Ces rapports de Rythme à geste (ou attitude) et d’attitude à harmonie, servent de transition entre la musique et la plastique : l’orchestique est leur trait d’union. […] Cependant, qu’ils se rattachent à l’alexandrin ou s’en séparent, les vers de M. de Régnier sont d’ordinaire bien appuyés sur les syllabes toniques, leurs inflexions ont de la justesse, et un choix de mots d’une propriété parfaite dont la force n’a d’égale que la noblesse donne à ses poèmes une rectitude de forme, une certitude de trait qui apportent en chaque strophe l’impression de la chose définitive. […] Les deux caractères précédents ne sont que les résultats de celui-ci, que l’on comprendra mieux si l’on se rappelle qu’un accord n’est pas toujours « plaqué », mais peut être écrit par harpèges ou par batteries et se résoudre en un trait.
Cependant, avant d’en venir à l’année 1659, où Les Précieuses ridicules de Molière furent mises sur la scène à Paris, recueillons dans le roman de La Précieuse, ou du Mystère des ruelles, et dans les Dictionnaires de Somaise, les traits généraux qui peuvent s’appliquer aux grandes précieuses et aux précieuses ridicules. […] Il pouvait se croire très autorisé à défendue, comme licite et comme convenable, ce qui, dans ses pièces, était conforme à l’usage et aux mœurs de la société du temps, et encore trouver licite de jeter le ridicule indistinctement sur tout ce qui avait concouru à amener la révolution qui le menaçait, et de lancer ses traits au hasard sur le parti, sans s’embarrasser sur qui ils tomberaient. […] Et n’y aurait-il pas eu autant d’inhumanité que d’insolence, et surtout de sottise, à diriger en plein théâtre des traits de satire contre une octogénaire qui, ne disposant plus de la puissance de la vogue et de la mode, n’avait point à répondre de leurs écarts ?
» — Penchons-nous encore, comme font les bergers d’Arcadie, dans le tableau du Poussin, pour lire la fine inscription gravée par Philodème sur l’urne légère d’une danseuse : — « Ici gît le corps délicat de Tryphée, petite colombe, la fleur des lascives hétaïres, dont les ébats et les causeries étaient pleins d’enjouement ; qui, plus qu’aucune autre, aima les orgies que célèbrent les femmes ; qui, trois fois de suite, vidait, d’un trait, la coupe de vin pur. […] Chaque trait frappe, chaque mot porte coup. […] C’est un don du jeune poète de la Dame aux Camélias de savoir, tout d’abord, dessiner d’un trait et à la sanguine, pour ainsi dire, les dames galantes du dix-neuvième siècle.
S’il n’y a pas du trait, du neuf, du piquant, de l’originalité, ces gens d’esprit sont des sots à mon avis. Ceux qui ont ce trait, ce neuf, ce piquant, peuvent encore ne pas être parfaitement aimables ; mais, si l’on unit à cela de l’imagination, de jolis détails, peut-être même des disparates heureux, des choses imprévues qui partent comme un éclair, de la finesse, de l’élégance, de la justesse, un joli genre d’instruction, de la raison qui ne soit pas fatigante, jamais rien de vulgaire, un maintien simple ou distingué, un choix heureux d’expressions, de la gaieté, de l’à-propos, de la grâce, de la négligence, une manière à soi en écrivant ou en parlant, dites alors qu’on a réellement, décidément de l’esprit, et que l’on est aimable.
Le vrai Joinville s’y montrait certainement déjà et s’y dessinait dans sa physionomie principale, mais il y était encore déguisé en bien des traits. […] Dans le désordre apparent de sa narration, Joinville commence par un trait principal et caractéristique : c’est qu’en plusieurs occasions signalées, saint Louis mit son corps et sa personne en péril de mort pour épargner dommage à son peuple.
il n’y avait pas, à leur gré (et c’est, je le sais, l’opinion du grand nombre), assez de traits chez Bourdaloue. […] Quand on demande à Bourdaloue ces traits, ces lumières du discours qui lui manquent, et qu’on lui oppose sans cesse Bossuet, je crains qu’on ne fasse une confusion, et que Bossuet ne soit là que pour cacher Chateaubriand, et pour signifier, sous un nom magnifique et plus sûr, ce genre de goût que l’auteur du Génie du christianisme nous a inculqué, je veux dire le culte de l’image et de la métaphore.
En traçant si curieusement ce qu’il nomme un détail de mœurs, si Bourdaloue n’avait pas en vue Pascal dans Les Provinciales, et s’il ne le traduit pas trait pour trait à sa manière devant ses auditeurs, dont plusieurs durent être à la fois choqués et transportés, et ne purent s’empêcher d’admirer tout en protestant, il n’y a pas un seul portrait chez Saint-Simon ni chez La Bruyère.
Beyle tient fort à ce dernier trait qui est, à lui, sa prétention : Lesdiguières, ce fin renard, dit-il, comme l’appelait le duc de Savoie, habitait ordinairement Vizille, et y bâtit un château… Au-dessus de la porte principale, on voit sa statue équestre en bronze ; c’est un bas-relief. […] En continuant littérairement avec originalité et avec une sorte d’invention la postérité française des Chamfort, des Rulhière, de ces hommes d’esprit qu’il rappelle par plus d’un trait ou d’une malice, Beyle avait au fond une droiture et une sûreté dans les rapports intimes qu’il ne faut jamais oublier de reconnaître quand on lui a dit d’ailleurs ses vérités.
On se rappelle une page de Fontenelle récemment citée98, où, faisant l’éloge de M. d’Argenson, l’habile académicien a si parfaitement défini la multitude et la variété des soins que devait prendre à cette époque un bon lieutenant de police dans une ville telle que Paris : Cuvier, en esquissant aussi à grands traits en quoi consiste l’administration d’une armée en campagne, la multitude des soins, leur précision impérieuse, les difficultés qui se rencontrent dans les choses et dans les hommes, et en nommant à la fin M. […] L’un d’eux, homme de lettres peu connu aujourd’hui et même de son temps, mais d’un certain mérite et d’assez de goût, qui avait fourni à Picard plus d’un trait pour sa Petite Ville, M. de Larnac, du Languedoc, vieil ami de M.
Ajoutons vite (car ceci n’est point une biographie que nous prétendons esquisser, et nous ne voulons que faire connaître l’homme et le poète par ses traits principaux) que dès que Cowper s’aperçut que la présence de lady Austen pouvait à la longue chagriner Mme Unwin, et que l’aimable fée apportait dans le commerce habituel un principe trop vif de sensibilité ou de susceptibilité, propre à troubler leurs âmes unies, il n’hésita point une minute ; et sans effort solennel, sans coquetterie, par une simple lettre irrévocable, il sacrifia l’agréable et le charmant au nécessaire, et l’imagination tendre à l’immuable amitié. […] Comparé à Thomson, il a plus que celui-ci l’art de noter les traits particuliers et le détail curieux des choses ; il a l’exactitude presque minutieuse.
Là est le trait de nature et le coin de physionomie. […] Il s’appliquait ainsi en toute rencontre à trouver des mesures administratives neuves et justes, et toujours en vue du bien : c’est un trait de son caractère.
Ce jeune homme, et très jeune homme au temps où il servait avec Vauvenargues, avait le trait caractéristique de sa famille : « Je lui trouve dans l’humeur quelque chose des Riquetti, qui n’est point conciliant. » Vauvenargues, qui jugeait ainsi le petit chevalier, essayait de lui insinuer un peu de douceur, de politesse de ton et de mœurs, de l’assouplir. « Quant au genre de persuasion que vous soufflez au chevalier, lui disait Mirabeau, vous ne réussirez pas, s’il est du même sang que nous ; votre système est d’arriver aux bonnes fins par la souplesse ; le mien est d’arriver au bien, droit devant moi, ou par la violence ; de fondre sur le mal décidé, de l’épouvanter, et enfin de m’éloigner de ce qui n’a la force d’être ni l’un ni l’autre. » Ce système à outrance et que Vauvenargues a décrit dans un de ses caractères intitulé Masis (évidemment d’après Mirabeau), est le contraire de sa science à lui, de sa tactique dans le maniement des esprits, qui va à les gagner par où ils y prêtent, et à en tirer le parti le meilleur : Où Masis a vu de mauvaises qualités, jamais il ne veut en reconnaître d’estimables ; ce mélange de faiblesse et de force, de grandeur et de petitesse, si naturel aux hommes, ne l’arrête pas ; il ne sait rien concilier, et l’humanité, cette belle vertu, qui pardonne tout parce qu’elle voit tout en grand, n’est pas la sienne… Je veux une humeur plus commode et plus traitable, un homme humain, qui ne prétendant point à être meilleur que les autres hommes, s’étonne et s’afflige de les trouver plus fous encore ou plus faibles que lui ; qui connaît leur malice, mais qui la souffre ; qui sait encore aimer un ami ingrat ou une maîtresse infidèle ; à qui, enfin, il en coûte moins de supporter les vices que de craindre ou de haïr ses semblables, et de troubler le repos du monde par d’injustes et inutiles sévérités. […] Ce ne sont point des traits, des saillies qui frappent : il n’a ni la découpure ni le relief d’un Montesquieu.
Berger, s’arraisonna, prit son courage à deux mains, s’arracha le trait du cœur et pansa sa plaie en silence. […] On l’a défini, ou plutôt il s’est défini lui-même (car je ne fais que rassembler les traits qu’il me fournit), plus patriote que libéral, plus démocrate que républicain, plus bonapartiste qu’impérialiste, plus évangélique que chrétien. — Ne le surfaisons pas, ne le travestissons pas, et ne jetons point non plus la pierre, pour dernier adieu, à l’un des gentils esprits de la France.
Boileau (et je ne parle pas ici du poète louant en public, mais de l’homme de sens s’épanchant dans la familiarité), Boileau était d’un tout autre avis ; il entrait, nous assure-t-on, dans une espèce d’enthousiasme lorsqu’il parlait de Louis XIV, et l’on a recueilli de ses lèvres ces propres paroles, qui renferment un si bel éloge sous forme littéraire : « C’est, disait-il, un prince qui ne parle jamais sans avoir pensé ; il construit admirablement tout ce qu’il dit ; ses moindres reparties sentent le souverain ; et quand il est dans son domestique, il semble recevoir la loi plutôt que la donner. » Ce dernier trait se rapporte à la facilité de vivre du roi dans son intérieur et à son égalité d’humeur avec tout ce qui l’entourait. […] Mais, comme phénomène non moins mémorable, il remarque que « dans les diverses classes et jusque dans les rangs les plus élevés de l’ordre social, des hommes se sont produits qui en ont rassemblé en eux tous les traits caractéristiques, au point d’identifier leur nom avec l’idée même de ces rangs et de ces classes, et d’en paraître comme la personnification vivante. » Et il cite pour exemple Louis XIV, que la Nature créa, dit-il, l’homme souverain par excellence, le type des monarques, le roi le plus vraiment roi qui ait jamais porté la couronne.
A la manière dont il en parle d’abord et dont il les envisage, il est évident qu’il a vu en eux, qu’il a rencontré ou transporté en leur image et sous leurs traits comme un idéal de ses qualités et de ses défauts : tant il est vrai que l’idéal est aussi un produit de nature, et que ceux même qui s’en passent le mieux dans la pratique journalière le mettent quelque part en dehors et au-dessus d’eux ! […] Au xviiie siècle, l’excellent peintre de genre, Chardin, semble avoir voulu renouer à eux pour les scènes d’intérieur et la représentation des objets naturels : « C’est là, c’est chez lui, disait Diderot, l’un de ses grands admirateurs, qu’on voit qu’il n’y a guère d’objets ingrats dans la nature, et que le point est de les rendre. » Chardin, qui était, en outre, un homme de beaucoup d’esprit, répandait sur ses reproductions naturelles une qualité que les Le Nain avaient trop négligée ou ignorée, l’agrément : ceux-ci lui restaient supérieurs peut-être par un trait moral plus prononcé, par une bonhomie plus antique.
Je ne vois pas qu’il y ait eu grand mal à cela : son naturel, ce qui sera chez lui le trait dominant, ne fut altéré en rien. […] Ces grenadiers marchant au pas de charge dans la bataille de Montmirail, et s’avançant d’un pas si ferme et si assuré vers le danger, ont, sans aucune altération de traits ni de costume, une élévation et un naturel surprenant.
Un autre point sur lequel je dois revenir, un trait qui est essentiel chez Mme Roland, c’est celui qu’a accusé Fontanes et qu’elle-même a marqué dans ses Mémoires, le sentiment de la place inférieure qu’elle avait longtemps occupée dans la société et dont elle avait souffert. […] Danton parle comme un traître de tragédie (passe encore si c’était Rarère) ; il harangue en ces termes ses complices Robespierre, Rarère, Hérault-Séchelles, etc. : c’est à Rarère effrayé et qui vient de tracer de la situation un tableau très sombre, qu’il répond : Avant de m’expliquer sur ces grands intérêts, Je dois de ce récit adoucir quelques traits.
Un seul trait, dans ce rude crayon, me paraît tout à fait juste et caractéristique : la reine ne manque pas d’esprit, mais elle manque de suite dans l’esprit. Le rédacteur des Mémoires du Maréchal de Richelieu, qui travaillait sur de bons documents, a parlé d’elle en termes plus choisis et plus convenables, qui s’accordent mieux avec les traits de nos peintres précédents, les Tocqué et les La Tour.
La figure du maréchal de Catinat, même en la dégageant de l’espèce de légende philosophique dont on l’avait un peu obscurcie, en ne se gardant pas moins de l’admiration routinière qui arrondit les traits et ôte à la physionomie son accent, est et restera une des plus belles, des plus pures et des plus originales du xviie siècle. […] S’ils faisaient défaut, quelque historien à imagination ardente et prompt à la réaction pourrait venir un jour, qui traiterait ces premiers débuts à la légère et les sacrifierait d’un trait de plume, ennuyé d’entendre appeler Aristide le Juste.
Et puis, quand on a lu, qu’on a été saisi, choqué, attiré, secoué et repris de mainte manière et par bien des fibres, il vient un moment où la rébellion cesse, où l’on rend les armes et où, tout rempli des qualités évidentes d’un auteur honnête, hardi, piquant, pittoresque, cordial et généreux, on se plaît à ajouter ce trait qui vient le dernier et qui manquerait à tout éloge de femme, s’il ne le couronnait pas : « Elle doit être vraiment aimable ! […] Ce ne paraît pas difficile, mais on tape les yeux bandés et souvent on frappe en l’air. » Remarquez-vous comme le trait est court, léger, la plaisanterie discrète, et quelle manière différente de celle qu’affecte l’intrépide Vaudoise et qui nous aurait frappés bien plus encore si nous l’avions suivie plus loin dans ses courses de touriste, par-delà le Saint-Gothard, à travers le Tessin et jusqu’aux lacs d’Italie ?
L’intervention de Pisistrate présuppose, au contraire, un certain agrégat ancien et connu à l’avance, dont les principaux traits étaient familiers au public grec, bien que, dans la pratique, bon nombre de rhapsodes pussent s’en écarter souvent. […] Viguier (Biographie universelle). — Puisque j’en suis aux indications biographiques et à ces traits de physionomie qu’on dissimule avec soin dans les éloges académiques et officiels, je rappellerai encore que Villoison était gros et gras, qu’il était fort gourmand.
Ce sont de ces traits qu’on ne rencontre nulle autre part que chez lui : est-ce que vous ne lui en sauriez pas gré ? […] Le profond moraliste se retrouve dans un dernier trait : « Le nom qu’un infatigable bonheur lui a acquis pour des temps à venir m’a souvent, dit-il, dégoûté de l’histoire, et j’ai trouvé une infinité de gens dans cette réflexion. » Combien de guerriers, de héros d’un jour, se survivant à l’état de paix et n’ayant gardé à la fin que l’ostentation et le fracas de leurs vices, ont produit ce même effet sur des esprits honnêtes et sages, qui ont pu se dire comme Saint-Simon : « C’est à dégoûter de l’histoire !
Tout ce qu’il y a d’esprits piquants dans le xviiie siècle semble tenir et relever de lui ; tous ces hommes de lettres et à la fois gens du monde, qui régissent la société, qui dans le tous-les-jours ont le mot vif, mordant, ironique, le propos plaisant et amer, les Duclos, les Chamfort, les Rulhière, les Meilhan, les Rivarol, semblent avoir trempé la pointe de leurs traits dans l’écritoire de La Bruyère. […] C’est aller contre le but que de fausser cette physionomie à force de traits contradictoires et entre-croisés.