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55. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

Les âmes qui se complaisent à rattacher la destinée de l’homme à une pensée divine, voient dans cet ensemble, dans cette relation intime entre tout ce qui est bien, une preuve de plus de l’unité morale, de l’unité de conception qui dirige cet univers. […] Les sciences et les arts sont une partie très importante des travaux intellectuels ; mais leurs découvertes, mais leurs succès n’exercent point une influence immédiate sur cette opinion publique qui décide de la destinée des nations. […] Le type de ce qui est bon et juste ne s’anéantira plus ; l’homme que la nature destine à la vertu ne manquera plus de guide ; enfin (et ce bien est infini) la douleur pourra toujours éprouver un attendrissement salutaire. […] Ce qui peut seul soulager la douleur, c’est la possibilité de pleurer sur sa destinée, de prendre à soi cette sorte d’intérêt qui fait de nous deux êtres pour ainsi dire séparés, dont l’un a pitié de l’autre. […] Le voyageur que la tempête a fait échouer sur des plages inhabitées, grave sur le roc le nom des aliments qu’il a découverts, indique où sont les ressources qu’il a employées contre la mort, afin d’être utile un jour à ceux qui subiraient la même destinée.

56. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — N — Nolhac, Pierre de (1859-1936) »

Frédéric Plessis Peu soucieux de la publicité, il n’a encore fait imprimer de vers que ses Paysages d’Auvergne (1888), petit livre destiné aux seuls amis. Dans ce recueil, comme en quelques pièces qu’il a données à différentes revues, on trouve une connaissance délicate de la langue, une belle ampleur de rythme, et, sous une forme artistique et sévère, un sentiment philosophique et religieux de la destinée.

57. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Alfred de Vigny. »

Il a accompli de son propre ciseau cette sorte de transfiguration et d’apothéose de soi-même dans la pièce fort belle qui termine et couronne son œuvre dernière, le livre des Destinées, et qui a pour titre l’Esprit pur. […] puissent mes destinées Vous amener à moi, de dix en dix années, Attentifs à mon œuvre, et pour moi c’est assez ! […] Elle n’en a entendu dire que du mal à ses frères les anges, qui ont eu l’imprudence de lui en parler un jour : c’est assez pour que déjà elle se destine à lui et qu’elle l’aime. […] Les Destinées, ces antiques déesses qui tenaient les races et les peuples sous leur ongle de fer, régnaient visiblement sur le monde ; mais la terre a tressailli, elle a engendré son sauveur, le Christ est né ! […] Les Destinées, moyennant détour, ressaisissent donc leur empire, et il reste douteux que, même sous la loi de grâce, l’homme soit plus libre et plus maître de soi qu’auparavant : Oh !

58. (1842) Discours sur l’esprit positif

Les deux genres de relations contribuent également à expliquer les phénomènes, et conduisent pareillement à les prévoir, quoique les lois d’harmonie semblent d’abord destinées surtout à l’explication et les lois de succession à la prévision. […] Sous cet aspect, il indique l’une des plus éminentes propriétés de la vraie philosophie moderne, en la montrant destinée surtout, par sa nature, non à détruire, mais à organiser. […] Mais il n’en peut plus être ainsi quand une telle instruction est directement destinée à l’éducation universelle, qui en change nécessairement le caractère et la direction, malgré toute tendance contraire. […] Tout esprit méditatif doit ainsi comprendre enfin l’importance vraiment fondamentale que présente aujourd’hui une sage vulgarisation systématique des études positives, essentiellement destinée aux prolétaires, afin d’y préparer une saine doctrine sociale. […] De là résulte donc la division nécessaire de la philosophie naturelle, destinée à préparer la, philosophie sociale, en deux, grandes branches, l’une organique, l’autre inorganique.

59. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — I. » pp. 413-433

Son père, cependant, le destinait à la carrière de l’administration militaire. […] Daru au milieu de cette école poétique régnante de la fin du xviiie  siècle à laquelle il est mêlé, et dont il ne se séparera jamais d’une manière tranchée, c’est l’étude, l’amour de l’investigation et des recherches, le besoin en tout de ne pas s’en tenir à l’aperçu, à la fleur et à la cime des choses, mais de les prendre, en quelque sorte, par la base, de s’en informer avec suite, avec étendue, par couches successives, et d’en dresser, soit dans des préfaces, soit dans des rapports académiques, soit dans des comptes rendus destinés à lui seul, un exposé judicieux, fidèle, qui donne un fond aux discussions et qui souvent les abrège. […] Devenu commissaire ordonnateur, il fut employé en cette qualité dans l’armée qu’on avait formée, en 1792, sur les côtes de Bretagne, et qui était destinée à agir au cas d’une descente des Anglais. […] Dans la nouvelle organisation réglée par le Premier consul, et qui répartissait les détails de l’administration militaire entre deux corps différents, l’un conservant l’ancien titre de commissaires des guerres et destiné à surveiller l’emploi des matières et les approvisionnements, l’autre, sous le titre d’inspecteurs aux revues, destiné à constater le chiffre de l’effectif, Daru fut compris dans la création de ce dernier corps ; et ce fut en cette qualité d’inspecteur aux revues qu’il fut envoyé à l’armée d’Italie et qu’il fit la campagne de Marengo. […] À cette heure, d’autres destinées appelaient déjà Daru et l’arrachaient pour un long temps à cette habitude littéraire et académique qui lui plaisait avant tout et qu’il était si fait pour goûter.

60. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — M. de Sénancour, en 1832 »

Nous n’insisterons pas davantage sur cette longue trace d’ennuis, de gênes, de désappointements monotones qui composent l’intérieur mystérieux de cette grave destinée ; nous n’en voulons plus montrer que les fruits.  […] Sénancour a plus d’un trait fraternel qui l’unit à vous, génie dévié avec l’un, génie entravé avec l’autre, exemple pareil d’un inexplicable naufrage, d’un achoppement boiteux de la destinée. […] C’est pour l’amour que la lumière du matin vient éveiller les êtres et colorer les cieux ; pour lui les feux de midi font fermenter la terre humide sous la mousse des forêts ; c’est à lui que le soir destine l’aimable mélancolie de ses lueurs mystérieuses. […] Cœurs vraiment sensibles, qu’une destinée sinistre a comprimés dès le printemps, qui vous blâmera de n’avoir point aimé ? […] Son regard sur les choses est moins navrant ; il tolère la destinée et ressent désormais de la satisfaction à consigner par écrit les pensées qu’elle lui suggère.

61. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre III. De l’émulation » pp. 443-462

La vie paresseuse ou la vie active sont plus dans la nature de l’homme que la méditation ; et pour consacrer toutes les forces de sa pensée à la recherche des vérités philosophiques, il faut que l’émulation soit encouragée par l’espoir de servir son pays et d’influer sur la destinée de ses concitoyens. […] L’existence subalterne qu’on accordait aux gens de lettres dans la monarchie française, ne leur donnait aucune autorité dans les questions importantes qui tiennent à la destinée des hommes. […] Il faut, pour le bonheur du genre humain, que les grands hommes chargés de sa destinée possèdent presque également un certain nombre de qualités très différentes ; un seul genre de supériorité ne suffit pas pour captiver les diverses classes d’opinions et d’estime ; un seul genre de supériorité ne personnifie point assez, si je puis m’exprimer ainsi, l’idée qu’on aime à se faire d’un homme célèbre. […] Ce respect balança les destinées, et César ne put se croire le maître que quand cet homme n’exista plus.

62. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 39-51

LA HARPE, [Jean de] de l’Académie Françoise & de celle de Rouen, né à Paris, rue de la Harpe, en 1740, Littérateur d’une destinée aussi bizarre que malheureuse. […] Quant à ses Eloges historiques, ils ont eu la même destinée que ses autres Ouvrages : célébrés dans le Mercure, après avoir été couronnés par l’Académie, ils ont été sifflés, avec l’Académie & le Mercure, par le Public. […] Et, pour passer à des raisons plus graves, que deviendroit la Philosophie, si le Mercure cessoit d’être un entrepôt de louanges destinées à consoler ses partisans, un arsenal d’où il puisse partir une artillerie capable d’effrayer les Rebelles, un bureau d’adresse pour les Lettres, les Réponses, les Répliques, & toutes les honnêtes industries qu’elle sait si habilement employer ; un magasin de gentillesses, d’ironies, d’épigrammes ?

63. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre II. Bovarysme essentiel de l’être et de l’Humanité »

On peut imaginer qu’il y a en tout individu particulier, fragment dans l’univers phénoménal de cette entité métaphysique antérieure au phénomène, quelque vague ressouvenir d’avoir été le propre impresario et le propre artisan de sa destinée. […] Au contraire, une confiance joyeuse, une ardeur singulière et un intérêt puissant les stimulent à se persuader qu’à tout moment ils sont maîtres de changer leur destinée en modifiant souverainement la forme de leur âme, en modifiant aussi en quelque mesure la forme du monde. […] Ce vœu de l’existence se voit donc réalisé d’une façon concrète et saisissable selon deux modes dans l’humanité : sous son aspect le plus haut et le plus dramatique, ainsi qu’on l’a déjà montré, avec le héros qui, parvenu à l’émotion esthétique, se reconnaît le propre créateur de la suggestion qui lui fit accomplir sa destinée, sous un autre aspect moins mystique, avec le savant qui, désintéressé des applications déduites par les autres hommes de ses découvertes, fait sa joie du seul fait de connaître, du seul spectacle de toutes les choses créées par l’activité objective de l’être.

64. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 353-355

L'ardeur de ce zele lui inspira la noble idée d'élever un Parnasse en bronze, destiné à immortaliser les plus illustres de nos Poëtes & de nos Musiciens. […] Il suffit de rapporter un Distique Latin & un Quatrain, destinés à être mis au bas de son portrait.

65. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface et poème liminaire des « Contemplations » (1856-1859) — Préface (1859) »

Une destinée est écrite là jour à jour. […] Ma vie est la vôtre, votre vie est la mienne, vous vivez ce que je vis ; la destinée est une.

66. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre premier. De l’amour de la gloire »

C’est, sans doute, une jouissance enivrante que de remplir l’univers de son nom, d’exister tellement au-delà de soi, qu’il soit possible de se faire illusion, et sur l’espace et sur la durée de la vie, et de se croire quelques-uns des attributs métaphysiques de l’infini ; l’âme se remplit d’un orgueilleux plaisir par le sentiment habituel, que toutes les pensées d’un grand nombre d’hommes sont dirigées sur vous ; que vous existez en présence de leur espoir ; que chaque méditation de votre esprit peut influer sur beaucoup de destinées ; que de grands événements se développent au-dedans de soi, et commandent, au nom du peuple, qui compte sur vos lumières, la plus vive attention à vos propres pensées ; les acclamations de la foule remuent l’âme, et par les réflexions qu’elles font naître, et par les commotions qu’elles excitent ; toutes ces formes animées, enfin, sous lesquelles la gloire se présente, doivent transporter la jeunesse d’espérance et l’enflammer d’émulation. […] Ceux que leur destinée approche des premières places, croient voir une preuve de mépris pour eux, dans l’espérance qu’on conçoit de franchir l’espace qui en sépare, et de se mettre par ses talents, au niveau de leur destinée. […] Dans les monarchies aristocratiquement constituées, la multitude se plaît quelquefois, par un esprit dominateur, à relever celui que le hasard a délaissé ; mais ce même esprit ne lui permet pas d’abandonner ses droits sur l’existence qu’elle a créée, le peuple regarde cette existence comme l’œuvre de ses mains ; et si le sort, la superstition, la magie, une puissance, enfin, indépendante des hommes, n’entre pas dans la destinée de celui, qui dans un état monarchique doit son élévation à l’opinion du peuple, il ne conservera pas longtemps une gloire que les suffrages seuls récompensent et créent, qui puise à la même source son existence et son éclat ; le peuple ne soutiendra pas son ouvrage, et ne se prosternera pas devant une force dont il se sent le principal appui. […] ce bien dont la nature céleste est seule en disparate avec toute la destinée humaine ; aimer !

67. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Appendice — Sur un exemplaire de Vauquelin de la Fresnaie »

Son Tableau de la Poésie française, que nous réimprimerons un jour avec toutes les notes et additions marginales, interfoliées, interlinéaires, dont sa main a laissé couvert un exemplaire qu’il destinait à une prochaine édition, n’a pas nui, sur le cours et marché de la Bourse littéraire, à la hausse actuelle des poëtes de l’illustre Pléiade, tant recherchée aujourd’hui des bibliophiles. […] Parmi les joyaux destinés à faire briller ces enchères, et qui en formaient (pour ainsi dire) le bouquet, figurait, — les amateurs ne l’ont pas oublié, — un Vauquelin de la Fresnaie, ce livre, ce rare avis de la bibliophilie, sans lequel il n’y aurait pas de vraie vente à sensation, et dont on dit toujours, à chaque nouvel exemplaire qui en reparaît, qu’on n’en connaît que trois ou quatre au monde.

68. (1938) Réflexions sur le roman pp. 9-257

Il en est ainsi de presque toutes les destinées humaines. […] La destinée littéraire de George Eliot fut exactement inverse. […] Ou plutôt la grande idée et le grand sentiment de l’Islam : la destinée humaine. […] Il est le roman d’une destinée qui s’accomplit et, généralement, d’un être qui se défait. […] Estaunié, parce que ce sont des destinées humaines et que des hommes existent.

69. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le Général Franceschi-Delonne : Souvenirs militaires, par le général baron de Saint-Joseph. »

J’ai pris un grand plaisir à l’entendre lire, il y a quelques mois, dans un temps où je n’étais guère capable d’une application continue ; cette notice m’a touché à la fois par la singularité de la destinée individuelle qu’elle retrace, et par les réflexions morales et humaines qu’elle suggère : je me suis promis d’en faire part à mes lecteurs, à mon premier loisir, et de les associer, s’il se peut, aux sentiments que j’avais éprouvés moi-même au récit de cette simple et véridique histoire. […] Mystères de la destinée, trois fois obscurs et insondables ! […] … » Ce mot de l’Empereur, l’ordre de Berthier dicté du champ de bataille et enjoignant au colonel Franceschi du 8e hussards d’achever la déroute de l’ennemi en coupant, détruisant ou prenant ses débris de colonnes, ce rôle principal et actif en un si grand jour, semblaient assurer désormais la destinée militaire de Franceschi et fixer son étoile. […] La fortune se retourne, et avec le malheur, l’originalité de la destinée et du caractère de Franceschi va d’autant mieux se dessiner. […] Que l’on se figure ce que ce militaire d’avant-garde, cet infatigable éclaireur d’avant-poste, devait ressentir d’une inaction qui brisait sa destinée et l’enchaînait au moment où elle était en plein essor.

70. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « VICTORIN FABRE (Œuvres mises en ordre par M. J. Sabbatier. (Tome II, 1844.) » pp. 144-153

Il y a longtemps que la destinée de Victorin Fabre est en butte aux contre-temps de toutes sortes ; on dirait que, même en cette publication dernière, il trouve moyen de nous arriver gauchement ; il est malencontreux encore. […] Singulière et vraiment amère destinée ! […] Comme, en 1815, après les Cent-Jours, quelques électeurs de l’Ardèche avaient eu l’idée de porter à la députation Victorin Fabre, Auguste s’est échappé à dire, dans une notice biographique écrite après la mort de son frère, que cette nomination, si elle avait eu lieu, aurait pu changer le cours des choses et arrêter sur leur penchant les destinées de la patrie.

71. (1874) Premiers lundis. Tome I « Victor Hugo : Odes et ballades — I »

Tout amoureux qu’ils étaient cependant des âges chevaleresques et monarchiques, des légendes et des prouesses, le spectacle de nos exploits et de nos désastres récents, les grandes révolutions contemporaines, surtout la merveilleuse destinée de Napoléon et sa double chute, les avaient fortement remués : champions du vieux temps, et remplis d’affections modernes, ils étaient novateurs, même en évoquant le passé. […] Soumet, sur le ton solennel d’un prône ou d’un ordre du jour : « Les lettres sont aujourd’hui comme la politique et la religion ; elles ont leur profession de foi, et c’est en ne méconnaissant plus l’obligation qui leur est imposée que nos écrivains pourront se réunir, comme les prêtres d’un même culte, autour des autels de la vérité ; ils auront aussi leur sainte alliance ; ils n’useront pas à s’attaquer mutuellement des forces destinées à un plus noble usage ; ils voudront que leurs ouvrages soient jugés comme des actions, avant de l’être comme des écrits ; ils ne reculeront jamais devant les conséquences, devant les dangers d’une parole courageuse, et ils se rappelleront que le dieu qui rendait les oracles du temple de Delphes, avait été représenté sortant d’un combat. » Une fois qu’on en venait à un combat dans les formes avec les idées dominantes, on était certain de ne pas vaincre. […] Hugo ne s’élève pas jusqu’aux hauteurs de l’ode, il se délasse souvent dans les rêveries les plus suaves, dont nul souffle étranger n’altère la fraîcheur : il se plaira, par exemple, à montrer à son amie le nuage doré qui traverse le ciel, à le suivre de la pensée, à y lire ses destinées de gloire ou d’amour, puis tout à coup à le voir s’évanouir en brouillard ou éclater en tonnerre.

72. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IX. De l’esprit général de la littérature chez les modernes » pp. 215-227

Les modernes connaissant d’autres rapports et d’autres liens, ont pu seuls exprimer ce sentiment de prédilection qui intéresse la destinée de toute la vie aux sentiments de l’amour. […] L’importance des devoirs est bien mieux classée chez les modernes ; les relations avec ses semblables y tiennent le premier rang ; ce qui nous concerne nous-mêmes mérite surtout d’être considéré, relativement à l’influence que nous pouvons avoir sur la destinée des autres. […] Toutes les fois que le cours des idées ramène à réfléchir sur la destinée de l’homme, la révolution nous apparaît ; vainement on transporte son esprit sur les rives lointaines des temps qui sont écoulés, vainement on veut saisir les événements passés et les ouvrages durables sous l’éternel rapport des combinaisons abstraites ; si dans ces régions métaphysiques un mot répond à quelques souvenirs, les émotions de l’âme reprennent tout leur empire.

73. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre IV. De la bienfaisance. »

La bonté ne demande pas, comme l’ambition, un retour à ce qu’elle donne ; mais elle offre cependant aussi une manière d’étendre son existence et d’influer sur le sort de plusieurs ; la bonté ne fait pas, comme l’amour, du besoin d’être aimé son mobile et son espoir ; mais elle permet aussi de se livrer aux douces émotions du cœur, et de vivre ailleurs que dans sa propre destinée : enfin, tout ce qu’il y a de généreux dans les passions se trouve dans l’exercice de la bonté, et cet exercice, celui de la plus parfaite raison, est encore quelquefois l’ombre des illusions de l’esprit et du cœur. […] La multitude de peines que savent causer les hommes les plus médiocres en tous genres, conduit à penser qu’un être généreux, quelle que fut sa position, se créerait, en se consacrant uniquement à la bonté, un intérêt, un but, un gouvernement, pour ainsi dire, malgré les bornes de sa destinée. […] Si vous rencontrez Almont, quand votre âme est découragée, sa vive attention à vos discours vous persuade que vous êtes dans une situation qui captive l’intérêt, tandis que, fatigué de votre peine, vous étiez convaincu, avant de le voir, de l’ennui qu’elle devait causer aux autres ; vous ne l’écouterez jamais sans que son attendrissement pour vos chagrins, ne vous rende l’émotion dont votre âme desséchée était devenue incapable ; enfin, vous ne causerez point avec lui, sans qu’il ne vous offre un motif de courage, et qu’ôtant à votre douleur ce qu’elle a de fixe, il n’occupe votre imagination par un différent point de vue, par une nouvelle manière de considérer votre destinée ; on peut agir sur soi par la raison, mais c’est d’un autre que vient l’espérance.

74. (1861) Cours familier de littérature. XI « Atlas Dufour, publié par Armand Le Chevalier. » pp. 489-512

Nous n’avons jamais jusqu’ici admis une annonce intéressée dans les pages de ce Cours, qui n’est pas un journal commercial, mais une œuvre périodique, destinée à former des volumes de bibliothèque ; nous contrevenons aujourd’hui, pour la première fois, à cette habitude, et nous déclarons sincèrement à nos lecteurs que, bien loin de céder en cela à la complaisance envers l’auteur et le possesseur de ce magnifique atlas, fondement et illustration de toute grande bibliothèque, c’est nous-même qui avons prié M.  […] Mais si l’on considère de l’humanité son âme, son intelligence, sa moralité, sa destinée évidemment supérieure à cette vie et à cette mort entre lesquelles elle s’agite, sa connaissance de Dieu, l’hommage qu’elle rend à ce maître suprême de ses destinées individuelles ou collectives, la transition entre le fini et l’infini dont elle paraît être le nœud par sa double nature de corps et de pensée, sa conscience, faculté involontaire, révélation, non de la vérité, mais de la justice, son instinct évidemment religieux, son inquiétude sacrée qui lui fait chercher son Dieu, avant tout créature sacerdotale, chargée spécialement par l’Auteur des êtres de lui rapporter en holocauste les prémices de ce globe, la dîme de l’intelligence, la gerbe de l’autel, l’encens des choses créées, la foi, l’amour, l’hymne des créations muettes, la parole qui révèle, le cri qui implore, l’obéissance qui anéantit le néant devant l’Être unique, le chant intérieur qui célèbre l’enthousiasme, qui soulève comme une aile divine l’humanité alourdie par le poids de la matière, et qui la précipite dans le foyer de sa spiritualité pour y déposer son principe de mort et pour y revêtir d’échelons en échelons sa vraie vie, son immortalité dans son union à son principe immortel ! […] En un mot, la main d’un enfant, grâce à cet atlas mnémonique du monde, nous décrirait le cours du temps, et sa voix nous raconterait jusqu’à nos jours les destinées universelles de la terre ; vous auriez cherché à faire un simple géographe, et vous auriez fait un historien, un moraliste, un philosophe, un politique, un théologien universel, un homme enfin embrassant d’un coup d’œil toutes les faces de l’humanité.

75. (1836) Portraits littéraires. Tome I pp. 1-388

Le héros donne sur sa famille, et en particulier sur sa mère, des détails curieux, et qu’il faut méditer pour bien comprendre sa destinée et son rôle. […] Serait-il vrai que la destinée humaine répudie, comme un rêve de jeune fille, les dévouements illimités ? […] Déjà fléchissante et ridée, elle sera fière d’avoir été distinguée par un homme destiné à tous les succès de monde. […] Il a choisi le jeu comme un défi perpétuel porté à la destinée. […] Il sent que sa destinée isolée, douloureuse, trouverait dans l’amour une consolation et une espérance.

76. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La Margrave de Bareith Sa correspondance avec Frédéric — II » pp. 414-431

J’ai cru qu’étant roi, disait Frédéric, il me convenait de penser en souverain, et j’ai pris pour principe que la réputation d’un prince devait lui être plus chère que la vie. » Elle épouse donc complètement ses intérêts et sa destinée. […] Ses lumières et son expérience, jointes à sa correspondance, peuvent le mettre en état de juger si on est effectivement dans l’intention d’abandonner le roi de Prusse à toute la rigueur de sa mauvaise destinée, en cas qu’il soit sans ressource, et si on veut détruire absolument une balance qu’on a jugée longtemps nécessaire. […] Qui sait même si la personne principale qui aurait envoyé la lettre de Mme la margrave au roi, qui l’aurait appuyée, qui l’aurait fait réussir, ne pourrait pas se mettre à la tête du congrès qui réglerait les destinées de l’Europe ? […] Quoique tout semble perdu, il nous reste des choses qu’on ne pourra nous enlever : c’est la fermeté et les sentiments du cœur. » Cependant, Frédéric discutait librement avec elle de ses résolutions tragiques, de leur commune et unanime destinée ; il sentait la force des raisons qu’on lui opposait, et il les admettait en partie : Si je ne suivais que mon inclination, je me serais dépêché d’abord après la malheureuse bataille que j’ai perdue ; mais j’ai senti que ce serait faiblesse, et que c’était mon devoir de réparer le mal qui était arrivé. […] Il y a eu, en des temps plus voisins de nous, une autre sœur de roi aussi, qui a voulu partager la destinée de son frère et mourir avec lui : cet autre roi était loin d’être un grand homme ou même un homme supérieur, ce n’était qu’un honnête homme ; cette sœur, c’était une personne douce, pure, simple, pieuse, ayant surtout les trésors du cœur.

77. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Alfred de Vigny »

Le problème de la destinée humaine pèse autant sur le front de l’un que sur le front de l’autre, et fut la grande douleur, la grande anxiété de tous les deux… Inquiets, sceptiques, désespérés, trouvant, à juste titre, que l’incompréhensible est au bout de toutes les questions qui font l’esprit humain et l’Univers, altérés de la soif furieuse de la certitude, et n’ayant pour l’étancher que les eaux troubles du doute, qui faisaient mal au cœur à leurs fiers esprits dégoûtés, tous les deux ressentirent également cette douleur, la plus élevée des douleurs de la vie : le mal de l’esprit, pire que toutes les souffrances de la sensibilité ! […] Les Destinées, quand elles parurent, frappèrent l’attention par un accent qui fit réfléchir les critiques de nature humaine. […] Et, malgré le stoïcisme qu’il opposait à la fatalité des choses, on sentait que le poète, en ces Destinées, saignait sous l’acier poli de ses armes, qu’il buvait son sang dans son casque fermé, comme Beaumanoir, au combat des Trente, et qu’il le trouvait amer.. […] L’esprit du poète des Destinées dompte, de sa raison et de son désespoir, ces deux pesanteurs froides et terribles, son âme qui résiste, mais qui, enfin, reste domptée ! […] Dans ce journal, il n’y a pas que le Vigny de l’incrédulité et du désespoir, le penseur à côté de la question de Dieu et de la destinée de l’âme.

78. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre III. De l’étude. »

Il semble que notre propre destinée se perde au milieu du monde qui se découvre à nos yeux ; que des réflexions, qui tendent à tout généraliser, nous portent à nous considérer nous-mêmes comme l’une des millièmes combinaisons de l’univers, et qu’estimant plus en nous la faculté de penser que celle de souffrir, nous donnons à l’une le droit de classer l’autre. […] Trouver dans soi seul une noble destinée, être heureux, non par la personnalité, mais par l’exercice de ses facultés, est un état qui flatte l’âme en la calmant. […] et lorsque le hasard a pu combiner ensemble la réunion la plus fatale au bonheur, l’esprit et la sensibilité, n’abandonnez pas ces malheureux êtres destinés à tout apercevoir, pour souffrir de tout ; soutenez leur raison à la hauteur de leurs affections et de leurs idées, éclairez-les du même feu qui servait à les consumer !

79. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre VII. Des ouvrages périodiques. » pp. 229-243

“Notre but n’a jamais été, dit-il, de faire des extraits des livres nouveaux ; nos lettres sont destinées à des réfléxions sur les ouvrages d’esprit, & sur d’autres, lorsqu’ils amenent l’occasion de dire des choses agréables ou curieuses. […] M. de Querlon, qui en est l’auteur, juge avec tant d’impartialité, discerne les beautés & les défauts avec tant de finesse & écrit avec tant de précision, que, quoique son ouvrage soit particuliérement destiné à la province, il a une quantité considérable de souscripteurs dans la Capitale. […] L’Encyclopédie Militaire est un Journal, qui est uniquement destiné aux Officiers.

80. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 29, qu’il est des païs où les ouvrages sont plûtôt apprétiez à leur valeur que dans d’autres » pp. 395-408

Ce personnage est si parlant, qu’on croit lui entendre dire : voilà quelle sera peut-être ma destinée après quarante campagnes. […] On fit entendre à ces religieux que la diversité des mains rendroit la suite de ces tableaux plus curieuse, et que l’émulation obligeroit encore chaque peintre à se surpasser lui-même dans un ouvrage destiné pour être comparé perpetuellement avec les ouvrages de ses concurrens. […] La justice que le public rend aux ouvrages qui se publient par la voïe de l’impression, peut bien se faire attendre durant quelques mois, mais ceux qui paroissent sur le theatre ont plûtôt rempli leur destinée.

81. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Franc-Nohain (1873-1934) »

         Ce n’était pas ta destinée          D’écouler ainsi tes années          Dans le veuvage ou dans le célibat ;          Moins loin de la compagne, hélas !          Que Crépin t’avait destinée          Et dont le sort te sépara,          Tu vas, solitaire, ici-bas,          Rencontrer de par la ville          Bottines et souliers agiles Qui se promènent côte à côte — destin prospère !

82. (1874) Premiers lundis. Tome II « L. Aimé Martin. De l’éducation des mères de famille, ou de la civilisation du genre humain par les femmes. »

Depuis quelques années, l’attention des philosophes et de tous ceux qui s’occupent sérieusement du problème social s’est tournée sur la condition de la femme, sur les changements de destinée auxquels elle était appelée, sur la fonction importante qu’elle aurait à remplir dans un ordre où l’on suppose que devront prévaloir l’égalité et la raison. […] Dès lors voilà la question du grand nombre et des pauvres qui revient, question plus terrible et plus funeste encore dans la destinée de la femme que dans celle de l’homme.

83. (1856) Cours familier de littérature. I « IIIe entretien. Philosophie et littérature de l’Inde primitive » pp. 161-239

Une destinée progressive en espace aurait supposé une destinée prolongée en temps : où est le temps de plus conquis par l’homme ? […] Quelle raison avons-nous de préjuger mieux de notre destinée que de la destinée de ces grandes existences éclipsées avant nous ? […] Tout instinct est une prophétie : cette prophétie est donc divine, elle implique donc un devoir pour l’homme, elle est donc destinée à se réaliser sur cette terre. […] Le sort est le sort, l’arrêt est porté, le monde est vieux ; on a rêvé avant vous : ces sophistes de la félicité croissante ont protesté depuis des milliers de siècles, ils n’ont pas fait révoquer une syllabe de la destinée. […] Respectons nos belles destinées futures là-haut, mais ici respectons au moins notre néant !

84. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre III. Le Petit Séminaire Saint-Nicolas du Chardonnet (1880) »

» Effectivement, au collège, tous ceux qui apprenaient quelque chose se destinaient à l’état ecclésiastique. […] Quellien, poète breton d’une verve si originale, le seul homme de notre temps chez lequel j’ai trouvé la faculté de créer des mythes, a rendu ce tour de ma destinée par une fiction très ingénieuse. […] La jeunesse destinée à l’état ecclésiastique et la jeunesse destinée au premier rang social lui paraissaient devoir être élevées de la même manière. […] On eût dit que ces deux cents élèves étaient destinés à être tous poètes, écrivains, orateurs. […] Telle fut la destinée de Lamennais.

85. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE KRÜDNER » pp. 382-410

Si nous avons trouvé, par exemple, que Mme de Souza était simplement du dix-huitième siècle qu’elle continuait dans le nôtre, il nous a semblé que, tout en représentant de près la Restauration dans sa meilleure nuance, Mme de Duras ne représentait pas moins, dans un lointain poétique, par sa vie, par ses pages élégantes, par ses sentiments passionnés suivis de retours chrétiens, et par sa mort, quelque chose des plus touchantes destinées du dix-septième siècle. […] Voilà, en effet, Mme de Krüdner, telle qu’elle aurait dû venir pour remplir toute sa destinée, pour ne pas être seulement un romancier charmant et bientôt une illuminée qui fit sourire, pour ne pas manquer, comme il lui est arrivé, cette seconde partie de son rôle et d’une vie qu’elle avait voulu rendre sans réserve à Dieu, à la charité, à l’œuvre de la sainte parole, au salut et au renouvellement du monde. […] Pour nous, au reste, qui avons à l’envisager surtout comme auteur d’un délicieux ouvrage, elle est assez complète, et l’inachèvement même de sa destinée devient un tour romanesque de plus. […] Quel symbole plus parfait de leurs destinées et de tant de destinées plus ou moins pareilles ! […] elle ne sait pas tout, mais elle voit qu’une peine affreuse me consume ; elle m’a gardé trois heures pour me consoler ; elle me disait de prier pour ceux qui me faisaient souffrir, d’offrir mes souffrances en expiation pour eux, s’ils en avaient besoin. » Et ailleurs : « … Je suis une lyre que l’orage brise, mais qui, en se brisant, retentit de l’harmonie que vous êtes destinée à écouter… Je suis destiné à vous éclairer en me consumant… Je voudrais croire, et j’essaie de prier… » Par malheur pour Benjamin Constant, ces élans qui se ranimaient près de Mme de Krüdner, et qui étaient au comble pendant la durée du Pater qu’il récitait avec elle, ne se soutinrent pas, et il retomba bientôt au morcellement, à l’ironie, au dégoût des choses, d’où ne le tiraient plus que par assauts ses nobles passions de citoyen213.

86. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le cardinal de Richelieu. Ses Lettres, instructions et papiers d’État. Publiés dans la Collection des documents historiques, par M. Avenel. — Premier volume, 1853. — II. (Fin.) » pp. 246-265

Richelieu reste l’ancien et le futur ministre de la monarchie, même dans la disgrâce et dans l’exil ; il sent à l’avance sa destinée ; il ne dément pas son avenir. […] À la fin de ce portrait de Luynes, l’écrivain a, je ne sais comment, une fraîcheur et une légèreté d’expression qui ne lui est point ordinaire, et qui montre que cette âme n’était point destinée si absolument à la sécheresse et à l’austérité : Sa mort fut heureuse, dit-il, en ce qu’elle le prit au milieu de sa prospérité, contre laquelle se formaient de grands orages qui n’eussent pas été sans péril pour lui à l’avenir ; mais elle lui sembla d’autant plus rude, qu’outre qu’elle est amère, comme dit le Sage, à ceux qui sont dans la bonne fortune, il prenait plaisir à savourer les douceurs de la vie, et jouissait avec volupté de ses contentements. […] Après la mort de Luynes, Richelieu n’entre pas encore au ministère ; les ministres qui sont en cour le redoutent, lui sachant tant de lumières et de force de jugement ; ils retardent le plus qu’ils peuvent le moment où le roi prendra de lui quelque connaissance particulière, de peur de le voir aussitôt à la tête des affaires : « J’ai eu ce malheur, dit-il, que ceux qui ont pu beaucoup dans l’État m’en ont toujours voulu, non pour aucun mal que je leur eusse fait, mais pour le bien qu’on croyait être en moi. » Ils ont beau faire, ils ont beau s’opposer à la destinée et s’enfoncer chaque jour dans leurs dilapidations et dans leurs fautes, le moment approche, il est venu, Richelieu désormais est inévitable. […] La présomption est un des grands vices qu’un homme puisse avoir dans les charges publiques, et, si l’humilité n’est requise dans ceux qui sont destinés à la conduite des États, la modestie leur est tout à fait nécessaire. […] qui sait ce qu’auraient pu devenir, perdues dans un misérable règne de trente-trois années, les destinées de la France ?

87. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MADAME TASTU (Poésies nouvelles.) » pp. 158-176

Mais en suivant la destinée poétique de Mme Tastu, en la voyant cheminer si pure, si attentive et discrète, si comprimée parfois dans sa ligne tracée ; en lui entendant opposer d’autres talents de femmes, plus brûlants, plus passionnés en apparence, et non pas soutenus d’âmes plus profondes, je me suis dit que bien des bonnes et essentielles qualités interdisent souvent à des qualités plus spécieuses ou à de brillants défauts de se produire avec avantage. […] Comme les amours Psyché expriment une métamorphose de l’âme, les destinées de Peau-d’Ane représentent, selon le poëte, les destinées du siècle, de ce Siècle-Midas, de ce Siècle-Prose, lequel, sous son enveloppe matérielle, cache un germe à demi clos de foi, de poésie et de beauté. […] Après l’Ange Gardien, dont la rayonnante image continuera de planer, aux heures de rêverie, sur les destinées de toute jeune fille chrétienne et de toute épouse fidèle, ce volume nouveau, mélange de souffrance, d’étude et de maturité sensée, a son charme également béni.

88. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Rodolphe Topffer »

C’est à ce moment de satisfaction légitime et de plénitude, comme il arrive trop souvent, que sa destinée est venue se rompre : une maladie cruelle a, durant des mois, épuisé ses forces et usé son organisation avant l’heure, mais sans altérer en rien la sérénité de ses pensées et la vivacité de ses affections. […] L’exemple d’une telle destinée d’artiste est d’ailleurs trop rare, et, malgré la terminaison précoce, trop enviable, en effet, pour qu’on n’y insiste pas un peu. […] Aussi, malgré ses souffrances des derniers temps, malgré les douleurs si légitimes et si inconsolables qu’il laisse en des cœurs fidèles, pourrait-on se risquer à trouver que cette fin même est heureuse, et que sa destinée tranchée avant l’heure a pourtant été complète, si un père octogénaire ne lui survivait : les funérailles des fils, on l’a dit, sont toujours contre la nature quand les parents y assistent. […] Comment il s’intéresse au premier aspect à ces deux jeunes personnes étrangères, comment il les remet dans leur chemin qu’elles avaient perdu, comment il les rencontre de temps en temps et se trouve peu à peu et sans le vouloir mêlé à leur destinée : tout cela est raconté avec une simplicité et un détail ingénu qui finit par piquer la curiosité elle-même.

89. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre VI. Jean-Baptiste  Voyage de Jésus vers Jean et son séjour au désert de Judée  Il adopte le baptême de Jean. »

Depuis que la nation juive s’était prise avec une sorte de désespoir à réfléchir sur sa destinée, l’imagination du peuple s’était reportée avec beaucoup de complaisance vers les anciens prophètes. […] La retraite au désert devint ainsi la condition et le prélude des hautes destinées. […] La croyance à ces résurrections était fort répandue 297 ; on pensait que Dieu allait susciter de leurs tombeaux quelques-uns des anciens prophètes pour servir de guides à Israël vers sa destinée finale 298. […] Le baptême n’était du reste pour Jean qu’un signe destiné à faire impression et à préparer les esprits à quelque grand mouvement.

90. (1854) Préface à Antoine Furetière, Le Roman bourgeois pp. 5-22

que ces âmes inflammables, auxquelles la nature donne de si vigoureuses colères contre le vice, de si éloquents ressentiments de l’injustice, portent en elles le châtiment de leur propre délicatesse, et sont destinées à expier dans leurs personnes les vices qu’elles châtient ? […] Machiavel, dont le Traité du Prince peut passer pour un pamphlet contre la corruption des mœurs de son temps, et dont les comédies sont à coup sûr des satires du genre le plus vif, après avoir subi deux fois l’exil et la torture, meurt victime d’une méprise, pour s’être trompé sur la dose du médicament destiné à le soulager. […] 12 L’abbé d’Olivet, dans le complément qu’il a donné à la galerie des portraits académiques de Pélisson, étend sur le cadre destiné à Furetière le crêpe noir des Doges décapités. […] L’Amour, descendu sur la terre pour fuir une correction maternelle, s’attache successivement à différents types, destinés, dans la pensée de l’auteur, à attester la dépravation des sentiments et l’avilissement des cœurs de son siècle : une pédante, Polymathie-Armande ; une prude, Archelaïde-Arsinoë ; une coquette, Polyphile-Célimène ; Landore, une sotte ; Polione, une courtisane, etc., etc.

91. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 15, des personnages de scelerats qu’on peut introduire dans les tragedies » pp. 115-119

L’horreur qu’inspirent les discours d’Oénone nous rend plus sensibles à la malheureuse destinée de Phédre ; le mauvais effet des conseils de cette confidente que le poëte lui fait toujours donner à Phedre, quand elle est prête à se repentir, rend cette princesse plus à plaindre, et ses crimes plus terribles. […] Or comme la destinée de Phédre est semblable à celle de Canacée, tout ce que l’italien allegue pour sa défense justifie le françois, et j’y renvoïe mon lecteur.

92. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XI. De la littérature du Nord » pp. 256-269

La tristesse fait pénétrer bien plus avant dans le caractère et la destinée de l’homme, que toute autre disposition de l’âme. Les poètes anglais qui ont succédé aux Bardes écossais, ont ajouté à leurs tableaux les réflexions et les idées que ces tableaux même devaient faire naître ; mais ils ont conservé l’imagination du Nord, celle qui plaît sur le bord de la mer, au bruit des vents, dans les bruyères sauvages ; celle enfin qui porte vers l’avenir, vers un autre monde, l’âme fatiguée de sa destinée. […] Ce que l’homme a fait de plus grand, il le doit au sentiment douloureux de l’incomplet de sa destinée.

93. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 12, des siecles illustres et de la part que les causes morales ont au progrès des arts » pp. 128-144

Mais ils veulent soûtenir le poëme dont la foiblesse a besoin d’appui, en montrant une prédilection affectée pour lui, quand ils abandonnent à leur destinée ceux de leurs ouvrages, qui peuvent se soûtenir avec leurs propres aîles. […] Comme nous voïons présentement qu’il se forme de temps en temps des congrès où les représentans des rois et des peuples qui composent la societé des nations, s’assemblent pour terminer des guerres et pour regler la destinée des états ; de même il se formoit alors de temps en temps des assemblées, où ce qu’il y avoit de plus illustre dans la Grece, se rendoit pour juger quel étoit le plus grand peintre, le poëte le plus touchant et le meilleur athlete. […] Enfin, les ouvrages des grands maîtres n’étoient point regardez, dans le temps dont je parle, comme des meubles ordinaires destinez pour embellir les appartemens d’un particulier.

94. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « LEOPARDI. » pp. 363-422

la belle destinée, de ne pouvoir plus mourir sinon avec un immortel !  […] Le tout était accompagné de notes et de commentaires destinés à jeter une docte poussière aux yeux. […] Pour les noces de sa sœur Paolina, il compose un épithalame héroïque qui semble destiné à Cornélie : « Tu auras des fils ou malheureux ou lâches : préfère-les malheureux !  […] Seul et presque étranger aux lieux où je suis né, Je passe le printemps qui m’était destiné. […] Mes sentiments envers la destinée ont été et sont toujours ceux que j’ai exprimés dans Bruto minore.

95. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

cette sœur, son unique refuge sur la terre, était destinée à mourir avant lui de ses propres peines. […] La férocité septentrionale et le christianisme oriental avaient produit, par leur union, cette fleur étrange de civilisation destinée à une brillante et courte floraison en Occident. […] « Ô mortel trop heureux d’avoir connu la disgrâce, si le ciel ne t’envie point la douce destinée dont tu jouis, aie pitié de mes malheurs ! […] La Jérusalem conquise, épurée des épisodes trop profanes, mais aussi des grâces de la Jérusalem délivrée, était destinée, selon lui, à effacer ce premier poème de la mémoire des hommes, et à immortaliser son nom sur la terre en assurant son salut dans le ciel. […] « La couronne que je vous destine, lui dit le pontife, recevra de vous autant de lustre qu’elle en confère aux autres poètes. » La mauvaise saison fit remettre le couronnement au printemps.

96. (1899) Les industriels du roman populaire, suivi de : L’état actuel du roman populaire (enquête) [articles de la Revue des Revues] pp. 1-403

Ne travaillant que pour les besoins de la restauration populaire, ils épicent en conséquence la nourriture qu’ils destinent à des estomacs grossiers. […] Pour témoigner de ses intentions salubres, elle a remplacé l’apologie de l’escarpe par des tas d’incestes et l’éternel cambriolage par des fleuves de poison destinés à des troupeaux de victimes. […] Le roman-feuilleton, destiné à paraître chaque matin par tranches menues, doit être avant tout un roman d’action. […] Il est dans notre destinée de ne réaliser un bien que pour nous créer des devoirs nouveaux et plus difficiles. […] Pour éviter la confusion, ceux qui seraient destinés aux classes humbles et laborieuses ne contiendraient qu’un nombre restreint de volumes, choisis avec soin.

97. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

Il existe sans doute, dans les ouvrages d’esprit, un autre genre de gaieté que celle qui tient presque uniquement à des plaisanteries sur l’ordre social ou sur la destinée humaine ; c’est l’observation juste et fine des passions et des caractères. […] L’ordre social qui, chez les anciens, créait des esclaves, creusait encore plus avant l’abîme de la misère, élevait encore plus haut la fortune, et donnait à la destinée humaine des proportions vraiment théâtrales. […] Déjà même l’homme a trop souffert comme homme pour que les dignités, le pouvoir, les circonstances enfin qui sont particulières à quelques destinées seulement, ajoutent beaucoup à l’émotion causée par le malheur. […] Le nom de M. de Malesherbes, sa noble et terrible destinée, seraient le sujet de la tragédie du monde la plus touchante. […] Le célèbre métaphysicien allemand, Kant, en examinant la cause du plaisir que font éprouver l’éloquence, les beaux-arts, tous les chefs-d’œuvre de l’imagination, dit que ce plaisir tient au besoin de reculer les limites de la destinée humaine ; ces limites qui resserrent douloureusement notre cœur, une émotion vague, un sentiment élevé les fait oublier pendant quelques instants ; l’âme se complaît dans la sensation inexprimable que produit en elle ce qui est noble et beau ; et les bornes de la terre disparaissent quand la carrière immense du génie et de la vertu s’ouvre à nos yeux.

98. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) «  Mémoires de Gourville .  » pp. 359-379

La destinée veut qu’il ne se passe rien de considérable dans le monde qu’il ne s’y trouve ; et toute la fortune du royaume et de M. le cardinal n’est pas assez grande pour nous faire battre les ennemis, s’il n’y joint la sienne. […] Il arriva alors, et c’est une de ces singularités piquantes qui sont le cachet de sa destinée, que cet homme pendu en effigie à Paris, et rançonné par Colbert, devint, par M. de Lionne, l’homme du roi en Allemagne, et fut chargé de négociations délicates auprès des princes de la maison de Brunswick. […] « Il m’a souvent passé par l’esprit, dit Gourville, que les hommes ont leurs propriétés à peu près comme les herbes61, et que leur bonheur consiste d’avoir été destinés ou de s’être destinés eux-mêmes aux choses pour lesquelles ils étaient nés. » Et, s’appliquant cette pensée à lui-même, il ajoute : « J’oserais quasi croire que j’étais né avec la propriété de me faire aimer des gens à qui j’ai eu affaire, et que c’est cela proprement qui m’a fait jouer un assez beau rôle avec tous ceux à qui j’avais besoin de plaire. » Gourville fit bien des conquêtes en ce genre, mais la plus difficile, et qui prouve le plus pour lui, fut celle de Colbert. […] Dans la dernière maladie qu’il fit, étant à Fontainebleau, au moment de mourir, il exprima à Gourville ses intentions pour son testament, et en peu de paroles il lui déclara ce qu’il voulait faire pour ses domestiques et pour lui en particulier, à qui il destinait cinquante mille écus, ajoutant obligeamment qu’il ne pouvait jamais reconnaître assez les services qu’il lui avait rendus : Je ne lui répondis rien, continue Gourville, et m’en allai faire dresser ce testament par son secrétaire, et sans notaire, avec toute la diligence possible.

99. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — I. » pp. 329-349

Parmi les étrangers célèbres qui se naturalisèrent en France au xviiie  siècle, aucun n’eut plus d’influence, et une influence plus directe sur nos destinées, que M.  […] Le jeune Necker fut destiné de bonne heure à la banque. […] « Il était né penseur, et les pensées d’autrui ne pouvaient se mêler avec les siennes. » Ce qu’il devait être un jour, ce n’était que par un long travail intérieur qu’il était destiné à le devenir. […] C’est aux secondes places que le vouloir est gêné, parce que toutes sortes de ménagements sont alors nécessaires, et qu’il faut y destiner une partie de ses moyens. […] Necker avec moins de distinction et de délicatesse : Je choisirai toujours les femmes pour exemple, dit-il, parce qu’elles sont plus particulièrement destinées à la garde des vanités, et que les hommes semblent eux-mêmes l’avoir voulu ainsi.

100. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — II. (Fin.) » pp. 296-311

A-t-il à parler (13 août 1779) d’un médecin et chirurgien irlandais, David Macbride, il insistera particulièrement sur les qualités que doit réunir un médecin des femmes et particulièrement un accoucheur : Nées, dit-il, pour la peine autant que pour le plaisir, dévouées en quelque sorte à l’éducation et au bonheur des hommes, destinées à leur fournir le premier aliment et à leur prodiguer les premiers soins, exposées à un grand nombre d’infirmités et de maladies dont cette noble fonction est la source, les femmes ont toujours eu l’intérêt le plus vif à s’occuper de leur santé et à choisir un médecin habile. […] De même pour l’immortalité et pour l’avenir des destinées humaines : rendant compte, dans son Éloge de Buffon, des Époques de la nature et rappelant l’hypothèse finale du grand naturaliste lorsqu’il peint la lune déjà refroidie et lorsqu’il menace la terre de la perte de sa chaleur et de la destruction de ses habitants : Je demande, s’écrie-t-il, si cette image lugubre et sombre, si cette fin de tout souvenir, de toute pensée, si cet éternel silence n’offrent pas quelque chose d’effrayant à l’esprit ; je demande si le désir des succès et des triomphes, si le dévouement à l’étude, si le zèle du patriotisme, si la vertu même, qui s’appuie si souvent sur l’amour de la gloire, si toutes ces passions, dont les vœux sont sans limites, n’ont pas besoin d’un avenir sans bornes ? […] Necker redevenu ministre, et en qui reposaient en ce moment les destinées de la France. […] Semblable à ce météore terrible qui, formé de mille courants divers, menace du haut de la nue les sommets escarpés et semble être destiné par la nature à maintenir l’égalité physique sur le globe, la foudre révolutionnaire qui est en vos mains, et que dirige habilement votre génie, continuera de renverser les trônes, fera tomber les têtes superbes qui voudraient s’élever au-dessus du niveau que vous avez tracé ; elle établira l’égalité politique et (l’égalité) morale, qui sont les bases de notre liberté sainte… Voilà jusqu’où l’exaltation de la peur et l’espoir de se faire pardonner de Couthon, Saint-Just et consorts, pouvaient conduire le ci-devant médecin de la reine, un écrivain académique élégant.

101. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Léonard »

Sa destinée incomplète et touchante, revenant se dessiner, comme sur un fond de tableau funèbre, dans le malheur commun des siens, rappellera l’intérêt qu’elle mérita d’inspirer tout d’abord, et nul ici ne s’avisera de reprocher l’indulgence. […] Cet écueil est encore évitable dans les pièces plus courtes, dans les simples églogues et idylles proprement dites, qui, d’ailleurs, permettent bien moins de laisser entrevoir le revers de la destinée et de diversifier les couleurs ; mais Théocrite bien souvent, et Goldsmith une fois, y ont réussi. […] Un grand événement de cœur remplit sa jeunesse et semble avoir décidé de toute sa destinée. […] Son Altesse me prévint hier qu’elle lui destinait une très-belle tabatière d’or émaillé, et me dit qu’elle allait le faire appeler pour la lui offrir devant moi.

102. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Essai, sur, les études en Russie » pp. 419-428

Ceux d’entre les écoliers qui ne se destinent pas aux études, c’est-à-dire qui ne veulent devenir ni théologiens, ni jurisconsultes, ni médecins, se contentent de passer cinq ou six années dans ces écoles, à fréquenter les trois ou quatre premières basses classes, après quoi ils quittent le gymnasium pour prendre le parti du commerce ou d’autres professions honorables. […] L’étudiant qui arrive choisit d’abord une des trois premières facultés suivant l’état auquel il se destine, mais ses premières études regardent pourtant principalement la philosophie. […] J’observe qu’il serait bon, dans ces Lese-Schreib und Rechen-Schulen, de pousser l’instruction plus loin qu’elle ne va communément en Allemagne, et d’y faire enseigner, par exemple, à ceux qui se destinent aux professions mécaniques et au commerce, la manière de tenir les livres en parties doubles, la science du change, et tout ce qu’il est bon, dans ces professions, de savoir pour y devenir plus habile en moins de temps. […] Je me garderai bien de dire à Sa Majesté Impériale s’il faut introduire en Russie l’étude du grec et du latin, ou destiner les écoles illustres, les gymnasia, à d’autres études : elle saura cela mieux que feu M. 

103. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 13, qu’il est des sujets propres specialement pour la poësie, et d’autres specialement propres pour la peinture. Moïens de les reconnoître » pp. 81-107

Il est encore plus facile, sans comparaison, au poëte qu’au peintre de nous affectionner à ses personnages, et de nous faire prendre un grand interêt à leur destinée. Les qualitez exterieures comme la beauté, la jeunesse, la majesté et la douceur que le peintre peut donner à ses personnages, ne sçauroient nous interesser à leur destinée autant que les vertus et les qualitez de l’ame que le poëte peut donner aux siens. […] S’il y prend un grand interêt, il faut que le poëme fixe sa destinée, et qu’il nous en instruise. […] Le peintre doit avoir cette attention sans cesse, mais elle lui est encore plus necessaire quand il fait des tableaux de chevalet destinez à changer souvent de place comme de maître.

104. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 14, qu’il est même des sujets specialement propres à certains genres de poësie et de peinture. Du sujet propre à la tragedie » pp. 108-114

Un pareil sujet ne veut pas être répresenté avec de petites figures destinées à l’embellissement d’un païsage. […] Un scelerat qui subit sa destinée ordinaire dans un poëme, n’excite pas aussi notre compassion ; son supplice, si nous le voïions réellement, exciteroit bien en nous une compassion machinale : mais comme l’émotion que les imitations produisent n’est pas aussi tyrannique que celle que l’objet même exciteroit, l’idée des crimes qu’un personnage de tragedie a commis nous empêche de sentir pour lui une pareille compassion.

105. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes de l’Évangile » pp. 89-93

Tel qu’il est cependant, et au point de vue où le livre de Michelet nous a placés, c’est un enseignement qui fait du bien et qui redresse… Les Femmes de l’Évangile sont plus que de l’histoire ; mais elles sont aussi de l’histoire, et, comme tout se tient dans la vérité et dans le Christianisme, elles peuvent démontrer, à ceux qui croiraient à l’héroïsme des femmes là où le met Michelet, l’erreur profonde dans laquelle il s’enfonce sur leur destinée et sur leurs vertus. En effet, Michelet, qui a une passion malheureuse pour les idées générales, Michelet, qui veut toujours aller du fait à l’idée, — ce qui est un glorieux chemin, mais dans lequel il tombe toujours, — Michelet se préoccupe beaucoup, dans son histoire des Femmes de la Révolution, de la destinée future de la femme, et nous vous dirons qu’à plus d’une page il n’est pas médiocrement embarrassé.

106. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (3e partie) » pp. 5-56

Ce serait un pauvre spectacle, aux yeux de cette adorable Divinité, de qui tout émane et à qui tout aboutit, de cette âme universelle qui n’est qu’âme, c’est-à-dire intelligence, volonté, force et perfection, que le spectacle de populations plus ou moins nombreuses broutant la terre dans un ordre plus ou moins régulier, comme celui du troupeau devant le chien, sans autre fin que de se partager plus ou moins équitablement l’herbe qui nourrit leur race, jusqu’au jour où leurs cadavres iront engraisser à leur tour le fumier vivant tiré du fumier mort, et destiné à devenir à son tour un autre fumier ! […] Parce que la société politique ne se compose pas seulement de corps qui produisent, qui consomment, qui vivent et qui meurent ensevelis dans le sillon qui les a nourris ; mais parce que la société morale se compose avant tout d’une âme immortelle dont la destinée immortelle est de rendre gloire à son Créateur en se perfectionnant et en se sanctifiant éternellement devant lui. […] De ces deux moitiés de l’homme, ils ont, dans leur acte de société, oublié la principale : l’âme, et sa destinée immortelle et infinie. […] Car il croit que Dieu n’a pas borné à ces phénomènes d’agglomération, de révolution, de progrès matériel, de décadence, de dissolution et de disparition, les destinées de cette noble catégorie d’êtres appelés hommes ; que ces êtres ne sont pas bornés dans tous leurs développements par la tombe ; mais que le vrai contrat social, celui dont l’âme de l’humanité est l’élément, celui dont la vertu est le mobile, celui dont le devoir est la législation, celui dont Dieu lui-même est le souverain, le spectateur et la récompense, que ce contrat social, interrompu ici à chaque génération par la mort, ne se résilie pas dans la poussière de ce globe. […] Ce serait ainsi qu’une femme inspirée, une sainte Thérèse d’une religion pacifique et unanime, aurait à son insu laissé dans l’âme du philosophe sceptique et mobile de Genève la pensée de ce christianisme primitivement révélé par la conscience, encore sans ombre, à l’humanité, et destiné à réconcilier toutes les morales, tous les schismes et tous les cultes de l’esprit dans une lumière, dans une adoration et dans une charité communes.

107. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIVe entretien. Mélanges »

M. de Genoude y fit connaissance de M. de Chateaubriand, de M. de Lamennais et de la plupart des hommes de lettres de l’époque appartenant alors au parti religieux et royaliste, auquel sa mère lui avait recommandé d’être fidèle ; il semblait se destiner à la prêtrise. […] Ceci n’est que l’ébauche d’une critique générale de l’œuvre sociale écrite au courant de la plume, et destinée à être revue et corrigée à loisir avant de permettre qu’on l’imprime. […] m’écriai-je, quelle destinée ! […] Il avait épousé l’actrice d’un petit théâtre, objet de sa passion, et elle n’avait pas hésité à suivre au bout d’un autre monde la destinée qui s’était perdue pour elle dans ce monde-ci. […] La destinée n’avait pas voulu qu’il restât rien sur la terre de sa charmante mère et de son infortuné père.

108. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre septième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie. »

Les conceptions abstraites de la philosophie et de la science moderne ne sont pas faites pour la langue des vers, mais il y a, une partie de la philosophie qui touche à ce qu’il y a de plus concret au monde, de plus capable de passionner : c’est celle qui pose le problème de notre existence même et de notre destinée, soit individuelle, soit sociale. […] » Pauvre interrogation d’enfant destinée à rester à jamais sans réponse ! […] L’homme, en qui Dieu travaille, Change éternellement de formes et de taille : Géant de l’avenir à grandir destiné, Il use en vieillissant ses vieux vêtements, comme Des membres élargis font éclater sur l’homme    Les langes où l’enfant est né. […] IV — Alfred de Musset Le problème du mal, de la vie et de la destinée, c’est ce qui donne à tant de vers de Musset leur sentiment profond. […] Nous ne pouvons sortir de la réalité, ni nous satisfaire avec elle : « Dieu parle, il faut qu’on lui réponde ;  » la vérité nous adresse ainsi un grand appel, destiné à n’être jamais ni complètement entendu, ni tout à fait trahi.

109. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Lettres d’une mère à son fils » pp. 157-170

L’Histoire est une seconde destinée. […] Il ne porterait pas pour épigraphe ces mots irréfléchis, tracés par madame d’Alonville elle-même : « Destiné à vivre parmi les hommes, médite ces mots et prends-les pour devise : connaître, tolérer, aimer, servir. » Car la destinée de l’homme est d’habiter un jour le ciel conquis par ses œuvres, et non pas de passer chétivement parmi ses semblables trente-trois ans et demi, en moyenne actuelle.

110. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [V] »

Les hommes ne se rendent jamais bien compte de leur destinée, tandis qu’ils sont en train de se la faire. […] Destiné par le sort à vivre loin de mes pénates, mon avis n’en est que plus impartial et plus méritoire. […] — Et ici je n’indiquerai que l’indispensable, mais je le ferai d’après les guides les plus sûrs. — Jomini s’efforça de prouver la fausseté du système qui prévalait encore, et qui consistait à placer un réseau de forteresses sur les frontières comme autant de boucliers destinés à repousser une invasion de l’ennemi. […] Mais aujourd’hui, sous le règne plus éclairé et libéral (au point de vue russe) de l’empereur Alexandre II, on est revenu à l’idée première qui présida à cette institution destinée à créer une pépinière d’officiers instruits et capables. […] J’ai donc tâché d’y apporter toute lumière et, sans rien voiler, rien qu’en exposant, de faire en sorte que tous ceux qui sont et seront plus ou moins ses disciples puissent l’apprécier, le voir tel qu’il était en effet, le bien comprendre dans ses vicissitudes de sentiments et de destinée, le plaindre, l’excuser s’il le faut, pour tout ce qu’il a dû souffrir, l’aborder, l’entendre, le connaître enfin de près et comme il sied, d’homme à homme, et peut-être l’affectionner

111. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo en 1831 »

Cette jeune vie s’harmonisait déjà par des rapports anticipés et fortuits avec la grande destinée qu’elle devait célébrer un jour ; ce frêle écheveau invisible se mêlait déjà à la trame splendide, et courait obscurément au bas de la pourpre encore neuve dont plus tard il rehaussa le lambeau.  […] Au printemps de 1811, il partit avec sa mère et ses frères pour l’Espagne, où il rejoignit son père, général dès 1809, puis premier majordome du palais et gouverneur de deux provinces ; il logea quelque temps au palais Macerano, à Madrid, et de là fut mis au séminaire des nobles, où il resta un an ; on le destinait à entrer dans les pages du roi Joseph, qui l’aimait  beaucoup. […] Comme il les destinait à l’École polytechnique, il les plaça dans la pension Cordier et Decote, rue Sainte-Marguerite ; ils y restèrent jusqu’en 1818 et suivirent de là les cours de philosophie, de physique et de mathématiques au collége Louis-le-Grand.  […] Han d’Islande, commencé dès 1820, et qu’il ne publia par suite d’obstacles matériels qu’en 1823, devait être, à l’origine et dans la conception première, un tendre message d’amour destiné à tromper les argus, et à n’être intimement compris que d’une seule jeune fille. […] Eugène surtout (à qui nous devons bien, puisque nous l’avons nommé, ce triste et religieux souvenir), adolescent mélancolique, plus en proie à la lutte, plus obsédé et moins triomphant de la vision qui saisit toutes les âmes au seuil du génie et les penche, échevelées, à la limite du réel sur l’abîme de l’invisible, Eugène a exprimé dans le recueil cette pensée pénible, cet antagonisme désespéré, ce Duel du précipice ; la poésie soi-disant erse, qu’il a composée sous ce nom, est tout un symbole de sa lugubre destinée.

112. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — II. (Lettres écrites du donjon de Vincennes.) » pp. 29-50

Il écrivait au jour le jour, par besoin, par nécessité, s’aidant de tous les moyens à sa portée : « Il semble que ma fatale destinée soit d’être toujours obligé de tout faire en vingt-quatre heures. » Pourtant, à travers les inégalités et les obstacles, sa puissante nature intérieure suivait sa pente et poussait sa voie. […] Mirabeau, dans sa première jeunesse, s’était cru d’abord destiné à la guerre et à la gloire des armes : Élevé, dit-il, dans le préjugé du service, bouillant d’ambition, avide de gloire, robuste, audacieux, ardent, et cependant très flegmatique, comme je l’ai éprouvé dans tous les dangers où je me suis trouvé ; ayant reçu, de la nature, un coup d’œil excellent et rapide, je devais me croire fait pour le service. […] Lucas-Montigny m’a bien voulu confier, je trouve une traduction de l’Agricola de Tacite ; un petit Traité de l’inoculation, destiné à éclairer, à convaincre Sophie, pour qu’elle fît inoculer leur enfant ; un petit Abrégé de grammaire française, destiné aussi à cet enfant qu’ils avaient nommé Gabriel-Sophie. […] C’est pour elle que j’ai fait ce petit ouvrage, qui m’a coûté du temps et de la peine ; c’est pour elle, dis-je, car, pour toi, je ne me consolerais pas si tu allais consulter la Grammaire sur une phrase que tu me destines ou que tu m’adresses.

113. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — I. » pp. 414-435

Parlant quelque part des instincts variés des animaux et les assimilant à ces affections secrètes et innées qui sont réparties à chaque homme destiné à percer ou à souffrir : Notre vie entière, dit-il, n’en est pour chacun de nous que le développement. […] Hennin, qui vient d’aider Bernardin de sa bourse, a le droit de lui donner ces bons conseils ; il lui parle le langage d’un esprit juste qui suppose à son correspondant le désir réel de fixer sa fortune et sa destinée. […] Hennin lui obtient de M. de Vergennes (29 novembre 1780) une gratification de trois cents livres sur les fonds destinés aux gens de lettres : « C’est peu de chose, mais il s’agit de débuter. » D’ailleurs ces gratifications sur les fonds littéraires sont annuelles et équivalent à une pension à vie, quoiqu’on ne l’annonce pas formellement. […] M. le comte de Vergennes, à qui toutes les personnes qui l’entourent parlent de vous comme d’un homme qui est malheureux, et qui cependant a fait preuve de bonne volonté en Pologne et bien servi à l’île de France, qui d’ailleurs peut être employé utilement, vous assigne une gratification sur des fonds affectés à son département et destinés à récompenser des services qui n’y ont qu’un rapport éloigné : vous appelez ce secours une aumône, vous le rejetez, et vous rudoyez l’ami qui, après trois ans de soins, est parvenu à décider le ministre en votre faveur. […] [NdA] Les gravures qui accompagnaient la première édition du Voyage, ont un caractère philanthropique marqué et sont surtout destinées à attendrir sur le sort des noirs ; elles sentent le voisinage de l’abbé Raynal et de l’Histoire philosophique des deux Indes.

114. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — La rentrée dans l’ordre »

L’enfant destiné au sacerdoce est pris, dès le début, comme dans l’engrenage d’une machine savamment conçue, qui le déshumanise fibre par fibre, cellule par cellule, qui travaille sourdement, jour par jour, à épuiser en lui les sources de la vie. […] Et pourtant cet individu sans individualité a pour mission de présider aux destinées spirituelles de ses frères. […] Atrophié dès le début par le séminaire, obscurci à l’âge viril par la chasteté, tenu perpétuellement en laisse par l’Église, malade de corps, de cœur et d’intelligence, le prêtre nous apparaît donc, parmi l’espèce humaine, l’être le moins apte à remplir le rôle qui lui est destiné, celui d’apôtre, d’éclaireur et de guide. […] Toutes les religions, toutes les morales, tous les systèmes basés sur le non-être, sont destinés à faire banqueroute, car la vie emporte chaque jour ce qui s’élève contre elle ; et quand bien même la terre se couvrirait de séminaires et de faux apôtres en robes de deuil, cette lèpre formidable n’empêcherait pas le globe d’accomplir sa révolution, ni le sang de parcourir les veines. […] Puisque le monde est un lieu sans espoir, orientons notre destinée vers le mystique séjour ; puisque l’Église possède toute la vérité, étouffons tout ce qui n’est pas sa doctrine ; puisque le corps de l’homme n’est qu’abjection, exaltons, à ses dépens, sa divine substance spirituelle.

115. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 26, que les jugemens du public l’emportent à la fin sur les jugemens des gens du métier » pp. 375-381

Il faut bien que les gens du métier se trompent souvent, puisque leurs jugemens sont ordinairement cassez par ceux du public, dont la voix fit toujours la destinée des ouvrages. […] Le public les avoit condamnez à cette destinée six mois après leur naissance.

116. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre huitième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Victor Hugo »

La destinée et l’immortalité. — IV. […] Où commence la destinée ? […] Comme Lamartine dans Jocelyn, Hugo raconte à son tour, en symboles et en mythes, la destinée humaine, — ou plutôt la destinée universelle. […] Le dernier mot d’Hugo sur la destinée est celui de Platon dans la République : ϴεὸς ἀναίτιος. […] Ma vie est la vôtre, votre vie est la mienne, vous vivez ce que je vis ; la destinée est une… Hélas !

117. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Nouveaux voyages en zigzag, par Töpffer. (1853.) » pp. 413-430

Près de mourir, Töpffer reviendra sur cette idée d’assujettissement, d’acquiescement intime et volontaire qui était le trait essentiel de sa foi : « Qui dispute, doute ; qui acquiesce, croit… Je crois et je me confie, deux choses qui peuvent être des sentiments vagues, sans cesser d’être des sentiments forts et indestructibles. » Dès le temps où il visitait la Grande-Chartreuse, Töpffer, voyant ce renoncement absolu qui imprime le respect et une sorte de terreur, s’était posé dans toute sa précision le problème qui est fait pour troubler une âme préoccupée des destinées futures : le chartreux, le trappiste, en effet, le disciple de saint Bruno ou de Rancé vit chaque jour en vue de sa tombe, tandis que d’autres, la plupart, ne vivent jamais qu’en vue de la vie et comme s’ils ne devaient jamais mourir : Destinée étrange que celle de l’homme ! […] Douze ans après, au lit de mort lui-même, et durant sa dernière maladie, Töpffer revenait sur cette méditation, sur cette énigme de la destinée, dont il avait désormais une pleine conscience, et il la dénouait, selon sa mesure, en homme de famille, en époux et en père, pieux, résigné et saignant : « Renoncer au monde, si l’on prend le précepte à la lettre, disait-il, c’est fausser sa destinée en dépravant sa nature.

118. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

L’œuvre de Veyrat laisse fort à désirer ; mais son existence, sa destinée, sont bien celles d’un poëte, d’un des blessés du temps dans la lutte des idées, et aujourd’hui que Savoie et France ne font qu’un et que sa patrie est nôtre, il mérite d’être visité et honoré de nous dans sa tombe. […] Il me semblait que je pleurais avec un ami dont la douleur était la même, et que nos sanglots éclataient sous le poids d’une commune destinée ; tant il est vrai que la nature même, ce poëme de l’Éternel, n’a qu’un chant de désolation pour l’âme qui s’est une fois éloignée de son divin Auteur !  […] Il lui adressa une Épître en vers, destinée à être lue bientôt d’autres encore que du roi. […] Depuis que j’erre au gré des sombres destinées ; Du jour où je conçus mon funeste dessein, Assez de vers rongeurs ont dévoré mon sein ; De regrets déchirants ma fuite fut suivie ;.

119. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre IX. Inquiets et mystiques » pp. 111-135

Avons-nous une destinée, un idéal, un devoir, ou bien nous agitons-nous sans cause et sans but ? […] Il professe en toute certitude « que l’humanité a une destinée… Que faut-il entendre sous ce mot d’humanité ? — Je n’en sais en somme rien… Que faut-il entendre sous ce mot de destinée ? […] Desjardins a oublié de nous dire qu’il ne donnait aucun sens plus solide aux termes justice, amour, bien, loi, illusion, vanité, destinée, idéal, but, précédemment avancés.)

120. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Seconde partie. Nouvelles preuves que la société a été imposée à l’homme » pp. 243-267

On ne saurait trop le redire, l’homme n’est pas fait pour être seul, l’homme n’est rien tout seul, l’homme enfin ne peut séparer sa destinée de celle de ses semblables ; et le genre humain tout entier est solidaire. […] Carthage succombe, parce que sans doute la Providence jugea plus convenable de confier les destinées sociales aux vertus guerrières. […] Ajoutons ici que le gouvernement étant destiné, par la nature même de son institution, à réprimer les erreurs de la volonté d’un peuple, il est nécessaire qu’il soit primitivement imposé à ce peuple comme les autres nécessités sociales. […] Mais auparavant présentons, dans son ensemble, la théorie de la parole, en y comprenant l’esquisse rapide des destinées de la langue française.

121. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre V. Mme George Sand jugée par elle-même »

Les rapports sautent aux yeux entre ces deux talents et ces deux gloires ; seulement ils n’auront pas la même destinée. […] Voyez si vous trouvez pour exprimer les choses du cœur et de la pensée, plus que les vieilles images surannées, « d’autels renversés dans la fange, d’orages, de ruines qui croulent, de par vis, de feuilles sèches que disperse le vent de la mort, de la colombe qui construit son nid solitaire (pour dire le célibat), de volcans à peine fermés du sol (pour dire les passions apaisées), du forum (pour dire comme les avocats, là vie publique), de l’ange de la destinée, de la lampe de la foi, du vent, de la pluie, mais sur-« tout du vent, et pourquoi ? […] J’ai cité plus haut Mme Gottin, l’auteur de Malek-Adel, l’inspiratrice de tant de pendules d’épicier ; mais Mme Cottin parlerait-elle plus de « l’ange de la destinée, du volcan, de la chaîne brisée et du bouclier ? […] [Article inédit, probablement destiné au Pays, 1862.]

122. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre II. Des tragédies grecques » pp. 95-112

Leur destinée était pour les Grecs un sujet national ; le poète dramatique, en les représentant, n’avait qu’à développer les idées reçues : il n’était point obligé de créer à la fois le caractère et la situation ; le respect et l’intérêt existaient d’avance en faveur des hommes qu’il voulait peindre. […] On ne trouve dans leurs tragédies qu’un trait caractéristique de la démocratie ; ce sont les réflexions que les principaux personnages, que les chœurs répètent sans cesse, sur la rapidité des revers de la destinée et sur l’inconstance de la fortune. […] Sous l’empire d’un monarque tel que Louis XIV, sa volonté devait remplacer le sort, et l’on n’osait lui supposer des caprices ; mais dans un pays où le peuple domine, ce qui frappe le plus les esprits, ce sont les bouleversements qui s’opèrent dans les destinées ; c’est la chute rapide et terrible du faîte de la grandeur dans l’abîme de l’adversité.

123. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IX et dernier. Conclusion » pp. 586-601

Plusieurs, il est vrai, ont commis des actes criminels, et la médiocrité qui confond tout, se persuade que les forfaits d’un homme de génie ont illustré sa destinée. […] Sans doute on ne peut se promettre avec certitude de marcher sans faiblesse dans cette noble carrière ; mais ce qu’on peut, ce qu’on doit à l’espèce humaine, c’est de diriger tous ses moyens, c’est d’invoquer tous ceux des autres, pour répéter aux hommes, qu’étendue d’esprit et profondeur de morale, sont deux qualités inséparables ; et que, loin que la destinée vous condamne à faire un choix entre le génie et la vertu, elle se plaît à renverser successivement, de mille manières, tous les talents qui voguent au hasard sans ce guide assuré. […] Qu’il importe de veiller sur la première impulsion qu’on donne au cours de sa destinée !

124. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 32, que malgré les critiques la réputation des poëtes que nous admirons ira toujours en s’augmentant » pp. 432-452

Section 32, que malgré les critiques la réputation des poëtes que nous admirons ira toujours en s’augmentant La destinée des écrits de Ronsard ne me paroît pas à craindre pour les ouvrages de nos poetes françois. […] On peut même penser que les écrits des grands hommes de notre nation, promettent à notre langue la destinée de la langue grecque litterale et de la langue latine, c’est-à-dire, de devenir une langue sçavante, si jamais elle devient une langue morte. […] Ainsi nous pouvons promettre sans trop de témerité la destinée de Virgile, d’Horace et de Ciceron aux écrivains françois, qui font honneur au siecle de Louis Le Grand, c’est-à-dire, d’être regardez dans tous les temps et par tous les peuples à venir comme tenans un rang entre les grands hommes, dont les ouvrages sont réputez les productions les plus précieuses de l’esprit humain.

125. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VII. Vera »

Cet esprit puissant, mais dans un vide immense, s’est trompé de la plus petite erreur et de la plus commune sur le compte de la destinée humaine que Schelling, — un philosophe comme lui pourtant, — ne pouvait expliquer sans la Chute. […] Vera est tellement hégélien, qu’il pourrait bien rester tel par une de ces destinées qui tiennent à l’ordre hiérarchique des esprits dont les plus forts, dans un ordre d’idées, sont les plus fidèles ; mais s’il reste hégélien, nous lui devrons toujours Hegel, cet Hegel auquel il devra, lui, sa philosophie. […] Sous des noms différents, destinée commune.

126. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIV. Des panégyriques depuis la fin du règne de Louis XIV jusqu’en 1748 ; d’un éloge funèbre des officiers morts dans la guerre de 1741. »

L’orateur peint cette multitude féroce dont on se sert pour changer la destinée des empires ; il fait voir le soldat arraché de ses campagnes, les quittant par un esprit de débauche et de rapine, changeant de maîtres, s’exposant à un supplice infâme pour un léger intérêt, combattant quelquefois contre sa patrie, répandant sans remords le sang de ses concitoyens, et sur le champ de carnage attendant avec avidité le moment où il pourra de ses mains sanglantes arracher aux mourants quelques malheureuses dépouilles qui lui sont bientôt enlevées par d’autres mains. […] Nous avons une école où la jeune noblesse, destinée à la guerre, est élevée. […] La salle, ou le temple destiné à cette fête, serait orné de trophées et de drapeaux enlevés sur l’ennemi.

127. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXVII » pp. 298-304

Observons encore ici que madame Scarron, en apprenant à madame de Saint-Géran l’honorable intérêt témoigné par la cour à madame de Montausier, avait déjà plus d’une raison pour se croire destinée à hériter de sa considération. […] Le roi avait légitimé les enfants qu’il avait de madame de La Vallière ; madame Scarron était donc fondée à prévoir le même sort pour ceux de madame de Montespan ; et elle s’était mis dans l’esprit que les fils de Louis XIV, confiés à ses soins, ne devaient pas être les tourments de la France comme l’avaient été les bâtards de Henri IV, et qu’elle devait rendre ses élèves dignes de leur haute destinée, par leur moralité et leur esprit.

128. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 25, des personnages et des actions allegoriques, par rapport à la poësie » pp. 213-220

On peut s’en servir avec succès dans les fables et dans plusieurs autres ouvrages qui sont destinez pour instruire l’esprit en le divertissant, et dans lesquels le poëte parle en son nom et peut faire lui même l’application des leçons qu’il prétend nous donner. […] Les actions allegoriques ne conviennent qu’aux prologues des opera destinez pour servir d’une espece de préface à la tragedie, et pour enseigner l’application de sa morale.

129. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Gabriel Ferry »

Nous les avons vus dans Tocqueville, dans mistress Trollope, et même dans madame Beecher Stowe, et nous savons la puissance d’ennui que ce peuple travailleur a créée et à quelles splendides destinées d’abrutissement matériel il est réservé. […] pas renouvelé la face de la littérature, et rien ne nous fait présumer dans ce qu’il nous laisse qu’il fût destiné à raviver plus tard les vieilles sources du roman ou du conte, plus taries encore que celles du roman.

130. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VI. Des éloges des athlètes, et de quelques autres genres d’éloges chez les Grecs. »

Les poètes immortalisaient la patrie et les noms de ces hommes robustes ; et les concitoyens d’Homère et de Platon, d’Euripide et de Socrate, chantaient dans les assemblées et sous les portiques d’Athènes, des vers destinés à célébrer la souplesse ou la force des muscles d’un lutteur. […] C’est là encore que l’on voit le génie de ce peuple, qui mêlait à ses plaisirs mêmes des leçons de grandeur ; là, tous les arts étaient asservis à la politique, et la musique même, qui ailleurs n’est destinée qu’à réveiller des idées douces et voluptueuses, ou à irriter une sensibilité vaine, célébrait dans Athènes les grandes actions et les héros.

131. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 13, qu’il est probable que les causes physiques ont aussi leur part aux progrès surprenans des arts et des lettres » pp. 145-236

La destinée de la sculpture fut la même que celle de la peinture. […] Toutes les conjonctures qui décideroient de la destinée des beaux arts, s’il étoit vrai que cette destinée dépendît uniquement des causes morales, concouroient à les faire fleurir quand ils y sont tombez en décadence. […] C’étoit dans le quartier le plus considerable de la ville au bout du forum romanum, et comme on a sujet de le croire, au bas de celui des escaliers destinez à monter au Capitole, qui s’appelloit les cent degrez. […] Le siecle d’Auguste eut la même destinée qu’avoit eu le siecle de Platon. […] Ce fut sous Auguste que les médailles romaines commencerent à devenir belles, et la gravure est un art qui suit ordinairement la sculpture dans toutes ses destinées.

132. (1902) La métaphysique positiviste. Revue des Deux Mondes

La science, dans la pensée de Renan, n’apparaît-elle pas comme destinée à « remplacer » la religion ? […] Un système de rapports n’explique pas l’homme à lui-même, son origine ou sa destinée, ne résout pas l’énigme du monde. […] Obligée de convenir aujourd’hui qu’elle ne va pas au fond des choses, — que le sous-sol de son domaine, pour ainsi dire, échappe à son exploitation, — et quelle ne saurait nous dire ni ce que c’est que la chaleur, ni ce que c’est que la vie, ni ce que c’est que la pensée, quels titres aurait-elle à nous parler de notre destinée, des lois de notre conduite ou de la force qui gouverne le monde ? […] A tout le monde et à chacun, répond l’agnosticisme, si de tous nos droits le plus certain est sans doute celui de demeurer, en tant qu’hommes, les maîtres de notre croyance et les ouvriers de notre destinée. […] Mais de la conception d’Auguste Comte, ce qu’il faut pourtant retenir, c’est que, s’il appartient à quelqu’un d’approfondir et de préciser la notion de l’Inconnaissable, c’est à ceux qui font de la destinée de l’humanité le principal objet de leurs préoccupations ; qui ne sont curieux ni de l’art, ni de la science en soi, mais des services que l’art ou la science peuvent rendre à l’éducation morale de l’humanité ; et qui considèrent enfin que la sociabilité faisant le premier caractère de l’homme, c’est elle que notre perpétuel effort doit avoir pour ambition de développer, d’assurer, et de perfectionner.

133. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La princesse Mathilde » pp. 389-400

Fiancée d’abord avec son cousin Louis-Napoléon, les destinées du prince appelé à l’Empire, et y marchant à travers maint hasard, vinrent rompre presque aussitôt, à son égard, ces projets et ces arrangements de famille. […] Après un intervalle de plus de quarante ans l’Europe serait-elle donc destinée à servir de nouveau de théâtre à la reprise des mêmes drames sanglants ? […] Elle a fondé un établissement qui porte son nom, destiné aux jeunes filles incurables. — Il faut l’avoir vue, me dit-on, au milieu de cette enfance, partout ailleurs aimable, ici disgraciée, qui n’a que des laideurs et des misères à offrir : elle apparaît et console. — Sa maison est une sorte de ministère des grâces.

134. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre I. Place de Jésus dans l’histoire du monde. »

Entre toutes les tribus des Sémites nomades, celle des Beni-Israël était marquée déjà pour d’immenses destinées. […] Par un cycle de légendes, destinées à fournir des modèles d’inébranlable fermeté (Daniel et ses compagnons, la mère des Macchabées et ses sept fils 92, le roman de l’Hippodrome d’Alexandrie 93), les guides du peuple cherchent surtout à inculquer cette idée que la vertu consiste dans un attachement fanatique à des institutions religieuses déterminées. […] Ce fut comme une renaissance du prophétisme, mais sous une forme très — différente de l’ancienne et avec un sentiment bien plus large des destinées du monde.

135. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Jacques Cœur et Charles VII »

Seulement, dès qu’on a traversé toute cette splendeur et qu’on a mis la main sur le cœur de l’homme, on ne trouve plus qu’un être abject, auquel Dieu — qui sait seul ses desseins — a fait une grande destinée. […] Mêlé aux grandes affaires et les dominant, comme homme d’État et financier, Jacques Cœur rappelle deux autres destinées de notre histoire, celles d’Enguerrand de Marigny et de Fouquet, mais il les fait pâlir toutes deux par le génie et par l’innocence. […] Homme à destinée complète, peut-être aurait-il attaché, s’il avait vécu, un éclat de plus, la gloire militaire, à son nom ; mais il mourut à Chio, et, à ce qu’il paraît, des suites d’une blessure reçue dans un combat de mer resté obscur.

136. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « II. Jean Reynaud »

Esprit physiologiquement religieux, tourné de tendance primitive et de tempérament vers les choses de la contemplation intellectuelle, métaphysicien et presque mystique, l’auteur de Terre et Ciel n’était point, par le fait de ses facultés, destiné aux doctrines de la philosophie moderne, mais pour des raisons qu’il connaît mieux que nous, et qu’il retrouverait s’il faisait l’examen de conscience de sa pensée, il n’a pu cependant y échapper. […] Dieu, l’âme, son essence et ses destinées, les hiérarchies spirituelles, etc., sont restées des questions pour M.  […] Au moins, pour expliquer de cette façon le problème surnaturel de l’homme et de sa destinée, pour revenir en plein dix-neuvième siècle, — après les travaux philosophiques de Hegel et de Schelling, — à ce risible système de la métempsychose, digne tout au plus d’inspirer une chanson au marquis de Boufflers ou à Béranger qui l’a faite, fallait-il se sentir une force d’induction et de déduction irrésistibles ; fallait-il que la grandeur des facultés philosophiques sauvât la misère du point de vue que l’on ne craignait pas de relever.

137. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIe entretien. Cicéron » pp. 81-159

Ignoré encore lui-même comme orateur, sa renommée comme poète s’étendait à Rome par la publication d’un poème épique sur les guerres et sur les destinées de Marius, son grand compatriote. […] Le sénat et le peuple étaient donc tout prêts à être dominés et subjugués dans Rome même par la guerre et par la gloire qu’ils avaient destinées à subjuguer le monde. […] La nouvelle de la mort de Sylla, qui arriva en ce moment à Athènes, et qui présageait de nouvelles destinées à la liberté de Rome, enleva Cicéron à lui-même. […] Celui du temple de Delphes lui dit la grande vérité des hommes de bien destinés à prendre part aux événements de leur pays dans les temps de révolution. […] … Ce qui me reste de temps à vivre n’est pas destiné à guérir mes maux, mais à les finir !

138. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Voiture. Lettres et poésies, nouvelle édition revue, augmentée et annotée par M. Ubicini. 2 vol. in-18 (Paris, Charpentier). » pp. 192-209

Voiture était né l’esprit le plus fin et le plus délicat, formé par la nature pour la compagnie la plus choisie, pour en être l’enfant gâté et les délices : il fut quelque temps avant de rencontrer ce doux climat auquel il était destiné. […] Elles en avaient remis l’exécution au retour de Mme  la Princesse et de vous ; mais elles s’avisèrent depuis de ne pas différer plus longtemps, et qu’il ne fallait pas remettre des supplices à une saison qui devait être toute destinée à la joie. […] Ce sont les vers improvisés à la reine Anne d’Autriche dans une promenade à Ruel : Je pensais que la destinée Après tant d’injustes malheurs… C’est surtout l’épître à M. le prince, après son retour d’Allemagne où il avait failli mourir de maladie (1645), pièce charmante, philosophique et de la plus douce veine. […] Il m’est arrivé autrefois de rapprocher la destinée et la fortune de l’abbé Delille (dans sa première moitié) de celle de Voiture : tous deux coquets, brillants, sémillants, adorés, idoles et un peu victimes de la mode.

139. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — II » pp. 435-454

Il s’était lié, en 1773, d’une amitié fraternelle avec un jeune homme de sept ans plus jeune que lui, destiné à une noble gloire, Jean de Muller, de Schaffhouse, le prochain historien national de la Suisse. […] Dans nos promenades solitaires nous allions quelquefois courir après les eaux d’un ruisseau où nous nous plaisions à lire nos destinées futures. — Vois-tu là-bas le calme des eaux, lui disais-je ; est-ce bonheur ou ennui ? […] C’est du malheur, mais cela passera ; et tout là-bas est le beau lac où les ondes des torrents auront de plus nobles destinées. […] Ce collège ou syndicat, placé au-dessus du bailli, était destiné à réviser les procès, à contrôler les comptes : véritable tribunal en seconde instance, et duquel on pouvait encore appeler aux douze cantons ; mais on conçoit qu’un appel à douze souverains et à douze pays était à peu près illusoire.

140. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet »

Chargé d’inspecter les hommes et les approvisionnements destinés à cette expédition aventureuse, Malouet pouvait dire : « C’était un spectacle déplorable, même pour mon inexpérience, que celui de cette multitude d’insensés de toutes les classes qui comptaient tous sur une fortune rapide, et parmi lesquels, indépendamment des travailleurs paysans, on comptait des capitalistes, des jeunes gens bien élevés, des familles entières d’artisans, de bourgeois, de gentilshommes, une foule d’employés civils et militaires, enfin une troupe de comédiens, de musiciens, destinés à l’amusement de la nouvelle colonie. […] Ce fut un peu, de tout temps, sa destinée. […] Voici de lui quelques jolis vers, d’un sentiment modeste et découragé, et dont probablement il se faisait tout bas l’application à lui-même : on n’est pas accoutumé à ces tons simples et à ce goût sans fard au xviiie  siècle : Un rayon qui nous luit, un souffle qui nous mène, Voilà de quoi dépend la destinée humaine.

141. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. PROSPER MÉRIMÉE (Essai sur la Guerre sociale. — Colomba.) » pp. 470-492

Quand je dis qu’il nous l’a donné, je vais un peu loin pourtant : l’ouvrage (lit-on dans un avis qui précède), tiré à un petit nombre d’exemplaires, n’est pas destiné au public. […] Les Gracques, Saturninus, Drusus, périssent tour à tour à la tâche, laissant des renommées plus ou moins équivoques après des destinées inaccomplies. […] Eux morts, la ville ouvrit ses portes. » Et après avoir exposé les conséquences de cette bataille de Rome, où la nationalité italienne périt, et où Rome en même temps épuisa son reste de vigueur et de défense, comme patrie distincte, l’historien résume le tout en cette forte image : « Le duel de Marius et de Télésinus fut comme un présage des destinées de l’Italie. […] Dans un récit destiné au public, on pourrait désirer que quelques-unes de ces pages fussent détachées du texte qu’elles ralentissent, et allassent former une note ou supplément.

142. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VI. Pour clientèle catholique »

L’ombre n’avait pas entendu, car elle répétait avec complaisance sa banale pensée : — La courbe d’une destinée est une hyperbole. ? Ta destinée sera une courbe fermée. […] Ils sont destinés à la gloire précoce et viagère, au succès d’argent, au mariage d’argent, à la légion d’honneur, au fauteuil académique. […] La destinée l’a d’ailleurs plongé dans une pauvreté plus laide et il apparaît extérieurement souillé, tel un Hercule à demi vaincu par les écuries d’Augias.

143. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — I. » pp. 201-219

Le point décisif de la destinée de Beaumarchais est à ce moment (juin 1773). […] Cent louis d’or, une belle montre à répétition enrichie de diamants, plus, « quinze louis en argent blanc », censés destinés à un secrétaire, tout cela fut successivement donné à la femme pour obtenir une audience de son mari, et avec promesse de sa part que tout serait rendu si le procès se perdait. […] Sur les femmes, toutes les fois qu’il a à en parler, il y a de petites hymnes galantes et comme de petits couplets destinés à plaire aux belles et sensibles lectrices ; il a de ces tirades dans le procès Goëzman, il en aura plus tard dans le procès Kornman : « Et je serais ingrat au point de refuser, dans ma vieillesse, mes secours à ce sexe aimé qui rendit ma jeunesse heureuse ! […] Cet Être souverain daigne s’abaisser un jour jusqu’à lui et lui dit : Je suis Celui par qui tout est ; sans moi, tu n’existerais point ; je te douai d’un corps sain et robuste, j’y plaçai l’âme la plus active : tu sais avec quelle profusion je versai la sensibilité dans ton cœur, et la gaieté sur ton caractère ; mais, pénétré que je te vois du bonheur de penser, de sentir, tu serais aussi trop heureux si quelques chagrins ne balançaient pas cet état fortuné : ainsi tu vas être accablé sous des calamités sans nombre ; déchiré par mille ennemis, privé de ta liberté, de tes biens ; accusé de rapines, de faux… Et lui, se prosternant devant l’Être des êtres, répond en acceptant toute sa destinée : Être des êtres, je te dois tout, le bonheur d’exister, de penser et de sentir.

144. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIII : De la méthode »

Portez-la dans le monde moral ; essayez de vous entendre quand vous parlez de la destinée d’un peuple, du génie d’une nation, des forces vives de la société, de l’influence d’un climat ou d’un siècle, de l’expansion d’une race, de la puissance des anciennes institutions. […] « La destinée de Rome était de conquérir l’univers. » Je ne vous entends pas. […] Ma traduction m’apprend que la destinée d’un peuple n’est rien que l’effet combiné des circonstances, de ses facultés et de ses penchants. […] Ayant considéré la vie d’un homme, d’un peuple, d’un animal, j’ai trouvé que le mot destinée me venait aux lèvres, lorsque je saisissais les faits principaux qui composent la vie de chacun d’eux, et que je les jugeais nécessaires.

145. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Moréas, Jean (1856-1910) »

Il reste Ériphyle, mince recueil fait d’un poème et de quatre « sylves », le tout dans le goût de la Renaissance et destine à être le cahier d’exemples où les jeunes « Romans » aiguillonnés aussi par les invectives un peu intempérantes de M.  […] Il en porte la destinée, et on lui saura gré de l’excellente influence qu’il a prise sur ses disciples et dont je tiens à nommer au moins M. 

146. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Lucrèce Borgia » (1833) »

Le Roi s’amuse et Lucrèce Borgia ne se ressemblent ni par le fond, ni par la forme, et ces deux ouvrages ont eu chacun de leur côté une destinée si diverse que l’un sera peut-être un jour la principale date politique et l’autre la principale date littéraire de la vie de l’auteur. Il croit devoir le dire cependant, ces deux pièces si différentes par le fond, par la forme et par la destinée, sont étroitement accouplées dans sa pensée.

147. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre V. La parole intérieure et la pensée. — Premier problème : leurs positions respectives dans la durée. »

De même, un texte difficile éveille, dès le premier essai de déchiffrement, un groupe d’idées, groupe instable, destiné à se modifier et à s’enrichir à mesure des efforts et des succès de la réflexion ; mais cette interprétation provisoire, bien qu’incomplète et inexacte, est une interprétation, un sens, au moins hypothétique, de la phrase. […] Pour cela, il faut organiser un certain nombre de termes usuels en une combinaison nouvelle ; les qualités et les défauts de la formule dépendent du choix des termes et de l’ordre dans lequel ils sont groupés ; une formule parfaite serait celle qui éveillerait nécessairement dans tout esprit exercé l’idée même dont les destinées lui sont confiées par le penseur. […] IV, § 8] ; l’un appelle l’autre, et leur réunion a un sens ; si cette camaraderie est de bon aloi, le réveil d’une suite de mots destinée à exprimer le jugement nouveau apporte à celui-ci le concours de jugements anciens, médités, examinés, approuvés autrefois par la réflexion, et il s’éclaire de leur lumière. […] La vraie formule d’une idée, celle qui lui permettra de se répandre et de durer, est celle qui associera la destinée du groupe mental nouveau aux destinées de groupes plus simples solidement enracinés dans l’esprit, celle qui rattachera l’idée nouvelle aux habitudes les plus anciennes de l’intelligence comme une conséquence rigoureuse à des principes indiscutés ; chacun des termes de la formule doit donc réveiller une idée élémentaire bien connue, et leur agencement forcer l’esprit à apercevoir entre ces éléments un rapport plus ou moins imprévu ; ce rapport est l’invention même à laquelle il s’agit d’ouvrir les esprits rebelles et d’assurer l’avenir.

148. (1870) La science et la conscience « Chapitre III : L’histoire »

Ils lui abandonnent leur destinée avec autant de résignation que de terreur, gardant devant elle toute l’indépendance, toute l’énergie, toute l’initiative de leur action individuelle. […] Les orateurs, les hommes d’État, les hommes de guerre, avaient donc une action très-grande sur les destinées de la république. Il suffisait d’un discours, d’une émeute, d’une conspiration pour changer ces destinées, pour lui imposer la tyrannie ou lui rendre la liberté, pour amener le triomphe d’un parti. […] Pourquoi les grandes destinées de Rome, pourquoi les luttes de son aristocratie et de sa démocratie, pourquoi la république d’abord et ensuite l’empire ? […] Pourquoi venir jeter sa destinée individuelle dans le courant de passions, de préjugés, d’instincts, de nécessités, qui doivent tout entraîner ?

149. (1909) Nos femmes de lettres pp. -238

Elle lui rappelle sa vraie fonction et sa destinée qu’un instant elle oublia, quand elle prit en main cet emblème viril : la plume de l’écrivain. […] Mais quand même, nous admettons difficilement cette destinée qui « connaît toutes les agitations de la politique et du succès ». […] La destinée pourtant semble prendre pitié d’un si constant amour. […] C’est pour elles la part sérieuse, j’allais dire tragique, de la vie, puisque leur destinée en dépend et qu’il n’y a rien de plus sérieux pour l’être que d’accomplir sa destinée. […] Mais ce sera précisément à raison de ces luttes où sont engagées les destinées de l’âme, par la mise en jeu des forces, conservatrices ou destructrices, qui se combattent en elle.

150. (1874) Premiers lundis. Tome II « Étienne Jay. Réception à l’Académie française. »

Pendant que les destinées du pays, sa stabilité comme sa gloire, se trouvent plus que jamais remises en question par l’aveuglement d’une coterie triomphante ; pendant que les violences succèdent aux fautes, que les leçons de quarante années de révolution se perdent en un jour, et que les constitutions naissantes auxquelles on croyait quelque vie reçoivent, de la main de leurs auteurs, d’irréparables ébranlements ; pendant, en un mot, que la capitale de la France est en état de siège, et que les conseils de guerre prononcent peut-être quelque nouvelle condamnation à mort, aujourd’hui mardi, l’Académie française tenait sa séance solennelle, et M.  […] L’assemblée était assez nombreuse, quoique médiocrement empressée : on ne s’attendait pas à quelque chose de bien vif, évidemment ; mais, désœuvrement et habitude, peu à peu la portion de la salle destinée au public s’est remplie.

151. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre V. Du jeu, de l’avarice, de l’ivresse, etc. »

Quel triste cachet de la destinée humaine ! […] Le monde est agité par l’inquiétude de chaque homme, et ces armées innombrables qui couvrent la surface de la terre, sont l’invention cruelle des soldats, des officiers, des rois, pour chercher dans la destinée quelque chose que la nature n’y a point mis, ou tout au moins, pour obtenir cette interruption momentanée de la durée successive des idées habituelles, cette émotion qui soulage du poids de la vie.

152. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXVI. Jésus au tombeau. »

Selon la loi juive, enlevé le soir, il eût été déposé dans le lieu infâme destiné à la sépulture des suppliciés 1203. […] Les grottes funéraires, quand elles étaient destinées à un seul cadavre, se composaient d’une petite chambre, au fond de laquelle la place du corps était marquée par une auge ou couchette évidée dans la paroi et surmontée d’un arceau 1211.

153. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIIe entretien. Poésie lyrique. David (2e partie) » pp. 157-220

Saül est inquiet de sa destinée en présence de l’armée ennemie qui envahit les vallées intérieures de son royaume ; il tremble pour son peuple et pour sa couronne ; il se demande si son Dieu ne l’a pas abandonné. […] » Mais un juste orgueil, dérivant de la grandeur de sa destinée, arrête tout à coup le poète et le fait passer de l’humilité de sa condition de fils de la mort à l’orgueil de sa destinée morale. […] » XII Mais les vicissitudes de l’âme du poète suivent les vicissitudes de la destinée humaine. […] Depuis Moïse jusqu’à lui, il recompose toutes les destinées de sa race. […] Quelle destinée, quelle puissance a la poésie quand elle s’inspire de la divinité !

154. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre IV. Ordre d’idées au sein duquel se développa Jésus. »

Jésus n’eut ni dogmes, ni système, mais une résolution personnelle fixe, qui, ayant dépassé en intensité toute autre volonté créée, dirige encore à l’heure qu’il est les destinées de l’humanité. […] Jamais l’homme n’avait saisi le problème de l’avenir et de sa destinée avec un courage plus désespéré, plus décidé à se porter aux extrêmes. […] Ce sommet de la montagne de Nazareth, où nul homme moderne ne peut s’asseoir sans un sentiment inquiet sur sa destinée, peut-être frivole, Jésus s’y est assis vingt fois sans un doute. […] Tout peuple appelé à de hautes destinées doit être un petit monde complet, renfermant dans son sein les pôles opposés.

155. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le Livre des rois, par le poète persan Firdousi, publié et traduit par M. Jules Mohl. (3 vol. in-folio.) » pp. 332-350

Mais, depuis février 1848, les vicissitudes qu’a subies dans sa direction la ci-devant Imprimerie royale ont réagi sur les destinées du livre magnifique, qui se trouve arrêté sans cause. […] Cette somme d’or qu’il avait tant désirée, et dont il n’avait rien voulu distraire à l’avance, il la destinait à un emploi touchant. […] Mais le vieux chef, qui ne veut pas donner à ce jouvenceau trop d’orgueil, répond avec ruse qu’il n’est pas Roustem, et le cœur de Sohrab se resserre aussitôt ; le nuage qui venait de s’entrouvrir se referme, et la destinée se poursuit. […] Il faut partir, et sans tarder, quand la mort pousse le cheval de la destinée !

156. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Maintenon. » pp. 369-388

Petite-fille de l’illustre capitaine d’Aubigné du xvie  siècle, fille d’un père vicieux et déréglé, d’une mère méritante et sage, elle sentit de bonne heure toute la dureté du sort et la bizarrerie de la destinée ; mais elle avait au cœur une goutte du sang généreux de son aïeul, qui lui redonnait de la fierté, et elle n’aurait pas changé sa condition contre une plus heureuse, et qui eût été de qualité moindre. […] On le lui avait tant dit, qu’elle se voyait en réalité une Esther, destinée par la Providence à sanctifier le roi, dût-elle en être elle-même un peu martyre. […] Il lui suffit, pour tous les autres, d’être un personnage à part, non défini et d’autant plus respecté, jouissant de sa grandeur voilée sous le nuage et du sens merveilleux d’une destinée qui perçait assez, comme dit Saint-Simon, sous sa « transparente énigme ». […] C’est son œuvre à elle, son travail propre et chéri, presque maternel : « Rien ne m’est plus cher que mes enfants de Saint-Cyr ; j’en aime tout, jusqu’à leur poussière. » C’est toujours une si belle chose qu’une fondation destinée à élever dans des principes réguliers et purs la jeunesse pauvre, qu’on hésite à y apporter de la critique, même la plus respectueuse.

157. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — I. » pp. 84-104

Ce qu’était Carrel, tous ceux qui l’ont connu le savent, et il ne leur est pas difficile, par la connaissance qu’ils ont du caractère de l’homme, de s’expliquer les phases différentes de sa destinée. […] MM. de La Fayette, d’Argenson et d’autres de la petite Église républicaine de la Restauration, eurent vers ce temps (1826) l’idée de fonder une Revue américaine, destinée à faire connaître et, s’il se pouvait, à faire admirer les républiques du nouveau continent, tant celles du Nord que celles du Sud et de l’Équateur. […] Il fait plus, il remonte aux heures qui ont précédé ; il suit le malheureux dans ses derniers instants, dans ses lents préparatifs ; il nous fait assister à la lutte et à l’agonie qui a dû précéder l’acte désespéré ; il y a là une scène de réalité secrète, admirablement ressaisie : Quand on a bien connu ce faible et excellent jeune homme, on se le figure hésitant jusqu’à sa dernière minute, demandant grâce encore à sa destinée, même après avoir écrit quinze fois qu’il s’est condamné, et qu’il ne peut plus vivre. […] Ces anecdotes ne valent que ce que le caractère et la destinée de l’homme les font ensuite.

158. (1890) L’avenir de la science « Préface »

Dans mes écrits destinés aux gens du monde, j’ai dû faire beaucoup de sacrifices à ce qu’on appelle en France le goût. […] En résumé, si, par l’incessant travail du XIXe siècle, la connaissance des faits s’est singulièrement augmentée, la destinée humaine est devenue plus obscure que jamais. […] Il est donc possible que la ruine des croyances idéalistes soit destinée à suivre la ruine des croyances surnaturelles, et qu’un abaissement réel du moral de l’humanité date du jour où elle a vu la réalité des choses.

159. (1899) L’esthétique considérée comme science sacrée (La Revue naturiste) pp. 1-15

De hautes destinées nous attendent. […] Car nous ne sommes pas seulement destinés à reproduire des sites humides, à cadencer l’élocution des strophes mobiles, à tirer hors des blocs de marbre des groupes héroïques et parfaits : il nous reste à donner un équilibre interne à un monde qui n’en possède plus. […] Et peut-être aurons-nous la joie de voir naître un jour la race de héros dont sans nul doute auparavant, nos statues auront incarné les traits pompeux, dont nos poèmes auront chanté les magnifiques destinées, dont nos tableaux auront contenu les proportions implacables et dont nos hautes symphonies auront développé la vivante rêverie.

160. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte Gaston de Raousset-Boulbon »

L’homme est tellement fait pour le deuil, la tristesse, le désastre ; sa destinée est si bien l’inachèvement en toutes choses, que les grands efforts, les grands caractères, le génie, répandus en pure perte sur cette terre qui boit tout indifféremment, le sang et les larmes, nous prennent le cœur bien plus que le succès, les résultats éclatants, les fortunes ! […] Or, nos désirs sont les voix secrètes de la destinée. […] Il y a, en effet, quelque chose de byronien dans la destinée de Raousset ; mais il est plus beau, plus simple et plus pur que tous les héros de Byron.

161. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Le père Augustin Theiner »

Si — comme on l’a dit — les livres ont leur destinée, il en est qui ont leurs desseins. […] Malgré soi, on se demandera quel est le dessein d’un tel livre, et si — comme il arrive quelquefois aux auteurs heureux — le dessein qu’il cache doit faire un jour sa destinée. Grave question, du reste ; car, si le livre réussissait, il y aurait peut-être derrière le succès qu’il provoque un de ces terribles événements destinés à éclater plus tard, et auquel l’auteur et le livre auraient également contribué.

162. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « L’Abbé Prévost et Alexandre Dumas fils » pp. 287-303

I C’est un vieux mot : « Les livres ont une destinée », et qui dit destinée dit mystère. […] Le livre célèbre que voici, ce livre de Manon Lescaut 31, exalté, exulté, adoré ; ce livre qui a pris et enlevé — sans avoir rien de La force d’un tourbillon — les imaginations et les cœurs, est un de ces livres à destinée que la Critique n’a pas encore expliqué.

163. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’architecture nouvelle »

Ainsi les verrières, les tentures, les tapis, les étoffes, les meubles, sont exécutés d’après ses plans, et non seulement il crée, par exemple, une table de salle à manger, mais encore tous les accessoires du service destiné à la garnir. […] Horta conçoit très différemment, par exemple, une maison destinée à un célibataire et une autre destinée à une famille ; bien plus, sa conception sera également différente, suivant la profession ou la nature des individus auxquels elle s’applique : à un médecin ou à un avocat ne s’adapteront pas le même édifice qu’à un homme de lettres ou un commerçant.

164. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXI. De Thémiste, orateur de Constantinople, et des panégyriques qu’il composa en l’honneur de six empereurs. »

Ils s’occupaient de leur parure, et ils négligeaient l’univers ; peut-être même avaient-ils grand soin de choisir leurs chevaux, mais point du tout les hommes qu’ils destinaient aux places ; et tandis qu’aux jeux, du cirque ils n’auraient pu souffrir de voir des cochers conduire un char, ils abandonnaient à des hommes sans choix les rênes de l’empire et la conduite des nations. […] Dans ce moment, l’orateur se peint vieux, accablé d’infirmités et de faiblesse, courbé sous le poids des ans, mais ranimant ses forces languissantes, pour former ce prince destiné à commander un jour au monde : « Viens mon fils, dit-il, viens sur les genoux d’un faible vieillard, recevoir les leçons que la sagesse destine aux princes ; ce sont celles que reçut Antonin, Numa, Marc-Aurèle et Titus.

165. (1924) Critiques et romanciers

Il la veut aimable et destinée au plaisir du lecteur. […] Quelles seront toutes ses destinées ? […] Tito Bassi est un garçon qui se rêve une destinée, qui en accomplit une autre. […] La destinée est là, dans ces romans légers et inquiets et qui sont, en même temps que la tragi-comédie de l’amour, une rêverie sur la destinée. […] Il a choisi pour compagne de sa destinée aventureuse une Louise, douce et bonne.

166. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « I » pp. 1-8

C'est simplement et gravement écrit, avec le goût séant à ce noble sujet ; une très-agréable lecture de quelques heures, et destinée à un légitime succès de société, en un temps où tout ce qui tient au grand siècle est si curieusement recherché. […] On a ainsi dans la fortune et la destinée d’un simple couvent-pensionnat de quoi rêver sur les empires.

167. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « SUR ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 497-504

Mais la destinée d’André Chénier fut autre ; la hache intercepta cette seconde moitié de sa vie. […] De nouveaux talents viendront et s’annoncent déjà, qui se préoccupent grandement des destinées humaines, et en tourmentent éloquemment le mystère.

168. (1874) Premiers lundis. Tome I « M.A. Thiers : Histoire de la Révolution française Ve et VIe volumes — I »

De là, la création du Grand-Livre, qui ne faisait qu’une dette uniforme et républicaine de toutes les dettes vieilles et récentes, et fondait le crédit public en rattachant la destinée des créances à celle de l’État ; institution profonde, inspirée au génie de Gambon par les circonstances, et qui leur devait survivre. […] Thiers, les choses ne se passent pas aussi simplement, et qu’il n’ait eu garde d’omettre les fréquentes perturbations qui ont altéré sinon dévié leur cours ; on lui a reproché d’introduire dans l’histoire une sorte de fatalisme systématique, qui subordonne les actes humains à des règles inflexibles, intercale les hommes dans le cadre d’une destinée toute faite, et, dès lors, dispense trop l’historien d’indignation contre les oppresseurs, de sympathie pour les victimes, et de tous ces sentiments qui donnent couleur et vie.

169. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Maeterlinck, Maurice (1862-1949) »

. — La Sagesse et la Destinée (1898). — Douze chansons (1899). — La Vie des abeilles (1901). […] Il y bêle tant d’agneaux destinés aux hécatombes, de pauvres malades y pullulent en telle affluence, et aussi tant de mélancolie y flotte.

170. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Lettre, à Madame la comtesse de Forbach, sur l’Éducation des enfants. » pp. 544-544

La justice et la fermeté : la justice, qui n’est rien sans la fermeté ; la fermeté, qui peut être un grand mal sans la justice ; la justice, qui prévient le murmure et qui règle la bienfaisance ; la fermeté, qui donnera de la teneur à sa conduite, qui le résignera à sa destinée, et qui l’élèvera au-dessus des revers. […] On éclaire l’esprit par l’usage des sens le plus étendu, et par les connaissances acquises, entre lesquelles il faut donner la préférence à celles de l’état auquel on est destiné.

171. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 7, que les genies sont limitez » pp. 67-77

On sçait la destinée de ses opera. […] Il est donc également important aux nobles artisans, dont je parle, de connoître à quel genre de poësie et de peinture leurs talens les destinent, et de se borner au genre pour lequel ils sont nez propres.

172. (1858) Du roman et du théâtre contemporains et de leur influence sur les mœurs (2e éd.)

Qu’il change ma destinée ? […] Après, le néant… Que ma destinée de mal s’achève d’abord ! […] Finalement, la volonté sera toujours vaincue : l’homme est invinciblement entraîné ; il subit la destinée que lui impose son organisation. […] Trenmor a été homicide : entraînement fatal de la destinée ! […] Quand nous aurons la richesse, le bien-être, nous aurons le bien absolu : les destinées de l’homme seront accomplies.

173. (1853) Histoire de la littérature française sous la Restauration. Tome I

Il est dans la destinée de l’erreur d’être consumée par le feu qu’elle allume. […] Ce fut, on le sait, la destinée de Descartes, auquel M.  […] Royer-Collard avait pressenti le talent destiné à jouer un si grand rôle dans les luttes philosophiques de la restauration : c’étaient MM.  […] Il y a même, je t’assure, je ne sais quel charme secret qui naît de cette dure destinée qui m’a toujours séparé de toi. […] Peut-être les destinées de la maison de Bourbon sont-elles fermées !

174. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Edgar Poe »

Le solitaire, qu’il appelle William Legrand, d’origine française, ensevelissait sous les forêts de myrte de Sullivan Island, une vie calmée plutôt que calme, et une destinée désormais sans espérance. […] III Il y a, en effet, quelque chose de méduséen dans Edgar Poe, — génie et destinée ! […] Edgar Poe répond donc seul à l’Histoire de sa destinée, et le poids qu’il porte devant elle ne peut être allégé par rien. […] Et moi-même, trompé par la distance, les faux renseignements et les calomnies de la Haine, je l’avais appelé avec un somptueux mépris : « le Roi des Bohèmes », et, pour épouvanter les bohèmes comme lui de sa destinée, j’avais fait une tête de Méduse de la tête souillée, morte et ramassée au ruisseau, de ce bohème de génie suicidé par ses vices, et coupable même envers son génie d’une immoralité qui l’avait atteint et faussé jusqu’au plus profond de son essence. […] L’incompréhensible destinée a de ces contrastes !

175. (1893) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Première série

Aussi l’art paraît-il destiné à ne plus vivre désormais que de la vie intermittente et dispersée qu’il recevra du génie individuel des artistes. […] Petits et grands, les poètes lyriques, par la valeur inégale de leurs productions, sont tous destinés aux anthologies et les anthologies les font paraître égaux. […] Écris donc, puisque c’est ta destinée et que cela t’amuse et ne fait de mal à personne. […] Sois-en sûr, la destinée ne me trahira que parce que moi-même je l’aurai trahie116. […] Ô ironie de la destinée littéraire !

176. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « L’Académie française »

Aussi a-t-elle brillé par moments plutôt qu’elle n’a agi, qu’elle n’a véritablement compté et pesé en tant que Compagnie magistrale dans la destinée littéraire du pays. […] La seconde fondation Montyon, toute littéraire, est, aux termes du même testament, destinée à récompenser le Français qui aura composé et fait paraître le livre le plus utile aux mœurs. […] Bordin en 1835, et qui est de 3,000 francs par an, est destiné à récompenser un ouvrage de Haute Littérature. […] Les trois fondations Trémont, Lambert et Leidersdorf, originairement, sont toutes trois de pure bienfaisance et destinées à soulager des infortunes littéraires, des veuves, des filles pauvres d’artistes, d’écrivains, etc. […] Louis Langlois, qui se plaisait à traduire en vers les élégiaques latins, est également parti de ce même goût personnel pour léguer à l’Académie une rente de 1,500 francs destinée à l’auteur de la meilleure traduction en vers ou en prose d’un ouvrage grec, ou latin, ou étranger.

177. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XIII. »

Telle fut la destinée de Lycophron. […] Que si maintenant on relit, au sombre crépuscule du poëte d’Alexandrie, cette prophétie de la grandeur romaine, à côté des chants de l’Iliade, des strophes guerrières d’Eschyle, du chœur héroïque d’Aristophane dans les Guêpes, des digressions triomphales de Pindare sur la Sicile et la Grèce délivrées, et enfin des vers de Virgile et d’Horace célébrant la durée des grandeurs romaines, comment ne pas reconnaître quelle place les arts d’imagination avaient dans l’antiquité, et quelle puissance ils ont exercée sur ses destinées ? […] Malgré les traditions mythologiques curieusement recueillies par le poëte d’Alexandrie, ce Jupiter, si supérieur à tout, que les destinées n’ont pas établi, qui frappe d’impuissance les rois et dissipe leurs vains conseils, semble se rapprocher des idées plus pures de la Divinité que déjà la lumière entrevue des livres hébraïques répandait dans l’Orient. […] Dans Callimaque, soit qu’il s’agisse d’un libre chant médité par le poëte, ou d’un hymne destiné à quelque fête de l’ancien culte, aux Thesmophories, à l’inauguration des Bains de Pallas ou aux processions de Délos transplantées sur les bords du Nil, le langage est plus abstrait et plus austère, la croyance plus pure et mêlée d’une influence nouvelle. […] La puissance des Ptolémées, leurs possessions en Asie et dans la mer Ionienne, tout cet héritage du génie grec, destiné à tomber bientôt sous la main guerrière de Rome, sont noblement décrits.

178. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. THIERS. » pp. 62-124

Qu’il soit ou ne soit pas destiné au bonheur, il est certain du moins que jamais la vie ne lui est plus supportable que lorsqu’il agit fortement ; alors il s’oublie, il est entraîné, et cesse de se servir de son esprit pour douter, blasphémer, se corrompre et mal faire. » M. […] Boisserée, qui déduit l’architecture ogivale de l’espèce d’aspiration qu’exercèrent les hautes tours destinées aux cloches sur le reste de l’édifice, cette vue ingénieuse, mais qui n’est qu’un des éléments de la vérité, se trouve exposée plutôt que discutée par M. […] Homme politique ou destiné à l’être, il jette ses études dans l’histoire. […] Cependant j’aurais voulu être impolitique comme eux, compromettre tout ce qu’ils avaient compromis, et mourir comme eux encore, parce qu’il n’est pas possible de laisser couler le sang sans résistance et sans indignation. » Et pourtant, en poursuivant son récit, l’historien entraîné passe outre : « On ne pourrait mettre au-dessus d’eux, dit-il encore, que celui des montagnards qui se serait décidé pour les moyens révolutionnaires par politique seule et non par l’entraînement de la haine. » Et ce rôle du montagnard, il l’accepte, il le personnifie avec intégrité, avec grandeur, mais avec trop d’oubli des alentours, dans Carnot, dans Robert Lindet ou Cambon, et il s’attache jusqu’au bout, jusqu’au haut de la Montagne, aux destinées de la patrie qu’il ne sépare, à aucun moment, des destinées de la révolution. […] Une révolution est une chose si terrible, quoique si grande, qu’il vaut la peine de se demander si le Ciel vous en destine une.

179. (1856) Jonathan Swift, sa vie et ses œuvres pp. 5-62

C’est aux destinées de ce parti qui, maître des dernières années de la reine Anne, se jetant entre l’Europe et la France, permit à Louis XIV de mourir en paix, et qui, se laissant entraîner du côté où il penchait, faillit rappeler les Stuarts, c’est aux luttes ardentes de ce parti contre les défenseurs de la liberté religieuse et contre les promoteurs ambitieux de la liberté politique qu’est demeuré attaché le grand nom de Jonathan Swift. […] Mais au temps même où elle fut le plus aimée, Stella n’occupait dans l’âme de Swift que la seconde place ; l’ambition était sa passion dominante, elle fut la plus durable et décida de sa destinée. […] La politique était le grand chemin de ces honneurs et de cette puissance ; on n’y arrivait que par la main de l’un des deux partis, qui influaient tour à tour sur les destinées de la nation, et sur la fortune des ambitieux. […] Il réfléchit amèrement sur sa destinée et comprit que son génie avait nui à sa fortune. On ne peut lire sans émotion ce court Essai sur la destinée des gens d’église37, où il montre, avec tant d’esprit et tant d’amertume, le succès assuré de la médiocrité servile et universellement bienveillante de Corusodes et l’abaissement d’Eugenio, opprimé par son talent.

180. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance »

Il est destiné à labourer dans Muratori ou dans Ducange plus qu’à relire Xénophon. […] Voici le premier de ces morceaux, sur les Champs ou les plaines ; après avoir montré les avantages que présente le val de Nievole pour tout ce qui est des terres arrosables et des potagers, l’auteur ajoute : « Le reste de la plaine du val de Nievole mérite encore d’être compté parmi les sols les plus fertiles de la Toscane ; l’œil du cultivateur est cependant étonné, en la parcourant, de n’y voir ni prés ni pâturages, ni presque aucune récolte destinée à la nourriture du bétail. » « Mais il ne peut s’arrêter sur cette idée ; son attention est entraînée, son admiration est commandée par le tableau d’abondance que la campagne étale autour de lui, par l’étonnante variété de productions et de récoltes, qui frappe ses yeux de toutes parts. En quelque lieu qu’il s’arrête, sur quelque métairie qu’il porte ses regards, il voit tout ensemble devant lui, la vigne qui, élégamment suspendue en contre-espalier autour de chaque champ, l’environne de ses festons ; les peupliers, rapprochés les uns des autres, qui lui prêtent l’appui de leur tronc, et dont les cimes s’élèvent au-dessus d’elles ; l’herbe, qui croît au pied de ces élégants contre-espaliers et qui gazonne les bords des nombreux fossés, destinés à l’écoulement des eaux ; les mûriers qui, plantés sur deux lignes au milieu des champs, et à une distance assez grande pour ne pas les offusquer de leur ombre, dominent les moissons ; les arbres fruitiers qui, çà et là, sont entremêlés aux peupliers et à la vigne ; les blés de Turquie qui, s’élevant à six ou huit pieds au-dessus de terre, entourent leurs magnifiques épis de la plus riche verdure ; les trèfles annuels dont les fleurs incarnates se penchent sur leur épais feuillage ; les lupins dont le coup d’œil noirâtre et l’abondante végétation contraste avec la souplesse, l’élégance et la légèreté des seigles non moins vigoureux qu’eux et qui s’élèvent au-dessus de la tête des moissonneurs ; enfin, les blés dont les longs épis dorés sont agités par les vents et rappellent par leurs ondulations le doux mouvement des vagues d’un beau lac. » Le second morceau consacré aux Collines est comme un pendant au tableau des plaines ; celles-ci, dans aucun pays, ne peuvent plaire aux yeux que par l’abondance et la fertilité qui les caractérise. […] Mais son premier ouvrage tout à fait marquant fut, on le sait, celui dans lequel il retraçait la naissance et les destinées orageuses des Républiques italiennes du Moyen-Age.

181. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — II. » pp. 195-213

Mme Roland aurait pu vivre jusqu’au bout dans cette donnée première de la destinée et n’y point paraître trop déplacée encore. […] J’ai essayé quelquefois de me figurer ce que serait un cardinal de Richelieu restreint par la destinée à la vie domestique : quel méchant voisin, ou, pour parler bien vulgairement, quel mauvais coucheur cela ferait ! […] C’est que La Blancherie, ce jeune sage, cet ami de Greuze, avec ses vers, ses projets, ses conseils de morale aux pères et mères de famille, représentait précisément dans sa fleur le lieu commun du romanesque philosophique et sentimental de ce temps-là ; or le romanesque, près d’un cœur de jeune fille, fût-elle destinée à devenir Mme Roland, a une première fois au moins, et sous une certaine forme, bien des chances de réussir. […] Dès le premier jour, celle qui est destinée à illustrer historiquement son nom tient à son estime et se soucie de lui paraître avec avantage ; mais l’esprit seul et la considération sont engagés.

182. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Aloïsius Bertrand »

Destinée bizarre, et qui dénote bien l’artiste ! […] Sans prétendre sonder, à mon tour, le secret de cette destinée de poëte et mettre la main sur la clef fuyante de son cœur, il me semble, à voir jusqu’à la fin sa solitaire imagination se dévorer comme une lampe nocturne et la flamme sans aliment s’égarer chaque soir aux lieux déserts,  — il me semble presque certain que cette jeune Fille idéale, cet Ange de poésie, celle que M. de Chateaubriand a baptisée la Sylphide, fut réellement le seul être à qui appartint jamais tout son amour ; et comme il l’a dit dans d’autres stances du même temps : C’est l’Ange envolé que je pleure, Qui m’éveillait en me baisant, Dans des songes éclos à l’heure De l’étoile et du ver-luisant. […] Plus d’un de ces jeux gothiques de l’artiste dijonnais pouvait surtout sembler à l’avance une ciselure habilement faite, une moulure enjolivée et savante, destinée à une cathédrale qui était en train de s’élever. […] David avait de bonne heure, dès 1828, conçu pour le talent de Bertrand la plus haute, la plus particulière estime, et il était destiné à lui témoigner l’intérêt suprême.

183. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIe entretien. Sur la poésie »

Si une voile dérive par un jour serein du port, on pense aux rivages lointains et inconnus où elle ira aborder après avoir traversé pendant des jours sans nombre ce désert des lames ; ces terres étrangères se lèvent dans l’imagination avec les mystères de climat, de nature, de végétation, d’hommes sauvages ou civilisés qui les habitent, on s’y figure une autre terre, d’autres soleils, d’autres hommes, d’autres destinées […] XV Il nous a semblé que rien ne pouvait mieux compléter ces pages laissées inachevées que cette naïve et touchante image des deux natures de poésie et des deux natures de sons que rend l’âme du poëte aux différents âges, reprise d’une des dernières préfaces des Méditations et que les ravissants vers tirés des Destinées de la poésie. […] Mais si, après les sueurs, les labours, les agitations et les lassitudes de la journée humaine, la volonté de Dieu me destinait un long soir d’inaction, de repos, de sérénité avant la nuit, je sens que je redeviendrais volontiers à la fin de mes jours ce que je fus au commencement : un poëte, un adorateur, un chantre de la création. […] On destinait l’enfant à l’Église.

184. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Procès de Jeanne d’arc, publiés pour la première fois par M. J. Quicherat. (6 vol. in-8º.) » pp. 399-420

La destinée de Jeanne d’Arc, même après sa mort, a de quoi sembler des plus singulières, et sa renommée a subi toutes les transformations et toutes les vicissitudes. […] Mais ne sentez-vous pas d’abord combien ce passage de Jeanne fut rapide, et que sa vie ne fut qu’un éclair, comme il arrive presque toujours de ces merveilleuses et lumineuses destinées ? […] Il me paraît bien certain que, pour peu que la fortune eût continué de la favoriser, et que ses alentours se fussent prêtés à ce rôle qu’elle embrassait naïvement, elle se fût poussée loin avec le conseil de ses voix, et qu’elle ne se considérait point comme uniquement destinée à la levée du siège d’Orléans et à l’accomplissement du sacre de Reims. […] Aussi presque tous ceux qui lui sont favorables (et tous le sont plus ou moins dans le procès de réhabilitation) s’attachent-ils à croire et à faire croire qu’elle ne s’est jamais donnée que comme destinée à un rôle très particulier, par exemple à faire lever le siège d’Orléans et à conduire le roi à Reims, rien de plus.

185. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Le duc de Lauzun. » pp. 287-308

Quant à sa carrière, on ne lui laissa pas le temps d’y songer : « On me fit entrer à douze ans, dit-il, dans le régiment des Gardes (françaises), dont le roi me promit la survivance, et je sus, à cet âge, que j’étais destiné à une fortune immense et à la plus belle place du royaume, sans être obligé de me donner la peine d’être un bon sujet. » A quatorze ans, il commença sa carrière de Richelieu et de don Juan. […] Il avait vingt-huit ans alors, et passait dans ce monde oisif pour un personnage extraordinaire, et dont la destinée avait été des plus bizarres. […] Ici, en 1777, à l’âge de trente ans, la destinée de Lauzun reçut un échec dont il ne se releva jamais. […] La destinée de ces Mémoires fut, au reste, singulière, et nous suggérera encore plus d’une réflexion.

186. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le Brun-Pindare. » pp. 145-167

C’est un chant destiné à traduire et à exprimer l’ivresse publique, la gloire des vainqueurs, la pompe des noces solennelles ou le deuil des grandes funérailles, quelque sentiment général qui transporte à un moment une nation. Toute ode est, de sa nature, destinée à être chantée. […] Mais une année à peine s’était écoulée, que les procédés de Le Brun envers sa femme dénotèrent des défauts et même des vices de nature, dont toute sa destinée s’est ressentie. […] Celui-ci, à son tour, s’enflamma pour le poète, et, au moment où l’on convoqua l’Assemblée des notables, il lui envoya le plan, non pas d’une réforme de finances, mais d’une ode ou d’un dithyrambe destiné à célébrer ce grand moment.

187. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le cardinal de Richelieu. Ses Lettres, instructions et papiers d’État. Publiés dans la Collection des documents historiques, par M. Avenel. — Premier volume, 1853. — I. » pp. 224-245

La destinée du cardinal de Richelieu, comme homme qui a tenu la plume ou dicté des ouvrages considérables, est singulière : il a été longtemps, à ce titre, ignoré ou méconnu. […] Quant aux autres ouvrages politiques et historiques de Richelieu, leur destinée fut plus singulière encore. […] Richelieu, né le 5 septembre 1585, cadet d’une ancienne famille du Poitou, avait été d’abord destiné aux armes. […] Richelieu n’est pas un philosophe ; ce haut esprit, qui est surtout un bon esprit armé d’un grand caractère, paie tribut aux idées et aux préjugés de son temps ; il parle en maint endroit comme croyant aux présages, aux horoscopes et aux sortilèges ; il est superstitieux : mais aussi il est sincèrement religieux, il croit au don de Dieu qui s’étend sur certains hommes destinés à être des instruments publics de salut : si les fautes commises envers les personnes publiques lui paraissent d’un tout autre ordre que celles commises contre des particuliers, les fautes de ces personnes publiques elles-mêmes lui semblent aussi plus graves et de plus de poids, eu égard à la responsabilité et à l’étendue des conséquences.

188. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse esthétique »

L’œuvre littéraire, notamment, est un ensemble de phrases écrites ou parlées, destinées par des images de tout ordre, soit très vives et précises, soit plus vagues et idéales, à produire chez ses lecteurs ou ses auditeurs une sorte spéciale d’émotion, l’émotion esthétique qui a ceci de particulier qu’elle ne se traduit pas par des actes, qu’elle est fin en soi. […] Un roman, pour prendre un cas précis, est une suite de phrases écrites, destinées à représenter un spectacle émouvant : l’émotion qu’on ressent après l’avoir lu et en le lisant, est sa fin ; cette émotion se distingue de celle que produirait le spectacle réel substitué au spectacle représenté du roman, en ce qu’elle est plus faible, comme toute représentation ; en ce qu’elle est inactive, en ce qu’elle ne provoque sur le moment ni des actes, ni des tendances à un acte. […] Mais, à part ces restrictions, on peut dire que l’œuvre littéraire est un ensemble de signes écrits destinés à produire des émotions inactives3, et la première tâche de l’analyste qui entreprend d’extraire d’un ou plutôt de plusieurs livres d’un même auteur des renseignements psychologiques, sera donc de déterminer la nature, la particularité, à la fois des moyens employés et des émotions produites par l’auteur. […] Les phrases, leur suite et leurs combinaisons, sont destinées à montrer un spectacle complexe, celui de gens agissant dans des lieux.

189. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Ivan Tourguénef »

À travers le déroulement d’une composition lâche, interrompue à chaque instant par l’histoire antérieure des personnages, sous la banalité des incidents, le train des passions ordinaires et des humbles destinées, M.  […] Il incline vers les destinées de Hamlet et de Werther, des grands irrésolus, dont toute la sève se dépense à agiter des idées fatalement impuissantes, des êtres oscillants, ballottés entre tous les mobiles, n’en concevant plus d’assez passionnel et d’assez impératif pour se résoudre à agir en un sens unique et constant. […] Il parle intarissablement d’amour à la jeune fille, accepte ses demi-rendez-vous, puis se lie avec le fiancé qu’elle méprise, et quand enfin elle l’attend en pleine campagne, décidée à briser avec sa vie, à le suivre une fois pour toutes, pour la bonne ou la mauvaise fortune, il lui persuade, dans un pitoyable écroulement de tout son être, la soumission aux fatalités de la destinée, et la renvoie à son château, avec des déclamations creuses sur l’amertume de la vie. […] Mais c’est, égal, comment pourrais-je unir ma destinée à la sienne ?

190. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Rapport sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques.] » pp. 518-522

Pour parer, d’ailleurs, à une difficulté qu’elle a rencontrée dans la pratique et qui l’a arrêtée plus d’une fois, et toujours en vue d’aider au travail des Commissions futures, la Commission exprime le vœu. monsieur le ministre, que dorénavant la totalité des sommes destinées aux primes restant la même, il soit permis d’en opérer et d’en graduer la répartition selon le mérite des ouvrages qui sortiront de l’examen avec honneur. […] De jeunes talents semblent déjà l’avoir entrevu ; c’est à les encourager, c’est à en appeler de nouveaux dans cette voie qu’est destinée la fondation des primes annuelles.

191. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Sur l’École française d’Athènes »

Eynard, si attaché aux destinées du pays auquel son nom est inséparablement lié, et quelques autres personnes encore s’en entretenaient avec intérêt et comme d’un vœu réalisable. […] Chaque année, après les études qui auraient pu se suivre sur place, il y aurait un voyage destiné à quelques explorations d’art ou au commentaire vivant d’un auteur ancien ; la moindre promenade aurait son objet.

192. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française. Ve et VIe volumes. »

Toujours fidèle à la destinée de la patrie, qui n’est que la destinée de la Révolution, il se range parmi ceux qui défendent et sauvent cette grande cause ; en sont-ils indignes en eux-mêmes, il les suit encore par devoir à travers les maux qu’ils infligent, et dont il gémit sans que sa constance s’ébranle : Mens immota manet, lacrymæ volvuntur inanes.

193. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Réception à l’Académie Française »

Mais, si toutes les conséquences de l’art nouveau ne sont pas tirées, s’il reste encore des applications possibles au gré des génies inventeurs, si, parmi les idées en jeu dans la société, il en est quelqu’une, noble et féconde, qui attende encore son organe éclatant et son expression éternelle, rien ne s’arrête ; la révolution que les uns ont entamée se consomme par d’autres, et le siècle accomplit jusqu’au bout sa destinée de gloire. […] La destinée du pays dépend en ce moment du rôle qu’oseront prendre ces hommes sages, mais un peu timides, et c’est toujours avec une sorte d’anxiété affectueuse que la France les écoute parler.

194. (1874) Premiers lundis. Tome II « E. Lerminier. Lettres philosophiques adressées à un Berlinois »

Depuis deux ans, sans entrer dans la lice de la politique proprement dite, ce jeune philosophe et publiciste a labouré en tous sens, et avec une infatigable ardeur, le champ des idées sociales, du développement historique de l’humanité et de sa destinée probable au xixe  siècle. […] Il énumère les solutions hâtives qu’on a tentées, et s’arrête particulièrement sur le Saint-Simonisme, dont la courte destinée aura laissé bien des semences.

195. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre III. De la tendresse filiale, paternelle et conjugale. »

Sans cesse la main de fer de la destinée repousse l’homme dans l’incomplet, il semble que le bonheur est possible par la nature même des choses, qu’avec une telle réunion de ce qui est épars dans le monde, on aurait la perfection désirée ; mais dans le travail de cet édifice, une pierre renverse l’autre, un avantage exclut celui qui doublait son prix ; le sentiment dans sa plus grande force est exigeant par sa nature, et l’exigence détruit l’affection qu’elle veut obtenir. […] La conclusion que j’ai annoncée, c’est que les âmes ardentes éprouvent par l’amitié, par les liens de la nature, plusieurs des peines attachées à la passion, et que par-delà la ligne du devoir et des jouissances qu’on peut puiser dans ses propres affections, le sentiment, de quelque nature qu’il puisse être, n’est jamais une ressource qu’on trouve en soi, il met toujours le bonheur dans la dépendance de la destinée, du caractère, et de l’attachement des autres.

196. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Contre une légende »

Mais, au reste, certaines particularités de la destinée littéraire de M.  […] Par la nature de ses travaux, il semblait destiné à n’être connu que d’un groupe d’hommes assez restreint.

197. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 312-324

La fausse clarté de ceux-ci n’est que le produit de la corruption, s’éteint avec elle : l’autre est une clarté, dont l’éclat soutenu ne permet pas de méconnoître le vrai Guide destiné à nous conduire. Ils ont beau faire, ces Pygmées, qui ne paroissent des Géans qu’au microscope de l’ignorance ; elle est, pour les Esprits, ce que le Soleil est pour le Monde, destiné à l’éclairer, à l’embellir, à le féconder, tant qu’il existera.

198. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 1, du génie en general » pp. 1-13

Ils ont voulu arrêter nos sens sur les objets destinez à toucher notre ame. […] De la difference des génies, naît la diversité des inclinations des hommes, que la nature a pris la précaution de porter aux emplois, pour lesquels elles les destine, avec plus ou moins d’impétuosité, suivant qu’ils doivent avoir plus ou moins d’obstacles à surmonter, pour se rendre capables de remplir cette vocation.

199. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XI »

Pélissier, c’est là tout mon livre ; il n’a vu que cela, cela seul l’a frappé, il ne parle que de cela, et il conclut en disant que mon ouvrage est destiné à « faire croire que le génie des grands écrivains se mesure à la diligence avec laquelle ils pourchassent les répétitions ou exterminent les auxiliaires ». […] Nous le conseillons comme un « exercice de gymnastique littéraire momentané », destiné seulement à « former l’esprit littéraire ». « Il n’a de valeur, disions-nous, que comme moyen de métier et n’est pas un but par lui-même.

200. (1907) L’évolution créatrice « Introduction »

De là devrait résulter cette conséquence que notre intelligence, au sens étroit du mot, est destinée à assurer l’insertion parfaite de notre corps dans son milieu, à se représenter les rapports des choses extérieures entre elles, enfin à penser la matière. […] Une quatrième et dernière partie est destinée à montrer comment notre entendement lui-même, en se soumettant à une certaine discipline, pourrait préparer une philosophie qui le dépasse.

201. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre III. Des éloges chez tous les premiers peuples. »

Après avoir raconté tous ses exploits, il s’écrie : « Quelle est la destinée d’un homme vaillant, si ce n’est de mourir dans les combats ? […] Au Mexique, au Pérou, au Brésil, au Canada, et jusque dans des pays où les peuples ignoraient l’usage du feu5, on a trouvé des espèces de poèmes destinés à célébrer des espèces de grands hommes.

202. (1902) La poésie nouvelle

Mais cette théorie a, d’abord, le défaut suivant : elle est destinée à rendre compte des raisons pour lesquelles tels rythmes plaisent, tels autres déplaisent. […] Telle fut la destinée de ce jeune homme qui, à vingt-sept ans, avait prononcé des paroles inoubliables. […] Et je sais parfaitement que ma destinée se borne‌ (Oh ! […] Ce monde haletant et grouillant est soumis à des lois qu’il ignore et qui le conduisent vers de sûres destinées.‌ […] Images d’on ne sait quoi qui se dérobe, ce qu’ils enveloppent sous leur voile c’est le mystère lui-même, l’essentiel mystère de la destinée.‌

203. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VIII. De l’éloquence » pp. 563-585

De l’éloquence Dans les pays libres, la volonté des nations décidant de leur destinée politique, les hommes recherchent et acquièrent au plus haut degré les moyens d’influer sur cette volonté ; et le premier de tous, c’est l’éloquence. […] À qui ces discours étaient-ils destinés ? […] Néanmoins il en est d’elle comme de tous les biens que permet notre destinée : ils ont tous des inconvénients, que l’on fait ressortir seuls, si le vent de la faction souffle dans ce sens ; mais en se livrant ainsi à l’examen des choses, quel don de la nature paraîtrait exempt de maux ?

204. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVII. Des éloges en Italie, en Espagne, en Angleterre, en Allemagne, en Russie. »

Ils ont négligé la tragédie, destinée à peindre les passions et les hommes, et se sont livrés tout entiers à l’opéra, qui d’un bout à l’autre est le spectacle des sens. […] Dans le seizième siècle surtout, on vit naître une foule d’ouvrages destinés à conserver les noms de tous les Italiens célèbres. […] Bientôt après cette décoration passagère, destinée à orner une pompe funèbre d’un jour, on lui éleva un mausolée plus durable, et dont les marbres furent donnés par le grand-duc.

205. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VI. »

Ses poésies, qui sans doute auraient daté et éclairci divers incidents de sa destinée, ont péri pour nous ; et c’est récemment que quelques vers cités par un grammairien sur un papyrus d’Égypte nous ont apporté un second témoignage de son cœur de mère et de sa tendresse pour sa fille. […] En échange d’elle, je ne voudrais pas de la Lydie, ni de l’aimable Ionie67. » Quelle fut la destinée de cette jeune fille, gardée par une telle tendresse, mais née sous un tel exemple ? […] L’espérance de cette gloire, l’orgueil, non plus de la beauté, mais du génie, éclate dans quelques vers d’une pièce perdue71 : « Morte, tu seras gisante », dit la Muse lesbienne à quelque femme ennemie ou rivale ; « il ne restera de toi nulle mémoire dans l’avenir ; car tu ne touches pas aux roses de la montagne des Piérides ; mais tu iras, obscure, visiter les demeures d’Adès, t’envolant sur le sol des aveugles morts. » Une autre fois, devant des femmes qui, riches et belles, semblaient enivrées de leur destinée, elle parut plus fière encore, en disant « que les Muses lui donnaient, à elle, le vrai bonheur et le seul digne d’envie ; car, même dans la mort, elle ne serait jamais oubliée ».

206. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE STAEL » pp. 81-164

Si elle s’y fit remarquer dans sa première attitude par quelque chose de sentimental et d’extrêmement animé, à quoi se prenaient certaines aristocraties envieuses, c’est qu’elle était destinée à porter du mouvement et de l’imprévu partout où elle se serait trouvée. […] ce temps où nos destinées auraient pu s’unir pour toujours, si le sort nous avait créés contemporains. » Et plus loin, parlant de sa mère : « Il lui fallait l’être l’unique, elle l’a trouvé, elle a passé sa vie avec lui. […] Nous tous, générations arrivant depuis les Martyrs et depuis Corinne, nous sommes devant ces deux gloires inséparables, sous le sentiment filial dont M. de Lamartine s’est fait le généreux interprète dans ses Destinées de la Poésie. […] Qu’on juge de ce que devait être cette entraînante lecture dans une société exaltée par les vicissitudes politiques, par tous les conflits des destinées, quand le Génie du Christianisme venait de remettre en honneur les discussions religieuses, vers l’époque du Concordat et de la modification de la loi sur le divorce ! […] Elle y proposait, à la Révolution française et à la Restauration elle-même, une interprétation politique destinée à un long retentissement et à une durable influence.

207. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIe entretien. Littérature italienne. Dante. » pp. 329-408

Création, théogonie, histoire, vie et mort, phases primitives, successives et définitives de l’esprit, destinée de tous les êtres animés, de l’âme humaine d’abord, puis de celle de l’insecte, puis de celle des soleils, puis de celle de ces myriades d’esprits invisibles, mais évidents, qui comblent le vide entre Dieu et le néant, qui pullulent dans ses rayons, et qui sont, je n’en doute pas, aussi divers et aussi multipliés que les atomes flottants qui nous apparaissent dans un rayonnement de soleil ; je crus tout comprendre ; et, en effet, je compris tout ce que Dieu permet de comprendre à une de ses plus infimes intelligences. […] XX La destinée de M.  […] Au moment de commencer sa carrière de gloire, le héros est ravi en songe en un lieu élevé du ciel, où son aïeul l’Africain, lui découvrant les honneurs, les périls et les devoirs qui l’attendent, le prépare à cette destinée par le spectacle de l’économie divine qui soutient l’univers, police les sociétés et dispose souverainement des hommes. […] Il en avait fait le dernier livre de son traité de Republica, cherchant ainsi, dans l’éternité, la sanction des lois destinées à contenir les peuples dans le temps. […] Vous avez donné quarante ans de vie à une créature qui est arrivée sur la terre maladive, frêle, destinée à mourir dix fois sans les tendresses d’un père et d’une mère qui l’avaient seuls sauvée.

208. (1836) Portraits littéraires. Tome II pp. 1-523

Agnès est innocente ; ce mot comprend toute sa destinée. […] La destinée d’Agnès est celle de toutes les femmes élevées à la même école, nourries comme elle dans une inviolable ignorance. […] Delavigne ceux qui décidaient, dans les dernières années du quinzième siècle, les destinées de la Grande-Bretagne. […] Il aurait fait sentir tout ce qu’il y a de romanesque et de mélancolique dans la singulière destinée du héros de Lépante. […] Je ne m’explique pas bien comment le légat d’Autriche, pour frapper un favori qui déshonore la couche destinée à son maître, va choisir la haine impuissante de Gilbert.

209. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XII. La littérature et la religion » pp. 294-312

Et quand même on dirait que ces nations sont restées catholiques ou devenues protestantes, parce qu’elles devaient déjà soit à la race, soit au climat, une sorte de prédestination à cette différence de culte ; quand même on ferait ainsi remonter à une cause commune leurs préférences religieuses, politiques, morales, esthétiques, il n’en serait pas moins vrai que leurs croyances sur l’au-delà et sur la destinée humaine, cristallisées dans des institutions permanentes et dans des pratiques séculaires, ne peuvent que maintenir et renforcer leur tempérament primitif. […] Il n’est pas difficile de retrouver l’onction et parfois le patelinage ecclésiastique chez des hommes qui, élevés au séminaire et destinés à entrer dans les ordres, ont abandonné cette carrière. […] On doit l’honorer et le prier, sans croire jamais qu’un Dieu placé si haut s’occupe du sort des individus, sinon de certains individus privilégiés qui sont des princes chargés par lui de présider aux destinées des nations. […] Avec Chateaubriand, Lamartine, les adeptes du romantisme commençant, elle a été pour la théologie une auxiliaire d’autant plus efficace qu’elle était moins sermonneuse et plus mondaine ; elle a ramené les indifférents et les tièdes aux offices par le charme de sa parole d’or ; elle a ravivé le sentiment d’angoisse et de mélancolie que l’homme éprouve devant l’énigme de sa destinée, devant la mort qui l’engloutit avec toutes ses ambitions ; elle a poétisé les ruines couronnées de lierre des vieux cloîtres écroulés, la mystérieuse pénombre des cathédrales, la voix lointaine des cloches éveillant même en l’homme qui ne croit plus les souvenirs de sa pieuse enfance ; elle a dit et redit les aspirations inassouvies de l’âme humaine vers l’infini de l’espace et du temps.

210. (1759) Réflexions sur l’élocution oratoire, et sur le style en général

Réflexions sur l’élocution oratoire, et sur le style en général Ces réflexions sont destinées à développer les principes qu’on a établis sur l’éloquence dans le discours précédent ; les éloges de justice et de devoir, auxquels on a été obligé dans ce discours, et les bornes qui lui étaient d’abord prescrites, n’ont pas permis d’y traiter avec l’étendue convenable cette matière importante. […] Le propre de l’éloquence est non seulement de remuer, mais d’élever l’âme ; c’est l’effet même de celle qui ne paraît destinée qu’à nous arracher des larmes ; le pathétique et le sublime se tiennent ; en se sentant attendri, on se trouve en même temps plus grand, parce qu’on se trouve meilleur ; la tristesse délicieuse et douce, que produisent en nous un discours, un tableau touchant, nous donne bonne opinion de nous-mêmes par le témoignage qu’elle nous rend de la sensibilité de notre âme ; ce témoignage est une des principales sources du plaisir qu’on goûte en aimant, et en général de celui que les sentiments tendres et profonds nous font éprouver. […] Les règles ne sont destinées qu’à être le frein du génie qui s’égare, et non le flambeau du génie qui prend l’essor ; leur unique usage est d’empêcher que les traits vraiment éloquents ne soient défigurés par d’autres, ouvrages de la négligence ou du mauvais goût. […] plusieurs raisons y ont contribué ; la grandeur où la France est parvenue sous le règne de Louis XIV ; la supériorité de nos bons écrivains en matière de goût sur ceux des autres nations ; et peut-être aussi cette destinée quelquefois bizarre, qui décide apparemment de la fortune des langues comme de celle des hommes.

211. (1874) Premiers lundis. Tome II « La Revue encyclopédique. Publiée par MM. H. Carnot et P. Leroux »

C’est ce que, depuis juillet, malgré la clameur universelle, il a exécuté avec une sévère et imperturbable logique ; c’est ce qui a fait sacrifier la République à la quasi-Restauration ; c’est ce qui a fait sacrifier l’honneur du nom français, le sang de la Pologne, la liberté de l’Espagne et de l’Italie, à l’exigence et au despotisme des rois ; c’est ce qui a fait sacrifier toute amélioration du sort de la classe ouvrière à l’étroit égoïsme de la classe bourgeoise, sacrifier aux menues fantaisies d’un fils de roi la somme destinée à l’éducation des fils de cent mille prolétaires ; c’est ce qui a maintenu l’impôt sur les boissons et sur le sel, et rejeté les blés étrangers par-delà nos frontières ; c’est ce qui a ouvert nos provinces aux insolentes violences des carlistes, troublé nos villes aux éclats de la voix des prolétaires se frayant une issue sur les places publiques, souillé nos régiments du sang des citoyens, et répandu de toutes parts sur le sol ces étincelles qui allument la guerre civile au sein des nations. […] Cette philosophie pourtant, nous le croyons, n’est pas destinée à une éternelle poursuite sans résultat ; et nous croyons aussi que, ces résultats se produisant, les rédacteurs de la Revue encyclopédique sont faits pour y apporter beaucoup.

212. (1897) La crise littéraire et le naturisme (article de La Plume) pp. 206-208

Les grandes actions ont leur répercussion jusque dans les intelligences ; et quoi d’étonnant à ce que des événements qui ont bouleversé les destinées nationales modifient également la sensibilité des particuliers ? […] Là se consomme la destinée des races.

213. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 14, comment il se peut faire que les causes physiques aïent part à la destinée des siecles illustres. Du pouvoir de l’air sur le corps humain » pp. 237-251

Section 14, comment il se peut faire que les causes physiques aïent part à la destinée des siecles illustres. […] Quand les explications physiques de ces faits ne seroient point bonnes, mon erreur sur ce point-là n’empêcheroit pas que les faits ne fussent véritables, et qu’ils ne prouvassent toujours que les causes morales ne décident pas seules de la destinée des lettres et des arts.

214. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Première partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère des idées religieuses » pp. 315-325

Ainsi il y a dans le genre humain un sentiment intime et profond qui l’avertit que Dieu veille sur les destinées de sa noble créature, sur les destinées de l’ordre social où il a voulu qu’elle fût placée.

215. (1936) Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours pp. -564

L’accent ne trompe pas, et la mesure du bonheur d’un grand homme n’est pas donnée par ce qui de sa destinée comblerait un médiocre. […] L’entreprise subsiste hors de l’espoir, et une partie des Destinées met en symboles l’entreprise humaine. […] Un sculpteur divin avait pris sous son ciseau la pierre de sa destinée. […] Il a eu un style de destinée, ce qui n’est pas la même chose : le style d’une destinée d’ailleurs tardive, qu’il a reçue en 1851, et à laquelle ont collaboré, dans la suite, des hasards heureux : isolement insulaire, chute de l’Empire, triomphe de la République après le 16 mai. […] Mais, comme elle n’était pas portée et produite par un style de vie, cette destinée était trop grande pour lui.

216. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Jocelyn (1836) »

Les familles n’ont plus aujourd’hui de filles destinées au cloître, et elles n’ont guère de fils destinés à l’autel ; le mot d’amour n’est donc pas en lui-même nécessairement alarmant, et il n’a effarouché d’ailleurs ni dans Paul et Virginie ni dans Télémaque. […] Mais, au milieu de notre propre discussion mêlée à nos conjectures et à nos désirs sur la destinée du poëme, nous oublions Jocelyn en personne, qui est entré au petit séminaire, et qui a dû, il est vrai, y rester six longues années. […] L’amitié du Botaniste a pu les ignorer jusqu’au moment où Marthe l’a aidé à retrouver ces papiers anciens qui n’étaient point destinés à survivre. […] Le bon et tendre curé a existé sans doute, je le crois ; mais ce qui est sûr, c’est que le poëte a fait mainte fois  confusion de son âme et de sa propre destinée avec lui.

217. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série «  M. Taine.  »

Il me semble qu’à ce moment-là les anciens serviteurs de Napoléon devaient plutôt, devant le mystère tragique de cette destinée, être pris d’une immense compassion et comme pénétrés d’une horreur sacrée où s’évanouissaient les rancunes personnelles. […] Tandis qu’il essayait de réaliser son rêve gigantesque de domination universelle, apparemment il songeait au passé et à l’avenir, il se comparait, il se « situait » dans l’histoire, il se considérait comme l’un des grands ouvriers du drame humain, et sa destinée était pour lui-même un mystère dont il frissonnait… Rien d’humain ne battait sous son épaisse armure. […] C’est une correspondance, tout intime, qui n’était pas destinée à la publication. […] Faustus lui-même juge le bonheur dont il jouissait avant son sacrifice moins désirable que l’antique destinée humaine… C’était déjà la conclusion des Destins. […] C’est seulement après l’achèvement de leur destinée humaine par le sacrifice qui leur prouve leur valeur morale, qu’ils dépouillent leur matérialité pour entrer dans le dernier paradis, dont le poète se résigne à ne se faire qu’une très vague idée… — Mais alors, pourquoi l’aventure de Faustus et de Stella ne se passe-t-elle pas tout simplement sur la terre ?

218. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 15 décembre 1886. »

Fétis ne ménage pas les termes de son mépris : les conceptions de Wagner sont des monstruosités, des rêves insensés destinés à s’évanouir au grand jour. […] Dans l’intervalle, Bruxelles voyait se fonder une institution destinée à modifier insensiblement le goût du public et à le porter de préférence vers un ordre de compositions musicales de style élevé. […] La nomination de Louis Brassin, l’admirable pianiste, en qualité de professeur au Conservatoire royal de Bruxelles, devait avoir par la suite une très heureuse influence sur les destinées du Wagnérisme. « Personne, dit M.  […] Charles Wiener, est destinée à rappeler le souvenir. […] Dupont et Lapissida, souvent associés dans le travail d’organisation des représentations wagnériennes, tiennent en main les destinées du théâtre de la Monnaie, on se demande si Wagner occupera enfin la place qui lui revient dans le programme de nos récréations artistiques.

219. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VII. Repos »

Elle est d’âme assez grande et assez fière pour aimer l’incertain d’une telle destinée ; pour diriger ses yeux vers cette aurore hésitante, le sourire de la gloire posthume ; pour laisser rarement l’ironie d’un regard qui descend très bas tomber sur l’injustice contemporaine, bouche stupide obstinément fermée. […] Mais il est destiné à la gloire et, dès qu’ils le verront couché dans la définitive immobilité, envieux et critiques répèteront le mot effaré : « Nous le croyions pas si grand ». […] Elle sent qu’elle va devenir mère et elle affirme que les prochaines aurores seront belles, et belles les prochaines destinées… Cependant, à l’écart, la foule des esclaves délibère sur le sort du poète et décide qu’il sera crucifié. […] Le livre se divise en trois parties que j’appellerais volontiers — les destinées sont des comètes — la sortie de l’ombre interstellaire, le passage dans la lumière, la rentrée dans l’ombre. […] Mais il ne peut revenir en arrière et son effort deviendra enfin vaillant jusqu’au calme, car devant lui il apercevra, se confondant, s’unifiant, prometteuse d’il ne sait quelles joies pour les futures destinées : l’enfançonne dont le sourire précipita sa marche jusqu’à la chute ; la femme qui l’arrêta quelques jours et l’attarda des années.

220. (1875) Revue des deux mondes : articles pp. 326-349

Les conducteurs nerveux représentent de véritables fils électriques organiques ; ils sont constitués par un tube rempli d’une substance appelée moelle nerveuse, destinée à protéger un filament central. […] Dans ce qui va suivre, je ne chercherai donc pas à nier systématiquement au nom de la science tout ce que l’on a pu dire au nom de l’art sur le cœur comme organe destiné à exprimer nos sentiments et nos affections. […] Le cœur droit, appelé aussi cœur à sang noir, est destiné à recevoir dans son oreillette par les veines caves le sang impur qui revient de toutes les parties du corps et à le faire passer ensuite dans son ventricule pour le lancer dans le poumon, où il devient pur et rutilant. […] Les papilles muqueuses versaient alors le suc gastrique, fluide clair et transparent destiné à dissoudre les aliments. […] Ce germe cellulaire, qu’on appelle le noyau de la cellule, attire et élabore autour de lui les matériaux nutritifs spéciaux destinés aux combustions fonctionnelles de chacun des éléments de nos tissus ou de nos organes.

221. (1856) Cours familier de littérature. I « VIe entretien. Suite du poème et du drame de Sacountala » pp. 401-474

Sache que cet enfant est destiné à se rendre un jour, par sa valeur, maître du monde entier. […] À quelles hautes destinées n’est pas réservé l’être auquel, dès sa naissance, la Divinité elle-même a daigné prodiguer d’aussi tendres soins ! […] Les pièces étaient préalablement châtiées et destinées autant à l’édification qu’au plaisir. […] Des soldats accourent pour disputer aux enfants un cheval échappé, destiné au sacrifice. […] Ces signes indiquent une destinée glorieuse, telle qu’elle est réservée aux seuls enfants de Raghou.

222. (1856) Cours familier de littérature. II « XIe entretien. Job lu dans le désert » pp. 329-408

Dieu, l’homme et la destinée ! […] Mais trois choses ont toujours résumé pour nous l’horreur indescriptible de cette destinée de l’homme mortel ici-bas : les conditions de la naissance, les conditions de la vie physique et les conditions de la mort. […] et sommes-nous destinés à être les obsédés sans réveil de ce cauchemar du néant ? […] Le doute, cet inconnu suprême et final dans l’organe même destiné à connaître ! […] Nous allons voir tous ces phénomènes, intellectuels, humains et divins, dans ce drame surnaturel du poème de Job, dont je vous ai exposé le sujet et les acteurs : Dieu, l’homme et la destinée.

223. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — II » pp. 107-121

Mais je croirais manquer aux vues de la Providence sur moi, si je ne portais pas avec courage ma destinée. […] Ce n’est pas seulement le découragement de moi-même, mais des hommes, à la vue chaque jour plus claire du petit nombre de choses que nous savons, de leur incertitude, de leur répétition incessante dans des mots nouveaux depuis trois mille ans, enfin de l’insignifiance de notre espèce, de notre monde, de notre destinée, de ce que nous appelons nos grandes révolutions et de nos grandes affaires… Il faut travailler pourtant : car c’est la seule ressource qui nous reste pour oublier ce qu’il y a de triste à survivre à l’empire de ses idées, etc. […] M. de Tocqueville en prit occasion de venger la mémoire de Turgot, d’honorer son intention généreuse et celle du monarque ami du peuple ; cela le conduisit à une profession libérale des mêmes idées, des mêmes sentiments, qu’il rattachait à une grande, à une sainte, à une immortelle cause, où toutes les destinées de l’humanité étaient renfermées et comprises.

224. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre II. L’analyse interne d’une œuvre littéraire » pp. 32-46

Il y a des auteurs qui étalent ce qu’ils pensent de la religion, de la politique, de la destinée humaine et dont les opinions forment un système fort bien lié : tel est Bossuet, par exemple, ou Montaigne. […] Ainsi, sans secours étranger, on arrive vite en la plupart des cas à savoir quel sentiment, quelle disposition d’esprit une œuvre a été destinée à produire. […] Ses vues sur la destinée future de l’univers sont-elles claires ou obscures, basses ou élevées, vieilles ou neuves, simples ou complexes ?

225. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Raphaël, pages de la vingtième année, par M. de Lamartine. » pp. 63-78

Il y a de ce côté toute une destinée et presque une religion. […] Pourtant elle n’est pas épuisée encore, et il y a dans cette destinée du poète, séducteur à la fois des pères et des fils, sur un même thème d’amour, quelque chose qui rappelle véritablement la destinée de Ninon.

226. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Seconde partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère de la littérature et des arts » pp. 326-349

Remarquons toutefois que cette littérature nouvelle doit avoir pour caractère particulier d’être européenne, en même temps qu’elle sera tout à fait française ; car la France ne peut qu’être à la tête des destinées de l’Europe. […] Le seul fait littéraire qui, depuis la renaissance, puisse nous donner une idée de la manière dont se forment les traditions, le seul, en même temps, qui fasse concevoir ce que fut le cycle épique chez les anciens, ce sont les poèmes qui ont été destinés à célébrer la gloire de Charlemagne et de ses paladins. […] On a senti la nécessité de propager de nouvelles formes d’enseignement pour hâter l’instruction dans les dernières classes de la société ; et l’on néglige l’avancement simultané de celles qui sont destinées à marcher les premières.

227. (1922) Gustave Flaubert

Les deux visages de sa destinée sont symétriques. Et cette destinée ne fait qu’un bloc et qu’un être. […] Nous connaissons assez d’histoire contemporaine pour savoir que, si la clef des destinées d’Emma était celle-là même du capharnaüm, la clef des destinées d’Yonville et de l’État se trouve chez Homais. […] Il pense de cette destinée qui commence ce que Charles Bovary pense de sa destinée qui finit : c’est la faute de la fatalité. […] Mais on ne fait pas sa destinée, on la subit.

228. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIe entretien. Épopée. Homère. — L’Iliade » pp. 65-160

Elle pleure elle-même à son récit ; elle lui présage une funeste et courte destinée ; elle lui promet néanmoins d’aller sur l’Olympe implorer pour lui le souverain des dieux, Jupiter. […] espérant qu’un jour tu ferais alors tout mon soutien contre les rigueurs de la destinée ! […] » « Notre destinée à tous est sur le tranchant d’un glaive », lui dit Nestor. […] Je sais que ma destinée est de périr ici, loin de ma mère et de mon père !  […] Lorsque j’enfantai Hector, la Parque inflexible fila sa destinée pour qu’il fût un jour livré aux chiens dévorants par un féroce ennemi !

229. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (1re partie) » pp. 313-408

Qui ne le plaindrait de cette cruelle impuissance où il est d’atteindre à sa destinée ? […] Et moi qui vois couler cette humble destinée Au penchant du devoir doucement entraînée, Ces jours purs, transparents, calmes, silencieux, Qui consolent du bruit et reposent les yeux, Sans le vouloir, hélas ! […] Retirez-vous comme lady Stanhope, dans la solitude d’un monde désert, regardez le monde qui passe, et qu’un jeune homme vous apparaisse tout à coup dans une nuit de surprise et d’anxiété ; causez une nuit entière avec lui, et vous verrez tout à coup le point de conjonction et la destinée de cet homme avec la destinée de son pays : sauf la date que Dieu s’est réservée, parce que les révolutions sont des horloges détraquées qui avancent ou qui retardent par une circonstance inappréciable à nos faibles intelligences. […] « Que sont devenus ces amis du même âge, ces frères en poésie, qui croissaient ensemble, unis, encore obscurs, et semblaient tous destinés à la gloire ! […] « Je vous crois appelé, monsieur, aux plus grandes destinées littéraires, mais je trouve encore un peu d’affectation dans vos vers.

230. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Appendice. — Un cas de pédanterie. (Se rapporte à l’article Vaugelas, page 394). »

Sorti de l’École normale et destiné aux sciences, envoyé comme professeur de physique au lycée de Metz, Paulin se signala en 1814 et 1815 par la chaleur et, je dirai, l’effervescence de son patriotisme, par son dévouement à la cause de l’armée, à celle de l’Empereur, par ses prodiges d’humanité au service des blessés et des malades. […] Destiné d’abord à l’enseignement des sciences, chargé de professer la physique au lycée de Metz, il reçut dans cette cité patriotique et guerrière le coup direct des événements de 1814 de l’invasion.

231. (1874) Premiers lundis. Tome II « Doctrine de Saint-Simon »

Il a mérité que le caractère d’individualisme, si fortement prononcé dans notre âge égoïste et littéraire, s’effaçât ici, en quelque sorte, sous la sanction sacerdotale, sous l’adoption solennelle qui fait de ces lettres, non pas un opuscule philosophique, non pas un legs posthume d’un jeune homme de belle espérance, mais une pierre désormais indestructible du temple qui s’élève, une parole mémorable de l’Évangile toujours vivant, un chapitre de plus destiné à illustrer la troisième période des saintes Écritures. Ce n’est pas sans un sentiment de surprise et d’admiration que celui qui n’est pas encore pleinement transformé à la religion de l’avenir, après avoir maintes fois entendu parler des qualités et des mérites du jeune apôtre qui écrivit ces lettres, ne trouve, en ouvrant le volume, qu’un petit nombre de détails indispensables sur sa personne et sa destinée.

232. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

La musique, destinée essentiellement à servir, ne saurait commander aux autres arts sans les bouleverser et les amoindrir. […] Pour posséder un sentiment juste et complet des destinées sociales, il faut d’abord avoir compris les époques finies ; pour bien les comprendre, il faut les avoir aimées. […] Il avait un sentiment trop complet, trop impérieux, des destinées humaines pour n’être pas frappé par le côté vraiment grand des découvertes industrielles de notre époque. […] Chacun de nous est artiste en morale ; l’homme est placé en ce monde pour édifier de ses mains l’œuvre de sa destinée future, pour se créer lui-même dans la vertu. […] Quoique destinée à nous présenter le côté matériel des choses, la prose n’emploie pas l’expression figurée ; son véritable type est dans la formule mathématique.

233. (1911) Visages d’hier et d’aujourd’hui

Et la destinée de Xanthis de Tanagra symbolise « la vanité des amours passagères et la mélancolie des fragiles destinées ». […] Le double principe de sa destinée est marqué par le contraste de ces titres. […] Les mots ont leur destinée : il la connaissait. […] La destinée n’est supportable que si l’on trouve des raisons de la croire délicieuse. […] Cela dure encore, et déjà un autre sentiment, un autre son, naît et commence sa romanesque destinée.

234. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIVe entretien. Épopée. Homère. — L’Odyssée » pp. 445-524

Malheur à l’homme qui, soit par le trop d’élévation, soit par le trop de défaveur de sa destinée, est né dans les villes, et qui a été élevé à distance des scènes primitives, naïves, agricoles, champêtres ou maritimes de la nature ! […] Cet oncle était destiné à l’Église avant la Révolution ; il était entré contre son gré dans cet ordre, avec la perspective toute mondaine d’un évêché ou d’une abbaye. […] Nous quittions tous les ans notre maison moins pastorale du Mâconnais pour aller passer l’été et l’automne dans sa belle demeure ; elle m’était destinée après lui. […] La femme qui veille aux provisions dans la maison dépose dans le char le pain et le vin, toutes les choses destinées à la nourriture des rois, fils des dieux. […] Tous ces déguisements, toutes ces vicissitudes, tous ces périls du père, du fils, de l’épouse, inspiraient de jour en jour plus d’intérêt à nos âmes neuves encore aux hasards de la destinée humaine.

235. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Ma biographie »

Alphonse Le Roy avait été chargé par le Conseil académique de l’université de Liège, qui venait de célébrer son cinquantième anniversaire (le 3 novembre 1867), de composer une histoire même de cette université, un Liber memorialis, destiné à toutes les grandes bibliothèques publiques du monde savant en Europe et en Amérique ; une Notice sur tous les professeurs qui y avaient enseigné depuis l’année de sa fondation (1817) devait y trouver place, et non seulement une Notice biographique, mais bibliographique. […] Victor Hugo, qui était alors directeur ou président. — L’instabilité qui, après la Révolution de février 1848, semblait devoir présider pour longtemps aux destinées de la France, détermina M.  […] Le cours du mercredi et du vendredi, destiné aux seuls élèves, embrassait l’ensemble de la littérature française. […] Il n’a tenu qu’à peu de chose qu’il ne fixât à Liège sa destinée et qu’il n’y plantât sa tente, au moins pour quelques années, ainsi que l’eût désiré le ministre de l’intérieur, M.  […] C’est à quoi du moins il paraissait destiné, pour qui le voyait tous les jours de bien près.

236. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (2e partie) » pp. 177-248

Cette croyance pure, morale, antique, existait ; c’était la vieille religion du Christ, ouvrage de Dieu suivant les uns, ouvrage des hommes suivant les autres, mais, suivant tous, œuvre profonde d’un réformateur sublime ; réformateur commenté pendant dix-huit siècles par les conciles, vastes assemblées des esprits éminents de chaque époque, occupées à discuter, sous le titre d’hérésies, tous les systèmes de philosophie, adoptant successivement sur chacun des grands problèmes de la destinée de l’homme les opinions les plus plausibles, les plus sociales, les adoptant, pour ainsi dire, à la majorité du genre humain ; arrivant enfin à produire ce corps de doctrine invariable, souvent attaqué, toujours triomphant, qu’on appelle unité catholique, et au pied duquel sont venus se soumettre les plus beaux génies ! […] La dictature, sous la forme de consulat perpétuel, avec un pouvoir étendu comme son génie, durable comme sa vie, aurait dû suffire au général Bonaparte pour accomplir tout le bien qu’il méditait, pour reconstruire cette ancienne société détruite, pour la transmettre, après l’avoir réorganisée, ou à ses héritiers s’il devait en avoir, ou à ceux qui, plus heureux, étaient destinés à profiter un jour de ses œuvres. […] Ainsi, en toutes choses, la France était destinée à servir d’enseignement à l’univers : grand malheur et grande gloire pour une nation !  […] Thiers s’en console en disant : « Mais ces institutions (les cours) étaient loin de mériter le mépris qu’on a souvent affiché pour elles ; elles composaient une république aristocratique détournée de son but par une main puissante, convertie temporairement en monarchie absolue, et destinée plus tard à redevenir monarchie constitutionnelle, fortement aristocratique, il est vrai, mais fondée sur la base de l’égalité. » Comprenne qui pourra cette république devenue en même temps monarchie absolue, cette monarchie absolue destinée à redevenir monarchie constitutionnelle, cette aristocratie et cette égalité se démentant par leurs seuls noms l’une et l’autre ! […] D’autres en ont donné des fragments d’une grande précision et d’un style peut-être supérieur comme couleur, mais aucun ne les a placés à leur jour et à leur place dans ce vaste et magnifique ensemble qui donne à chacun de ces événements, militaires ou civils, sa place, sa proportion, sa valeur historique et sa signification dans la destinée du monde.

237. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIIe entretien. Fior d’Aliza » pp. 177-256

J’en étais informé par sa correspondance, et, en arrivant à Chambéry, je n’eus qu’à recueillir le fruit d’un an de patience et à emmener avec moi la femme accomplie que l’attachement le plus fidèle et le plus dévoué me destinait pour compagne de mes jours bons et mauvais. […] Ce fut là que j’eus l’occasion de voir et d’admirer, suspendue aux bras de sa mère, cette ravissante princesse Christine, dans toute la fleur de beauté et d’intelligence, que son sort destinait pour épouse au roi d’Espagne, Ferdinand VII, et qui a su, au milieu des tempêtes, plaire, gouverner, transmettre un trône à sa fille, régner, tomber, ou plutôt se retirer du trône, plus heureuse et plus habile que Christine de Suède, dans le demi-jour d’une existence à l’abri des coups de vent. […] Cet enfant, né sous les plus heureux auspices, échappa comme ma fille, en mourant jeune, à sa triste destinée. […] Il n’attendit pas ma demande pour me nommer à Florence auprès du marquis de La Maisonfort, et destiné à le remplacer en chef aussitôt que les convenances permettraient de rappeler ce ministre. […] Ajoutons que ce cinquième chant était même destiné à paraître sous le nom de lord Byron, et comme la traduction d’un fragment posthume de cet illustre écrivain.

238. (1857) Cours familier de littérature. III « XIIIe entretien. Racine. — Athalie » pp. 5-80

Rien cependant n’indiquait encore en lui, par des explosions trop précoces de génie, une de ces natures qui font violence au temps et qui jaillissent d’elles-mêmes en éclairs de talent, révélateurs de hautes destinées. […] La cour était à cette époque très lettrée ; et la plupart de ces jeunes personnes étant destinées, par leur naissance ou par leur mariage, à vivre à la cour, les lettres saintes et profanes, les arts d’agrément et principalement la déclamation théâtrale des plus beaux vers de la langue, entraient dans ce plan d’éducation. […] Ce genre était admirablement approprié à la scène moitié royale, moitié monastique, sur laquelle Esther était destinée à être représentée, et aux jeunes actrices qui devaient la représenter devant le moderne Assuérus. […] Mais je ne voulus point de ceux qu’on avait déjà destinés, ce qui l’obligea de faire, pour moi, le prologue de sa pièce. […] Écoutons Esther racontant son triomphe et se présageant à elle-même de hautes destinées devant sa confidente.

239. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (4e partie) » pp. 1-63

Ils le sont presque toujours par la naissance, cette faveur aveugle de la destinée. […] Ceux-là même, parmi les membres du gouvernement les plus démocrates, que l’ignorance publique a accusés de connivence perfide avec l’insurrection étaient, au fond, les plus impatients et les plus actifs dans la préparation des mesures militaires destinées à écraser cette sédition. […] Ce pressentiment, qui précède les hautes destinées et les grands noms, semblait révéler de loin à l’armée que de tous les hommes qui s’agitaient alors dans la Révolution celui-là pouvait être un jour le plus utile ou le plus fatal à la liberté. […] « Quant à nous, qui devons justice et pitié à la victime, mais qui devons aussi justice aux juges, nous nous demandons, en finissant ce mélancolique récit, ce qu’il faut accuser, ce qu’il faut absoudre du roi, de ses juges, de la nation ou de la destinée. […] La vie ou la mort de Louis XVI, détrôné ou prisonnier, ne pesait pas le poids d’une baïonnette de plus ou de moins dans la balance des destinées de la république.

240. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (4e partie) » pp. 429-500

Les proscrits émigrants qui sont ensevelis dans ses cavernes rêvent, pleurent, ou chantent pendant la longue traversée sur ce qu’ils ont laissé de leur vie passée, sur ce qu’ils vont retrouver de leur vie future, dans le hasard des unions que la destinée leur prépare sous d’autres cieux. […] Lisez et comprenez cette préface d’un autre Cosmos : « Je crois même que la question de la vie et des destinées humaines ne peut être bien résolue que par les enchaînements de la vie universelle dont elle fait partie : une même lumière logique, éclairant et fécondant ce vaste ensemble, sera la plus saisissante des preuves pour l’esprit humain. […] « Dans un cas, les destinées de l’homme sont celles de la matière : la vie humaine est un écoulement, qui commence à l’organisation, qui finit à la dissolution, et qui s’épanche, comme le fleuve, sur une pente fatale, des glaciers à l’Océan. « Dans l’autre cas, les destinées, ou plutôt les prédestinations de l’homme, rarement réalisées, sont celles du principe supérieur supporté par la matière ; dans la mesure même où l’homme entre en possession de ce principe supérieur, il en partage la nature et les destinées, et par les responsabilités d’ici-bas, et par les espérances immortelles.

241. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « De l’influence récente des littératures du nord »

Dans les Revenants, Mme Alving, dont la vie a été jusque-là une vie de foi et d’immolation chrétienne, bouleversée par l’atroce injustice de la destinée d’un fils condamné à la maladie et à la folie par les vices de son père, secoue subitement le joug de ses anciennes croyances et, du premier coup, va si loin dans cette indépendance retrouvée que, à un moment, elle n’hésite pas à pousser dans les bras du malade une servante qu’elle sait être sa sœur naturelle. […] Elle veut le reprendre, car un de ses rêves est de « peser sur une destinée humaine ». […] Sur quoi Hedda, ne pouvant décidément supporter la disproportion qu’il y a entre sa destinée et son âme, se tue d’un coup de revolver. […] C’est au bagne, où il était pour un crime de passion, que, forcément seul avec lui-même, il a connu la vérité. « Le secret de la destinée humaine, sans cet enfer, je ne l’aurais jamais goûté… Cette surabondance d’énergie, qui s’allait cramponnant aux dangers et aux fatigues vulgaires de la vie sociale, s’assouvit enfin quand elle fut aux prises avec les angoisses de la vie expiatoire… » Et enfin, la nouvelle religion, le christianisme naturel, celui qu’Ibsen prophétise sans l’expliquer clairement nulle part, ce qu’il appelle le « troisième état humain », qui sera fondé « sur la connaissance et sur la croix » (le second étant fondé seulement sur la croix et le premier seulement sur la connaissance), ai-je besoin de vous avertir que vous en rencontrerez du moins, dans George Sand et ses contemporains, de vastes et vagues esquisses ? […] Ce « mystère », ce n’est sans doute, ce ne peut être que celui de notre destinée, de notre âme, de Dieu, de l’origine et du but de l’univers.

242. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Crétineau-Joly »

Nul de nous n’avait été assez heureux pour inspirer à des hommes qui avaient l’honneur de leur Institution à défendre, une confiance qui devait venir dans son temps comme les choses destinées à réussir. […] Par un juste retour des choses, ce billet terrible allait devenir toute la destinée de celui qui l’avait signé. […] Le doute, qui faisait craquer tout en Europe, l’avait-il saisi comme les autres, non dans sa foi à la destinée éternelle de l’Église, mais dans sa foi à sa destinée dans le temps, à sa destinée de passage ?

243. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « M. MIGNET. » pp. 225-256

Malgré les difficultés, que nous connaissons trop bien, de juger du fond en des matières si complexes et d’oser apprécier la forme en des hommes si honorés de nous, cette fois nous nous sentons presque à l’aise vraiment ; nous avons affaire à une destinée droite et simple qui, en se développant de plus en plus et en élargissant ses voies, n’a cessé d’offrir la fidélité et la constance dans la vocation, la fixité dans le but ; il est peu d’exemples d’une pareille unité en notre temps et d’une rectitude si féconde. […] Cette destinée grave et sereine, toute studieuse, sans écart, me fait l’effet d’une belle et droite avenue dont les arbres sont peut-être plus hauts et mieux fournis en avançant : tout à l’extrémité, j’aime à y revoir ces premières stations plus riantes, sous le soleil. […] Ces chapitres, dans lesquels le drame romanesque de Perez rejoint et traverse les grands intérêts de l’histoire, et où les deux ressorts se confondent, sont d’un suprême intérêt ; et en tout, dans le cours de cette publication épisodique, M.Mignet a su combiner le genre de piquant qui tient à une destinée individuelle et aventurière, avec la gravité habituelle qu’il aime dans les conclusions. […] Si habilement et si artistement tissu que soit le filet, les hommes et leurs intentions, et les mille hasards de leur destinée passent de toutes parts au travers, et la présence même du réseau d’airain ne sert qu’à faire mieux apercevoir ce qu’il ne parvient pas à enserrer.

244. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de Pompadour. Mémoires de Mme Du Hausset, sa femme de chambre. (Collection Didot.) » pp. 486-511

Fille d’une mère galante qu’entretenait un fermier général, mariée comme provisoirement au neveu de ce dernier, il sembla de bonne heure que toute la famille, en la voyant si séduisante et si délicieuse, la destinât à mieux, et qu’on n’attendît plus que l’occasion et le moment. « C’est un morceau de roi… », disait-on de toutes parts autour d’elle ; et la jeune femme avait fini par croire à cette destinée de maîtresse de roi comme à son étoile. […] Mme de Pompadour avait eu de son mari une fille, Alexandrine, qu’elle éleva avec un soin extrême, et qu’elle destinait à un grand parti. […] Arrivée à ce poste éminent et peu honorable, — beaucoup moins honorable qu’elle ne le croyait, — elle ne s’y considéra d’abord que comme destinée à aider, à appeler à elle et à encourager le mérite en souffrance et les gens de talent en tout genre. […] Ce sont pour la plupart des sujets allégoriques destinés à célébrer quelques événements mémorables du temps ; mais il y en a aussi qui rentrent davantage dans l’idée que réveille l’aimable artiste : L’Amour cultivant un myrte, L’Amour cultivant des lauriers.

245. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre III. L’histoire réelle — Chacun remis à sa place »

Les gestes royaux, les tapages guerriers, les couronnements, mariages, baptêmes et deuils princiers, les supplices et fêtes, les beautés d’un seul écrasant tous, le triomphe d’être né roi, les prouesses de l’épée et de la hache, les grands empires, les gros impôts, les tours que joue le hasard au hasard, l’univers ayant pour loi les aventures de la première tête venue, pourvu qu’elle soit couronnée ; la destinée d’un siècle changée par le coup de lance d’un étourdi à travers le crâne d’un imbécile ; la majestueuse fistule à l’anus de Louis XIV ; les graves paroles de l’empereur Mathias moribond à son médecin essayant une dernière fois de lui tâter le pouls sous sa couverture et se trompant : erras, amice, hoc est membrum nostrum impériale sacrocœsareum’ ; la danse aux castagnettes du cardinal de Richelieu déguisé en berger devant la reine de France dans la petite maison de la rue de Gaillon ; Hildebrand complété par Cisneros ; les petits chiens de Henri III, les divers Potemkins de Catherine II, Orloff ici, Godoy là, etc., une grande tragédie avec une petite intrigue ; telle était l’histoire jusqu’à nos jours, n’allant que du trône à l’autel, prêtant une oreille à Dangeau et l’autre à dom Calmet, béate et non sévère, ne comprenant pas les vrais passages d’un âge à l’autre, incapable de distinguer les crises climatériques de la civilisation, et faisant monter le genre humain par des échelons de dates niaises, docte en puérilités, ignorante du droit, de la justice et de la vérité, et beaucoup plus modelée sur Le Ragois que sur Tacite. […] Elle a, impertubablement, avec un front de fille publique, nié l’affreux casque brise-crâne à pointe intérieure destiné par l’archiduc d’Autriche à Tavoyer Gundoldingen ; aujourd’hui, cet engin est pendu à un clou dans l’hôtel de ville de Lucerne. […] Et en effet l’habileté des gouvernants et l’apathie des obéissants ont arrangé et emmêlé les choses de telle sorte que toutes ces formes du néant princier tiennent de la place dans la destinée humaine, et que la paix et la guerre, la mise en marche des armées et des flottes, le recul ou le progrès de la civilisation, dépendent de la tasse de thé de la reine Anne ou du chasse-mouche du dey d’Alger. […] Si vous en doutez, voyez, entre autres, les publications de la librairie Périsse frères, destinées par leur rédaction, dit une parenthèse, aux écoles primaires.

246. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre III : Examen de la doctrine de Tocqueville »

Si la démocratie est une cause de hasard, destinée à paraître et à disparaître dans le monde, les peuples s’y précipiteront en aveugles pour jouir dès l’heure présente des prétendus biens qu’elle promet. […] Cependant il est vrai de dire que la vraie destinée de l’homme est de valoir par soi-même et non par sa condition. […] L’inquiétude que celui-ci éprouvait sur la destinée humaine, Tocqueville la ressentait pour la destinée des sociétés.

247. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Essais de politique et de littérature. Par M. Prevost-Paradol. »

Hauréau pour ses travaux d’érudit et pour autre chose encore, il ajoutait : « … Son cœur ne cessant pas de battre pour toutes les nobles causes au milieu de ses arides travaux, on pourrait craindre qu’il ne fît une aussi mauvaise fin que M. de Tocqueville, s’il ne paraissait vraiment destiné par la nature à vivre très longtemps… » J’avoue que je conçois peu l’ironie prolongée en telle matière. […] Si l’on pouvait un moment avoir raison de la passion et du système qui s’identifient dans les intelligences élevées avec une idée exagérée de dignité et d’honneur, je ne demanderais qu’une chose aux esprits restés politiques ou destinés à le devenir : ne retombons pas dans la même faute qu’ont faite, sous la Restauration et sous le régime des dix-huit ans, les générations obstinées et excessives ; ne soyons pas, de parti pris, et au nom d’un principe, irréconciliables. […] Saint-Marc Girardin, comme lui-même nous permet aussi de le conjecturer, puisqu’il a dit quelque part qu’il n’enviait rien de plus qu’une semblable destinée, il n’aurait pas même eu ce quart d’heure de puissance, cette participation d’un jour dans le gouvernement de son pays ; car M. 

248. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La comtesse d’Albany par M. Saint-René Taillandier. »

Si Charles-Édouard avait disparu aussitôt après son illustre aventure, si le vaisseau qui le ramena en France s’était abîmé au retour dans une tempête, on aurait eu une étoile de plus dans ce qu’on peut appeler la mythologie de l’histoire, une de ces jeunes destinées lumineuses et rapides comme l’éclair, et sur lesquelles l’imagination des hommes brode longuement ensuite à plaisir. […] Il avait d’abord résisté à sa destinée et à son étoile ; il avait refusé de lui être présenté, et de tout ce qu’il y avait d’étrangers ou d’hôtes de distinction à Florence, il était le seul qui n’allât point chez elle : « Néanmoins, dit-il, il m’était arrivé très souvent de la rencontrer dans les théâtres et à la promenade. […] Certes, cet homme de haut talent et, jusqu’à un certain point, de génie, de noble aspect et « d’une figure avantageuse » (ainsi en parlent ceux qui l’ont vu et qui ne songeaient point à faire, comme aujourd’hui, des caricatures à tout propos) ; cet homme à l’âme ardente, élevée, d’un esprit libre, d’un caractère indépendant et fier, qui n’avait pu se plier à la vie de Turin, et qui n’hésita pas, en renonçant à son pays, à sacrifier les deux tiers de sa fortune pour se mieux dévouer à l’objet de son culte ; le poète qui, dans la Dédicace de Myrrha, s’étonnant d’avoir tant tardé à nommer publiquement celle qui l’inspire, lui disait : « Ma vie ne compte que depuis le jour qu’elle s’est enlacée à ta vie » ; un pareil homme méritait que la comtesse d’Albany, déçue et frappée dans sa destinée, crût elle-même s’honorer par un tel choix, et ne pas perdre, même aux yeux du monde, en échangeant royauté contre royauté.

249. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres choisies de Charles Loyson, publiées par M. Émile Grimaud »

La destinée de Charles Loyson a été assez particulière. […] De ce côté et presque du premier jour, sa plume fut celle d’un excellent esprit et d’un bon écrivain : comme ceux qui sont destinés à mourir jeunes et en qui les saisons intérieures anticipent sur l’âge, il eut la maturité précoce. […] Publiciste et poète, la courte vie de Loyson, si amoindrie encore par la maladie, fut partagée entre ces deux vocations opposées ; il a vivement exprimé cette gênante contrariété de goûts et d’occupations dans son Épitre à M. de Biran ; Quelle étoile sinistre, à me nuire obstinée, En guerre avec mes goûts a mis ma destinée !

250. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Jean-Baptiste Rousseau »

Rousseau se destinait pourtant à la poésie lyrique. […] Le poëte a beau se démener, se commander l’enthousiasme, se provoquer au délire, il en est pour ses frais, et l’on rit de l’entendre, à la mort du prince de Conti, s’écrier dans le pindarisme de ses regrets : Peuples, dont la douleur aux larmes obstinée, De ce prince chéri déplore le trépas, Approchez, et voyez quelle est la destinée Des grandeurs d’ici-bas. […] De simples naissances, de simples morts de princes et de rois ont été d’éclatantes leçons, de merveilleux compléments de fortune, des chutes ou des résurrections d’antiques dynasties, de magnifiques symboles des destinées sociales.

251. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VIII. De l’invasion des peuples du Nord, de l’établissement de la religion chrétienne, et de la renaissance des lettres » pp. 188-214

Quoique Mahomet fût un grand homme, ses prodigieux succès tinrent aux dispositions morales de son temps ; toutefois, sa religion n’étant destinée qu’aux peuples du Midi, elle eut pour unique but de relever l’esprit militaire, en offrant les plaisirs pour récompense des exploits. […] La religion chrétienne dominait les peuples du Nord, en se saisissant de leur disposition à la mélancolie, de leur penchant pour les images sombres, de leur occupation continuelle et profonde du souvenir et de la destinée des morts. […] L’Évangile qui commande des vertus privées, une destinée obscure, une humilité pieuse, offrait aux femmes autant qu’aux hommes les moyens d’obtenir la palme de la religion.

252. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre III. Poésie érudite et artistique (depuis 1550) — Chapitre II. Les tempéraments »

Hugo, la Tristesse d’Olympio ; Musset, le Souvenir : un seul thème, trois tempéraments de poète, trois façons de sentir, par suite de concevoir la destinée de l’homme. […] Sans doute il n’a pas tout inventé : la strophe de 6 vers (aabccd), qui est de beaucoup la plus fréquente dans les odes de Ronsard, était déjà très employée par Marot, qui même savait la diversifier en variant la longueur du vers ; il connaissait notamment la forme gracieuse qui consiste à donner trois syllabes aux second et cinquième vers, et sept aux autres196, la forme aussi destinée à un si bel avenir, qui consiste à faire le troisième et le sixième vers sensiblement plus courts que les autres197. […] Il a très heureusement indiqué l’alexandrin comme mètre lyrique, et non pas seulement narratif : il l’a essayé aussi dans des combinaisons destinées à survivre.

253. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre I. La lutte philosophique »

L’honnête Université, offrant Plutarque et Tite-Live à l’admiration des jeunes gens destinés à vivre dans une monarchie absolue, a cultivé en toute simplicité de cœur les ferments révolutionnaires dont la puissance apparaîtra après 1789. […] Par lui, l’Encyclopédie resta ce qu’il l’avait destinée à être : un tableau de toutes les connaissances humaines, qui mit en lumière la puissance et les progrès de la raison ; une apothéose de la civilisation, et des sciences, arts, industries, qui améliorent la condition intellectuelle et matérielle de l’humanité, ce fut une irrésistible machine dressée contre l’esprit, les croyances, es institutions du passé. […] Proscrit, Condorcet gardait toute sa sérénité, toutes ses espérances ; il traçait rapidement le tableau des progrès de la raison, retardés en vain par les tyrans et les prêtres, et donnait un aperçu des belles destinées que sa victoire promettait à l’homme, indéfiniment perfectible.

254. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Madame, duchesse d’Orléans. (D’après les Mémoires de Cosnac.) » pp. 305-321

C’est un récit écrit d’après une confidence, et destiné à celle même qui a raconté, qui sourit en se revoyant si justement, si légèrement peinte, et qui, avec une douce malice, prend à quelques endroits la plume pour y retoucher. […] La jeune princesse d’Angleterre, élevée en France pendant les malheurs de sa maison, fut destinée à épouser Monsieur, frère du roi, aussitôt que le jeune roi eut épousé l’infante d’Espagne, et vers le temps où Charles II venait d’être restauré sur le trône de ses pères. […] Madame aimait l’esprit, le distinguait en lui-même, l’allait chercher, le réveillait chez les vieux poètes, comme Corneille, le favorisait et l’enhardissait chez les jeunes, comme Racine ; elle avait pleuré à Andromaque, dès la première lecture que le jeune auteur lui en fit : « Pardonnez-moi, madame, disait Racine en tête de sa tragédie, si j’ose me vanter de cet heureux commencement de sa destinée. » Dans toutes les cours qui avaient précédé de peu celle de Madame, à Chantilly, à l’hôtel Rambouillet et à l’entour, il y avait un mélange d’un goût déjà ancien, et qui allait devenir suranné : avec Madame, commence proprement le goût moderne de Louis XIV ; elle contribua à le fixer dans sa pureté.

255. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « EUPHORION ou DE L’INJURE DES TEMPS. » pp. 445-455

La destinée de ce poëte Euphorion a de quoi intéresser. […] De ce qu’une telle destinée ne se peut concevoir dans l’orgueilleuse plénitude de la conscience et de la vie, est-ce une raison pour qu’elle soit tout à fait impossible avec le temps et qu’elle implique absurdité ? 

256. (1875) Premiers lundis. Tome III « Profession de foi »

Aujourd’hui que le Globe est placé plus qu’il ne l’a jamais été depuis la révolution de Juillet sur un terrain solide et nettement dessiné ; aujourd’hui que sa nouvelle position en politique, en économie, en philosophie, en art et en religion, devient de plus en plus appréciable et notoire ; aujourd’hui enfin, pour tout dire, que le Globe est le journal reconnu et avoué de la doctrine saint-simonienne ; nous, qui ne l’avons abandonné dans aucune de ses phases, nous qui avons assisté et contribué à sa naissance il y a sept ans, coopéré à ses divers travaux depuis lors, qui avons provoqué et produit plus particulièrement ses transformations récentes ; nous qui avons suivi toujours, et, dans quelques-unes des dernières circonstances, dirigé sa marche ; qui, sciemment et dans la plénitude de notre loyauté, l’avons poussé et mis là où il est présentement, nous croyons bon, utile, honorable de nous expliquer une première et dernière fois par devant le public, sur les variations successives du journal auquel notre nom est demeuré attaché ; de rendre un compte sincère des idées et des sentiments qui nous ont amené où nous sommes ; et de montrer la raison secrète, la logique véritable de ce qui a pu sembler pur hasard et inconsistance dans les destinées d’une feuille que le pays a toujours trouvée dans des voies d’honneur et de conviction. […] Nous étions loin de regarder les quatre grandes lois, municipale, électorale, de la garde nationale et du jury, comme la conception définitive qui allait désormais régler et clore les destinées de l’humanité ; mais nous pensions qu’en s’appuyant là-dessus conformément à l’opinion du grand nombre, un gouvernement intelligent et fort aurait pu noblement vaquer à la double tâche qui lui était imposée, d’émanciper graduellement les classes pauvres et laborieuses, de favoriser et de garantir l’affranchissement  des nations européennes.

257. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 140-155

Cette seule considération suffiroit pour forcer la raison à convenir qu’elle doit plier sous une autorité, & que le joug qui lui est imposé par la Foi est moins destiné à la gêner & à l’humilier, qu’à captiver son inquiétude & à prévenir ses écarts. […] Est-ce enfin au milieu d’une dégradation sensible & journaliere, qu’ils pourront prétendre au respect & à la gloire destinée à payer les travaux du génie & des talens ?

258. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 5, des études et des progrès des peintres et des poëtes » pp. 44-57

Sa tête n’est que la tête d’un homme : Raphaël l’a traitée dans le goût des têtes que les peintres font pour les christs, et l’on n’y trouve d’autre difference que celle qu’il faut mettre, suivant les loix de l’art, entre deux têtes, dont l’une est destinée à représenter le pere, et l’autre à représenter le fils. […] Un autre indice de génie dans les jeunes gens, c’est de faire des progrès très-lents dans les arts et dans les usages, et les pratiques qui font l’occupation generale du commun des hommes durant l’adolescence, en même temps qu’ils s’avancent à pas de geant dans la profession à laquelle la nature les a destinez entierement.

259. (1912) Pages de critique et de doctrine. Vol I, « I. Notes de rhétorique contemporaine », « II. Notes de critique psychologique »

La destinée voulut que le futur membre de la Commune entrât comme élève dans la pension dont M.  […] Je n’ai pas eu cette calme destinée. […] Cette éternelle attente de sa vraie destinée commence à le supplicier. […] Il y a de vastes causes sociales derrière les plus simples destinées privées. […] Elle le destinait au barreau.

260. (1767) Salon de 1767 « Dessin. Gravure — Beauvarlet »

Pour ses dessins de Mercure et d’ Aglaure , et de la fête de campagne, l’un d’après La Hire, et l’autre d’après Teniers, tous les deux destinés pour le burin, ils sont faciles et bien.

261. (1924) Intérieurs : Baudelaire, Fromentin, Amiel

C’est la femme suivie comme un sentier dans les bois, — un regard échangé, qui ne dure qu’un instant et où tiennent toute la possibilité et toute l’essence d’une destinée. […] Le Journal ne lui fait pas seulement une occupation et une destinée, mais une atmosphère. […] Il n’y a qu’à comparer la destinée « manquée » d’Amiel avec deux destinées qu’il jugea si « réussies » et qu’il envia comme le bon Stapfer enviait celle de Faguet : je veux dire Cherbuliez et Schérer. […] Est-ce sa destinée ou bien est-ce sa nature qui l’a retenue de passer dans la circulation, d’enrichir le monde de l’esprit ? […] Quand lui-même reprochait à la France son manque d’hospitalité intellectuelle, il prévoyait un peu sa destinée.

262. (1895) La science et la religion. Réponse à quelques objections

Elles sont impuissantes, je ne dis pas à résoudre, mais à poser convenablement les seules questions qui importent : ce sont celles qui touchent à l’origine de l’homme, à la loi de sa conduite, et à sa destinée future. […] Qu’est-ce que l’anatomie, la physiologie, l’embryologie même nous ont appris de notre destinée ? Elles nous avaient cependant promis de nous expliquer, ou de nous révéler notre nature ; et, de la connaissance de notre nature, devait suivre celle de notre destinée, puisqu’en effet c’est sa destinée qui détermine la vraie nature d’un être10. […] La détermination de notre vraie nature dépend donc étroitement de la connaissance de notre destinée. Si nous connaissions notre destinée, nous connaîtrions assurément notre nature, mais si nous connaissions entièrement notre nature, au contraire, nous ne connaîtrions pas nécessairement notre destinée.

263. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » p. 206

Quoiqu’on puisse soutenir quelques momens la lecture de plusieurs de ses Ouvrages, ils ne sont pas capables de lui faire une réputation, parce qu’ils sont foibles, & que la destinée des productions foibles est de se perdre dans la foule.

264. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » p. 533

Tant il est vrai que les éloges de l’amitié, ou de la flatterie, ne sauroient défendre la médiocrité de la destinée qui l’attend !

265. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » p. 514

Pibrac fut, dit-on, destiné par la Reine Catherine de Médicis, à être Chancelier de France ; mais une intrigue de Cour l’éloigna de cette dignité.

266. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Indiana (1832) »

Les personnages restent vrais, les scènes sont vraisemblables dans leur complication : sir Ralph seul touche un peu, par moments, à la caricature, mais nous ne le remarquerions pas, n’était le rôle final, le volte-face miraculeux auquel il est destiné. […] Il y a cependant quelque ironie peu fidèle à nous montrer vers la fin Raymon, si frais, si beau, si calme, au centre des pauvres destinées égarées dont il est le fléau, et n’ayant pas gagné une ride, pas perdu un cheveu.

267. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Lélia (1833) »

Or, voici que depuis trois ans environ, depuis que, d’une part, le bon ton rangé et le vernis moral de la Restauration ont disparu, et que, d’autre part, le Saint-Simonisme a fait entendre ses cris d’émancipation et ses appels multipliés, voici que l’esprit d’indépendance a remué les femmes comme le reste, et qu’une multitude d’entre elles prenant la  parole, dans des journaux, dans des livres de contes, dans de longs romans, sont en train de confesser leurs peines, de réclamer une part de destinée plus égale, et de plaider contre la société. […] De quelque manière qu’on veuille interpréter ces symptômes évidents, qu’on y voie, comme les plus illuminés semblent le croire, l’annonce de je ne sais quelle femme miraculeuse destinée à tout pacifier ; qu’on y voie simplement, comme certains esprits plus positifs, la nécessité de réformer trois ou quatre articles du Code civil, nous pensons qu’il doit y avoir sous ce singulier phénomène littéraire une indication sociale assez grave ; nous aimons surtout à y voir un noble effort de la femme pour entrer en partage intellectuel plus égal avec l’homme, pour manier toutes sortes d’idées et s’exprimer au besoin en sérieux langage.

268. (1874) Premiers lundis. Tome I « J. Fiévée : Causes et conséquences des événements du mois de Juillet 1830 »

Malheureusement, il était trop jeune pour la destinée que les événements lui avaient faite. […] Ni rois condamnés par leur âge et leurs préjugés à l’isolement, ni minorité ; le pouvoir est maintenant au sein de la société ; c’est là que doivent toujours se trouver ceux qui sont destinés à lui donner le mouvement.

269. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’Âge héroïque du Symbolisme » pp. 5-17

Il y a ceux qu’inquiète le problème redoutable de la Destinée ; ceux qui, méprisant les succès faciles, les satisfactions grossières et les lauriers monnayés, tentent l’escalade des sommets inaccessibles et cherchent seulement, en s’élevant, à s’abstraire Du vacarme que font les fantômes entre eux. […] L’opinion était si surexcitée qu’Anatole France, qui présidait alors aux destinées critiques du Temps, se voyait forcé de s’interrompre, soudain, des études archéologiques où il se confinait, au grand désespoir de Lucien Descaves, pour mettre ses lecteurs au courant.

270. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 24-41

Il savoit que le Poëme didactique n’est destiné qu’à rappeler à ceux qui en connoissent la matiere, ce que cette matiere a de plus important, & à en donner une idée à ceux qui ne la connoissent pas. […] Quoique tout ce qui peut être vu, puisse être peint, ce n’est pas à dire que tout soit destiné à former un tableau.

271. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Abailard, et saint Bernard. » pp. 79-94

Et quel temps choisit-on pour le décrier ; le temps où il devoit être à l’abri de toute médisance ; où il avoit souffert le dernier outrage pour un amant ; où le chanoine Fulbert avoir épuisé les rafinemens de sa vengeance ; où la tendre Héloïse, ce modèle des amantes, désespérée, & brûlant de plus de feux que jamais, avoir porté dans un cloître, avec tous les agrémens de sa jeunesse & de son esprit orné de mille connoissances, les charmes d’une figure adorable ; où ces amans n’avoient, contre leur fatale destinée, d’autre ressource que l’illusion, l’image de leur ivresse passée, le souvenir de ces transports dont ils étoient pénétrés, lorsque le prétexte de l’étude favorisoit l’intelligence du maître amoureux & de l’écolière passionnée*. […]         Ils pleurent tous sa destinée.

272. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 9, des obstacles qui retardent le progrès des jeunes artisans » pp. 93-109

Les poëtes dont l’apprentissage n’est pas aussi difficile que celui des peintres, se rendent toujours capables de remplir leur destinée. […] L’envie d’augmenter sa fortune excite un poëte qui se trouve dans cette situation, sans que le besoin lui rabaisse l’esprit, ni l’oblige à courir après un vil salaire, comme ont fait les ouvriers mercenaires de tant de poëmes dramatiques, qui ne se soucioient gueres de la destinée de leurs pieces, attentifs uniquement à toucher l’argent qui devoit leur en revenir.

273. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Révolution d’Angleterre »

Alors, Dieu vient se mêler à la destinée individuelle ou sociale, en vertu des lois de sa création, mais c’est comme la conclusion inévitable d’un syllogisme, dont les prémisses ont été posées par l’homme, et qui se referme tout à coup sur sa liberté et la brise. […] Le magnifique passage sur le grand comte de Clarendon peut s’appliquer tout entier à l’homme éminent qui l’a écrit, en pensant peut-être à sa propre destinée.

274. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Marie-Antoinette » pp. 171-184

Nul penseur historique n’a pesé, sur aucun document, ce qu’un tel souvenir a eu d’influence sur la destinée de Marie-Antoinette ; mais l’Histoire s’arrache aussi du fond des âmes ! […] Elle n’aurait pas destiné sa fille à un pays qui, de corruption, ressemblait alors à une Tour de la Peste, si elle ne l’avait dressée de longue main, non pour un sacrifice, mais pour une victoire !

275. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XII. Marie-Antoinette, par MM. Jules et Edmond de Goncourt » pp. 283-295

Nul penseur historique n’a pesé, sur aucun document, ce qu’un tel souvenir a eu d’influence sur la destinée de Marie-Antoinette ; mais l’histoire s’arrache aussi du fond des âmes ! […] Elle n’aurait pas destiné sa fille à un pays qui, de corruption, ressemblait alors à une Tour de la Peste, si elle ne l’avait dressée de longue main, non pour un sacrifice, mais pour une victoire.

276. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Le docteur Revelière » pp. 381-394

Elle n’a peur d’aucun contresens et trouve une formule pour tous les gâchis… Après dix-huit ans de cet impudent concubinage, une république qui se croyait légitime sortit de cet adultère, et elle tomba, comme la première était tombée, sous un second Empire, et comme si la France, démonarchisée par la Révolution, avait pour destinée dans l’avenir de jouer à ce jeu alterné et sans fin des Républiques et des Empires. […] Mais il aura la destinée de toute ruine, qui est la solitude et le silence.

277. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXII. Philosophie politique »

« Personne ne croit, nous dit M. de Beauverger dans sa préface, que la politique spéculative n’ait pas d’influence sur la destinée des empires et qu’il n’y ait pas d’enseignement à retirer de ses travaux. » Personne ne le croit, en effet ; seulement il s’agit de savoir quelle fut cette influence, si elle était nécessaire, si elle a été bonne ou funeste et si tous ses travaux valaient plus ou moins, de la part des esprits qui dominent ces sujets, que les deux lignes de résumé qui pouvaient être l’ouvrage de M. de Beauverger et qui, malheureusement, ne le sont pas. […] et il ajoute, par une opposition qu’il est difficile de comprendre : « La philosophie politique ne vogue pas sans boussole sur cette mer des destinées où Dieu lui apparaît comme pôle et la vraie liberté pour port. » Mais l’utopie aussi a parlé ce langage.

278. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Armand Hayem »

Après Hegel, voici du Renan, ce lâche hégélien que Hegel aurait méprisé : « Nous nous consolons de passer à travers le souvenir de la pensée universelle, comme passent les êtres à travers la vie, dans l’immensité de l’inconnu. » « La dispute philosophique, — dit encore, par la plume d’Armand Hayem, le vaniteux mandarin des mandarins qui veut constituer à son profit l’aristocratie de l’écritoire, — la dispute philosophique est le privilège de quelques esprits, jusqu’aux temps où ils pourront ouvrir à l’humanité des vues et des destinées nouvelles. […] Armand Hayem inclinerait plutôt au Renan, dont les opinions sont flexibles et s’ajoutent aux siennes, comme le doute au doute… Il a la même notion fanatique de la science totale, qui est la lointaine destinée des nations et qui doit les faire immortelles.

279. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Henri Murger. Œuvres complètes. »

Par respect pour la souffrance humaine, au contraire, voyons aujourd’hui si la pauvreté, l’indigence de l’éducation qui fait la virginité du génie, toutes les Cruautés de la destinée, ces nourrices aux mamelles de bronze qui donnent du sang à téter à leur nourrisson et bien souvent ne leur donnent rien à téter du tout, sont parvenues à élever M.  […] Henri Mürger, dont la destinée ne fut point heureuse, après tout, quand on jauge sa vie, M. 

280. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — L’arbitrage et l’élite »

Depuis la plus lointaine antiquité, la cité possédait un droit destiné à régler par la justice, substituée à la violence, les différends entre concitoyens A l’aube des temps modernes, lorsque l’esprit humain vint à prendre conscience de l’inter-dépendance des peuples, l’idée qu’il pouvait peut-être y avoir une justice, présidant aux rapports inter-nationaux, et par conséquent un droit dont ressortiraient les conflits entre « grands êtres » sociaux, germa dans les cerveaux d’élite. Puisque l’idée de la justice dominait la vie sociale, ne serait-elle pas destinée à régir également la vie inter-sociale ?

281. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — P.-S. »

Il est indispensable pour se faire une idée tout à fait juste du caractère et de la destinée de Léopold Robert, de lire un petit écrit intitulé : Léopold Robert de 1831 à 1835, par Ch. 

282. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (3e partie) » pp. 193-271

Le cinquième, le sixième et le septième livres sont destinés à expliquer de quelle manière l’animal naît ; le temps où il commence à se reproduire, celui où il cesse de le pouvoir faire et la durée totale de sa vie. […] Le premier livre de l’Histoire des animaux commence par une belle et savante anatomie de l’homme, destiné à servir de type à la construction des animaux inférieurs à l’homme. […] L’homme qui, par la loi morale, a dans ce monde une destinée privilégiée, a donc à rendre un compte de l’emploi qu’il aura fait de cette destinée. […] C’est un compagnon nécessaire, quoique dangereux ; et durant cette vie, nous ne pouvons pas nous en séparer un seul instant, puisque, sans lui, notre destinée morale n’est pas même possible. […] L’âme est, pour Platon, l’élément supérieur et distinct, qui a sa nature et ses destinées propres ; et, lorsque Criton désolé demande à Socrate qui va boire le poison : “Socrate, comment t’ensevelirons-nous ?

283. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Chateaubriand. Anniversaire du Génie du christianisme. » pp. 74-90

Quand je dis qu’il y avait tout mis et tout versé de lui-même, je me trompe : il y avait des points sur lesquels il s’était montré moins explicite et moins décidé qu’il ne l’était au fond réellement Aussi, quelques mois après avoir publié cet écrit et quand il comptait en donner une seconde édition, il avait noté de sa main en marge sur un exemplaire diverses modifications à y introduire, et, oubliant bientôt que l’exemplaire était destiné à des imprimeurs, il s’était mis à y ajouter pour lui-même en guise de commentaires ses plus secrètes pensées. […] Quoi qu’il en soit, la sincérité de l’émotion dans laquelle Chateaubriand conçut la première idée du Génie du christianisme est démontrée par la lettre suivante écrite à Fontanes, lettre que j’ai trouvée autrefois dans les papiers de celui-ci ; dont Mme la comtesse Christine de Fontanes, fille du poète, possède l’original ; et qui, n’étant destinée qu’à la seule amitié, en dit plus que toutes les phrases écrites ensuite en présence et en vue du public. […] non, je ne doute point de ton existence ; et soit que tu m’aies destiné une carrière immortelle, soit que je doive seulement passer et mourir, j’adore tes décrets en silence, et ton insecte confesse ta divinité » ; c’est à côté de ces mots que Chateaubriand écrit en marge : Quelquefois je suis tenté de croire à l’immortalité de l’âme, mais ensuite la raison m’empêche de l’admettre.

284. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Maucroix, l’ami de La Fontaine. Ses Œuvres diverses publiées par M. Louis Paris. » pp. 217-234

Il se destinait d’abord au barreau, mais il le suivait moins pour les affaires que pour les hors-d’œuvre et les gais propos ; il était du cercle de ceux qui se rangeaient autour de Patru près du pilier où présidait habituellement cet oracle familier du beau langage : Patru n’était cicéronien qu’en plaidant. […] Elle fut fiancée au marquis de Lenoncourt, et Maucroix, au même moment où il étouffait secrètement sa douleur, était chargé par l’amant et fiancé, qu’éloignait un devoir militaire, de faire des vers élégiaques destinés à la jeune épouse. […] Cependant vers leur fin s’envolent ses années, Mais il attend sans peur des fières Destinées             Le funeste décret ; Et quand l’heure est venue et que la mort l’appelle, Sans vouloir reculer et sans se plaindre d’elle, Dans la nuit éternelle il entre sans regret.

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