Des villes d’Italie où j’osai, jeune et svelte, Parmi ces hommes bruns montrer l’œil bleu d’un Celte, J'arrivais, plein des feux de leur volcan sacré, Mûri par leur soleil, de leurs arts enivré ; Mais, dès que je sentis, ô ma terre natale, L'odeur qui des genêts et des landes s’exhale, Lorsque je vis le flux, le reflux de la mer, Et les tristes sapins se balancer dans l’air, Adieu les orangers, les marbres de Carrare, Mon instinct l’emporta, je redevins barbare, Et j’oubliai les noms des antiques héros, Pour chanter les combats des loups et des taureaux ! […] Voici de ce volume une des jolies pièces, une de celles qui se peuvent citer (car toutes à beaucoup près ne sont pas dans ce cas) ; le poëte qui l’a intitulée Fatuité ne fait qu’y exprimer bien sincèrement sa manière d’être le plus habituelle, sa façon de vivre, de porter la tête et de respirer ; on y sent déborder à chaque mot l’orgueil de la vie.
Michelet, selon moi, n’apprécie qu’à demi l’aimable précepteur et ne sent pas très bien tout Fénelon : il est plus choqué du théologien (et je le suis aussi) qu’il n’est attiré par l’homme de goût attique. […] Le duc d’Orléans, le Régent, cette riche et vigoureuse contre-partie du duc de Bourgogne, cette revanche effrénée du pur génie et de la nature, est bien vu, indulgemment senti, largement crayonné.
Ses vertus égaloient ses talens, & il se vit en possession de l’estime & de la confiance publique, dans un âge où les autres commencent à peine à en sentir le prix. […] Il est aisé de sentir qu’à l’exemple des Grands Hommes qui se sont distingués, chacun dans leur genre, ce fut par une étude constante & réfléchie des Anciens.
Le premier Ouvrage fait admirer un esprit lumineux, qui se joue de l’embarras des systêmes, procede avec dextérité à travers les contradictions, développe sans gêne les principes qu’il a établis, & fait adopter ses idées, non en faisant sentir la touche intime de la persuasion, encore moins la force de la conviction, mais par le talent de plaire & d’amuser. […] L’Abbé Trublet a fait une espece de Fontenelliana, où l’Admirateur enthousiaste se fait sentir à chaque ligne.
On sent qu’en traitant des premiers il nous a été impossible de ne pas toucher un peu aux secondes, mais ici nous nous proposons d’en parler plus amplement. […] Amis, frères, époux, se quittaient aux portes de la mort, et sentaient que leur séparation était éternelle ; le comble de la félicité pour les Grecs et pour les Romains se réduisait à mêler leurs cendres ensemble : mais combien elle devait être douloureuse, une urne qui ne renfermait que des souvenirs !
Il est vrai que ce sont de ces choses qu’on sent mieux, qu’on ne les exprime. […] L’Art de sentir & de juger en matiere de goût, par M.
Il est si difficile de produire une chose même médiocre ; il est si facile de sentir la médiocrité. […] Comme tout cela sent la manière antique.
S’il est hospitalier, c’est par amour-propre, et tout à l’heure les conviés vont sentir sa griffe. « Les vices sont frères », a dit La Fontaine. […] Pour sentir la tristesse de cette résignation, mettez en regard l’indépendance du franc-tenancier anglais, ou du libre paysan de Hollande. […] Un petit rentier de la Calabre, en habit râpé, va danser, et sent les beaux-arts. […] Il n’arrange pas de touchantes et jolies pastorales à la façon de George Sand ; il n’a point pour but de réhabiliter les paysans, de faire sentir la poésie de la vie rustique. […] Leurs amours se sentent de leurs habitudes.
Aussi il suffisait de le voir pour sentir la fausseté des bruits répandus sur sa vie. […] Malgré la différence d’années, ce grand homme se sentit incliné de cœur vers moi ; je me sentis élevé à lui par un respect mêlé de tendresse. […] C’est là encore que je me sentis attiré par M. […] Il ne se sentait de niveau qu’avec les sommets. […] … Comme on sent le cœur différent des deux peuples dans leurs deux voix !
Il y avait pourtant chez Villon, jusque dans sa débauche, une veine plus vigoureuse et plus passionnée, qui ne se fait pas sentir chez Marot. […] C’est là chez Malherbe une contradiction, qu’André Chénier n’a pas fait sentir. […] Mais il est vrai de dire qu’à mérite littéraire égal, il n’est pas indifférent pour une œuvre moderne de vivre ou de ne pas vivre de la vie moderne en naissant : cela se sent encore, même après que l’heure est passée. […] Un écrivain normand qui, bien que d’une très moderne école, sait rendre à Malherbe ce qu’on lui doit, a très bien dit de lui : « Malherbe fut d’un génie qui sentait vraiment cette noblesse dont il tirait vanité si grande. […] Racan a recueilli plusieurs de ces dicta mémorables de son maître, qui sentent leur Varron, leur vieux Caton, qui pèsent et sonnent leur bon sens sterling.
On sent partout qu’Homère invente comme la nature, c’est-à-dire en sentant ce qu’il pense et en pensant ce qu’il sent. […] On sent l’ennui, ce poison presque inévitable des longues épopées. Mais les Grecs contemporains ou survivants d’Homère ne devaient pas le sentir, parce que tous ces héros étaient leurs ancêtres, tous ces dieux leurs dieux. […] Cependant tu fus homme : on le sent à tes pleurs ; Un dieu n’eût pas si bien fait gémir nos douleurs ! […] … » Priam veut répliquer ; Achille sent bouillonner en lui sa colère au souvenir de Patrocle, et, se craignant lui-même, il sort de la tente.
On se représente l’état de conscience actuel comme nécessité par les états antérieurs, et pourtant on sent bien qu’il n’y a point là une nécessité géométrique, comme celle qui lie une résultante, par exemple, aux mouvements composants. […] Mon immobilité n’est donc pas une immobilité quelconque ; dans la position où je me tiens est comme préformé l’acte à accomplir ; aussi n’ai-je qu’à conserver cette position, à l’étudier ou plutôt à la sentir intimement, pour y retrouver l’idée un instant évanouie. […] Le moi, infaillible dans ses constatations immédiates, se sent libre et le déclare ; mais dès qu’il cherche à s’expliquer sa liberté, il ne s’aperçoit plus que par une espèce de réfraction à travers l’espace. […] Mais lorsqu’il s’agit d’un sentiment, il n’a pas de résultat précis, sinon d’avoir été senti ; et pour apprécier adéquatement ce résultat, il faudrait avoir passé par toutes les phases du sentiment lui-même, et occupé la même durée. […] Nous sentons bien, il est vrai, que si les choses ne durent pas comme nous, il doit néanmoins y avoir en elles quelque incompréhensible raison qui fasse que les phénomènes paraissent se succéder, et non pas se déployer tous à la fois.
Théocrite, dans le très grand nombre de ses vers, fait sentir le mouvement de légèreté et d’allégresse que rend, par exemple, ce vers de Virgile : Huc ades, o Melibœe ! […] De même qu’on est disposé à mieux sentir Théocrite au sortir de ces pages, on mesure avec plus de certitude le degré précis dans lequel Virgile s’est approché du maître : car c’était bien un maître que Théocrite pour Virgile dans la poésie pastorale ; et M. […] Le tableau de l’élégiaque romain est touchant dans sa réalité, mais on sent aussitôt la différence : il y manque, pour égaler le rêve sicilien, je ne sais quoi d’un loisir tout facile, je ne sais quel horizon plus céleste.
Je crus sentir une intention dans cette voix si fine de jeune fille : je crus (Dieu me pardonne !) […] XXV De même qu’un arbre pousse inévitablement du côté d’où lui vient la lumière et développe ses branches dans ce sens, de même l’homme, qui a l’illusion de se croire libre, pousse et se porte du côté où il sent que sa faculté secrète peut trouver jour à se développer. Celui qui se sent le don de la parole se persuade que le gouvernement de tribune est le meilleur, et il y tend ; et ainsi de chacun.
« Le caillou, la plante, ne sentent pas dans quel but ils existent ; ils n’ont ni bonheur ni malheur quand on favorise ou que l’on arrête leur développement ; brisez ou polissez le caillou, coupez ou arrosez la plante, ils ne souffrent ni ne jouissent, du moins nous le croyons. […] Puis, par les progrès de la civilisation, ses idées se dégagent ; il ne sent plus le besoin de figures, de symboles, il devient mûr pour connaître la vérité sans voile ; sa raison peut se passer de formes ; c’est le règne de la philosophie. […] Nous pensons que le professeur n’a pas senti toute la portée de cette réticence qui prouve qu’il ne se croit pas appelé à trouver cette solution, et qu’il pressent l’impuissance de la philosophie pour la lui révéler.
Nous remontons sans doute au moyen âge aussi ; mais c’est là, surtout au théâtre, une fièvre chaude, un peu factice, et qu’il est difficile de faire partager au grand nombre : au lieu qu’avec le xviiie siècle, nous ne nous sentons pas tellement éloignés que cela ne rentre aisément dans nos goûts au fond et dans nos mœurs, sauf un certain ton, un certain vernis convenu qu’on jette sur les personnages, un peu de poudre et de mouches qui dépayse et rend le tout plus piquant. […] Dumas l’a senti ; sa pièce courait risque de n’être pas cela. […] A entendre nos espérances d’alors, il semblait que, pour l’entier triomphe d’un genre plus vrai et des jeunes talents qui s’y sentaient appelés, il ne manquât qu’un peu de liberté à la scène et de laisser-faire.
La rapide succession des événements, les émotions qu’elle faisait naître, causaient une sorte d’ivresse produite par le mouvement, qui hâtait le temps, et ne laissait plus sentir le vide, ni l’inquiétude de l’existence. […] Quelque chose d’enthousiaste comme elle, des pensées qui, comme elle aussi, dominent l’imagination, servent de recours aux esprits qui n’ont pas eu la force de soutenir ce qu’ils avaient de passionné dans le caractère : cette dévotion se sent toujours de son origine ; on voit, comme dit Fontenelle, que l’amour a passé par là ; c’est encore aimer sous des formes différentes, et toutes les inventions de la faiblesse pour moins souffrir, ne peuvent ni mériter le blâme, ni servir de règle générale ; mais la dévotion exaltée qui fait partie du caractère au lieu d’en être seulement la ressource, cette dévotion, considérée comme le but auquel tous doivent tendre, et comme la base de la vie, a un tout autre effet sur les hommes. […] Des caractères privés de qualités naturelles, à l’abri de ce qu’on appelle la dévotion, se sentent plus à l’aise pour exercer des défauts qui ne blessent aucune des lois dont ils ont adopté le code.
Plus tard, — bientôt sans doute — cet enthousiasme sacré ne sera plus aussi spontané en son beau tumulte, mais le Poète le rappellera par volonté et, s’il a appris à fixer les images de la vie aussi bien qu’il les sentit palpiter, s’il est artiste autant qu’il fut poète, alors sera créée l’œuvre qui dira toute sa pensée. […] Vielé-Griffin manquent d’une direction certaine, on les sent agités de sourds bouillonnements qui hésitent et retombent ; le poète y est inférieur à lui-même par la beauté réalisée, mais il y révèle de plus larges désirs qui longtemps cherchent leur forme définitive et s’illuminent, plus tard, dans la Vie et le Rythme. […] M. de Régnier, de plus en plus penché vers une grave mélancolie, entendait la voix de la Tristesse lui parler ; parmi les amertumes et les brutalités que lui annonçait la vie, il dut sentir trop frêle son âme nouveau-née et c’est peut-être pour la protéger qu’il voulut l’envelopper dans les plis rigides de son Art.
Ils ont si fort senti combien il étoit difficile d’égaler cette touche mâle & vigoureuse ; cette versification aussi nombreuse que correcte ; cette tournure de pensées tantôt lumineuse & piquante, tantôt forte, pittoresque & majestueuse, qui caractérise ce Poëte, que leur amour-propre a pris le parti le plus facile, celui de le décrier. […] Il ne faut que le lire, pour sentir l’énorme distance qui existera toujours entre lui & ceux qui prétendroient flétrir ou lui ravir ses lauriers. […] Tantôt agréable & piquant, un bon mot lui suffit pour faire sentir l’absurdité d’un Ouvrage : tantôt plein de force & d’énergie, un seul trait parti de sa plume devient le fléau du vice & l’hommage de la vertu.
Il aimait le mot net, l’emporte-pièce de la propriété du terme, et de plus il sentait le génie grec, ce vigneron au bonnet de laine grise, et le génie gaulois, et il aurait voulu les faire tenir tous deux sous ce bonnet. […] Or, il est bien certain que cette chose est commune à Hérodote, ancien et véritable historien, aussi bien qu’à ces poètes, afin que je passe sous silence ce qu’il a de particulier en ce qui sent à plein son vrai chrétien. » L’expression va peut-être un peu loin, mais au fond Saliat a raison. […] Ce grand caractère religieux qu’a senti Saliat jusqu’à l’outrance, et qui plaisait dans Hérodote à Joseph de Maistre, ce caractère que n’aurait pas pu traduire Courier s’il avait continué sa traduction d’Hérodote, vibre au contraire dans toute sa portée en la traduction de Pierre Saliat, et ce n’est pas là une des moins fortes originalités de cette traduction, qui semblait perdue pour nous et que M.
L’Orléanisme ne se sentait pas en mesure de répondre à l’accablant récit que Crétineau fait de ses fautes et de ses indignités. […] Ainsi, un Macbeth manqué et dépareillé, un Macbeth bourgeois, qui n’a jamais senti, comme l’autre, entre ses deux épaules, l’inflexible bras tendu de la vigoureuse femme qui le pousse à l’action, voilà le Louis-Philippe que Crétineau-Joly a entrevu, mais qui, s’il l’avait regardé plus longtemps, lui aurait expliqué ce piètre règne qu’on a appelé le règne du juste milieu pour en dissimuler, sous ce nom-là, les pusillanimités et les tristesses ! […] Il y a même sous cette plume de paysan, qui vous donne, d’ordinaire, dans cette histoire, la sensation d’une hache de bûcheron pour le coupant et la force du coup, des mots spirituels et jolis qui sentent leur Beaumarchais fruste, mais enfin leur Beaumarchais !
Pécontal, doué d’une inspiration qui n’a pas voulu ou qui n’a pas pu descendre, doit sentir amèrement que le fond des âmes et l’écho des cœurs vont lui manquer ! […] Aisance, simplicité, naturel, battements de cœur qu’on sent dans les vers du poète comme l’artère de la vie dans la gorge de l’oiseau, toutes choses que M. […] Elles aiment les camélias ordinaires, qui ne sentent rien, les vrais camélias8 !
Vous sentirez bien que je vous apporte l’expression de croyances vraies, pour ainsi dire mon motif de vivre, et il suffira de mes convictions et de votre bienveillance pour créer l’atmosphère essentielle à des spéculations vérifiées par des œuvres. […] Mais dès qu’a vibré en nous le besoin vital de nous exprimer, nous avons senti l’indigence des syllabes, et, si le moi s’est dérobé si longtemps, c’est son insuffisance qu’il faut accuser plutôt que la faiblesse de nos mémoires. […] Vous y sentirez ce souci presque exclusif de la pensée dans l’austérité d’un art qui se refuse les fleurs de charme et de grâce. […] On sent frissonner ici le mystère d’une loi que les anthropologues devraient bien préciser. […] Mais elle a besoin de se sentir unie à la Vérité : et voilà que celle-ci perd les vieilles certitudes des religions précises !