De temps en temps il s’égaye et s’enivre classiquement, selon la méthode usitée au Caveau, ou bien découpe les sentiments lyriques en couplets, à la manière de Béranger et de Désaugiers ; il réussit presque aussi bien qu’eux l’ode à compartiments. […] La célèbre pièce sur la Voulzie respire une mélancolie, un désenchantement et un sentiment de la nature qui n’ont pas vieilli et qui contrastent avec l’âpreté de ses satires politiques de haut style et, richement ornées à la rime de ces fameuses « consonnes d’appui » que Banville a tant réclamées plus tard.
Homme de talent et de verve, doué d’un sentiment poétique grandiose extérieur et sonore, il ne manquait ni de majesté ni de puissance, mais peut-être de simplicité et de profondeur. […] Avec un sentiment plus juste, plus raisonnable de sa vocation, il n’eût pas causé à ceux qui l’ont connu et aimé — c’est presque un pléonasme — le chagrin de le voir, malgré une somme considérable d’efforts, de savoir-faire et de mérite, placé, en fin de compte, au-dessous d’écrivains qui, nés avec moins d’ambition et dans des circonstances plus propices, ont su, quoique très moins doués sous beaucoup de rapports, acquérir des titres plus réels, plus durables à l’estime de la postérité.
Les Discours qu’il composa pour la justification de ce Ministre, sont les chef-d’œuvres d’une Eloquence mâle, rapide, attachante, & portent l’empreinte d’une ame pleine de noblesse & de sentiment ; aussi tout ce qu’il y avoit alors de plus respectable s’empressa de lui rendre hommage. […] Les Protestans qui ont osé assurer qu’il est mort dans des sentiments suspects, ne l’ont pas connu : une ame aussi élevée que la sienne, étoit incapable de dissimulation.
Il aimait la réflexion, l’étude, le vrai pour le vrai, le bien pour le bien ; il avait un sentiment de justice, de droiture, de cordialité que rien n’altéra, et qu’il exprime en des termes d’une sensibilité incomparable : Je suis tout accoutumé, disait-il, à cette espèce d’ingratitude ordinaire, qui est l’oubli des bienfaits, qui ne consiste qu’à ne pas rendre le bien pour le bien. […] J’ai le cœur et le sentiment lent, mais rude et tenace pour quelque temps, c’est-à-dire opiniâtre… Il a dit : Je ne puis vaquer à aucune besogne, qu’au bout de fort peu de temps le cœur ne se mette de la partie, soit pour, soit contre, soit pour les affaires, soit pour les hommes ; je m’affectionne ou je m’indigne. […] Il y mêle une théorie à lui sur l’amour-propre : après quoi il ajoute, en en faisant l’application à son frère (août 1738) : Il s’aime en tout bien, il aime son élévation et toute la plus grande élévation ; par-delà lui, il aime sa maison ; il a encore le sentiment du moment pour quelques objets de parenté ou étrangers. […] D’Argenson me donne, par ses remarques de chaque jour, le sentiment vif de la corruption du milieu du siècle, de cette corruption sèche et qui était sans ressources, tandis qu’il y aura des ressources dans la corruption ardente et plus neuve de la seconde moitié. […] Je trouvai à ce propos que ledit M. de Chauvelin n’était aucunement homme d’Etat comme je l’avais cru, et que ce n’était qu’un courtisan peu intelligent au bonheur de la nation ni aux sentiments que nous devons à l’humanité.
Comme ils expriment du moins, même dans les données mythologiques, des sentiments humains et naturels de tous les temps ! […] En arrivant à Tolède, la nouvelle reine fut reçue par don Carlos, et, à la vue de ce jeune prince déjà malade de la fièvre et tout exténué, cette jeune femme fut saisie d’un mouvement de compassion et de tendre pitié qui se peignit sur son visage et dans son regard : don Carlos le sentit, fut touché de son accueil, et « dès ce moment il conçut pour elle des sentiments de respect et de déférence qui ne se démentirent jamais depuis. » C’est à cette limite qu’il convient de s’arrêter, et rien de ce que les romanciers et poètes ont imaginé d’un sentiment mutuel entre la reine et son beau-fils n’a le moindre fondement ni même le moindre prétexte historique. […] Cet acte qu’on possède témoigne, de sa part, de sentiments honorables et meilleurs que ses actions : ce n’étaient pas les bons mouvements qui manquaient à ce malheureux prince, mais c’était la suite, la force de les régler, de tempérer ses impatiences et de réprimer ses penchants vicieux : il était en tout d’une organisation instable, défectueuse. […] Une seule bonne qualité surnageait au milieu de tant de travers et de vices, c’était son sentiment d’affectueuse déférence pour sa jeune belle-mère, la reine Elisabeth, dont la bonté compatissante et gracieuse l’avait touché. […] Ce portrait, qui se compose tout entier de mots et de traits originaux rapportés, me donne au plus haut degré le sentiment de la vérité et de l’équité historique, et ceux qui ont une fois goûté à ce genre sobre et sain sont guéris à jamais du clinquant, du flambant, du faux enthousiaste, du faux pittoresque, du faux lyrique.
Au reste, homme du monde, et très-semblable à ce que les lecteurs pourront voir dans Arthur, le travail et l’idée de la gloire ne furent que des éclairs dans une vie donnée plutôt aux sentiments et aux émotions. […] Si quelques notes s’en retiennent, ce sont celles qui s’échappent des cordes du sentiment. […] Ces pages-là, si vraies de couleur et de sentiment, sont surtout belles par la philosophie élevée ou elles aboutissent : cela commence par l’aquarelle et finit par le rayon d’Emmaüs. […] C’est comme une tendresse infinie qui m’inonde de je ne sais quels sentiments pleins d’émotion qui se forment de tout ce qu’il y a de beau, de bon, de noble dans la créature déchue, mais pardonnée ; exilée du ciel, mais remise dans la voie qui le fait retrouver. […] Ses dernières années se sont passées dans les mêmes sentiments, dans les mêmes regrets et les mêmes fluctuations morales qu’il avait éprouvés de tout temps : seulement les craintes et les regrets, ou même les remords chrétiens surnageaient de plus en plus.
Quand on a une fois, en âge déjà mûr, chanté et célébré à ce point la gaudriole et la goguette, et qu’on s’y est délecté avec un art si exquis et une si délicieuse malice, on a ensuite beau faire et beau dire, on peut la recouvrir sous les plus graves semblants et la combiner avec des sentiments très élevés, très sincères ; mais elle est et restera toujours au fond de l’âme une chose considérable, le lutin caché qui rit sous cape, qui joue et déjoue. […] Il y a quelques années déjà que, l’étudiant à part moi, et sans songer à venir reparler de lui au public, j’écrivais cette page que je demande la permission de transcrire, comme l’expression la plus sincère et la plus nette de mon dernier sentiment littéraire à son égard : Béranger a obtenu de gloire tout ce qu’il en mérite, et un peu au-delà ; sa réputation est au comble. […] Pour lui seul, entraîné qu’on était par la modestie apparente du genre, par le bonheur du refrain, par la vogue des sentiments, on a fermé l’œil, on s’est mis de la partie, et, tout en chantant en chœur, on lui a su gré de tout sans réserve. […] Des esprits sévères et conséquents ont eu le droit de remarquer que le sentiment qui a inspiré ces petites pièces mènerait très loin, et ils ont pu regretter que l’illustre poète ne soit pas demeuré à l’Assemblée constituante pour défendre, expliquer, commenter et appliquer, s’il y avait lieu, la moralité de ces chansons, poétiquement très belles. […] M. de Pontmartin s’est quelquefois souvenu de ces anciennes relations ; j’ai été étonné pourtant que l’écrivain homme du monde et de bonne compagnie se fût permis, à d’autres fois, de juger si lestement et si souverainement de mes pensées et de mes sentiments intérieurs, comme lorsqu’il a écrit que « je n’avais jamais rien aimé et jamais cru à rien ».
Mais dans ce cas, non plus que dans l’autre, il ne faut pas s’attendre à un amour vrai, naturel, partagé, à l’amour de deux êtres qui échangent et confondent les sentiments les plus chers. […] Elle sentait l’art et la nature comme on ne les sent qu’en Italie ; mais ce sentiment, commencé à l’italienne, se traduisait, se terminait trop souvent en vapeurs et en brouillards, non sans avoir passé par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. […] La digne Mme de Goethe, qui a en elle le sentiment du réel et le bon sens, a compris tout d’abord que cet amour de la jeune fille pour son fils ne tirait pas à conséquence, que cette flamme, ce feu de fusée, ne brûlerait personne. […] Paraissait-il un poète nouveau, un talent marqué d’originalité, un Byron, un Manzoni, Goethe l’étudiait aussitôt avec un intérêt extrême et sans y apporter aucun sentiment personnel étranger ; il avait l’amour du génie. […] Ces conversations de Beethoven sont admirablement rendues par Bettina : la naïveté d’un génie qui a le sentiment de sa force, qui dédaigne son temps et a foi en l’avenir, une nature grave, énergique et passionnée, s’y peignent en paroles mémorables.
Parlant, dans un de ses premiers écrits, du café Procope, voisin du district des Cordeliers, il dira, par allusion aux gens d’esprit qui y venaient au xviiie siècle : « On n’y entre point sans éprouver le sentiment religieux qui fit sauver des flammes la maison de Pindare. […] Il n’entre qu’avec un sentiment religieux dans un café, et il parodiera avec bouffonnerie l’Évangile. […] Je ne nie pas qu’il n’y ait au fond de ce dévergondage et de cette exaltation un sentiment d’inspiration patriotique, si l’on veut, et d’amour sincère de la liberté, de l’égalité moderne. […] » Les sentiments d’humanité prirent enfin le dessus en lui, et, les trouvant d’accord avec ses intérêts de parti, il ressaisit sa plume de journaliste pour publier (décembre 93) les premiers numéros du Vieux Cordelier. […] On se prend à s’écrier en se rejetant en arrière : Ô le style des honnêtes gens, de ceux qui ont tout respecté de ce qui est respectable, qui ont placé dans les sentiments mêmes de l’âme le principe et la mesure du goût !
Arago paraisse avoir eu connaissance, mais les écrits pamphlets du moment, ceux dans lesquels il distribuait à droite et à gauche ses petits coups de stylet empoisonné (comme le lui disait André Chénier) ; quand on vient de parcourir la suite d’articles qu’il a donnés à la Chronique de Paris, par exemple, depuis le 15 novembre 1791 jusqu’à la journée du 10 août 1792 et au-delà, on éprouve un sentiment de tristesse et presque de commisération. […] Le sentiment qui m’anime ici envers Condorcet n’a rien d’hostile ; sa mort a racheté, a expié sans doute quelques-uns de ses torts, et je révère, à bien des égards, sa vaste capacité d’esprit ; mais c’est un trop grand exemple, et trop orgueilleux pour qu’on ne l’approfondisse pas et qu’on n’en tire point une partie des leçons qu’il renferme, leçons humiliantes, et dont une erreur pareille à la sienne pourrait seule aujourd’hui s’aviser de faire un trophée pour la raison humaine. […] Partant de là et pour mieux conserver ce sentiment naturel dans toute son énergie et sa délicatesse : « J’ai renoncé, disait-il, à la chasse pour laquelle j’avais eu du goût, et je ne me suis pas même permis de tuer les insectes, à moins qu’ils ne fassent beaucoup de mal. » Turgot, avec qui il entre dans cet ordre de confidence, lui répond admirablement sur le chapitre de la morale, et il marque les points sur lesquels il diffère avec lui. Il est évident que Turgot admet bien plus que Condorcet le sentiment moral intime et direct, et c’est en effet par là que Condorcet a péché. […] Quand il s’anime d’un sentiment patriotique sincère, sa chaleur elle-même n’arrive jamais au rayon.
Le sentiment moderne de patrie était créé, et Saint-Simon s’en fait, en cette occasion, l’organe éloquent et incorruptible : il qualifie cette désertion comme nous le ferions aujourd’hui. […] Tandis qu’à la même époque, tous les désirs, tous les caprices passionnés ou sensuels s’exprimaient hautement avec impudence, il est touchant de voir ici un sentiment vrai, un attachement sincère qu’autorise le devoir, n’oser se produire qu’avec tremblement et pudeur, et une crainte marquée d’être repoussé : Je vous embrasse de tout mon cœur, malgré votre cruel silence. Songez pourtant que j’ai besoin d’être soutenue par vous dans la situation où me met le péril où vous êtes, que je me retrace sans cesse ; car je vous aime, mon cher cousin, avec de ces sentiments que l’inclination a formés, qu’elle entretient, et dans lesquels elle insinue tout ce qui a jamais produit l’union la plus tendre et la plus solide. […] J’ajoute à ces sentiments une estime qui doit être le lien de l’amour dont la pureté fait tout le mérite. […] On se croirait reporté au temps des Caylus et des Simiane, autant par la fleur des sentiments que par celle du langage.
C’est le cœur qui parle au cœur ; on sent une secrète satisfaction d’entendre parler la vertu : c’est l’abeille de la France. » On ose à peine trouver excessive cette royale louange, née d’un si noble sentiment. […] Pendant qu’il écrivait le premier tome de son Histoire ancienne, il était consulté par un grand seigneur belge, le duc d’Aremberg, sur le choix d’un précepteur : Jean-Baptiste Rousseau, alors établi à Bruxelles, servit d’intermédiaire dans cette négociation à laquelle Rollin apporta tout son zèle ; et cet excellent homme, poussant à bout son idée, écrivait à Rousseau : Il y a, dans le premier tome de mon Histoire, un endroit où j’ai été fort occupé de lui (le duc d’Aremberg) et de vous : c’est celui où je parle de Scipion Émilien, et je ne crois pas vous faire tort ni à l’un ni à l’autre en donnant à M. le duc le personnage et le caractère d’un aussi grand homme que Scipion, et à vous celui de Polybe qui ne contribua pas peu par ses conseils à inspirer à cet illustre Romain ces sentiments de générosité, etc. […] Sans vouloir déprécier cette modestie et sans prétendre nier que, chez quelques natures délicates, un sentiment de réserve et de pudeur excessive ne fasse tort au mérite et aux facultés réelles dont ces natures sont pourvues, je dirai pourtant qu’une habitude de modestie et d’humilité, au degré où l’avait Rollin, suppose toujours aussi un sentiment d’une secrète faiblesse qui évite le développement où elle se trahirait. […] ils croissaient presque à l’insu des pères, au milieu des discordes civiles, et ils sont absous par les malheurs publics, car tout leur a manqué : l’instruction, les remontrances, les bons exemples et ces douceurs de la maison paternelle, qui disposent l’enfant aux sentiments vertueux et lui mettent sur les lèvres un sourire qui ne s’efface plus. […] Ainsi s’exprimait éloquemment, dans l’amertume de son cœur et avec un sentiment de deuil profond, un biographe et un successeur de Rollin, il y a près de cinquante ans, en présence des générations dont René ouvrait la marche, et auxquelles nous avons tous plus ou moins appartenu.
On n’a pas voulu regarder dans quelles sources d’inspiration, méprisées par la génération présente, un poète du xixe siècle avait eu la hardiesse d’aller puiser, et quelles beautés d’expression et de sentiment il en avait rapportées. […] Amédée Pommier, par cette mystérieuse intussusception qui fait les poètes, a dans l’âme un peu de ce sentiment formidable qu’on peut appeler la revanche de Dieu, et cela est bien plus puissant qu’une manière quelconque. […] Pommier a détaillés avec une opulence et un fini qui semblent avoir épuisé les ressources et les combinaisons des démons eux-mêmes, ce qui frappe, ce n’est plus l’invention, ce n’est plus même ce dessin, si pur et si net sur son fond de flamme, des souffrances horribles des damnés, c’est le sentiment qui circule à travers ces formes étranges et ces épouvantements matériels ! Le spectacle est là, réel et visible, mais le sentiment du poète domine le spectacle. […] Amédée Pommier a portée dans la langue et l’expression intense, comme il l’avait déjà portée dans les sentiments énergiques de quelques-uns de ses poëmes et dans le terrible burlesque de quelques autres, et par exemple de son Enfer.
Elle trouve une sensualité intellectuelle dans cet aristocratisme de la sensation et du sentiment. […] Elle n’emprunte ses images à la nature que pour exprimer des états de sentiment. […] Quel sentiment désolé d’être absente D’un soir aux pentes d’or, d’un cœur et d’un pays ! […] Avec quel soin cultivé elle revivifie, pour un suprême épanouissement, les littératures desséchées, les ranimant de la sincère et douloureuse rosée de son sentiment. […] Mais, passée cette petite attaque de sentiment provoquée par la mort d’un amant, elle redeviendra l’Inconstante qu’elle est par définition.
Supposez-vous que les Châtiments de Victor Hugo inspirent les mêmes sentiments à un bonapartiste qu’à un républicain ? […] Je doute que son explication satisfasse ceux qui ont le moindre sentiment de la liaison nécessaire des faits historiques. […] Mais en vain ceux-ci prétendraient-ils, croiraient-ils même qu’ils ont à la lecture des mêmes ouvrages éprouvé les mêmes sentiments que M. […] Il est certain que la masse de la nation n’est pas atteinte par cette propagande de sentiments et d’idées dont M. […] Ce penseur, ce philosophe, est une vraie sensitive, un être délicat, gourmet de sensations fines comme de sentiments rares et subtils.
Que si ma pensée se reporte, non plus sur le poëte, mais sur l’homme auquel tant de liens de ma jeunesse m’avaient si étroitement uni et en qui j’avais mis mon orgueil, ressongeant à celui qui était à notre tête dans nos premières et brillantes campagnes romantiques et pour qui je conserve les sentiments de respect d’un lieutenant vieilli pour son ancien général, je me prends aussi à rêver, à chercher l’unité de sa vie et de son caractère à travers les brisures apparentes ; je m’interroge à son sujet dans les circonstances intimes et décisives dont il me fut donné d’être témoin ; je remue tout le passé, je fouille dans de vieilles lettres qui ravivent mes plus émouvants, mes plus poignants souvenirs, et tout à coup je rencontre une page jaunie qui me paraît aujourd’hui d’un à-propos, d’une signification presque prophétique ; je n’en avais été que peu frappé dans le moment même. […] Une foule de pensées et de sentiments roulent en lui et se combattent ou se confondent : comment démêler le principe qui dominera ? […] Dubois de rendre compte dans le Globe du recueil des Odes et Ballades ; je l’avais fait avec des réserves, mais dans un assez vif sentiment de sympathie et de haute estime.
Jamais je n’ai goûté autant la sobre et pure jouissance de l’esprit, et je n’ai eu plus vif le sentiment moral de la pensée. […] Il me serait difficile de vous exprimer tous les sentiments que j’ai éprouvés en le lisant ; je ne les démêle pas très-bien moi-même. Je ne veux pas vous dissimuler l’espèce d’effroi qui m’a saisi en me voyant tirer du demi-jour qui me convenait si bien vers une lumière si vive et si inattendue ; ce sentiment est excusable : il y va de trop pour moi, sous toutes sortes de sérieux rapports, d’être jugé avec une si extrême bienveillance dans un article dont vous êtes l’auteur et que vous avez signé.
C’est une aimable beauté de cœur et de génie qui nous ravit et nous touche par toutes les images connues, par tous les sentiments éprouvés, par toutes les vérités lumineuses et éternelles. […] Mais c’est aussi une espèce d’originalité bien rare et désirable, que celle qui s’accommode si aisément des idées reçues, des sentiments consacrés, des préjugés de jeunes filles et de vieillards ; qui parle de la mort comme en pense l’humble femme qui prie, comme il en est parlé depuis un temps immémorial dans l’église ou dans la famille, et qui trouve en répétant ces doctrines de tous les jours une sublimité sans efforts et pourtant inouïe jusqu’à présent. […] Il est piquant de voir comment la diversité d’imagination et de cœur les lance dès le point de départ dans des routes de rêverie bien éloignées, où ils ont trouvé moyen l’un et l’autre de recueillir une si abondante moisson de sentiments et de poésie.
Absence de l’idée et du sentiment de l’art. — 2. […] Ainsi perfectionnée, l’Iliade se réduit à douze chants : et ce qui tombe, c’est tout ce qui n’est pas la notation sèche du fait, tout ce qui est sentiment, couleur, poésie. […] Une pointe d’idée, une ombre de sentiment, c’en est assez, et toute la nature de Voltaire se répand dans ces petites pièces.
Principaux signes caractéristiques : race sanguine, rosbif, gin, thé, orgueil insulaire, sport, canotage, lawn-tennis, la plus puissante aristocratie du monde, keepseakes, home, parlementarisme, loyalisme, politique féroce, respect du passé, esthètes, sentiment religieux, bible, armée du salut, dimanche anglais, hypocrisie anglaise, etc. […] Antithèses étranges et profondes, plus profondes qu’ailleurs, ou plus sensibles, ou plus souvent rencontrées : Entre le soleil et la pluie ou le brouillard, entre les paysages de gares, de docks, d’usines et de mines et les paysages de bois, de lacs et de pâturages ; Entre le passé et le présent, qui partout se côtoient, dans les institutions, dans les mœurs, dans les édifices ; Entre la richesse formidable et l’épouvantable misère ; Entre le sentiment inné du respect et l’attachement inné à la liberté individuelle ; Entre la beauté des jeunes filles et la laideur des vieilles femmes ; Entre l’austérité puritaine et la brutalité des tempéraments ; Entre le don du rêve et le sens pratique, l’âpreté au travail et au gain ; Entre les masques et les visages, etc. […] Je suis revenu de ce sentiment déraisonnable.
Section 40, si le pouvoir de la peinture sur les hommes est plus grand que le pouvoir de la poësie Je crois que le pouvoir de la peinture est plus grand sur les hommes que celui de la poesie, et j’appuie mon sentiment sur deux raisons. […] On peut faire contre mon sentiment, une objection dont on conclueroit que les vers touchent plus que les tableaux. […] Voilà même, suivant mon opinion, pourquoi ceux qui n’ont fait que lire une tragédie, et ceux qui ont entendu réciter la piece sur le théatre, sont quelquefois d’un sentiment opposé dans le jugement qu’ils en portent.
S’il peint à la manière flamande ses premiers plans, choisis avec le discernement et le sentiment d’un Ruysdaël, d’un Potter ou d’un Wouvermans, il n’en lève pas moins parfois les regards vers les cimes ; et par échappées, sur les têtes de ses personnages, un trait plus hardi, plus fier, plus grandement rêveur, nous rappelle la magnifique et immense Nature qui surplombe tous les petits cadres où Topffer s’enferme, des pies nuageux ou irisés de ses sommets. […] l’on ne saurait comparer Topffer à Sterne, — et cependant il y a entre eux des parentés lointaines, un cousinage de sentiments. […] La langue qu’il parle est de toute beauté, à part le sentiment qui y palpite ou l’émotion qui s’y répand ou qui s’y concentre.
C’est que la raison et les sentiments prennent d’eux-mêmes la pente de la nature. […] Comment ce titre vide éveille-t-il encore des sentiments en nous ? […] Se pénétrer du sentiment des nécessités qui nous plient et qui nous traînent, se persuader que toute la sagesse consiste à les comprendre ou à les accepter, c’est le stoïcisme des anciens, et voilà qui est pour moi de qualité religieuse.