On diroit enfin à ce juge témeraire tout ce que fait dire la persuasion fondée sur le sentiment, quand on ne sçauroit trouver assez-tôt les raisons et les termes propres pour refuter méthodiquement des propositions dont l’erreur nous révolte.
Ailleurs encore, dans la chanson proprement dite, c’est le raffinement d’allégorie, c’est le tour de force du versificateur remplaçant l’expression du sentiment vrai. […] On a publiquement abjuré, avec un pédantisme solennel, ce vif sentiment de l’art, de la proportion, de la mesure, qui jadis caractérisait le génie national. […] Telle est en effet l’étrange perversion des sentiments au xviiie siècle qu’il est rare que l’on sache de quel nom les nommer. […] Ajoutez qu’en même temps la vie sociale, de plus en plus artificielle, achève de déshabituer l’homme du spectacle et du sentiment de la nature. […] Et ainsi, tandis que les prosateurs, maintenant leur attention fixée sur le détail, perdent le sentiment de la ligne, les poètes, qui ne regardent plus au-delà de l’horizon des salons, perdent le sentiment de la couleur.
Sa vie trop brève et les circonstances ne lui ont pas permis de se faire connaître du public, mais cet inconnu doit être considéré comme un des logiciens du sentiment les plus extraordinaires que compte notre littérature… Il a sombré, ne laissant dans l’histoire littéraire, pour indiquer la place qu’il méritait, que cinq ou six cents lignes !
Il y a bien de la différence entre le sentiment que la charité impose à tous les Chrétiens à l’égard de ceux qui sont dans l’erreur, & les précautions que l’autorité doit prendre pour prévenir les troubles.
Sans le surcharger ridiculement d’un sentiment froid & puérile, sans y étaler une philosophie vaporeuse, propre à faire hurler la musique ou la dénaturer, sans le parsemer de ces petits riens à prétention, qui ne sont accueillis qu’au défaut de quelque chose, il a su y répandre de l’intérêt, du naturel, de la gaieté, de la finesse, & tous les agrémens dont il est susceptible ; il a su, en un mot, y peindre le vrai caractere de la Nation, que ses Rivaux ne s’occupent qu’à abâtardir & à défigurer.
Le Traité de l’amour de Dieu, l’Introduction à la vie dévote, ses Lettres à différentes personnes & sur différens sujets, sont autant de chef-d’œuvres de lumieres & de sentiment, capables de dompter les esprits rebelles, & d’émouvoir les cœurs endurcis.
Nous ne parlons pas du Recueil de ses Poésies fugitives, dont Barbou a donné une édition magnifique, où les Connoisseurs trouvent plus d’esprit, de délicatesse & de sentiment, qu’il n’en faudroit pour faire une grande réputation à quiconque se seroit borné à ce seul genre.
J’affronte à mon tour la plus triste banalité, et j’avoue que c’est aussi mon sentiment. […] « Ce ne sont pas, dit Pascal, les sentiments de M. […] Je n’ai d’autre intérêt et d’autre sentiment que ceux que la France m’inspire. […] Pour la partie affirmative de ses thèses, il fait appel au sentiment. […] Par exemple que signifie pour lui le mot sentiment ?
« Qu’y a-t-il, s’écria-t-elle à la fin de sa pompeuse dissertation, qu’y a-t-il de plus précieux pour la femme que la liberté de pensée, de sentiment, d’action ? […] Mais, lorsqu’il remarqua avec quelle attention Viéra l’écoutait chanter, il n’éprouva plus pour lui qu’un sentiment de répulsion. […] — Oui, j’espère que vous avez pour moi un bon sentiment d’amitié. […] Boris, d’ailleurs, n’était point de ces hommes qu’on ne peut remplacer, s’il en est dans le monde qui ont cet honneur suprême, et Viéra n’était pas de nature à se consacrer toute sa vie à un sentiment unique, s’il est des sentiments qui ont cette puissance. […] Elle s’attacha avec une sorte de sentiment profond de gratitude à son bienfaiteur ; elle le suivait partout pas à pas en agitant sa queue comme un éventail.
La raison disparaît, le sentiment se dessèche, sous l’appareil des formes syllogistiques. […] Par ce sentiment de la réalité, qui est comme un premier, intérêt involontaire pour tout ce qui est de l’homme, tout en humiliant nos passions il ne se défend pas d’une sorte de plaisir à les peindre. […] Ainsi, la lutte des protestants contre Rome lui cache la lutte de l’Allemagne contre l’Empire, et le sentiment de nationalité qui intéressait le sol lui-même à la victoire du protestantisme. […] J’ai entendu des personnes instruites citer ce passage comme de Bossuet exprimant ses propres sentiments, et cédant à un moment de colère contre les princes persécuteurs. […] l’archevêque de Cambrai ne peut citer pour son sentiment aucun docteur qui ait un nom. » Bossuet pouvait en citer plus d’un pour le sien, et parmi les plus grands.
Mais je ne veux être qu’amateur, dilettante, selon le mot des Italiens : c’est le meilleur rôle dans tous les arts, et même dans toutes les carrières de la vie civile ; on goûte, on jouit, on juge, on s’essaye, et on ne se compromet pas ; on a, en un mot, des admirateurs, et on n’a point d’ennemis. » III C’est à ce double sentiment d’instinct de la gloire et de peur du bruit dans ces hommes délicats et exquis, appelés amateurs ou dilettanti, qu’on doit ces petits volumes diminutifs du génie, sourdines de la gloire, qui se publient de temps en temps à un si petit nombre de pages et à un si petit nombre d’exemplaires qu’on ne les affiche pas sur les étalages de libraires, mais qu’on les glisse seulement de la main à la main entre quelques amis discrets, comme une confidence du talent échappée à l’imprudence du poète. […] XIII Son petit livre rappelle au premier coup d’œil ces poètes condensés en sonnets d’or et d’ivoire qui, tels que Pétrarque, Michel-Ange, Filicaïa, Monti, incrustent une idée forte, un sentiment patriotique, une larme amoureuse dans un petit nombre de vers robustes, gracieux ou tendres, vers polis comme l’ivoire, que ces poètes miniaturistes façonnent non pour le temps, mais pour l’éternité. […] XIV Ce jeune homme aura évidemment un autre don de la poésie moderne, le don de rendre en vers familiers quoique expressifs les choses et les sentiments que l’orgueil emphatique de la poésie du dix-huitième siècle avait relégués dans le domaine de la prose, comme si le vers était incapable de dire juste et vrai, comme si la poésie n’était pas, par excellence, le langage du cœur ! […] Cette poésie qui marche à pied, qui ne se drape pas à l’antique, qui ne se met ni blanc ni rouge sur la joue, qui ne porte ni masque tragique ni masque comique à la main, mais qui a le visage véridique de ses sentiments, et qui parle la langue familière du foyer, cette poésie qui semble une nouveauté parce qu’elle est la nature retrouvée de nos jours sous les oripeaux de la déclamation et de la rhétorique en vers, sera la poésie de ce nouveau venu dans la famille qui chante.
Son costume est négligé, mais gracieux de coupe ; on voit qu’il a le sentiment du beau dans la draperie du buste, que peu lui importe l’étoffe, mais que le pli a de l’art involontaire dans sa tenue. […] La loyauté de sentiment jointe à la modération et au patriotisme de race donna à sa candidature une unanimité de convenances aristocratiques et de confiance populaire qui fut justifiée par ses votes ; il fut royaliste sans cesser d’être national. […] Ce servage volontaire et avoué d’une âme enthousiaste à la femme suzeraine ne fut-il pas, dans le moyen âge de l’Italie, de l’Espagne et de la France, un des caractères de la chevalerie des sentiments ? […] Ces lignes sont la métaphysique des édifices humains, nombres, géométrie, symétrie, décorations, tout cela construit en plus ou moins grande proportion, selon le génie de l’artiste, ce beau qui est l’idéal des yeux comme la musique est l’idéal de l’oreille, comme l’éloquence est l’idéal de la logique, comme la poésie est l’idéal de l’imagination et du sentiment.
Ces sentiments de piété envers le Siège de Pierre, que ma femme et moi sommes si heureux d’inculquer à notre jeune famille, sont invariables dans mon cœur. […] Personne ne sent plus que moi, je l’atteste à Votre Éminence, et ne partage davantage tous les sentiments dont son cœur doit être déchiré. […] « Agréez, Monseigneur, l’hommage de mes plus sensibles et respectueux sentiments, « Montmorency-Laval. » VIII L’amitié personnelle éclate partout dans ces témoignages. […] La vivacité pathétique de ses expressions laisse voir l’ardeur de ses sentiments pour cette jeune et charmante princesse.
Évidemment les louanges du roi abondent dans les vers de Despréaux : si elles sont méritées, et si elles sont sincères, il est superflu de le rechercher ; ni s’il n’y a pas là une forme de sentiment trop effacée de nos âmes depuis un siècle pour que nous la puissions comprendre. J’admettrai que Boileau a forcé la note, et que nous avons aujourd’hui un plus juste sentiment de la dignité personnelle. […] En vieillissant, il ne change pas au fond de sentiment. […] Son jansénisme était fait de taquinerie contre les jésuites et d’amitié pour Arnauld et Nicole : il y entrait surtout de purs sentiments d’honnête homme, un large esprit de tolérance, la haine des faux-fuyants et des équivoques, une sympathique admiration pour la hauteur morale de la doctrine janséniste et pour l’austère vertu de ses défenseurs.
Je suis contraire en cela, à des auteurs d’un si grand poids, que je n’expose mon sentiment qu’avec défiance, quoique j’aye Platon pour moi. […] J’entens par le vrai, une vérité positive, comme dans ces paroles de Moyse : Dieu dit que la lumiére se fasse, et la lumiére se fit ; ou seulement une vérité de convenance et d’imitation, comme dans ce sentiment d’Ajax : grand Dieu, rens-nous le jour, et combats contre nous. […] La paresse est une suite naturelle de ce principe ; ainsi Anacréon qui vivoit conséquemment, ne se fatiguoit pas à méditer ni à arranger de longs ouvrages ; il se contentoit de mettre en oeuvre quelques idées qui s’offroient d’elles-mêmes, et qui s’arrangeoient peut-être encore par sentiment plus que par réflexion. […] Aussi n’est-ce pas contre une admiration éclairée que je m’éleve, mais contre un sentiment aveugle que l’on s’impose sur la foi d’autrui, qui ne discerne point comment et jusqu’où les choses sont belles, et qui prodigue aux défauts mêmes les éloges qui ne sont dûs qu’aux vraies beautés.
Les premiers hommes (les poètes théologiens), encore incapables d’abstraire, firent une chose toute contraire, mais plus sublime : ils donnèrent des sentiments et des passions aux êtres matériels, et même aux plus étendus de ces êtres, au ciel, à la terre, à la mer. […] Jamais elle n’est plus approuvée que lorsqu’elle prête du sentiment et de la passion aux choses insensibles, en vertu de cette métaphysique par laquelle les premiers poètes animèrent les corps sans vie, et les douèrent de tout ce qu’ils avaient eux-mêmes, de sentiment et de passion ; si les premières fables furent ainsi créées, toute métaphore est l’abrégé d’une fable. — Ceci nous donne un moyen de juger du temps où les métaphores furent introduites dans les langues. […] Il est digne d’observation que, dans toutes les langues, la plus grande partie des expressions relatives aux choses inanimées sont tirées par métaphore, du corps humain et de ses parties, ou des sentiments et passions humaines.
Ses Poésies légeres l’emporteroient même sur celles de Chapelle & de Chaulieu, si l’esprit n’y étouffoit trop le sentiment.
Un seul Pseaume suffisoit à Rousseau pour faire une Ode pleine d'élévation, de chaleur & de sentiment ; & trois ou quatre Pseaumes fondus dans chacune des Odes sacrées de M.
Il n'est peut-être pas inutile de remarquer que les succès rapides de ce savant Médecin, dont la jeunesse en promet de plus grands, lui ont attiré des ennemis d'autant plus aigris qu'ils courent la même carriere, & que leur haine n'a pris sa source que dans le sentiment de la supériorité de ses talens, employés par le Gouvernement.
Ils lisent les poëmes comme ils regardent les tableaux, et ils sont choquez seulement des fautes, qui, pour ainsi dire, tombent sous le sentiment, et qui diminuent beaucoup leur plaisir.
On mettrait au premier rang quelques morceaux que le poète n’a point achevés, tels que le fragment Aux mânes de Damon où se trouve cette belle stance sur l’Orne et ses campagnes, le seul endroit où il ait exprimé avec vérité et largeur le sentiment de la nature champêtre. […] Il y a pourtant entre la pièce d’Horace et celle de Racan des différences de ton et de sentiment qui laissent à cette dernière son caractère tout à fait particulier et son charme propre. […] Ne cherchons que le sentiment sincère dans sa plénitude, le calme, la tranquillité stable d’une vie heureuse, l’idéal d’une médiocrité domestique frugale et abondante : or, tout cela s’y exhale, et on en reçoit l’impression en le lisant.
Daru, dans des vers sympathiques, d’une cordialité respectueuse, et où un léger blâme assaisonnait une grande louange, se faisait l’organe du sentiment de tous à l’égard d’un poète aimé et admiré. […] De même dans cette épître (« Hoc erat in votis… ») qu’il rend d’ailleurs avec sentiment, dans le morceau célèbre sur le bonheur des champs, il ose bien nommer la fève que le poète devenu campagnard sert sur sa table, mais il recule devant ces petits légumes assaisonnés de fin lard, et dont Horace nous laisse arriver le fumet : Uncta satis pingui ponentur oluscula lardo ; et il dit en échange : Quand verrai-je ma table offrir du lait, des fleurs ! […] Lorsqu’à cette époque d’union, de confraternité sincère, dans ces intervalles de Marengo et du camp de Boulogne, Andrieux qui savait bien le latin, Picard qui ne le savait guère, mais qui aimait à en placer quelques mots96, Campenon, Roger, Alexandre Duval, tous ces académiciens présents ou futurs se réunissaient avec Daru le dimanche à déjeuner, lorsqu’on récitait quelque ode d’Horace, redevenue comme d’à-propos et de circonstance, l’ode Ad sodales ou quelque autre (le sentiment de tous s’y joignant), il ne manquait rien, presque rien, à la traduction de Daru pour faire passer l’esprit de l’original dans tous les cœurs.
De telles prévisions et de telles paroles, une année avant la mort de Frédéric, et quand la fière attitude du vieux roi resserrait et décidait l’union germanique (1785), achèvent de juger le prince Henri ; elles marquent les points faibles de son esprit autant que de son cœur, et décèlent l’incurable sentiment souvent dissimulé, mais toujours vivace et toujours en éveil, dont Frédéric, pendant plus de quarante ans, à force de bons procédés et d’avances cordiales, n’avait jamais pu triompher58. J’ai terminé ce chapitre, qui aurait pu s’intituler Frédéric le Grand et le prince Henri : il m’en reste un dernier à écrire, à extraire d’une autre portion, également intéressante, de cette correspondance de famille ; il aura pour titre : Frédéric le Grand et sa sœur la margrave de Baireuth, et pour ce qui est des sentiments moraux, il sera plus consolant. […] Camille Paganel, a eu sous les yeux « un volume des œuvres de Frédéric, avec des annotations de la main même du prince Henri : à chaque page percent la mauvaise humeur, le sentiment jaloux du vainqueur de Freyberg. » af.