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54. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre premier »

Ce nom est plus qu’une définition ; il exprime un sentiment. […] Les traducteurs y sont des hommes de génie, parce qu’ils égalent la langue française aux conceptions exprimées dans les langues anciennes. C’est l’ère de la littérature française, parce que c’est l’époque où un grand nombre de vérités générales sont exprimées dans un langage définitif. […] Ils ne pénètrent pas dans la vie humaine au-delà de ce que peut atteindre une vue ordinaire ; les vérités qu’ils expriment sont le plus souvent de celles que l’art néglige, tant elles nous sont familières et présentes. […] De là une quantité d’idées délicates, d’observations fines, exprimées avec grâce, et beaucoup de créations charmantes dans la langue des sentiments du cœur et de la politesse.

55. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre II. De la sensibilité considérée comme source du développement littéraire »

Que de fois est-il arrivé qu’un sentiment généreux, même héroïque, n’a trouvé qu’une locution triviale, une grossière injure pour s’exprimer ! […] L’émotion s’exprime spontanément par le cri inarticulé, la physionomie, le geste, l’action réflexe : pour la traduire en mots, en phrases intelligibles à tous, pour la développer visiblement par le langage, il faut un esprit qui l’analyse ; et plus l’esprit aura d’étendue naturelle, plus il aura acquis de pénétration et de finesse par l’activité habituelle, plus les sentiments se manifesteront avec clarté, avec intensité, avec nuances. […] Des lettres intimes sont parvenues jusqu’à nous, où nous trouvons exprimée, avec la plus déchirante éloquence, la douleur d’un père dont la fille est morte, d’une mère que sa fille a quittée. […] Elle n’est pas plus vraie, plus forte, plus naturelle, pour être exprimée gauchement, puérilement, par des images étranges, par des symboles ridicules, mêlés de niaiseries inattendues et de plats coq-à-l’âne.

56. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — IV »

La raison d’être de l’activité du moi s’exprimerait en une formule de pur intellectualisme : transmuer la sensation en perception, transformer en spectacles des émotions. […] Du point de vue même de cette interprétation purement intellectuelle de l’existence phénoménale, il faut donc faire place à la tendance de l’être humain qui s’exprime en ce vœu : fonder son bonheur sur la sensation. […] Les considérations précédentes nous avertissent qu’à côté de cette utilité de connaissance qui fut tout d’abord désignée comme cause de toute invention de réel, il est nécessaire de faire place à une autre utilité, qui s’exprime dans la recherche du bonheur par la sensation, et qui semble jusqu’ici avoir donné naissance à presque toute spéculation philosophique, ainsi qu’à toute conception religieuse, économique ou politique. […] Cette présomption s’exprime en une suite de vérités et tant que s’exerce avec efficacité l’action prépondérante du pouvoir d’arrêt, l’esprit construit à loisir, au moyen de ces vérités, un système de connaissance dont il ordonne entre elles toutes les parties. […] La morale ainsi promulguée a pour effet de procurer la fin voulue par l’utilité vitale, soit la multiplication de l’espèce, pi c’est du fait de cette utilité vitale que les vérités religieuses ou rationnelles, où cette morale s’exprime, tirent leur consistance et leur crédit.

57. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre I : Qu’est-ce qu’un fait social ? »

Le système de signes dont je me sers pour exprimer ma pensée, le système de monnaies que j’emploie pour payer mes dettes, les instruments de crédit que j’utilise dans mes relations commerciales, les pratiques suivies dans ma profession, etc., etc., fonctionnent indépendamment des usages que j’en fais. […] L’habitude collective n’existe pas seulement à l’état d’immanence dans les actes successifs qu’elle détermine, mais, par un privilège dont nous ne trouvons pas d’exemple dans le règne biologique, elle s’exprime une fois pour toutes dans une formule qui se répète de bouche en bouche, qui se transmet par l’éducation, qui se fixe même par écrit. […] Ce qu’il exprime, c’est un certain état de l’âme collective. […] Un sentiment collectif, qui éclate dans une assemblée, n’exprime pas simplement ce qu’il y avait de commun entre tous les sentiments individuels. […] De plus, de la définition précédente, qui n’est pas une théorie mais un simple résumé des données immédiates de l’observation, il semble bien résulter que l’imitation, non seulement n’exprime pas toujours, mais même n’exprime jamais ce qu’il y a d’essentiel et de caractéristique dans le fait social.

58. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre huitième. »

en ce cas, cela est mal exprimé. […] Vers très-plaisant, qui exprime à merveille le combat entre l’appétit du chien, et la victoire que son éducation le force à remporter sur lui-même. […] J’aurais voulu que La Fontaine exprimât l’idée suivante : Quand on est ignorant, il faut suppléer au défaut d’expérience par une sage réserve et par une défiance attentive. […] La première est le besoin du sage, et la seconde est la manie d’un fou insociable ; c’est ce que La Fontaine exprime si bien dans ces vers charmans : V. 14. […] Cela n’est pas bien exprimé ; mais remarquons qu’il feint d’avoir déjà reçu du rat plusieurs services.

59. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XVII. Morale, Livres de Caractéres. » pp. 353-369

Les autres écrits de Nicole ne valent pas celui-ci ; il offre beaucoup de vérités communes exprimées longuement ; quoiqu’on y sente un philosophe qui connoît le cœur humain ; un philosophe qui est toujours chrétien. […] Les choses communes ou peu importantes qu’on y trouve, sont mêlées de quelques traits neufs & plaisent d’ailleurs par la maniere ingénieuse dont elles sont exprimées. […] En tirant de ces différens ouvrages, ce qui a pu blesser la Religion ou le goût, on auroit un recueil de pensées fortement exprimées, qui donneroient une idée avantageuse du génie de l’auteur. […] Cet ouvrage est parsemé de réfléxions fort bonnes, qui dédommagent d’un grand nombre de moralités triviales, de pensées bassement exprimées. […] Duclos a publié sous le titre de Considérations sur les mœurs de ce siécle ; c’est l’ouvrage d’un honnête homme, qui pense finement & fortement, & qui s’exprime comme il pense.

60. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 11-15754

Alors l’adverbe exprime la sorte de relation, & la préposition indique le corrélatif. […] Qu’il n’y a point d’ablatif qui ne suppose une préposition exprimée ou sousentendue. […] Que les meilleurs Auteurs Latins, tant Poëtes qu’Orateurs, ont souvent exprimé les prépositions que les Maîtres vulgaires ne veulent pas qu’on exprime, même lorsqu’il ne s’agit que de rendre raison de la construction : en voici quelques exemples. […] s’est exprimé de la même maniere, coetera de genere hoc adeo sunt multa. […] Aujourd’hui rien veut dire aucune chose ; on sous-entend la négation, & on l’exprime même ordi

61. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 121-125

M. l’Abbé Lemonnier a fait voir qu’on pouvoir enchérir encore ; Térence a paru, dans notre Langue, avec une aisance & une exactitude qu’il eût employées lui-même pour s’exprimer, s’il eût écrit en François. […] Seroit-ce bien traduire que d’exprimer ainsi cette pensée ? […] Peu de nos Fabulistes ont montré plus de talens pour faire ressortir une morale saine, instructive & touchante, des sujets qui paroîtroient d’abord le moins s’y prêter ; plus d’aisance & de vivacité dans la versification ; plus de naturel & d’aménité dans la maniere d’exprimer leurs pensées.

62. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIIe entretien. Madame de Staël. Suite. »

Je ne veux pas dire par là que Bonaparte ne soit pas vraiment emporté ; ce qui n’est pas calcul en lui est de la haine, et la haine s’exprime d’ordinaire par la colère. […] Des lettres de Paris m’apprirent qu’après mon départ le premier consul s’était exprimé très-vivement contre mes rapports de société avec le général Bernadotte. […] J’écrivis de cette campagne à Joseph Bonaparte une lettre qui exprimait avec vérité toute ma tristesse. […] Nul député, nul écrivain n’exprimera librement sa pensée s’il peut être banni quand sa franchise aura déplu ; nul homme n’osera parler avec sincérité, s’il peut lui en coûter le bonheur de sa famille entière. […] « Vous savez, madame, qu’il ne vous avait été permis de sortir de Coppet que parce que vous aviez exprimé le désir de passer en Amérique.

63. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — III. (Suite et fin.) » pp. 47-63

Il exprima le désir d’entendre de sa bouche le récit détaillé et méthodique des campagnes d’Italie, d’Égypte et de toutes celles de l’Empire, en un mot « d’apprendre sous lui l’art de la guerre ». […] Marmont, ramené lui-même à ces temps de splendeur et d’enivrante espérance, lui en exprimait avec feu l’esprit ; il lui parlait de son père, comme il l’avait vu, comme il l’avait aimé alors ; il ne craignit pas d’entrer dans les détails de nature et de caractère : il lui disait que son père avait été bon, avait été sensible, avant que cette sensibilité se fût émoussée dans les combinaisons de la politique ; il lui disait, comme il l’a dit depuis à d’autres, et avec une larme : « Pour Napoléon, c’était le meilleur et le plus aimable de tous les hommes, le plus séduisant, le plus sûr en amitié ; mais l’homme privé était tellement chez lui l’instrument de l’homme politique, que tout ce que l’on a dit de lui, tout ce que j’ai souffert moi-même de l’homme politique, tout cela se concilie avec le sentiment que j’exprime. » Et il avait deux traits singuliers qu’il aimait à citer comme indice et preuve de cette sensibilité première, et si bien recouverte ensuite, de Napoléon. […] Blanc eut beau se jeter à ses pieds, exprimer son désespoir, son besoin d’embrasser sa femme et ses enfants, le général parut impitoyable et donna ordre de le rembarquer et de le remmener à terre. […] Vivant ou mort, il ne faut pas que, de la part du maréchal, une approbation, une louange exprimée dans l’intimité semble venir solliciter une faveur et une grâce ; ce serait aller contre sa pensée. […] [NdA] Le vœu que nous exprimions s’est accompli.

64. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Préface de la seconde édition »

Sur les points mêmes où nous nous étions exprimé le plus explicitement, on nous prêta gratuitement des vues qui n’avaient rien de commun avec les nôtres, et l’on crut nous réfuter en les réfutant. […] C’est dire que de semblables théories expriment, non les faits qui ne sauraient être épuisés avec cette rapidité, mais la prénotion qu’en avait l’auteur, antérieurement à la recherche. […] Des représentations qui n’expriment ni les mêmes sujets ni les mêmes objets ne sauraient dépendre des mêmes causes. […] Aussi acceptons-nous très volontiers le reproche qu’on a fait à cette définition de ne pas exprimer tous les caractères du fait social et, par suite, de n’être pas la seule possible. […] Cette antithèse est celle que les moralistes ont souvent signalée entre les deux notions du bien et du devoir qui expriment deux aspects différents, mais également réels, de la vie morale.

65. (1893) Du sens religieux de la poésie pp. -104

Mais d’une part — et pour noter tout de suite les plus évidentes différences — tandis que l’industrie, par exemple, ou même la science exprime l’homme dans un but et par des moyens d’utilité immédiate et d’investigations successives, la poésie l’exprime dans un but et par des moyens d’inutilité apparente et de satisfaction absolue. […] Mais il n’y a pas d’écart entre l’auteur et son œuvre si elle est bonne, puisque l’œuvre exprime l’auteur, puisque tout bon artiste ne fait jamais que son propre portrait. […] Tous trois, dans les bornes providentielles de leurs moyens, expriment par la beauté l’âme humaine orientée vers le divin. […] Deux noms, qui s’étonnent peut-être de s’unir, exprimeront vivement ma pensée. […] Un poète a exprimé cette idée dans un poème, qu’il va vous dire en signe d’adieu.

66. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre IV. De la pluralité des temps »

Pour l’objet restreint que nous poursuivons en ce moment, il sera utile de couper l’expérience en deux et de n’en retenir, si l’on peut s’exprimer ainsi, qu’une moitié. […] C’est cette plus ou moins grande distance de leur vitesse à ma vitesse nulle que j’exprime dans ma représentation mathématique des autres systèmes quand je leur compte des Temps plus ou moins lents, d’ailleurs tous plus lents que le mien, de même que c’est la plus ou moins grande distance entre Jacques et moi que j’exprime en réduisant plus ou moins sa taille. […] La première exprime quelque chose du système lui-même ; elle est absolue. […] Non pas qu’Einstein ait dû la commettre ; mais la distinction que vous venons de faire est de telle nature que le langage du physicien est à peine capable de l’exprimer. […] Mais, exprimée perspectivement du point N, elle doit être recourbée en forme de succession.

67. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIe entretien. Sur la poésie »

L’homme, par un instinct occulte, mais fatal, semble avoir senti, dès le commencement des temps, le besoin d’exprimer dans un langage différent ces choses différentes. Placé lui-même pour les sentir et pour les exprimer sur les limites de ces natures humaines et divines qui se touchent et se correspondent en lui, l’homme n’a pas eu longtemps le même langage pour exprimer l’humain et le divin des choses. […] En un mot, la prose a été le langage de la raison, la poésie a été le langage de l’enthousiasme ou de l’homme élevé par l’impression, la passion, la pensée, à sa plus haute puissance de sentir et d’exprimer. […] Donc à une impression transcendante, un mode transcendant d’exprimer cette impression. […] Tout ce qui a sa poésie demande à être exprimé dans une langue supérieure à la langue usuelle, expression des choses ordinaires.

68. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 33, de la poësie du stile dans laquelle les mots sont regardez en tant que les signes de nos idées, que c’est la poësie du stile qui fait la destinée des poëmes » pp. 275-287

La poësie du stile consiste à prêter des sentimens interessans à tout ce qu’on fait parler comme à exprimer par des figures, et à présenter sous des images capables de nous émouvoir, ce qui ne nous toucheroit pas s’il étoit dit simplement en stile prosaïque. Ces premieres idées qui naissent dans l’ame lorsqu’elle reçoit une affection vive et qu’on appelle communement des sentimens, touchent toujours, bien qu’ils soient exprimez dans les termes les plus simples. […] Un sentiment cesseroit même d’être aussi touchant s’il étoit exprimé en termes magnifiques et avec des figures ambitieuses. […] Nous sommes séduits par les images dont le poëte se sert pour l’exprimer ; et la pensée de triviale qu’elle seroit énoncée en stile prosaïque devient dans ses vers un discours éloquent qui nous frappe et que nous retenons.

69. (1885) L’Art romantique

qu’expriment-ils ? […] C’est ce qui est, dans ces images, parfaitement exprimé. […] Par la difficulté de s’exprimer convenablement, elle ressemble à l’amour. […] Non seulement il exprime nettement, il traduit littéralement la lettre nette et claire ; mais il exprime, avec l’obscurité indispensable, ce qui est obscur et confusément révélé. […] Les hommes illustres que je viens de citer expriment parfaitement tout ce qu’exprime chacun des spécialistes, et, de plus, ils possèdent une imagination et une faculté créatrice qui parle vivement à l’esprit de tous les hommes.

70. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre VI : Règles relatives à l’administration de la preuve »

Suivant lui, elles doivent principalement exprimer, non des rapports définis de causalité, mais le sens dans lequel se dirige l’évolution humaine en général ; elles ne peuvent donc être découvertes à l’aide de comparaisons, car pour pouvoir comparer les différentes formes que prend un phénomène social chez différents peuples, il faut l’avoir détaché des séries temporelles auxquelles il appartient. […] S’il consiste en un rapport qui résulte de la nature des choses, un même effet ne peut soutenir ce rapport qu’avec une seule cause, car il ne peut exprimer qu’une seule nature. […] La manière dont un phénomène se développe en exprime la nature ; pour que deux développements se correspondent, il faut qu’il y ait aussi une correspondance dans les natures qu’ils manifestent. […] Car les variations d’un phénomène ne permettent d’en induire la loi que si elles expriment clairement la manière dont il se développe dans des circonstances données. […] Quand, au contraire, il s’agit d’une institution, d’une règle juridique ou morale, d’une coutume organisée, qui est la même et fonctionne de la même manière sur toute l’étendue du pays et qui ne change que dans le temps, on ne peut se renfermer dans l’étude d’un seul peuple ; car, alors, on n’aurait pour matière de la preuve qu’un seul couple de courbes parallèles, à savoir celles qui expriment la marche historique du phénomène considéré et de la cause conjecturée, mais dans cette seule et unique société.

71. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Préface »

Il faut croire qu’à diverses périodes, ces œuvres, et celles qui en ont été inspirées, ont mieux satisfait les penchants d’un nombre notable de lecteurs français que les œuvres véritablement du terroir ; qu’en d’autres termes la littérature nationale n’a jamais suffi, et aujourd’hui moins que jamais, à exprimer les sentiments dominants de notre société, que celle-ci s’est mieux reconnue et complue dans les productions de certains génies étrangers que dans celles des poètes et des conteurs qu’elle a fait naître. […] Considérant ensuite l’œuvre de chacun d’eux comme compréhensible et admirable seulement pour des esprits dont elle exprime les penchants et qui se trouvent être ainsi dans une certaine mesure, les pareils moralement de son auteur, nous saurons à la fois et ce qu’ont de particulier les écrivains que nous sommes allés adopter à l’étranger, et ce que signifient les adhésions qu’ils ont recueillies eux et les artistes qui les imitent en France ou qui leur ressemblent. […] Le grand homme en tout ordre est celui qui, en vertu de lui-même et par suite de son accord avec l’âme des générations contemporaines ou postérieures, sans limites de temps, parvient à gagner à sa personne ou aux manifestations sensibles qui l’expriment, un nombre, proportionnel à sa gloire, de partisans, de croyants, d’admirateurs, qui, reconnaissant en lui leur type exemplaire, amplifient pour ainsi dire et répandent son être en consentant à faire ses volontés, à éprouver ses émotions, à concevoir ses pensées, à ressentir ses croyances.

72. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre III. De l’organisation des états de conscience. La liberté »

. — On s’expose cependant ici à une confusion grave, qui tient à ce que le langage n’est pas fait pour exprimer toutes les nuances des états internes. […] Nous apercevrons alors des termes extérieurs les uns aux autres, et ces termes ne seront plus les faits de conscience eux-mêmes, mais leurs symboles, ou, pour parler avec plus de précision, les mots qui les expriment. […] Car au sein du tout ils n’occupaient point d’espace et ne cherchaient point à s’exprimer par des symboles ; ils se pénétraient, et se fondaient les uns dans les autres. […] Et la manifestation extérieure de cet état interne sera précisément ce qu’on appelle un acte libre, puisque le moi seul en aura été l’auteur, puisqu’elle exprimera le moi tout entier. […] Car l’action accomplie n’exprime plus alors telle idée superficielle, presque extérieure à nous, distincte et facile à exprimer : elle répond à l’ensemble de nos sentiments, de nos pensées et de nos aspirations les plus intimes, à cette conception particulière de la vie qui est l’équivalent de toute notre expérience passée, bref, à notre idée personnelle du bonheur et de l’honneur.

73. (1757) Réflexions sur le goût

Comme il sait que c’est la première loi du style, d’être à l’unisson du sujet, rien ne lui inspire plus de dégoût que des idées communes exprimées avec recherche, et parées du vain coloris de la versification : une prose médiocre et naturelle lui paraît préférable à la poésie qui au mérite de l’harmonie ne joint point celui des choses : c’est parce qu’il est sensible aux beautés d’image, qu’il n’en veut que de neuves et de frappantes ; encore leur préfère-t-il les beautés de sentiment, et surtout celles qui ont l’avantage d’exprimer d’une manière noble et touchante des vérités utiles aux hommes. […] Ce second vers, dira-t-on, est nécessaire pour exprimer tout ce que sent le vieil Horace ; sans doute il doit préférer la mort de son fils au déshonneur de son nom ; mais il doit encore de plus souhaiter que la valeur de ce fils le fasse échapper au péril, et qu’animé par un beau désespoir, il se défende seul contre trois. […] n’est-il pas évidemment inutile au vieil Horace d’exprimer le sentiment que ce vers renferme ? […] La logique froide et lente des esprits tranquilles n’est pas celle des âmes vivement agitées : comme elles dédaignent de s’arrêter sur des sentiments vulgaires, elles sous-entendent plus qu’elles n’expriment, elles s’élancent tout d’un coup aux sentiments extrêmes ; semblables à ce dieu d’Homère, qui fait trois pas et qui arrive au quatrième.

74. (1889) La critique scientifique. Revue philosophique pp. 83-89

qu’exprime tel auteur et comment l’exprime-t-il ?  […] Les âmes qui retrouvent en cette œuvre leur âme, l’admirent, se groupent autour d’elle et se séparent des hommes d’âme diverse… En d’autres termes (remarquons la fin de ce paragraphe), la série des œuvres populaires d’un groupe donné écrit l’histoire intellectuelle de ce groupe, une littérature exprime une nation, non parce que celle-ci l’a produite, mais parce que celle-ci l’a adoptée et admirée, s’y est complue et reconnue. » En ces quelques lignes se trouvent exprimées une doctrine et une méthode, qui ne marchent pas nécessairement ensemble. […] Relisant le livre, évoquant le tableau, faisant résonner à son esprit le développement sonore de la symphonie, l’analyste, considérant ces ensembles comme tels, les restaurant entiers, les reprenant et les subissant, devra en exprimer la perception vivante qui résulte du heurt de ces centres de force contre l’organisme humain charnel, touché, passionné et saisi4. » Et enfin (p. 217), « saisissant ainsi des intelligences telles quelles, les analysant avec une précision et une netteté considérables et les replaçant ensuite par une minutieuse synthèse dans leurs familles, leurs patries, leurs milieux, l’esthopsychologie, un ensemble d’études particulières de cette science, sont appelés à vérifier les plus importantes théories de ce temps sur la dépendance mutuelle des hommes, sur l’hérédité individuelle, sur l’influence de l’entourage physique et social ».

75. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — I. » pp. 342-363

Il lui faut une expression qui fixe positivement ses idées ; et c’est de cette justesse si rare que naît cette façon de s’exprimer simple, mais sage et majestueuse, sensible à peu de gens autant qu’elle le doit être, et que, faute de la connaître, n’estiment point ces sortes de génies qui laissent débaucher leur imagination par celle d’un auteur dont le plus grand mérite serait de l’avoir vive. […] Et quand nous avons entendu ainsi Marivaux s’exprimer avec esprit et calcul, dans un style perlé et distillé, faire des mines charmantes et caresser chaque syllabe en y mettant une intention, n’allez pas lui dire, avec la plupart des critiques d’alors, qu’il n’écrit pas assez simplement, qu’il court après l’esprit, et autres reproches qui, au milieu des éloges, viennent tout d’abord à la pensée. […] « Chacun, disait-il, a sa façon de s’exprimer qui vient de sa façon de sentir. — Ne serait-il pas plaisant que la finesse des pensées de cet auteur fût la cause du vice imaginaire dont on accuse son style ?  […] Or, si l’idée de l’auteur est juste, que trouvez-vous à redire au signe dont il se sert pour exprimer cette idée ? […] Marivaux n’a qu’un tort ou qu’un malheur, c’est qu’en étant en effet lui-même, et en usant à bon droit de sa manière de sentir pour s’exprimer avec une singularité souvent piquante, il dépasse sans s’en douter la mesure, tombe sensiblement dans le raffiné, et devient maniéré, minaudier, façonnier, le plus naturellement du monde.

76. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — II. (Suite.) Janvier 1830-mars 1831. » pp. 105-127

Augustin Thierry, et se former au style net, ferme et sévère ; si je voulais exprimer plus complètement encore la qualité de ce style de Carrel à sa formation et au moment où il va se tourner à la polémique, je dirais : Mettez-y une goutte de la bile de Rabbe. […] Ce caractère restrictif et négatif, à l’article de la poésie moderne, n’est point particulier à Carrel ; il le partageait avec la plupart des hommes de l’école historique et politique ; mais il faut qu’il l’ait ressenti bien vivement pour s’être complu si fort à l’exprimer. […] Il disait plus tard en riant : « Je crois qu’on m’aurait gagné en août 1830 si, au lieu d’une préfecture, on m’avait offert un régiment. » Le mot est joli, et exprime l’homme. […] En énumérant les cinq ou six grands sujets d’inquiétude qui préoccupent le pays (14 septembre), il y compte l’existence de quelques associations « dont les doctrines, encore confusément exprimées, semblent appuyer les réclamations des classes ouvrières, et vouloir étendre à la société une révolution purement politique ». […] Il exprime à plus d’une reprise la voie moyenne où il voudrait voir le gouvernement marcher, et le sens qu’il tirait alors de la révolution de Juillet : « Si quelqu’un y voit une révolution non pas politique, mais sociale, qu’il le dise. » Lui, il ne l’entend pas ainsi, et il témoigne de son aversion pour ce qui est social.

77. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre III : La science — Chapitre II : De la méthode expérimentale en physiologie »

Il s’exprime à ce sujet avec une très-grande précision. […] Claude Bernard, il n’y a pas d’exception, et Cette expression n’exprime que notre ignorance. « On entend tous les jours les médecins employer ces mots, le plus ordinairement, le plus souvent, ou bien s’exprimer numériquement en disant : “Huit fois sur dix, les choses arrivent ainsi.” […] Le mot de liberté n’exprimerait que la partie inconnue des causes de nos actions : à mesure que ces causes seraient connues, la part de la liberté diminuerait d’autant, et, lorsque toutes ces causes seraient déterminées, la liberté disparaîtrait absolument. […] Il n’y a pas de commune mesure entre ces deux choses, et c’est ce qu’on exprime en opposant le fait au droit, la force à la justice.

78. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre I. La poésie »

Il n’avait pas besoin de cela pour mettre de son côté un public dont il exprimait le goût secret. […] La Motte ne peut assez s’étonner « du ridicule des hommes qui ont inventé un art exprès pour se mettre hors d’état d’exprimer exactement ce qu’ils voudraient dire ». […] Les poèmes didactiques sont là pour prouver la supériorité de la philosophie du siècle, lorsqu’elle s’exprime en prose. […] On ne recherche et l’on ne sent que l’exactitude scientifique de la pensée et de l’expression ; on n’a que des idées abstraites à exprimer, et on ne les rend que par des signes abstraits.

79. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre IV Le Bovarysme des collectivités : sa forme imitative »

Or l’idéal commun, qui s’exprime dans la loi, dans la coutume, dans le préjugé, dans les mœurs, se propose à tous avec un même caractère d’uniformité. […] Le mal est ici beaucoup plus facile à constater qu’il ne l’était dans l’intimité d’une psychologie individuelle, car il s’exprime par une division entre les différents individus du groupe, les uns demeurant fidèles à l’imitation de la coutume héréditaire, les autres s’appliquant à imiter le modèle étranger. […] On s’est fait illusion sur la liberté chez les anciens et pour cela seul, la liberté chez les modernes a été mise en péril. »7 D’un point de vue plus général, on pourrait aussi montrer que la Révolution française exprime un Bovarysme idéologique dont le mécanisme caché sera l’objet par la suite d’un complet examen, et qui, en la circonstance, a pour effet de substituer une réalité rationnelle à la réalité historique, de mettre le fait concret sous le gouvernement de l’idée abstraite. […] Cette énergie de l’esprit, qui enfantait une langue, s’exprimait en même temps par une passion de savoir qui, s’exerçait dans tous les sens.

80. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « IV »

Nous disons, par exemple, que l’originalité consiste souvent — et ceci n’est pas contestable — « dans la façon nouvelle d’exprimer des choses déjà dites », et qu’il faut « inventer autre chose ou dire autrement ce qu’on a dit », et nous donnons des exemples d’images rajeunies par des expressions neuves. « M.  […] Quand nous disons : « Modifiez tel mot, changez telle image, mettez de la couleur, exprimez autrement ce qui est banal, remplacez les clichés, donnez du relief, de la vie, etc. », c’est comme si nous disions : « Il y a dans votre style choses qui ne sont pas bonnes parce qu’elles ne sont pas assez senties. S’obliger à revoir, à refaire, à travailler, c’est s’obliger à mieux sentir ce qui a été faiblement senti, Quand je veux changer une idée ou un mot banal ; quand je veux l’exprimer autrement on l’exprimer mieux, qu’est-ce donc que je fais ?

81. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VI »

ce n’est pas le bruit qu’un rhythme ou une mélodie ou un timbre devait exprimer ; était-ce, au lieu du bruit, la chose bruissante ? […] Ainsi, de son origine, la musique exprima les émotions issues des choses par la représentation des bruits naturels ; combien donc rapidement le conventionnel dut, par la force de l’association des idées, étendre les moyens de la musique ! […] Dès lors n’est-il pas nécessaire que ce littérateur exprime littérairement des sensations que d’autres auraient eues picturales ou musicales et qu’il aura littéraires. […] Hélas, hélas, que les voilà — mais exprimées, exprimées en un art et véritablement devenues elles — que les voilà mes fuyeuses émotions, et que les voilà les joies et les douleurs que j’entrevis au toucher d’une départie, et que vous chantez, oh musiques magiques du mage musicien ! […] Chamberlain, le centre de l’action psychologique a disparu… avec lui disparaît l’élément réfléchissant, la Pensée ; il ne reste que les émotions, la Passion, ce que la musique exprime.

82. (1868) Curiosités esthétiques « II. Salon de 1846 » pp. 77-198

Il n’exprime point la force par la grosseur des muscles, mais par la tension des nerfs. C’est non-seulement la douleur qu’il sait le mieux exprimer, mais surtout, — prodigieux mystère de sa peinture, — la douleur morale ! […] Curzon, qui fait souvent de beaux paysages d’une généreuse couleur, pourrait exprimer Hoffmann d’une manière moins érudite, — moins convenue. […] Aligny a fait à l’eau-forte de très-belles vues de Corinthe et d’Athènes ; elles expriment parfaitement bien l’idée préconçue de ces choses. […] Il sait fort bien exprimer les ciels clairs et souriants et les brumes flottantes, traversées par un rayon de soleil.

83. (1902) La métaphysique positiviste. Revue des Deux Mondes

Quelques années encore et l’universalité, la nécessité des rapports qu’elle exprime, leur interdépendance, apparaissaient comme les caractères de la vérité scientifique et la différenciaient de la vérité historique. […] Les rapports seuls sont certains : toute science, quand on l’approfondit, n’est en somme qu’un système de « rapports », et ces « rapports », en un certain sens, ne sont eux-mêmes que des « signes. » Mais ce qu’expriment ces « signes », nous ne le savons pas plus que nous ne savons ce qu’expriment les caractères d’une langue inconnue. Ils n’ont eux-mêmes d’autre « relation » avec ce qu’ils expriment, et avec nous, que de le représenter dans sa « relation » avec la nature de l’esprit humain. […] Car ne sont-ce pas aussi des « rapports » qu’expriment la musique, par exemple, ou la peinture ? […] Il en est autrement des rapports que nous appelons « constans » et « nécessaires. » Ils signifient ou ils expriment quelque chose d’autre et de plus qu’eux-mêmes : un kangourou n’est pas un chimpanzé ; le mercure n’est pas du phosphore ; et Vénus n’est pas Jupiter.

84. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « José-Maria de Heredia.. »

On dirait que le romantisme se replie sur soi et qu’après s’être épandu il se resserre pour exprimer en des œuvres plus travaillées et plus précises ses sentiments essentiels, affinés et développés par le temps. […] Les rêveries de Lamartine ou la passion de Musset, beaucoup de gens en sont capables, et Musset et Lamartine ne sont poètes que pour les avoir exprimées de la façon que l’on sait. […] C’est donc par un excès de loyauté et de délicatesse artistique que les Parnassiens se déclaraient impassibles, ne voulaient exprimer que la beauté des contours et des couleurs ou les rêves et les sentiments des hommes disparus. […] José-Maria de Heredia exprimait de préférence, c’était je ne sais quelle joie héroïque de vivre par l’imagination à travers la nature et l’histoire magnifiées et glorifiées. […] Elle exprime d’abord l’exaltation d’une âme tendue à jouir superbement de toute la beauté éparse dans le monde et dans l’histoire et de toutes les œuvres où l’humanité a le plus joyeusement épanché son génie.

85. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Anatole France, le Lys rouge »

C’est ce qu’exprime avec force le poète Choulette, donnant en peu de mots la morale de cette histoire. « Les fautes de l’amour seront pardonnées, dit-il. […] Thérèse exprime continuellement des pensées délicates, ingénieuses et profondes, puisque ce sont les pensées mêmes de M.  […] N’alléguez point que les personnages de Racine, par exemple, expriment en discours harmonieux et fins des passions sauvages d’êtres primitifs. […] C’est devant une fresque de Fra Angelico, où de pâles figures, de peu de matière, expriment l’amour divin, que Jacques et Thérèse se donnent leur premier et brûlant et pesant baiser…    L’image des choses mortes excite leur lugubre ardeur de vivre. […] C’est Choulette qui est chargé d’exprimer les opinions particulièrement subversives de l’auteur, ses négations et ses révoltes les plus hardies.

86. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre I : Une doctrine littéraire »

Toute œuvre littéraire vraiment belle doit avoir pour fond « certaines vérités générales exprimées dans un langage parfait ». […] Il ne faut point oublier que la littérature est un art, que ce qui distingue l’art de la science, ce n’est pas seulement la nature des vérités qu’il exprime, c’est encore la manière dont il les exprime, que son principal objet est de rendre le vrai ou l’intelligible par des formes sensibles, en un mot de parler au cœur, aux sens, à l’imagination en même temps qu’à l’esprit. […] C’est cette partie universelle et profonde que l’on peut saisir et comprendre dans tous les pays, quoique exprimée sous une forme particulière et par cela même plus vivante ; c’est la peinture des lassitudes de la science et des ardeurs du désir chez l’homme rassasié de doute, c’est Faust ; c’est la peinture de la tentation ironique et de l’égoïsme infernal du cœur humain, c’est Méphistophélès ; c’est enfin la peinture de l’innocence sacrifiée et vaincue, et de la douleur sans bornes d’un cœur trompé, c’est Marguerite. […] L’homme de génie, dites-vous, n’est que l’écho de la foule ; mais cette foule elle-même, je le demande, où a-t-elle pris cette somme générale de vérité et de raison que l’écrivain supérieur viendrait à son tour exprimer ?

87. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 13, de la saltation ou de l’art du geste, appellé par quelques auteurs la musique hypocritique » pp. 211-233

Ainsi l’homme qui veut exprimer distinctement sans parler, une autre chose qu’une affection, est obligé d’avoir recours à ces démonstrations et à ces gestes artificiels, qui ne tirent pas leur signification de la nature, mais bien de l’institution des hommes. […] Quoiqu’on joignit sur le théatre la parole avec le geste dans les representations ordinaires, l’art du geste étoit néanmoins enseigné dans les écoles comme un art qui montroit à s’exprimer, même sans parler. Ainsi l’on peut croire que les professeurs qui l’enseignoient, suggeroient non-seulement tous les moïens imaginables de se faire entendre à l’aide du geste naturel, mais qu’ils montroient encore comment on pouvoit dire sa pensée en se servant des gestes d’institution pour l’exprimer. […] Mais il y a une autre espece de gestes qui ne signifient que parce qu’ils décrivent la chose qu’on veut exprimer par leur moïen. […] L’orateur doit assortir son geste avec le sentiment qu’il exprime, et non pas avec la signification particuliere du mot qu’il prononce.

88. (1831) Discours aux artistes. De la poésie de notre époque pp. 60-88

Ou l’homme exprimera directement, mais très imparfaitement, par le langage abstrait, le résultat de sa vie intérieure ; Ou il ira puiser dans le monde extérieur, à la source commune des impressions, dans l’océan de vie où tous nous sommes plongés, des images capables de donner par elles-mêmes les sensations, les sentiments, et jusqu’aux jugements qu’il veut exprimer. […] Car de ces vibrations harmoniques des diverses régions de l’âme il résulte un accord, et cet accord c’est la vie ; et quand cet accord est exprimé, c’est l’art ; or, cet accord exprimé, c’est le symbole ; et la forme de son expression, c’est le rythmeb, qui participe lui-même du symbole : voilà pourquoi l’art est l’expression de la vie, le retentissement de la vie, et la vie elle-même. […] Je dirai donc à l’artiste : Vous êtes libre ; exprimez la vie qui est en vous ; réalisez-la poétiquement. […] Pour tous, c’est bien plutôt la matière de l’art que l’art lui-même ; ce n’est pas leur vie franchement dévote qui s’exprime, c’est leur vie douteuse, incrédule, affligée, qui cherche confort, et qui trouve cet aliment. […] Puisque tout est doute aujourd’hui dans l’âme de l’homme, les poètes qui expriment ce doute sont les vrais représentants de leur époque ; et ceux qui font de l’art uniquement pour faire de l’art sont comme des étrangers qui, venus on ne sait d’où, feraient entendre des instruments bizarres au milieu d’un peuple étonné, ou qui chanteraient dans une langue inconnue à des funérailles.

89. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 16, des pantomimes ou des acteurs qui joüoient sans parler » pp. 265-295

En second lieu, Macrobe nous donne l’idée de la maniere dont les pantomimes s’y prenoient lorsqu’ils avoient quelqu’un de ces mots à exprimer. […] Hilas pour les exprimer, fit tous les gestes d’un homme qui veut mesurer un autre homme plus grand que lui. […] Le peuple fut donc obéi, et lorsque Pylade executa l’endroit où il avoit repris si hautement son éleve, il représenta par son geste et par son attitude la contenance d’un homme plongé dans une profonde méditation, pour exprimer le caractere propre au grand homme. […] Pylade avoit composé son recueil, de gestes tirez, pour m’exprimer ainsi, des trois recueils de gestes dont nous avons déja parlé, et qui servoient pour la tragédie, pour la comédie et pour ce poëme dramatique que les anciens appelloient satyres. […] Le pantomime au contraire étoit entierement le maître de son action, et son unique soin étoit de rendre intelligiblement ce qu’il vouloit exprimer.

90. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DISCOURS DE RÉCEPTION A L’ACADÉMIE FRANÇAISE, Prononcé le 27 février 1845, en venant prendre séance à la place de M. Casimir Delavigne. » pp. 169-192

Il exprime ses pensées, ses émotions, qui sont volontiers les leurs, du mieux qu’elles-mêmes le pourraient désirer, et avec les couleurs qu’il leur plairait le plus de choisir. […] Que du milieu de la moisson si riche de ses premiers triomphes, de cette ferveur généreuse des Vêpres Siciliennes, de cette exquise versification des Comédiens, il me soit permis de choisir, et d’exprimer ma prédilection toute particulière pour des portions du Paria : le jeune auteur y trouvait dans l’expression de l’amour des accents passionnés et vrais ; dans ses chœurs, surtout quand il exhale les tristesses et les langueurs de sa Néala, il arrivait au charme et nous rendait mieux qu’un écho de la mélodie d’Esther. […] Et ici, Messieurs, sans embarras, sans discussion, et sachant devant qui j’ai l’honneur de m’exprimer, je rendrai toute ma pensée, ce qui est un hommage encore à l’illustre mort, au sincère et pur écrivain que nous célébrons. […] Il y a une autre façon qui se conçoit, surtout dans le drame, mais je ne crains pas d’ajouter en toute poésie : serrer davantage à chaque instant la pensée et le sentiment, l’exprimer plus à nu, sans violer sans doute l’harmonie ni encore moins la langue, mais en y trouvant des ressources mâles, franches, brusques parfois, grandioses et sublimes si l’on peut, ou même simplement naïves et pénétrantes. […] La comédie de Casimir Delavigne exprime à merveille quelques-unes de ces épreuves, de ces alternatives, qu’il dut méditer souvent : sachons-lui gré d’avoir conçu, d’avoir fait applaudir, en cette œuvre presque dernière, le sacrifice de ce qui pouvait sembler son idole.

91. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre IV. Des figures : métaphores, métonymies, périphrases »

D’abord ils sont capables d’exprimer d’autres objets que ceux auxquels ils correspondent par définition. […] Quand nous parlons d’exprimer une pensée, nous ne pensons point nous comparer au sculpteur qui tire une figure d’un bloc de marbre. […] Souvent la métaphore se continue en plusieurs mots, dont l’un exprime la comparaison des deux objets, et les autres ce que l’on compare en eux. […] Au lieu de remplacer le mot propre par un autre mot qu’on détourne de son sens habituel, on peut lui donner pour équivalent un groupe de mots dont l’ensemble éveille l’idée que le mot propre exprime. […] Quand Racine fait dire à Joad : Celui qui met un frein à la fureur des flots, Sait aussi des méchants arrêter les complots, la périphrase contient la preuve de l’idée exprimée ensuite.

92. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome I pp. 1-402

La poésie la plus claire doit toujours laisser dans l’ombre et voiler de mystère quelques-uns des sentiments qu’elle exprime. […] Or ce mot ne veut rien dire ou exprime une idée absurde. […] Telle idée qui, mise à sa place, éloquemment exprimée une première fois, nous frappe d’étonnement, nous charme, nous entraîne, ramenée sans raison, exprimée une seconde fois, dans une langue moins vive, moins colorée, semble s’étioler et passe à l’état de lieu commun. […] Le sentiment de l’amour, purement exprimé dans les Méditations, n’est pas supérieur au sentiment religieux exprimé dans les Harmonies. […] Hugo a dit tout ce qu’il voulait dire, mais qu’avant de parler, il n’avait pas nettement circonscrit ce que sa bouche allait exprimer.

93. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre sixième. »

Il convenait, ce me semble, que La Fontaine exprimât cette différence et donnât deux moralités diverses. […] Enfin la moralité de la fable exprimée en un seul vers : Plus fait douceur que violence. […] Furent vains… La coupe de ce vers et ce monosyllabe au troisième pied, expriment à merveille l’inutilité de l’effort que fait le lièvre. […] Aucun poète français ne connaissait, avant La Fontaine, cet art plaisant d’employer des expressions nobles et prises de la haute poésie, pour exprimer des choses vulgaires ou même basses.

94. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre II. L’âme et le corps »

L’âme humaine devenait ainsi incapable de créer ; il fallait, si elle existait, que ses états successifs se bornassent à traduire en langage de pensée et de sentiment les mêmes choses que son corps exprimait en étendue et en mouvement. […] Quand nous pensons, il est rare que nous ne nous parlions pas à nous-mêmes : nous esquissons ou préparons, si nous ne les accomplissons pas effectivement, les mouvements d’articulation par lesquels s’exprimerait notre pensée ; et quelque chose s’en doit déjà dessiner dans le cerveau. […] Essayez, par exemple, en mettant bout à bout les idées de chaleur, de production, de balle, et en intercalant les idées d’intériorité et de réflexion impliquées dans les mots « dans » et « soi », de reconstituer la pensée que je viens d’exprimer par cette phrase ; « la chaleur se produit dans la balle ». […] Si vous me demandiez de l’exprimer dans une formule simple, nécessairement grossière, je dirais que le cerveau est un organe de pantomime, et de pantomime seulement. […] C’est tout simplement que les verbes expriment des actions, et qu’une action peut être mimée.

95. (1853) Portraits littéraires. Tome I (3e éd.) pp. 1-363

Toutefois on aurait tort d’attribuer cette indifférence à la nature même des sentiments exprimés par M. Hugo, car chacun de ces sentiments, exprimé avec sincérité, ne manquerait pas d’émouvoir. […] L’opinion que nous exprimons ici sur les œuvres lyriques de M.  […] Madame de Vaubert exprime très bien le type de la ruse et de la sécheresse. […] Il y a dans cette tragédie un sentiment habilement exprimé, pour lequel M. 

96. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre II. De la multiplicité des états de conscience. L’idée de durée »

Mais à ce moment aussi le nombre a cessé d’être imaginé et même d’être pensé ; nous n’avons conservé de lui que le signe, nécessaire au calcul, par lequel on est convenu de l’exprimer. […] On eût prévu ce résultat en remarquant que la mécanique opère nécessairement sur des équations, et qu’une équation algébrique exprime toujours un fait accompli. […] Nous tendons instinctivement à solidifier nos impressions, pour les exprimer par le langage. De là vient que nous confondons le sentiment même, qui est dans un perpétuel devenir, avec son objet extérieur permanent, et surtout avec le mot qui exprime cet objet. […] Ainsi se forme un second moi qui recouvre le premier, un moi dont l’existence a des moments distincts, dont les états se détachent les uns des autres et s’expriment, sans peine par des mots.

97. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre II. La parole intérieure comparée à la parole interieure »

Mais, sauf des cas exceptionnels, nous ne l’exprimons pas, même en parole intérieure, tant il est spontané, rapide et facile ; il ne nous prend aucun temps ; il ne nous coûte aucune peine. […] La reconnaissance, en effet, est un jugement, et un jugement analogue à la perception externe ; c’est un jugement tout spontané, qui ne nous prend aucun temps et ne nous demande aucun effort pour être porté, et que la parole intérieure, d’ordinaire, néglige d’exprimer. […] Sans doute, tout mot a son histoire en nous ; son acquisition est un événement de notre passé ; mais ce n’est pas là ce qui nous intéresse on lui ; ce qui nous importe, c’est de connaître sa signification et son emploi, c’est de savoir en user à propos pour exprimer telle ou telle partie d’une idée complexe. Le mot, une fois usuel, n’existe plus pour lui-même, mais pour les phrases dans lesquelles il entre et pour la portion d’idée qu’il sert à exprimer. […] La métaphore consiste donc à appliquer par analogie à l’antithèse du moi et du non-moi des mots qui expriment fort bien celle de mon corps et du reste du monde, mais qui exprimeraient fort mal celle de la matière étendue et de l’âme inétendue, et l’on ne saurait nous reprocher de distinguer l’extériorité de l’étendue ou de la spatialité, puisque jamais, en définitive, le mot externe n’a été synonyme d’étendu ou de spatial.

98. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, le 8 décembre 1885. »

Le commencement du quintette exprime la reconnaissance d’Eva envers Sachs, et plus tard on le retrouve quand Walther, débordant de la même joie qu’Eva, refuse la chaîne d’or des maîtres. […] Motif 30 (p. 136). — Il exprime la mélancolie de Sachs encore sous l’impression de la vigueur poétique de Walther, et le pressentiment de la pénible déception qui l’attend dès qu’il causera avec Eva. […] Remarquons le motif mi-si-ré qui termine la première phrase : il semble que même dans Beckmesser l’amour, ou ce qui veut paraître tel, doive s’exprimer par ces notes jeunes et ardentes. […] Motif 66 (p. 30, 31, 123, 265, 269, 270, 301, 345, 379). — Se trouve dans le chant de Walther, mais exprime en général l’idée d’obtenir Eva par le concours, par la pureté et le mérite de son chant. […] Il exprime le tumultueux amour et la douce fièvre du chevalier.

99. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Victor Hugo, Toute la Lyre. »

Victor Hugo définit ainsi l’éloquence de Danton ; mais il me paraît que ces images expriment encore mieux la poésie de Victor Hugo. […] Et surtout il me semble toujours que, ce qu’ils expriment, je pourrais l’éprouver, que c’est mon âme à moi, qui parle dans leurs vers, et qu’elle chante, par eux, ce qu’elle n’aurait su dire toute seule. […] Chaque théorie a déjà été exprimée avec plus de puissance et de développement… Ce qu’on nous donne aujourd’hui, c’est de la parodie de Hugo, non par Sorel, mais par Hugo. […] Il s’agit, à un endroit du poème intitulé l’Echafaud, d’exprimer cette idée (vraie ou fausse, il n’importe ici) que Marat a été à la fois bon et mauvais, féroce et bienfaisant. […] Car, pour exprimer le néant et sa tristesse, il moissonne à brassées les figures et les formes de la vie.

100. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VIII. La question de gout ce qui reste en dehors de la science » pp. 84-103

Je connais des odes et des discours où un recours à l’infaillible postérité fait bon effet, surtout quand il est exprimé en vers sonores ou en périodes ronflantes. […] Telle œuvre est supérieure, parce qu’elle exprime et éveille beaucoup de sentiments tempérés (Gil Blas)  ; telle autre, parce qu’elle peint une passion déchaînée dans toute sa violence (Manon Lescaut, le Père Goriot)  ; celle-ci, parce qu’elle suscite des émotions nobles, comme la pitié pour les faibles, l’amour de la justice, la sympathie pour la vie universelle (les Misérables)  ; celle-là, parce qu’elle va toucher au fond du cœur des fibres secrètes, rarement ou jamais atteintes jusque-là, parce qu’elle donne, comme on l’a dit, un nouveau frisson (les Fleurs du mal). […] D’abord une œuvre qui sait puissamment éveiller ou exprimer des sensations par des mots peut valoir beaucoup mieux qu’une œuvre qui exprime ou éveille médiocrement des idées. […] L’harmonie entre le dedans et le dehors, entre les choses à exprimer et la façon de les exprimer, entre la conception et l’exécution, cette harmonie qui est seule capable de produire ce que Taine a appelé « la convergence des effets », telle est, à mon avis, la qualité essentielle qui fait d’une œuvre littéraire un tout organique et vivant et qui en constitue la supériorité plastique. […] Une œuvre littéraire est donc essentiellement expressive de la vie et elle est plus ou moins belle, selon qu’elle exprime, par des moyens plus ou moins appropriés à ses fins générales ou particulières, une vie plus ou moins intense, complexe, originale et élevée.

101. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre II : La littérature du xviie  siècle »

A ce point de vue, qui n’est guère celui de la critique classique d’autrefois, les grands écrivains de la France perdent en quelque sorte leur individualité ; ils ne sont que les moments différents de l’évolution de l’idée : ils en expriment les diverses étapes. Rabelais, Calvin, Montaigne, Malherbe, Corneille, Descartes, Pascal, Racine et Boileau, Molière et La Fontaine, Bossuet et Fénelon, Voltaire et Montesquieu, sont l’un après l’autre les divers oracles par lesquels s’exprime ce dieu caché, ce dieu interne qui est l’esprit humain, sous la forme de l’esprit français. […] Il met en action les vérités les plus générales du cœur humain exprimées par les plus grands cœurs et par les âmes les plus passionnées. […] A eux deux, ils expriment dans sa perfection et ils épuisent le système dramatique que nous avons analysé. […] Tels sont mes doutes à l’égard de Bossuet, et, si je les exprime, ce n’est point pour diminuer cette grande figure, mais par impartialité, et pour lui appliquer la même méthode de stricte justice que M. 

102. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre VII. Le cerveau et la pensée : une illusion philosophique »

Celui-ci n’exprimerait de celui-là que les actions qui s’y trouvent préformées ; il en dessinerait les articulations motrices. […] Dire que l’image du monde environnant sort de cette image, ou qu’elle s’exprime par cette image, ou qu’elle surgit dès que cette image est posée, ou qu’on se la donne en se donnant cette image, serait se contredire soi-même, puisque ces deux images, le monde extérieur et le mouvement intracérébral, ont été supposées de même nature, et que la seconde image est, par hypothèse, une infime partie du champ de la représentation alors que la première remplit le champ de la représentation tout entier. […] Le corps ne se sent plus soulevé par l’objet aperçu, et comme c’est dans cette suggestion d’activité que consiste le sentiment de l’actualité, l’objet représenté n’apparaît plus comme actuel : c’est ce qu’on exprime en disant qu’il n’est plus présent. […] La thèse du parallélisme, qui consiste à détacher les états cérébraux et à supposer qu’ils pourraient créer, occasionner, ou tout au moins exprimer, à eux seuls, la représentation des objets, ne saurait donc encore une fois s’énoncer sans se détruire elle-même. […] On peut l’exprimer à la moderne, la traduire dans le langage de la science actuelle, y rattacher un nombre toujours croissant de faits observés (où l’on a été conduit par elle) et lui attribuer alors des origines expérimentales : la partie effectivement mesurable du réel n’en reste pas moins limitée, et la loi, envisagée comme absolue, conserve le caractère d’une hypothèse métaphysique, qu’elle avait déjà au temps de Descartes.

103. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VII. Du style des écrivains et de celui des magistrats » pp. 543-562

Les idées en elles-mêmes sont indépendantes de l’effet qu’elles produisent ; mais le style ayant précisément pour but de faire adopter aux hommes les idées qu’il exprime, si l’auteur n’y réussit pas, c’est que sa pénétration n’a pas encore su découvrir la route qui conduit à ces secrets de l’âme, à ces principes du jugement dont il faut se rendre maître pour ramener à son opinion celle des autres. […] Ce style de l’âme, si je puis m’exprimer ainsi, est un des premiers moyens de l’autorité dans un gouvernement libre. […] Ce retour vers la Providence ne nous indique-t-il pas qu’aucun ridicule n’est jeté dans ce pays éclairé, ni sur les idées religieuses, ni sur les regrets exprimés avec l’attendrissement du cœur. […] Le laconisme des Spartiates, les mots énergiques de Phocion, réunissaient autant, et souvent mieux que les discours les plus soutenus, les attributs nécessaires à la puissance du langage ; cette manière de s’exprimer agissait sur l’imagination du peuple, caractérisait les motifs des actions du gouvernement, et faisait connaître avec force les sentiments des magistrats. […] Un mot admis pour la première fois dans le style soutenu, s’il est bon, de nouveau qu’il était, devient bientôt familier à tous les écrivains ; ils se le rappellent naturellement comme inséparable de l’image ou de la pensée qu’il exprime.

104. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Conclusion »

Il ne paraît pas avoir remarqué que la durée réelle se compose de moments intérieurs les uns aux autres, et que lorsqu’elle revêt la forme d’un tout homogène, c’est qu’elle s’exprime en espace. […] En présence de cet espace homogène nous avons placé le moi tel qu’une conscience attentive l’aperçoit, un moi vivant, dont les états à la fois indistincts et instables ne sauraient se dissocier sans changer de nature, ni se fixer ou s’exprimer sans tomber dans le domaine commun. La tentation ne devait-elle pas être grande, pour ce moi qui distingue si nettement les objets extérieurs et les représente si facilement par des symboles, d’introduire au sein de sa propre existence la même discrimination, et de substituer, à la pénétration intime de ses états psychiques, à leur multiplicité toute qualitative, une pluralité numérique de termes qui se distinguent, se juxtaposent, et s’expriment par des mots ? […] Nous verrions que si ces états passés ne peuvent s’exprimer adéquatement par des paroles ni se reconstituer artificiellement par une juxtaposition d’états plus simples, c’est parce qu’ils représentent, dans leur unité dynamique et dans leur multiplicité, toute qualitative, des phases de notre durée réelle et concrète, de la durée hétérogène, de la durée vivante. Nous verrions que, si notre action nous a paru libre, c’est parce que le rapport de cette action à l’état d’où elle sortait ne saurait s’exprimer par une loi, cet état psychique étant unique en son genre, et ne devant plus se reproduire jamais.

105. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Addition au second livre. Explication historique de la Mythologie » pp. 389-392

Les dents du serpent que Cadmus enfonce dans la terre expriment poétiquement les instruments de bois durci dont on se servit pour le labourage avant l’usage du fer (comme dente tenaci pour une ancre, dans Virgile). […] Les premiers essais de l’agriculture furent exprimés symboliquement par trois nouveaux dieux, savoir : Vulcain, le feu qui avait fécondé la terre ; Saturne, ainsi nommé de sata, semences [ce qui explique pourquoi l’âge de Saturne du Latium, répond à l’âge d’or des Grecs] ; en troisième lieu Cybèle, ou la terre cultivée. […] La révolution qui termine cette lutte est aussi exprimée par le symbole de Minerve.

106. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion dynamique »

Elle s’est exprimée dans une langue dont beaucoup de nuances échappent à ceux-là mêmes qui la connaissent le mieux. […] et comment surtout exprimer l’inexprimable ? […] En tout cas le philosophe devra penser à elle quand il pressera de plus en plus l’intuition mystique pour l’exprimer en termes d’intelligence. […] Ces éléments, dont chacun est unique en son genre, comment les amener à coïncider avec des mots qui expriment déjà des choses ? […] Telle musique sublime exprime l’amour.

107. (1853) Portraits littéraires. Tome II (3e éd.) pp. 59-300

Les plaintes exprimées directement par Byron, les apostrophes adressées par M.  […] Cette vérité que nous exprimons sous la forme dogmatique, M.  […] La tendresse de Maurice s’exprime avec effusion, mais souvent d’une façon vulgaire. […] Elles causent lourdement, s’expriment en termes vulgaires et ne mettent dans leurs propos ni vivacité, ni jeunesse. […] Ne sera-t-il pas forcé de reconnaître dans les paroles qu’il entendra les pensées qu’autrefois il exprimait lui-même ?

108. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Victor Hugo » pp. 106-155

De haut en bas, du sublime au fantasque, dans tous les sujets et à travers toutes les émotions, il est celui qui ne peut exprimer une seule pensée en une seule phrase. […] De même le poète s’exprime, en effet, par des mots justes, puis par des mots détournés, puis par des images. […] Que ces sentiments, cette façon de penser, d’être ému et d’exprimer, est portée chez M.  […] De même les termes plus abstraits : mystère, trouble, l’éternité, l’au-delà, expriment des entités sur lesquelles nous ne savons rien. […] Hugo est d’accord avec toutes les intelligences moyennes, qu’il éblouit, en outre, par l’admirable, neuve, et persuasive façon dont il exprime leur pensée.

109. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre X. Seconde partie. Émancipation de la pensée » pp. 300-314

Notre esprit se tendait involontairement à considérer la pensée, abstraction faite de l’expression ; et il en venait à s’exercer même sur la langue maternelle comme si c’eût été une langue étrangère, c’est-à-dire qu’il venait à traduire sa pensée au lieu de l’exprimer. […] Les termes qui expriment les notions primitives, les faits et les rapports primitifs, ont proprement occasionné et amené les recherches métaphysiques. […] Ancillon professent tous les deux la même doctrine, sous le rapport qu’ils voient l’un et l’autre la métaphysique tout entière déposée dans les langues ; sous le rapport qu’ils pensent l’un et l’autre que les termes qui expriment les notions primitives, les faits et les rapports primitifs, ont proprement occasionné et amené les recherches métaphysiques ; sous le rapport enfin que les philosophes qui sont partis de ces termes, c’est-à-dire les partisans de la philosophie expérimentale, comme M. de Bonald et M.  […] En effet, à force d’admettre, dans tous les moyens qui ont été donnés à l’homme pour exprimer ou communiquer ses sentiments et ses pensées, à force, disons-nous, d’y admettre des choses de convention, nous avons délayé et perdu les types primitifs.

110. (1911) La valeur de la science « Troisième partie : La valeur objective de la science — Chapitre X. La Science est-elle artificielle ? »

Aussitôt qu’intervient le langage, je ne dispose plus que d’un nombre fini de termes pour exprimer les nuances en nombre infini que mes impressions pourraient revêtir. […] Des expériences antérieures très nombreuses ne m’ont jamais montré cette loi en défaut et alors je me suis rendu compte que je pourrais exprimer par le même énoncé deux faits aussi invariablement liés l’un à l’autre. […] Croit-on que le langage ordinaire, à l’aide duquel on exprime les faits de la vie quotidienne, soit exempt d’ambiguïté ? […] Si au contraire il a eu soin de me prévenir, je n’ai pas à me plaindre, mais alors c’est toujours le même fait exprimé dans un autre langage. […] La relation entre A et B était une loi brute, et elle s’est décomposée ; nous avons maintenant deux lois qui expriment les relations de A et A′ ; de B et B′ et un principe qui exprime celle de A′ avec B′.

111. (1888) La critique scientifique « La critique et l’histoire »

Ces considérations nous amènent à donner de l’œuvre d’art une définition dernière qui modifie en partie ce que nous avons dit au début de cet ouvrage : l’œuvre d’art est en résumé un ensemble de moyens et d’effets esthétiques tendant à susciter des émotions qui ont pour signes spéciaux de n’être pas immédiatement suivies d’acte, d’être formées d’un maximum d’excitation et d’un minimum de peine et de plaisir, c’est-à-dire, en somme, d’être fin en soi et désintéressées ; l’œuvre d’art est un ensemble de signes révélant la constitution psychologique de son auteur ; l’œuvre d’art est un ensemble de signes révélant l’âme de ses admirateurs qu’elle exprime, qu’elle assimile à son auteur et dont, dans une faible mesure, elle modifie les penchants, à cause soit de sa nature, soit de son espèce. […] Aucun artiste ne peut ne pas se mettre dans son œuvre ; aucun n’a songé et n’aurait pu parvenir à falsifier cet aspect de sa nature intime qui gît au fond de toute œuvre ; tant qu’ils s’appliqueront à la tâche ardemment poursuivie d’exprimer quelque face nouvelle et poignante du beau, de frapper l’âme humaine en quelque place vierge d’émotion, ils seront empêchés, s’ils veulent atteindre le but, de dissimuler la grandeur, la beauté et l’aspect de leur propre âme, dont la communication même, impudique ou discrète, est la condition de la pénétration de leur œuvre dans l’âme d’autrui. Que l’on considère en outre que de plus en plus, à mesure que la civilisation s’affine à mesure que les hommes deviennent plus paisibles et plus vertueux, les actes absorbent une moindre partie de l’énergie, et ont derrière la nature brute de la volonté qu’ils expriment, un arrière-fonds plus ténébreux de pensées et d’émotions qu’ils sont impuissants à signifier. […] Une analyse esthosychologique se compose de trois parties essentielles : d’une analyse des composants d’une « ouvre, de ce qu’elle exprime et de la façon dont elle exprime ; d’une hypothèse psycho-physiologique construisant au moyen des éléments précédemment dégagés, l’image, la représentation de l’esprit dont ils sont le signe, et établissant, si possible les faits physiologiques en corrélation avec ces faits psychologiques. […] La première, en décomposant les œuvres d’art en leurs éléments, et en étudiant le jeu des bons moyens d’expression et des émotions exprimées, fournira à l’esthétique un grand nombre de faits et permettra de fonder les généralisations futures de cette science sur de larges assises d’observations.

112. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 35, de la mécanique de la poësie qui ne regarde les mots que comme de simples sons. Avantages des poetes qui ont composé en latin sur ceux qui composent en françois » pp. 296-339

Les sons artificiels sont les mots articulez dont les hommes qui parlent une même langue sont convenus de se servir pour exprimer certaines choses. […] Lorsque les hommes ont formé ces sons artificiels, toutes les fois qu’ils ont fait une nouvelle langue, ils ont dû, suivant l’instinct de la nature, faire ce que font encore aujourdhui les hommes qui ne sçauroient trouver le mot dont ils ont besoin pour exprimer quelque chose. […] Notre mot, hurlement, n’exprime pas le cris du loup, ainsi que celui d’ ululatus dont il est dérivé, quand on le prononce ouloulatous ainsi que le font les autres nations. […] L’homme qui manque de mots pour exprimer quelque bruit extraordinaire, ou pour rendre à son gré le sentiment dont il est touché, a recours naturellement à l’expedient de contrefaire ce même bruit, et de marquer son sentiment par des sons inarticulez. […] J’appellerai donc des phrases imitatives celles qui font dans la prononciation un bruit, lequel imite le bruit inarticulé dont nous nous servirions par instinct naturel, pour donner l’idée de la chose que la phrase exprime avec des mots articulez.

113. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « La Fontaine. » pp. 518-536

Grand, bien fait et d’une belle taille s’il s’était mieux tenu, avec une figure à longs traits expressifs et fortement marqués, laquelle exprimait la bonhomie, et qui aux clairvoyants eût permis, par éclairs, de deviner de la force ou de la grandeur, il se laissa aller, durant cette première partie de sa vie en province, au hasard des compagnies et des camaraderies qu’il rencontrait. Une ode de Malherbe qu’il entendit réciter lui révéla, dit-on, son talent poétique ; il lut nos vieux auteurs, il exprima le suc de Rabelais, il emprunta de Marot son tour, il aima dans Racan un maître ou plutôt un frère en rêverie, et y apprit les élévations de pensée mêlées aux nonchalances. […] Si vous voulez exprimer sous forme toute littéraire cette distinction que je fais entre le ton du poète à ses débuts et sa manière ensuite perfectionnée, je dirai qu’il y a deux La Fontaine, l’un avant et l’autre après Boileau. […] Cette anecdote nous peint assez bien, d’une part, les sentiments naturels de La Fontaine, et de l’autre, sa facilité dans la discussion ; quand il avait exprimé en poésie ce qu’il pensait, ce qu’il avait de plus cher, il se souciait assez peu de le maintenir en prose devant les gens qui voulaient le contredire. […] C’est dans une page détachée de ses Mémoires que le célèbre poète moderne, parlant des premiers livres qu’on lui donnait à lire dans son enfance, s’est exprimé ainsi : On me faisait bien apprendre aussi par cœur quelques fables de La Fontaine ; mais ces vers boiteux, disloqués, inégaux, sans symétrie ni dans l’oreille ni sur la page, me rebutaient.

114. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Fervaques et Bachaumont(1) » pp. 219-245

Leur Rolande a-t-elle les qualités du type qui exprime la femme d’une époque ? Car toute époque se résume dans une femme qui en exprime les mœurs, qui en est la substance, — la goutte d’élixir rectifié et concentré, — et qui, comme la pierre d’une agrafe, réfléchit cette époque, la ferme et la couronne. Or, si c’était cela, si Rolande exprimait les mœurs générales de son temps, ce serait écrasant pour l’Empire. […] Si leur Rolande veut exprimer une idée générale de son temps, si c’est là le type du genre de femmes qui furent les femmes de l’Empire, ah ! […] Conte ou chronique, histoire ou roman (et le roman, c’est de l’histoire encore), ont, l’un et l’autre, pour visée d’exprimer la réalité, et ici c’est la réalité contemporaine.

115. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Villiers de L'Isle-Adam, Auguste de (1838-1889) »

C’est la perpétuelle revanche des grands idéalistes, ignorés de la foule — et de plus d’un de leurs amis — qu’en réalité ils habitent un autre monde, un monde créé par eux-mêmes, simplement évoqué par de simples paroles, car « tout verbe, dans le cercle de son action, crée ce qu’il exprime ». […] Ou bien elle se replie sur elle-même, se concentre sur le monde matériel et exprime en ironies vengeresses la cruauté de ses désenchantements. […] Henry Bordeaux Les vers de Villiers de l’Isle-Adam n’ont point toujours cette secrète correspondance du rêve intérieur et du rêve exprimé ; il est visible, par endroits, que des lectures ont puissamment agi sur lui.

116. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre premier. De la première époque de la littérature des Grecs » pp. 71-94

Ils écrivaient sans autre modèle que les objets mêmes qu’ils retraçaient ; aucune littérature antécédente ne leur servait de guide ; l’exaltation poétique s’ignorant elle-même, a par cela seul un degré de force et de candeur que l’étude ne peut atteindre, c’est le charme du premier amour ; dès qu’il existe une autre littérature, les écrivains ne peuvent méconnaître en eux-mêmes les sentiments que d’autres ont exprimés ; ils ne sont plus étonnés par rien de ce qu’ils éprouvent ; ils se savent en délire ; ils se jugent enthousiastes ; ils ne peuvent plus croire à une inspiration surnaturelle. […] Quelque sublime que soit Homère par l’ordonnance des événements et la grandeur des personnages, il arrive souvent à ses commentateurs de se transporter d’admiration pour les termes les plus ordinaires du langage, comme si le poète avait découvert les idées que ces paroles exprimaient avant lui. […] Les Grecs n’ont jamais exprimé, n’ont jamais connu le premier sentiment de la nature humaine, l’amitié dans l’amour. […] L’approbation du peuple grec s’exprimait bien plus vivement que les suffrages réfléchis des modernes. […] S’exprimer ainsi, est-ce méconnaître l’admiration que les bons littérateurs doivent aux Grecs ?

117. (1898) Les personnages de roman pp. 39-76

Elle consiste, pour le romancier, à faire s’exprimer un paysan comme un paysan, à ne lui prêter ni le langage d’un ouvrier ni celui d’un bourgeois. […] Ce qu’elle exprime le mieux, dans ses formules concises, c’est la tradition, l’âme sensée, forte et passablement satirique de la vieille France. […] Est-il possible de ne pas sentir que la minutieuse exactitude des détails humains ne suffit pas pour exprimer un rôle et une vie qui n’ont de sens qu’autant qu’ils sont, par un certain côté, divins ? […] Une plume si fine et si chaste, la faculté de comprendre et d’exprimer entièrement le sens de ces mots qui nous sont mal connus : le silence, le recueillement, le voile, l’oraison. […] Mais une idée survient, et aussitôt le héros de roman auquel on ne pensait pas, s’écrie : « Elle est mienne, je l’exprimerai ! 

118. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « La Bible Illustrée. Par Gustave Doré »

Hors cette unité surnaturelle qu’atteste la diversité des instruments qui l’expriment, il n’y a rien de commun entre eux. […] Mais, quoique je n’aie jamais cru aux traducteurs ou aux illustrateurs à la douzaine, quoique la puissance de s’incorporer à un génie, déjà très rare, n’implique nullement la puissance de s’incorporer avec tous ou avec plusieurs, et qu’interpréter à merveille les Contes drolatiques de Balzac, par exemple, ne soit pas une raison pour bien interpréter Shakespeare, cependant la difficulté de traduire les différents génies qui concourent à cette grande œuvre de la Bible, à cette Babel sans confusion de langues qui ne menace pas le ciel, mais qui le fait descendre sur la terre, cette difficulté tient encore plus à la grandeur des scènes et des personnages qu’on y trouve qu’à la diversité des génies qui les ont exprimés, et ici la question du surnaturalisme revient par un autre côté, car bien évidemment l’Histoire, la stature de l’Histoire et de l’homme, sont ici dépassées. […] De tempérament, il est un merveilleux moderne, je dirais presque un tempérament romantique, si le mot n’avait bien vieilli pour exprimer une chose si jeune et si vivante que son talent. Le terrible ou la grandeur de la Bible il était homme à Les sentir, et il les a exprimés souvent comme il les a sentis, avec une grande puissance, relativement (bien entendu) aux conditions dans lesquelles j’ai dit que tout interprète de la Bible était naturellement placé.

119. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre cinquième. »

On a déjà remarqué que le satyre, ou plutôt le passant, fait une chose très-sensée en se servant de son haleine pour réchauffer ses doigts, et en soufflant sur sa soupe afin de la refroidir ; que la duplicité d’un homme qui dit tantôt une chose et tantôt l’autre n’a rien de commun avec cette conduite, et qu’ainsi il fallait trouver une autre emblème, une autre allégorie pour exprimer ce que la duplicité a de vil et d’odieux. […] Ce vers de deux syllabes fait ici un effet très-agréable ; et on ne peut exprimer mieux la nullité de la production annoncée avec faste. […] La manière dont le roi distribue les emplois de son armée est très-ingénieuse ; ces quatre vers qui expriment la moralité de cette fable sont excellens, et le dernier surtout est parfait.

120. (1911) L’attitude du lyrisme contemporain pp. 5-466

Cette définition exprime à merveille le tempérament de notre poète. […] L’idée vécue est un état d’âme exprimé dans son unité pure et intuitive. […] On prouverait, je pense, qu’une cathédrale nous exprime avec autant de vérité que le Discours de la Méthode, la façon d’exprimer notre âme a simplement changé. […] Il exprime quel enthousiasme actuel doit susciter l’évocation d’âges héroïques. […] Une entente tacite s’est établie dans la façon de comprendre la vie, de l’analyser, de l’exprimer.

121. (1899) Préfaces. — Les poètes contemporains. — Discours sur Victor Hugo pp. 215-309

Or, ces poèmes seront peut-être accusés d’archaïsme et d’allures érudites peu propres à exprimer la spontanéité des impressions et des sentiments ; mais si leur donnée particulière est admise, l’objection est annihilée. […] L’intelligence et la passion créent les types qui expriment des idées complètes ; la rêverie répond au désir légitime qui entraîne vers le mystérieux et l’inconnu. […] La pensée qu’ils expriment participe nécessairement de leur vague confusion. […] Soit, mais la difficulté subsiste, puisque cette émotion s’exprime dans la langue sacrée qui ne vous est ni sympathique ni familière. […] Ce sont des vers spacieux et marmoréens, d’une facture souveraine, dignes d’exprimer les passions farouches de ces vieux chevaliers géants du Rhin.

122. (1858) Du vrai, du beau et du bien (7e éd.) pp. -492

Il n’exprime qu’un côté de la vérité, et rejette tous les autres. […] C’est qu’elle exprime la beauté de son âme. […] La nature l’exprime à sa manière, le génie humain l’exprime à la sienne. […] Telle est la force et en même temps la faiblesse de la musique : elle exprime tout et elle n’exprime rien en particulier. […] Comme la sculpture, elle marque les formes visibles des objets, mais en y ajoutant la vie ; comme la musique, elle exprime les sentiments les plus profonds de l’âme, et elle les exprime tous.

123. (1857) Articles justificatifs pour Charles Baudelaire, auteur des « Fleurs du mal » pp. 1-33

« Ce nom même de cadavre ne lui reste pas longtemps, parce qu’il exprime encore quelque forme humaine. […] Le poète des Fleurs du mal a exprimé, les uns après les autres, tous ces faits divinement vengeurs. […] Tout le monde écrit bien parce que tout le monde sait lire, et que, depuis trois cents ans que l’on imprime, bon nombre de sentiments et de nuances de sentiments ont été exprimés par de grands écrivains. […] De sorte qu’à force d’exprimer ses propres sentiments avec le langage des maîtres, on arrive à penser à leurs frais et finalement à ne plus penser du tout. […] C’est le même procédé que ci-dessus, pour la prose : on exprime sa mélancolie aux dépens de Lamartine, son ironie avec de Musset, son indignation avec Barbier, son scepticisme avec Théophile Gautier.

124. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN FACTUM contre ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 301-324

remy ne paraît pas avoir fait) la Vie d’Homère, faussement attribuée à Hérodote, mais qui, si fabuleuse qu’elle soit, exprime très-bien le fond des légendes populaires qui circulaient sur le poëte. […] Ce vers est exprès tourné au faste, à l’ampleur, et il exprime à merveille l’orgueil du monstre, fier à la fois de sa naissance et de sa crinière. […] Cet art libre, ce procédé vivant, André Chénier l’a lui-même trop poétiquement exprimé en sa seconde Épître pour que nous ne posions pas ici cette réponse directe et triomphante à l’attaque qui n’en tient nul compte. […] Celui qui demain va mourir sent un regret à quitter la vie que consolait sous les barreaux une vue si charmante, mais il exprime ce regret à peine, et son émotion prend encore la forme d’une pensée légère, de peur de jeter une ombre sur le jeune front souriant94. […] Chénier a eu d’abord et il n’a pas du tout perdu une qualité que les Grecs prisaient fort et qu’ils ne cessent d’exprimer, de varier, d’appliquer à toutes choses, je veux dire la jeunesse, la fraîcheur et la fleur, le èáëåñüí, si l’on me permet de l’appeler par son nom, le novitas florida de Lucrèce.

125. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « SAINTE-BEUVE CHRONIQUEUR » pp. -

Despois exprimait ce regret, nous nous mettions en relation avec un des plus anciens amis de Sainte-Beuve, M. […] Et puis, en certains cas, à l’égard dès œuvres retentissantes qui font époque et révolution — ou du moins beaucoup de bruit (comme chaque jour en voyait naître alors), la critique était encore tenue à de plus grandes réserves par les journaux eux-mêmes qui n’admettaient pas qu’on s’exprimât en public en toute liberté sur ces grands sujets littéraires. […] Un témoignage, non suspect d’hérésie en faveur de la critique littéraire, est celui du vertueux Malesherbes, qui s’exprimait ainsi à ce sujet, du temps qu’il était Directeur de la Librairie : « Presque tous ceux qui ont joué un rôle dans les affaires publiques n’aiment point à voir écrire sur la politique, le commerce, la législation.

126. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « SUR ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 497-504

En un mot, si André Chénier eût vécu, je me figure qu’il aurait pu être le grand poëte régnant depuis 95 jusqu’en 1803 ; réaliser admirablement ce que son frère, et Le Brun, et David dans son genre, tentèrent avec des natures d’artiste moins complètes et avec une sorte de sécheresse et de roideur ; exprimer poétiquement, et sous des formes vives de beauté, ce sentiment républicain à la fois antique et jeune, qui respire dans quelques écrits de Mme de Staël à cette époque, et surtout dans sa Littérature considérée par rapport à la Société. […] Mais à côté, en dehors de ces grands rôles, il y en a d’autres qu’il ne faut pas cesser de revendiquer et de maintenir, parce qu’ils sont modestes, qu’ils sont vrais, qu’ils réfléchissent des nuances précieuses dont les autres ne tiennent pas compte, et parce qu’ils expriment, avec plus de distinction et de curiosité attentive, des sentiments et des délicatesses, pourtant éternelles, de l’âme humaine civilisée. […] Et puis, comme l’art a mille faces possibles, et qu’aucune n’est à supprimer quand elle correspond à la nature, il y aura toujours lieu à des talents et à des œuvres qui exprimeront des sentiments plus isolés, plus à part des questions flagrantes, et s’inquiéteront, en les exprimant, de la beauté calme et juste, de la perfection de la pensée et de l’excellence étudiée du langage : ce seront ceux de la même famille qu’André.

127. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Le termite »

Et, sous prétexte d’exprimer des nuances de sensation et de sentiment qui, si on les presse, s’évanouissent comme des rêves de fiévreux ou se ramènent à des impressions toutes simples et notées depuis des siècles, ils font de la langue française un je ne sais quoi qui n’a plus de nom. […] Les rues de Paris suscitent dans l’esprit de Servaise des visions apocalyptiques, terribles par un je ne sais quoi qu’il ne peut exprimer — qu’il n’exprimera jamais — parce que ce je ne sais quoi n’est rien.

128. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre quatrième. »

La précision qui règne dans ces quatre premiers vers, exprime à merveille la facilité avec laquelle l’homme se familiarise avec les objets les plus nouveaux pour lui et les plus effrayans. […] L’homme aux cent yeux… Cette courte périphrase exprime tout, et le discours du maître est excellent…. […] Ce vers de sept syllabes entre deux vers de huit syllabes donne du mouvement au tableau, et exprime le sens-dessus dessous avec lequel la petite famille déménage.

129. (1901) L’imagination de l’artiste pp. 1-286

Il faut savoir s’exprimer, mais l’essentiel est d’avoir quelque chose à dire. […] Maintenant assistons à ses efforts pour exprimer, avec son crayon seul, toutes les pensées que nous exprimons si aisément par la parole. […] A-t-il réussi à les exprimer toutes bien clairement ? […] Sans elles il ne saurait exprimer certaines pensées. […] On procédera de même pour exprimer un caractère.

130. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Introduction. Le problème des idées-forces comme fondamental en psychologie. »

Les mouvements, eux, sont des phénomènes abstraits du tout : ils sont l’aspect de la réalité qui peut s’exprimer en sensations visuelles ou tactiles et en rapports dans l’espace entre les causes supposées de ces sensations. […] Il n’y a point deux réalités, l’une sentie, l’autre sentante : il n’y en a qu’une, dont le physique exprime certaines relations superficielles dans l’espace et dans le temps, dont le mental exprime certaines qualités plus intimes et plus profondes. […] Mais, quelques expérimentations que l’on fasse, il faudra toujours arriver devant certains termes irréductibles et devant une relation irréductible, qu’il importe d’exprimer correctement. […] Il n’en résulte pas que le rapport des deux sensations puisse toujours être exprimé par un nombre. […] Elle est au centre de perspective qui permet de considérer l’unité du tout telle qu’elle s’exprime dans notre conscience ; elle est le fondement du véritable monisme.

131. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Fanny. Étude, par M. Ernest Feydeau » pp. 163-178

Il fera dire, par exemple, à Adolphe, racontant et définissant ses rapports avec son père, ce père qui était timide même avec son fils : Je ne savais pas alors ce que c’était que la timidité, cette souffrance intérieure qui nous poursuit jusque dans l’âge le plus avancé, qui refoule sur notre cœur les impressions les plus profondes, qui glace nos paroles, qui dénature dans notre bouche tout ce que nous essayons de dire, et ne nous permet de nous exprimer que par des mots vagues ou une ironie plus ou moins amère, comme si nous voulions nous venger sur nos sentiments mêmes de la douleur que nous éprouvons à ne pouvoir les faire connaître. […] Dans les premières scènes d’aveu, d’épanchement entre Ellénore et Adolphe, celui-ci, voulant exprimer la douceur de leurs entretiens, nous dit : « Je lui faisais répéter les plus petits détails, et cette histoire de quelques semaines (les semaines d’absence qui avaient précédé) nous semblait être celle d’une vie entière. […] Je ne sais ce que mes traits exprimèrent, mais je n’avais jamais éprouvé de contraction si violente. […] J’essayai donc de mille manières de fixer son attention : je ramenai la conversation sur des sujets que je savais l’intéresser ; nos voisins s’y mêlèrent : j’étais inspiré par sa présence ; je parvins à me faire écouter d’elle ; je la vis bientôt sourire : j’en ressentis une telle joie, mes regards exprimèrent tant de reconnaissance, qu’elle ne put s’empêcher d’en être touchée. […] On ne la travestit pas, on n’en prend pas la peine ; la curiosité n’est qu’à la bien rendre ; mais on la dépasse, on l’outrepasse quelquefois, à force de la vouloir exprimer.

132. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres mêlées de Saint-Évremond »

Ils ont des façons de s’exprimer à la fois plus délicates et plus gaillardes (lætiores) pour parler avec Montaigne. […] On n’a jamais eu à un plus haut degré que Saint-Évremond le sentiment vif des ridicules, ni une manière plus légère de les exprimer. […] Giraud s’exprime de la sorte : « Ces opuscules portent leur date en eux-mêmes et sont unis entre eux par un lien qui est visible aux yeux les moins clairvoyants. […] Cousin dans son style inimitable160, une réponse à quelqu’un de la société de Mme de Sablé qui, devant elle, avait exprimé de basses pensées sur l’amitié. […] Ce qu’il a dit en maint endroit de M. d’Aubigny, et le regret qu’il a exprimé de cette perte irréparable, suffit à témoigner de sa sensibilité.

133. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. EUGÈNE SUE (Jean Cavalier). » pp. 87-117

Sue visait surtout à exprimer certains résultats de précoce et fatale expérience, certaines vérités amères et plus qu’amères, que l’excès seul de la civilisation révèle ou engendre. […] Est-ce une nature vraie, légitime, une société saine qu’a exprimée M. […] Les grands et éternels peintres, qui certes savaient le mal aussi, les Shakspeare, les Molière, l’ont- ils jamais exprimé dans ces raffinements d’exception, dans cette corruption calculée ? […] Il a débuté par une crudité systématique ; dans Brulard d’Atar-Gull, il a exprimé le mécompte violent poussé jusqu’à la rage contre l’humanité ; dans Szaffie de la Salamandre, il a rendu l’ironie calculée qui va à tout flétrir. […] Madame de Charrière, dans les Lettres de mistriss Henley, a su exprimer cette même mésintelligence intime par des contrastes qui sont encore des nuances, et qui n’ont rien de désagréable au lecteur.

134. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Du génie critique et de Bayle »

Toujours en haleine, aux écoutes, faisant de fausses pointes et revenant sur sa trace, sans système autre que son instinct et l’expérience, il a fait la guerre au jour le jour, selon le pays, la guerre à l’œil, ainsi que s’exprime Bayle lui-même, qui est le génie personnifié de cette critique. […] Plus loin, il exprime son grand plaisir de lire le Comte de Gabalis, quoique, au reste, plusieurs endroits profanes fassent beaucoup de peine aux consciences tendres. […] Bayle ne dit ni oui ni non ; mais il note leur scrupule, de même qu’il exprime son plaisir. […] Il a maintes fois exprimé le regret de n’être pas né dans une ville capitale, et il confesse dans sa Réponse aux Questions d’un Provincial qu’il a été éclairé sur les ressources de Paris pour avoir senti le préjudice de la privation. […] Quand on a un style à soi, comme Montaigne, par exemple, qui certes est un grand esprit critique, on est plus soucieux de la pensée qu’on exprime et de la manière aiguisée dont on l’exprime, que de la pensée de l’auteur qu’on explique, qu’on développe, qu’on critique ; on a une préoccupation bien légitime de sa propre œuvre, qui se fait à travers l’œuvre de l’autre, et quelquefois à ses dépens.

135. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Ducoté, Édouard (1870-1929) »

Pour moi, je ne vois aucun des écrivains nouveaux qui ait ainsi exprimé l’ennui de vivre. […] Ducoté est un sincère, et quand il ne cherche pas à quintessencier, il sait dans une langue excellente exprimer des sentiments très humains et des sensations très délicates.

136. (1940) Quatre études pp. -154

Au moment où l’on croyait qu’il allait exprimer sa peine essentielle, il quittait la partie, détournait la tête, et se mettait à sourire. […] C’est le moment où le mystère et l’horreur vont s’exprimer par de nouvelles imaginations, toujours plus affreuses. […] Il veut exprimer les rêves de beauté qui le tourmentent ; et en même temps il s’abuse ; il cherche le chemin qui conduit à la gloire, et commence par s’égarer. […] « Bien des gens lisent les poètes, sans savoir ce que c’est qu’un poète, ou du moins, sans pouvoir exprimer ce qu’ils en savent. […] Mais c’est lui, surtout, qui a victorieusement déclaré qu’il ne voyait pas pourquoi la prose ne remplacerait pas totalement la poésie, en vertu de cette bonne et simple raison, entre beaucoup d’autres, que la prose pouvait exprimer tout ce qu’on disait en poésie, tandis que la poésie ne pouvait pas exprimer tout ce qu’on disait en prose.

137. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juin 1886. »

Dans les livrets du Ring, on ne trouve même plus les vers sublimes dans lesquels le Maître avait exprimé sa pensée ; ils sont enfouis dans une note du sixième volume de ses écrits, où l’initié, seul, peut les trouver. […] Le dix-huitième siècle subit une disposition intellectuelle propre : mais je cherche vainement une œuvre littéraire qui l’ait exprimée. […] Dois-je dire encore que je n’attribue point à la poésie les pensées dites poétiques, toute pensée me paraissant plus aisée à exprimer par une prose ! […] Laforgue m’ont séduit plutôt par des innovations formelles : les émotions exprimées sont encore très vagues, insuffisamment enchaînées et déduites. […] Il exprimera les douleurs et les joies par des agencements sonores et rythmiques de syllabes, insoucieux, dans ces rares passages, du sens notionnel des mots : puisque, aussi bien, nuls mots ne peuvent traduire les émotions.

138. (1902) Le culte des idoles pp. 9-94

Ce qu’il se proposait, c’était moins de convaincre que d’exprimer nettement, avec force, sa pensée. […] De même les peintres, s’ils ne s’expriment pas toujours avec justesse, n’ont jamais cette incertitude, ni ces longueurs de la phrase, quand ils notent leurs sensations visuelles. […] Il n’imaginait pas un style, nous dit Guy de Maupassant, mais le style, c’est-à-dire une façon unique d’exprimer sa pensée. […] c’est qu’ayant à dire des choses fortes et profondes, fines et délicates, ils ne trouvaient pas toujours de suite le moyen d’exprimer toute cette délicatesse, toute cette force qu’ils ressentaient. Pour Flaubert, il ne s’agit point d’exprimer quelque chose, mais de réaliser un idéal absurde, dément.

139. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — I. » pp. 41-61

Gui Patin en vertugadin ne s’exprimerait pas autrement. […] Mais comme il est dans le tempérament de Madame et dans son humeur d’outrer tout, même ses bonnes qualités, et d’y introduire quelque incohérence, elle va fort au-delà du but lorsqu’elle exprime le vœu de voir aux galères à la place des innocents ceux qu’elle suppose les persécuteurs, ou même d’autres moines quelconques, par exemple les moines espagnols qui furent les derniers à résister dans Barcelone à l’établissement du petit-fils de Louis XIV : « Ils ont prêché dans toutes les rues qu’il ne fallait pas se rendre ; si l’on suivait mon avis, on mettrait ces coquins aux galères, au lieu des pauvres réformés qui y pâtissent. » Voilà bien Madame dans sa bonté de cœur et dans ses excès de paroles, dans sa religion franche, sincère, mêlée de quelque bigarrure. […] Elle parle de tout indistinctement comme un homme, n’est jamais dégoûtée en paroles, et n’y va jamais par quatre chemins quand elle a à exprimer quelque chose qui serait difficile et embarrassant pour toute autre. […] Un goût et, si je puis m’exprimer de la sorte, une sympathie de grandeur attacha Madame à Louis XIV. […] En vérité, si Madame, à un moment, avait été réellement éprise de Louis XIV, et si elle avait haï en Mme de Maintenon la rivale qui l’aurait supplantée, elle ne s’exprimerait pas autrement.

140. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin »

Il semble que cet esprit distingué, armé des deux mains et adroit à volonté, qui peut choisir dans ses moyens d’expression, se soit dédoublé à dessein de bonne heure, et qu’il se soit dit : « Je ne puis tout exprimer avec mon pinceau, je ne puis tout rendre avec ma plume ; atteignons d’un côté ce qui nécessairement nous échappe en partie de l’autre ; complétons-nous, sans nous répéter. […] Exprimer l’action du soleil sur cette terre ardente en disant que cette terre est jaune, c’est enlaidir et gâter tout. […] Elle leur a fait voir que le but est d’exprimer, et que, pour y arriver, les moyens les plus simples sont les meilleurs. […] A cette dernière limite si triste et si indécise, qui représente comme des limbes intermédiaires, aux formes languissantes, il éprouve cependant encore une sensation exquise, d’une nature particulière, et qu’il excelle à exprimer : c’est celle du silence. Le peintre, avec son pinceau, peut rendre bien des choses, en dehors même de la couleur pure ; il peut donner idée du mouvement, du bruit, du fracas ; mais le silence, comment l’exprimer ?

141. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre quatrième. L’expression de la vie individuelle et sociale dans l’art. »

Flaubert, qui était artiste dans la moelle des os et qui s’en piquait, a exprimé cet état d’esprit avec une précision merveilleuse : selon lui, vous êtes né pour l’art si les accidents du monde, dès qu’ils sont perçus, vous apparaissent transposés comme pour l’emploi d’une illusion à décrire, tellement que toutes les choses, y compris votre existence, ne vous semblent pas avoir d’autre utilité. […] L’intelligence peut seule exprimer dans une œuvre extérieure le suc de la vie, faire servir notre passage ici-bas à quelque chose, nous assigner une fonction, un rôle, une œuvre très minime dont le résultat a pourtant chance de survivre à l’instant qui passe. […] Les sentiments et les volontés, à leur tour, s’expriment dans les actes et dans tous les faits de la vie. […] Ces faits, dans la science, expriment des lois purement objectives ; dans l’histoire, des lois psychologiques et humaines. […] Pourtant, ce qui ne serait qu’individuel et n’exprimerait rien de typique ne saurait produire un intérêt durable.

142. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre III. Association des mots entre eux et des mots avec les idées »

Pareillement le mot qui l’exprime est lié avec d’autres mots qu’il attire partout où il va et qui lui font cortège. […] Ce n’est pas tout : séparons le mot de l’idée qu’il exprime ; il évoquera non plus des idées, des images, des sentiments, mais des mots. […] Boileau a exprimé cette attraction que les mots exercent les uns sur les autres par l’habitude qu’ils ont d’être réunis, dans les vers si connus de sa seconde satire : Si je louais Philis en miracle féconde, Je trouverais bientôt à nulle autre seconde ; Si je voulais vanter un objet non pareil, Je mettrais à l’instant plus beau que le soleil. […] Elles appartiennent aussi aux termes simples, effacés, éteints, aux termes abstraits : le tout est, quand on s’en sert, de ménager un passage de l’idée qu’ils expriment aux idées qui sont en relation avec elle, de les tourner du côté qui fera paraître cette mutuelle dépendance.

143. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Ernest Renan, le Prêtre de Némi. »

Renan a exprimées déjà (dans les Dialogues philosophiques, dans Caliban, dans la Fontaine de Jouvence, dans les Souvenirs, dans l’article sur Amiel) ; vous y retrouverez son dilettantisme, son attitude en face du monde, son âme hautaine et tendre, caressante et ironique, attirante et fuyante. […] Il n’est point de forme littéraire par où nous puissions exprimer avec autant de finesse et de grâce ce que nous avons d’important à dire. […] Au contraire, le conte ou le drame philosophique est le plus libre des genres, et ne vaut, d’autre part, qu’à la condition de ne rien exprimer d’insignifiant. […] C’est que, voulant exprimer quelque opinion singulière dont il n’est pas lui-même bien sûr, il a cherché exprès, pour la traduire, une forme hardie et inattendue dont l’excès nous fasse sourire et nous avertisse.

144. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre III. L’antinomie dans la vie affective » pp. 71-87

Et c’est cette loi, exprimée par le Faust de Goethe28, qui condamne par avance tous les Édens sociologiques, tous les Paradis humanitaires rêvés par les optimistes sociaux. […] La loi de la fusion croissante des sensibilités de Guyau et celle du passage de l’égoïsme à l’altruisme, de Spencer, expriment plutôt des desiderata de moralistes que des constatations de sociologues. […] L’individualisme stirnérien est une revendication en faveur de la « différence » affective, de l’originalité sentimentale quelle qu’elle soit. — C’est aussi bien l’individualisme de l’impulsif, du maniaque, de l’excentrique, du névrosé en quête de sensations bizarres et compliquées (tel un Des Esseintes), que l’individualisme du grand poète, du grand artiste qui exprime des manières de sentir délicates, puissantes on profondes, vraiment neuves et intéressantes, vraiment capables d’éveiller un écho dans l’âme des autres hommes. […] Il conviendrait encore, du moment où on se pose en champion de la différence humaine et de l’originalité, d’avoir des désirs vraiment neufs et intéressants, des sentiments qui vaillent la peine d’être exprimée.

145. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VIII. Quelques étrangères »

La « chère âme » qu’elles chantent est d’ailleurs une des plus dégoûtantes, une des plus répulsives que l’humanité puisse connaître et, malgré les belles cadences, malgré l’éclat coloré ou lumineux de certaines images, les allégories qui expriment cette pourriture folle ne parviennent pas à me séduire. […] Annunzio est né pour de brefs élans lyriques et pour de petits hasards heureux ; il faut placer, très bas encore, mais bien au-dessus de ses romans, les vers où il exprime avec une fougue jeune ce que le critique Chiarini appelle sa « démence aphrodisiaque ». […] Sa joie de faire souffrir, son amour pour les bêtes de proie qui lui ressemblent, s’exprime en « belles cadences » émues dans l’éloge de Gog le lévrier, « celui qui, d’un seul coup de ses mâchoires, cassait les reins du lièvre » ; celui qui « possédait toutes les vertus de la grande race », depuis la rapidité à la course jusqu’au « désir constant de tuer la proie ». […] Mais l’auteur est impuissant à les nouer en faisceau ; il ne paraît même pas les apercevoir simultanément et chacune, à l’instant où il l’exprime, semble pour lui l’explication totale.

146. (1760) Réflexions sur la poésie

Un de nos grands versificateurs se félicitait, dit-on, d’avoir exprimé poétiquement sa perruque. Mais pourquoi se donner la peine d’exprimer une perruque poétiquement ? […] Les sentiments tendres, simples et naturels, faits pour nous intéresser partout où ils se trouvent, n’ont pas besoin, pour augmenter cet intérêt, d’être attachés au nom d’Idylle ; pour remplir et pénétrer l’âme, il leur suffit d’être exprimés tels qu’ils sont ; les prairies et les moutons n’y ajoutent rien. […] Par la même raison, quoiqu’on reconnaisse tout le mérite de la poésie d’image, quoique dans la jeunesse, où tout est frappant et nouveau, on préfère cette poésie à toute autre, on lui préfère dans un âge plus avancé la poésie de sentiment, et celle qui exprime avec noblesse des vérités utiles.

147. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre III. Besoin d’institutions nouvelles » pp. 67-85

Et ici je vais donner un signe sensible ; car, en même temps que la parole intérieure s’exprime par la parole extérieure, l’état de la société se montre toujours par des monuments. […] Ainsi les artistes anciens mettaient sur tous leurs ouvrages, à la suite de leurs noms, le verbe faisait, pour exprimer, ou que l’homme ne sait point finir, ou qu’il est toujours surpris par la mort. […] Qu’il me soit donc permis d’exprimer, à l’égard de ce qui a amené notre situation actuelle, un regret dont rien ne peut tempérer l’amertume. […] Je le dis une fois pour toutes, ce n’est que comme remarque, et non point comme blâme, que j’exprime une telle idée.

148. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Odysse Barot »

La littérature et les arts n’ont à se préoccuper que d’une chose, tout aussi importante d’ailleurs que l’émancipation de l’humanité : c’est de la beauté à exprimer, — à inventer ou à reproduire, — mais à exprimer dans des œuvres fortes et parfaites, si l’homme de lettres ou l’artiste peuvent atteindre jusque-là… La littérature et les arts sont désintéressés de tout, excepté de la beauté qu’ils expriment pour obéir à cette loi mystérieuse et absolue de l’humanité, qui veut de la beauté, pour le bonheur de son être, tout aussi énergiquement qu’elle veut des vêtements et du pain… Je parle, bien entendu, de l’humanité à son sommet, élevée à sa plus haute puissance ; je ne parle pas d’elle à l’époque de ses besoins inférieurs… Mais c’est le vice justement des libres penseurs, strangulés par la logique que leur a faite l’épouvantable matérialisme de ce temps, de ne voir jamais que les besoins les plus bas de l’humanité. […] … Lisez-le avec attention, et vous verrez que les hommes de génie, ou de talent, dont il parle dans son histoire, sont bien moins pour lui par la personnalité de leur génie ou de leur talent que par la tendance qu’ils expriment, Michelet a un jour, dans son Histoire de la Révolution française, décapité les chefs de cette révolution, ces cerveaux troublés, mais puissants, au profit de la masse acéphale.

149. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Roger de Beauvoir. Colombes et Couleuvres. »

Tous, ils ne font des vers que pour réaliser ou caresser telle ou telle forme poétique, non pour exprimer des sentiments vrais et se soulager de leurs émotions en les faisant partager. […] Chez l’auteur de Colombes et Couleuvres, cette poésie humaine et vraie, qui prend sa source dans les sentiments éternels et que chaque poète exprime avec une voix différente, a une fraîcheur d’accent que rien n’a flétrie, et à laquelle se joint une morbidesse qui relève encore le charme de cette étrange fraîcheur… Autrefois, sous cette Monarchie qui mettait de la force dans les institutions et de la poésie dans les mœurs, le deuil de la cour était noir et rose. […] Roger de Beauvoir n’a pas cessé, comme il le dit dans une des strophes qui expriment le mieux la nuance caractéristique de sa manière ; « … De boire à la coupe rose Que lui tendait le Printemps ! […] L’auteur des Colombes et Couleuvres a les défauts de ses qualités, mais cette phrase, devenue si vulgaire, inventée par les Éclectiques de ce temps, pour éviter les embarras de la vérité et les lâchetés de la Critique, n’exprime pas pour nous une fatalité.

150. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Rapport sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques.] » pp. 518-522

À des degrés inférieurs, il est encore d’honorables places à saisir ; et, quoique le talent se laisse peu conseiller à l’avance, quoiqu’il appartienne à lui seul, dans ce fonds tant de fois remué, mais non pas épuisé, de l’observation naturelle et sociale, de découvrir de nouvelles formes et des aspects imprévus, qu’on nous permette d’exprimer ce seul vœu : c’est qu’il revienne enfin et qu’il s’attache désormais à étudier une nature humaine véritable, une nature saine et non corrompue, non raffinée ou viciée à plaisir, une nature ouverte aux vraies passions, aux vraies douleurs, sujette aux ridicules sincères, malade, quand elle l’est, des maladies générales, et naturelles encore, que tous comprennent, que tous reconnaissent et doivent éviter. […] La Commission exprime donc le vœu que, dans l’avenir, il soit apporté en ce sens à la rédaction de l’arrêté ministériel une modification qui laissera plus de liberté et permettra plus de justesse au travail des Commissions futures. […] Pour parer, d’ailleurs, à une difficulté qu’elle a rencontrée dans la pratique et qui l’a arrêtée plus d’une fois, et toujours en vue d’aider au travail des Commissions futures, la Commission exprime le vœu. monsieur le ministre, que dorénavant la totalité des sommes destinées aux primes restant la même, il soit permis d’en opérer et d’en graduer la répartition selon le mérite des ouvrages qui sortiront de l’examen avec honneur.

151. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre VI. De l’emploi des figures et de la condition qui les rend légitimes : la nécessité »

Même en fournissant à la pensée une expression telle quelle, elle s’opposera à la précision et à la clarté : on sera dupe soi-même de ses métaphores, et l’on ne se rendra point compte qu’on n’a exprimé que des impressions insaisissables à l’intelligence, intraduisibles dans le langage des idées pures, qu’on n’a rien dit en un mot de raisonnable, de scientifique, ou de pratique. […] Il n’est point une image, point une exclamation, une apostrophe, une prosopopée qu’on en puisse faire disparaître sans dommage : ce n’est pas la forme qui en souffrirait dans son élégance ou sa beauté, c’est surtout le fond, qui ne serait plus suffisamment exprimé, et quelque chose manquerait à la clarté lumineuse ou à l’énergie persuasive du discours. […] Il n’y aurait point d’images, de métaphores, de grands mouvements de style, qui me donneraient de Turenne une idée plus haute, plus complète, qui me le feraient mieux voir et plus admirer, que le très sobre portrait que Bussy-Rabutin en a tracé : c’est comme une ligne légère et ferme qui, par un léger relief, exprime toute la vie et toute la beauté du modèle.

152. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — Les inscriptions des monumens publics de France doivent-elles être écrites en Latin ou en François. » pp. 98-109

D’autres poëtes Latins exprimèrent leur indignation ; mais personne ne réfuta Charpentier plus vivement que le P.  […] Mais en est-il une dans le monde, qui puisse exprimer toute la variété de nos idées & de nos sensations, toutes les nuances dont elles sont susceptibles ? […] C’est la plus sonore, la plus abondante dans ses expressions, la plus variée dans ses tours & la plus régulière dans sa marche ; celle qui exprime le mieux les mouvemens divers de notre ame.

153. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Colet, Louise (1810-1876) »

Si l’on peut s’exprimer de la sorte, ce poème chatoie d’images délicates et de peintures gracieuses. […] Et certes, il faudrait avoir l’esprit bien mal fait pour ne pas s’associer à la pensée qu’il exprime si judicieusement et avec une si naïve confiance ; mais de quelle solide foi romantique ne devait pas être animé le statuaire qui avait représenté Mme Louise Colet, splendide alors et épanouie comme les Néréides du maître d’Anvers, sous la figure d’une jeune femme rêveuse et mourante, étendue près d’une fontaine, et intitulée : Penserosa !

154. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 400-402

Cet Ecrivain exprime les choses comme il les concevoit, & il les concevoit en en tirant, pour ainsi dire, toute la substance, & les rendoit ensuite dans toute leur vigueur. […] On a souvent essayé de transporter dans les Ouvrages de Morale ou de Philosophie, sa maniere de peindre & de s’exprimer.

155. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 369-371

Elle a même cela de particulier, qu’elle s’exprime avec une douceur & une onction rares dans tout ce qui appartient à la Philosophie. […] L’Auteur ne se borne pas à faire la satire des ridicules & des vices du Siecle, il présente aussi les moyens de les corriger ; & si ses observations ne sont pas toujours élégantes & vivement exprimées, elles ont du moins le mérite de la justesse, & annoncent un Esprit aussi éclairé, que jaloux du bonheur de ses Concitoyens.

156. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 340-342

C’est ainsi que nous nous sommes exprimés sur le compte de ce Littérateur, dans les précédentes Editions de notre Ouvrage. […] Tel est, entre autres, son Discours sur la maniere de lire les Vers, remarquable sur-tout par le mérite d’une Versification variée, & par l’art d’exprimer noblement & avec élégance les choses les plus communes.

157. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juin 1885. »

Trois hommes l’exprimèrent, Hugo, en littérature, — Berlioz, en musique, — et, en peinture, Eugène Delacroix. […] Aussi cette émotion cruelle qui s’exprime dans ces œuvres doit-elle appartenir à l’idée même du monde que l’artiste perçoit et traduit dans elles. […] Et dans ce monde, était contenu aussi le doute de l’homme Beethoven, et c’est pour cela qu’il nous l’exprime immédiatement, — non comme l’objet d’une réflexion, — lorsqu’il apporte devant nous l’expression du monde entier. […] Ce n’est pas qu’elles soient parfaites, déjà ; du moins, elles font voir aux peintres, la voie qui, seule, leur convient, la voie Wagnérienne de la franchise, de la fidélité aux théories, de l’effort continu à sentir la vie, et à l’exprimer. […] La thèse correspond au XVIIe siècle, période où s’exprime l’esprit ; l’antithèse est le romantisme, le temps de l’émotion et des sentiments.

158. (1856) Cours familier de littérature. I « IVe entretien. [Philosophie et littérature de l’Inde primitive (suite)]. I » pp. 241-320

L’homme, par un instinct occulte, mais universel, semble avoir senti, dès le commencement des temps, le besoin d’exprimer dans un langage différent ces choses différentes. Placé lui-même, pour les sentir et les exprimer, sur les limites de ces deux natures humaines et divines qui se touchent et se confondent en lui, l’homme n’a pas eu longtemps le même langage pour exprimer l’humain et le divin des choses. […] En un mot, la prose a été le langage de la raison, la poésie a été le langage de l’enthousiasme ou de l’homme élevé par la sensation, la passion, la pensée, à sa plus haute puissance de sentir et d’exprimer. […] Donc, à une impression transcendante un mode transcendant d’exprimer cette impression. […] Tout ce qui a sa poésie demande à être exprimé dans une langue supérieure à la langue usuelle, expression des choses ordinaires.

159. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — I. » pp. 446-462

En parlant de la célèbre abbaye de Notre-Dame-des-Ermites ou d’Einsielden, dans le canton de Schwitz, William Coxe, ministre et chapelain anglican, s’était permis bien des ironies sur les pèlerins et leur dévotion qu’il appelait superstitieuse : ici Ramond prend à son tour la liberté d’abréger, dans sa traduction, ces sarcasmes trop faciles, et il exprime pour son compte un tout autre sentiment : Je l’avoue, dit-il, l’aspect de ce monastère m’a ému ; sa situation au milieu d’une vallée sauvage a quelque chose de frappant ; son architecture est belle, et son plan est exécuté sur de grandes proportions ; rien de plus majestueux que les degrés qui s’élèvent à la plate-forme de l’édifice et qui la préparent de loin par une montée insensible… Il est impossible d’entrer dans cette chapelle dont le pavé est jonché de pécheurs prosternés, méditant dans un respectueux silence et pénétrés du bonheur d’être enfin parvenus à ce terme de leurs désirs, à ce but de leur voyage, sans éprouver un sentiment de respect et de terreur. […] Certes, ce sentiment exprimé par un jeune homme de vingt-deux ans, cette leçon donnée aux esprits forts (appelés ici par politesse des âmes fortes), en présence de la philosophie du siècle, à deux pas de Voltaire et pendant la vogue de l’abbé Raynal, annonce, encore mieux que Le Jeune d’Olban et que les Élégies, combien Ramond appartient d’avance à un mouvement réparateur et à une inspiration digne des régions sereines où se passeront les plus belles heures de sa vie83. […] C’est ce sentiment, si souvent exprimé depuis, des hautes cimes et de l’allégresse intime, de la sérénité de pensée qu’on y rencontre, c’est cette sublimité naturelle et éthérée que Ramond excelle à rendre dans ces pages comme il y en avait si peu à cette date dans notre langue. […] Je me rappelle que j’avais sur ces hauteurs des idées et des sentiments que j’aurais peut être exprimés alors, mais que maintenant je serais non seulement dans l’impossibilité d’exprimer, mais incapable de me retracer avec quelque force.

160. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, — Antiquité et Moyen Âge — Par M. J. Zeller. »

Le titre complet de l’ouvrage, et qui en exprime l’idée, est celui-ci : Discours sur l’Histoire universelle à Monseigneur le Dauphin, pour expliquer la suite de la Religion et les changements des Empires. […] Son sujet, dans sa simplicité même, est double : il s’agit de présenter et de fixer dans la mémoire deux suites, celle de la Religion et celle des Empires : « Et comme la Religion et le Gouvernement politique sont les deux points sur lesquels roulent les choses humaines, voir ce qui regarde ces choses renfermé dans un abrégé et en découvrir par ce moyen tout l’ordre et toute la suite, c’est comprendre dans sa pensée tout ce qu’il y a de grand parmi les hommes et tenir, pour ainsi dire, le fil de toutes les affaires de l’univers. » Jamais prétention plus haute ne fut plus magnifiquement et plus simplement exprimée : c’est celle, ni plus ni moins, d’un vicaire de Dieu dans l’histoire. […] Si cette première partie était tout l’ouvrage, il y aurait certes un regret à exprimer pour une sévérité si grande et si rigoureusement observée. […] Il ne se peut de pages plus frappantes dans cet ordre de croyance, de paroles plus étonnantes et plus souveraines dans leur affirmation que celles par lesquelles Bossuet nous exprime et nous figure comme il l’entend le Dieu de Moïse, qui est le Dieu de Polyeucte, le Dieu d’Athalie, le Dieu d’Eslher, tel que l’ont défini dans leur émulation pieuse ces génies de poètes religieux ; mais la définition de Bossuet reste la plus marquante et la plus haute. […] Ceux qui ont le plus étudié et le mieux pénétré le caractère des poésies sacrées et des cantiques des Hébreux, les Lowth, les Herder, n’ont rien dit que Bossuet n’ait exprimé avant eux d’une parole pleine et sommaire.

161. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — II »

C’est là une délicate question, sur laquelle on ne peut exprimer que des conjectures : j’ai hasardé la mienne ; elle n’a rien d’irrévérent pour le génie de Racine. […] Les derniers sentiments exprimés dans cette pièce ne furent point étrangers à l’âme de Racine. […] Il traite ses confidentes sur le même pied que ses reines ; Arcas s’exprime tout aussi majestueusement qu’Agamemnon. […] Le style de Racine convient à ravir au genre de drame qu’il exprime, et nous offre un composé parfait des mêmes qualités heureuses. […] Mais en général il me paroît, jusque dans sa prose, ne parler point assez simplement pour exprimer toutes les passions. » Il faut se souvenir que l’auteur de cet étrange jugement avait la manière d’écrire la plus antipathique à Molière qui se puisse imaginer.

162. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Hippolyte Babou »

III Il y a en tout six nouvelles dans le recueil, et ce qui les relie entre elles et leur donne l’unité d’un livre, c’est précisément cet indélébile paganisme qu’elles expriment à travers les formes d’une société et d’une civilisation chrétiennes. […] À la tête des nouvelles de Babou se trouve une préface dont la verve, l’entrain, le mouvement, rappellent Diderot (le rappellent trop peut-être), mais qui justifient ce que nous venons d’exprimer. […] VI Est-il inconséquent, ce titre : Lettres satiriques et critiques 28, qui s’atténue lui-même après s’être très bien exprimé ! […] Ce mot de critique, qui a je ne sais quoi de doctrinal, de péremptoire et de placide, se marie mal, selon moi, à cette notion qu’exprime le mot satirique, lequel implique que le blâme va plus loin que le point où s’arrêterait la justice. […] … Qu’on lui ôte sa tendance très exprimée, mais très vague, au spiritualisme qu’avait aussi le sceptique Voltaire ; qu’on lui ôte ces attractions encyclopédiques qui allaient jusqu’à devenir des facultés chez Voltaire l’universel, et que restera-t-il à Babou, le satirique et non le critique ?

163. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VII : Théorie de la raison par M. Cousin »

Et il faut bien qu’elles rentrent dans la règle générale, puisque le sens unique et toute la force du verbe être est d’exprimer que l’attribut est enfermé dans le sujet. […] Dans les hautes mathématiques, on l’exprime, on le met en équation, on compare ses diverses formes, on le calcule, on s’en joue. […] — De sorte que vous n’avez contemplé ni un être infini, ni une intelligence infinie, mais simplement des quantités exprimées par des chiffres, et leurs propriétés isolées, par abstraction ? […] De plus, sa grandeur continue à trois dimensions se confond absolument avec celle des corps, qu’on appelle étendue : ce qu’on exprime en disant que les corps occupent l’espace. […] Ce qu’on exprime dans le langage ordinaire, en disant qu’entre les parties de l’espace pur il n’y a aucune différence.

164. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre IX. Du rapport des mots et des choses. — Ses conséquences pour l’invention »

Taine, exprime la qualité commune à toutes les espèces d’arbres, peupliers, chênes, cyprès, bouleaux, etc. » Nulle image n’y correspond : comment dessiner l’arbre, qui ne soit qu’arbre, c’est-à-dire quelque chose qui soit à la fois peuplier et chêne, sans être ni un peuplier ni un chêne ? […] L’impossibilité est plus grande encore pour les termes purement abstraits, et non généraux ni collectifs, qui expriment des qualités, des manières d’être, tous les accidents possibles de la substance.

165. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Redonnel, Paul (1860-1935) »

Je salue en deux sortes de poèmes une sincérité égale : dans les uns, le poète, ému de sa merveilleuse diversité, exprime avec fougue ou en souriant chacun de ses aspects, chacun de ses moments, se réjouissant surtout à ce qu’il y a d’extrême en lui. […] Étrange et admirable conception où s’expriment à la fois les besoins latins de clarté et les inquiétudes orientales ou hercyniennes d’infini ; ici, c’est d’en bas que vient la lumière.

166. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 548-551

Nous conviendrons cependant qu’ils ne sont pas sans mérite ; ils annoncent une étude réfléchie de l’Ecriture & des Peres, la connoissance des hommes & des mœurs nationales, sur-tout le talent de s’exprimer avec autant de correction que de noblesse & de facilité ; nous ajouterons qu’ils ne sont pas défigurés par ces raisonnemens subtils ou entortillés, ces idées bizarres ou communes, ces tours pénibles, ces expressions recherchées, qui caractérisent la plupart des Prédicateurs modernes : mais il faut avouer aussi que ce n’est point assez pour soutenir la réputation glorieuse qu’ils lui avoient acquise dans la Chaire. […] Cet Orateur prouve assez bien les vérités qu’il avance, ses raisonnemens sont assez suivis, ses pensées assez souvent lumineuses & toujours assez bien exprimées ; mais il ne touche, il ne remue, il n’est vraiment éloquent que par intervalles, & les intervalles sont très-longs, si ce n’est dans le Discours sur l’aumône, où il se montre souvent sensible & pathétique, toujours noble & quelquefois sublime.

167. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre III. De la signification de la vie. L’ordre de la nature et la forme de l’intelligence. »

Pourtant cette complication et cette extension ne représentent rien de positif : elles expriment une déficience du vouloir. […] C’est cette tendance toute négative qu’expriment les lois particulières du monde physique. […] Difficultés et illusions tiennent d’ordinaire à ce qu’on accepte comme définitive une manière de s’exprimer essentiellement provisoire. […] Mais le second m’est indifférent ici, je ne m’intéresse qu’au premier, et j’exprime la présence du second en fonction du premier, au lieu de l’exprimer, pour ainsi dire, en fonction d’elle-même, en disant que c’est du désordre. […] La loi de conservation de l’énergie exprimerait bien que quelque chose se conserve en quantité constante.

168. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ULRIC GUTTINGUER. — Arthur, roman ; 1836. — » pp. 397-422

Guttinguer, vraie nature délicate et poétique, a été jusqu’ici fort apprécié de ses amis ; et, quoique nous pensions depuis longtemps de lui ce que nous allons en écrire, nous ne l’aurions peut-être jamais exprimé publiquement sans l’occasion de ce roman d’Arthur, de peur d’un semblant de complaisance. […] Nodier, Hugo, de Vigny, l’appréciaient comme un de ces confrères choisis qui nous sont à eux seuls un public aimé, comme un de ces trouvères heureux qui sentent toujours, qui expriment quelquefois. […] Ce héros, qui n’était autre qu’Arthur, qu’Ulric lui-même, s’exprimait ainsi dans le prélude du récit de cette passion dernière qui l’allait envahir, mais qui se dérobait encore comme sous un léger rideau de saules, au bord de son beau fleuve normand : « L’avouerai-je pourtant ? […] Je trouve, dans les poésies que je laissais échapper alors, une pièce qui me paraît exprimer à merveille cette situation de mon âme, et que, pour cela, je veux placer ici : STANCES. […] Dans les beaux jours, tout est bien ; mais on oublie souvent comment cela est venu ; le mot de nature semble exprimer tout ; mais, aux jours mêlés de l’automne, on voit avec reconnaissance et un intérêt qui améliore le cœur, ce qu’il en coûte à l’homme pour rendre la terre riante et féconde.

169. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XI. La littérature et la vie mondaine » pp. 273-292

On mettra en honneur celui urbanité devenu nécessaire pour exprimer le raffinement des mœurs. […] A la fin du siècle dernier et même au commencement de celui-ci, les poètes se croyaient encore obligés de recourir aux périphrases les plus vagues ou les plus bizarres pour exprimer les choses de la vie familière. […] Le jeune Eliacin s’exprime avec une aisance et une sûreté qu’on n’eût pas attendues d’un âge si tendre. […] « Oui, Monsieur, s’écrie Voltaire, un soldat peut répondre ainsi dans un corps de garde, mais non pas sur le théâtre, devant les premières personnes d’une nation, qui s’expriment noblement et devant qui il faut s’exprimer de même. » En vertu de ce système, s’agit-il de rendre un détail familier, mais nécessaire ; vite la périphrase académique accourt à la rescousse. […] Le dimanche même, c’est, paraît-il, une chose terrible à exprimer en style noble.

170. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Première partie. Écoles et manifestes » pp. 13-41

Ils ne veulent pas chanter l’homme en ses symboles, ils veulent l’exprimer en ses pensées, en ses sensations, en ses sentiments. […] Il ne s’agit pas, comprenez-moi bien, de fonder une école, mais d’exprimer une idée en une formule commode, et qui soit le moins inadéquate possible. […] Intégralisme s’explique ainsi : exprimer la vie en fonction de la vie universelle. » En réalité ce n’était pas, comme on l’a cru, une poésie scientifique, mais une sorte d’intégration, et non de synthèse, l’aboutissement de l’harmonie universelle. Enfin de compte, les théories exprimées par M.  […] Que l’inquiétude de la pensée ne nous empêche pas de nous réjouir si Mme de Noailles exprime mieux que d’autres la violence de sa sensation.

171. (1920) Action, n° 4, juillet 1920, Extraits

Ce n’est guère un récit que je tente, c’est plutôt une confession votive que j’exhale, un regret que j’exprime à l’illustre disparu, ou, suivant la parole charmante de la Duchesse de Clermont-Tonnerre, à propos de Remy de Gourmont, un « tardif envoi de pleurs »c que je lui fais. […] Les aviateurs futuristes sont on train de créer aujourd’hui une nouvelle forme d’art qui exprimera, moyennant le vol, les états d’âme les plus complexes. […] Les renversements alternés à droite et à gauche indiquent nonchalance étourdie, et les longs vols planés expriment la nostalgie et la fatigue. […] ACTION accepte la collaboration de quiconque veut exprimer librement sa pensée, à condition que notre titre soit justifié, notre dessein étant de rester hors les écoles, les tendances et les opinions, afin de réaliser une œuvre dépassant l’actualité. […] Il s’exprime à ce sujet dans Paris-Journal, le 14 septembre 1911.

172. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « L’obligation morale »

La société, immanente à chacun de ses membres, a des exigences qui, grandes ou petites, n’en expriment pas moins chacune le tout de sa vitalité. […] Que la musique exprime la joie, la tristesse, la pitié, la sympathie, nous sommes à chaque instant ce qu’elle exprime. […] L’œuvre géniale est le plus souvent sortie d’une émotion unique en son genre, qu’on eût crue inexprimable, et qui a voulu s’exprimer. […] Métaphysique et morale expriment la même chose, l’une en termes d’intelligence, l’autre en termes de volonté ; et les deux expressions sont acceptées ensemble dès qu’on s’est donné la chose à exprimer. […] La religion exprime cette vérité à sa manière en disant que c’est en Dieu que nous aimons les autres hommes.

173. (1890) Le massacre des amazones pp. 2-265

Car cette éphémère directrice de théâtre fut toujours cabotine, ne permit guère à ses douleurs les plus senties de s’exprimer spontanément. […] Comment dire, en effet, la beauté changeante de ce sourire qui n’exprime que nuances fines et ténues ? […] Le vers ne retrouve jamais sa grâce fraîche de 1860 ; mais il exprime parfois des sentiments sincères et intéressants. […] Nul ne connut Paris mieux que cet Italien et ne l’exprima avec un amour plus élégant. […] Vauvenargues, qui mourut jeune, employa ce moyen jeune et bégayant pour exprimer son âme noble et délicate.

174. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IX. De l’esprit général de la littérature chez les modernes » pp. 215-227

Les modernes connaissant d’autres rapports et d’autres liens, ont pu seuls exprimer ce sentiment de prédilection qui intéresse la destinée de toute la vie aux sentiments de l’amour. […] Le seul avantage des écrivains des derniers siècles sur les anciens, dans les ouvrages d’imagination, c’est le talent d’exprimer une sensibilité plus délicate, et de varier les situations et les caractères par la connaissance du cœur humain. […] L’impression de ce genre de style pourrait se comparer à l’effet que produit la révélation d’un grand secret ; il vous semble aussi que beaucoup de pensées ont précédé la pensée qu’on vous exprime, que chaque idée se rapporte à des méditations profondes, et qu’un mot vous permet tout à coup de porter vos regards dans les régions immenses que le génie a parcourues.

175. (1897) L’empirisme rationaliste de Taine et les sciences morales

Entre la sensation, où est donné le concret, l’individuel, et l’idée, qui exprime le général, il y a une solution de continuité. […] Une philosophie autonome, où le sujet s’exprime le plus adéquatement possible, sera la science véritable. […] Même la forme littéraire sous laquelle il exprimait sa pensée ne lui permettait pas une élaboration très approfondie.

176. (1902) La poésie nouvelle

On y trouve plus d’idées, indiquées brièvement, que n’en ont exprimé tant de gens de lettres notoires dans les vingt-cinq volumes qu’ils ressassèrent. […] Comme l’Inconscient est la seule réalité, le rôle de l’art ne peut être que d’exprimer l’Inconscient. […] j’y suis déjà bien habituée)‌ A te suivre jusqu’à ce que tu te retournes,‌ Et alors t’exprimer comment tu es ! […] Ils n’expriment rien, en somme, que d’assez simple, et au moyen d’analogies peu compliquées. […] Son vers est absolument libre et il l’adapte, avec beaucoup d’art, à la pensée qu’il lui veut faire exprimer.

177. (1898) La poésie lyrique en France au XIXe siècle

Victor Hugo vient donc d’exprimer son idée une fois. […] Comment est-ce que le poète va s’y prendre pour nous exprimer cette idée. […] Et voici comment il exprime cette idée. […] La musique ne peut pas exprimer une idée. […] L’orgue, — j’emprunte toutes ces définitions à un livre de théorie sur la poésie décadente, — l’orgue exprime la monotonie, le doute et la simplesse ; la harpe exprime la sérénité ; le violon, la passion et la prière ; la trompette, la gloire et l’ovation ; la flûte exprime l’ingénuité et le sourire.

178. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Werther. Correspondance de Goethe et de Kestner, traduite par M. L. Poley » pp. 289-315

La préméditation, d’ailleurs, n’était pas aussi nette pour lui dans le moment même qu’elle lui a paru depuis et qu’il nous l’a exprimé lorsqu’il y est revenu avec la supériorité du critique contemplateur dans ses mémoires. […] si tu pouvais exprimer ce que tu éprouves ! […] Werther une fois fait, et même à mesure qu’il le conçoit et le compose, Goethe retrouve sa sérénité ; il a triomphé de ses sentiments puisqu’il les a magnifiquement exprimés. […] Voilà pour l’auteur. — Mais les lecteurs, au contraire (je parle des premiers lecteurs, de ceux de 1774), qui trouvent dans le prodigieux petit livre tous leurs sentiments, jusque-là confus, exprimés au vif et en traits de feu, s’y prennent, ne s’en détachent plus, passent, sans s’en apercevoir, du Werther-Goethe au Werther-Jérusalem, et sont ainsi conduits, par cette contagion du talent et de l’exemple, à l’idée du suicide. […] C’est le second point de vue ; et, tel qu’il nous est exprimé par Goethe, on conviendra qu’il ne se présente ni sans beauté, ni sans grandeur.

179. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite et fin.) »

Je remarque, au milieu de ces récits animés, deux passages qui expriment l’opinion d’Horace Vernet sur la critique qui, pendant ce temps-là, était à l’œuvre et le traitait assez mal en France. […] Il essaya d’exprimer, dans un tableau qui sort tout à fait de son genre et de sa gamme habituelle, les tristes visions dont il était obsédé : c’est une espèce de satire allégorique de la république et des fléaux ou des menaces de 1848, socialisme, choléra-morbus. […] Je viens d’avoir, à ce sujet, une longue conversation avec X… ; nous sommes convenus ensemble que c’était là la véritable humilité… » La suite de la correspondance entretenue avec cette même amie, et dont j’ai sous les yeux de nombreux extraits, fournirait bien des pensées semblables qu’on ne s’attendrait nullement à voir exprimées sous sa plume. […] Je serais ingrat si je n’exprimais ici mes remerciements à M.  […] Le vœu que j’exprimais au commencement de ces articles a été rempli, et plus tôt que je ne l’espérais.

180. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre deuxième »

Il en avait sans doute appris l’art dans les écrits des Grecs, où cette variété des pensées et des tours qui les expriment ce mélange d’expressions de tous les ordres, est une des grâces inimitables du génie grec. […] Cette langue merveilleuse ne se guinde pas pour exprimer de hautes pensées ; et, de même qu’elle ne s’étonne point quand elle devient éloquente, elle ne croit pas déroger quand elle exprime des idées familières. […] Les mots s’élèvent au niveau des choses on ne sent, dans le discours, ni l’effort pour orner ce qui ne doit pas être orné, ni l’embarras d’une langue rustique qui exprimerait gauchement des pensées polies. […] Il est vrai qu’il y a telles pensées populaires, telles vérités proverbiales, qui, exprimées en perfection dès la première fois ne peuvent pas être remaniées et remises pour ainsi dire au creuset. […] Oui, s’il est vrai qu’il ait eu, dans les lettres, le don du génie, qui est d’exprimer des vérités générales dans un langage définitif ; oui, si l’on ne veut voir dans son ouvrage que ces créations qui sont des vérités générales sous la forme de personnages qui vivent, et qui ont un nom immortel parmi les hommes.

181. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre V. Le Bovarysme des collectivités : sa forme idéologique »

Aucune de ces idées n’aurait pu être formulée, si elle ne s’était exprimée tout d’abord en des actes et en des croyances, comme l’effet de la sensibilité de quelque collectivité humaine particulière. […] Elle s’exprime en l’idéal humanitaire, succédané de la fraternité chrétienne et qui se donne pour une vérité d’ordre général. […] Si l’on considère que la croyance est pour l’homme sa réalité la plus immédiate, il apparaît que les formes générales et impératives — dogme religieux, loi écrite, et coutume, — où la croyance s’exprime, sont pour les peuples animés de cette croyance des attitudes de première utilité. […] Elle conserve longtemps l’avantage, et, c’est seulement peu à peu, par de lentes et sournoises modifications, qu’une croyance nouvelle parvient à s’exprimer et à organiser à son profit la vie sociale : et de celle-ci, le triomphe est si tardif qu’il marque peut-être le moment où elle entre déjà en contradiction avec la croyance du lendemain. […] Les révolutions survinrent : elles furent précisément la lutte entre une attitude d’utilité nouvelle, exprimant des besoins immédiats, et la croyance idéologique qui, sous une apparence sacrée, n’exprimait rien de plus que des besoins anciens.

182. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Séverin, Fernand (1867-1931) »

Albert Giraud Le meilleur poète français de la Wallonie, le seul qui eût exprimé dans une forme classique la sensibilité de sa race et l’âme de son pays. […] Fernand Séverin font souvenir de ceux de Racine et de Shelley, de Chénier et de Keats et quelquefois de ceux de Lamartine ; mais, comme la déplorable bien que judicieuse manière de comparer une œuvre peinte à une œuvre écrite prévaut quelquefois et exprime d’une façon plus exacte les beautés qui les caractérisent, il nous semblerait donner une idée des poèmes de M. 

183. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Lamartine »

Mais je suis comme ces amoureux qui, pour être trop pleins de leur objet, ne peuvent plus du tout exprimer leur amour. […] Il est (Racine mis à part) le premier et est resté, je crois, le seul de nos grands poètes qui ait profondément ressenti et exprimé cet amour-là. […] Cette belle philosophie platonicienne qui fait de l’univers un système de symboles ascendants, Lamartine l’exprime par des mots et des images qui toujours, toujours montent. […] Lamartine, lui, l’exprime sans effort, ou plutôt il le « chante », il l’exhale, il l’épanche en paroles splendides, et qui semblent involontaires. […] Le cantique de Lamartine exprime, avec une splendeur devant quoi tout pâlit, une idée analogue.

184. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Note I. De l’acquisition du langage chez les enfants et dans l’espèce humaine » pp. 357-395

Dès la septième semaine, il fut clair pour moi que ces sons exprimaient des émotions intelligentes, l’étonnement, la curiosité, l’attente, et qu’ils étaient analogues aux exclamations qu’une personne expansive, un enfant de trois ans profère involontairement en pareilles circonstances. […] Une fois même, à ce propos, pour exprimer à la fois la similitude et la différence des deux objets, il a dit lune-papier. — L’aptitude aux idées générales est tout à fait développée, et en effet, pendant ce mois (le vingt et unième mois), il apprend, comprend, répète et même associe tout d’un coup quantité de mots nouveaux. […] Nous n’entendons pas, par langue rationnelle, une langue possédant des termes aussi abstraits que blancheur, bonté, avoir, être, mais toute langue dans laquelle les mots les : plus concrets eux-mêmes sont fondés sur des concepts généraux, et dérivés de racines qui expriment concepts généraux. […] Quelque trait détaché fut saisi comme la caractéristique d’un objet ou d’une classe d’objets ; une rapine se trouva là pour exprimer le trait » ; une base pronominale s’y ajouta, puis des suffixes s’y accolèrent, y apportant la précision, et les distinctions. […] « Si nous avons un mot pour père et un mot pour mère, alors, pour exprimer le concept de parents, nous pouvons réunir les deux mots.

185. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Banville, Théodore de (1823-1891) »

Vous avez montré, selon moi, dans les Odes funambulesques, un mérite plus rare et plus imprévu, mérite singulier que je ne puis exprimer suffisamment que par des comparaisons très singulières. […] Mais j’en reviens toujours là : la poésie ne me plaît au théâtre que si elle a les qualités exigées pour le théâtre, si elle est en situation, si elle exprime des sentiments qui touchent, si elle va au cœur. […] Théodore de Banville est un poète lyrique hypnotisé par la rime, le dernier venu, le plus amusé et dans ses bons jours le plus amusant des romantiques, un clown en poésie qui a eu dans sa vie plusieurs idées, dont la plus persistante a été de n’exprimer aucune idée dans ses vers… M.  […] Emmanuel Signoret Théodore de Banville exprima un peu de cette jeunesse des choses que regrettait si amèrement Baudelaire et vers qui s’élança toujours son cœur pesant, ulcéré et gonflé de tendresse.

186. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre II. De la métaphysique poétique » pp. 108-124

Or, comme en pareille circonstance, il est dans la nature de l’esprit humain d’attribuer au phénomène qui le frappe, ce qu’il trouve en lui-même, ces premiers hommes, dont toute l’existence était alors dans l’énergie des forces corporelles, et qui exprimaient la violence extrême de leurs passions par des murmures et des hurlements, se figurèrent le ciel comme un grand corps animé, et l’appelèrent Jupiter43. […] Ces peuples, durent être tous poètes, puisque la sagesse poétique commença par cette métaphysique poétique qui contemple Dieu dans l’attribut de sa Providence, et les premiers hommes s’appelèrent poètes théologiens, c’est-à-dire sages qui entendent le langage des dieux, exprimé par les auspices de Jupiter. […] Avec l’idée d’un Jupiter, auquel ils attribuèrent bientôt une Providence, naquit le droit, jus, appelé ious par les Latins, et par les anciens Grecs Δίαιον, céleste, du mot Διός ; les Latins dirent également sub dio, et sub jove pour exprimer sous le ciel. […] Les Romains disaient aussi templa cœli, pour exprimer la région du ciel désigné par les augures pour prendre les auspices ; et par dérivation, templum signifia tout lieu découvert où la vue ne rencontre point d’obstacle ( neptunia templa , la mer dans Virgile). — Les anciens Germains, selon Tacite, adoraient leurs Dieux dans des lieux sacrés qu’il appelle lucos et nemora , ce qui indique sans doute des clairières dans l’épaisseur des bois.

187. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIe entretien. Phidias, par Louis de Ronchaud (2e partie) » pp. 241-331

J’ai dit que tous les arts étaient littéraires, parce que l’objet de tous les arts était d’exprimer des pensées ou de communiquer des sensations. […] Nous disons style, et aucun mot n’exprime plus justement l’analogie de la plume avec le ciseau. […] Mais Canova avait fait ce miracle, d’exprimer la beauté morale du repentir dépouillée des formes, et c’était encore de la beauté. […] Müller, qu’une sorte d’écriture destinée à raconter des faits et à exprimer des idées, sans aucune pensée esthétique. […] Il faut à la fois savoir regarder, sentir et exprimer : et exprimer comment ?

188. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse sociologique »

En musique, de même, les admirateurs d’une symphonie doivent être capables de ressentir les émotions que celle-ci exprime et posséder en outre cette tendance à percevoir les sentiments dans leur mode auditif, sans laquelle on ne compose pas. […] Or, nous avons vu que l’œuvre d’art est tout d’abord le signe de son auteur, que les caractères de l’une expriment ceux de l’organisation mentale de l’autre. […] Cette foule l’entoure parce qu’il l’exprime ; elle existe parce qu’il a paru ; le centre de force est dans l’artiste et non dans la masse, ou plutôt le centre de force est dans le caractère abstrait de ressemblance qui peut exister entre un artiste et ses contemporains. […] En d’autres termes, la série des œuvres populaires d’un groupe donné, écrit l’histoire intellectuelle de ce groupe, une littérature exprime une nation, non parce que celle-ci l’a produite, mais parce que celle-ci l’a adoptée et admirée, s’y est complue et reconnue. […] Frédéric Muller (Allgemeine Ethnologie) s’exprime de même.

189. (1890) L’avenir de la science « XV » pp. 296-320

Quel tableau, enfin, de l’esprit humain vaut celui que fournit l’étude comparée des procédés par lesquels les races diverses ont exprimé les nexes différents de la pensée ? […] Jamais l’homme réfléchi ne se met à combiner arbitrairement des sons pour désigner une idée nouvelle, ni à créer une forme grammaticale pour exprimer un nexe nouveau. […] À vrai dire, ces cultes méritent à peine le nom de religions ; l’idée de révélation en est profondément absente ; c’est le naturalisme pur, exprimé dans un poétique symbolisme. […] Exigez donc aussi un texte semblable pour prouver que l’artillerie n’était pas connue aux temps homériques, et, en général, pour tous les résultats de la critique exprimés sous forme de négation. […] La plupart des jugements et des proverbes populaires sont de cette espèce et expriment un fait vrai compliqué d’une cause fictive.

190. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — III. (Fin.) » pp. 479-496

Il voulait qu’on osât voir et sentir, qu’on se permît toutes les grandes et naturelles impressions, et qu’on ne résistât point à les exprimer. […] On sent tout ce qu’a d’original ce double sentiment, exprimé ici, du peintre et du savant, de l’observateur et de l’amant de la nature. […] Les Observations faites dans les Pyrénées, en paraissant en 1789, portaient bien d’ailleurs l’empreinte de cette date ; c’est un livre jeune, en ce sens que l’auteur y déborde encore et exprime volontiers, chemin faisant, ses opinions sur tout sujet civil ou politique, philosophique ou philanthropique. […] Ainsi, lors du brusque renvoi de M. de Narbonne, ministre de la Guerre, Ramond, organe du parti constitutionnel, se chargea, dans la séance du 10 mars 1792, d’exprimer le mécontentement de ses amis, et il alla jusqu’à proposer de déclarer que le ministère, tel qu’il restait composé, n’avait plus la confiance de la nation. […] [NdA] Nous espérons bien que ce n’est pas ici un vœu stérile que nous exprimons.

191. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Le Poëme des champs par M. Calemard de Lafayette. »

Doué d’une harmonie pleine et d’un vaste pinceau, en possession d’une sorte de sérénité et d’impassibilité native ou acquise, désoccupé ou guéri de passions pour lui-même, il voyage à travers le monde de l’histoire et les diverses contrées, il revêt indifféremment et presque également bien les formes les plus diverses ; il exprime avec vigueur et relief les manifestations les plus variées de l’histoire, de la nature et de la vie. […] » Chez celui-ci, en effet, l’homme avant tout a souffert, et toute sa poésie l’exprime ; il a la fibre vibrante. […] Lerambert, homme distingué, des plus instruits, formé dès l’enfance aux meilleures études, initié à la littérature anglaise (il a, pendant quelques années, habité l’Angleterre), a exprimé dans un volume de Poésies 36 des sentiments personnels vrais et délicats, entremêlés d’imitations bien choisies de poëtes étrangers. […] On en jugera par la scène du bain de Léda et par les jeux, si habilement exprimés, auxquels se livrent ses compagnes en nageant près d’elle : LEDA. […] Dans sa vie de montagnes, le poëte a dû plus d’une fois vérifier la pensée exprimée dans deux autres sonnets de Wordsworth, lorsque le soir, du haut d’un mont, on voit le couchant figurer, avec ses nuées fantastiques, mille visions lointaines, et que cependant on se dit, en redescendant par le sentier déjà sombre, que ces jeux du ciel ne sont rien en eux-mêmes auprès des nobles et durables pensées qu’on possède en soi et qui nous ouvrent le ciel invisible.

192. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVI » pp. 413-441

Nous avons vu plus haut qu’en 1673, à l’époque de la mort de Molière, les trois amis qui lui survécurent avaient déjà arrêté le cours de leur fécondité, et qu’ils avaient exprimé, par un long silence, l’étonnement de ce qui se passait, le besoin d’étudier, d’observer, de suivre le changement qui s’opérait dans les mœurs de la haute société. […] Encore est-il plus sage de s’en tenir au doute qu’exprime M.  […] sur deux lettres de madame de Sévigné où elle met en parallèle Corneille avec Racine, et peut-être encore sur une autre lettre où elle s’exprime peu favorablement sur la nomination de Racine et de Boileau à la place d’historiographes de France en 1675. […] L’actrice qui excellait à l’exprimer sur la scène, et qui passait même pour l’inspirer à l’auteur, était la Champmeslé, comédienne excellente, mais courtisane dangereuse qui avait séduit le jeune Sévigné, dont elle dérangeait la fortune, en donnant des soupers où Racine et Boileau se trouvaient. […] Quant à la manière dont madame de Sévigné s’est exprimée dans une lettre confidentielle à son cousin sur la nomination de Racine et de Boileau à la place d’historiens, Voltaire était plus capable que personne den sentir la justesse ; Racine et Boileau eux-mêmes, en mettant la main sur la conscience, n’auraient pu la trouver injuste.

193. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — III. (Suite et fin.) » pp. 128-145

Je ne sais pas si j’exprime bien ce que je veux dire. […] Pour exprimer l’idée qu’il se faisait de son rôle dans la presse, et la ligne originale de conduite qu’il aurait voulu se tracer à ce moment, je citerai encore un fragment d’une de ses lettres adressées à l’un de ses collaborateurs d’alors, qui avait parlé de lui dans la Revue des deux mondes (15 février 1833) : Je vous sais, disait-il, un gré infini d’avoir deviné et si bien exprimé ma double prétention d’être un homme politique en dehors de la hiérarchie, malgré la hiérarchie, et un journaliste de quelque influence sans être homme de lettres, ni savant, ni historien breveté, ni quoi que ce soit qui tienne à quelque chose. […] Je sens plus que personne que, depuis le licenciement de la force brutale, notre politique n’a plus l’importance qu’elle avait lorsqu’elle n’exprimait que l’emportement, les passions et l’audace du parti ; nous dépendons encore du procès d’avril ; quand il sera terminé, nous aurons un système de guerre tout nouveau à suivre… Mais l’attentat de Fieschi éclatait quelques mois après ; les lois de Septembre s’ensuivaient, et la nouvelle ligne de politique projetée par Carrel s’ajournait indéfiniment. […] La dernière fois que je le vis, c’était en 1834 : après avoir touché quelques-uns des inconvénients croissants de sa situation, avoir exprimé son regret de ne pouvoir revenir aux grandes études d’histoire, il ajouta ces seuls mots : « Vous êtes bien heureux, vous !

194. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIII : De la méthode »

La présence de l’air et l’élévation du mercure ; la présence de la chaleur et la dilatation de la barre ; la présence du fer entouré d’air humide et la naissance de la rouille : dans tous ces cas, le premier fait étant donné, le second devient nécessaire, ce qu’on exprime en disant que le premier a la force de produire le second. […] Et pour cela, nous avons pris un moyen simple : nous avons ramené les noms compliqués et généraux aux cas particuliers et singuliers qui les suscitent ; en réunissant plusieurs exemples, nous avons démêlé et détaché la circonstance commune qu’ils désignent ; nous les avons réduits à exprimer cette circonstance. […] Le mot digestion n’exprime pas à présent un fait plus distinct que tout à l’heure ; il exprime un fait plus complexe. […] Le dehors exprime le dedans, l’histoire manifeste la psychologie, le visage révèle l’âme.

195. (1923) Les dates et les œuvres. Symbolisme et poésie scientifique

Ainsi s’exprimaient-ils innocemment en la « Nouvelle Rive Gauche ». […] Il est à remarquer que, sans que l’on puisse discerner son vrai sentiment, Mallarmé exprime de l’entente avec la « Wallonie » quelque mécontentement. […] Faut-il voir là peut-être le principe encore vague des tendances de Mallarmé à vouloir s’exprimer par le Théâtre ? […] Et, comme toute idée est une constatation du divin et par conséquent d’essence religieuse, le Vers l’exprimait, musical et rythmé. […] Il nous a dit les acteurs permanents de son drame, et non ce qu’ils devaient exprimer.

196. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome II pp. 1-419

Toute la difficulté consiste à choisir les traits caractéristiques de l’idée qu’on veut exprimer. […] Supposez Pétrarque né sous l’empire du polythéisme, et les sentiments exprimés dans ses œuvres italiennes ne se comprennent plus. […] Bulwer expriment clairement les prétentions et les espérances de l’auteur. […] Il n’est permis qu’aux ignorants de mettre, sur la même ligne, les idées ébauchées et les idées complètement exprimées. […] Augier, ce n’est donc pas avec la prétention d’exprimer une opinion définitive.

197. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Appendice » pp. 511-516

La commission, tout en reconnaissant les qualités heureuses d’un talent fait pour être encouragé dans l’étude de la comédie franche, qu’il n’a qu’effleurée cette fois sans assez creuser les caractères, n’a donc pu, et elle le regrette, monsieur le ministre, exprimer une conclusion positive en faveur de l’ouvrage. […] En considérant de plus près les termes de l’arrêté du 12 octobre 1851, il a semblé par moments à la commission que les circonstances sociales, très différentes d’alors, dans lesquelles nous vivons, permettraient peut-être aujourd’hui d’exprimer un conseil autre et de parler un langage différent. […] La commission, en terminant un travail qui, cette année comme la précédente, est resté sans fruit, ne se hasarderait pas toutefois à exprimer ce vœu, monsieur le ministre, si elle ne sentait qu’elle va en cela au-devant de vos désirs, et si elle ne confiait l’idée à votre goût.

198. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — V »

Le pouvoir d’arrêt qu’il exprime, ce pouvoir d’arrêt qui évoque, hors de l’indéfini et de l’instable, qui fixe et matérialise, sous le regard de l’intelligence, quelque état du mouvement, ce pouvoir se représente en croyance. […] Que l’on mette en cause une conception de l’ordre moral, politique, social ou religieux, il ne s’agit plus de la comparer avec un modèle idéologique d’une valeur présumée absolue, dont on sait maintenant l’origine arbitraire, avec une idée divinisée de vérité ou de justice, dont on connaît qu’elle n’exprime autre chose qu’un état de sensibilité particulier et propre à un temps donné. […] *** Dans tous ces cas la vérité se montre un principe arbitraire qui s’exprime dans la croyance qu’elle inspire et dont la vertu consiste à contredire une force contraire qui lui résiste.

199. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Henri Rochefort » pp. 269-279

Comme les balles, elles sont dures, rapides, cassant tout très net sur leur passage, et le chalumeau d’où elles sortent ressemble beaucoup au tube de fer d’un pistolet… Henri Rochefort a, dans l’esprit, les qualités de son nom, qui exprime deux fois la force. […] Lisez son livre, et voyez si déjà, dans ce jeune homme d’hier, il n’y a pas assez de pénétration, assez de profondeur prématurée, assez de mépris admirablement exprimé, pour arriver très vite à cet état de l’âme dont les hommes ont fait une fatalité, — la misanthropie. […] Il y a un passage dans son livre où l’auteur des Français de la décadence se moque, comme il sait se moquer (à tort ou à raison, ce n’est pas la question), des percements de rue qui ont lieu à Paris en ce moment ; et, pour exprimer les ironiques inquiétudes que lui causent tous ces percements de rues nouvelles (pages 290 et suivantes), non seulement il parle avec effroi d’une rue qui traverserait les tableaux du Titien et de Raphaël : Les Noces de Cana et La Belle Jardinière, lesquels sont actuellement au Louvre, mais encore d’une « autre rue, qui traverserait à son tour, d’outre en outre, les deux pots de réséda posés sur sa fenêtre, et qui continuerait jusqu’à son lit de plumes, en passant sur sa table de nuit ».

200. (1805) Mélanges littéraires [posth.]

Donc toutes les fois que par la nature du sujet qu’on traite, on n’a point à exprimer ces nuances, et qu’on n’a besoin que du sens général, chacun de ces synonymes peut être indifféremment employé. […] ou du moins pourquoi l’employer ailleurs que dans le ch, qu’on ferait peut-être mieux d’exprimer par un seul caractère ? […] Pourquoi ces mêmes vers ont-ils ensuite été employés à exprimer les sentiments d’une âme contente ? serait-ce que cette même forme, ou du moins le vers pentamètre qui y entre, aurait une sorte de légèreté et de facilité propres à exprimer la joie ? […] Le soin froid et étudié-que l’orateur se donnerait pour exprimer une pareille émotion, ne servirait qu’à l’affaiblir en lui, à l’éteindre même, ou peut-être à prouver qu’il ne la ressentait pas.

201. (1923) Paul Valéry

Il n’y avait aucune nécessité à ce qu’il s’exprimât en vers, à ce qu’il s’exprimât dans une langue plutôt que dans une autre, à ce qu’il écrivît ceci plutôt que cela, simplement à ce qu’il écrivît. […] Valéry s’exprimait dans la langue des vers parce qu’il croyait la connaître mieux que les autres langues. […] Bergson, tout en s’ignorant réciproquement, paraissent exprimer en deux langages une intuition analogue. […] Des génies qui ne se sont pas exprimés, comment les saurait-on, comment eux-mêmes se sauraient-ils génies ? […] Dans l’ode romantique que veut exprimer le poète ?

202. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « La doctrine symboliste » pp. 115-119

« Elles exprimeront le sujet par correspondance. […] Le symbole étant défini : une figure, une image, qui exprime une chose purement morale.

203. (1878) La poésie scientifique au XIXe siècle. Revue des deux mondes pp. 511-537

Sa langue si pure, si habile, si nuancée, quand il reste dans les sujets antiques ou dans ceux qui n’ont pas d’âge, ceux que fournit le cœur humain, éternel dans ses douleurs, dans ses passions et ses joies, cette même langue s’embarrasse et se trouble dès qu’elle touche à des idées scientifiques ou à des pensées modernes que le vers français n’était peut-être pas encore en état de soutenir et d’exprimer. […] Il veut par exemple, pour exprimer sa tentative poétique, Seul et loin de tout bord, intrépide et flottant. […] Mais aussitôt et dans la suite du même morceau, voici le langage mythologique qui recommence, précisément pour exprimer le vœu que la mythologie soit chassée de la poésie. […] Le doute d’Alfred de Musset est poétique parce qu’il peut s’exprimer ainsi : « Je voudrais croire et je ne puis » ; mais nous sommes en défiance des effets poétiques de cet état d’esprit où le poète se dit à lui-même : « Sachons ignorer. » J’admire cette résignation et cette prudence philosophiques ; c’est peut-être le dernier résultat de l’analyse et de la logique, ce n’est pas là matière à poésie. […] Plus les sujets étaient difficiles, plus il convenait que le poète gardât toute sa liberté pour les exprimer.

204. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juillet 1886. »

La musique, dit-on, ne doit pas peindre, mais exprimer des sentiments ; et l’on fait pour le prouver de beaux raisonnements. […] La seconde loi de la vie, et de l’art qui l’exprime, est le passage constant d’un état plus simple, relativement homogène, à un état plus complexe d’hétérogénéité. […] Mais ces chansons exprimaient des émotions réelles, des émotions simples et naïves, cependant plus fines que celles des peuples antérieurs30. […] Bach avait créé la musique moderne : il lui avait donné les émotions qu’elle devait exprimer, et la langue où elle les devait exprimer. […] Ne sait-il pas exprimer les conceptions les plus hautes, les plus philosophiques, autant que les émotions exquises et charmantes ?

205. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 septembre 1886. »

Toutefois, et même en les symphonies, la tâche de Beethoven (je n’ai point à mentionner ici les émotions qu’il a exprimées) demeure tout admirable. […] Ainsi les œuvres orchestrales de Beethoven, au contraire des sonates et quatuors, expriment toujours des états très généraux, revivent l’âme de foules, non d’individus choisis. […] L’adjonction aux sons des paroles, ce n’était nullement une survenue de l’art littéraire dans la musique ; car les paroles, toutes destinées à être chantées, n’exprimaient point des notions précises, elles dirigeaient seulement l’émotion, indiquant sa nature exacte. […] Un opéra de Gluck, au contraire, et sans rien exprimer d’autre, sinon des émotions, — nous indique, au moyen des paroles, la situation de l’âme émue, et ce qui l’émeut. […] Schumann fut un inquiet : ses romans, d’une prétentieuse simpletterie, occupent les doigts et les larynx, des pâles jeunes femmes ; mais point davantage en ses œuvres sérieuses il n’a exprimé une émotion réelle.

206. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Instruction générale sur l’exécution du plan d’études des lycées, adressée à MM. les recteurs, par M. Fortoul, ministre de l’Instruction publique » pp. 271-288

Jouissez-en, faites en jouir ceux qui vous entourent, si vous excellez à les exprimer ; mais ne les imposez point là où ils sont hors de leur sphère, et lorsque surtout il n’est point question de les étouffer, mais seulement d’y adjoindre ce qui est la loi du temps. […] Il avait l’habitude de s’exprimer à ce sujet sous la forme, à lui si familière, de l’apologue, et il disait : Il y a dans l’humanité un inexplicable préjugé en faveur des anciennes coutumes et habitudes, qui dispose à les continuer même après que les circonstances qui les avaient rendues utiles ont cessé d’exister. […] Franklin tenait tant à cette idée, qu’il l’exprimait toutes les fois que l’occasion s’en présentait, en variant légèrement son apologue48. […] [NdA] C’est à propos de l’Académie de Philadelphie dont il était l’un des principaux fondateurs, et qui avait dévié de sa destination première en admettant dans une trop forte proportion l’enseignement du grec et du latin, que Franklin dans sa vieillesse exprimait de la sorte son opposition à l’envahissement prolongé des langues savantes et à la part disproportionnée qu’elles prenaient dans l’éducation de ceux qui devaient avoir, toute leur vie, autre chose à faire. […] Les habitudes les plus futiles et les plus inutiles ont d’immenses racines dans le passé, et, quoique de prime abord il semble qu’il suffise d’un souffle pour les détruire, elles résistent souvent et aux convulsions des sociétés, et aux efforts d’un grand homme. » Cette opinion personnelle du prince, qu’on vient de voir si formellement exprimée, étant telle et si en accord avec celle de Franklin, il est plus facile encore d’apprécier la haute impartialité que le même prince devenu empereur, et pouvant tout, a apportée dans la solution pratique, et combien il s’est montré l’homme de son nouveau rôle et de sa destinée, publique, lorsque, dans l’œuvre de conciliation, il a laissé faire une si large part à l’opinion opposée.

207. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite et fin.) »

Que de judicieuses et fines remarques, éternellement vraies, je recueille en le lisant, et comme elles sont exprimées dans, une forme brève, concise, élégante, et une fois pour toutes ! […] Il y eut peut-être un moment où Virgile jeune, dans l’orgueil de ses vastes pensées, méditant une œuvre plus immortelle que Rome elle-même, se croyait au-dessus des lois de la critique et dédaignait de rien puiser qu’à la source directe de la nature ; mais quand il eut tout bien examiné des deux parts, il trouva que la nature et Homère, ce n’était qu’un. » Certes la poésie des seconds âges, des âges polis et adoucis, n’a jamais été mieux exprimée par un exemple. […] « Le véritable esprit (ou talent), c’est la nature, — la nature mise à son avantage ; ce qui a été souvent pensé, mais ce qui n’avait jamais été encore exprimé si bien ; quelque chose dont la vérité nous trouve convaincus déjà à première vue, qui nous rend une certaine image que nous avions dans l’esprit. » Il est pour le choix, il n’est pas pour le trop, pas même pour le trop d’esprit ou de talent : « Une œuvre peut pécher par le trop d’esprit, comme le corps peut périr par excès de sang23. » Toutes ces vérités délicates sont rendues chez Pope en vers élégants et en bien moins de mots que je n’en mets ici ; car autant que de Malherbe on peut dire de lui : D’un mot mis en sa place enseigna le pouvoir. […] Mêlé aux hommes de parti, aux tories, aux whigs, très lié avec les premiers, il n’épousa vivement aucune querelle ; il a exprimé sa doctrine dans des vers célèbres : « Laisse les fous se disputer pour les formes de gouvernement : l’État le mieux administré est le meilleur. » C’est ainsi que, plus tard, Hume le sceptique dira en appliquant des vers de Claudien : … Nunquam libertas gratior exstat Quam sub rege pio…………… « La meilleure des républiques, c’est encore un bon prince. » — Pope a parlé de Cromwell comme d’un criminel illustre condamne a l’immortalité. […] Taine nous entretenait l’autre jour27, — occupés, dis-je, à rechercher uniquement et scrupuleusement la vérité dans de vieux livres, dans des textes ingrats ou par des expériences difficiles ; des hommes qui voués à la culture de leur entendement, se sevrant de toute autre passion, attentifs aux lois générales du monde et de l’univers, et puisque dans cet univers la nature est vivante aussi bien que l’histoire, attentifs nécessairement dès lors à écouter et à étudier dans les parties par où elle se manifeste à eux la pensée et l’âme du monde ; des hommes qui sont stoïciens par le cœur, qui cherchent à pratiquer le bien, à faire et à penser le mieux et le plus exactement qu’ils peuvent, même sans l’attrait futur d’une récompense individuelle, mais qui se trouvent satisfaits et contents de se sentir en règle avec eux-mêmes, en accord et en harmonie avec l’ordre général, comme l’a si bien exprimé le divin Marc-Aurèle en son temps et comme le sentait Spinosa aussi ; — ces hommes-là, je vous le demande (et en dehors de tout symbole particulier, de toute profession de foi philosophique), convient-il donc de les flétrir au préalable d’une appellation odieuse, de les écarter à ce titre, ou du moins de ne les tolérer que comme on tolère et l’on amnistie par grâce des errants et des coupables reconnus ; n’ont-ils pas enfin gagné chez nous leur place et leur coin au soleil ; n’ont-ils pas droit, ô généreux Éclectiques que je me plais à comparer avec eux, vous dont tout le monde sait le parfait désintéressement moral habituel et la perpétuelle grandeur d’âme sous l’œil de Dieu, d’être traités au moins sur le même pied que vous et honorés à l’égal des vôtres pour la pureté de leur doctrine, pour la droiture de leurs intentions et l’innocence de leur vie ?

208. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — I. » pp. 186-205

Il fit ses études au collège des Oratoriens à Marseille ; et, s’il fallait choisir un élève qui exprimât dans son beau cette forme d’éducation qu’on recevait à l’Oratoire, libre, fleurie, variée, assez philosophique et moralement décente, on ne pourrait citer un meilleur exemple que celui de Barthélemy. […] Elle réfléchissait dans un âge où l’on commence à peine à penser… L’abbé Barthélemy a peint en mainte occasion Mme de Choiseul ; il l’a placée, elle et son mari, sous les noms de Phédime et d’Arsame dans le Voyage du jeune Anacharsis : « Phédime discerne d’un coup d’œil les différents rapports d’un objet ; d’un seul mot, elle sait les exprimer. […] Voulant montrer que, parmi les différentes sortes d’esprits, celui de saillie et de légèreté est le plus opposé à l’amitié : Elle s’accommoderait mieux, ajoute-t-il, de cet esprit fin et délicat qui semble ne s’exprimer que pour plaire, et qui laisse entrevoir plus qu’il n’exprime. […] Un des amis de Walpole, le général Conway, était venu en France, et, malgré le désir qu’on en avait exprimé de sa part, il n’avait pu réussir à faire la connaissance du duc et de la duchesse de Choiseul, qui s’y étaient peu prêtés : Quoique les Choiseul, écrit Walpole, se tiennent à distance de vous, j’espère que leur abbé Barthélemy n’est point soumis à la même quarantaine.

209. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Joséphin Soulary »

Cela veut dire que, pour rimer, il faut chercher la rime, que, pour faire des vers, il faut observer la mesure, et que, ni la rime ni le rythme ne se présentant d’eux-mêmes, il faut quelquefois, pour exprimer une idée en vers, y employer d’autres mots que pour l’exprimer en prose. […] Il y a toujours, dans une strophe ou dans une phrase poétique, un ou plusieurs vers qui expriment ce qui devait être dit ; et, tout autour, des vers qui traduisent des idées, des sentiments, des images accessoires et qu’on pourrait à la rigueur remplacer par d’autres. Ce sont donc, si l’on veut, des chevilles ; mais elles peuvent être agréables et sembler naturelles ; car, étant donnée la rime du vers qui exprime l’idée nécessaire, le vocabulaire est assez riche et les désinences des mots sont assez variées pour qu’il soit toujours possible de rendre, dans un vers de rime pareille, quelque idée dépendante et voisine.

210. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre II. La relativité complète »

Le langage exprimera le fait en disant que A se meut, ou que c’est B. […] Or, si tout mouvement rectiligne et non accéléré est évidemment relatif, si donc, aux yeux de la science, la voie est aussi bien en mouvement par rapport au train que le train par rapport à la voie, le savant n’en dira pas moins que la voie est immobile ; il parlera comme tout le monde quand il n’aura pas intérêt à s’exprimer autrement. […] Cette introduction n’était que cette élimination même ; elle exprimait la nécessité où se trouve l’intelligence humaine d’étudier la réalité partie par partie, impuissante qu’elle est à former tout d’un coup une conception à la fois synthétique et analytique de l’ensemble. […] Bref, tant que nous ne parlons que d’une continuité qualifiée et qualitativement modifiée, telle que l’étendue colorée et changeant de couleur, nous exprimons immédiatement, sans convention humaine interposée, ce que nous apercevons : nous n’avons aucune raison de supposer que nous ne soyons pas ici en présence de la réalité même.

211. (1874) Premiers lundis. Tome II « E. Lerminier. De l’influence de la philosophie du xviiie  siècle sur la législation et la sociabilité du xixe . »

Lerminier qu’alimente sans cesse une forte et courageuse étude, a pourtant à se garder de quelques écarts auxquels ne sont exposés d’ailleurs que les grands talents instinctifs, orateurs ou poètes, les talents porte-foudre, si l’on peut s’exprimer ainsi. […] Lerminier et qui est excessif pour exprimer la simple préférence accordée aux applications historiques et philosophiques ; ce mot-là outre-passe à coup sûr sa pensée, et nous voyons avec reconnaissance et comme en expiation le nom d’André Chénier cité en dix endroits du même ouvrage. […] Lerminier, c’est que ce livre nous ayant paru le meilleur, le plus ferme et le mieux exprimé de ceux qu’il a produits jusqu’ici, nous avons cru le moment propice à quelques conseils que notre admiration pour la rare faculté de l’auteur et notre confiance en son avenir feront peut-être agréer de lui, mais que du moins il nous pardonnera.

212. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 5, explication de plusieurs endroits du sixiéme chapitre de la poëtique d’Aristote. Du chant des vers latins ou du carmen » pp. 84-102

Ainsi celui qui battoit la mesure sur le théatre, étoit astreint à marquer les temps de la declamation, suivant la figure des vers qu’on recitoit, comme il pressoit ou rallentissoit le mouvement de cette mesure, suivant le sens exprimé dans ces mêmes vers, c’est-à-dire, suivant les principes qu’enseignoit l’art rithmique. […] C’étoit du choix des pieds qu’avoit fait le poëte, par rapport au sujet exprimé dans ses vers, que naissoit la beauté ou la convenance de la mesure, et par conséquent celle du rithme. […] Il devoit y avoir des modes qui convinssent mieux que d’autres modes à l’expression de certaines passions, comme il y a des modes dans notre musique plus propres que d’autres à les bien exprimer.

213. (1912) L’art de lire « Chapitre VI. Les écrivains obscurs »

Il en est qui sont obscurs naturellement, spontanément, très loyalement, sans artifice ; qui sont capables, ce qui est une chose encore que je n’ai jamais comprise, d’exprimer par des mots, de mettre sur le papier, une pensée qui n’est pas devenue nette dans leur esprit ; pour qui la parole ou l’écriture n’est pas un instrument d’analyse ; pour qui la parole ou l’écriture n’est pas une épreuve qui force à se rendre compte de ce qu’on pense ; qui, en un mot, peuvent exprimer ce qu’ils ne conçoivent pas. […] Que l’auteur puisse gagner cela d’attirer et embesogner à soi la postérité, ce que non seulement la suffisance [la capacité] mais autant ou plus la faveur fortuite de la matière peut gagner, qu’au demeurant il se présente, par bêtise ou par finesse, un peu obscurément et diversement, ne lui chaille : nombre d’esprits, le blutant et secouant, en exprimeront quantité de formes, ou selon, ou à côté, ou au contraire de la sienne, qui lui feront toutes honneur, et il se verra enrichi des moyens de ses disciples, comme les régents du lendit.

214. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Rome et la Judée »

Les plus grands artistes n’ont qu’un sentiment, qu’ils répètent sans cesse, qu’ils expriment toujours ! […] III Et d’abord il n’a pas de vue générale bien distincte ni d’unité de composition ; l’idée qu’il exprime, il la bégaye. […] Or, « si j’écoute l’opinion d’autrui, — disait Goethe avec un bon sens suprême, — il faut qu’elle soit exprimée d’une manière positive, car j’ai bien assez d’opinions problématiques en moi ».

215. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre IV. Trois espèces de jugements. — Corollaire relatif au duel et aux représailles. — Trois périodes dans l’histoire des mœurs et de la jurisprudence » pp. 309-320

Les Latins exprimaient cette idée par le verbe mactare, dont on se servait toujours dans les sacrifices, comme d’un terme consacré. […] Des jugements divins resta ce qu’on appelait la religion des paroles, religio verborum ; généralement les choses divines sont exprimées par des formules consacrées dans lesquelles on ne peut changer une lettre ; aussi dans les anciennes formules de la jurisprudence romaine, imitée des formules sacrées, on disait : une virgule de moins, la cause est perdue ; qui cadit virgulâ, caussâ cadit. […] Mais la preuve la plus forte en faveur de notre explication du droit héroïque, c’est qu’à Athènes, lorsqu’on prononça sur le théâtre le vers d’Euripide, ainsi traduit par Cicéron, Juravi linguâ, mentem injuratam habui, J’ai juré seulement de la bouche, ma conscience n’a pas juré, Les spectateurs furent scandalisés et murmurèrent ; on voit qu’ils partageaient l’opinion exprimée dans les douze tables : uti linguâ nuncupassit, ita jus esto .

216. (1883) Essais sur la littérature anglaise pp. 1-364

Il entre une forte dose de pédantisme dans la manière dont ce peuple exprime sa satisfaction nationale. […] Ce patriotisme pourrait à bon droit s’appeler parfois de l’insolence, s’il n’était exprimé avec une naïveté qui désarme. […] Taine est le résultat d’une lune de miel littéraire ; j’insiste sur ce mot et sur l’idée qu’il exprime. […] L’Église anglicane ne les avait-elle pas exprimées avant lui et ne devait-elle pas les soutenir après lui pendant plus d’un siècle ? […] Qu’on nous pardonne la bizarrerie de nos paroles, mais c’est à peu près ainsi que Shakespeare se serait exprimé s’il avait voulu décrire la forme de son génie ; c’est à peu près ainsi qu’il s’exprime lui-même, et nous ne saurions mieux rendre les impressions qu’il nous donne qu’en imitant son propre langage.

217. (1903) La pensée et le mouvant

La durée s’exprime toujours en étendue. […] Comparaisons et métaphores suggéreront ici ce qu’on n’arrivera pas à exprimer. […] C’est elle que le langage continue à exprimer. […] Analyser consiste donc à exprimer une chose en fonction de ce qui n’est pas elle. […] Comment exprimer ce sentiment ?

218. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 47, quels vers sont les plus propres à être mis en musique » pp. 479-483

Nous avons dit en parlant de la poësie du stile qu’elle devoit exprimer avec des termes simples les sentimens, mais qu’elle devoit nous présenter tous les autres objets dont elle parle sous des images et des peintures. […] La nature fournit elle-même, pour ainsi dire, les chants propres à exprimer les sentimens.

219. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. de Fontanes »

Je n’invente pas : M. de Fontanes le nourrissait en son cœur et l’a exprimé en plus d’un endroit. […] Il faut exprimer et chanter, sous la loi du rhythme, des lois célestes que la prose, dans sa liberté, n’embrasse déjà qu’avec peine. […] Dans ses vers, si les griefs exprimés contre Bonaparte restèrent secrets, les éloges, prodigués tout à côté, ne devinrent pas publics. […] On le voit exprimer en maint endroit le peu de cas qu’il faisait de la littérature qui l’environnait. […] Ceux qui avaient toujours présent le discours de 1808 au Corps législatif, ceux qui, en dernier lieu, partageaient les sentiments de résistance exprimés concurremment par M. 

220. (1926) La poésie pure. Éclaircissements pp. 9-166

— Tout ce qui, dans un poème, occupe ou peut occuper immédiatement nos activités de surface, raison, imagination, sensibilité ; tout ce que le poète nous semble avoir voulu exprimer, a exprimé, en effet ; tout ce que nous disons qu’il nous suggère ; tout ce que l’analyse du grammairien ou du philosophe dégage de ce poème, tout ce qu’une traduction en conserve. […] D’où je conclus, non pas qu’il est désirable qu’un vers ne signifie rien, mais simplement que, ce qui rend un vers poétique, ce n’est pas le sens qu’il exprime. […] Elle ne s’exprime au dehors que par des efforts généreux vers la sainteté. […] La fin de cette lettre désolée nous dit leur pauvre secret : cette peur du « bateau », si j’ose encore m’exprimer ainsi. […] Ou encore : pas de poésie qui puisse, pour s’exprimer, se passer de mots.

221. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Première série

Sully-Prudhomme n’exprime que des cas choisis de cette maladie, ceux qui ne sauraient affecter que des âmes raffinées. […] L’amour de la patrie est un sentiment qu’il est odieux de ne pas éprouver et ridicule d’exprimer d’une certaine façon. […] Il me paraît cependant que l’idée en pouvait être exprimée plus fortement. […] C’est qu’on exprime par elle, non pas le premier moment de la perception, mais le dernier. […] Il s’exprime absolument comme au coin du feu avec des « Oh ! 

222. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre VI. La Mère. — Andromaque. »

L’antiquité ne parle pas de la sorte, car elle n’imite que les sentiments naturels : or, les sentiments exprimés dans ces vers de Racine ne sont point purement dans la nature ; ils contredisent au contraire la voix du cœur. […] À la vérité, l’Andromaque moderne s’exprime à peu près comme Virgile sur les aïeux d’Astyanax.

223. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIIe entretien. Balzac et ses œuvres (3e partie) » pp. 433-527

Mais la pauvre Victorine, au lieu de se joindre à leurs malédictions, faisait entendre de douces paroles, alors semblables au chant du ramier blessé et dont le cri de douleur exprime encore l’amour. […] me dit mon hôte en lisant dans mes yeux l’un de ces pétillants désirs toujours si naïvement exprimés à mon âge, vous sentez de loin une jolie femme comme un chien flaire le gibier. […] « Je puis vous crayonner les traits principaux qui partout eussent signalé la comtesse aux regards ; mais le dessin le plus correct, la couleur la plus chaude n’en exprimeraient rien encore. […] Son air exprimait une simplesse, jointe à je ne sais quoi d’interdit et de songeur qui ramenait à elle comme le peintre ramène à la figure où son génie a traduit un monde de sentiments. Ses qualités visibles ne peuvent d’ailleurs s’exprimer que par des comparaisons.

224. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre huitième »

Mozart me fait revivre tous mes jours ; il me rend mes joies d’autrefois sans leur emportement, et mes plaisirs sans leur lendemain ; il me donne une langue pour exprimer les choses qui se dérobent aux langues parlées ; il fait de la mélancolie, que dissipe ou aigrit la réflexion exprimée par des paroles, un état de l’âme délicieux qu’on voudrait voir durer toujours. […] Elle sent : elle s’exprime par des mouvements. […] Le théâtre, chez un peuple civilisé, n’est pas fait pour donner aux savants le plaisir d’apprécier l’exactitude d’un pastiche de l’antique, mais pour exprimer des sentiments généraux dans la langue et selon le génie de ce peuple. […] Nous donnons le prix à celui qui a su exprimer l’idéal dans la personne d’une femme. […] Si c’est ainsi que nos filles sentent et s’expriment, j’en suis bien fier pour la France, puisqu’elle a inspiré à l’un de ses plus grands poètes les plus nobles types de la jeune fille.

225. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IV. De la philosophie et de l’éloquence des Grecs » pp. 120-134

Les opinions stoïciennes n’unissaient point la sensibilité à la morale ; la littérature des peuples du Nord n’avait point encore fait aimer les images sombres ; le genre humain n’avait pas encore atteint, s’il est permis de s’exprimer ainsi, l’âge de la mélancolie ; l’homme luttant contre les souffrances de l’âme, ne leur opposait que la force, et non cette résignation sensible, qui n’étouffe point la peine et ne rougit point des regrets. […] Le mouvement que Démosthène exprime le plus souvent, c’est l’indignation que lui inspirent les Athéniens ; cette colère contre le peuple, assez naturelle peut-être dans une démocratie, revient sans cesse dans les discours de Démosthène. […] Ce qu’on peut remarquer en général dans les orateurs grecs, c’est qu’ils ne se servent que d’un petit nombre d’idées principales, soit qu’on ne puisse frapper le peuple qu’avec peu d’arguments exprimés fortement et longtemps développés, soit que les harangues des Grecs eussent le même défaut que leur littérature, l’uniformité.

226. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre X. L’antinomie juridique » pp. 209-222

Auguste Comte a bien exprimé l’antinomie entre ces deux façons d’entendre le droit quand il a prononcé sa fameuse condamnation du droit individuel : « L’idée du droit, dit-il, est fausse autant qu’immorale, parce qu’elle suppose l’individualité absolue. » Auguste Comte veut dire que l’idée du droit individuel est une idée antisociale parce qu’elle est un principe au nom duquel l’individu se tient en état de révolte virtuelle constante contre tout ordre social, en état de mécontentement virtuel à l’endroit de toute législation existante. — Et sans doute ces deux idées du droit : l’idée du droit social et celle du droit individuel ont des points de contact et réagissent l’une sur l’autre. […] Ce dogmatisme juridique s’exprime naïvement dans l’article IV du Code civil qui enjoint au juge de juger coûte que coûte : « Le juge qui refusera de juger sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice. » Ainsi, en tout état de cause, la décision juridique doit être tenue pour bonne et elle doit l’être parce que, quelle qu’elle soit, elle vaut mieux pour l’ordre social que l’absence de jugement qui laisserait se perpétuer un débat et une cause de trouble. […] Elle oppose le droit individuel au droit social ; le sentiment de la justice, tel qu’il s’exprime dans la conscience de l’individu à l’idée de la justice considérée du point de vue social, idée qui se ramène à celle du maintien de l’ordre ; l’idée d’individualité à l’idée de loi.

227. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre III. L’analyse externe d’une œuvre littéraire » pp. 48-55

Il existe des œuvres où l’auteur exprime directement ses émotions, ses idées, ses tendances. […] Il en est d’autres, où, au lieu d’exprimer en son nom ce qu’il pense, ce qu’il sent, ce qu’il désire, il prend pour intermédiaires des personnages qu’il fait parler et agir et derrière lesquels il semble parfois s’effacer et disparaître. […] Elle doit porter sur les idées, les sentiments, les tendances des personnages mis en scène ; elle est en ce sens interne ; mais, comme ces personnages sont ou bien créés de toutes pièces par l’auteur ou en tout cas interprétés et en une certaine mesure formés ou déformés par lui, comme ils servent de la sorte à exprimer la nature même et les conceptions particulières de l’auteur, l’analyse est en ce sens-là externe.

228. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 24-41

Sans nommer le briquet & la pierre à fusil, l’Auteur du Lutrin les a très-justement exprimés : Et du sein d’un caillou, qu’il frappe au même instant, Il fait jaillir un feu qui pétille en sortant. La poudre à canon, & les canons eux-mêmes, ne sont-ils pas moins bien exprimés dans ces Vers du même Poëte ? […] Faites un Poëme sur la Peinture, l’Agriculture, la Déclamation, l’Art de la Chasse, l’Art de la Guerre, &c. ; ayez un génie vraiment poétique, & vous saurez ennoblir chaque terme pour exprimer chaque objet ; & vous traiterez les choses les plus difficiles d’une maniere aussi claire que poétique.

229. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Vte Maurice De Bonald »

Les journaux qui expriment ces espérances, et qui s’efforcent de les fomenter et de les grandir dans les esprits et dans les cœurs, n’en parleront pas. […] Or, la monarchie française ne peut pas revivre autrement qu’à la condition de reprendre ses traditions de christianisme là où elle a fait la faute et le crime tout à la fois de les abandonner… Et c’est cette pensée, qui est encore dans beaucoup d’esprits justes, mais quila cachent, pour des raisons qui veulent être plus ou moins prudentes ou qui se croient plus ou moins habiles, c’est cette pensée que Maurice de Bonald a eu le courage d’exprimer. […] Parole effroyable, mais qui, pour celui qui l’a écrite, exprime une chose plus effroyable encore et dont on ne peut donner trop d’effroi : la révolution acceptée lâchement par la royauté contre l’Église, sa mère, et contre elle-même… Et, en effet, aux yeux de ceux-là qui croient que la constitution de la monarchie française était essentiellement catholique, c’est comme si Henri IV avait pu devenir roi de France sans cesser d’être protestant… III Et pas de doute que l’auteur de la Reine Blanche, saint Louis et le comte de Chambord, n’eût été de ceux-là s’il avait vécu au xvie  siècle.

230. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre VII. Dernières preuves à l’appui de nos principes sur la marche des sociétés » pp. 342-354

Par suite, les conditions (leges) auxquelles se rendaient les villes, étaient exprimées par des formules analogues, qui se sont appelées paces (de pacio) mot qui répond à celui de pactum. […] Toutes les fictions de l’ancienne jurisprudence furent donc des vérités sous le masque, et les formules dans lesquelles s’exprimaient les lois, furent appelées carmina, à cause de la mesure précise de leurs paroles auxquelles on ne pouvait ni ajouter, ni retrancher111. […] L’intelligence consiste ici à comprendre l’intention que le législateur a exprimée dans la loi, intention que désigne le mot jus.

231. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Figurines »

Mais elle exprime des idées et des sentiments communs avec une vivacité et une fougue tout à fait surprenantes. […] Aucun écrivain ne s’est plus continûment exprimé par des métaphores, ni plus colorées, ni développées avec plus de minutie, ni plus exactes dans le dernier détail. […] Dans le moindre de ses jugements il tient compte d’une chose considérable en effet : le jugement exprimé ou supposé des morts, qui sont plus nombreux que les vivants. […] Flirt exprime avec une tranquillité terrible l’immensité de la niaiserie et du néant des mondains. […] Il exprima à sa façon l’aimable désordre de nos esprits.

232. (1890) La fin d’un art. Conclusions esthétiques sur le théâtre pp. 7-26

L’artiste sait transformer la sensation en idée ; en d’autres termes : exprimer dans une œuvre d’art l’émotion que la vie extérieure lui a communiquée. […] Mais l’artiste, par son intellectualité, qui n’est autre chose que la faculté de rendre sans déchet ce qu’il a senti, formule avec aisance, naturellement ; son esprit souple laisse déborder l’émotion qui remplit son cœur ; il crée par la surabondance de sa sensation qui se répand et s’exprime ; la sensation exprimée est l’idée, et celle-ci est toute l’œuvre d’art. […] Or, ce siècle qui, le premier et le mieux, pratique la vie en société, est aussi celui où vit le jour et atteignit la perfection l’art qui l’exprime ; complètement : le théâtre. […] La convention de l’art exprime le convenu de la vie.

233. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XX. La fin du théâtre » pp. 241-268

L’artiste sait transformer la sensation en idée ; en d’autres termes : exprimer dans une œuvre d’art l’émotion que la vie extérieure lui a communiquée. […] Mais l’artiste, par son intellectualité, qui n’est autre chose que la faculté de rendre sans déchet ce qu’il a senti, formule avec aisance, naturellement ; son esprit souple laisse déborder l’émotion qui remplit son cœur ; il crée par la surabondance de sa sensation qui se répand et s’exprime ; la sensation exprimée est l’idée, et celle-ci est toute l’œuvre d’art. […] Or, ce siècle qui, le premier et le mieux, pratique la vie en société, est aussi celui où vit le jour et atteignit la perfection l’art qui l’exprime complètement : le théâtre. […] La convention de l’art exprime le convenu de la vie.

234. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Michaud, de l’Académie française. » pp. 20-40

L’excuse de tous ces chants, notez-le bien, et le grain d’indépendance qui s’y glissait, c’était de prononcer le mot de paix et d’en exprimer le vœu. […] Comparant les jugements contradictoires qui ont été exprimés sur les croisades, il suit une voie moyenne et d’entre-deux, et s’attache à adopter ce que « tous ces jugements divers ont de modéré et de raisonnable ». […] Au point où en étaient les choses, il lui devenait également pénible, il lui semblait également périlleux d’appuyer ou de combattre. — La plupart des jeunes rédacteurs politiques que j’ai nommés sortirent de La Quotidienne à ce moment, et se rallièrent, eux, au ministère Martignac, qui exprimait alors le vœu de la France modérée. […] Michaud n’a jamais le cri, il reste dans ses nuances ; il dit ce qu’il sent, il confesse ce qu’il est, et les émotions rêveuses ou pieuses qu’il exprime nous arrivent dans une sorte de douceur et de modération d’autant plus persuasives. […] Michaud poète, j’ajouterai cette remarque que je dois à un critique moraliste de ma connaissance : « Il y a des hommes qui n’ont pas assez de poésie pour l’exprimer par le talent et pour en faire preuve dans leur jeunesse : et pourtant cette poésie n’est pas entièrement perdue pour eux.

235. (1868) Curiosités esthétiques « VI. De l’essence du rire » pp. 359-387

Le rire et la douleur s’expriment par les organes où résident le commandement et la science du bien ou du mal : les yeux et la bouche. […] Quelquefois elle est presque invisible ; d’autres fois, elle s’exprime par les pleurs. […] Et toutes choses s’exprimaient ainsi dans cette singulière pièce, avec emportement ; c’était le vertige de l’hyperbole. Pierrot passe devant une femme qui lave le carreau de sa porte : après lui avoir dévalisé les poches, il veut faire passer dans les siennes l’éponge, le balai, le baquet et l’eau elle-même. — Quant à la manière dont il essayait de lui exprimer son amour, chacun peut se le figurer par les souvenirs qu’il a gardés de la contemplation des mœurs phanérogamiques des singes, dans la célèbre cage du Jardin-des-Plantes. […] Et pour en revenir à mes primitives définitions et m’exprimer plus clairement, je dis que quand Hoffmann engendre le comique absolu, il est bien vrai qu’il le sait ; mais il sait aussi que l’essence de ce comique est de paraître s’ignorer lui-même et de développer chez le spectateur, ou plutôt chez le lecteur, la joie de sa propre supériorité et la joie de la supériorité de l’homme sur la nature.

236. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre troisième »

Ces petits poëmes sont variés, parce que les incidents sont des faits réels, fidèlement observés et naïvement sentis ; et la langue en est relativement riche, parce qu’elle suffit à exprimer tout ce que pouvaient concevoir les esprits les plus ingénieux de l’époque. […] La grâce d’un bon nombre de traits n’est que dans le bégaiement de cette langue, et c’est une illusion de croire qu’une pensée est aussi près de l’âme que le mot qui l’exprime est près de sa source. […] Une faisait qu’exprimer l’opinion commune. […] La poésie ne veut plus être une profession ambulante et foraine, comme celle du joueur de luth ; elle prétend exprimer les besoins, les passions et les intérêts du genre humain. […] Il en a la qualité suprême, la mesure, le goût ; il sait n’exprimer de ses sentiments que ceux qui lui sont communs avec tout le monde, et garder pour lui ce qui n’est propre qu’à lui.

237. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XV. La littérature et les arts » pp. 364-405

Nés tous deux du langage instinctif, ils se sont attachés chacun à l’un des deux ^éléments qui le composaient ; le premier a travaillé sur les cris et les inflexions qui expriment les différents sentiments ; le second sur les sons qui sont devenus des mots exprimant des idées. […] N’est-il jamais arrivé qu’à l’imitation de la littérature elle se soit crue capable d’exprimer des idées abstraites et compliquées ? […] Elle n’accompagne pas seulement la poésie ; elle la dépasse ; elle va jusqu’où les mots n’arrivent plus ; elle peut exprimer certains paroxysmes qui défient toute notation ver baie. […] C’est le temps où les mots ogive et pyramide expriment le superlatif de l’admiration à l’égard d’un poème et l’on dirait parfois que les écrivains romantiques se piquent d’une belle émulation à l’égard des architectes. […] Il prodigue, pour exprimer ses sensations, les termes de métier empruntés à l’architecture, à l’archéologie.

238. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VIII »

On ne se donne plus la peine de rechercher où il l’a exprimée ; c’est inutile, « puisque tout le monde le sait ». […] C’est un exemple d’un autre genre de précision ; la musique se tait, et la phrase, réduite strictement à des mots qui chacun exprime une idée précise, nous donne en quatre lignes le drame entier qui se passe dans le cœur d’Isolde. […] Car, qu’on veuille bien le remarquer, il ne s’agit que d’une atténuation du sens logique des phrases ; si je puis m’exprimer ainsi, du sens logique dans les âmes de Tristan et d’Isolde. […] Car c’est précisément de ce monde « illogique » des émotions, que la musique est l’organe. « La musique, dit Wagner, exprime précisément ce que la parole ne peut exprimer, ce que la raison humaine dénomme l’Inexprimable » (IV, 218). […] Je me rencontre ici, et plus loin souvent, avec les vues exprimées récemment ici même par M. 

239. (1913) Poètes et critiques

L’idéal de ses jeunes ans, la vie errante, aventureuse, s’exprime dans tous ses écrits avec plus ou moins d’âpreté de désir. […] Avec quel tact délicat il s’exprimait d’ailleurs devant son auditoire ! […] Mais tout ce qu’il y a de dignité et de vertu dans la race suédoise n’est pas exprimé par le savoir de ses docteurs ou le pouvoir de ses artistes. […] André Bellessort s’exprime avec une sympathie poétique dont ils semblent transfigurés. […] Elle est toute psychologie ; elle sait pénétrer et exprimer les caractères.

240. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre deuxième »

Mais les tours changeront peu, parce que les tours expriment ce qu’il y a de plus original dans cet esprit, et de moins sujet au changement. […] Aux plus beaux temps de notre langue, on n’aurait pas su exprimer en moins de mots plus sentis ce lâche retour des Grecs à leur empereur rétabli sur le trône. […] Changez l’orthographe c’est une vérité de tous les temps exprimée dans un langage définitif. […] On ne s’attend guère à rencontrer, à cette date, un sentiment si vrai et si profond, exprimé avec la grâce du style de Montaigne. […] La langue de Comines n’est pas mûre, parce que toutes ces pensées dont nous le louons sont plutôt entrevues et indiquées, qu’envisagées d’une vue claire et exprimées pleinement.

241. (1890) L’avenir de la science « X » pp. 225-238

Le titre de Hegel à l’immortalité sera d’avoir le premier exprimé avec une parfaite netteté cette force vitale et en un sens personnelle, que ni Vico, ni Montesquieu n’avaient aperçue, que Herder lui-même n’avait que vaguement imaginée. […] La vraie littérature d’une époque est celle qui la peint et l’exprime 105. […] La foule lui prête la grande matière ; l’homme de génie l’exprime, et en lui donnant la forme la fait être : alors la foule, qui sent, mais ne sait point parler, se reconnaît et s’exclame. […] Une foule de choses ne peuvent s’exprimer qu’ainsi. Ce qu’on appelle psychologie, celle des Écossais par exemple, n’est qu’une façon lourde et abstraite, qui n’a nul avantage, d’exprimer ce que les esprits fins ont senti bien avant que les théoriciens ne le missent en formules.

242. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Geoffroy de Villehardouin. — II. (Fin.) » pp. 398-412

Cette pensée, si elle n’est pas exprimée aussi nettement, ressort pourtant, en bien des endroits, du récit de Villehardouin. […] sentiment du départ guerrier, cher à tous les hommes jeunes et vaillants, et à notre nation en particulier, Villehardouin est le premier qui a eu l’honneur de l’exprimer chez nous, il y a plus de six cents ans, dans sa prose simple, nue et grave. […] On n’a jamais mieux exprimé l’étonnement en face d’un grand spectacle, ni mieux embrassé par une parole naïve la largeur d’un horizon. […] Chacun ne sait-il pas, dit encore ce même historien grec rendant involontairement hommage à ceux qu’il appelle Barbares, que quand ils ont pris une ville, ils la gardent avec une vigilance qui ne se peut exprimer, que pour cela ils renoncent au repos et endurent des fatigues incroyables ?

243. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Les Chants modernes, par M. Maxime du Camp. Paris, Michel Lévy, in-8°, avec cette épigraphe. « Ni regret du passé, ni peur de l’avenir. » » pp. 3-19

Car enfin si j’énumère dans ma pensée les différents écrivains et poètes qui ne sont point sans doute les cinq hommes forts proclamés par lui, mais qui, malgré cela, ont leur place au soleil, je trouve des talents élevés et distingués qui, lorsqu’ils s’expriment en vers, veulent dire chacun quelque chose et s’attachent à rendre de leur mieux des impressions, des sentiments. […] Étudions l’antiquité comme tous les âges antérieurs au nôtre, pénétrons-nous de son esprit pour la comprendre et l’admirer dans le vrai sens ; mais tâchons dans nos œuvres d’exprimer, ne serait-ce que par un coin, l’esprit de notre siècle, de dire à notre heure ce qui n’a pas été dit encore, ou de redire, s’il le faut, les mêmes choses d’une manière et d’un accent qui ne soit qu’à nous. […] Dans ses vers à Aimée sa vieille servante, dans la pièce sur La Maison démolie, M. du Camp exprime avec cœur des sentiments affectueux ; il y porte toutefois la marque de l’imitation. […] Poète, il a du mouvement, de l’ardeur, de l’âme ; je lui voudrais un souffle plus léger ; paysagiste, il lui manque les crépuscules, les fuites, les fonds vaporeux ; il lui manque en tout une certaine douceur qui sied si bien, même aux natures énergiques, et que je ne puis mieux exprimer qu’en traduisant un délicieux sonnet de Wordsworth.

244. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. BRIZEUX (Les Ternaires, livre lyrique.) » pp. 256-275

On peut faire mieux, on peut faire autrement ; on ne remplace pas plus une pensée poétique qu’on ne remplace une âme : chaque création de ce genre, pour autant qu’elle est poétique, est unique et irréparable ; ce qui a été dit par un poëte, un autre ne le redira pas. » De nos jours, où toutes les vocations sont remuées et où tous les numéros, même incomplets, ont chance de sortir, combien ne savons-nous pas de ces âmes poétiques qui essayent de s’exprimer partout où elles sont, en province, dans le fond d’un bureau, au creux d’une vallée, au bord de leur nid enfin, et cela sans trop de manie d’imitation, sans trop de rêve de gloire, mais pour se satisfaire humblement et se suffire ! […] L’image est parfaite pour exprimer le genre de nerf, la vigueur ménagée et choisie, et un peu coquette de simplicité, dont souvent M. […] Il a exprimé au naturel ces brusques revirements dans les deux couplets qu’il intitule les Dissonances : Un soleil si chaud brûla ma figure, J’ai dû tant changer à tant voyager, Que d’un franc Romain je me crois l’allure ; Mais un vigneron à brune encolure Me dit en passant : Bonjour, étranger ! […] L’espèce d’hymne intitulée l’Aleatico, dans laquelle le barde, comme enivré de ce vin exquis, s’écrie avec délire que, s’il était le grand-duc, il en boirait dans un grand vase étrusque, me paraît exprimer assez bien la qualité de ce recueil même, l’effet sobre et chaud de plus d’une pièce savante : deux doigts de bon vin cuit dans un grand vase ciselé.

245. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Gaston Paris et la poésie française au moyen âge »

Ainsi comprises, les études communes, poursuivies avec le même esprit dans tous les pays civilisés, forment au-dessus des nationalités restreintes, diverses et trop souvent hostiles, une grande patrie qu’aucune guerre ne souille, qu’aucun conquérant ne menace, et où les âmes trouvent le refuge et l’unité que la cité de Dieu leur a donnés en d’autres temps. » Et voici une autre page où cet amour de la vérité s’exprime comme ferait la foi jalouse d’un croyant, en laisse voir les scrupules, les délicatesses, les pieuses intransigeances : … Il y a au cœur de tout homme qui aime véritablement l’étude une secrète répugnance à donner à ses travaux une application immédiate : l’utilité de la science lui paraît surtout résider dans l’élévation et dans le détachement qu’elle impose à l’esprit qui s’y livre ; il a toujours comme une terreur secrète, en indiquant, au public les résultats pratiques qu’on peut tirer de ses recherches, de leur enlever quelque chose de ce que j’appellerai leur pureté. […] Il le fait tranquillement, n’esquivant rien, n’exagérant rien, avec un désintéressement, une impartialité, une indépendance de jugement telle, que cette sorte de sacrifice ou plutôt (car il n’avait point à la sacrifier) d’oubli provisoire de la piété filiale en face de la science qui prime tout, m’a rappelé, je ne sais comment, la hauteur d’âme des vieux Romains mettant tout naturellement l’intérêt de la patrie au-dessus des affections de famille… Puis, tout à coup, après ce long, tranquille et consciencieux exposé qui n’eût point été différent s’il se fût agi d’un étranger, la voix du professeur s’altère et laisse tomber ces mots : … Moi qui vous parle, moi qui seul sais le respect et la reconnaissance que je lui dois, j’ai dû m’abstenir de les exprimer comme je les sens, autant pour être fidèle à cette modération qu’il aimait à garder en toutes choses, autant pour ne rien rire ici qui ne dût être dit par tout autre à ma place, que pour ne pas m’exposer à être envahi par une émotion trop poignante qui ne m’aurait pas laissé la liberté et la force de rendre à cette mémoire si chère et encore si présente l’hommage public auquel elle a droit. […] Il est sûr, d’autre part, que le moyen âge n’a jamais su exprimer complètement, dans des ouvrages parfaits, cette poésie qui était en lui. […] Or rien de tout cela, ou presque rien, entre la prise de Constantinople et la Révolution française… Mais ces réflexions sont d’une généralité tellement démesurée qu’elles s’évanouissent à mesure que je les exprime.

246. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VII. L’antinomie pédagogique » pp. 135-157

La doctrine que nous avons appelée ailleurs Éducationnisme 58 et qui consiste à proclamer à la fois l’omnipotence et la légitimité des influences éducatrices s’est exprimée dogmatiquement dans une abondante littérature pédagogico-sociologique. […] L’autre est un système d’idées, de sentiments, d’habitudes, qui expriment en nous, non pas notre personnalité, mais le groupe ou les groupes différents dont nous faisons partie ; telles sont les croyances religieuses, les croyances et les pratiques morales, les traditions nationales ou professionnelles, les opinions collectives de toute sorte. […] Mais il n’en reste pas moins vrai que cette unité morale est le desideratum de toute société constituée, desideratum qu’elle exprime par l’organe de ses sociologues, de ses moralistes et de ses pédagogues. […] Le plus récent représentant de la pédagogie intellectualiste, Herbert, exprime nettement ce but.

247. (1759) Observations sur l’art de traduire en général, et sur cet essai de traduction en particulier

La superstition en faveur de l’antiquité nous fait supposer que les anciens se sont toujours exprimés de la manière la plus heureuse ; notre ignorance tourne au profit du modèle et au détriment de la copie : le traducteur nous paraît toujours, non au-dessous de l’idée que l’original nous donne de lui-même, mais au-dessous de celle que nous en avons : et pour rendre la contradiction entière, nous admirons en même temps cette foule de latinistes modernes, dont la plupart, insipides dans leur propre langue, nous en imposent dans une langue qui n’est plus ; tant il est vrai qu’en fait de langues, comme en fait d’auteurs, tout ce qui est mort a grand droit à nos hommages. […] Entre les mains d’un homme de génie, chaque langue se prête sans doute à tous les styles ; elle sera, selon le sujet et l’écrivain, légère ou pathétique, naïve ou sublime ; en ce sens, les langues n’ont point de caractère qui les distingue : mais si toutes sont également propres à chaque genre d’ouvrage, elles ne le sont pas également à exprimer une même idée : c’est en quoi consiste la diversité de leur génie. Les langues, en conséquence de cette diversité, doivent avoir les unes sur les autres des avantages réciproques ; mais leurs avantages seront en général d’autant plus grands, qu’elles auront plus de variété dans les tours, de brièveté dans la construction, de licences et de richesse : cette richesse ne consiste pas à pouvoir exprimer une même idée par une abondance stérile de synonymes, mais chaque nuance d’idées par des termes différents. […] Dans les hommes de génie, les idées naissent sans efforts, et l’expression propre à les rendre naît avec elles ; exprimer d’une manière qui nous soit propre des idées qui ne sont pas à nous, c’est presque uniquement l’ouvrage de l’art, et cet art est d’autant plus grand qu’il ne doit point se laisser voir.

248. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre III. Contre-épreuve fournie par l’examen de la littérature italienne » pp. 155-182

Quand Garibaldi s’écriait : Roma o morte, il exprimait à la fois un programme héroïque et une vérité de l’histoire. […] Enfin la civilisation millénaire lui donne ce respect de la beauté, qui est une grande morale et qui s’exprime en un mot intraduisible : la gentilezza. […] D’abord elle joue un rôle moins important qu’en France dans la vie intellectuelle, qui s’exprime tout aussi aisément dans les arts plastiques et dans la musique ; elle est concurrencée aussi par une autre littérature, en langue latine, et fortement soumise aux formes, aux traditions des littératures classiques ; la forme l’emporte souvent sur le fond, d’autant plus que la liberté de l’expression est souvent limitée. […] — Il n’est pas un précurseur, comme Pétrarque ; il est tout de son époque ; mais il l’a pénétrée si profondément qu’il en a exprimé, derrière les formules particulières, le problème en ce qu’il a d’éternel et d’universel.

249. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Baudelaire.] » pp. 528-529

j’en trouverai encore de la poésie, et j’en trouverai là où nul ne s’était avisé de la cueillir et de l’exprimer. […] Je me rappelle dans quelle situation douloureuse d’esprit et d’âme j’ai fait Joseph Delorme, et je suis encore étonné, quand il m’arrive (ce qui m’arrive rarement) de rouvrir ce petit volume, de ce que j’ai osé y dire, y exprimer.

250. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXXI » pp. 323-327

On peut croire d’ailleurs que dans les jugements qu’il exprime sur les choses et sur les hommes, M. de Barante ne fait que se régler sur les opinions qu’il a trouvées exprimées dans les papiers et les notes de M. de Saint-Priest.

251. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Note »

Note Cette suite d’articles sur La Mennais exprime et accuse plus nettement qu’aucune autre l’espèce de difficulté où je me suis trouvé plus d’une fois engagé vis-à-vis de mes modèles contemporains. […] Il m’est arrivé d’exprimer d’un mot cette situation en disant : « M. de La Mennais est, à lui seul, toute une révolution dont je suis resté le girondin. » Après tout, et le premier enthousiasme exhalé, les concessions ensuite et même les complaisances épuisées à leur tour, je redevenais ce que je suis au fond, un critique.

252. (1874) Premiers lundis. Tome II « Théophile Gautier. Fortunio — La Comédie de la Mort. »

fugaces, Posthume, Posthume… ; mais, au lieu d’être exprimée sur le mode de l’inspiration antique, cette pensée prend, chez. […] Il a senti (certains de ses accents l’attestent) le mal qu’il a exprimé avec tant de violence ; l’angoisse du néant a passé par là.

253. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIV » pp. 126-174

Ce fut par la rumeur des précieuses de haut rang ou de mérite considérable, et par la nécessité où se trouva l’auteur de faire une distinction entre les précieuses, que ce mot cessa d’exprimer seul une idée déterminée. Il eut besoin d’un adjectif exprimé ou sous-entendu pour distinguer trois classes de précieuses : les précieuses ridicules ou caricatures ; les grandes précieuses ou femmes de rang, sans ridicules, mais de la coterie ; et les précieuses illustres, qui faisaient bande à part, et n’étaient l’auteur de précieuses que pour faire passer la distinction des grandes ou véritables précieuses et des précieuses ridicules. […] Mademoiselle de Montpensier s’exprime sur les mœurs des précieuses en ces termes : « Si elles sont coquettes, je n’en dirai rien, car je fais profession d’être un auteur fort véritable et point médisant ; ainsi, je ne toucherai point à ce chapitre, étant persuadée qu’il n’y a rien à en dire. […] Certes, il ne viendra dans l’esprit de personne que cela regarde la maison de Rambouillet Molière, dans la préface de la pièce, exprime positivement une intention opposée aux applications de nos biographes modernes : « Les vicieuses imitations de ce qu’il y a de plus parfait, ont été de tout temps, dit-il, la matière de la comédie ; les plus excellentes choses sont sujettes à être copiées par de mauvais singes. […] Il eut donc l’intention de laisser venir sous ses pinceaux toutes ses réminiscences et de les exprimer ; sauf à écarter les plaintes et les vengeances par des phrases de précaution, par des protestations dont personne ne serait dupe que ceux qui les auraient rendues nécessaires. » Tout cela aurait pu passer à la faveur du vague nés conjectures et surtout étant dit sur le ton modeste du doute.

254. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre V : Règles relatives à l’explication des faits sociaux »

C’est ainsi encore que les mots servent à exprimer des idées nouvelles sans que leur contexture change. […] C’est pourquoi ce qui exprime le mieux la densité dynamique d’un peuple, c’est le degré de coalescence des segments sociaux. […] Les routes, les lignes ferrées, etc., peuvent servir au mouvement des affaires plus qu’à la fusion des populations, qu’elles n’expriment alors que très imparfaitement. […] Mais, sans revenir sur les difficultés qu’implique une pareille hypothèse, en tout cas, la loi qui exprime ce développement ne saurait avoir rien de causal. […] Mais celle qu’un individu exerce sur l’autre parce qu’il est plus fort ou plus riche, surtout si cette richesse n’exprime pas sa valeur sociale, est anormale et ne peut se maintenir que par la violence.

255. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre VI. L’effort intellectuel »

C’est pourquoi nous employons simultanément ou successivement les procédés les plus divers, faisant jouer la mémoire machinale aussi bien que la mémoire intelligente, juxtaposant entre elles les images auditives, visuelles et motrices pour les retenir telles quelles à l’état brut, ou cherchant au contraire à leur substituer une idée simple qui en exprime le sens et qui permette, le cas échéant, d’en reconstituer la série. […] Beaucoup d’entre eux expriment des relations, et ne les expriment que par leur place dans l’ensemble et par leur lien avec les autres mots de la phrase. […] Et, de même, les personnages créés par le romancier et le poète réagissent sur l’idée ou le sentiment qu’ils sont destinés à exprimer. […] Exprimons cette idée en fonction de schémas et d’images ; appliquons-la sous cette nouvelle forme à l’effort corporel, celui dont s’est surtout préoccupé l’auteur ; et voyons si l’effort corporel et l’effort intellectuel ne s’éclaireraient pas ici l’un l’autre. […] Les sensations caractéristiques de l’effort intellectuel exprimeraient cette suspension et cette inquiétude mêmes.

256. (1894) Dégénérescence. Fin de siècle, le mysticisme. L’égotisme, le réalisme, le vingtième siècle

Jean Richepin, il exprime simplement l’aveu que sur ces tréteaux doit logiquement apparaître un polichinelle. […] A la pensée nébuleuse du mystique, répond sa façon indécise de s’exprimer. […] Ceux-ci éprouvèrent l’impression que Ruskin avait clairement exprimé ce qui fermentait obscurément en eux. […] Mais de même que Rossetti ne forme cette idée qu’incomplètement et vaguement, il est loin aussi de l’exprimer d’une façon aussi compréhensible que nous l’exprimons ici. […] Il n’exprime pas une aperception déterminée, mais une émotion générale de l’animal.

257. (1911) Études pp. 9-261

Il exprime la fluidité des choses en y substituant sa merveilleuse justesse décidée. […] Il fait plus que l’exprimer, il l’aide à être, à passer, à s’écouler 3. […] Et si je ne peux pas, à la dernière ligne, l’exprimer, du moins l’ai-je comprise, prise avec moi. […] À chacune il s’attache jusqu’à l’avoir exprimée complètement ; il ne la quitte pas qu’il ne l’ait épuisée. […] Les dernières mesures de Tristan expriment le déploiement immense du désespoir.

258. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vaugelas. Discours de M. Maurel, Premier avocat général, à l’audience solennelle de la Cour impériale de Chambéry. (Suite et fin.) »

Il était de l’avis d’Apulée : qu’il faut pardonner ou même applaudir à la nouveauté des termes, quand ils servent à éclaircir et à démêler les choses : « J’ai vu, dit-il, Exactitude aussi reculé que Sériosité, et depuis il est parvenu au point où nous le voyons par la constellation et le grand ascendant qu’ont tous les mots qui expriment ce que nous ne saurions, exprimer autrement, tant c’est un puissant secret en toutes choses de se rendre nécessaires ! […] La façon de questionner, quand il voulait s’éclaircir d’un doute, n’était pas indifférente : pour saisir l’usage au passage et le prendre sur le fait, il ne s’agissait pas d’aller demander de but en blanc à un courtisan ou à une femme du monde : « Comment vous exprimez-vous dans ce cas particulier ? […] Il avait donc, lui aussi, ses scrupules, mais très-arriérés, et il ne voulait pas qu’on les poussât trop loin, ni jusqu’à s’y asservir au préjudice de l’expression des pensées : « Il y en a, disait-il, qui, plutôt que d’employer une diction tant soit peu douteuse, renonceraient à la meilleure de leurs conceptions ; la crainte de dire une mauvaise parole leur fait abandonner volontairement ce qu’ils ont de meilleur dans l’esprit ; et il se trouve à la fin que, pour ne commettre point de vice, ils se sont éloignés de toute vertu. » Le fait est qu’avec le souci qu’ont perpétuellement les Vaugelas, les Pellisson, et en s’y tenant de trop près, on se retrancherait beaucoup de pensées à leur naissance, de peur d’être en peine de les exprimer. […] Si l’on récite devant vous, par exemple, le Sommeil de Booz, de Victor Hugo, quelle est la parole qui sort la première de votre bouche pour exprimer votre impression ? […] Je le lui ai assez dit quand j’avais l’honneur d’être des plus assidus et des plus habitués dans son sein, pour avoir le droit d’exprimer publiquement cette crainte aujourd’hui65.

259. (1889) Les premières armes du symbolisme pp. 5-50

Mais, autant ils mettent de vanité à rechercher des sensations inédites, autant ils apportent de soins à les exprimer dans des rythmes rares et dans une langue renouvelée. […] Théodore de Banville exprimait, il y a quelques années, le regret que Victor Hugo n’ait pas eu le courage de rendre purement et simplement à la poésie la liberté dont elle jouissait à l’âge d’or du seizième siècle. […] Enragés de délices inconnues, ils essaient d’exprimer ce qui a semblé inexprimable jusqu’à présent. […] Théodore de Banville exprimait il y a quelques années, le regret que Victor Hugo n’ait pas eu le courage de rendre purement et simplement à la poésie la liberté dont elle jouissait à l’âge d’or du seizième siècle. […] Vous exprimez le désir de savoir ce que je pense de Lycophron que vous jugez ésotérique autant que possible et suffisamment complexe.

260. (1881) La psychologie anglaise contemporaine «  M. Georges Lewes — Chapitre I : L’histoire de la philosophie »

Les lois de la conscience sortent par développement de ces modifications successives, et l’expérience est le terme général qui exprime la somme de ces modifications. […] D’ailleurs les formes énumérées par Kant sont trop peu nombreuses, pour exprimer les conditions subjectives. […] Elle exprime seulement un rapport entre nous et le feu, un effet que le feu produira sur nous. Nous entendons le tonnerre : notre sensation n’est pas une copie du phénomène ; elle exprime simplement un effet produit en nous par une certaine vibration de l’air. […] Il a aussi vu clairement et clairement exprimé que le plus grand obstacle au progrès des recherches psychologiques, c’est d’isoler l’homme de la série animale, de le considérer comme gouverné par des lois organiques toutes particulières.

261. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIX. M. Cousin » pp. 427-462

Il s’agit d’une femme, et, entre toutes les femmes, de celle-là qui, par sa naissance, ses mœurs, sa vie tout entière, son esprit et son âme, devait le moins tenter la plume brillante et sèche d’un écrivain, qui n’avait jusqu’ici exprimé que des idées et qui, sur le tard de la vie, quand le rayon divin pâlit chez les autres hommes, s’essaie à peindre des sentiments. […] C’est que, pour l’esprit, on ne peint pas seulement avec des mots qui expriment des accidents de couleur et de forme, mais avec des analogies qui remuent des mondes ! […] Mais à part la forme, et pour qui comprend le français, ces phrases aplaties et sans dents n’expriment-elles pas ce qu’exprime le cardinal de Retz d’une dent si mordante et si superbe : c’est que cette duchesse de Chevreuse était radicalement médiocre de tête et de cœur ! […] Cousin, qu’il faut citer, car nous serions embarrassé pour exprimer de telles choses, nous raconte que son premier amour fut pour lord Holland, l’ami de Buckingham, « qui lui persuada d’engager sa royale amie, la reine Anne d’Autriche, dans quelque belle passion semblable à la leur… et ce ne fut point la faute de Mme de Chevreuse, si Anne d’Autriche ne succomba pas… Buckingham était entreprenant, la surintendante (Mme de Chevreuse) fort complaisante, et la reine ne se sauva qu’à grand’peine. » Ce premier maquignonnage d’amitié résume, en un seul fait, toute la vie de Mme de Chevreuse, qu’on pourrait appeler le vice sans succès ! […] Les grandes choses de l’histoire ne sont pas engagées là-dedans, comme dans la question où, à propos de la reine Anne et de sa camériste, une préférence est exprimée entre Richelieu et ses ennemis, entre Mazarin et la Fronde, entre la politique et l’intrigue.

262. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Valentine (1832) »

Une telle différence d’impression, si tranchée et si brusque, ne paraissait-elle pas signifier que probablement le talent de l’auteur d’Indiana, ainsi que celui de tant de femmes, avait pour limites la réalité restreinte d’une situation unique ; et que, cette situation une fois exprimée, il ne fallait guère espérer en dehors, pour les excursions futures de ce talent, que d’heureuses rencontres de hasard, des traits et des coins délicatement sentis, mais point de création ni d’œuvre ? […] Mais, de là au don créateur et magique des Le Sage, des Fielding, des Prévost, des Walter Scott, il y a évidemment une distance infinie : d’un côté, le fait réel, le cas particulier, l’historien encore rempli de lui-même, qui intéresse par une reproduction animée et fidèle ; de l’autre la diversité des combinaisons, la fécondité des sentiments, tout un monde de créatures pour les revêtir et les exprimer ; la réalité à la fois transformée et partout reconnaissable ; l’univers, en un mot, et l’homme, aux mains de l’art et du génie. […] Bénédict est bien fait de sa personne ; son visage, d’une pâleur bilieuse, exprime la fierté et la distinction ; il a les lèvres minces et mobiles et un certain regard singulier qui marque une force étrange de caractère et qui fascine. 

263. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier après les funérailles »

Aucun écrivain n’était plus fait que Nodier pour représenter et pour exprimer par une définition vivante ce que c’est qu’un homme littéraire, en donnant à ce mot son acception la plus précise et la plus exquise. […] … On peut dire de cette jolie pièce mélodieuse, touchante, et dont le rhythme gracieux, mais exprès tombant et un peu affaibli, exprime à ravir un sourire déjà las, qu’elle a été le chant de cygne de Nodier : Mais reviens à la vesprée Peu parée, Bercer encor ton ami Endormi. […] Il exprimait pourtant, parfois, et de son plus fin sourire, du ton d’un Sterne attendri, combien tout cela lui paraissait presque disproportionné avec une vie qui lui semblait, à lui, avoir toujours été si incomplète et si précaire.

264. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre II. La tragédie »

La vie de société ne laisse pas aux émotions profondes de l’individu le droit de s’exprimer, et élimine de plus en plus rigoureusement par la tyrannie des formes les réalités de sentiment et d’action qui pourraient servir de modèle à la tragédie. […] Avec une conviction véritablement profonde, il essaya d’exprimer les généralités des caractères et des passions dans toutes les tragédies qu’il écrivit, si l’on excepte quelques œuvres de ses vingt dernières années, où les personnages représentent plutôt des opinions philosophiques que des êtres moraux. […] Voltaire n’eut pas tort de vouloir exprimer sa conception de la vie, du bien, de la société, par son théâtre : mais il n’eut pas le génie qu’il fallait pour traduire dramatiquement cette conception.

265. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — La synthèse »

Relisant le livre, évoquant le tableau, faisant résonnera son esprit le développement sonore de la symphonie, l’analyste, considérant ces ensembles comme tels, les restaurant entiers, les reprenant et les subissant, devra en exprimer la perception vivante qui résulte du heurt de ces centres de forces contre l’organisme humain charnel, touché, passionné et saisi. […] C’est ce groupe, ses principaux représentants, sa formation, sa durée, sa condition, ses mœurs, que la synthèse sociologique devra retrouver avec de délicats procédés d’enquête, conjecturant, décrivant, résumant, agglomérant les données les plus hétérogènes, parvenant enfin à exprimer visiblement les créatures dans lesquelles a vécu l’esprit de l’œuvre et de son auteur. […] L’on aura désigné ainsi par le dehors et le dedans, ta sorte d’Athénien, par exemple, qui s’attachait à Aristophane, et celle qui se sentait exprimée par Euripide ; le citadin de la renaissance italienne dont les goûts allaient aux peintures sévères de l’école florentine, et l’habitant de Venise qui, charmé d’abord par le colorisme des Titien et des Tintoret, versa dans les luxurieuses mythologies de leurs successeurs ; de l’habitué des concerts du dimanche à Paris qui, penché toute la semaine sur quelque besogne pratique, retrouve une fois par semaine une âme enthousiaste et grave, digne de s’émouvoir aux hautes passions d’un Beethoven, au religieux naturalisme de Wagner, au trouble de Berlioz.

266. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre neuvième. »

On a souvent imité ce morceau, et même avec succès, parce que les sentimens qu’il exprime sont cachés au fond de tous les cœurs, mais on n’a pu surpasser ni peut-être égaler La Fontaine. […] C’est-à-dire, de prolonger les souffrances de la mort : cela ne me paraît pas heureusement exprimé. […] Ce petit vers de deux syllabes exprime merveilleusement la surprise de l’avare, en voyant la place vide et son argent disparu.

267. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE STAEL » pp. 81-164

Elle subit bientôt, et, dans son livre de l’Influence des Passions, elle exprime toute la tristesse du stoïcisme vertueux en ces temps d’oppression où l’on ne peut que mourir. […] Sans nous en tenir à ce qu’elle exprime là-dessus dans ses Considérations, qu’on pourrait soupçonner d’arrangement à distance, nous ne voulons pour preuve que ses écrits de 95 à 1800, et les résultats ostensibles de ses actes. […] s’écrie Fontanes, quelle femme, digne d’inspirer ses chansons, s’est jamais exprimée de cette manière sur le peintre de l’amour et du plaisir ?  […] D’une autre part, soit hasard et oubli involontaire, soit gêne de parler à ce sujet convenablement, elle s’exprime bien rarement sur lui dans ses nombreux ouvrages. […] (Voir aussi dans la Correspondance de Steele et de Pope une lettre du 15 juillet 1712 où cette pensée est exprimée avec bien de la philosophie.)

268. (1910) Muses d’aujourd’hui. Essai de physiologie poétique

L’inspiration chez elles ne peut être séparée de leur état physiologique, dont elle exprime les diverses fluctuations périodiques. […] Mais, le plus souvent, ce que ces poétesses cherchent à exprimer, c’est la vibration immédiate de leur sensibilité, le mouvement même de leur émotion spontanée. […] Son œuvre, où s’exprime jusqu’au délire l’amour de la vie et du soleil, est cette atmosphère lumineuse, elle-même extériorisée, de l’âme du poète. […] Un vers est, avant tout, la traduction spontanée d’une sensation ; c’est comme un cri où l’inflexion de la voix exprime la nuance et le degré de l’émotion. […] Elle n’emprunte ses images à la nature que pour exprimer des états de sentiment.

269. (1884) Les problèmes de l’esthétique contemporaine pp. -257

Aussi l’art tend-il à produire des actions de même nature que celles qu’il exprime. […] Spencer en ait donnée ; elle exprime essentiellement, elle aussi, un état de volonté. […] Toute la puissance de l’orateur est dans le ton et l’accent ; c’est là aussi l’élément essentiel de l’art dramatique ; la douleur qui s’exprime par la voix nous émeut en général plus moralement que celle qui s’exprime par les traits du visage ou par les gestes. […] C’est ce qui explique l’impossibilité de bien traduire en vers une pensée déjà exprimée et en quelque sorte déjà refroidie. […] Comme s’ils pouvaient jamais avoir trop de mots pour bien choisir celui qui exprime le mieux l’idée !

270. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

Il n’est pas mal trouvé pour exprimer ce qu’il veut. […] Les Arabes n’ont pas changé. » Et remarquez-le, non seulement Horace Vernet soutenait cette immobilité, cette invariabilité de l’Orient au point de vue pittoresque du spectacle, en ce qui était du paysage et du costume ; il l’entendait aussi au point de vue moral, et il observait très ingénieusement que cette idée de fatalité qui domine les populations orientales agissait autrefois tout comme aujourd’hui, au temps de Moïse ou des prophètes comme au temps de Bonaparte, de Méhémet-Ali ou d’Jbrahim ; que la cause extérieure de l’étonnement et de la soumission machinale pouvait être diverse, mais que l’explication n’étant pas autre ni plus avancée aujourd’hui qu’il y a quarante siècles, la physionomie qui exprime l’état intérieur habituel restait la même, que le faciès, en un mot, n’avait pas changé ; et il exprimait cela très spirituellement ; « Ce matin (toujours à Damas), on nous a fait manœuvrer deux batteries d’artillerie, l’une de la garde, l’autre de la ligne. […] Il exprima à l’empereur sa première pensée qui était de faire une courte visite en France. […] … » Et comme Horace lui exprimait son désir de faire une visite en France : « L’empereur m’a dit alors, les larmes dans les yeux : « Allez, vous ferez ce qu’un galant homme doit faire ; si vous voyez le roi des Français, dites-lui bien que je partage tout son malheur ; que personne plus que moi ne peut le comprendre davantage, car je lui dois de connaître le bonheur dont vous me voyez jouir chaque jour : dites-lui tout ce qui pourra le convaincre de l’estime que j’ai pour ses grandes vertus et pour la fermeté de son caractère. » — « L’empereur me tenait la main ; nous sommes restés quelques minutes sans prononcer une parole, en proie à la plus vive émotion, et lorsque j’ai pu parler, je lui ai demandé s’il m’autorisait à répéter textuellement cette conversation.

271. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Anatole France »

Quand je cherche à être sincère, à n’exprimer que ce que j’ai éprouvé réellement, je suis épouvanté de voir combien mes impressions s’accordent peu, sur de très grands écrivains, avec les jugements traditionnels, et j’hésite à dire toute ma pensée. […] Si tel chef-d’oeuvre reconnu me choque, me blesse ou, ce qui est pis, ne me dit rien ; si, au contraire, tel livre d’aujourd’hui ou d’hier, qui n’est peut-être pas immortel, me remue jusqu’aux entrailles, me donne cette impression qu’il m’exprime tout entier et me révèle à moi-même plus intelligent que je ne pensais, irai-je me croire en faute et en prendre de l’inquiétude ? […] Tout ce qu’il exprime, il me semble que j’étais capable de l’éprouver de moi-même quelque jour. […] J’y trouve une vive intelligence de l’histoire, une sympathie abondante, une forme digne d’André Chénier ; et je doute qu’on ait jamais mieux exprimé la sécurité enfantine des âmes éprises de vie terrestre et qui se sentent à l’aise dans la nature divinisée, ni, d’autre part, l’inquiétude mystique d’où est née la religion nouvelle. […] Bonnard s’exprime dans la langue la plus pure, la mieux rythmée, la plus harmonieuse, dans une langue toute nourrie de grâce et de beauté grecques.

272. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Mme de Caylus et de ce qu’on appelle Urbanité. » pp. 56-77

Il pensait juste, s’exprimait noblement ; et ses réponses les moins préparées renfermaient en peu de mots tout ce qu’il y avait de mieux à dire selon les temps, les choses et les personnes. […] S’il était question de parler d’affaires importantes, on voyait les plus habiles et les plus éclairés étonnés de ses connaissances, persuadés qu’il en savait plus qu’eux, et charmés de la manière dont il s’exprimait. […] Selon l’abbé Gédoyn, l’urbanité, ce mot tout romain, qui dans l’origine ne signifiait que la douceur et la pureté du langage de la ville par excellence (Urbs), par opposition au langage des provinces, et qui était proprement pour Rome ce que l’atticisme était pour Athènes, ce mot-là en vint à exprimer bientôt un caractère de politesse qui n’était pas seulement dans le parler et dans l’accent, mais dans l’esprit, dans la manière et dans tout l’air des personnes. Puis, avec l’usage et le temps, il en vint à exprimer plus encore, et à ne pas signifier seulement une qualité du langage et de l’esprit, mais aussi une sorte de vertu et de qualité sociale et morale qui rend un homme aimable aux autres, qui embellit et assure le commerce de la vie. […] Ce terme de Néron revient souvent sous sa plume pour exprimer avec enjouement cette habitude négative de Mme de Maintenon, inexorable dans les privations qu’elle imposait aux autres comme à elle-même8.

273. (1889) L’art au point de vue sociologique « Introduction »

La vie, dans sa réalité immédiate, c’est l’individualité : « on ne sympathise donc qu’avec ce qui est ou semble individuel ; de là, pour l’art, l’absolue nécessité, en même temps que la difficulté de donner à ses créations la marque de l’individuation 8. » Une restriction cependant, ou plutôt une condition d’élargissement toujours possible, c’est que l’individualité, en tant que telle, sera assez parfaite pour atteindre à la hauteur du type : « ce qui ne serait qu’individuel et n’exprimerait rien de typique ne saurait produire un intérêt durable. […] Un des défauts caractéristiques auxquels se laisse aller celui qui vit trop exclusivement pour l’art et s’attache au culte des formes, c’est de ne plus voir et sentir avec force dans la vie que ce qui lui paraît le plus facile à représenter par l’art, « ce qui peut immédiatement se transposer dans le domaine de la fiction. » Flaubert, qui était artiste dans la mœlle des os et qui s’en piquait, a exprimé cet état d’esprit avec une précision merveilleuse : selon lui, vous êtes né pour l’art si les accidents du monde, dès qu’ils sont perçus, vous apparaissent transposés comme pour l’emploi d’une illusion à décrire, tellement que toutes les choses, y compris votre existence, ne vous semblent pas avoir d’autre utilité. […] Hugo, et le mot a toujours servi ; de là l’impossibilité d’exprimer l’émotion. » — « Eh bien non, répond Guyau, et c’est là ce qu’il y a de désolant pour le poète, l’émotion la plus personnelle n’est pas si neuve ; au moins a-t-elle un fond éternel ; notre cœur même a déjà servi à la nature, comme son soleil, ses arbres ses eaux et ses parfums ; les amours de nos vierges ont trois cent mille ans, et la plus grande jeunesse que nous puissions espérer pour nous ou pour nos fils est semblable à celle du matin, à celle de la joyeuse aurore, dont le sourire est encadré dans le cercle sombre de la nuit : nuit et mort, ce sont les deux ressources de la nature pour se rajeunir à jamais. » La masse des sensations humaines et des sentiments simples est sensiblement la même à travers la durée et l’espace, mais ce qui s’accroît constamment et se modifie pour la société humaine, c’est la masse des idées et des connaissances, qui elles-mêmes réagissent sur les sentiments. « L’intelligence peut seule exprimer dans une œuvre extérieure le suc de la vie, faire servir notre passage ici-bas à quelque chose, nous assigner une fonction, un rôle, une œuvre très minime dont le résultat a pourtant chance de survivre à l’instant qui passe. […] Pour qui sait retrouver ainsi dans le naturel tout l’idéal, le plus grand charme sera précisément de n’en jamais sortir ; les aspirations les plus hautes n’auront de prix que si elles reposent sur cette base humble et profonde, le réel : de là, sans doute, vient à Guyau cet accent d’extrême simplicité avec lequel il exprime des idées et des senti ments d’une constante élévation ; de là lui vient aussi ce caractère persuasif qui se confond avec celui de l’absolue sincérité.

274. (1694) Des ouvrages de l’esprit

Moise, Homère, Platon, Virgile, Horace ne sont au-dessus des autres écrivains que par leurs expressions et par leurs images : il faut exprimer le vrai pour écrire naturellement, fortement, délicatement. […] Si certains esprits vifs et décisifs étaient crus, ce serait encore trop que les termes pour exprimer les sentiments : il faudrait leur parler par signes, ou sans parler se faire entendre. […] L’hyperbole exprime au-delà de la vérité pour ramener l’esprit à la mieux connaître. […] L’on n’écrit que pour être entendu ; mais il faut du moins en écrivant faire entendre de belles choses : l’on doit avoir une diction pure, et user de termes qui soient propres, il est vrai ; mais il faut que ces termes si propres expriment des pensées nobles, vives, solides, et qui renferment un très beau sens ; c’est faire de la pureté et de la clarté du discours un mauvais usage que de les faire servir à une matière aride, infructueuse, qui est sans sel, sans utilité, sans nouveauté : que sert aux lecteurs de comprendre aisément et sans peine des choses frivoles et puériles, quelquefois fades et communes, et d’être moins incertains de la pensée d’un auteur, qu’ennuyés de son ouvrage. […] Il doit au contraire éviter comme un écueil de vouloir imiter ceux qui écrivent par humeur, que le cœur fait parler, à qui il inspire les termes et les figures, et qui tirent, pour ainsi dire, de leurs entrailles tout ce qu’ils expriment sur le papier ; dangereux modèles et tout propres à faire tomber dans le froid, dans le bas, et dans le ridicule ceux qui s’ingèrent de les suivre : en effet, je rirais d’un homme qui voudrait sérieusement parler mon ton de voix, ou me ressembler de visage.

275. (1759) Réflexions sur l’élocution oratoire, et sur le style en général

On rend avec netteté ce que l’on conçoit bien ; de même on énonce avec chaleur ce que l’on sent avec enthousiasme, et les mots viennent aussi aisément pour exprimer une émotion vive qu’une idée claire. […] Ces images, belles à la vérité, mais l’ouvrage de l’esprit qui cherche à peindre, et non du sentiment qui ne veut qu’exprimer, peuvent-elles être comparées à la simplicité touchante de l’Écriture, à la tristesse profonde et vraie avec laquelle le prince jeune et mourant se présente aux portes de la mort ? […] L’homme le plus ordinaire ayant ce sentiment à exprimer, l’aurait-il énoncé en d’autres termes que Corneille ? […] Tous les hommes ont le même fond de pensées communes, que l’homme ordinaire exprime sans agrément, et l’homme d’esprit avec grâce ; une grande idée n’appartient qu’aux grands génies ; les esprits médiocres ne l’ont que par emprunt ; ils montrent même, par les ornements qu’ils lui prêtent, qu’elle n’était point chez eux dans son terroir naturel, et s’y trouvait dénaturée et transplantée. […] Les anciens étaient extrêmement délicats sur cette qualité du discours ; on le voit surtout par un passage de Cicéron1, où en rapportant le trait éloquent d’un tribun du peuple, qui invoquait les mânes d’un citoyen contre un fils séditieux, il paraît encore plus occupé de l’arrangement des mots que de la grande idée qu’ils expriment.

276. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Sainte-Beuve. Les Poésies de Joseph Delorme, Les Consolations, les Pensées d’août. »

Quand Gœthe, lutiné par l’idée de Voltaire, voulut jouer aussi à l’universalité, quand il se fit naturaliste, dessinateur, et dessinateur jusqu’au point de dire « qu’en dessinant, son âme chantait un morceau de son essence la plus intime », Gœthe tombait de son ancienne poésie, sentie, ressentie, exprimée, selon l’âme qu’il avait (et il n’en avait pas beaucoup), dans l’art élégant, ingénieux, fin, savant ; dans l’art qui est toujours le stérile, quoique le matériel amour des choses difficiles. […] Le monde extérieur qu’il décrit passe à travers son âme malade, avant d’éclore sous son pinceau, y charrie des couleurs prises à cette âme envenimée, et sa peinture n’en est que plus vraie, car, au lieu d’une, elle exprime deux vérités. […] franchement, nous avons vainement cherché dans ce livre des Consolations cet accent sincère qui traduit, de manière à ce qu’on ne puisse pas s’y tromper, ces deux choses qui sont consubstantielles dans les grands poètes, leur moralité et leur génie, et font du tout, quand on l’exprime bien, ce qu’on appelle une originalité. […] Toute imitation est un mensonge relatif, car les esprits de néant, sans fécondité et sans initiative, sont des menteurs à leur nature lorsqu’ils prétendent exprimer quelque chose, eux qui n’ont rien à exprimer !

277. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre II. Du sens et de la valeur des mots »

Même où manquent la raison et la conscience, les vagues appréhensions et les confuses agitations des sentiments trouvent des termes pour s’exprimer. […] La plupart du temps, la pensée s’exprime par des combinaisons passagères de termes qui se limitent réciproquement et projettent les uns sur les autres le reflet de leur couleur.

278. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Stéphane Mallarmé »

Le rapport de ces images avec les faits ou les pensées qu’elles expriment étant (je l’espère du moins) absolument clair pour M.  […] De même encore le poème intitulé Pour Annie exprime à peu près le même état d’âme crépusculaire et délicieux que l’adorable pièce du Rendez-vous dans les Vaines tendresses.

279. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Laprade, Victor de (1812-1883) »

Quelques-unes des scènes évangéliques sont reproduites avec un rare bonheur, dans un ton de forte simplicité et de grandeur calme… Psyché, qui est le Désir de l’infini, les Poèmes évangéliques, qui sont la Charité, le Sacrifice, la Douleur, expriment presque au même titre l’idéalisme religieux chez M. de Laprade. Elles l’expriment sous la forme la plus complète et la plus achevée.

280. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Saint-Georges de Bouhélier (1876-1947) »

Un adolescent s’intéresse avec anxiété à figurer l’attente de l’Amour dans un décor propice, par le frisson des vents, l’éclat grondant des cieux, des danses langoureuses, bondissantes, selon que son désir s’attendrit ou s’emporte ; cet adolescent s’exaspère de son attente ; d’où l’espèce d’abattement de certains chants où il l’exprime, et leur exagération lyrique parfois. […] La confuse tendresse qui troublait l’esprit d’un jeune homme n’a plus besoin, pour s’exprimer, d’emprunter une mythologie rustique, mais trouve sa raison comme son but dans la femme qu’il sut élire ; c’est une destinée qui se fixe et définitivement s’attache ; il est heureux qu’une aussi favorable aventure nous ait valu de beaux vers.

281. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 92-99

Les ornemens se présentent d’eux-mêmes sous la plume de cet Orateur sagement philosophe, sans qu’il ait besoin de les chercher ; jamais la raison ne s’exprima avec plus de noblesse & de candeur. […] Une étude constante, secours nécessaire aux dons les plus heureux de la Nature, fit éclore, étendit, fortifia ses talens ; & l’habitude de ne s’occuper que de grands objets, lui procura l’heureuse facilité de s’exprimer avec noblesse selon les différentes parties qu’il embrassoit.

282. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 50, de la sculpture, du talent qu’elle demande, et de l’art des bas-reliefs » pp. 492-498

Je ne rapporterai donc de toutes les inventions du Bernin, qu’un trait qu’il a placé dans sa fontaine de la place Navonne, pour exprimer une circonstance particuliere au Nil ; que sa source fut inconnuë, et que, comme le dit Lucain, la nature n’ait pas voulu qu’on put voir ce fleuve sous la forme d’un ruisseau. […] Ce trait qui ne se trouve pas dans l’antique, et qui appartient au sculpteur, exprime ingénieusement l’inutilité d’un grand nombre de tentatives, que les anciens et les modernes avoient faites pour parvenir jusqu’aux sources du Nil en remontant son canal.

283. (1875) Revue des deux mondes : articles pp. 326-349

Quand, au lieu d’une jambe, on ne préserve de l’empoisonnement qu’un seul doigt, ce doigt s’agite et exprime le sentiment de tout le corps réduit à l’état de cadavre. […] Chez l’homme, le cerveau doit, pour exprimer ses sentiments, avoir le cœur à son service. […] Il cherche la vérité à cause du désir ardent qu’il a de la posséder, et il la possède déjà dans des limites qu’expriment les sciences elles-mêmes dans leur état actuel. […] C’est précisément la proposition contraire qui exprime la vérité, et cette vérité a été surabondamment démontrée par les travaux de Lavoisier et de ses successeurs. […] Leibniz a exprimé cette délimitation dans des paroles que nous rappelions au début de cette étude ; la science la consacre aujourd’hui.

284. (1890) Dramaturges et romanciers

C’est l’âme des choses que l’artiste devra saisir, s’il veut en exprimer la réalité poétique. […] Octave Feuillet a comprise, exprimée et favorisée. […] De même qu’il n’est pas d’être ou d’objet qui ne puisse servir à exprimer la beauté, il n’est pas d’occasion qui ne soit bonne pour exprimer la vérité. […] Toutes les idées exprimées par M.  […] Osons exprimer le nôtre en toute franchise ; aussi bien il n’engage que nous seul.

285. (1864) Physiologie des écrivains et des artistes ou Essai de critique naturelle

Toute œuvre d’art exprime, avant tout, son auteur. […] Chacun d’eux exprime toute une époque. […] C’est s’exprimer d’une manière trop absolue ; c’est prendre l’exception pour la règle. […] Voltaire, dans un autre endroit, reconnaît le contraire avec raison, et l’exprime à merveille. […] Les arts s’interprètent les uns les autres, et expriment les mêmes idées dans des langages différents.

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