d’univers, qu’il a enrichi d’un sens divin les plus coutumières actions de nos vies, qu’il a créé le sentiment de pleine confiance et de liberté envers nous-mêmes et envers les autres, qu’il a enfin (et c’est le point capital pour nous) positivement découvert un nouveau de la vie, je n’aurais fait que tracer la pâle esquisse d’une scène géante. […] Michelet, en réclamant pour tous, la vie saine, puissante, sincère et libre, a fait de cette profonde santé et réalité la condition essentielle et fondamentale de toute vitalité commune ou supérieure. […] Mais tous les trois nous ont montré la voie de la régénérescence et du salut dans un même accord au sein de la réalité seule divine, dans une foncière amitié sous l’aile du tout. […] La justice scellant enfin son plus intime accord avec la réalité, ou plutôt, la réalité s’élargissant jusqu’à faire entrer dans le cercle d’universelle beauté, jadis étroit et arbitraire, les plus humbles, les plus journalières fleurs de notre existence et de celle du monde !
Au lieu de faire découler la réalité de conceptions a priori, il serait plus sage peut-être de faire découler nos conceptions de la réalité. […] Cela étant posé, nous pouvons facilement établir la différence qui sépare dans le cas présent la réalité scientifique de la réalité poétique et vivante, et décider laquelle des deux l’artiste doit choisir. […] Rivière la terreur fantastique et ce que nous appelons la réalité poétique. […] On dirait un songe, et pourtant on ne peut douter que ce fut une réalité. […] Qu’ont besoin ceux-là de sortir de la réalité ?
D’autres étaient arrivés par l’analyse à l’idée du sentiment : Rousseau, par son tempérament, a la réalité du sentiment ; ceux-là dissertent, il vit ; toute son œuvre découle de là. […] Pareillement, l’idée de progrès, la grande idée du siècle, anime toute l’œuvre de Jean-Jacques ; il ne semble en nier la réalité que pour en proclamer plus hautement la possibilité, plus impérieusement la nécessité. […] Il n’y a pas à s’étonner que cet idéal n’ait jamais passé et ne puisse encore passer tel quel dans le monde des réalités. […] Mais cette forme romanesque de son âme, c’est un subjectivisme, effréné, qui le rend incapable de s’asservir à aucune réalité, de la regarder de sang-froid pour la rendre telle quelle. […] Il a trouvé, pour peindre les paysages qu’il avait vus, une précision de termes, une netteté, une couleur, qui sont d’un artiste amoureux de la réalité des choses.
Dans la seconde, ce serait une réalité aussi solide que ces sensations mêmes, quoique d’un autre ordre. […] Bien loin d’ébranler notre foi à la réalité de l’espace, Kant en a déterminé le sens précis et en a même apporté la justification. […] De la comparaison de ces deux réalités naît une représentation symbolique de la durée, tirée de l’espace. […] Le premier de ces éléments est une quantité homogène ; le second n’a de réalité que dans notre conscience ; c’est, comme on voudra, une qualité ou une intensité. […] La conscience, tourmentée d’un insatiable désir de distinguer, substitue le symbole à la réalité, ou n’aperçoit la réalité qu’à travers le symbole.
Non seulement il n’a pas idéalisé la réalité qu’il avait sous les yeux, mais il n’a pas représenté la réalité complète. […] Je persiste à penser qu’il y aura toujours un immense intervalle entre l’invention et la réalité. […] Parce que Tacite s’est proposé de raconter, mais non d’inventer ; parce qu’il n’avait en vue que l’expression de la réalité, parce que la réalité la plus belle n’est pas un poème complet. […] Ce que nous disons de la réalité dans la poésie dramatique, nous pourrions le dire avec une égale justesse de la réalité dans la peinture ou la statuaire. […] C’est pour avoir confondu la poésie et la réalité, la matière poétique et le poème, que le théâtre est aujourd’hui si malade.
Nous avons le besoin, pour concevoir réelle la vie de l’art, de ce qu’entre elle et nous rien ne se place appartenant à une réalité différente. […] Puis le théâtre même fut impuissant à produire l’illusion de la vie : ces acteurs, hommes d’une réalité, jouant les rôles d’une réalité différente, c’était encore un intermédiaire trop dense, empêchant l’entière vie. On exigea un intermédiaire, un signe, moins ressemblant aux choses signifiées : plus aisément capable d’être pris seulement pour un signe, en dehors de sa réalité propre. […] Zola fut jadis le chef d’une école, dénommée pour lui naturaliste, et qui fut seulement une réduction du romantisme aux lois nouvelles de la réalité sensible. […] Il vit, naturellement, par le seul besoin de sa hautaine différence, une vie supérieure, puissamment créée au dessus de notre réalité vulgaire qu’il ne perçoit plus.
La méthode de Bacon est également bonne pour les deux espèces de réalité. […] Ne pouvant voir la réalité elle-même, en ce qui concerne la libre spontanéité de nos actes, il en est réduit à juger de la causalité sur de simples apparences. […] L’observateur des phénomènes physiques, ne pouvant saisir que des apparences, n’a pas d’autre méthode que l’induction pour arriver à en dégager la réalité. […] S’il se borne, comme le font les psychologues de l’école expérimentale, à observer ces phénomènes du dehors, il sera toujours tenté de juger de la réalité par l’apparence. […] Avec de tels observateurs armés d’un tel microscope, les apparences s’effacent devant la réalité ; le lecteur se sent, se reconnaît tel que sa conscience l’avait toujours révélé à lui-même.
Nous, nous disons : Il n’y a qu’une cause que nous connaissons directement, c’est celle que nous sentons penser et agir, comprendre et pouvoir en nous, sentir, aimer, vivre en un mot ; vivre de la vie complète, profonde et intime, non-seulement de la vie nette et claire de la conscience réfléchie et de l’acte voulu, mais de la vie multiple et convergente qui nous afflue de tous les points de notre être ; que nous sentons parfois de la sensation la plus irrécusable, couler dans notre sang, frissonner dans notre moelle, frémir dans notre chair, se dresser dans nos cheveux, gémir en nos entrailles, sourdre et murmurer au sein des tissus ; de la vie une, insécable, qui dans sa réalité physiologique embrasse en nous depuis le mouvement le plus obscur jusqu’à la volonté la mieux déclarée, qui tient tout l’homme et l’étreint, fonctions et organes, dans le réseau d’une irradiation sympathique ; qui, dans les organes les plus élémentaires et les plus simples, ne peut se concevoir sans esprit, pas plus que, dans les fonctions les plus hautes et les plus perfectionnées, elle ne peut se concevoir sans matière ; de la vie qui ne conçoit et ne connaît qu’elle, mais qui ne se contient pas en elle et qui aspire sans cesse, et par la connaissance et par l’action, par l’amour en un mot ou le désir, à se lier à la vie du non-moi, à la vie de l’humanité et de la nature, et en définitive, à la vie universelle, à Dieu, dont elle se sent faire partie ; car à ce point de vue elle ne conçoit Dieu que comme elle-même élevée aux proportions de l’infini ; elle ne se sent elle-même que comme Dieu fini et localisé en l’homme, et elle tend perpétuellement sous le triple aspect de l’intelligence, de l’activité et de l’amour, à s’éclairer, à produire, à grandir en Dieu par un côté ou par un autre, et à monter du fini à l’infini dans un progrès infatigable et éternel. […] Le moi qui profiterait de cette facilité trop fréquemment et avec trop d’amour, le moi qui se livrerait à la vie du dehors autrement que pour comprendre et regarder, le moi qui s’adonnerait à une pratique assidue de la nature et à de trop longues communications avec le monde matériel ; qui, franchissant le pont-levis dès le matin, s’égarerait dans ses pâturages et ses terres pour les amender, visiterait ses mines et ses canaux, dessécherait ses marais, transplanterait des troupeaux lointains pour s’enrichir de leurs toisons, croiserait des races, apprivoiserait une végétation agreste, assainirait un climat fangeux, et qui ne rentrerait au logis qu’à la nuit close, ce moi-là, selon les psychologistes, courrait grand risque d’oublier qu’il n’est pas dans les conditions essentielles de sa nature ; qu’il n’y a au fond et dans la réalité rien de commun entre cette matière et lui ; qu’il n’arrive à elle que moyennant un pont tremblant et fragile, sur la foi d’un laisser-passer arbitraire ; et qu’il ne doit pas s’attarder dans la plaine ni sur les monts, de peur des distractions trompeuses et des pièges sans nombre. […] Il est associé intérieurement à la force vitale qui lui est étrangère ; il tient extérieurement aux organes de relation qui ne lui sont pas moins étrangers ; il vit pourtant ; il vit en lui-même par la pensée, comme si la pensée pouvait dans la réalité se séparer jamais d’un mouvement et d’un sentiment ; il vit quoique frappé de mort dans sa sensibilité intestine et dans son expansion rayonnante ; il vit comme un arbre qu’on aurait séché dans ses racines ; et qu’on mutilerait ensuite dans ses ramures ; il vit dans le château fort de l’âme, comme une garnison assiégée à qui l’assiégeant aurait coupé la source intérieure, le puits profond d’eau vive, et qui, n’osant sortir de la poterne pour descendre au fleuve, n’aurait plus d’espoir qu’en la manne mystique et céleste. […] Mais enfin, quand ce progrès exclusif et par conséquent incomplet de l’esprit eut touché à son terme, l’équilibre entre les deux aspects de la réalité se rétablit graduellement.
C’était un livre sans parti pris, sans théorie à priori, sans système ; un livre sain, vigoureux, d’un grand sens pratique, allant droit à la difficulté et à la réalité avec une netteté de ton qui devenait fort piquante au milieu des solennités de la rhétorique ordinaire, une petite brusquerie à la Napoléon, rangeant, en maître, les choses de l’Histoire, et marchant lestement sur le gâchis qu’on en avait fait jusque-là. […] Si, avec son observation large et fine et son dédain railleur de tout ce qui n’est pas la réalité, Champagny a, comme nous le pensons, l’esprit naturellement politique, quelle préoccupation ou quel emploi exclusif d’une de ses facultés a fait tort à son coup d’œil naturel, et diminué en lui et dans son œuvre ce que nous aimerions le plus à y rencontrer ? […] Lorsqu’on est un homme de réalité supérieure comme Franz de Champagny, c’est trop superficiel, en vérité, que d’expliquer l’avènement de l’Empire et sa durée par les seules questions morales, par la vertu oblitérée des républiques, par une terreur à la Robespierre et une idolâtrie épouvantée du nom de César, — de ce nom devenu, grâce à celui qui le porta le premier, une tête de Méduse d’adoration et de crainte ! […] Qu’on ne l’oublie pas, si l’on veut rester ferme dans la réalité humaine, les progrès de l’humanité ne sortent jamais que de l’action et de la réaction réciproque de l’initiative et du commandement de quelques-uns, et du bon sens et de l’obéissance de tous, — en d’autres termes, de l’union sympathique et féconde des gouvernants et des gouvernés.
Platon et ses disciples auront beau répondre que la sensation meurt en naissant, qu’elle n’a pas même le temps de se nommer, de se distinguer du reste : cela n’est vrai qu’à moitié ; en tout cas, jusque dans l’instantanéité il y a pourtant une réalité, et comme cette réalité se sent elle-même, il y a une vérité : un éclair est encore une lumière. […] — Non sans doute, au sens étroit des mots, mais, au sens large, la souffrance est un fait de conscience qui saisit « un morceau de l’universelle réalité », à savoir lui-même. […] La pensée, au sens le plus large de ce mot, indique seulement l’existence d’une chose pour la conscience et dans la conscience, existence saisie telle qu’elle est, représentée d’une manière identique à sa réalité. […] Comment reconnaissons-nous que nos idées ressemblent aux réalités, ou du moins que leurs rapports ressemblent aux rapports des réalités ? […] Nous éviterons donc à la fois le mysticisme des platoniciens, le formalisme des kantiens, la passivité du sensualisme, pour y substituer, avec les idées-forces, la réalité et la vie.
C’est en réalités humaines qu’elle éclate à l’âme du poète. […] Cette mystification correspond à une réalité, elle fait partie chez Baudelaire de l’intelligence de son âme et de son art. […] L’impression picturale, le tableau virtuel (qui passera ou non à la réalité de la toile) est une réalité physique, bien que l’art y enferme le plus de sens et d’âme possible. […] Nous avons vu que la véritable réalité était souvent pour Fromentin dont la mémoire était extraordinaire, la réalité du souvenir. […] Il en a connu la source comme une réalité déficiente, une démission, une timidité.
Quand on ne sait pas tirer parti des réalités, on s’impatiente contre les sociétés, et on se jette dans ces violences de l’esprit qu’on appelle le radicalisme. […] Ce sont des pages de cette candeur et de cette sensibilité qui feront de Rousseau écrivain le charmeur de la sensibilité, dont il a les couleurs sans en avoir la réalité. […] Platon n’a rien rêvé de plus incompatible avec les réalités de l’espèce humaine. […] De ce que les réalités ne se prêtaient pas aux chimères. […] Tous ces hommes avaient touché à cette réalité des choses qui contrôle dans des esprits justes l’inanité des théories par la pratique des hommes.
qu’est-ce alors que l’art, et qu’est-ce que la réalité ? comment, dans l’unité qui est la vie, l’art est-il né, à côté de la réalité ? et à côté de la réalité quel a pu devenir l’art, quel doit-il être ? […] Dans la suite de sensations qu’est la vie, à côté de l’ensemble de sensations hétérogènes qu’est la réalité, — créer des séries sensationnelles plus homogènes, donc plus intenses, c’est le but de l’art. […] pour diminuer cet éparsement il fallait diminuer la part de réalité ; et ce premier effort de l’art produisit le théâtre.
Il ne faut donc pas le demander à ceux qui font profession de ne peindre que des réalités plates ou brutales, ou qui affectent de n’être curieux que du monde extérieur et de la plastique des choses. […] I Apparemment il n’est pas inutile, pour voir dans la réalité ce qui vaut la peine d’y être vu, d’avoir commencé par ne pas la regarder de trop près, par être un poète, un rêveur sans plus, un être à sensations délicates, vibrant pour des riens, et qui se contente de souffrir ou de jouir démesurément des choses sans avoir souci de les photographier. […] Alphonse Daudet, s’y insinue encore çà et là, mêle de l’émotion à l’exactitude des peintures et impose à l’observation un choix de détails si rare et si délicat que, sans autre artifice, elle fait jaillir à chaque instant la fantaisie de la réalité même. […] Alphonse Daudet a beaucoup d’esprit et qu’il est toujours à l’affût, il s’arrête et s’intéresse à des détails qui nous échapperaient ou que nous remarquerions à peine ; il nous fait trouver curieuses par la façon dont il nous les présente des choses tout ordinaires et qui nous auraient sans doute faiblement frappés ; il a, si j’ose dire, un merveilleux flair des petits drames obscurs dont fourmille la réalité. […] Et l’on retrouvera presque à chaque page de ses grands romans cet art d’extraire de la réalité des antithèses bouffonnes ou navrantes, d’où jaillissent la surprise, le rire et souvent la pitié.
On sait que le roman, œuvre d’amusement et de pure imagination à l’origine, s’est transformé peu à peu, qu’il a serré de plus en plus la réalité, qu’il tend à devenir une peinture véridique et minutieuse de toute la vie contemporaine. […] Les personnages qu’elle construit se ressemblent presque tous, n’ont point cette variété et cette abondance de traits individuels et précis que recherche une autre poésie et que fournit seule l’observation de la réalité. […] Dans la réalité, Maxime se casserait le cou la seconde fois s’il ne se noyait la première, et Mlle Marguerite serait bien avancée ! […] Et, si ce sont là actions pures, au moins nous avons vécu pendant une heure au milieu d’une humanité plus belle et plus noble, ce qui est un grand plaisir pour ceux qui n’aiment pas la réalité ou qui ne savent pas la voir. […] Octave Feuillet avec ses intentions, ou bien encore un mélange de réalité quelquefois brutale et de convention souvent insupportable : voilà ce qui rend, à partir de Monsieur de Camors, l’œuvre de M.
Bien plus, son idéalisme intransigeant niait la réalité même. […] Tribulat Bonhomet est stupide parce que, comme disait Flaubert, « il croit, comme une brute, à la réalité des choses ». […] C’est cette idéalité du monde et cette réalité de l’idée qu’exprime sous une forme figurative le beau poème de Mélusine, de M. […] Ne constituent-ils pas une sorte de réalité idéale où 1 humanité aime à se représenter à ses propres yeux ? […] Mais tous deux, il importe de le remarquer, prennent et utilisent la Légende et le Mythe dans sa beauté plastique et sa réalité supérieure.
Renan, Dieu, entendu dans ce second sens, n’existe pas, il est en dehors de la réalité ; il n’est qu’une catégorie de la pensée. […] Ces deux philosophies prennent des abstractions pour des réalités, des causes nominales pour des causes réelles. […] Vacherot l’être parfait ne peut exister que dans la pensée, et non dans la réalité. La réalité est indigne de lui. […] Comment une créature imparfaite pourra-t-elle s’élever à un tel idéal, qui dépasse, dit-on, toute réalité possible ?
Sans passion, comme Walter Scott, et comme lui de cette moralité naturelle qui parfume les écrits de tous les deux, il n’était point, assurément, par les facultés, l’égal de l’incomparable Écossais ; mais ils avaient tous deux la faculté de peindre avec des tableaux, des sujets et des procédés différents, et tous deux ils traduisirent la réalité avec une vigueur inouïe et un sentiment qui est à cette réalité qu’ils ont peinte, ce qu’aux objets est le soleil. […] c’est chez Hebel que cette réalité est plus concentrée, en raison même de la nature limitée et pour ainsi dire raccourcie de sa composition.
La vraie poésie est surtout dans les grands symboles philosophiques et même dans les mythes ; l’imagination poétique se confond avec l’imagination religieuse : la poésie est une religion libre et qui n’est qu’à demi dupe d’elle-même ; la religion est une poésie systématisée qui croit réellement voir ce qu’elle imagine et qui prend ses mythes pour des réalités. […] Avec le progrès de la pensée réfléchie, sous le regard scrutateur de la science, nous avons vu reculer une à une au rang des apparences les réalités d’autrefois. […] La conséquence, chez Musset, de cette recherche inquiète de l’au-delà, c’est que la croyance en la réalité de ce monde s’affaiblit : « ce monde est un grand rêve », une « fiction ». […] C’est une vision que la réalité. […] Nous ne pouvons sortir de la réalité, ni nous satisfaire avec elle : « Dieu parle, il faut qu’on lui réponde ; » la vérité nous adresse ainsi un grand appel, destiné à n’être jamais ni complètement entendu, ni tout à fait trahi.
Mais les comédiens, avec leur matériel, ne pouvant alors procurer au public l’illusion de la réalité sensible, dès qu’elle n’était pas parfaitement simple, il fallut que les poètes se proposassent surtout l’imitation de la réalité morale, qui peut se faire seulement avec des mots. […] Et cette réalité n’est pas bien difficile à trouver. […] Les réalités intimes de l’âme ne sauraient être pour lui ni un objet, ni un moyen d’action. […] C’est plaisir de sentir le contact de cette réalité substantielle, si souvent éliminée de son grand ouvrage. […] Aussi ne peut-il évoquer la réalité : il ne peut que la disséquer.
Le voyageur a marché toute la journée, ramassant, recevant ou récoltant des idées, des chimères, des incidents, des sensations, des visions, des fables, des raisonnements, des réalités, des souvenirs. […] Agir différemment, ne serait-ce pas dérouter le public, livrer la réalité même du voyage aux doutes et aux conjectures, et par conséquent diminuer la confiance ? […] Il les relut, et il reconnut que, par leur réalité même, elles étaient le point d’appui incontestable et naturel de ses conclusions dans la question rhénane ; que la familiarité de certains détails, que la minutie de certaines peintures, que la personnalité de certaines impressions, étaient une évidence de plus ; que toutes ces choses vraies s’ajouteraient comme des contre-forts à la chose utile ; que, sous un certain rapport, le voyage du rêveur, empreint de caprice, et peut-être pour quelques esprits chagrins entaché de poésie, pourrait nuire à l’autorité du penseur ; mais que, d’un autre côté, en étant plus sévère, on risquait d’être moins efficace ; que l’objet de cette publication, malheureusement trop insuffisante, était de résoudre amicalement une question de haine ; et que, dans tous les cas, du moment où la pensée de l’écrivain, même la plus intime et la plus voilée, serait loyalement livrée aux lecteurs, quel que fût le résultat, lors même qu’ils n’adhéreraient pas aux conclusions du livre, à coup sûr ils croiraient aux convictions de l’auteur. — Ceci déjà serait un grand pas ; l’avenir se chargerait peut-être du reste. […] Rien n’était plus facile à corriger que ces erreurs ; il a semblé à l’auteur que, puisqu’elles étaient dans ces lettres, elles devaient y rester comme le cachet même de leur réalité.
I « Ceux qui aiment tant la réalité n’ont qu’à la regarder », dit-on. […] L’observation de la réalité fut toujours pour lui un moyen, non un but. […] C’est-à-dire qu’il est ailé serrant toujours de plus près la réalité et le détail de la réalité. […] Leur désordre répond à celui de la réalité. […] Ils reçoivent de la réalité la même impression que le peintre le plus fou de couleurs et le plus entêté de pittoresque ; et cette impression se double chez eux du sentiment proprement littéraire.
dans la réalité pratique de la vie, ce rôle est en grande partie dévolu à l’homme de bien. […] Dans la réalité, Grammont, Law, Marsigli, Bellisle, Bonneval, Beaumarchais lui-même, Dumouriez, etc…, s’en rapprochent plus ou moins par quelques traits.
La Science et la Réalité. […] De même la science nous révèle entre les phénomènes d’autres liens plus ténus mais non moins solides ; ce sont des fils si déliés qu’ils sont restés longtemps inaperçus mais dès qu’on les a remarqués, il n’y a plus moyen de ne pas les voir ; ils ne sont donc pas moins réels que ceux qui donnent leur réalité aux objets extérieurs ; peu importe qu’ils soient plus récemment connus puisque les uns ne doivent pas périr avant les autres. On peut dire par exemple que l’éther n’a pas moins de réalité qu’un corps extérieur quelconque ; dire que ce corps existe, c’est dire qu’il y a entre la couleur de ce corps, sa saveur, son odeur, un lien intime, solide et persistant, dire que l’éther existe, c’est dire qu’il y a une parenté naturelle entre tous les phénomènes optiques, et les deux propositions n’ont évidemment pas moins de valeur l’une que l’autre. Et même les synthèses scientifiques ont en un sens plus de réalité que celles du sens commun, puisqu’elles embrassent plus de termes et tendent à absorber en elles les synthèses partielles. […] En résumé, la seule réalité objective, ce sont les rapports des choses d’où résulte l’harmonie universelle.
Ce qui, dans la réalité, est à portée de nos regards est une moyenne de l’humanité. […] Nous allons ainsi de la réalité à la fiction, et la fiction n’a de prix pour nous que si à nos yeux mêmes elle est pénétrée de réalité, et la réalité nous est plus intéressante quand nous y revenons après avoir traversé la fiction pénétrée d’elle. […] Or, ces semences de toutes les vertus et de tous les vices qui sont en nous, nous permettent très bien de juger ce qu’il y a de réalité dans les fictions.
Benedetto Croce s’est élevé avec force, à plusieurs reprises, contre la vieille école qui croit à la réalité des genres littéraires. Les genres, dit-il, sont des abstractions, non des réalités ; ce sont des mots, utiles dans la pratique pour certains groupements passagers et plus ou moins arbitraires, mais des mots dépourvus de toute valeur scientifique ; ils ne répondent à aucune fonction psychologique de l’artiste créateur ; c’est une erreur, et même une erreur ridicule, que de croire à l’existence de ces catégories, que de parler d’une évolution des genres, et que de prétendre en fixer les lois. — Or, nul ne saurait rester indifférent au jugement, aux idées de M. […] L’épopée, c’est la maturité agissante et conquérante, le récit qui est lui-même un acte ; son objet : l’homme ou le groupe d’hommes, s’affirmant dans leur réalité présente et dans leur lutte avec d’autres hommes et d’autres groupes. Le drame, c’est la fin d’une journée, où les ténèbres luttent avec la lumière ; c’est la route qui bifurque, le conflit des devoirs, de la réalité présente avec l’idéal nouveau, une prise de conscience ; son objet : l’homme en lutte avec lui-même, ou mieux encore, l’être isolé et passager en conflit avec les lois universelles et éternelles. […] Depuis dix ans j’ai de plus en plus le sentiment que ma méthode, très simple dans ses grandes lignes, infiniment complexe dans le détail, répond précisément aux réalités de la vie, pour autant qu’il est possible d’exprimer en mots rigides cette fermentation perpétuelle, dont le bouillonnement nous enchante et nous déroute, comme les flots de la mer qui se brisent sur le rivage, selon des lois éternelles, et dont l’œil ne perçoit que la ligne changeante et l’écume fuyante.
Le monde phénoménal est, pour le Parnassien et pour le Positiviste, la suprême réalité ; il n’est, pour le métaphysicien, que l’apparence extérieure de l’essentielle réalité, ou, si l’on veut, il constitue dans son ensemble une sorte de vaste allégorie dont la signification est mystérieuse. Peindre la réalité telle qu’elle se présente immédiatement aux regards de l’observateur, tel est l’art du Parnassien ; représenter dans la réalité tout le définitif mystère qu’elle recouvre, tel est l’art du Symboliste. […] Comme l’Inconscient est la seule réalité, le rôle de l’art ne peut être que d’exprimer l’Inconscient. […] Le monde est, pour lui, l’agrégat de nos sensations, et il ne s’interroge pas sur le rapport de cette représentation avec la réalité, parce qu’il n’imagine pas d’autre réalité que celle de nos sensations. […] Derrière les mots comme derrière les choses, pour qui sait les voir, transparaît, indécise, une autre réalité.
Il ne s’agit plus d’idéal en présence d’une réalité qui parle aussi haut que l’Idéal lui-même, d’une réalité qu’il faudrait étreindre pour l’exprimer, tâche difficile, tant Napoléon est immense ! […] Cette fausse conception de la réalité ne pouvait-elle pas passer de l’opinion dans l’Histoire, et la critique, qui en garde les avenues, ne devait-elle pas signaler un ouvrage qui rend maintenant impossible à une telle erreur d’y pénétrer ?
Et nous disons romances, et non pas romans ; car le romancier le plus vulgaire, avec ce sujet d’une religieuse séduite et abandonnée, apostate de Dieu par amour d’un homme, aurait mis certainement plus de sang du cœur dans les larmes qu’il eût fait verser à sa chimère qu’il n’en passa jamais sur les joues de cette religieuse, qu’on nous donne comme une réalité. […] Cette religieuse, dont tout le monde parle et qu’on vante, est-ce vraiment une réalité ? […] Cette absence radicale de talent, qui implique celle de l’âme, quoi qu’on en dise, est, à ce qu’il nous semble, le meilleur argument à dresser contre la réalité des Lettres portugaises et l’existence de leur auteur.
Ces formules enfantines aident la mémoire, mais ne correspondent, on s’en doute assez, à aucune espèce de réalité. […] Encore ne faut-il pas trop parler des « ailes du rêve », puisqu’il s’agit ici de réalité et de réalité totale. […] Au contraire, les poètes de l’école contemporaine dits symbolistes dédaignent les signes pour s’intérioriser jusqu’à la réalité. […] Non seulement elle unissait en toute réalité les hommes qui la bâtissaient ensemble. […] Mithouard aura grandement hâté cette union en nous éveillant à une plus sûre conscience de nos réalités occidentales.
« L’émotion esthétique a pour cause (étant admise la réalité du monde extérieur, mais comme une réalité de fiction) des différenciations de mouvement de la matière, perçues au moyen des sens.
De même, nous sommes restés sans vision et sans yeux pour tous les éléments de la réalité qui ne nous intéressaient pas, qui ne se rapportaient pas à du sentiment possible, à du plaisir ou à de la douleur, à la satisfaction de l’appétit par des mouvements appropriés. […] Nous admettons donc, pour notre part, la possibilité d’une fusion, d’une combinaison, d’une synthèse entre des états de conscience, sinon entre des étais d’inconscience mentale, — entre des sensations « senties », sinon entre des sensations « non senties » ; et l’observation vérifie la réalité de ces sortes de synthèses. […] La réalité ne peut se résoudre tout entière en relations sans termes, en nombres comme ceux de Pythagore, et en nombres mouvants. […] C’est changer un pur vide, vacuum, en une réalité. […] La sensation n’est pas un reflet passif de la réalité ; elle est la réalité même en travail et sentant son propre travail.
On a connu des voyants de l’histoire qui par une sorte d’instinct ont su deviner des faits oubliés ou cachés, dont ils auraient été parfois bien embarrassés de démontrer la réalité que l’avenir cependant a mise hors de doute. […] Il a été scientifique par l’effort des auteurs pour arriver à l’impassibilité, pour éliminer l’émotion personnelle, pour reproduire la réalité tout entière avec l’implacable fidélité d’un miroir, pour substituer à tout parti pris moral la leçon de choses qui se dégage de l’enchaînement des causes et des effets. […] Ces corps à corps avec la réalité lui sont salutaires : ils la retrempent, lui rendent vigueur et fermeté. […] Mais, sans compter que les vivants ne sauraient être condamnés à copier et recopier sans cesse les tableaux de leurs devanciers, est-il bien sûr que ce roman de l’humanité commençante vaille la réalité, telle que la préhistoire la démêle peu à peu dans l’obscurité d’un passé aux trois quarts effacé ? […] Descartes doutait du témoignage de ses sens, de la réalité des objets qu’ils lui révélaient.
et quel moyen pourrait-il y avoir de réconcilier, ou de faire vivre ensemble, ces deux puissances, dont l’nue, le positivisme, ne reconnaît d’autorité, d’existence, ou de réalité qu’au fait, et dont l’autre, la métaphysique, dirait volontiers « qu’il n’y a rien de plus méprisable qu’un fait ? […] Renouvier ajoute que « la phase religieuse du positivisme est la plus violente et la plus extraordinaire négation de sa phase première », c’est sa logique, à lui, qu’il ne craint pas, comme autrefois Littré, de substituer à la réalité des faits. […] Nous ne savons donc rien de l’absolu, pas même, — pour le moment, — s’il existe ; et la science est hors d’état de nous garantir, sinon peut-être la « réalité » de son objet, mais, en tout cas, la « conformité » d’aucune vérité avec son objet. […] Ou bien enfin, le monde extérieur existe, mais entre l’idée que la constitution de notre esprit nous permet d’en prendre et la réalité de ce qu’il est en son fond, il n’y a pas de rapport à nous connu, de communication certaine, de ressemblance ou d’analogie ; — et c’est la troisième solution. […] Et on a conclu de là qu’en tout cas, et bien loin d’être la condition ou la source même de toute réalité, son Inconnaissable n’était qu’une pure abstraction, une chimère, un mot vide.
Voilà ce qu’il était juste de dire à la décharge de la société et du pouvoir : ce qui n’empêche pas tout le reste d’être vrai et tous les détails douloureux qu’on va lire de subsister dans leur amère réalité. […] Quand elle n’eut plus à exhorter les autres, à les réchauffer et les réconforter de ses espérances, quand elle ne fut plus qu’en face d’elle-même, toutes illusions dépouillées, toutes réalités éprouvées et épuisées jusqu’à la lie, dans les longs mois qui précédèrent sa mort, elle entra dans un grand silence. — Enfin n’oublions pas, en la lisant, qu’un poète n’est pas nécessairement un physicien ni un philosophe ( fortunatus et ille deos qui novit agrestes ), et qu’aussi, derrière toutes les charmantes visions auxquelles s’attachaient son imagination et son cœur, — ce cœur resté enfant à tant d’égards, — il y avait chez la femme bien de la fermeté et un grand courage. […] Mais la réalité, nous la voyons, et la beauté morale de sa nature s’y montre à nu en toute sincérité : « (8 août 1847)… Mon bon frère, ton ami Devrez80, qui, va partir pour nos chères Flandres, se charge avec plaisir de nos t’adresses et d’un petit paquet pour toi. […] Prose et poésie, fiction et réalité ne font qu’un en elle et se confondent. […] Et à cet inappréciable attrait de réalité se joint ici une fleur de poésie et de sentiment, une délicatesse toute féminine de charité, une beauté morale ravissante, mais toute naturelle, toute humaine, sans rien d’ascétique et de forcé.
Il détache son récit du fond de la réalité ambiante ; mais il néglige ce fond plutôt qu’il ne le supprime. […] Il faut qu’ils soient à chaque instant tout ce qu’ils sont, bien qu’il en aille autrement dans la réalité. […] Ce que cherche le public, c’est quelque chose de plus gai ou de plus émouvant ou de plus grand que la réalité. […] En résumé, une pièce de théâtre ne peut donner l’illusion de la réalité que par un système de conventions dont les unes lui sont imposées par sa forme même et les autres par le public. […] C’est peut-être, après tout, qu’ils n’aiment pas le théâtre ; et j’en ai rencontré en effet qui disaient franchement que le théâtre est un art inférieur parce qu’il est soumis à des conventions plus étroites et plus nombreuses que les autres arts, parce qu’il est forcé de s’adresser à la foule, parce que l’intérêt d’une pièce « bien faite » est un intérêt de curiosité un peu vulgaire, et parce que, d’autre part, l’œuvre dramatique tend à produire une illusion aussi complète que possible : en sorte que l’art dramatique est à la fois le seul de tous les arts qui ait la prétention de nous mettre la réalité même sous les yeux, et celui à qui sa forme impose les plus graves altérations de cette réalité.
Non content, dans ses ouvrages, de reproduire et de décrire les objets et les scènes qui étaient à sa portée, il s’est attaché d’une égale ardeur à rechercher curieusement dans le passé les maîtres desquels il pouvait relever, et qui, en suivant la même route, avaient laissé des traces remarquables dans les divers arts ; et c’est ainsi qu’en remontant dans l’École française de peinture, après avoir traversé les brillantes séries du xviiie siècle, où la nature elle-même, la plus simple, la plus inanimée ou la plus bourgeoise, a son éclat et sa vivacité de couleur dans les toiles de Chardin, il est allé s’arrêter de préférence devant des artistes bien moins en vue et moins agréables, devant les frères Le Nain, appartenant à la première moitié du xviie siècle, qui lui ont paru chez nous les premiers peintres en date de ce qu’il appelle la réalité. […] Là où l’on est plus sûr de les retrouver et où leur signature apparaît authentique, c’est dans ces peintures ordinaires d’intérieurs de fermes, de repas de famille, de brebis qu’on fait boire à l’abreuvoir, etc. ; toutes scènes domestiques ou champêtres, peu variées, ou qui ne semblent guère que des variantes d’un même fond de tableau, mais toutes d’un ton juste, d’une couleur un peu grise ou crayeuse, mais saine, où rien ne dépasse d’une ligne la stricte réalité, et où elle nous est livrée encore plus que rendue dans son jour habituel, dans son uniformité même et sa rusticité. […] Elle n’est pas la même, ajoute-t-il, mais elle part du même principe. » Poussin, dans le touchant ou le grave de ses scènes champêtres ou autres, introduisait un principe supérieur dont les Le Nain ne se doutèrent jamais, je veux dire l’idéal antique, le groupe composé avec harmonie et contraste, un type habituel de beauté romaine, un souvenir des jours d’Évandre et de l’Arcardie : la réalité chez lui était commandée par une vue supérieure et une pensée. […] Et si, en ressouvenir de toutes ces questions de réalité et de réalisme qui se rattachent à son nom, on voulait absolument de moi une conclusion plus générale et d’une portée plus étendue, je ne me refuserais pas à produire toute ma pensée, et je dirais encore : Réalité, tu es le fond de la vie, et comme telle, même dans tes aspérités, même dans tes rudesses, tu attaches les esprits sérieux, et tu as pour eux un charme.
Fallait-il peindre à perpétuité des Ajax, des Léonidas ou des Hector, des Ulysse, des fleuves Scamandre, comme le faisaient encore les peintres chers aux anciennes écoles et amis de l’ennuyeux ; ou bien aborder hardiment et coûte que conte des sujets nouveaux, vivants, — vivants ou dans l’imagination moderne ou dans la réalité, — comme le fit toute cette vaillante élite, les Delacroix, les Schnetz, les Scheffer, et Horace Vernet ? […] Il n’a pas contracté l’obligation ou de déployer des nus, ou d’imaginer certaines formes de draperies, ou d’observer certaines règles de genre : il prend les choses telles qu’il les voit, il leur laisse leur réalité ; et il en résulte que, sans avoir prétendu faire ni de l’histoire ni du genre, il a fait de l’un ou de l’autre ; il a été touchant, noble, terrible, ou bien spirituel, comique et original. […] une organisation souverainement fine et harmonieuse en présence d’une belle réalité qu’il savait mettre dans son plus beau jour. […] « Les batailles, qui sont les tableaux où il a déployé le plus d’élévation de talent, prouvent surtout que, sans viser à l’idéal, en se tenant à la simple réalité, on peut être noble et vrai tout à la fois. […] La réalité a aussi sa noblesse, et il faut savoir la saisir.
Au fond, il y a de bons et de mauvais romanciers ; et, parmi les bons, il y en a qui expriment surtout le monde extérieur et les sensations, et d’autres qui analysent de préférence les sentiments et les pensées ; et ceux-ci ne sortent pas plus de la réalité que ceux-là. […] Paul Bourget, en écrivant Un crime d’amour, est resté en pleine réalité. […] Zola lui-même qui, bien inspiré ce jour-là, a dit que l’art était « la réalité vue à travers un tempérament » ? Eh bien, son œuvre est assurément de celles où la réalité se trouve le plus profondément transformée par le tempérament de l’artiste. […] Il semble que la meilleure condition pour écrire des romans vrais, ce soit de vivre en pleine réalité actuelle et de laisser les sujets vous venir d’eux-mêmes : M.
Mais, à observer la réalité, il n’en va pas ainsi. […] voyez la réalité qui de près l’inspire. […] L’imagination s’éveillait déjà en elle, une espèce d’imagination qui s’isole en le voulant, pleine de suite en son rêve, compatible avec les qualités de la vie positive, et qui ne fait jamais confusion avec la réalité ; elle-même l’a décrite à merveille dans son conte en prose du Bracelet maure. […] Elles sont nées du profond de la réalité, sans la décorer, sans l’interrompre, en présence et en continuité des instants d’angoisse ou d’ennui, sans oubli aucun et sous l’effort des choses existantes.
Deuxième axiome : il doit peindre la réalité. […] Vous dites, par exemple, que le poète comique doit disparaître derrière ses personnages, et qu’il doit peindre la réalité. […] Est-il impossible de concevoir un genre de comédie où le poète, loin de peindre la réalité comme elle est, transporterait l’action dans un monde fantastique, donnerait à des idées abstraites une existence réelle, aux êtres réels une vie, en quelque sorte, idéale, un corps, une voix à des nuages, une constitution politique aux habitants de l’air ?
Il n’avait ni la correction, ni la réalité, ni le mérite d’ouvrier, ni l’impassibilité des grands poètes qui croient que l’on peut donner des leçons de poésie comme de grammaire et de calcul. […] Paul Bourget, qui, en beaucoup d’endroits, rappelle Alfred de Musset sans l’imiter, a peut-être été appelé « Byronnet » à son tour, par ceux-là qui veillent que la poésie ne soit que l’expression des réalités ambiantes, reproduites avec la scrupuleuse exactitude de la plus attentive impassibilité. […] Ce n’est pas une flatterie, c’est une réalité… Lui, il comprend la poésie autrement qu’un ouvrage et le poète qu’un bon ouvrier.
J’entends Idées au sens platonicien : des réalités intelligibles qui synthétisent et unifient une quantité indéfinie de réalités sensibles. […] Même une société, qui est une réalité spirituelle, comporte une manière de corps. […] Traditionnel et spontané répondent à des idées claires, mais non à des réalités psychologiques. […] Quand elle réalise un de ses très rares chefs-d’œuvre, elle se comporte devant la réalité littéraire comme le romancier devant la réalité morale ou sociale. […] Mais la vie n’est pas une convention, la vie c’est la réalité même dont nous participons.
L’Église s’est accommodée à la réalité, mettant son autorité au service de la royauté, moyennant quoi elle règne dans l’enseignement, dans la vie intellectuelle, où elle crée par saint Thomas d’Aquin un système qu’il est permis aujourd’hui de combattre à outrance sans en méconnaître la grandeur géniale. […] La poésie, c’est Roland à Roncevaux ; la réalité, c’est Philippe-Auguste à Bouvines. […] C’est dans tous les cœurs une exubérance d’énergies, de foi, d’amour ; un grand élan vers une nature que l’orage a ressuscitée ; et comme la réalité politique refoule ces énergies et que d’aucuns s’imaginent reconstruire la Bastille, toutes les forces affluent à l’art, à la poésie, au lyrisme. […] Les problèmes de ce genre abondent ; c’est que la réalité morale, intimement liée à toute la vie d’un peuple, et facteur essentiel de cette vie, échappe à l’analyse des documents. […] Le Zénith est l’épopée de la science moderne ; parmi les petites pièces je rappelle Le Rendez-vous : « Il est tard ; l’astronome aux veilles obstinées. » Un grand défaut du Bonheur est dans le mélange constant du lyrisme avec l’épopée, du rêve avec la réalité.
Bournisien est pris, comme la plupart des autres personnages du roman, dans le rythme d’une réalité qui se défait. Ici, cette réalité c’est l’Église. […] Ne demandons pas à ses personnages une réalité romanesque alors qu’ils ont une réalité épique. […] Aussi Madame Bovary s’est-elle imposée davantage au public, qui demande à un roman de lui donner l’illusion de la réalité, et non de lui laisser entendre que la réalité est une illusion. […] Elle peut vivre dans une réalité triste, mais elle a besoin de vivre dans une réalité calme.
La Peine de l’esprit, c’est notre histoire à tous, l’histoire de l’homme entre les séductions de l’idéal et les attractions de la réalité. […] Cette conception, assez nettement suivie, donne matière à des contrastes entre l’idéal et la réalité qui soutiennent l’intérêt.
Au contraire, le mécanisme démêle au sein du fait particulier un certain nombre de lois dont celui-ci constituerait, en quelque sorte, le point d’intersection ; c’est la loi qui deviendrait, dans cette hypothèse, la réalité fondamentale. — Que si, maintenant, on cherchait pourquoi les uns attribuent au fait et les autres à la loi une réalité supérieure, on trouverait, croyons-nous, que le mécanisme et le dynamisme prennent le mot simplicité dans deux sens très différents. […] Bref, si le point matériel, tel que la mécanique l’entend, demeure dans un éternel présent, le passé est une réalité pour les corps vivants peut-être, et à coup sûr pour les êtres conscients. […] Dès lors il y aurait absurdité à jamais considérer le temps, même le nôtre, comme une cause de gain ou de perte, comme une réalité concrète, comme une force à sa manière. […] Désignons donc par X et Y ces tendances elles-mêmes : notre nouvelle notation présentera-t-elle une image plus fidèle de la réalité concrète ? […] La seconde consiste à remplacer la réalité concrète, le progrès dynamique que la conscience perçoit, par le symbole matériel de ce progrès arrivé à son terme, c’est-à-dire du fait accompli joint à la somme de ses antécédents.
Nos meilleurs romanciers et auteurs dramatiques n’ont pas de plus grand souci que d’établir en pleine réalité leurs personnages : ils craignent les inventions romanesques et les effets de mélodrame. […] Les crises sont rares dans le domaine moral : les révolutions qui déplacent l’axe d’une vie ou transforment une âme, sont des exceptions, qui ne sont guère vraisemblables que par la réalité même. […] S’il vous est arrivé jamais de concevoir l’idée d’un enfantillage, d’une équipée, d’une folie, pure fantaisie de l’esprit inquiet et désœuvré, et de passer à l’exécution sans autre raison que l’idée conçue, sans entraînement, sans plaisir, mais fatalement, sans pouvoir résister ; — si vous avez repoussé parfois de toutes les forces de votre volonté une tentation vive, si vous en avez triomphé, et si vous avez succombé à l’instant précis où la tentation semblait s’évanouir de l’âme, où l’apaisement des désirs tumultueux se faisait, où la volonté, sans ennemi, désarmait ; — si vous avez cru, après une émotion vive, ou un acte important, être transformé, régénéré, naître à une vie nouvelle, et si vous vous êtes attristé bientôt de vous sentir le même et de continuer l’ancienne vie ; — si par un mouvement de générosité spontanée ou d’affection vous avez pardonné une offense, et si vous avez par orgueil persisté dans le pardon en vous efforçant de l’exercer comme une vengeance ; — si vous avez pu remarquer que les bonnes actions dont on vous louait n’avaient pas toujours de très louables motifs, que la médiocrité continue dans le bien est moins aisée que la perfection d’un moment, et qu’un grand sacrifice s’accomplit mieux par orgueil qu’un petit devoir par conscience, qu’il coûte moins de donner que de rendre, qu’on aime mieux ses obligés que ses bienfaiteurs, et ses protégés que ses protecteurs ; — si vous avez trouvé que dans toute amitié il y a celle qui aime et celle qui est aimée, et que la réciprocité parfaite est rare, que beaucoup d’amitiés ont de tout autres causes que l’amitié, et sont des ligues d’intérêts, de vanité, d’antipathie, de coquetterie ; que les ressemblances d’humeur facilitent la camaraderie, et les différences l’intimité ; — si vous avez senti qu’un grand désir n’est guère satisfait sans désenchantement, et que le plaisir possédé n’atteint jamais le plaisir rêvé ; — si vous avez parfois, dans les plus vives émotions, au milieu des plus sincères douleurs, senti le plaisir d’être un personnage et de soutenir tous les regards du public ; — si vous avez parfois brouillé votre existence pour la conformer à un rêve, si vous avez souffert d’avoir voulu jouer dans la réalité le personnage que vous désiriez être, si vous avez voulu dramatiser vos affections, et mettre dans la paisible égalité de votre cœur les agitations des livres, si vous avez agrandi votre geste, mouillé votre voix, concerté vos attitudes, débité des phrases livresques, faussé votre sentiment, votre volonté, vos actes par l’imitation d’un idéal étranger et déraisonnable ; — si enfin vous avez pu noter que vous étiez parfois content de vous, indulgent aux autres, affectueux, gai, ou rude, sévère, jaloux, colère, mélancolique, sans savoir pourquoi, sans autre cause que l’état du temps et la hauteur du baromètre ; — si tout cela, et que d’autres choses encore !
Le devoir fait, la tâche remplie, l’enfant continuait de vaquer à ses rêves ; il est évident, à lire ces pages de description détaillée et comme attendrie, que l’enfance de Dominique n’est pas une fiction de l’auteur, et qu’il y a là-dessous une réalité vive et sensible, prise sur le fait et étudiée d’après nature ; on y sent l’observation de quelqu’un qui a vécu au sein de la campagne, qui a vu passer bien des fois et repasser sur sa tête le tour des saisons, qui en sait les harmonies et les moindres mystères : « Chaque saison nous ramenait ses hôtes, et chacun d’eux choisissait aussitôt ses logements, les oiseaux de printemps dans les arbres à fleurs, ceux d’automne un peu plus haut, ceux d’hiver dans les broussailles, les buissons persistants et les lauriers. […] Je sentis, à la vive et fraternelle étreinte de ses deux petites mains cordialement posées dans les miennes, que la réalité de mon rêve était revenue ; puis, s’emparant avec une familiarité de sœur aînée du bras d’Olivier et du mien, s’appuyant également sur l’un et sur l’autre, et versant sur tous les deux, comme, un rayon de vrai soleil, la limpide lumière de son regard direct et franc, comme une personne un peu lasse, elle monta les escaliers du salon. » Est-il besoin de remarquer que Dominique, le narrateur qui est ici le peintre, n’a fait entrer dans son tableau que ce qu’il a eu réellement motif de voir, d’entendre, de retenir, ce qui est en rapport avec son sentiment, — le son des grelots qui lui annonçait l’approche désirée, — le voile bleu qui tout d’abord a frappé son regard ? […] Le portrait physique, pourtant, ne manque pas ; de ce qu’il y introduit la teinte morale, il ne s’ensuit pas du tout qu’il supprime, pour cela, la réalité visible ; c’est l’accord des deux tons, et non le sacrifice de l’un à l’autre, que je tiens à signaler : « Elle avait bruni. […] Dominique qui, de son côté, essaye de tout pour se guérir, qui s’est jeté dans une vie intellectuelle forcée et qui a complètement cessé de la voir, visitant un jour un Salon d’exposition, s’arrête tout étonné devant une figure de femme, signée d’un illustre pinceau, et tout effrayante de réalité et de tristesse : il y peut lire dans un reflet étrange, dans un regard foudroyant d’éclat, l’aveu d’une âme qui souffre et qui aime. […] C’est égal, de quelque côté qu’on la prenne, cette fin laisse, selon moi. à désirer ; et, comme dans un certain nombre de romans vrais, mais auxquels il fallait un dénouement, je suis bien sûr qu’ici, s’il y a quelque réalité dessous, la vérité n’a été suivie que jusqu’à un certain point et jusqu’à un certain endroit.
II Tout l’appareil des descriptions, des personnages, de la composition, de la forme qui sont les moyen par lesquels l’auteur tend à reproduire fictivement certaines parties et certains aspects de la réalité, forment au total un spectacle dont la beauté se mesure à l’importance et à l’intensité des émotions qu’il suscite. […] Les œuvres de Tolstoï tendent à représenter une société entière ; ils en embrassent et le contenu moyen et les extrêmes de conditions, d’événements, de caractères, de scènes, d’âge ; ils la reproduisent non de haut, de loin, vaguement, par synthèses et abstractions, mais de près, par des descriptions où le lecteur se sent comme mis face à face avec la réalité, par des personnages étrangement vivants et individuels. […] Pour tout homme qui conçoit un ordre de choses meilleur que l’existant ou tel qu’il ne puisse être atteint par une évolution fatale et graduelle, la réalité cesse peu à peu d’être un objet de contentement ; pour tout homme qui considère l’ensemble des faits physiques et moraux non pas comme un système intelligible à résumer intellectuellement en lois, mais comme le domaine et le sujet d’une règle louable moralement à laquelle il doit satisfaire ou être amené à se conformer, cet ensemble cesse d’être un objet de contemplation sereine. […] Or la réalité est aussi riche en corruption qu’en pureté, en douleur qu’en joie, en cruauté qu’en bonté ; les carnages et les débauches y côtoient les innocences et les continences ; l’amour de l’or, l’ambition, la perversité, la soif de jouissances, sont des mobiles plus puissants que les vertus qui les contredisent ; celui-là seul peut trouver plaisir à contempler la vie, qui considère sans horreur le mal dont elle est faite comme le bien, sinon la colère et les froissements sont continuels ; l’on s’en détourne, l’on s’en indigne ou l’on s’en contriste, mais l’on cesse d’en connaître. […] Maintenant qu’une intelligence ainsi douce pour la perception, le souvenir, la divination des esprits, soit telle que toutes ces notions sur le monde ne s’accompagnent pas des mêmes sentiments, des mêmes émotions ; que les sentiments agréables d’élation, de joie, d’acquiescement, suivent plus particulièrement la vue et le souvenir d’actes immédiatement bienfaisants à l’homme, que l’écrivain consolidant progressivement ce sentiment, lui laisse déterminer ses propres actes et ses mobiles, aussitôt le spectacle du monde étant mêlé de mal et de bien, toute une partie de la réalité sera envisagée avec des dispositions pénibles d’aversion, d’inquiétude, d’angoisse, de désespoir ; l’écrivain négligera le plus qu’il pourra de prêter attention à cette part de la réalité, l’omettra de sa mémoire, de son imagination, de son œuvre ; mais comme on ne peut éviter de la connaître, comme ses facultés d’observateur la lui représenteront sans cesse, il en viendra peu à peu à un état de trouble, d’éloignement pour le spectacle qu’il semblait destiné à connaître et à goûter pleinement.
L’être qui déguisait les apparences et sa propre médiocrité sous les noms flatteurs de conscience, de réalité, espérant vivre parmi prétextes et mensonges aussi tranquille que le rat dans son classique fromage et, comme ce rat, décidé à en vivre, d’un cœur léger renonçait à toute justice suprême, à toute grandeur. […] Pour donner tout son sens au simple geste humain, son principe, il doit pousser hors de la réalité quotidienne la créature qui lui sert de truchement. […] Jamais je n’ai éprouvé que l’individu eût une valeur essentielle, que mon moi subît les contrecoups de mes apparences, de mes états, de mes actes successifs, de ce que j’éprouvais et de ce qui m’arrivait. » Après une telle constatation, quelle raison déciderait l’homme à se confiner au sein d’une petite réalité exploitable ? […] L’obstination à juger petitement, à faire semblant de croire à la réalité, à donner cette réalité en aliment à l’espritbo avec l’illusion que plus elle sera basse, facile, méprisable, moins elle comportera de périls, l’acharnement individuel à tout peser, relativement à soi, afin de tout accommoder à son intérêt propre, d’en prendre bonne opinion, les sourires attendris des critiques ou romanciers lotissant les steppes du rêve et, pour résumer, tout ce qui permet ou prouve l’habitude simpliste de se limiter dans la conscience, voilà qui a rapetissé l’être et corrompu son esprit. […] Sur la foi de ces découvertes, un courant d’opinion se dessine enfin, à la faveur duquel l’explorateur humain pourra pousser plus loin ses investigations, autorisé qu’il sera à ne plus seulement tenir compte des réalités sommaires.
C’est aux pédagogues de créer les réalités mentales et les lois psychologiques encore inexistantes. […] Le pédagogue est le créateur de la réalité mentale de demain. […] C’est pourquoi, le premier soin de toute individualité un peu originale, dès qu’elle reprend possession d’elle-même, est de faire table rase des pédagogies inculquées, de se remettre en présence de la vie, de recouvrer le sens de la réalité oblitéré par une vision conventionnelle des choses, en un mot, de refaire son âme. […] Elle ne crée pas les réalités mentales de demain, selon le vœu ambitieux de M.
Je ne relève ces premiers détails que pour montrer que nous ne pouvons nous attendre, dans ce récit en prose, à trouver toute la vérité et la réalité sur un sujet qui, simplement exposé, nous intéresserait tant. […] Nous avions dans les Méditations la poésie pure : aurons-nous ici la réalité vive ? […] À défaut de nom, je l’appelais en moi-même mystère : je lui rendais sous ce nom un culte qui tenait de la terre par la tendresse, de l’extase par l’enthousiasme, de la réalité par la présence, et du ciel par l’adoration. […] Si la réalité offrait les mélodies que ces messieurs trouvent partout, on vivrait dans une langueur extatique, et l’on mourrait d’assoupissement.
Delacroix : « l’énergie est chez lui l’aspiration de l’énergie, le rêve de l’énergie, la nostalgie d’un passé historique plutôt que la puissance de construction d’un avenir. » L’image de la cristallisation qui forme le leit-motiv du livre est à la fois le produit d’une imagination musicale, une figure de la réalité amoureuse : " il me semble, dit Stendhal dans une lettre, qu’aucune des femmes que j’ai eues ne m’a donné un moment aussi doux et aussi peu acheté que celui que je dois à la phrase de musique que je viens d’entendre. " la musique, surtout telle que la goûtait Stendhal qui n’y sentait qu’un motif de rêverie, c’est le monde et l’acte mêmes de la cristallisation parfaite, de sorte que Beyle, amoureux de second plan, simple amateur en musique, se définirait peut-être comme un cristallisateur. […] Mauclair devient peut-être obscure et contestable dès qu’il veut y mettre une réalité positive. […] Mauclair a montré avec beaucoup de force et d’éloquence que la réalité en amour c’est le couple et non l’individu. Et l’on montrerait de même que la réalité vraie dans l’art ce n’est ni l’artiste, ni l’œuvre, c’est l’artiste et l’œuvre présents l’un dans l’autre et vivant l’un pour l’autre.
Henri Baude est parfois étonnant d’audace naturaliste, dans sa manière sobre et mordante, où il détache d’un mot sec et saisissant la réalité qu’il veut montrer : et Dieu sait sur quelles réalités tombe son œil implacable d’observateur et de peintre ! […] Pour nous, l’action seule réalise nos intimes pensées : le poète leur donne réalité, et mieux, éternité, par son œuvre. […] Il évalue la pression des réalités brutes, des faits, sur les hommes, la réaction des volontés et des intérêts humains, et le poids qu’ils jettent dans la balance à un moment donné. […] Il y a des intérêts généraux et des sentiments publics, des intérêts privés et des passions personnelles : voilà les réalités qu’il aimait et sur lesquelles il opère. […] Une apparence et présomption de bonne foi, voilà tout ce qu’il désire : mais il ne peut y avoir longtemps apparence et présomption, si parfois il n’y a réalité.
Dans de récents articles, M. de Wyzewa a résumé la théorie wagnérienne de l’Art : « l’Art doit créer la Vie … il faut, au-dessus de ce monde des apparences habituelles profanées, bâtir le monde saint d’une meilleure vie : meilleur par ce que nous le créons … » Il montre ensuite que « l’artiste ne peut prendre les éléments de cette vie supérieure nulle part, sinon dans notre vie inférieure, dans ce que nous appelons la Réalité. » Or, dans Parsifal, Wagner, tout en se servant de signes empruntés à cette Réalité, a voulu créer une Vie aussi éloignée que possible des « apparences habituelles profanées ». En 1864, Wagner dit : « l’œuvre de l’art le plus élevé doit se mettre à la place de la vie réelle, elle doit dissoudre cette Réalité dans une illusion, grâce à laquelle ce soit la Réalité elle-même qui ne nous apparaisse plus que comme une illusion … La nullité du monde ! […] Là, le mortel combat de l’esprit erroné de l’Apparence contre l’esprit tout véridique de la Réalité ; ce qu’on dit lumière, jour et vie, contre tout le nommé ombre et nuit et mort ; l’illusoire univers de nos habituelles créations, contre celui miraculeux de la pensée. […] C’est ; d’abord50, une entrée à quelque monde, lointain, de nouvelles réalités, et c’est le confus emmêlement de vies religieuses, lointaines, comme en l’attente de leur forme … Alors le Pur et Folax une âme pure, où entre la vie d’une vie très exaltée, et d’une vie très concupiscente, très adorante, l’éternel languir, le souffrir et le jouir éternel de l’âme, et la vie de fornication, — la vie luxurieuse et mystique, — jusque le surgissement, en lent exhaussement, triomphal, de la vie voulue.
. — Causes et effets Si l’on a un fait à raconter, on tâchera de se le figurer avec toutes ses circonstances, et de se donner, comme aussi au lecteur, l’illusion de la réalité même. […] Il faut éviter ici la confusion, l’entortillement, les digressions, ne point remonter trop haut, ni descendre trop bas ; ne rien omettre qui ait rapport à la cause ; enfin tout ce que j’ai dit pour la brièveté trouve aussi son application ici… La vraisemblance consiste à donner au récit tous les caractères de la réalité ; à observer la dignité des personnages ; à montrer les causes des événements ; à faire voir qu’on a eu le moyen, l’occasion, le temps, de faire ce qu’on a fait ; que le lieu aussi convenait à l’exécution de la chose ; que cette chose même n’a rien qui choque le caractère de ceux qui l’ont faite, ou la nature humaine ou l’opinion des auditeurs. […] Rien que de minces circonstances minutieusement rapportées, en termes clairs et journaliers : et l’enchaînement de toutes ces particularités presque insignifiantes a l’énergie de la réalité et en produit l’impression.
Seulement, à côté de l’œuvre pratique, qui ne donne que le droit d’un pressentiment, c’est-à-dire pourtant de bien plus que d’une espérance, nous avons une réalité, et une réalité conditionnée, celle-là ! […] Il n’a plus attesté que le suprême effort de la pensée pour atteindre, de la réalité fournie par l’histoire, à cet idéal de beauté impossible en ce monde, comme le bonheur même, qu’il voudrait, hélas !
De donnée, l’histoire en question, attestée par ces pages, est la plus plate et la plus vulgaire des réalités ; mais ce qui la sauve de la déshonorante admiration de ceux qui, en littérature, aiment la réalité pour sa vulgarité et sa platitude mêmes, c’est l’âme qui passe sur cette réalité et qui y met un accent absolument incompréhensible aux porcs littéraires du Réalisme, qui tracassent, pour l’instant, leur fumier, avec un groin presque superbe !
on peut se fier au sentiment de la réalité qui distingue le gouvernement d’Angleterre. On peut se fier à l’énergie de son effort pour attaquer cette réalité, quand elle est rebelle. […] Le chapitre que l’abbé Falcimagne a introduit dans les Mémoires sur la découverte de l’or et les chercheurs d’or, et que nous regrettons de ne pouvoir citer ici, nous a paru, par parenthèse, un chef-d’œuvre de réalité, aussi dramatique et aussi maîtrisant que le chapitre le plus fantastique d’Edgar Poe.
Lamartine avait le sens de la réalité humaine tout autant que Chateaubriand, mais en passant par sa grande âme, la réalité grandissait. Faculté non de dupe, mais de poète, faculté enchanteresse et qu’il eut toujours, et non pas seulement dans ses vers, où la nature est plus belle que la réalité, mais dans la vie et même dans la vie politique, où sa nature de poète l’égara.
Il n’est point un vil photographe littéraire, un calqueur à la vitre de la réalité, un pointilleur de descriptions microscopiques, un naturaliste naturant, peintre des plus sales crottes du siècle. […] car il est réel, ce talent, et c’est même la seule réalité qu’on trouve dans son livre, parmi tant de choses qui n’en ont pas. […] Il n’a point, lui, l’immoralité de ces réalistes impassibles, sans tête et sans cœur, qui se font une gloire de ne rien sentir de ce qu’ils décrivent, et, qu’on me pardonne un tel mot qui dit exactement l’abjection de leur procédé, qui ne sont rien de plus que les mouchards de la nature et de toute réalité, quelle qu’elle soit… Devant les monstruosités en ronde-bosse si extraordinairement entassées dans son ouvrage, M.
Je demeurai quelques minutes à réapprendre la réalité des choses autour de moi et ma propre réalité. […] Pourquoi discuterait-il sa réalité ? […] Correspondent-ils à une réalité ? […] La réalité ne lui arrive pas. […] La guerre en a fait en quelques jours une réalité terrifiante.
Pour honorer, illustrer et magnifier cette réalité profonde, on ne déploiera jamais trop de pompe extérieure. […] il n’est pas mauvais de s’appuyer sur la réalité. […] Le « style » est mensonge, tromperie, offense à la réalité. […] Ses personnages baignent dans une sorte de sauce lyrique qui ne tarde pas à dissoudre ce qui leur reste de réalité. […] Mais si tous nos rêves ne sont pas encore passés dans la réalité, leur réalisation ne tardera plus guère.
Quelle part faisaient-ils à la raison et à l’imagination, à l’idéal et à la réalité ? […] Mais à l’une appartient toute la dignité, la réalité vraie et certaine ; c’est la première. […] Faut-il rappeler que la philosophie du temps s’occupe surtout de l’âme, abstrait de la complexe réalité la pensée pure, se fie en aveugle à la puissance du raisonnement, use de la méthode mathématique ? […] La Rochefoucauld tourne et retourne de mille façons cette idée que l’égoïsme est le mobile presque unique des actions humaines ; et c’est ainsi que cette psychologie, quoique partie de l’observation directe de la réalité, aboutit, elle aussi, à l’abstraction. […] Elle fausserait la vérité, si elle ne savait établir dans sa reproduction du passé une hiérarchie de talents et d’œuvres correspondant à ce que fut la réalité vivante.
Or ce n’est rien de beau que la réalité toute nue. […] Sardou soient si vides, si dénuées de solidité et de réalité ? […] C’est la réalité qui se venge. […] Zola une continuelle déformation de la réalité. […] Zola sa vision de la réalité, c’est son tour d’imagination romantique.
Et c’est, encore, son instinct natif qui le rendait, dans la vie extérieure, gauche, peu spirituel, d’une honnêteté bourgeoise, parfois mesquine : c’est que son existence était tout intérieure, et son âme ne se pouvait intéresser, pleinement, aux choses de l’Apparence, ayant contemplé sous cette Apparence, en lui, la Réalité immanente. […] — L’Idée. — Schopenhauer, comme Platon, entend par Idées, des entités douées d’une réalité d’un ordre plus élevé que celle qui appartient aux phénomènes. — Ce sont les études artistiques qui ont amené Schopenhauer à élaborer son système philosophique ; pour comprendre sa doctrine des Idées, il faut étudier son Esthétique. Par exemple, dans un tas de pierres, les deux forces, la Pesanteur et l’Impénétrabilité, existent, mais à l’état de germes seulement ; pour Schopenhauer, elles n’acquièrent l’absolue réalité que lorsque dans une œuvre d’art, un portique par exemple, elles se révèlent comme impression esthétique sur l’ame contemplative. Cette identité entre la réalité et l’impression esthétique caractérise sa philosophie. […] Il faut bien saisir, cependant, que, pour Schopenhauer, les Idées ont autant de réalité objective, que subjectîve ; ces deux ne sont qu’un pour lui.
Aussi quitte-t-il, sans cesse, la réalité que l’acuité de ses sens et les besoins de son esprit le forçaient sans cesse aussi à apercevoir, et s’essaie-t-il à se créer un monde plus enthousiasmant, en abstrayant et en résumant du vrai ses élément épars d’énergie et de beauté sensuelle. […] Enfin placé devant les scènes où le mènent ses romans, Flaubert quitte tout à coup l’exacte réalité et s’abandonne à l’admiration du spectacle. […] Détestant la réalité de toute la haine d’un idéaliste qui se trouve contraint de la voir, il s’est enfui du monde moderne en un monde antique embelli ; et non content de cette évasion vers le splendide, il a sans cesse tendu et parfois réussi à échapper radicalement au réel, en substituant aux individus les types, à un récit de faits particuliers, un récit de faits allégoriques. […] Par une cause inconnue, probablement en partie par suite de lectures exclusivement romantiques, Flaubert possédait un grand nombre de mots beaux, harmonieux, vagues, exprimant de la réalité certaines abstractions faites pour plaire plus que les choses, aux sens et à l’esprit humains. […] D’autres enfin, et ce sont les plus artistes des artistes, réussissent par des miracles d’adresse à exprimer une énorme portion de réalité, des idées absolument adventices et variées, en une langue toujours la même et qui joint une beauté propre au rendu de la vérité ; les de Goncourt et M.
Jamais non plus, pas même dans Pot-Bouille, cet étrange observateur des mœurs de son temps ne s’était ainsi moqué de son public, jamais il n’avait substitué plus audacieusement à la réalité les visions obscènes ou grotesques de son imagination échauffée. […] Zola ne fera jamais cette comparaison ni nulle autre, parce que lui-même ne s’intéresse pas assez aux histoires qu’il nous raconte, aux personnages qu’il prétend peindre, à cette réalité dont il se croit néanmoins l’interprète. […] D’autant qu’ils parleraient un langage plus conforme à la réalité, ils paraîtraient d’autant moins réels et moins vrais, puisque c’est eux, et non point leur incapacité de s’analyser eux-mêmes qu’il s’agit de nous montrer. […] Dans la poésie, maintenant que l’on disposait d’un instrument plus souple, nous avions donc espéré que l’on voudrait imiter et serrer de plus près l’exact contour de la réalité ; nous avions cru qu’au théâtre, on pourrait se débarrasser des conventions inutiles, pour n’en respecter que les nécessaires, qui ne sont pas plus de deux ou trois ; et, dans le roman, nous avions cru que la vie contemporaine était assez complexe, assez curieuse à étudier pour que l’imitation en pût suffire à plus d’un chef-d’œuvre.
Quoique le romancier voie les réalités, et, quand il s’agit de les nommer, ne barguigne pas, le cynisme de ce terrible Richepin, qui ne craignait pas autrefois d’être cynique, qui n’hésitait jamais devant l’expression et se jetait à corps perdu sur elle, n’a plus guères, dans tout ce livre, que quelques traits fort rares, et encore le romancier ne s’y arrête pas, ou, s’il les ose, le croiriez-vous jamais ? […] Richepin, qui a pu rêver et nous donner pour une réalité cette fée, cette divinité, cette incomparable amoureuse, ce génie ; car elle finit par le génie, madame André, toujours au profit de son amant, à qui elle fait ses livres comme elle lui fait ses chemises. […] le marbre ou l’argile des réalités.
Le style des Pensées : abstraction et réalité, raisonnement et poésie. […] Si donc on traite la religion comme un fait, les miracles, les évangiles comme des faits, la raison, critiquant ces réalités sensibles, pourra y faire apparaître avec évidence un élément surnaturel et surhumain : l’action divine, insaisissable en elle-même, sera atteinte dans ses manifestations historiques. […] Il s’agit de montrer que l’homme est un composé de grandeur et de bassesse : la grandeur, ce sont les aspirations, le rêve, l’illusion ; la bassesse, c’est la réalité, et toutes les réalités, sentiments, croyances, institutions, coutumes, arts, toute la vie morale, politique et sociale de l’homme. […] Il y a dans cette réflexion de Pascal toute la question de l’unité, de l’identité du moi, de sa réalité : un des grands et troublants problèmes de la pensée contemporaine. […] Il l’est, comme tous les autres, parce qu’il est obstinément réaliste : son imagination représente les réalités concrètes dont sont extraites les abstractions sur lesquelles il opère ; — et parce qu’il est profondément sensible : chaque acte de sa pensée, chaque idée qu’il conquiert met en jeu, exalte on blesse toutes les émotions, les affections de son âme singulièrement délicate.
Or nous ignorons si en dehors de l’homme il y a d’autres êtres semblables à lui, pensant d’après les mêmes lois, ou des réalités soumises aux conditions qu’il est forcé de concevoir. […] Peut-on croire au moins que la justice, cette chimère sur la terre, sera une réalité ailleurs ? […] Il semble bien que, dans la première partie, le premier rôle est au Chercheur qui, au nom de la science positive, déclare la liberté et la justice de pures illusions devant l’écrasante réalité des lois éternelles. […] Comment peut-il donner de la réalité à ce qui n’en a pas en dehors de lui ? […] Cette justice qui se révèle tout d’un coup dans un atome perdu de l’univers, sans qu’elle ait aucune réalité en dehors de cet atome, qu’est-elle en soi ?
Ce n’est pas par l’intelligence, ou en tout cas avec l’intelligence seule, qu’il pourrait le faire : celle-ci irait plutôt en sens inverse ; elle a une destination spéciale et, lorsqu’elle s’élève dans ses spéculations, elle nous fait tout au plus concevoir des possibilités, elle ne touche pas une réalité. […] Ne seraient-elles pas la réalité vraie, et changement et mouvement ne traduiraient-ils pas l’incessante et inutile tentative de choses quasi inexistantes, courant en quelque sorte après elles-mêmes, pour coïncider avec l’immutabilité de l’Idée ? […] Mais cette question présuppose que la réalité remplit un vide, que sous l’être il y a le néant, qu’en droit il n’y aurait rien, qu’il faut alors expliquer pourquoi, en fait, il y a quelque chose. […] Non, la souffrance est une terrible réalité, et c’est un optimisme insoutenable que celui qui définit a priori le mal, même réduit à ce qu’il est effectivement, comme un moindre bien. […] Et comment les problèmes relatifs à une âme réelle, à son origine réelle, à sa destinée réelle, pourraient-ils être résolus selon la réalité, ou même posés en termes de réalité, alors qu’on a simplement spéculé sur une conception peut-être vide de l’esprit ou, en mettant les choses au mieux, précisé conventionnellement le sens du mot que la société a inscrit sur une découpure du réel pratiquée pour la commodité de la conversation ?
Si nous passons au Renan de la réalité, nous restons surpris. […] Voilà donc le Renan de la légende et le Renan de la réalité. […] Dumas, qui est avant tout ce qu’on appelle homme de théâtre, n’hésite jamais entre la réalité et une exigence scénique ; il tord le cou à la réalité. […] C’est le mélange le plus fâcheux de réalité entrevue et d’invention baroque. […] C’est là de la réalité poétique, c’est-à-dire de la réalité acceptée, puis traitée en poème.
que l’écart est profond entre l’idéal et la réalité ! […] Au critique revient la tâche de les appliquer, de fonder ses arrêts et ses conseils sur les lois découvertes ; l’historien, lui, borne son ambition à en établir solidement la réalité.
Quant aux Frères Zemganno, le roman que je publie aujourd’hui : c’est une tentative dans une réalité poétique11. Les lecteurs se plaignent des dures émotions que les écrivains contemporains leur apportent avec leur réalité brutale ; ils ne se doutent guère que ceux qui fabriquent cette réalité en souffrent bien autrement qu’eux, et que quelquefois ils restent malades, nerveusement, pendant plusieurs semaines, du livre péniblement et douloureusement enfanté. […] Je me suis appliqué à rendre le joli et le distingué de mon sujet et j’ai travaillé à créer de la réalité élégante ; toutefois — et là était peut-être le gros succès, — je n’ai pu me résoudre à faire de ma jeune fille l’individu non humain, la créature insexuelle, abstraite, mensongèrement idéale des romans chic d’hier et d’aujourd’hui. […] Il montre, lors de notre début littéraire, la tendance de nos esprits à déjà introduire dans l’invention la réalité du document humain, à faire entrer dans le roman, un peu de cette histoire individuelle qui, dans l’Histoire, n’a pas d’historien. […] À propos de la réalité que j’ai mise autour de ma fabulation, je tiens à remercier hautement M.
Entre la réalité et lui, c’était comme un rideau léger, mais suffisant, à travers lequel tout se revêtait aisément de la couleur de ses rêves. […] Soumet du nôtre, je voudrais du moins qu’on pût les peindre au naturel tels qu’ils furent, et que cette réalité qu’on chercherait vainement dans leurs œuvres majestueuses se retrouvât dans l’expression entière de leur physionomie, car la physionomie humaine a toujours de la réalité.
Elle fait vivre les abstractions en les traduisant par une fable qui est de l’observation généralisée ou, si on veut, de la réalité réduite à l’essentiel. […] Comme la fable choisie n’est point la représentation d’une réalité rigoureusement limitée dans le temps et dans l’espace, on y peut mettre tout ce que le souvenir et l’imagination suggèrent de pittoresque et d’intéressant. […] Antistius finit par reconnaître qu’avec ses bonnes intentions il a fait plus de mal que de bien, et qu’il « a porté préjudice à la patrie, laquelle repose en définitive sur des préjugés généralement admis. » Mais, si la réalité ne démentait pas son rêve, il ne croirait pas, il serait sûr, et la certitude abolirait la beauté et la grandeur de son effort.
Grâce à un sens critique et une sûreté d’érudition dont nous parlerons tout à l’heure, il nous aide merveilleusement à séparer l’art et l’artiste des réalités de l’Histoire. […] Manquant, comme les démocrates grecs, du véritable instinct politique, méconnaissant la réalité de leur temps comme les Grecs méconnaissaient la réalité du leur, ils établissent entre les gouvernements et les nations modernes, et les gouvernements et les nations de l’antiquité, un rapport qui n’a jamais existé que d’eux seuls à cette partie de l’antiquité, morte !
Si, comme on devait naturellement le croire d’après son titre, ce livre sur les femmes d’Amérique n’avait été que de l’observation consciencieuse et exacte, nous n’avons jamais assez aimé, dans les lointains où elle nous apparaît, la société américaine, pour nous irriter contre un daguerréotype impassible et cruel, qui nous montre les femmes de New-York ou de Philadelphie dans leur effroyable réalité. […] La gloire et la force du peuple américain, c’est la bâtardise : « La transplantation des races européennes — dit-il, l’anti-Européen, — a eu pour premier effet sinon de dissoudre entièrement, au moins d’affaiblir le principe de la famille. » Et plus bas, devenant plus explicite, il ajoute : « Le passage de l’Européen outre-mer a toujours eu pour cause une protestation contre l’autorité paternelle, une déclaration d’indépendance individuelle, une sorte d’assimilation à l’état de bâtardise. » Et le singulier penseur, qui lit l’histoire les yeux retournés, non seulement ne voit pas les conséquences éloignées du vice originel de l’Amérique, mais, lui qui parle tant de réalité, il ne voit pas même les réalités présentes ; car, à l’heure qu’il est, tout le monde sait, sans avoir eu besoin d’aller en Amérique, que le peuple américain est un peu gêné en ce moment par son heureuse bâtardise ; que la question de l’indigénat est une des plus grosses questions qui aient jamais été agitées dans les États de l’Union, et que cette question n’est pas autre chose que la nécessité — sous peine de dissolution complète — de se faire une espèce de légitimité contre l’envahissement croissant de toutes les bâtardises de l’Europe, contre le flot montant des immondices qu’elle rejette !
Ces paysans-là n’ont pas assurément plus de réalité que ceux du poëme de Miréio, mais leur réalité est présentement moins exceptionnelle. […] III Le livre du Marquis des Saffras a donc sur Les Paysans de Balzac, auxquels nous ne nous permettrons pas de le comparer pour la manière, qui est essentiellement différente, la supériorité d’une peinture sans exagération et sans outrance, prise dans la mesure juste de son cadre et dans la réalité.
Il en préféra l’Illusion idéale aux Réalités matérielles. […] Ils admiraient en Gérard son constant souci d’ennoblir la réalité. […] Cet imaginatif avait, à certains moments, le goût de la réalité. […] Elle change en prismes étincelants les plates couleurs de la réalité. […] Ce qui, longtemps, fut un rêve deviendra une réalité.
La réalité était autre. […] Il les avait mises en face d’une réalité. […] De la réalité ! […] Notre aristocratie ne se meut pas dans un cercle de réalités vivantes. […] Elle vient amender la réalité.
Toute la question est de savoir si nos notions idéales dépassent en fait ou peuvent dépasser les données de la réalité. […] Une profonde méditation philosophique a pour effet, en nous entretenant d’idées pures, d’affaiblir en nous, sans l’effacer complètement, le souvenir de la réalité. […] peut-il y avoir une définition, une notion de la comédie, contenant quelque chose de plus que ce que donne l’analyse des œuvres, contenant une idée qui ne soit pas dans la réalité, contenant un élément a priori ? […] Au spectacle ou à la lecture d’un chef-d’œuvre, prétendent-ils, l’image de quelque chose de plus parfait surgit dans notre esprit ; nous comparons la réalité à ce modèle divin, et nous avons trouvé le principe de la critique littéraire. […] La réalité des portraits l’enchante dans le comique français ; dans le poète grec et dans Shakespeare, la fantaisie des tableaux lui cause le même enchantement.
Dans son œuvre impartiale et objective, il a porté un fin sentiment de l’originalité des hommes, des nations et des époques, une sûre intuition des mouvements intimes qui transforment incessamment les réalités en apparence les mieux fixées. […] Mais l’esprit dominant ne portait pas à l’abstraction ; la science expérimentale, le naturalisme littéraire maintinrent dans l’histoire le goût de la réalité concrète et le sens de la vie : d’autant que le développement des sciences auxiliaires, diplomatique, épigraphie, archéologie, faisait sans cesse jaillir une multitude de faits précis, individuels, sensibles, qui menaçaient même d’inonder l’histoire et de noyer toutes les idées ; ces matériaux, du moins, facilitaient la restitution intégrale de la vie et donnaient aux plus forts esprits la tentation de l’essayer. […] Mais, de plus, la précision extrême de son étude exprime toute la réalité : il sait obtenir les plus grands effets par les plus simples moyens, et quelques types compréhensifs, quelques faits caractéristiques — très peu nombreux, mais très soigneusement choisis — nous rendent la Grèce présente, en sa vivante originalité, ou Rome, ou la France des Mérovingiens. […] Il semble que le public soit las de fictions et savoure la certitude de la réalité des récits et descriptions que ces sortes d’écrits lui offrent.
Cela permettrait des considérations curieuses, et bien incertaines, que la fantaisie de chacun peut greffer assez librement sur la réalité. […] Je simplifie ici la réalité en opposant dans l’homme le « moi » et les « autres ». […] Le monde d’illusions et de mensonges qu’il a suscité en nous et bâti sur un mensonge primordial se brise souvent, s’altère, se dissipe sous les chocs de la réalité. […] Il se peut que ce soit là un commencement, une ébauche d’une réalité future plus solide, mais le résultat final est bien douteux et un succès suffisant reste assez invraisemblable.
Tous ces poëmes, ceux du moins qui résument le passé, sont de la réalité historique condensée ou de la réalité historique devinée.
Tournant son goût de fine subtilité vers les solides réalités du cœur, elle se plaisait, et l’on aimait autour d’elle à faire des sentences ou maximes. […] Sa narration est chaude, vivante, pittoresque : elle est tumultueuse, « grouillante », comme la réalité, mais avec cela d’une lumineuse netteté. […] Au lieu de s’émousser, l’impression s’avive en elle, parce que lentement, à mesure que les circonstances lui parviennent, son imagination en élabore une représentation complète : et c’est de cette vision que jaillit le récit définitif, simple, objectif, et saisissant comme la réalité même. […] Lisez la sublime demi-page sur la mort de Louvois : ce pathétique n’est pas un épanchement irrésistible de tendresse ou de sympathie sur les choses ; il naît du saisissement de lire à travers certaines formes de la réalité vivante les vérités métaphysiques devant lesquelles sa raison frissonne. […] Certaines scènes sont d’une franchise remarquable, de vrais morceaux de réalité, sincèrement transcrite, sans outrance et sans esprit.
Maximes et portraits sont une sensible manifestation du goût du siècle pour l’exacte vérité : ce sont deux genres faits pour la notation précise de la réalité, d’où l’invention romanesque, dramatique, poétique est exclue, où l’art littéraire s’approche autant qu’il est possible de l’expression scientifique. […] Les Caractères ont été faits au jour le jour ; ce sont des notes prises devant la réalité. […] Plus la matière de l’observation est, pour ainsi dire, à fleur de sol, plus elle s’éloigne de l’idéale abstraction et s’approche de la réalité concrète et sensible, et mieux La Bruyère sait voir et rendre. […] Parfois ce peintre si sagace et si exact s’emporte, et, par une sorte d’enivrement d’imagination, dépasse son observation ; la description réaliste s’achève alors en fantaisie copieuse, et l’on a une sorte de bouffonnerie très particulière, pittoresque et chargée, qui peut être de fort mauvais goût, mais qui a une saveur originale : elle consiste éminemment à noter l’hypothèse impossible par une collection de petits faits précis et sensibles, tout analogues à ceux par lesquels la réalité visible se note. […] Et il y avait aussi en lui un honnête homme qui ne se trouvait pas à sa place, et qui en souffrait : de là, le ton satirique, les boutades misanthropiques, la déformation âprement pessimiste de la réalité.
Et voici les Burgraves : « l’histoire, la légende, le conte, la réalité, la nature, la famille, l’amour, des mœurs naïves, des physionomies sauvages, les princes, les soldats, les aventuriers, les rois, des patriarches comme dans la Bible, des chasseurs d’hommes comme dans Homère, des Titans comme dans Eschyle, tout s’offrait à la fois à l’imagination éblouie de l’auteur ». […] Nulle part l’action n’est vraie, directement tirée de la réalité commune, simplement fondée sur les passions universelles : les Grecs et les Turcs de Racine sont bien plus près de nous, et par leurs actes, et par leurs sentiments, que les Espagnols et les Français de V. […] Point d’histoire, point de particularités singulières : Vigny ne s’intéresse pas à ce que fut son héros dans la réalité. […] Comme dans ses poèmes, il a su donner aux figures symboliques une précision intense, qui les l’ait vivre : Beckford, avec sa sottise bouffie, Bell, avec sa vulgarité dure, le quaker, qui enseigne la vertu sans niaiserie et sans bavardage, et surtout cette exquise Kitty Bell, si pieuse, si dévouée, si pure, si tendre, que la pitié mène à l’amour, et qui n’avoue son amour que par sa mort, tous ces caractères sont fortement conçus, vrais à la fois comme réalités et comme symboles. […] D’une matinée de bon sens lucide, où il s’est dit ses vérités, le premier acte de Il ne faut jurer de rien est sorti ; la réalité a fourni le point de départ, l’imagination fera le reste ; elle organisera une action, un dénouement conformes à cette situation première où le poète s’est trouvé.
Il semble qu’il n’affecte que quelques individus parmi beaucoup d’autres ou quelques groupes sociaux à un moment déterminé de leur histoire ; il semble, qu’à ces exemples, choisis pour illustrer un cas pathologique, il soit possible d’opposer nombre de ces normaux, où des réalités, individuelles ou sociales, se montrent en harmonie avec elles-mêmes et nous offrent le spectacle d’un ensemble coordonné. […] Si d’autre part, ayant construit les conséquences logiques qui devraient suivre l’existence d’un libre arbitre, on abaisse les yeux sur la réalité pour y découvrir ces conséquences, on s’aperçoit aussitôt qu’elles y sont absentes. […] Or, pour qui est parvenu à percer entièrement le brouillard qui favorise l’illusion commune, il n’est pas de spectacle plus singulier, plus comique et plus terrible à la fois, que celui du contraste qui apparaît ici entre la réalité des choses et l’interprétation qui en est imaginée par la cervelle humaine. […] Enfin, dès que l’on interroge les philosophies, et à mesure que l’on s’adresse aux plus récentes et aux plus hautes, on constate que leurs réponses impliquent des affirmations de plus en plus vagues pour venir jusqu’à n’en plus formuler aucune, ou jusqu’à nier la réalité de l’objet que le désir humain leur avait ordonné de découvrir. […] À côté de ces conséquences esthétiques, le besoin métaphysique, par les sciences exactes auxquelles il a fait appel, a modifié et singulièrement aiguisé notre conception de la réalité objective.
Il revient chez lui ; il fait de grandes courses à cheval, il rêve, il lit : les anciens, les Romains du moins, ne l’attirent guère ; il y a trop de raison et de raisonnement chez eux ; il y a trop de réalité dans nos classiques ; et La Fontaine lui renvoie une trop laide image de la vie et de l’homme. […] Tout ce qui est circonstance, réalité, forme visible de l’être s’efface : chaque Méditation n’est guère qu’un soupir, et Lamartine gagne cette gageure impossible d’établir par des mots entre son lecteur inconnu et lui ces intimes communications qui se forment dans la vie réelle par le silence entre deux âmes sœurs. […] L’image se développe, s’assimile tous les éléments qui peuvent la compléter, s’organise, devient une réalité vivante, qui reste le symbole d’une pensée profonde. […] En même temps, il fait quelques études pittoresques d’après nature : lâchant l’ombre de l’Asie pour la réalité prochaine, il nous donne des paysages parisiens, des bords de Bièvre, des soleils couchants ; ailleurs il indique l’usage qu’il fera plus tard de la nature pour l’expression symbolique de l’idée771. […] Le monde alors lui apparaît comme un rêve ; aucune réalité ne se laisse retenir.
D’une part, il ouvre à l’homme un monde fictif, analogue à celui de l’art, d’un art assez bas, de l’art des romans optimistes et sentimentaux, mais d’un art qui veut se faire prendre pour la réalité même pour devenir réel. […] Alors la réalité transparaît ou se déforme d’une autre manière. […] Elle a construit des mythes mystérieux, abstraits et sans charme, sur des réalités claires et un peu banales. […] La théorie du devoir en supposant que l’homme n’est qu’un être social supprime la moitié de la réalité. […] J’ai dû exposer les démarches successives de l’instinct social de façon à paraître transformer la réalité.
Elle ne serait possible tout au plus qu’avec la solution idéaliste, pour qui Dieu, Nature, Histoire, tout n’a de réalité que dans la pensée humaine. […] Si vous n’êtes point l’un de ces esprits grossiers qui ne conçoivent rien au-delà de la plus vulgaire réalité, si vous cherchez quelque chose sous les faits ou au-delà des faits, vous entrez dans un monde idéal. Le poëte le conçoit à l’image du nôtre, mais plus beau, plus harmonieux ; la vie y est plus pleine et plus largement savourée : il y contemple des formes visibles et palpables, concrètes, vivantes, plus réelles pour lui que la réalité. […] Dire que les sens voient et entendent c’est en faire des entités, tandis que dans la réalité il y a simplement des affections mentales produites. […] Enfin la méthode objective, au lieu d’être personnelle comme la simple méthode de réflexion, emprunte aux faits un caractère impersonnel, elle se plie devant eux, elle moule ses théories sur la réalité.
Ce sentiment n’est pas, comme certains philosophes l’ont cru, une simple conception abstraite de possibles jointe à l’ignorance de la réalité qui en sortira : c’est un sentiment concret de puissance. […] Quant à savoir si elles auraient pu être autrement, ce sont les partisans du libre arbitre qui se livrent à ces hypothèses en dehors de la réalité et qui construisent des romans dans le passé ou dans l’avenir ; le déterministe, lui, se contente de dire : A est, donc B est ; la réalité de l’un est la cause unique de la réalité de l’autre ; cela est ainsi de fait, et le fait coïncide avec le droit, parce que le fait est réel et que toute autre hypothèse est purement imaginaire. L’impossibilité du contraire n’est qu’une expression indirecte de ce qu’il y a d’unique et d’original dans la réalité actuelle. Au reste, pourvu qu’on ne cesse jamais de revenir ainsi à la réalité et à l’actualité, la considération du possible et de l’impossible peut avoir sa valeur comme considération auxiliaire. […] La réalité concrète enveloppe à la fois et l’idée de ma puissance et l’idée d’un objet auquel elle s’applique : les deux termes sont inséparablement objets de pensée et de désir.
Les conventions y prennent la place des réalités ; les mœurs y deviennent factices et faibles. […] Et ainsi c’est le monde entier, c’est l’ensemble des réalités humaines que Shakespeare reproduit dans la tragédie, théâtre universel, à ses yeux, de la vie et de la vérité. […] Dramatique dans la peinture des jeux d’une mère avec son enfant, simple dans la terrible apparition qui ouvre la scène de Hamlet, le poëte ne manquera jamais aux réalités qu’il doit nous peindre, ni l’homme aux émotions dont il veut nous pénétrer. […] Il faut voir dans Macbeth, véritable type de son système, avec quel art il sait vaincre les difficultés qui en naissent, et renouer, dans l’âme du spectateur, la chaîne des lieux et des temps sans cesse brisée dans la réalité ! […] C’est tromper l’esprit sur un événement que de lui en présenter une partie saillante et revêtue des couleurs de la réalité, tandis que l’autre partie est repoussée, effacée dans une conversation ou un récit.
La vie, la réalité, voilà la vraie fin de l’art ; c’est par une sorte d’avortement qu’il n’arrive pas jusque-là. […] À ce point, l’art touche à la réalité, est la réalité même : dans le sentiment de l’admiration coïncident pleinement le réel et le fictif, l’être et le paraître ; je voudrais devenir ce que je contemple, et je le deviens dans une certaine mesure. […] Le véritable artiste se reconnaît à ce que le beau le touche, l’ébranle aussi profondément, plus peut-être que les réalités de la vie ; pour lui, c’est la réalité même. […] S’il prend de plus en plus pour but la réalité, ce ne sera pas seulement la réalité apparente et grossière qui, après tout, n’est point la complète réalité scientifique ; s’il s’essaye de plus en plus à reproduire la vie, ce ne sera pas seulement la vie matérielle et brutale. […] C’est une vision que la réalité.
Le regard de Jules Renard, plutôt qu’il n’embrasse la réalité, la perce à la façon d’une vrille. […] La réalité n’est pas la sœur du rêve, il l’a appris — par cœur. Il dira son fait à la réalité. […] Son œuvre ne fait qu’effleurer la vie ; jamais elle n’entre en contact direct avec la réalité. […] En une attitude de défiance à l’égard des mots qui déforment la réalité.
Et d’autre part le réaliste, ne nous y trompons pas, c’est un homme qui ne veut voir que la réalité, c’est un homme qui s’applique à la réalité, mais qui l’observe et qui la décrit avec tant de minutie, avec tant de méticulosité, dans un détail si passionnément minutieux et futile qu’il l’exagère de cette façon-là ; il l’altère, et il fait paraître la réalité toute petite, toute menue, toute fragmentaire. […] Le défaut de la réalité, si le réel peut avoir un défaut, le défaut de la réalité, c’est de ne pas se présenter par grandes masses, au gré de notre goût et de notre esprit, c’est de se présenter toujours d’une façon fragmentaire, toujours dans un détail minutieux et qui paraît dispersé et dissipé. Si ce défaut de la réalité, le poète, l’écrivain l’exagère encore, il est exagéreur dans un sens, comme le romantique l’est dans un autre Le classique sera donc l’homme qui, doué de toutes les qualités littéraires, aussi bien de celles qu’on a appelées romantiques que de celles qu’on a appelées réalistes, a, de plus, le sentiment de la vérité, le sentiment de la mesure ; et le sentiment de la vérité, c’est-à-dire de la mesure, c’est ce que l’on a appelé le goût.
Ce grand mot de nature une fois prononcé, l’objectivité, l’impersonnalité, la réalité s’imposaient à l’œuvre d’art. […] Horace lui avait montré dans le bon sens, qui n’est en somme que le sens précis de la réalité, la qualité maîtresse du poète dramatique : mais surtout il lui avait fait concevoir quel art délicat, assortissant toutes les pièces d’une tragédie, donne à l’ouvrage une perfection charmante, dont l’agrément est infini. […] On voit combien Boileau améliorait la théorie de Perrault, en substituant à cette loi de fer du progrès constant, universel, qui fait violence aux faits par la régularité mécanique et monotone de son jeu hypothétique, un principe infiniment plus flexible, plus voisin de la réalité, et qui s’y adapte sans peine pour l’exprimer : distinguer dans le mouvement général du monde intellectuel une pluralité de petits mouvements, des séries partielles ascendantes ou descendantes, se succédant, s’enchevêtrant, s’ajoutant, se contrariant, se figurer la marche de la littérature, non plus comme offrant la rigidité d’une ligne droite, mais comme une quantité de lignes brisées ou courbes du dessin le plus capricieux, c’était prendre la notion du rythme ondoyant des choses, et ni plus ni moins qu’introduire dans la critique la doctrine de l’évolution. […] Boileau ne le fit pas, et n’alla point au-delà des idées littéraires proprement dites : il ne regarda point les réalités psychologiques qui se cachent derrière ces abstractions, une langue, un genre : il n’y vit point les expressions de ces consciences collectives qu’on appelle des peuples, et ne se rendit pas compte que chaque nation façonne sa langue à son image, et que l’apparition et la disparition, la perfection et la décadence de ces formes organiques qui sont les genres, représentent la succession des états d’âme, la diversité des aptitudes intellectuelles et des aspirations morales des divers groupes de l’humanité.
Toutes ces épopées symboliques, non historiques, sont réellement des mythes, où les formes de la réalité, imaginée ou vue, ancienne ou contemporaine, s’ordonnent en visions grandioses et fantastiques. […] Il les mêle aux mots techniques : c’est un moyen d’agrandir la réalité, de développer des images finies en symboles fantastiques. […] Nous saisissons encore l’évolution du romantisme chez Louis Bouilhet888 : vestiges de passion orageuse, exotisme effréné dans l’orientalisme et la chinoiserie, fantaisie capricieuse des rythmes, voilà le romantisme ; mais essai de restitution érudite de la vie romaine, effort pour saisir la vie contemporaine en sa réalité pittoresque, et surtout sérieuse tentative pour traduire en poésie les hypothèses de la science, voilà les directions nouvelles vers l’art objectif et impersonnel. […] Parallèlement au roman naturaliste peut se développer une poésie naturaliste, tout appliquée à rendre les aspects de la vie familière, de la réalité vulgaire, même triviale, même laide.
Une idée seulement de Ramus le rattache à notre sujet : sa Dialectique, opposée à la Logique d’Aristote, fonde le raisonnement oratoire, qui se forme moins par l’exacte application de règles rigoureuses, que par le commerce et l’imitation des chefs-d’œuvre antiques, par le contact en quelque sorte des réalités concrètes où s’est manifestée la faculté discursive de l’esprit humain. […] Cependant deux choses tendent à ramener les ouvrages de science et d’érudition dans notre domaine : la langue française, quand on l’emploie, toute concrète encore et chargée de réalité, et dont les mots apportent, au milieu des abstractions techniques, les formes, les couleurs et comme le parfum des choses sensibles ; ensuite, le tempérament individuel, mal plié encore à la méthode scientifique, et qui jette sans cesse à la traverse des opérations de la pure intelligence l’agitation de ses émotions et les accidents de sa fortune. […] Mais je veux dire qu’il rend la vie, et que nous ne voyons pas seulement dans son récit des enchaînements de faits extérieurs, nous y saisissons par surcroît les réalités morales qui leur servent de support.
Naturellement orienté vers les réalités plutôt que vers les abstractions, très artiste, très attentif aux rapports de la littérature et des beaux-arts, il regardait ses auteurs comme un peintre, ou comme un romancier naturaliste peut faire. […] Ce n’est pas cette mesure timide des gens de goût poli qui masquent ou nient volontiers les réalités laides, et qui aiment à voir en beau les écrivains dont ils s’occupent. […] Brunetière : il ôtait à leurs idées ce qui en faisait des systèmes, il en gardait ce qui donnait moyen d’interroger, d’embrasser le plus de réalité possible.
Je me réconciliai à quelques égards avec la réalité, et, en reprenant, à mon retour, le livre écrit un an auparavant, je le trouvai âpre, dogmatique, sectaire et dur. […] Il est donc possible que la ruine des croyances idéalistes soit destinée à suivre la ruine des croyances surnaturelles, et qu’un abaissement réel du moral de l’humanité date du jour où elle a vu la réalité des choses. […] Continuons de jouir du don suprême qui nous a été départi, celui d’être et de contempler la réalité.
Car nous avons précisément restitué à l’idée ethnique toute sa puissance, nous nous appliquons d’une manière constante à saisir le sens des réalités, et nous avons constitué l’éthique la plus sûre qu’ait connue la France. […] Nous voulons renouveler le monde, régénérer les doctrines, organiser les idées et fonder le système social sur des bases de réalité vive comme la chaux. […] si nous manquions du sens de la réalité ?
Pour le philosophe, au contraire, tous ces groupements particuliers, que l’on appelle les tribus, les cités, les nations, ne sont que des combinaisons contingentes et provisoires sans réalité propre. […] Il semblait donc que la réalité sociale ne pouvait être l’objet que d’une philosophie abstraite et vague ou de monographies purement descriptives. […] Une fois posée cette notion de la horde ou société à segment unique — qu’elle soit conçue comme une réalité historique ou comme un postulat de la science — on a le point d’appui nécessaire pour construire l’échelle complète des types sociaux.
— en ce livre de tant de promesses, — un seul fait, une seule réalité, un seul détail, qui ne soit connu, — qui ne soit presque devenu un lieu commun de l’histoire de Byron. […] Byron, qui fut non seulement le plus grand poëte des temps modernes, mais la poésie elle-même dans sa réalité, c’est-à-dire, un mystère, est resté un mystère comme la poésie. […] — n’est le La Rochejacquelin de la, réalité ; — que la Charlotte Corday d’Adam Salomon, traduite en marbre de l’Ange de l’assassinat de Lamartine, n’est physiquement la vraie Charlotte Corday, qui fut, comme le savent ceux qui ont vu ses portraits originaux, une figure piquante de trumeau, le minois chiffonné d’une soubrette du xviiie siècle !
. — La physique vient d’ailleurs compléter l’œuvre de la psychologie sur ce point : elle montre que si l’on veut prévoir les phénomènes, on doit faire table rase de l’impression qu’ils produisent sur la conscience et traiter les sensations comme des signes de la réalité non comme la réalité même. […] Et ce ne sera pas là seulement un mode de représentation symbolique, car l’intuition immédiate et la pensée discursive ne font qu’un dans la réalité concrète, et le même mécanisme par lequel nous nous expliquions d’abord notre conduite finira par la gouverner.
Walewski, a contesté la réalité de ce grand beau monde, comme dans sa lettre sur l’École des Journalistes, il avait contesté la réalité du vilain monde des journaux.
Du moins, si elle s’y intéresse, c’est dans la mesure où elle y voit des faits sociaux qui peuvent l’aider à comprendre la réalité sociale en manifestant les besoins qui travaillent la société. […] La sociologie n’est donc l’annexe d’aucune autre science ; elle est elle-même une science distincte et autonome, et le sentiment de ce qu’a de spécial la réalité sociale est même tellement nécessaire au sociologue que, seule, une culture spécialement sociologique peut le préparer à l’intelligence des faits sociaux.
Seulement, l’auteur du Blessé de Novare, qui ne voulait pas recommencer un livre achevé, mais qui voulait l’allonger en le variant, a cru qu’il était bon de tirer son héros du vague magnifique dans lequel Chateaubriand noie cette sombre et rêveuse figure, et d’en faire, par ce temps florissant de réalisme et de réalité, un être d’une réalité très précise et très coudoyée.
D’autres philosophies, au contraire, ont placé dans l’infini la réalité authentique. […] Il leur faut le contact de la réalité. […] Mais on n’a pas encore démontré que ce fut également la manie ou l’usage de la réalité ou de l’histoire. […] Cela tient à ce que la réalité se moque de nos doctrines. […] Pierre Hamp souhaite-t-il que disparaisse le sentiment, comme la réalité, d’une patrie ?
Est-ce une abstraction ou une réalité ? […] est-ce une réalité existant par elle-même ? […] L’illusion morale de la réalité lui suffit ; il n’a pas besoin de l’illusion matérielle et sensible. […] Vous souffriez physiquement, à coup sûr, car vous étiez assez près de la réalité pour souffrir de la sorte. […] Vous ne trouviez pas que la réalité était trop rapprochée de vous, car cette réalité vigoureuse réchauffait le plaisir abstrait de la lecture.
Les Réalités idéales, c’est-à-dire : Dieu, le Monde, l’Âme humaine. […] Du moins en a-t-il cette réalité : la délectation intime […] mais Balzac croyait à une réalité intérieure du monde qu’il a créé, non pas copié ! […] La Parole est le lien naturel qui retient le spectateur au spectacle, qui opère la transsubstantiation des apparences de réalité qui écoutent aux réalités de rêve qui parlent. […] Il interprète l’apparence vers le rêve de la réalité qu’elle comporte.
Mais, en somme, la vérité, la réalité importait peu, déplaisait même aux novateurs. […] A cette heure, le décor exact est une conséquence du besoin de réalité qui nous tourmente. […] Il paraissait n’éprouver aucun besoin de réalité matérielle. […] Son forçat entre, s’asseoit et cause, à peu près comme cela se passerait dans la réalité. […] Catulle Mendès a eu le tort de plaisanter avec la réalité.
Laissez-leur l’idéal, et ne les attachez pas à la réalité par les chaînes de la loi. […] Fort bien, mais la réalité ne se laisse pas gouverner comme le roman. […] On pourrait dire qu’elle apporte plus de mémoire imaginative que d’imagination dans ses souvenirs et ses visions de la réalité. […] Elle est triste dans les deux récits ; elle l’avait été dans la réalité, et tout le monde la sait à peu près, ce qui suffit. […] C’est ainsi que, sous sa main habile, la réalité devenait de l’art et souvent du grand art.
Est-ce vraiment pénétrer dans la réalité que de s’arracher à soi-même, comme si la réalité n’était pas en nous, et nous en elle, comme si elle ne prenait pas en nous conscience de soi, jouissant et souffrant, désirant et aimant ? […] Le rêve du jaguar ne porte point nécessairement atteinte à la réalité dernière du rêve de l’homme. […] La plupart du temps, aux détails qu’il sème à travers ses récits, il ne demande pas tant d’être expressifs de la réalité que de se répéter souvent dans la réalité. […] Voir à travers le souvenir, c’est voir à travers un rayon de lumière : tout semble devenir transparent, s’éclaire, se transfigure ; pourtant rien n’est changé à la réalité, rien, sinon peut-être qu’on en saisit mieux le vrai sens. […] Mme Ackermann, reprenant le même sujet, mais avec beaucoup moins de poésie, nous montre à son tour le contraste de la réalité qui passe avec les aspirations infinies de l’amour : Regardez-les passer, ces couples éphémères !
D’autre part il est certain qu’il n’y a point de réalité sans confessions, et qu’une fois qu’on a goûté à la réalité des confessions, toute autre réalité, tout autre essai paraît bien littéraire. […] Il est heureusement plus facile de modifier les aspects que d’altérer les réalités profondes. […] On est si petit devant la réalité, si petit bonhomme. J’admire ces grands intellectuels qui du fond de leur moleskine mènent la réalité à coups de bâton. […] Aujourd’hui nous commandons, nous dominons, (puisque nous produisons), la réalité même.
La mort de sa mère (1798), celle d’une sœur, le refont chrétien : il n’a pas besoin de raisons pour croire ; il lui suffit que la religion soit un beau, un doux rêve ; elle participera au privilège que tous les rêves de M. de Chateaubriand possèdent, d’être à ses yeux des réalités. […] La réalité ne se laisse pas pétrir à notre gré ; et il faut une rude main, une âpre volonté, pour lui imposer l’apparence qui nous flatte. […] Il demandait la jouissance au rêve, et non à la réalité. […] Car, du moment qu’il s’agit du catholicisme et non du déisme, la démonstration baroque devient une association d’idées singulièrement efficace, lorsque du domaine de l’abstraction on passe aux réalités concrètes, lorsque l’on considère l’homme vivant, le Français de 1800. […] Car c’est sa maladie qu’il décrit, c’est de sa maladie que vivent Chactas, Eudore et René ; et partout où l’expression ne dépasse pas la réalité des malaises moraux de l’auteur, un charme douloureux s’en dégage.
La simple image n’a généralement pas la même force que la perception ; en vain, les yeux ouverts en plein jour, je voudrais voir la nuit : la réalité s’empare de ma conscience, je ne puis m’empêcher de voir clairement le jour. […] C’est ce qui établit entre l’image mnémonique du plaisir et la réalité du plaisir une différence, et cette différence est appréciable pour la conscience par son caractère même de discontinuité, de contraste : elle enveloppe un sentiment de contrariété, parce que le réel résiste à notre désir et ne s’y adapte plus. […] C’est ce qui fait qu’en général le souvenir des semblables est une harmonie et un plaisir : ma pensée trouve dans la réalité une aide. […] Radestock, dans son livre sur le sommeil, dit qu’il a eu la preuve de cette invasion des rêves au milieu de la réalité. […] Les explications mécanistes, nous les avons étendues aussi loin qu’il est possible, et même partout ; mais nous ne croyons pas pour cela que ce qui se retrouve partout soit le tout : c’est seulement un aspect universel de la réalité.
II L’inter-dépendance des corps sociaux est cependant un phénomène d’une réalité frappante. […] Si l’on ne veut pas fausser le résultat d’une pareille observation, il faut respecter la réalité. […] On peut encore dire dans la même pensée, que le nationalisme qui a pour âme la patrie, et l’inter-nationalisme, qui a pour âme l’humanité, doivent s’identifier, non seulement dans l’esprit de l’individu, mais encore dans la réalité de leur propre vie. […] Contre la réalité de ces multiples liens qui tendent à rapprocher les groupes épars de l’humanité, que peuvent leurs étroites conceptions ?