/ 3087
1670. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — I »

C’est le propre des écrivains de cet ordre d’avoir pour eux la presque unanimité des suffrages, tandis que leurs illustres adversaires qui, plus hauts qu’eux en mérite, les dominent même en gloire, sont à chaque siècle remis en question par une certaine classe de critiques. […] Son propre cœur lui expliquait celui de Phèdre ; et si l’on suppose, comme il est assez vraisemblable, que ce qui le retenait malgré lui au théâtre était quelque attache amoureuse dont il avait peine à se dépouiller, la ressemblance devient plus intime et peut aider à faire comprendre tout ce qu’il a mis en cette circonstance de déchirant, de réellement senti et de plus particulier qu’à l’ordinaire dans les combats de cette passion. […] Un jour, au milieu d’un festin, Néron ivre, pour le rendre ridicule, le força de chanter ; Britannicus se mit à chanter une chanson, dans laquelle il était fait allusion à sa propre destinée si précaire et à l’héritage paternel dont on l’avait dépouillé ; et, au lieu de rire et de se moquer, les convives émus, moins dissimulés qu’à l’ordinaire, parce qu’ils étaient ivres, avaient marqué hautement leur compassion.

1671. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

L’esprit militaire est le même dans tous les siècles et dans tous les pays ; il ne caractérise point la nation, il ne lie point le peuple à telle ou telle institution : il est également propre à les défendre toutes. […] Alors que le criminel éprouve l’adversité, il ne peut se faire aucun bien à lui-même par ses propres réflexions ; tant qu’un vrai repentir ne le remet pas dans une disposition morale, tant qu’il conserve l’âpreté du crime, il souffre cruellement : mais aucune parole douce ne peut se faire entendre dans les abîmes de son cœur. […] Cet éclat que leurs calomnies obscurcissent souvent aux yeux du monde, ne cesse jamais d’offusquer leurs propres regards.

1672. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Introduction »

. — Dans la troisième section, je traiterai des raisons qui détournent la plupart des hommes de se borner à l’enceinte des petits États, où la liberté démocratique peut exister, parce que là les passions ne sont point excitées par aucun but, par aucun théâtre propre à les enflammer. […] Ne serait-il pas possible qu’un grand pays, loin d’être un obstacle à un tel état de choses, fut particulièrement propre à sa stabilité ? […] La première partie, que j’imprime à présent est fondée sur l’étude de son propre cœur, et les observations faites sur le caractère des hommes de tous les temps.

1673. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre I »

. — Et ce malaise est propre à la France. […] Souvent ils ont moins, et, lorsqu’ils ne peuvent absolument subsister, le maître est obligé d’y suppléer… Le métayer est toujours réduit à ce qu’il faut absolument pour ne pas mourir de faim »  Quant au petit propriétaire, au villageois qui laboure lui-même son propre champ, sa condition n’est guère meilleure […] Le peu qu’il laboure, c’est pour semer des denrées de vil prix, propres à sa nourriture, le blé noir, les raves, etc.

1674. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Appendice »

Dieu me commande encore de percer de ma propre main un cœur sur lequel s’est déversée toute l’affection du mien. […] Elle vous fait toucher ces mystères qu’on sent en son propre cœur, et qu’on cherche péniblement à se formuler. […] Or, un lien n’est pas ce qu’il y a de plus propre à cela.

1675. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — I. (Dialogues inédits.) » pp. 1-28

Je vous répète ses propres expressions. […] M. de Sandone crut devoir se rendre propre le sentiment qu’il avait à feindre, et devint amoureux de moi pour mieux exprimer son rôle. […] On en doit seulement conclure qu’elle empruntait à Julie l’expression de ses propres sentiments, et qu’elle proposait ce vœu à Mirabeau comme modèle.

1676. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préface des « Derniers Jours d’un condamné » (1832) »

Et pour que le plaidoyer soit aussi vaste que la cause, il a dû, et c’est pour cela que le Dernier Jour d’un Condamné est ainsi fait, élaguer de toutes parts dans son sujet le contingent, l’accident, le particulier, le spécial, le relatif, le modifiable, l’épisode, l’anecdote, l’événement, le nom propre, et se borner (si c’est là se borner) à plaider la cause d’un condamné quelconque, exécuté un jour quelconque, pour un crime quelconque. […] C’est pour eux une question quasi-littéraire, une question de personnes, une question de noms propres. […] Il hait le mot propre presque autant que nos poëtes tragiques de l’école de Delille.

1677. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre II. Des poëtes étrangers. » pp. 94-141

Ce Poëte excelloit à faire des vers latins ; mais il n’avoit pas négligé sa propre langue, & nous avons de lui en italien une espêce de Pastorale intitulée Arcadie. […] Le Tasse paroît sur-tout supérieur à Homere dont il semble avoir suivi les traces, par l’art de nuancer les couleurs, & de donner aux différentes espêces de vertus & de vices les traits qui leur sont propres & qui les distinguent le plus. […] Dix Princes chrétiens métamorphosés en poissons, dans les bassins d’Armide, & un perroquet chantant des chansons galantes de sa propre composition, sont des choses bien étranges aux yeux d’un lecteur sensé, quoique nous soyons prévenus par l’histoire de Circé dans l’Odyssée, & quoique nous voyions tous les jours les perroquets imiter la voix humaine.

1678. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — II. (Suite.) » pp. 147-161

Tandis que le propre de l’homme poétique et du poursuivant de l’idéal est à tout moment de mettre le marché à la main aux choses, et de dire : Tout ou rien ! le propre de l’homme politique est de ne point casser même aux plus rudes rencontres, de ne jamais jeter, comme on dit, le manche après la cognée.

1679. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Mémoires et journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guettée. — I » pp. 248-262

Mais Bossuet, qui n’était pas seulement le docteur, mais l’orateur, ne séparait pas de son Augustin son saint Chrysostome ; il y apprenait les interprétations de la sainte Écriture les plus propres à la chaire, et s’y familiarisait avec ces tours nobles et pleins, avec ces tons incomparables d’insinuation « qui lui faisaient dire que ce Père était le plus grand prédicateur de l’Église. » — Il louait aussi Origène, nous dit l’abbé Le Dieu, ses heureuses réflexions et sa tendresse dans l’expression, dont il rapportait souvent cet exemple : « Qu’heureuses furent les tourterelles, dit Origène, d’avoir été offertes (par la Vierge au jour de la purification) pour notre Seigneur et sauveur ! […] C’est en vertu du même principe de modestie, et de juste et rigoureuse distinction entre l’homme et le talent qu’au lit de mort et dans sa dernière maladie, comme le curé de Vareddes lui exprimait son étonnement qu’il voulût bien le consulter, lui à qui Dieu avait donné de si grandes et si vives lumières, il répondait : « Détrompez-vous, il ne les donne à l’homme que pour les autres le laissant souvent dans les ténèbres pour sa propre conduite. » Nous savons de nos jours, et par toutes sortes d’expériences, ce que c’est que l’homme de lettres livré à lui-même, dans toute la liberté et la verve de son caprice et de son développement ; nous savons ce qu’il est, même dans le cas où il se combine avec l’écrivain religieux et où il le complique par des susceptibilités sans nom.

1680. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Variétés littéraires, morales et historiques, par M. S. de Sacy, de l’Académie française. » pp. 179-194

c’est là précisément le caractère de M. de Sacy, sa marque propre et distincte entre nous tous. […] Quand il faut traduire et trouver en français le mot propre pour répondre au mot latin, alors cette richesse et cette facilité apparentes deviennent la torture du traducteur.

1681. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Mélanges de critique religieuse, par M. Edmond Scherer » pp. 53-66

Scherer est à lire (pages 368-370 et page 343), et si dans cette conclusion l’impression morale qui surnage semble un peu en contradiction avec la conséquence intellectuelle, si on s’étonne de trouver l’une beaucoup plus favorable que l’autre, je me l’explique très bien par la situation personnelle du critique lui-même, qui fait un retour sur son propre passé, et qui, lui aussi, a osé se modifier, varier (toute proportion gardée) dans le degré de sa foi, et l’avouer sincèrement à son monde. — Et je me rappelle à ce sujet un dernier entretien que j’eus avec Lamennais. […] Le retrouvant au printemps de 1846, il avait oublié quelques critiques de moi un peu vives, et me les avait pardonnées ; il me parut aimable, gai, comme il l’était volontiers dans ses bonnes heures, fécond de vues et jeune d’esprit ; et entre autres choses, il me dit ces propres paroles qui étaient une manière d’apologie en réponse à des objections qu’il devinait au-dedans de moi et que je me gardais bien d’exprimer ; je ne donne d’ailleurs l’apologie que pour ce qu’elle vaut : « J’ai reçu de la Providence, me disait-il, une faculté heureuse dont je la remercie, la faculté de me passionner toujours pour ce que je crois la vérité, pour ce qui me paraît tel actuellement.

1682. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Étude sur la vie et les écrits de l’abbé de Saint-Pierre, par M. Édouard Goumy. L’abbé de Saint-Pierre, sa vie et ses œuvres, par M. de Molinari. — I » pp. 246-260

Il y en avait qui étaient réformateurs en avant et par les moyens propres aux sociétés modernes, discussion, liberté d’examen, suffrage éclairé, lumières graduées et intérêt bien entendu, progrès dans l’égalité, le bien-être et la morale civile. […] Après trois ou quatre ans donnés à la physique, à laquelle il eût été propre peut-être plus qu’à aucun autre objet, désirant surtout faire servir ses progrès personnels au bonheur des hommes, il suivit l’exemple de Pascal et de Socrate, il passa à l’étude de la morale ; et comme celle-ci ne trouve guère son application en grand et son développement qu’à l’aide des lois et des institutions civiles, il fut conduit nécessairement à s’occuper de politique : car nul esprit n’était plus docile que le sien à mettre en pratique et à suivre jusqu’au bout la série de conséquences qui s’offraient comme justes.

1683. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Parny poète élégiaque. » pp. 285-300

Mais le propre de cette aimable société de la caserne et de Feuillancour, c’est que la distinction, l’élégance, le goût de l’esprit surnageaient toujours jusque dans le vin et les plaisirs. […] à un certain moment, si vous la lisez avec attention, un étrange sentiment se laisse apercevoir : Elle me confondait avec sa propre vie, Voyait tout dans mon âme ; et je faisais partie De ce monde enchanté qui flottait sous ses yeux… Avant moi cette vie était sans souvenir… Et la comparaison développée du beau cygne qui trouble une onde pure dans un bassin, ne voyez-vous pas comme il la caresse ?

1684. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Quatre moments religieux au XIXe siècle. »

Lacordaire, et, mieux que le bruit, le talent qui s’est déployé en son honneur, ont réveillé mes propres souvenirs. […] Et pourtant il faut bien dire un mot de ce que nous pensons : c’est le propre et, si l’on veut, le faible de l’esprit critique, quand il a quelque chose (ne fût-ce qu’un petit mot) à dire, de ne pouvoir le garder ni sur le cœur ni sur la langue : il faut absolument que le grain de sel sorte, si grain de sel il y a.

1685. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « La Réforme sociale en France déduite de l’observation comparée des peuples européens, par M. Le Play, Conseiller d’État. »

Le Play, elle constitue si nettement son originalité propre, qu’il me paraît curieux et utile pour tous de la faire comprendre et de l’exposer ici avec quelque étendue. […] « Aucun exemple peut-être n’est plus propre », nous dit M. 

1686. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

Se souvenant qu’il avait autrefois lui-même insulté et sans doute calomnié bien des noms, il dut faire son mea culpa, un retour sur son propre passé : je n’en vois pas assez la trace dans ses derniers vers. […] La plupart de mes lecteurs l’auront déjà senti et en auront fait tout bas la remarque : le monde est présentement occupé et distrait ; il n’a plus d’oreille pour le poëte qui se plaint seul, pour celui qui vient nous dire sur tous les tons : Je suis la fleur des champs égarée au désert… ou bien : J’étais un jeune oiseau sans plumes à son aile… Le monde commence à être rebattu de l’éternelle chanson ; il a écouté, non point patiemment, mais passionnément, tous les grands plaintifs depuis Job jusqu’à Childe-Harold ; il s’écoutait lui-même en eux, et il assistait à ses propres pensées désolées : cela lui suffît ; le reste lui paraît faible ; les pleureurs à la suite ont tort ; il en a assez pour quelque temps de ces lamentations sur les lacs et sur les rochers.

1687. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « L’abbé Prevost et les bénédictins. »

Qu’on me rende un peu de justice, on conviendra que je n’étois nullement propre à l’état monastique, et tous ceux qui ont su le secret de ma vocation n’en ont jamais bien auguré. […] PREVOST, A La Haye, 10 novembre 1731. » La naïveté avec laquelle Prévost confesse à son ami ses restrictions intérieures , ménagées à travers ses vœux, et s’en autorise comme d’une précaution toute simple, est bien propre à faire sourire ; l’élève de La Flèche s’y découvre ingénument.

1688. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Rodolphe Topffer »

Le bon pasteur, dans son récit, garde parfaitement le ton qui lui est propre, et rien ne le fait s’en départir jamais. […] Bernier, chargé des deux nouvelles ouailles qu’il s’est données, ses tribulations croissantes et toujours consolées, depuis le moment où il sort de l’hôtel au milieu des rires en les tenant chacune sous un bras, jusqu’au jour où il les recueille chez lui dans sa propre chambre et où la grossesse de la pauvre Rosa se déclare, ces incidents survenant coup sur coup et l’un à l’autre enchaînés sont touchés avec un art secret, et ménagés avec une conduite qui fait l’intérêt du fond.

1689. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre I. Origine des privilèges. »

Convaincu par son propre trouble, il s’arrête, épargne la terre, le village, la cité qui vit sous la sauvegarde du prêtre. […] En revanche, les Français reprochent aux Anglais d’avoir décapité Charles Ier et « se glorifient d’avoir toujours gardé à leur propre roi un attachement inviolable, une fidélité, un respect que nul excès ou sévérité de sa part n’a pu ébranler ».

1690. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série «  Les femmes de France : poètes et prosateurs  »

Il est vrai que le souvenir de leur sexe peut également se retourner contre elles… En somme, soit que l’idée d’un autre charme que celui de leur style agisse sur nous, soit qu’au contraire l’effort de leur art et de leur pensée nous semble attenter aux privilèges virils, il est à craindre que nous ne les jugions avec un peu de faveur ou de prévention, qu’elles ne nous plaisent à trop peu de frais dans les genres pour lesquels elles nous semblent nées (lettres, mémoires, ouvrages d’éducation), et qu’elles n’aient, en revanche, trop de peine à nous agréer dans les genres que nous considérons comme notre domaine propre (poésie, histoire, critique, philosophie). […] Elles sont à elles-mêmes leur propre poème.

1691. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Deux tragédies chrétiennes : Blandine, drame en cinq actes, en vers, de M. Jules Barbier ; l’Incendie de Rome, drame en cinq actes et huit tableaux, de M. Armand Éphraïm et Jean La Rode. » pp. 317-337

» Sur quoi elle lui donne rendez-vous, la nuit prochaine, à l’assemblée des chrétiens, dans le propre temple de Rome et d’Auguste. […] Les auteurs n’y eussent pas mis une idée de plus que dans leur prose ; mais de beaux vers (il les fallait beaux) nous eussent peut-être suggéré, par leur musique et par leur volupté propre, quelque chose des voluptés néroniennes et de ce que Cléopâtre avait appelé déjà « la vie inimitable »… La pièce elle-même est une broderie industrieuse sur le chapitre des Annales où Tacite conte l’assassinat de Pedanius Secundus et ce qui s’ensuivit. — Ce Secundus est un abominable homme.

1692. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre III. La commedia dell’arte en France » pp. 31-58

« On ne peut disconvenir, disait Riccoboni, le Lélio de la troupe italienne du Régent au dix-huitième siècle, on ne peut disconvenir que ce système n’ait des grâces qui lui sont propres et dont la comédie écrite ne saurait se flatter. […]   On connaît assez bien, grâce à nos matamores français, le genre de plaisanteries propres à ce rôle du capitan.

/ 3087